M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir souhaité provoquer ce débat devant la Haute Assemblée. J’y représente le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin.
Ce débat nous offre l’occasion de revenir sur la détermination du Gouvernement à agir sur tous les fronts de notre sécurité.
En effet, c’est bien de cela qu’il s’agit : notre sécurité. C’est elle qui a motivé, dès 2015, à la suite des attentats que nous avons subis, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures à Schengen. C’est elle encore qui a conduit au doublement des forces affectées à ces contrôles, en novembre 2020. C’est elle enfin qui sous-tend nos propositions d’amélioration des contrôles aux frontières extérieures de l’Europe, que nous défendons dans le cadre des négociations européennes.
Dans cette intervention liminaire, j’évoquerai trois points principaux.
Tout d’abord, il me semble qu’il nous faut faire preuve de réalisme : la menace terroriste est toujours présente. Les raisons qui nous ont conduits à rétablir des contrôles aux frontières intérieures en 2015 n’ont, hélas ! pas disparu, du fait d’une conjoncture internationale très perturbée.
Ensuite, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures apporte une réponse proportionnée et efficace à ces menaces, comme en témoignent les chiffres.
Enfin, cette politique doit être complétée par des initiatives fortes à l’échelon européen afin d’améliorer Schengen. Je reviendrai sur les axes que nous défendons à Bruxelles dans la perspective de la présidence française de l’Union européenne.
Le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures demeure d’actualité, dans un contexte international perturbé.
La France a réintroduit les contrôles aux frontières intérieures avec la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, la Confédération helvétique, l’Italie et l’Espagne, ainsi qu’aux frontières aériennes et maritimes, lors de la COP21, sur le fondement de l’article 25 § 1 du code frontières Schengen (CFS), qui prévoit une telle possibilité en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre – catégorie des événements dits prévisibles.
Cependant, à la suite des attentats de Paris et de Saint-Denis, l’état d’urgence a été décrété et cette réintroduction a été prolongée. Actuellement, la France est en prolongation de la réintroduction pour une durée de six mois.
Les raisons qui expliquent cette longue prolongation du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures sont doubles.
La principale raison est la menace terroriste. En trois ans, nos services spécialisés ont déjoué 32 attentats. Hélas, cela n’a pas empêché notre pays d’être frappé par trois attentats islamistes, y compris très récemment. L’un d’entre eux, celui de Nice, a été commis par un ressortissant tunisien entré illégalement en Italie avant d’arriver en France par la frontière de Menton-Vintimille.
Cette menace terroriste ne faiblit pas. Les groupes djihadistes restent actifs au Sahel, en Libye, ainsi que dans la zone syro-irakienne. Plusieurs d’entre eux ont des agendas internationaux et alimentent de multiples réseaux criminels qui utilisent le commerce de stupéfiants ou le trafic de migrants pour agir ou amplifier leurs actions.
La deuxième raison qui a conduit à la prolongation est conjoncturelle, mais s’impose à nous tous : c’est la lutte contre la propagation de la covid-19 et la nécessité d’harmoniser les pratiques entre les différents États européens. Ainsi, dans sa communication du 19 janvier 2021, intitulée Un front uni pour vaincre la COVID-19, la Commission européenne a souligné que tous les déplacements non essentiels devaient « être fortement découragés jusqu’à ce que la situation épidémiologique se soit considérablement améliorée ».
Au demeurant, la pression migratoire demeure et connaît une forte hausse : en 2020, les flux de migrants atteignant l’Europe ont connu une augmentation par rapport à 2019 sur les routes occidentales et centrales, ainsi que sur celle des Balkans. Seule la route orientale affiche une baisse.
Par ailleurs, au premier semestre 2021, on a décompté 36 076 entrées irrégulières au sein de l’Union européenne, soit une hausse de 32 % par rapport à la même période de 2020, principalement vers l’Italie et l’Espagne.
Ce sont surtout les flux secondaires, qui touchent la France depuis les autres pays européens, qui sont en augmentation. Ainsi, les non-admissions prononcées en 2020 sont en hausse de 55 % par rapport à l’année précédente, sur les frontières terrestres. La tendance se poursuit sur les trois premiers mois de l’année 2021, une augmentation de 221 % par rapport à 2020 ayant été constatée. Ce sont évidemment les frontières espagnoles et italiennes qui sont les plus concernées.
Ces flux migratoires secondaires pèsent lourdement sur nos dispositifs d’accueil. La France enregistre les chiffres parmi les plus élevés en matière de demandes d’asile : 152 000 demandes ont été déposées en 2019 et 93 000 en 2020.
À cet égard, la France n’est pas isolée et n’est pas la seule à avoir choisi le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures et à l’avoir renouvelé à plusieurs reprises. En effet, plusieurs autres États membres – l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Suède et la Norvège – ont également réintroduit ces dernières années les contrôles à certaines de leurs frontières intérieures.
Les résultats obtenus grâce au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures sont positifs, dans le cadre d’une coopération active avec les États riverains.
Le contrôle aux frontières repose, aux frontières belge, allemande et suisse, sur les effectifs de douane et de police en poste, soit un peu moins de 2 000 personnes. Aux frontières espagnoles et italiennes, les effectifs ont été portés, depuis les décisions du Président de la République de novembre 2020, de 2 400 à 4 800 policiers, gendarmes et militaires de l’opération Sentinelle.
Les contrôles aux frontières intérieures ont fait la preuve de leur utilité pour prévenir le terrorisme, la criminalité organisée et pour lutter contre l’immigration irrégulière et les filières. Outre leur caractère dissuasif, ils ont permis la surveillance d’individus signalés dans les bases de données européennes et nationales en raison de la menace terroriste qu’ils représentent pour notre territoire. Ils ont également révélé toute leur pertinence dans la lutte contre la fraude documentaire.
À titre d’illustration, permettez-moi de vous livrer quelques chiffres. Depuis novembre 2015, 274 millions de personnes ont franchi les frontières françaises, extérieures ou intérieures ; 102 millions ont fait l’objet de contrôles, 93 millions de passages fichiers, soit plus d’un tiers du total des passages aux frontières. Sur ce total, 121 000 fiches ont été découvertes et 300 000 personnes ont été non admises.
Ces résultats signifient deux choses. La première, c’est que les contrôles fonctionnent et entretiennent un flux réel de non-admissions : un nombre significatif de personnes, approximativement 50 000 par an, sont détectées comme n’ayant aucun droit de se rendre sur notre territoire. Au vu des volumes de circulation, ces contrôles n’entravent nullement la liberté de circulation, qui reste le principal acquis de Schengen.
Il est à noter que les droits des voyageurs et des migrants sont pleinement respectés. En cas de non-admission, notamment à la frontière franco-italienne, des locaux ont été mis à disposition des personnes à qui l’entrée est refusée, le temps qu’elles soient remises aux autorités italiennes.
Ces contrôles aux frontières s’effectuent dans le cadre d’une coopération solide avec les États voisins. L’intégralité des contrôles aux frontières est menée dans le respect du principe de proportionnalité et en étroite coopération avec les autorités des États membres voisins.
En matière de coopération, des analyses de risques sont régulièrement partagées et actualisées avec les États membres limitrophes, en fonction de la situation rencontrée et selon les services considérés – police nationale, douanes et gendarmerie nationale. C’est le cas, par exemple, entre la police et la gendarmerie françaises et les services italiens à la frontière. Ces analyses visent notamment à prévenir le développement d’organisations criminelles transfrontalières et sont diffusées à l’échelon départemental, régional et national.
Les contrôles aux frontières terrestres sont donc aménagés en fonction de ces échanges d’informations et réalisés par des patrouilles fixes et mobiles, qui effectuent une surveillance adaptée entre les différents points de passage.
Par ailleurs, sur le fondement de la convention d’application de l’accord de Schengen, des accords visant à renforcer la coopération policière et douanière ont été signés avec les États frontaliers. Ils prévoient notamment l’installation de centres de coopération policière et douanière (CCPD) facilitant l’échange d’informations entre les différentes parties prenantes.
À terme, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ne pouvant être maintenu indéfiniment, c’est vers la réforme de Schengen que nous devrons nous orienter.
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Très récemment, le ministre de l’intérieur a adressé à la Commission européenne, avec son homologue allemand, une lettre conjointe en ce sens. Hier, la Commission européenne a publié sa stratégie Schengen, soit les grands axes d’une réforme vers un espace Schengen rénové.
Bref, l’enjeu que nous traitons avec nos partenaires, c’est le contrôle des frontières extérieures et le rétablissement de la confiance et de la coopération entre États membres. Le but, vous l’avez bien compris, est bien de préserver cette avancée irremplaçable qu’est la libre circulation.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et que le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Tout État souverain a naturellement le droit de définir sa politique migratoire et les catégories de populations ayant le droit d’entrer sur son territoire. Aucun État n’est une page blanche. On ne peut y entrer ou en sortir comme dans un moulin ! Cela n’existe pas…
En France, le Gouvernement a rétabli le contrôle aux frontières depuis les attentats de 2015. Vous venez de rappeler un certain nombre de chiffres, madame la ministre, mais nous sentons bien que le contrôle aux frontières à l’intérieur de l’Europe n’a de sens que si nous réformons Schengen et si nous renforçons Frontex.
Si une course-poursuite s’engage entre les différents États à l’intérieur de l’Europe, mais qu’il est possible d’entrer très facilement ou clandestinement en Europe, alors c’est un jeu à somme nulle, pour ne pas dire un jeu de dupes.
Madame la ministre, vous avez évoqué le Schengen rénové envisagé par l’Union européenne à la fin de votre intervention. Comment comptez-vous coordonner la politique française et la politique européenne en matière de contrôle des frontières ? Comment renforcer les capacités de Frontex ? Une politique migratoire européenne commune soutenant Frontex et le contrôle aux frontières de l’Europe est-elle dans les tuyaux ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, je comprends bien sûr votre question et je vous assure que le Gouvernement partage votre volonté de mener une politique de contrôle aux frontières qui soit efficace, juste et bien évidemment coordonnée.
Vous l’avez dit, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures répond à des impératifs majeurs de sécurité, notamment de lutte contre le terrorisme. Cela étant, malgré l’excellent travail des agents de la lutte contre le terrorisme, qui ont déjoué 51 attentats depuis 2015 et que je tiens à saluer ici, la menace reste extrêmement forte. Nous ne pouvons pas baisser la garde.
Le rétablissement a porté ses fruits, bien qu’il ne constitue pas la seule solution. Vous le savez, monsieur le sénateur, le Gouvernement nourrit l’ambition forte d’un contrôle commun aux frontières extérieures de l’Union européenne.
Pour répondre très clairement à la question que vous me posez, et comme je l’ai dit brièvement dans mon propos liminaire, nous croyons en Schengen. Toutefois, comme l’a dit le Président de la République, pour sauver Schengen, il faut le transformer. La politique de la France en la matière ne peut bien évidemment se faire ni contre l’Union européenne ni différemment d’elle. Je vous confirme qu’un travail diplomatique est en cours avec nos partenaires, avec l’ensemble des ministres concernés à l’échelon européen, afin d’améliorer Schengen. Tel est le sens que nous souhaitons donner à la présidence française de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Madame la ministre, cela fait des années, cinq ou dix ans, que l’on dit qu’il faut réformer Schengen. Il est donc temps que soit mise en œuvre une politique d’immigration commune à l’ensemble de l’Europe, dotée de moyens de contrôle communs aux frontières, et que Frontex soit renforcée.
Cela étant, je ne rêve pas ! Chaque État membre conservera sa souveraineté à l’intérieur de ce Schengen 2, car il y a peu de chances que tous les États européens mènent strictement la même politique migratoire. La France doit donc impérativement conserver sa souveraineté sur son territoire et pouvoir décider qui a le droit d’entrer ou non sur son territoire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la ministre, les accords de Schengen permettent la libre circulation des personnes entre vingt-six États, qui ne sont d’ailleurs pas tous membres de l’Union européenne. Aux côtés de la libre circulation des marchandises et des capitaux, celle des personnes illustre la grande intégration des États membres.
Cette liberté est une chance pour le peuple européen. Comme le permettent les accords de Schengen, un certain nombre de restrictions à la libre circulation des personnes ont cependant été mises en œuvre ces dernières années. Différents motifs ont été invoqués, comme la lutte contre le terrorisme, le contrôle des flux migratoires ou encore la lutte contre la pandémie.
Depuis les attentats de Paris en 2015, la France a rétabli la possibilité d’effectuer des contrôles à ses frontières. Certains y voient la fin de l’espace Schengen. Nous pensons qu’il s’agit plutôt d’une mesure de sécurité, que chacun peut comprendre.
L’année 2015 a aussi été marquée par une crise migratoire majeure. Cela a été dit, Frontex disposait de moyens trop faibles pour assurer l’intégrité des frontières extérieures de l’Union. Ses compétences et ses moyens ont été renforcés après cet épisode, mais une réforme plus globale est nécessaire, notamment pour assurer l’interopérabilité des fichiers.
Pour se reposer sur les frontières extérieures, les États ont besoin de savoir que ces frontières sont fermement tenues. Ils ont également besoin de connaître qui les franchit.
Monsieur le ministre, ces objectifs sont-ils atteignables à vingt-six ? Ne faut-il pas prévoir un espace de libre circulation plus restreint, mais mieux maîtrisé ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, vous me posez une question fort intéressante, qui sera abordée lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Le Président de la République s’est d’ailleurs lui-même déjà exprimé dans votre sens. Il est vrai qu’il est extrêmement difficile à vingt-six ne serait-ce que de se mettre d’accord sur le partage d’un certain nombre de données et sur leur fiabilité.
Vous avez soulevé la question des moyens. Entre 2021 et 2027, le nombre de garde-frontières de Frontex augmentera de 10 000. Par ailleurs, le budget alloué à cette agence a considérablement augmenté. Nous appelons de nos vœux la mise en œuvre rapide de procédures efficaces aux frontières extérieures. Dans ce sens, nous soutenons la proposition de la Commission qui vise à rendre obligatoire le contrôle avant le passage de la frontière extérieure de l’Union européenne, notamment l’enregistrement dans Eurodac.
Les procédures d’asile à la frontière doivent aussi nous permettre d’identifier rapidement les personnes manifestement inéligibles à l’asile afin de favoriser leur éloignement, tout en respectant leurs droits fondamentaux. Cela nous permettra par ailleurs de réduire le délai de réponse aux demandes d’asile. Dans le même temps, nous devons définir un cadre de responsabilité plus efficace afin de réduire les demandes multiples et d’empêcher les abus.
Nous plaçons de grands espoirs dans le code de coopération policière annoncé par la Commission afin de renforcer la coopération policière transfrontalière. Il est essentiel de pratiquer davantage les contrôles autorisés dans les zones frontalières, tels qu’ils sont d’ailleurs prévus dans le code frontières Schengen, de permettre aux États membres d’y recourir plus largement et de faciliter les remises d’étrangers en situation irrégulière d’un État membre à l’autre.
Pour conclure, nous pensons que le rétablissement temporaire des contrôles aux frontières doit permettre aux États qui y recourent de réagir rapidement et efficacement à des menaces sur leur territoire, en coopération toujours plus étroite et améliorée avec la Commission et les autres États membres.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la ministre, durant plusieurs semaines, nous avons constaté que la police aux frontières refoulait systématiquement les personnes appréhendées, même en cas de demande d’asile. Malgré nos demandes, aucune justification légale de cette pratique ne nous a été fournie. Ces pratiques entrent pourtant en contradiction avec le droit et la jurisprudence, comme en attestent les recherches juridiques que nous avons effectuées.
En effet, de 2019 à 2021, le Conseil d’État ou la Cour de cassation ont clairement affirmé à au moins cinq reprises que le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, tel qu’il est prévu par le code frontières Schengen, ne permet pas de signifier des refus d’entrée sans avoir tenu compte du droit de demander l’asile à la frontière.
En 2019, la Cour de cassation a clairement considéré que « la seule réintroduction de contrôles aux frontières intérieures d’un État membre n’a pas pour conséquence qu’un ressortissant de pays tiers, en séjour irrégulier et appréhendé à l’occasion du franchissement de cette frontière […], puisse être éloigné plus rapidement » via un refus d’entrée sans prise en compte du droit d’asile. Le Conseil d’État est arrivé à la même conclusion à trois reprises.
Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne a indiqué que le « code Schengen s’oppose à ce qu’une frontière intérieure sur laquelle des contrôles ont été réintroduits soit assimilée à une frontière extérieure ». Les règles d’exception au droit d’asile ne s’appliquent donc pas.
De même, le règlement de Dublin prévoit que la demande d’asile doit être instruite par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).
Comment expliquer que nous ayons constaté à plusieurs reprises que les demandes d’asile n’étaient pas prises en compte à Montgenèvre ? Madame la ministre, vous avez rétabli les frontières, mais nous vous demandons de rétablir le droit !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Poncet-Monge, je sais que vous vous êtes rendue sur place et je salue votre engagement et le fait que votre question émane directement du terrain.
Très concrètement, même si un contrôle est exercé aux frontières intérieures de l’Union européenne, il n’en demeure pas moins que la frontière extérieure de l’Union européenne, c’est celle de l’Italie. Le règlement de Dublin prévoit que c’est le franchissement d’une frontière extérieure qui est pris en compte pour déterminer la responsabilité d’un État membre dans le traitement d’une demande d’asile. À cet égard, les procédures Dublin sont parfaitement claires et respectées par la France.
Il ne fait aucun doute pour nous que les étrangers interpellés lorsqu’ils franchissent la frontière italienne le sont dans le respect du droit. Les migrants conservent bien sûr la faculté juridique de demander l’asile. Ils relèvent alors soit de l’Italie, selon le critère de Dublin, soit de la France s’ils disposent d’éléments probants attestant d’un lien avec notre pays, par exemple la présence de membres de leur famille. Seuls ces éléments juridiques sont pris en compte dans ce cadre.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la réplique.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la ministre vos propos sont en contradiction avec la décision de la Cour de justice de l’Union européenne. Je vous le répète, le code frontières Schengen s’oppose à ce qu’une frontière intérieure rétablie – c’est ce que nous connaissons depuis cinq ans – sur laquelle des contrôles ont été réintroduits soit assimilée à une frontière extérieure.
Vous me dites que c’est la frontière extérieure qui prime. Je vous redis que les règles d’exception au droit d’asile ne s’appliquent pas ! Le règlement de Dublin ne justifie pas un renvoi immédiat, la demande d’asile devant au préalable être instruite par l’Ofpra.
Nous avons vu, de nos yeux vu, que les personnes appréhendées étaient directement renvoyées à la police italienne, sans que leur situation fasse l’objet d’une instruction préalable.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame la ministre, il y a trente-six ans, cinq États membres de l’Union européenne convenaient de supprimer entre eux les contrôles aux frontières. Aujourd’hui, 3,5 millions de personnes se déplacent chaque jour au sein de l’espace Schengen. La Commission européenne a présenté hier une proposition de révision du mécanisme de contrôle. Son bon fonctionnement repose sur trois piliers : une gouvernance solide, une gestion efficace des frontières extérieures et le renforcement des mesures policières pour compenser l’absence de contrôles intérieurs.
Or ces contrôles ont été réintroduits en France le 13 novembre 2015 en prévision de la tenue de la COP21. Comme le prévoit l’article 25 du code frontières Schengen, le contrôle aux frontières intérieures a été prolongé une cinquantaine de fois, pour cause de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure. Plusieurs autres États membres ont justifié une telle reconduction en raison de circonstances exceptionnelles. L’article 28 du code autorise également le rétablissement des contrôles intérieurs, pour une période limitée.
Ces rétablissements et prolongations successifs des contrôles aux frontières intérieures, décidés pour des motifs légitimes, posent toutefois la question de l’application de ce cadre et de son esprit initial.
Certes, les récents rétablissements des contrôles aux frontières sont parfois perçus comme des réactions de repli, un manque de confiance. Face à un état de crise quasiment permanent, qu’il soit migratoire, terroriste ou sanitaire, il faut s’interroger plus profondément sur l’adéquation du cadre en vigueur.
Nous nous accorderons sur ce point : les contrôles aux frontières nationales ne suffisent pas. Il existe d’autres façons d’assurer la sécurité de nos concitoyens et de réguler les flux de personnes, notamment la protection des frontières extérieures de l’Union par l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, dont les moyens doivent être renforcés.
La France va devoir défendre une position dans la perspective de la révision prochaine du code frontières Schengen. Madame la ministre, comment concilier la nécessité d’assurer la sécurité et le respect de l’esprit du code Schengen, qui confère un caractère exceptionnel au rétablissement des frontières intérieures ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Duranton, vous l’avez rappelé, les attentats de 2015 qui ont durement frappé notre pays, comme ceux de cette année, ont justifié, conformément aux dispositions du code frontières Schengen, le choix de la France de rétablir des contrôles aux frontières intérieures. Les gouvernements qui se sont succédé ont par la suite maintenu et prolongé ces contrôles.
Toutefois, vous avez parfaitement raison de rappeler qu’il nous faut veiller à ne pas dénaturer l’espace Schengen, qui est l’un des acquis les plus précieux de la construction européenne. La suppression des contrôles aux frontières intérieures a contribué à l’amélioration du marché unique et a permis aux citoyens de l’Union européenne de bénéficier des avantages d’une Europe unie.
Pour concilier l’esprit du code Schengen et les exigences impérieuses de sécurité, il nous faut faire du contrôle de la frontière extérieure la clé de voûte de la nouvelle stratégie Schengen qui est en cours de préparation. La France appelle donc de ses vœux la mise en œuvre rapide de procédures aux frontières extérieures efficaces et soutient, comme je l’ai déjà dit, la proposition de la Commission qui vise à rendre obligatoire le contrôle avant l’entrée à la frontière extérieure de l’Union européenne, notamment l’enregistrement dans Eurodac. Selon nous, c’est ce qui va véritablement permettre d’améliorer la situation.
Dans le même temps, nous devons définir un cadre plus efficace en matière d’asile. On voit bien les problèmes qui se posent en France et partout en Europe pour réduire les demandes multiples, empêcher les abus de l’actuel système de Dublin.
Nous pensons également que le code de coopération policière annoncé par la Commission pour renforcer la coopération transfrontalière est une bonne solution et qu’il est essentiel d’utiliser davantage les contrôles qui sont déjà autorisés dans les zones frontalières, dans le respect bien sûr du code frontières Schengen, en permettant aux États membres d’y recourir plus largement.
Pour conclure, la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures doit permettre aux États membres qui y recourent de réagir rapidement et efficacement à des menaces sur le territoire national, en coopération avec la Commission et les autres États membres. Cela, c’est pour le présent, mais cela ne doit pas nous empêcher de nous tourner vers l’avenir, de poursuivre ensemble la construction européenne et de franchir la nouvelle étape de Schengen, main dans la main avec nos partenaires européens.