Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre. Je veux dire, à mon tour, que ce sujet important mérite mieux que des caricatures. Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui voudraient défendre les droits des travailleurs, et, de l’autre, ceux qui défendraient aveuglément les plateformes.

Ces plateformes ont permis de faire émerger de nouveaux services et de créer de nouveaux emplois. En même temps, personne ici ne peut se satisfaire de la situation de précarité que connaissent un certain nombre de travailleurs, et que nous pouvons tous constater en circulant dans l’espace public. Je pense notamment à ces livreurs qui devraient rouler à vélo mais utilisent des scooters, et sont, pour partie, manifestement exploités. Ce constat, nous le partageons.

Nous devons trouver un chemin pour permettre le développement de ces emplois tout en répondant aux aspirations des travailleurs, lesquels ne veulent pas nécessairement être des salariés, et en renforçant leurs droits individuels et collectifs.

Tel est le chemin que nous suivons depuis le début du quinquennat, avec l’objectif de rétablir le rapport de force entre les plateformes et les travailleurs. C’est ce que prévoit la loi d’orientation des mobilités avec le droit à la déconnexion pour les travailleurs des plateformes, la possibilité de refuser des courses et la faculté, qui peut paraître élémentaire, pour le travailleur de connaître la distance et le prix d’une course avant de l’accepter.

C’est toujours ce chemin que nous suivons lorsque nous permettons la mise en place d’une représentation de ces travailleurs, afin que s’engage une négociation collective.

Nous continuerons dans cette voie en renforçant les droits de ces travailleurs. J’ai évoqué notamment le sujet des accidents du travail et des maladies professionnelles : sur ce point, il nous faut manifestement renforcer les protections.

Enfin, s’il est bon de faire des lois, il est bon, aussi, de contrôler leur application. Je vous le redis, les services de mon ministère sont mobilisés pour contrôler et sanctionner les abus qui peuvent exister dans un certain nombre de domaines.

Encore une fois, mesdames, messieurs les sénateurs, ce sujet important, qui concerne un domaine nouveau, mérite mieux que des caricatures ! (M. Martin Lévrier applaudit.)

M. le président. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

proposition de loi visant à lutter contre l’indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l’algorithme dans les relations contractuelles

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à lutter contre l'indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l'algorithme dans les relations contractuelles
Article 2

Article 1er

I. – Après l’article L. 442-4 du code de commerce, il est inséré un article L. 442-4-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 442-4-1. – I. – Sous réserve du présent article, le chapitre Ier du titre V de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle s’applique à l’action ouverte sur le fondement du présent article.

« II. – Lorsque plusieurs travailleurs placés dans une situation similaire subissent des préjudices résultant du recours à un statut fictif de travailleur indépendant, une action de groupe peut être exercée, sans préjudice des actions individuelles que les travailleurs peuvent exercer à d’autres fins auprès des tribunaux compétents.

« III. – Cette action peut tendre à la cessation du manquement, notamment par la reconnaissance immédiate de la qualité de salarié de tous les travailleurs placés dans une situation identique à celle mentionnée au I, à la réparation des préjudices causés, ou à ces deux fins.

« IV. – Peuvent seules exercer cette action :

« 1° Les organisations syndicales ayant pour objet la défense de travailleurs indépendants ;

« 2° Les organisations syndicales de salariés représentatives au sens des articles L. 2122-1, L. 2122-5 ou L. 2122-9 du code du travail ;

« 3° Une association régulièrement déclarée depuis au moins deux ans intervenant dans le domaine de la défense des travailleurs indépendants. »

II. – Après le 2° de l’article 60 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice au XXIe siècle, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :

« 2° bis L’action ouverte sur le fondement du 3° du I de l’article L. 442-1 et de l’article L. 442-4-1 du code de commerce ; ».

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

M. Christian Redon-Sarrazy. Où sont-ils, les Républicains ?

M. le président. Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 127 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 312
Pour l’adoption 86
Contre 226

Le Sénat n’a pas adopté.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à lutter contre l'indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l'algorithme dans les relations contractuelles
Article 3 (début)

Article 2

I. – L’article L. 8221-6 du code du travail est ainsi rédigé :

« Art. L. 8221-6. – I. – Tout travailleur, dont au moins les deux tiers du revenu professionnel annuel résultent de l’utilisation d’un algorithme exploité directement ou indirectement par une personne, est présumé être lié à cette dernière par un contrat de travail.

« II. – L’inexistence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque la personne mentionnée au I démontre que le travailleur a exécuté sa prestation dans des conditions exclusives de tout lien de subordination juridique à l’égard de celle-ci. »

II. – L’article L. 8221-6-1 du code du travail est abrogé.

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.

M. Patrick Kanner. Madame la ministre, vous avez parlé de caricature… Pour ma part, je ne sais pas si je suis caricatural, mais je reconnais qu’il est difficile d’être un ministre de gauche dans un gouvernement de droite ! Tel est votre choix ; ce n’est pas le nôtre.

Avec la présente proposition de loi, qui vient après celle de Monique Lubin et Olivier Jacquin, que nous avons soutenue il y a quelques mois, et après celle défendue par le groupe communiste, nous voulons alerter l’opinion.

Ne vous en déplaise, madame la ministre, nous avons le droit, au Parlement, d’imaginer des solutions qui, peut-être, vous semblent insuffisantes et insuffisamment solides juridiquement. « J’ai la réponse ! », nous avez-vous dit. Permettez que, nous aussi, nous ayons notre réponse. J’ajoute que vos propos auraient pu être tenus sur un ton non pas compassionnel, mais plus compréhensif à l’égard de notre démarche.

Nous savons quel sort la droite sénatoriale, à laquelle vous apportez votre soutien, réserve à ce texte. Mais nous continuerons à défendre ces salariés.

En effet, nous pensons qu’il s’agit, dans les faits, de salariés. La jurisprudence, y compris internationale, nous donne d’ailleurs de plus en plus raison.

Encore une fois, cette proposition de loi vise à clarifier les relations entre ceux que nous considérons comme des employeurs, d’une part, et comme des salariés, d’autre part.

La question de la liberté, qui a été à plusieurs reprises évoquée, y compris par Monique Lubin, ne concerne qu’une infime minorité de celles et de ceux qui sont aujourd’hui dans cette situation. Vous ne partagez pas ce sentiment, et vous en avez le droit. Mais permettez à notre groupe d’imaginer des solutions différentes.

Cette proposition de loi est une première étape dans le débat sur l’avenir du travail lié aux plateformes. Cette évolution de la société, nous la considérons non comme un progrès, mais comme un fait acquis. Il faut absolument en améliorer les conditions via l’encadrement juridique que nous proposons.

Tel est l’esprit dans lequel nous défendons cet article.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.

M. Pascal Savoldelli. Je prends la parole sur l’article, monsieur le président, puisque les trois articles de la proposition de loi risquent de pas être votés et que nous ne pourrons donc pas expliquer notre vote sur l’ensemble du texte.

De notre part, il ne s’agit pas d’adopter une posture, madame la ministre. Je respecte votre personne, votre travail et votre parcours. Vous connaissez le sens des mots : lorsque vous parlez d’emplois, vous évoquez les emplois occupés par des salariés chez Deliveroo ou Uber. Quant aux autres, il s’agit non pas d’emplois, mais d’activités rémunérées !

Vous n’êtes pas n’importe quelle ministre, et vous savez quelle attention on porte ici au sens des mots : non, les plateformes numériques de travail ne créent pas d’emplois ! Sinon, on ne poserait pas les questions de la subordination et du contrat de travail… (Mme la ministre sexclame.)

Nous faisons preuve de respect et d’écoute dans le débat, mais les mots ont un sens. Ces plateformes créent des activités rémunérées liées à des algorithmes.

Ces algorithmes sont au cœur du sujet, contrairement à ce que vous avez dit. Vous savez mieux que moi ce dont il s’agit : une suite mathématique, une méthode de résolution d’un problème.

Ces plateformes ont donc posé un problème et ont utilisé un outil technologique pour atteindre leur objectif.

Cessons de dire que ces travailleurs sont indépendants ! Mais indépendants par rapport à quoi ? À telle heure, ils livrent des sushis, à telle autre des prothèses chez le dentiste… Certes, ils payent leur vélo, leur scooter, etc., mais ils ne sont pas indépendants pour autant.

Nous devons avoir ce débat, même s’il est passionné, aiguisé, conflictuel !

Nous devons tous faire preuve d’humilité, même si l’on est une femme ou un homme de conviction et que l’on a une forte personnalité politique. Pour ma part, j’ai rencontré de nombreux travailleurs de ces plateformes et j’ai eu des débats vifs et conflictuels, sur les questions de l’autonomie et de l’indépendance.

Allez discuter avec eux de votre ordonnance relative au dialogue social ! Allons ensemble – un représentant de chaque groupe et vous-même, madame la ministre – rencontrer sur les places des grandes métropoles les travailleurs des plateformes numériques : nous verrons alors s’ils ne veulent pas être protégés, s’ils ne veulent pas bénéficier de congés de maternité, de congés de maladie, de droits à la retraite, s’ils ne veulent pas négocier leur salaire… On verra où est la vérité ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. le président. Mon cher collègue, veuillez respecter le règlement du Sénat ainsi que votre temps de parole !

La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre. En tant que ministre du travail et de l’emploi, j’essaye de comprendre le sens des mots. Or l’emploi, ce n’est pas forcément l’emploi salarié, et le travail, ce n’est pas forcément le salariat ! Et de plus en plus de jeunes veulent créer leur propre emploi et être des travailleurs indépendants.

Par ailleurs, monsieur le sénateur, je n’ai pas attendu que vous m’y invitiez pour discuter avec les travailleurs des plateformes !

M. Pascal Savoldelli. Quand les avez-vous rencontrés ? (Rires.)

M. le président. Vous poursuivrez ce débat sur votre site Facebook, monsieur Savoldelli !

Je mets aux voix l’article 2.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 128 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 327
Pour l’adoption 101
Contre 226

Le Sénat n’a pas adopté.

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à lutter contre l'indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l'algorithme dans les relations contractuelles
Article 3 (fin)

Article 3

Le titre V du livre IV de la première partie du code du travail est complété par un chapitre VIII ainsi rédigé :

« CHAPITRE VIII

« Protection des droits des travailleurs de plateformes numériques

« Art. L. 1458-1. – Le conseil de prud’hommes peut ordonner la production du ou des algorithmes utilisés par une plateforme numérique telle que définie à l’article 242 bis du code général des impôts, lorsque cette production est justifiée par la protection des droits d’un travailleur. Il forme sa conviction après avoir désigné, si besoin, une ou plusieurs personnes à titre d’expert. »

M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, sur l’article.

M. Olivier Jacquin. Comme il ne sera certainement plus possible de prendre la parole après le troisième scrutin public, je veux expliquer brièvement à ceux qui suivent le débat cette situation étrange : une majorité de gauche, que je tiens à saluer et à remercier, est physiquement présente, alors que les quelques collègues de la majorité sénatoriale qui sont parmi nous, et que je remercie également, utilisent une procédure leur permettant de faire voter les absents.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Arrêtez, l’écart n’est pas si grand !

M. Olivier Jacquin. Nous sommes donc minoritaires, mais ce n’est pas l’essentiel.

L’essentiel, ce sont nos échanges de qualité et quelquefois vifs sur ce sujet important – c’est encore heureux ! Nos positions ne sont pas vraiment les mêmes. Je le répète, certains défendent les plateformes et d’autres les travailleurs de ces plateformes. Tout le monde a dit qu’il y avait un problème, lié notamment à la précarité, mais chacun a choisi son camp !

Madame la ministre, je tiens à vous remercier d’avoir, pendant ce débat, répondu à la question sur la saisine de l’inspection du travail que je vous avais posée il y a quelques semaines, lors des questions d’actualité au Gouvernement. Cela va dans le bon sens.

Il reste beaucoup à faire pour être dans un véritable État de droit. Je pense au non-recours de l’Urssaf, alors que, dans son arrêt, la Cour de cassation a pointé des secteurs entiers dans lesquels il existe un défaut de cotisations. Je pense également au non-respect du règlement général sur la protection des données (RGPD) et à l’exploitation des données de ces travailleurs. Je pense enfin à la question subtile de la loyauté des contrats ou à l’exercice d’un droit de la concurrence au regard du dialogue social.

Je vous remercie aussi d’avoir clarifié votre position sur le sujet. Le Gouvernement agit par ordonnance, ce qui est extrêmement désagréable pour un parlementaire et dommageable pour la démocratie. Mais vous avez très clairement présenté votre programme, et je ne crois pas caricaturer vos propos en disant que vous avancez clairement vers un nouveau statut. Ce statut, la mission Frouin n’en voulait pas, pour ne pas créer deux frontières floues, là où il en existe actuellement une, entre salariés et indépendants. Elle ne souhaitait pas que soit créé un nouveau tiers statut avec des droits low cost, comme les Anglais l’ont fait – et avant eux les Italiens ou les Espagnols – avec ces workers, qui forment un nouveau prolétariat sans garantie de revenus et avec des droits sociaux au rabais.

J’ai bien compris que la question se jouerait aussi partiellement en Europe. Pour les « travailleurs du clic », qui ne sont pas territorialisés, les régulations européennes sont une nécessité, et il en va de même pour l’algorithme. En revanche, pour ce qu’on appelle la gig economy, qui est « territorialisée », nous n’avons pas à attendre l’Europe : le droit du travail français nous permet de réguler le secteur. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)

M. le président. Je vais mettre aux voix l’article 3.

Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les trois articles qui la composent auraient été rejetés ; il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble du texte.

Je mets aux voix l’article 3.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 129 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 101
Contre 239

Le Sénat n’a pas adopté.

Les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Article 3 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à lutter contre l'indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l'algorithme dans les relations contractuelles
 

5

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs
Discussion générale (suite)

Protection sociale des assistants maternels et salariés des particuliers employeurs

Discussion en procédure accélérée et adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs
Article unique (Texte non modifié par la commission) (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs (proposition n° 459, texte de la commission n° 611, rapport n° 610).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre du travail, de lemploi et de linsertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi technique en apparence, mais en apparence seulement.

Adoptée à l’Assemblée nationale le 18 mars dernier, elle doit concrètement permettre à 3,3 millions de particuliers employeurs et 1,3 million de salariés de voir leurs droits garantis dans des règles et des dispositifs simples.

J’en profite pour saluer le remarquable travail de la députée Annie Vidal, à laquelle nous devons l’initiative de cette proposition de loi. La rédaction de ce texte a fait l’objet d’échanges très constructifs et poussés avec le Gouvernement et les représentants de la profession.

La couverture prévoyance des salariés de particuliers employeurs et des assistants maternels et le recouvrement des cotisations afférentes sont adaptés à ce secteur : les employeurs étant des particuliers, ils ne disposent pas des ressources d’une entreprise normale pour répondre à des formalités administratives complexes. C’est pourquoi des dispositifs ultrasimplifiés de déclaration ont été mis en place pour réaliser le recouvrement de l’ensemble des cotisations, y compris les cotisations prévoyance : le chèque emploi service universel (CESU) et Pajemploi. Les cotisations sont reversées à l’association paritaire nationale interbranches pour la mise en œuvre des garanties sociales des salariés (APNI) qui est chargée de reverser ces cotisations à l’organisme assureur, l’Institution de retraite complémentaire des employés de maison (Ircem), dans les deux branches concernées.

Pour que son salarié soit couvert au titre de la prévoyance, le particulier employeur doit donc simplement déclarer son salarié via le CESU ou Pajemploi.

La simplicité de cette procédure est la meilleure garantie de la protection des salariés.

Alors que, toujours dans une optique de simplification, les branches des salariés de particuliers employeurs et des assistants maternels doivent fusionner cette année, il nous faut revoir les circuits de recouvrement du financement des garanties collectives, notamment de prévoyance.

D’une part, parce que le circuit de recouvrement dérogatoire n’est pas sécurisé juridiquement pour les assistants maternels et qu’il ne l’est pour l’instant que partiellement pour les salariés de particuliers employeurs.

D’autre part, parce que seules les institutions de prévoyance sont légalement concernées par ce circuit dérogatoire, et non la totalité des organismes pouvant couvrir ce risque.

Cette proposition de loi vient donc sécuriser le circuit à un double titre : elle permettra d’élargir ce circuit de recouvrement aux assistants maternels, mais aussi à l’ensemble des organismes assureurs. C’est un renforcement de la sécurisation juridique que nous soutenons, car il est utile.

Ce texte a également vocation à concilier la spécificité du secteur et de ses acteurs avec l’encadrement juridique du choix des organismes de prévoyance.

Ainsi, il ne semble pas réaliste que chaque particulier employeur choisisse lui-même un organisme de prévoyance et signe un contrat spécifique pour la couverture du salarié, lequel est souvent employé par différents employeurs. Une gestion centralisée au sein d’un organisme unique est ainsi gage de simplicité pour les employeurs. C’est aussi une garantie d’accès aux droits pour les salariés.

Toutefois, l’encadrement du Conseil constitutionnel conduit à écarter toute clause de désignation explicite qui ne serait pas conforme à sa jurisprudence. Un mandat explicite ne serait donc pas juridiquement possible.

La proposition de loi prévoit dans ce cadre un reversement par le CESU et Pajemploi des cotisations collectées au titre de la prévoyance à l’APNI et charge celle-ci de reverser ces cotisations aux organismes assureurs. Il reviendra donc à la branche de sélectionner, le cas échéant, le ou les organismes assureurs auxquels ces cotisations seront reversées. Cette solution qui ménage les différentes contraintes nous semble constituer un équilibre satisfaisant et doit donc être défendue.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi a donc un double intérêt : pour les employeurs, elle préserve la simplicité du dispositif ; pour les salariés, elle garantit leurs droits sociaux. Elle contribue à protéger 1,3 million de salariés.

C’est pourquoi le Gouvernement émettra un avis favorable sur cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Martin Lévrier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, déposée par notre collègue députée Annie Vidal, vise à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs. Après son adoption par l’Assemblée nationale le 18 mars dernier, ce texte a recueilli les suffrages unanimes de la commission des affaires sociales.

Particulièrement attendue par les partenaires sociaux de ces deux secteurs professionnels, son adoption permettra d’adapter le circuit de recouvrement des cotisations sociales des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs dans le respect des exigences constitutionnelles et des particularités de ces professions.

En France, quelque 3,4 millions de particuliers emploient 1,4 million de salariés et d’assistants maternels. Ce secteur est structuré autour de deux branches professionnelles : celle des assistants maternels, dont la convention collective date de 2004, et celle des salariés des particuliers employeurs dont l’accord collectif remonte à 1999.

Du fait de la forte instabilité des situations professionnelles des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs dans le temps, liée aux changements fréquents d’employeurs au cours d’une même carrière et de l’absence d’entreprises dans le secteur, la déclaration et le paiement des cotisations sociales doivent être adaptés et simplifiés.

Aussi les services Pajemploi et CESU ont-ils été déployés par les Urssaf et mis à la disposition des employeurs afin d’assurer, pour leur compte, la déclaration du salarié et l’émission des bulletins de salaire, ainsi que le calcul et le recouvrement de l’ensemble des cotisations. Les Urssaf en reversent ensuite le produit aux caisses et organismes de protection sociale.

En vertu des clauses de désignation insérées dans les conventions collectives des deux branches, le groupe Ircem, organisme de protection sociale complémentaire, se voit reverser par les organismes chargés du recouvrement le produit des cotisations complémentaires de santé et de prévoyance.

Néanmoins, en 2013, ces clauses de désignation ont fait l’objet de la censure du Conseil constitutionnel, considérant qu’elles portaient une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre. En effet, en désignant de manière contraignante un organisme de protection sociale complémentaire pour les salariés, celles-ci entravaient excessivement la liberté de choix des employeurs.

Désormais, de simples clauses de recommandation permettent de proposer aux employeurs de chaque branche professionnelle l’adhésion à un organisme de protection sociale complémentaire en particulier, mais ces clauses ne sauraient revêtir un caractère contraignant.

Ce cadre juridique permettrait, en théorie, à chaque particulier employeur de choisir individuellement l’organisme d’affiliation de son salarié. Dans ce contexte, les salariés du secteur pâtiraient d’une protection sociale complémentaire particulièrement fragmentée, qui nuirait à la lisibilité et à l’effectivité de leurs droits.

Le 26 mars dernier, après dix-huit mois de négociations pour faire converger les deux branches professionnelles du secteur, les partenaires sociaux ont conclu un accord sur une convention collective commune, qui devrait être effective le 1er janvier 2022.

Conformément à la loi, cette nouvelle convention ne contient pas de clause désignant un organisme de prévoyance. Elle confie toutefois la gestion du régime de protection sociale complémentaire des assurés à l’APNI, créée en 2018 dans le but de coordonner la mise en œuvre d’actions sociales, culturelles et de formation professionnelle à destination des salariés des deux branches.

Ainsi, à défaut de désignation d’un organisme particulier par la convention collective de la branche unifiée, l’APNI sera chargée de désigner elle-même l’organisme de protection sociale complémentaire auquel seront affiliés les assistants maternels et les salariés des particuliers employeurs, par appel d’offres et dans le respect des règles du droit de la concurrence.

Or ce circuit de recouvrement ne peut être mis en œuvre sans intervention du législateur pour permettre à l’APNI de percevoir le produit des cotisations sociales complémentaires collectées par les Urssaf. Elle les reversera ensuite à l’organisme de protection sociale désigné.

Par conséquent, mes chers collègues, en adoptant cette proposition de loi, nous unifierons explicitement dans la loi le mode de recouvrement des cotisations sociales des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs, déjà identique en pratique. Nous autoriserons aussi l’APNI à percevoir le produit des cotisations sociales complémentaires recouvrées par les Urssaf. Enfin, nous maintiendrons les dispositifs Pajemploi et CESU comme guichet unique des employeurs, en y intégrant ce nouveau circuit de recouvrement.

Par leur adhésion obligatoire à ces dispositifs, les particuliers employeurs confieront à l’APNI la charge de recouvrer en leur nom les cotisations sociales complémentaires de santé et de prévoyance de leurs salariés. Certes, l’APNI demeurera une instance d’exercice indirect, via les partenaires sociaux, des droits des particuliers employeurs et de leurs salariés, mais cette forme de représentation est absolument indispensable eu égard à la grande pluralité des acteurs du secteur et doit donc être regardée comme nécessaire et proportionnée à la spécificité de la future branche professionnelle.

La proposition de loi sera applicable à compter du 1er janvier 2022, date à laquelle la convention collective unifiée, actuellement soumise à extension, doit entrer en vigueur.

Au total, mes chers collègues, l’adoption de ce texte me paraît nécessaire dans la perspective de la création de cette nouvelle branche professionnelle unifiée.

Au cours de mes auditions, j’ai eu l’occasion d’échanger avec l’ensemble des acteurs du secteur, des représentants des particuliers employeurs et de leurs salariés aux organismes de recouvrement en passant par l’administration. Ils ont unanimement plaidé en faveur de cette proposition de loi, dont le dispositif, à la fois technique et consensuel, permettra de sécuriser les droits sociaux des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs au sein de la future branche professionnelle unifiée, de conserver un circuit de recouvrement des cotisations sociales complémentaires adapté à l’exigence de simplicité liée à la pluralité et à la fragilité des acteurs du secteur et, enfin, de garantir le respect des prescriptions constitutionnelles et du droit de la concurrence.

Par conséquent, la commission vous propose d’adopter cette proposition de loi sans modification. (Mme Raymonde Poncet Monge et M. Bernard Buis applaudissent.)