Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, le sujet que vous évoquez est, à mes yeux, peut-être encore plus important que celui de la loi Égalim. En effet, depuis très longtemps, il règne une forme d’hypocrisie qui consiste à dire qu’il faut avancer dans la transition écologique, alors que l’on retrouve sur les étals des supermarchés des carottes ou des concombres qui ne sont ni soumis aux mêmes normes de production ni vendus au même prix.
Ces produits se retrouvent mis en concurrence, parce que nous sommes dans un marché commun. Or rien ne ressemble plus à un concombre qu’un autre concombre, ou bien à une carotte qu’une autre carotte, de sorte que la situation peut dans certains cas paraître totalement désespérante.
La question que vous posez est donc cruciale. Nous avons déjà eu l’occasion d’en parler à de multiples reprises, notamment avec la présidente Primas, à l’occasion de l’examen du fameux article 44 de la loi Égalim, puis lors de celui du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire, dans lequel nous avons ajouté des dispositions pour tenter d’améliorer cet article 44.
En réalité, le débat doit se tenir au niveau européen et inclure le sujet des clauses miroirs. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, je tiens à ce que la présidence française de l’Union européenne, à partir du 1er janvier 2022, soit un moment politique fort où nous pourrons avancer au maximum sur ces clauses.
À cet égard, même si elle est passée inaperçue, nous avons déjà obtenu une première victoire dans le cadre du trilogue. Le sujet a en effet été abordé et une première étape en ce sens a été demandée à la Commission européenne, ce qui nous permettra d’autant plus facilement d’en faire la priorité politique de la présidence française.
De plus, dans le cadre de la réforme de la PAC, les ministres de l’agriculture de l’Union européenne se sont mis d’accord sur les fameux écorégimes, avec la volonté de définir un socle commun que tous les États membres auront l’obligation de respecter, pour lutter contre la concurrence déloyale au sein de l’Europe. Il faudra absolument que ce socle commun soit pris en compte non seulement dans l’agriculture, mais aussi dans le cadre des politiques commerciales. Dès lors que les ministres de l’agriculture de l’Union l’auront validé, ceux qui sont chargés du commerce devront aussi s’en saisir.
Mme la présidente. Il faut conclure.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Somon. Monsieur le ministre, votre tentative de payer au juste prix les producteurs reste un échec. Pourquoi cela, alors que vous savez imposer aux agriculteurs des réglementations qui amputent la productivité de leurs exploitations déjà en berne, qu’il s’agisse de l’élevage des volailles ou des zones de non-traitement ?
Aujourd’hui, il subsiste des intérêts contradictoires. D’un côté, la grande distribution veut privilégier le pouvoir d’achat des clients et exige une qualité irréprochable. De l’autre, les transformateurs sont touchés par des hausses de matières premières qu’ils veulent répercuter.
Le résultat de ces contradictions a été résumé en ces termes, le 28 octobre dernier, en conseil des ministres : « Il subsiste une déflation et la répartition de la valeur est jugée insuffisante pour les agriculteurs. » En effet, comme le souligne Guillaume Clop, président des jeunes agriculteurs de la Somme, « il n’y a pas eu de gendarme pour faire appliquer la loi Égalim ».
Vous avez précisé vouloir renforcer la compétitivité et la création de valeur dans les filières, la transition agroécologique et la souveraineté alimentaire, en mobilisant le plan de relance.
Or renforcer la compétitivité et créer de la valeur nécessitent des investissements et une visibilité sur la politique agricole, au-delà des deux ans du plan de relance, qu’il s’agisse du soutien des cours, des instruments appropriés pour la gestion des risques et aléas, des contrats de livraison à long terme, de la logique et de la pérennité des soutiens à la diversification, comme la méthanisation, ou encore de l’étude d’impact quantitative et financière des mesures réglementaires.
Il convient, certes, de renforcer la souveraineté grâce au plan protéines végétales. Cependant, il faut aussi un plan élevage et vous devrez préciser l’ambition exportatrice que vous défendez.
Renforcer la transition agroécologique nécessitera de valoriser financièrement les efforts consentis pour cette transformation recentrée sur les cycles biologiques et les pratiques agroécologiques.
Monsieur le ministre, comment envisagez-vous, dans le prolongement des propositions du rapport Papin, de valoriser les mutations et les paiements pour service à l’environnement, au-delà de la seule PAC ? Comment garantirez-vous la sécurité alimentaire et les cours des matières premières ? Comment ferez-vous pour défendre nos agriculteurs dans ce débat déséquilibré ?
Ne pourriez-vous pas enrichir la loi Égalim en créant un fonds de stabilisation des revenus ? Il faudrait que toutes les parties s’engagent, depuis les producteurs jusqu’à la distribution, via la responsabilité sociale des entreprises (RSE), pour amortir les à-coups des marchés et contribuer à une agriculture durable. Nous pourrions ainsi atteindre les trois objectifs fixés dans la loi initiale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, la question que vous posez est complexe. Pour y répondre, il me faudrait quasiment faire une déclaration de politique générale agricole.
La création de valeur passe aussi par la diversification des revenus, qui dépend elle-même beaucoup des territoires. On sait, en effet, qu’elle est plus impérieuse dans certains territoires que dans d’autres. Elle est également très influencée par un certain nombre de marchés qui sont internationalisés.
À cet égard, la constitution du prix du lait est intéressante. Elle repose pour moitié sur le marché national de la consommation locale, et pour l’autre sur les indicateurs de marché à l’international, notamment ceux qu’on appelle les « indicateurs de la poudre de lait ». Le processus est donc très compliqué.
Le fonds de stabilisation que vous appelez de vos vœux s’inscrit dans le contexte et les débats actuels. Or, parmi tous les chantiers qu’il nous reste à mener, un sujet incroyablement complexe se détache, celui du renforcement ou de l’assurance des revenus en cas de catastrophe naturelle.
Je disais encore ce matin, en répondant aux questions de certains de vos collègues, combien le gel pouvait être un désastre, d’autant plus qu’il est invisible. Si à la place du récent épisode de gel il y avait eu un incendie, nous verrions tourner en boucle les images de centaines de milliers d’hectares en train de brûler. En effet, telle est la réalité, avec pour différence qu’une récolte perdue représente un an de travail, alors que les conséquences d’un incendie portent sur plusieurs années.
Par conséquent, j’ai déjà ouvert le dossier sur la stabilisation des prix grâce à l’assurance récolte, et je compte bien pouvoir aussi le clore, en trouvant des solutions. Nous pourrons en parler dans le détail. Le sujet est très compliqué, mais d’une actualité brûlante.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Genet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Fabien Genet. Beaucoup de choses ont déjà été dites, mais je tiens à porter à cet instant la voix du Charolais, berceau d’une race à viande aujourd’hui reconnue tant pour sa qualité exceptionnelle que pour son modèle herbager, qui façonne un paysage bocager en voie de figurer au patrimoine mondial de l’Unesco.
Nous craignons cependant de classer à ce patrimoine mondial un souvenir plus qu’une réalité, car il y a véritablement non-assistance à élevage en grand danger de disparition.
Pourquoi parler de disparition ? Tout d’abord, en Saône-et-Loire, nous avons perdu 100 000 bovins sur 670 000 ces dix dernières années. Ensuite, 1 400 départs à la retraite d’agriculteurs sont prévus dans les cinq ans à venir, alors que nous peinons à installer 90 jeunes chaque année. Enfin, trois ans après le lancement des EGA et la loi Égalim, les éleveurs ont perdu 30 % de leurs revenus : ils se contentent désormais de moins de 700 euros par mois.
Monsieur le ministre, comment imaginer l’avenir d’un secteur dans lequel on paie 3,59 euros le kilo de viande de jeune bovin aux producteurs, alors que le coût de production s’élève à 4,76 euros ? Comment peut-on encore parler d’installation de jeunes agriculteurs ? Comment convaincre les banques de les accompagner ?
Comment convaincre nos éleveurs de continuer leur dur labeur si un animal nourri à l’herbe dans une exploitation familiale répondant à tous les critères du développement durable, dont la France se veut la championne, n’a pas plus de valeur qu’un animal « poussé » en élevage industriel à grands coups d’antibiotiques pour l’international ?
Les chiffres sont malheureusement d’une cruelle évidence : en 2020, le prix payé par le consommateur a augmenté ; dans le même temps, le prix payé aux producteurs continue de baisser et ne permet pas de couvrir les coûts de production. Quant à l’indicateur de marge brute des grandes et moyennes surfaces, il n’a jamais été aussi haut !
Monsieur le ministre, quels moyens pragmatiques, concrets et contraignants comptez-vous utiliser, et selon quel calendrier précis, pour que le prix payé aux éleveurs garantisse au minimum la couverture de leurs coûts de production ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Genet, le problème que vous soulevez est celui de l’élevage allaitant, en particulier celui des jeunes bovins et des broutards.
Je n’ai pas à vous le démontrer : je m’engage sur ce que je sais pouvoir faire et je ne fais pas de promesses que je ne saurai tenir. En tout cas, je m’efforce de viser des objectifs très clairs.
La réalité est que les consommateurs français ne mangent que très peu de viande de bœuf et beaucoup de viande de vache. C’est pourquoi une grande partie de la production de jeunes bovins, à peu près la moitié, part à l’export. La filière est structurée de telle sorte que 90 % des broutards, voire plus, sont exportés. Très concrètement, pour ce qui concerne le revenu tiré des broutards, la loi Égalim ne changera rien.
Voilà quelques semaines, j’ai appelé les collectivités locales à servir de la viande de jeune bovin dans les cantines, non parce que j’ai des actions dans le secteur ou une volonté effrénée d’en faire manger à nos enfants, mais parce que je crois profondément que cette viande leur est particulièrement bénéfique. Si l’on veut apprendre à nos enfants à consommer de la viande de jeune bovin, quoi de mieux que de passer par les cantines ?
Il faut inventer d’autres débouchés, c’est très important. En revanche, il ne faut pas raconter de carabistouilles : ce n’est pas la loi Égalim qui permettra d’augmenter le prix du broutard. Ce n’est pas vrai !
Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le ministre !
M. Julien Denormandie, ministre. Pour encourager la consommation de viande de jeune bovin, il faut s’appuyer sur la loi Égalim. Pour les autres viandes, l’enjeu est de créer de la valeur au niveau des filières et d’accroître les débouchés. C’est dans cette direction qu’il faut s’engager avec la plus grande force.
Conclusion du débat
Mme la présidente. Pour clore le débat, la parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’ensemble des intervenants, sur toutes les travées – y compris celles du groupe RDPI –, l’ont rappelé au-delà des clivages : la loi Égalim n’a pas amélioré le revenu des agriculteurs. À ce stade et sur ce point, c’est un échec.
Quelles conséquences en tirer ? Ce fut tout l’objet de notre débat, et je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir répondu avec franchise et engagement à l’ensemble de nos questions.
Se profile à l’horizon, si tant est que l’ordre du jour le permette d’ici à la fin du quinquennat, une discussion législative d’une importance majeure sur l’avenir de la loi Égalim.
Je n’aurai pas la cruauté de rappeler que, voilà quelques mois, vous avez tout fait pour que nous ne légiférions pas de nouveau sur Égalim, comme les sénateurs vous y invitaient à l’occasion de l’examen du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dit ASAP.
Le Gouvernement défendra quelques propositions du rapport Papin dans quelques jours. Je vous le dis clairement, monsieur le ministre, nous attendons ces propositions avec un mélange d’intérêt et de scepticisme.
Nous sommes bien sûr intéressés par les propositions que le Sénat formule depuis des années et qui ont été reprises, en partie, par le rapport Papin.
Je pense notamment à la clause de révision automatique des prix indexée sur les cours des matières premières. Je n’aurai pas non plus la cruauté de rappeler que le Sénat avait prévu cette clause, à l’article 44 de la loi ASAP, une proposition que vous avez rejetée. Que de temps perdu ! En 2018, 2019 et 2020, j’ai entendu trois ministres différents refuser cette idée, car elle leur paraissait saugrenue. M. Papin, en revanche, s’y est rangé, et je suis fière de constater que vous pourriez désormais la reprendre à votre compte.
Monsieur le ministre, écoutez davantage le Parlement, et singulièrement le Sénat. Sur ce sujet comme sur d’autres, on gagnerait du temps…
M. Laurent Duplomb. Bravo !
Mme Sophie Primas. Je pense aussi à la pluriannualité des contrats, qui est sans doute un moyen de dédramatiser le jeu de rôle des négociations, tout en permettant aux acteurs concernés de faire autre chose que de négocier chaque année et d’avoir de la visibilité pour investir. Ainsi les commerçants pourront-ils faire leur métier de commerçants, au lieu d’exercer comme aujourd’hui, contraints et forcés, le métier de juriste spécialiste des contrats.
J’attire toutefois votre attention sur le débat relatif à la suppression de la date butoir : il ne faudrait pas qu’en supprimant une digue, on en vienne à redonner du pouvoir à l’aval…
Nous sommes également intéressés par l’idée d’un arbitrage en cas de désaccord sur le contrat après une médiation. Cette idée a été trop vite écartée lors des débats de 2018 ; il convient d’y revenir.
Mais, à côté de cet intérêt, vos propositions suscitent aussi un certain scepticisme.
Cette loi pourrait donner l’illusion de régler les problèmes de l’agriculture en garantissant une couverture illusoire des coûts de production et du déficit des revenus, et en ne traitant que la partie relative aux négociations avec la grande distribution.
Cette correction inspire du scepticisme parce qu’elle pourrait nous faire passer à côté d’autres problèmes majeurs, que vous avez d’ailleurs vous-même évoqués : les enjeux relatifs à la compétitivité de notre agriculture, complètement oubliés ; ceux de la PAC, qui sont dix fois plus importants que ceux de la loi Égalim ; les clauses miroirs, dont vous avez parlé ; l’assurance, avec le débat ô combien actuel sur les calamités, qui reste à trancher ; les règles du marché alimentaire mondial.
Que dire, en outre, des contraintes désormais trop lourdes, des charges administratives et fiscales supplémentaires, de la surtransposition et de la situation de concurrence déloyale au sein même des pays membres de l’Union européenne ?
Nous sommes également sceptiques par rapport à certaines propositions du rapport. Tout doit être fait pour éviter de prendre les industriels en étau et pour concentrer la négociation sur ce qui fait sa spécificité : son innovation, son processus industriel, son marketing de marque, sa valeur ajoutée.
Le risque est tout simplement que les industriels innovants ne soient plus que des transformateurs exécutants, ce qui aboutirait in fine à un recul des marques nationales, lesquelles font pourtant la fierté de nos terroirs et sont le fleuron de nos innovations agroalimentaires, garantes d’une rémunération plus élevée de nos producteurs. Ne l’oublions pas, près de 98 % des industries ou des coopératives de l’agroalimentaire sont des PME et des TPE.
Aussi, monsieur le ministre, nous attendons ce débat avec gourmandise. Nous serons au rendez-vous avec des propositions et des contre-propositions qui permettront de faire sortir notre agriculture par le haut.
Je suis certaine que le travail formidable engagé par le groupe de suivi de la loi Égalim, derrière Daniel Gremillet et Anne-Catherine Loisier – je pense aussi à notre ancien collègue Michel Raison –, vous inspirera. Connaissant leur liberté d’action, leur expérience et la tonalité de leurs propos, je suis sûre qu’ils ont beaucoup de choses à vous proposer. Quant à notre institution sénatoriale, il est bien connu qu’elle sait prendre du recul. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La loi Égalim ou comment sortir de l’impasse dans laquelle ce texte a plongé l’agriculture. »
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures quinze.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Hydroélectricité, transition énergétique et relance économique
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des affaires économiques, la discussion de la proposition de loi tendant à inscrire l’hydroélectricité au cœur de la transition énergétique et de la relance économique, présentée par M. Daniel Gremillet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 389, texte de la commission n° 508, rapport n° 507, avis nos 496 et 500).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’hydroélectricité est une source d’énergie de premier ordre pour garantir notre souveraineté et notre transition énergétique. Or elle constitue un impensé complet de la politique énergétique du Gouvernement.
Qu’on en juge : sur les 110 milliards d’euros du plan de relance, seuls 35 millions d’euros, soit 0,32 %, concernent l’hydroélectricité. C’est regrettable, car cette source d’énergie représente un dixième de la production d’électricité et la moitié de la production d’énergie renouvelable.
Dès l’examen du projet de loi Énergie-climat, dont j’étais le rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, je déplorais que le périmètre retenu par le Gouvernement n’ait pas permis, en application de l’article 45 de la Constitution, d’aborder pleinement le thème de l’hydroélectricité.
Face aux insuffisances du Gouvernement, j’avais alors pris l’engagement d’élaborer une proposition de loi. À quelques semaines de l’examen par le Sénat du projet de loi Climat et résilience, marqué du sceau des mêmes insuffisances gouvernementales, je me réjouis que cet engagement soit en passe d’aboutir.
L’hydroélectricité mérite une législation plus ambitieuse et plus adaptée, car elle occupe une place singulière dans notre mix énergétique.
C’est une source d’énergie ancrée dans l’histoire, puisque nos moulins à eau ont été utilisés dès le XIIIe siècle pour la production industrielle et dès le XIXe siècle pour la production d’électricité. De leur côté, nos barrages ont permis notre redressement économique au sortir des guerres mondiales, avec la loi de 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique et celle de 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz.
C’est une source d’énergie tournée vers l’avenir : nos 2 500 installations hydrauliques, dont 500 moulins et 400 barrages, représentent en effet 11 600 emplois et 3,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Face à l’urgence climatique, qui nous oblige à relancer notre économie en accélérant sa décarbonation, l’hydroélectricité n’a jamais été aussi nécessaire, compte tenu de ses nombreuses externalités positives.
C’est une source d’énergie peu émissive, stockable et modulable. Nos barrages sont de véritables leviers du développement économique pour nos territoires ruraux, en particulier en zone de montagne.
Dans le cadre de mes travaux préparatoires, j’ai rencontré trente personnalités au cours de quinze auditions : professionnels de l’hydroélectricité, associations de protection de l’environnement et de la pêche, représentants d’élus locaux, administrations centrales et déconcentrées.
J’ai été très heureux de l’intérêt porté par les acteurs de terrain à mes travaux. Ils m’ont semblé, à la fois, convaincus de l’intérêt de l’apport de l’hydroélectricité à notre mix énergétique et excédés par les retards ou, pire, les situations de blocage. En effet, le plein essor de l’hydroélectricité demeure entravé par des freins persistants : un cadre stratégique insuffisant et incomplet, une complexité normative et administrative, une forte pression fiscale.
Pour ce qui concerne le cadre stratégique, le Sénat a inscrit pour la première fois la petite hydroélectricité parmi les objectifs de notre politique énergétique dans le cadre de la loi Énergie-climat. C’est un bon début, mais beaucoup reste à faire : l’hydroélectricité doit trouver sa place dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la loi quinquennale prévue à compter de 2023, ainsi que le rapport annuel sur l’impact environnemental du budget.
Aucun objectif chiffré n’est prévu par le code de l’énergie. Le nombre précis d’installations hydrauliques n’est même pas connu. C’est la seule énergie renouvelable traitée ainsi, ce que nous déplorons.
S’agissant des normes, les activités hydroélectriques doivent nécessairement s’articuler avec les règles de continuité écologique issues de la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, dite loi LEMA, prise en application de la directive-cadre sur l’eau de 2000. C’est un exemple de surtransposition trop bien connu.
Certes, depuis la loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi ASAP, dont j’étais le rapporteur pour la commission spéciale du Sénat, les porteurs de projets hydroélectriques peuvent plus aisément faire valoir leurs demandes de dérogation devant l’administration. Pour autant, ils sont confrontés à des services nombreux et des pratiques hétérogènes. Au sein même du ministère de la transition écologique, le suivi des installations hydrauliques est partagé entre deux directions.
Nous attendons un État territorial, un État stratège dans ce domaine.
Quant à la pression fiscale, le Sénat a adopté un allégement facultatif de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour les passes à poissons dans le cadre de la loi de finances pour 2019. J’ai soutenu cette mesure en tant que rapporteur pour avis de la mission « Énergie ». Mais le poids de la fiscalité représente toujours jusqu’à 50 euros par kilowatt selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE).
Le cadre stratégique, normatif ou fiscal dans lequel s’inscrivent les activités hydroélectriques est loin d’être optimal. Je vous propose de lever les freins existants en rénovant ce cadre législatif.
Pour ce faire, nous proposons de restaurer le rôle des parlementaires et des élus locaux dans le domaine de l’hydroélectricité. Le législateur fixera les objectifs et en évaluera l’application. Les maires et les présidents d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) seront mieux associés à la vie des installations hydrauliques, à commencer par celle de nos barrages.
Le texte vise également à offrir aux professionnels de l’hydroélectricité un cadre plus adapté. Ils disposeront de procédures simplifiées, de relations facilitées et d’une information confortée. Ils bénéficieront d’allégements fiscaux, pour mieux articuler les activités hydroélectriques avec la préservation de la biodiversité.
Je veux rappeler ici la méthode qui a présidé à l’élaboration de ce texte.
Le premier principe est celui de la non-régression environnementale.
Madame la secrétaire d’État, je vais être très clair sur ce point : la proposition de loi que j’ai déposée n’entend supprimer aucune norme environnementale substantielle. Ce n’est ni le souhait des parlementaires ni la demande des acteurs. En revanche, nous proposons tout à la fois de simplifier l’application de ce principe sur le plan pratique et de le compenser sur le plan fiscal. C’est une position équilibrée et de bon sens.
Le deuxième principe est celui de la libre administration des collectivités territoriales.
Je veux aussi faire preuve de clarté sur ce point : le texte ne supprime aucune recette locale. Si les exonérations fiscales sur les impôts nationaux sont obligatoires, celles sur les impôts locaux sont facultatives. Les maires et les présidents d’EPCI auront donc la possibilité, et non l’obligation, de conduire une politique fiscale incitative. Il s’agit là d’une liberté supplémentaire et non d’une contrainte !
Le troisième principe est celui de l’adaptation des normes aux réalités.
Je suggère de rompre avec la technostructure. C’est pourquoi la proposition de loi conforte les décisions prises par les parlementaires et les élus locaux, et renforce les informations qui leur sont transmises. Le texte prévoit la coconstruction de certaines normes avec les professionnels pour en garantir l’acceptation, ainsi que l’expérimentation d’autres normes pour en garantir l’adaptation.
Parce que bon nombre des difficultés rencontrées localement sont de nature réglementaire et non législative, j’ai également déposé une proposition de résolution : au-delà de cette proposition de loi, nous attendons du Gouvernement qu’il réponde aux difficultés réglementaires et administratives soulevées.
À cet égard, je veux dire solennellement ici que le Gouvernement doit défendre notre modèle concessif, dont la compatibilité avec la politique européenne de concurrence est en suspens. Nos barrages doivent être défendus devant la Commission européenne.
La proposition de loi que nous examinons est à l’image de la transition énergétique en laquelle croit la commission des affaires économiques : une transition énergétique ambitieuse mais concrète, ancrée dans nos territoires, qui fait confiance aux initiatives de nos entreprises, de nos collectivités ou de nos associations.
En effet, la transition énergétique ne peut pas avancer à reculons. Il faut tout au contraire préférer la confiance à la contrainte, l’incitation économique à l’alourdissement fiscal, le droit souple à l’étouffement normatif.
Voilà notre vision d’une « écologie positive », je dirai même d’une « écologie des territoires ». S’il y a une production vraiment issue des territoires, c’est bien celle-là ! Je sais que nous sommes nombreux ici, sur toutes les travées de cet hémicycle, à partager cette volonté. Aussi, j’invite celles et ceux qui le souhaitent à s’associer à ma démarche en adoptant ce texte.
Je tiens à remercier sincèrement la présidente Sophie Primas et le président Bruno Retailleau d’avoir permis l’inscription de ce texte à l’ordre du jour. Je remercie également les trois rapporteurs, Patrick Chauvet, Christine Lavarde et Laurence Muller-Bronn, de m’avoir largement associé à leurs travaux.
Je précise que je suis totalement en phase avec les derniers ajustements, nécessaires et équilibrés, qui vous seront proposés tout à l’heure par les rapporteurs, et vous invite en tant qu’auteur de ce texte à les soutenir, car ils apportent une richesse complémentaire à ce projet ambitieux. N’oublions pas que le matériel nécessaire pour produire cette énergie non délocalisable provient de nos territoires : on ne peut donc pas faire mieux en termes de bilan carbone ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)