Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrick Chauvet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons est d’un très grand intérêt pour notre transition énergétique. Elle porte sur une source d’énergie trop souvent ignorée et parfois même dépréciée : l’hydroélectricité.
C’est une source d’énergie ancienne, nos grands ouvrages hydrauliques ayant été mis en place dans les années 1920, puis complétés dans les années 1950.
Avec 25,5 gigawatts de capacité installée de production, l’hydroélectricité constitue actuellement notre première source d’énergie renouvelable.
Contrairement aux autres énergies renouvelables, comme le solaire ou le photovoltaïque, l’hydroélectricité n’est pas intermittente, ce qui signifie que nos barrages sont capables de fournir une production d’électricité constante.
Mieux, tout comme les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), nos barrages constituent une solution de stockage de l’électricité. Ce sont de véritables batteries hydrauliques dont l’utilisation est mieux établie et moins onéreuse que d’autres formes de stockage, comme les batteries électrochimiques ou à hydrogène.
La production et le stockage hydrauliques sont donc cruciaux pour garantir notre approvisionnement en électricité et, plus largement, l’équilibre entre la production et la demande, ainsi que la flexibilité et la sécurité des réseaux.
À mesure que la transition énergétique progressera, rendant notre système électrique plus intermittent et donc plus vulnérable, l’hydroélectricité sera d’autant plus nécessaire.
Dans son analyse de l’équilibre offre-demande publiée il y a quelques semaines, Réseau de transport d’électricité (RTE) a placé la France en situation de vigilance particulière jusqu’en 2024. En effet, selon notre transporteur d’électricité, « nos marges de production sont faibles en raison d’une disponibilité dégradée du parc nucléaire et des retards accumulés sur les nouveaux moyens de production renouvelables ».
Dans ce contexte, la promotion de l’hydroélectricité n’est pas seulement nécessaire, elle est devenue urgente. Au-delà de son intérêt énergétique et climatique, l’hydroélectricité est source de bénéfices économiques, environnementaux et culturels.
Générateurs d’activités et d’emplois non délocalisables dans nos territoires ruraux, notamment de montagne, les ouvrages hydrauliques constituent un levier de développement économique et d’aménagement du territoire. Dès lors qu’ils sont bien conçus et bien gérés, ces ouvrages permettent la préservation de la biodiversité mais aussi d’autres usages de l’eau, tels que l’irrigation des terres agricoles ou la navigation marchande et récréative.
Enfin, les installations hydrauliques sont des ouvrages d’art qui participent de notre patrimoine industriel et de notre mémoire collective : il en va notamment ainsi de nos 500 moulins à eau.
En dépit de son intérêt, l’hydroélectricité est confrontée à de multiples freins : une faiblesse stratégique, une complexité normative et la pression fiscale. Les vingt personnalités que j’ai entendues au cours de mes dix auditions me l’ont bien rappelé. Preuve de ces difficultés, le parc hydraulique est demeuré stable depuis les années 1980, avec une production avoisinant les 25,5 gigawatts.
Dans ce contexte, la proposition de loi, qui contient dix-neuf articles réunis en trois chapitres, prévoit de mobiliser plusieurs leviers : la consolidation du cadre stratégique en faveur de la production et du stockage de l’énergie hydraulique, la simplification des normes qui leur sont applicables et le renforcement des incitations fiscales en vigueur.
La commission des affaires économiques souscrit pleinement aux objectifs fixés par le texte : ils sont conformes à la vision développée par notre commission en matière de transition énergétique depuis la loi Énergie-climat, celle d’une transition énergétique ambitieuse fondée sur des objectifs de diversification de notre mix énergétique, crédibles car réalistes, et réalistes car gradués.
C’est la vision d’une transition énergétique concrète, à rebours de la facilité et, ajouterai-je, de la vacuité des grands discours.
Car cette transition ne se décrète pas : elle se construit pas à pas dans les territoires par des projets économiques, associatifs ou familiaux largement décentralisés nécessitant pour éclore un État stratège et des services déconcentrés facilitateurs. C’est une écologie de la quotidienneté, à taille humaine, ancrée dans nos ruralités, dont nous avons tant besoin.
Cette vision est celle d’une transition énergétique compétitive. Car, face à l’urgence climatique, l’économie et l’écologie ne peuvent plus être pensées de manière distincte ou, pis, opposée.
L’État doit donner aux acteurs de terrain les souplesses administratives et les incitations fiscales ou budgétaires nécessaires au verdissement de notre économie. Il doit se défier de tout risque de perte de pouvoir d’achat pour les ménages, de distorsion de concurrence pour les entreprises ou de report de charges sur les collectivités territoriales.
La transition énergétique en laquelle nous croyons, c’est en définitive celle des actions, des territoires, loin de tout dogmatisme, de tout centralisme.
La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui répond tout à fait à cette vision. La commission a adopté dix amendements tendant à consolider le texte dans le sens voulu par l’auteur. Ces amendements ont complété les objectifs et les outils proposés. Afin de renforcer les incitations économiques, ils ont ajusté certaines procédures dans un souci de simplification normative et de sécurité juridique.
En premier lieu, la proposition de loi intègre pleinement l’hydroélectricité à notre cadre programmatique, en l’espèce : aux objectifs fixés par le code de l’énergie, à la PPE, à la loi quinquennale ou encore au rapport sur l’impact environnemental du budget.
La commission souscrit sans réserve à ces évolutions. Elle a voulu aller plus loin en consacrant pour la première fois un objectif législatif d’au moins 1,5 gigawatt de capacité installée en matière de STEP.
Dans le même esprit, la commission a entendu compléter la PPE par l’identification des installations hydrauliques existantes, et le rapport précité par un bilan des contrats d’achat et des compléments de rémunération, pour répondre aux besoins exprimés par les professionnels.
En deuxième lieu, la proposition de loi simplifie certaines procédures applicables aux installations hydrauliques en facilitant les augmentations de puissance, en encadrant les prescriptions des règlements d’eau ou en appliquant le principe « silence gardé par l’État vaut décision d’acceptation ».
Dans un contexte très incertain pour le devenir de nos barrages, la proposition de loi conforte l’information et l’association des élus locaux via un abaissement du seuil de création de droit des comités de suivi des concessions et une obligation d’information sans délai sur toute évolution dans leur organisation.
Pour les porteurs de projets, la proposition de loi apporte deux innovations.
La première consiste en une expérimentation de plusieurs souplesses administratives en faveur de la petite hydroélectricité, à savoir un référent unique à l’échelle du département, un certificat de projet étendu aux dispositifs de soutien budgétaires et fiscaux, un rescrit, soit une réponse formelle de l’administration à une question de droit, une médiation en cas de difficulté entre les professionnels et l’administration.
La seconde innovation prévoit l’institution d’un portail national de l’hydroélectricité, sur le modèle du portail national de l’urbanisme, constituant le point d’accès unique et dématérialisé à tous les documents nécessaires.
La commission a accueilli favorablement ces évolutions qui contribuent à rénover notre législation. Pour autant, elle a souhaité inscrire directement dans la loi un cadrage des règlements d’eau plutôt que de renvoyer leur détermination à un arrêté, afin d’éviter toute rigidification ou complexification de ceux-ci. Dans le même ordre d’idées, elle a ciblé le champ et allongé le délai du principe « silence vaut acceptation », de manière à en renforcer la sécurité juridique et l’application pratique.
Soucieuse de répondre aux besoins des acteurs de terrain, la commission a proposé de compléter l’expérimentation en l’appliquant explicitement aux installations existantes, ainsi que le portail en y intégrant les éléments d’information collectés par le Gouvernement dans le cadre de l’exercice budgétaire.
De même, sur l’initiative de notre collègue Laurent Duplomb, la commission a facilité l’autorisation des activités hydroélectriques accessoires.
En dernier lieu, la proposition de loi encadre les redevances pour prise d’eau et occupation du domaine fluvial perçues par l’État en leur appliquant un plafonnement identique à celui qui est prévu pour les collectivités territoriales. Cette disposition a été adoptée sans modification.
Voilà, en substance, ce qui résulte de l’examen de la proposition de loi par notre commission.
Mme la présidente. Il faut conclure.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. Je vais m’efforcer de conclure rapidement, madame la présidente.
La proposition de loi prévoit un cadre de soutien très complet en direction de l’hydroélectricité. C’est nécessaire pour aider nos entreprises et nos collectivités à développer leurs projets. C’est opportun pour diversifier notre mix énergétique face à l’urgence climatique.
La proposition de loi adresse ainsi un signal clair en direction de l’hydroélectricité, et singulièrement de ses acteurs de terrain – professionnels, collectivités territoriales, associations ou propriétaires de moulin. Elle prévoit surtout des mesures concrètes destinées à préserver nos barrages et nos moulins.
Mme la présidente. Monsieur le rapporteur, vous avez dépassé votre temps de parole d’une minute !
M. Patrick Chauvet, rapporteur. Cet exercice est une première pour moi, madame la présidente, ce qui explique sans doute cette mauvaise gestion de mon temps de parole !
Mme la présidente. Poursuivez, dans ce cas.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. Je remercie Mmes les rapporteurs pour avis, Laurence Muller-Bronn et Christine Lavarde, ainsi que l’auteur de cette proposition de loi, Daniel Gremillet, avec qui les relations de travail ont été excellentes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. Monsieur le rapporteur, je comprends très bien que vous souhaitiez remercier tout le monde, mais nous avons 57 amendements à examiner. Or nous aimerions achever l’examen de cette proposition de loi en fin d’après-midi. Désormais, je présiderai strictement.
La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’ont rappelé les orateurs qui m’ont précédée à cette tribune, la proposition de loi tendant à inscrire l’hydroélectricité au cœur de la transition énergétique et de la relance économique, déposée par notre collègue Daniel Gremillet, est le fruit d’un travail mené au terme d’une large consultation avec l’ensemble des parties prenantes de l’hydroélectricité.
Les fédérations de moulins à eau m’ont notamment indiqué que ce texte allait dans le bon sens. Il permet de résoudre certaines difficultés rencontrées pour la mise en œuvre du potentiel hydroélectrique de leurs ouvrages, qui produisent une énergie renouvelable parmi les plus décarbonées.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable partage ce double objectif : nous sommes attachés à ce que notre mix énergétique soit en phase avec la stratégie climatique bas-carbone, tout en préservant notre patrimoine.
Notre commission a reçu de la commission des affaires économiques une délégation au fond pour l’examen de l’article 5 de ce texte, qui concerne la dérogation aux règles de continuité écologique pour les moulins. Je rappelle brièvement que la notion de continuité écologique se réfère à la circulation sans entrave des espèces aquatiques et au bon transport des sédiments, en vue d’assurer la préservation de la biodiversité et l’atteinte du bon état écologique des masses d’eau.
La position de notre commission s’est forgée en tenant compte du potentiel et des atouts de l’hydroélectricité, dans le cadre de la transition énergétique et de la sécurité de notre approvisionnement électrique.
Les ouvrages hydrauliques sont en effet à l’origine de la deuxième source de production électrique de notre pays, derrière le nucléaire, et la première source d’électricité renouvelable.
En outre, notre système électrique est très flexible grâce aux 2 600 centrales hydroélectriques en exploitation, première source d’équilibrage et de sécurisation du réseau.
L’hydroélectricité repose sur une technologie bien maîtrisée, relativement peu coûteuse à mettre en œuvre, robuste, et non polluante. Ce potentiel doit être concilié avec les règles de continuité écologique : la circulation des poissons et le transport des sédiments. Pourtant, il est extrêmement regrettable que la destruction des ouvrages hydrauliques et des seuils soit devenue une modalité de restauration de la continuité écologique.
Alors que la loi LEMA de 2006 a précisé que les ouvrages devaient être « gérés, entretenus et équipés » pour permettre la continuité écologique, les services de l’État semblent avoir ajouté une quatrième modalité, avec l’encouragement à la destruction des ouvrages. Certains acteurs que nous avons auditionnés sont fortement irrités et qualifient cette pratique de « continuité écologique destructive ».
L’arasement des seuils bénéficie de subventions pouvant aller jusqu’à 80 %, alors que les solutions de franchissement – les passes à poissons, notamment – ne sont financées qu’à hauteur de 40 % maximum. L’incitation financière est donc insidieuse, en ce qu’elle conduit à des destructions massives non souhaitées. Les témoignages de nos collègues ont été nombreux à cet égard.
Notre commission, par l’adoption de mon amendement tendant à réécrire l’article 5, propose que le législateur mette fin à ces pratiques. C’est pourquoi nous avons ajouté au code de l’environnement une disposition qui interdit expressément que la destruction des moulins puisse être retenue comme une modalité pour assurer le respect des règles de continuité écologique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous avons également précisé que la dérogation aux règles de continuité écologique bénéficiait à l’ensemble des moulins existants équipés pour produire de l’électricité, indépendamment de la date de mise en œuvre du projet. Nous avons ainsi donné toute sa portée à la règle adoptée par le Parlement en 2017, que les services de l’État ont interprétée trop restrictivement.
À l’article 7, dont notre commission s’est saisie pour avis, nous avons adopté une disposition identique à celle qui a été prévue par le rapporteur de la commission des affaires économiques, pour limiter les prescriptions contenues dans les règlements d’eau à la bonne gestion de la ressource en eau et à la sécurité des installations hydrauliques, afin de mettre fin à des hétérogénéités réglementaires entre territoires.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, dont je salue le président et les membres ici présents, s’est donc attachée à mieux concilier le respect des règles relatives à la préservation de la diversité biologique et le développement du potentiel hydroélectrique des petits ouvrages présents en bordure de nos cours d’eau. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour commencer, je veux remercier la commission des affaires économiques de nous proposer une sorte d’« échauffement » avant l’examen, dans les prochaines semaines, du projet de loi Climat et résilience. Aujourd’hui, nous aborderons un sujet parmi tant d’autres, celui de la petite hydroélectricité, qui recouvre notamment la question des moulins, évoquée la semaine dernière à l’Assemblée nationale.
Avec ce simple sujet de la petite hydroélectricité, nous devons gérer une sorte de schizophrénie : d’un côté, nous sommes attachés à l’environnement, à sa préservation, à la biodiversité, ce qui est le sens de la continuité écologique ; pour autant, nous sommes très attachés à l’emploi, à la compétitivité économique de nos entreprises, à l’énergie décarbonée, ce qui justifie notre volonté de soutenir la petite hydroélectricité.
Nous sommes également attachés à la préservation de notre patrimoine. Effectivement, un petit moulin dans un petit vallon provoque immédiatement un pincement au cœur.
Or ces trois impératifs sont en quelque sorte inconciliables, surtout si l’on y ajoute le droit européen et le cadre concurrentiel dans lequel nous évoluons, qui interdit à l’État de faire ce qu’il veut.
C’est au travers de ce prisme compliqué que la commission des finances a abordé les articles du chapitre III, qui visent à apporter un soutien économique à la filière. Nous nous sommes notamment appuyés sur les travaux de la CRE qui, en janvier 2020, a pris une « photographie » de la filière. Nous en retenons que celle-ci est très hétérogène ; de ce fait, les coûts complets de production, c’est-à-dire les coûts moyens qui prennent en compte à la fois les coûts d’investissements et les coûts d’exploitation, sont très variables.
Pour une installation neuve, ces coûts peuvent varier de 37 à 200 euros par mégawattheure. Pour une installation rénovée, ces coûts sont toujours inférieurs à 100 euros du mégawattheure. Environ 50 % des installations de petite hydroélectricité ne sont donc pas rentables. Or ce sont précisément celles-ci que la proposition de loi tend à soutenir.
Dans le même temps, 35 % de ces installations affichent une surrentabilité. Il me semble que ce n’est pas à elles que doivent être consacrés les moyens de la puissance publique.
Pour autant, il est impossible de prévoir des moyens de soutien différenciés puisque, par définition, les tarifs d’obligation d’achat s’adressent à tout le monde.
Je tiens aussi à préciser que les tarifs d’obligation d’achat pour les petites installations d’une puissance inférieure à 1 mégawatt, ainsi que les tarifs d’appels d’offres pour les nouvelles installations d’une taille inférieure à 4,5 mégawatts, prennent en compte le coût de ces dispositifs de soutien à la continuité écologique au moment où les tarifs sont définis, ou au moment de l’examen des dossiers des candidats aux appels d’offres.
J’entends bien qu’une catégorie d’installations ne bénéficie pas aujourd’hui de ce type de dispositif, à savoir toutes les installations rénovées de la tranche entre 1 et 4,5 mégawatts. C’est la raison pour laquelle la commission des finances a laissé perdurer le dispositif de soutien de suramortissement proposé à l’article 14 pour ce type d’installation spécifique.
Les autres articles de la proposition de loi visaient à apporter un soutien par une réduction de la fiscalité locale. La commission des finances s’en est tenue à son champ d’analyse : ce sont les collectivités locales elles-mêmes qui doivent décider d’une éventuelle réduction de leurs recettes. C’est la raison pour laquelle nous avons donné un avis favorable à tous les dispositifs facultatifs.
Nous avons travaillé dans un cadre contraint. Il conviendrait d’envisager des dispositifs pour permettre à cette filière d’améliorer sa compétitivité ou de construire de nouvelles installations.
Certains porteurs de projets que j’ai auditionnés ont expliqué que les normes applicables aux passes à poissons pourraient être revues de manière à rendre ces installations moins coûteuses, sans que leur rôle de préservation de la continuité écologique soit remis en cause. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la présidente, monsieur le sénateur Gremillet, madame la présidente de la commission, mesdames, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons porte sur l’un des piliers de notre mix électrique et de la transition énergétique : l’hydroélectricité. Elle concerne également les enjeux de qualité de l’eau, de continuité écologique des cours d’eau, de protection et de restauration de la biodiversité. Il est aussi question aujourd’hui de notre patrimoine et des paysages français, un patrimoine auquel nous sommes tous très attachés.
Ces enjeux, j’en ai la conviction, ne sont pas antagonistes. Il est de notre responsabilité de travailler à les réconcilier pour construire ce chemin vers la transition écologique, nécessaire, impérative, qui doit se marier avec les enjeux de transition énergétique, de préservation de notre patrimoine et de nos paysages.
Il est fondamental de développer l’hydroélectricité. Cette énergie décarbonée est particulièrement importante en hiver, tant par la part qu’elle représente dans notre volume global de production – 12 % en moyenne de la production nationale – que par son rôle d’équilibrage des réseaux et sa flexibilité. Elle contribue ainsi à répondre aux pointes de demande et permet d’offrir via les stations de pompage une capacité appréciable de stockage d’électricité.
Ce sont là des leviers très importants, et le Gouvernement continue de soutenir le développement de l’hydroélectricité, même si – il faut le redire – notre pays, riche d’une dynamique plus que centenaire, est très largement équipé.
La PPE de 2020 prévoit ainsi un développement ambitieux de l’hydroélectricité, avec une hausse des capacités de production comprise entre 0,9 et 1,2 gigawatt entre 2019 et 2028, soit l’équivalent en puissance d’un réacteur nucléaire. Pour ce faire, nous soutenons financièrement le développement de la petite et moyenne hydroélectricité, avec un tarif d’achat pour les plus petites installations, un appel d’offres annuel de 35 mégawatts par an pour les moyennes installations qui cible tant des installations nouvelles que l’amélioration d’installations existantes.
Nous travaillons à renforcer ces outils – j’y reviendrai –, ainsi que les installations les plus importantes, sous le régime de la concession, pour lesquelles il existe un potentiel d’augmentation des capacités de production. Il est important d’offrir des perspectives claires pour le renouvellement de ces concessions et d’avoir de la visibilité. Cela permettra de déclencher des investissements destinés à améliorer les capacités de production, mais aussi à protéger l’environnement.
L’État a donc préparé, après des échanges fructueux avec la Commission européenne, la prolongation de dix-huit ans de la concession de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), qui représente près d’un quart de notre productible hydroélectrique national.
Nous espérons également sortir prochainement d’un débat – et même d’un contentieux – de plusieurs années sur les concessions d’EDF. Les gouvernements successifs n’avaient pu jusqu’ici trouver un accord avec la Commission européenne sur leur renouvellement.
Dans un cadre de discussions plus vaste portant sur la régulation du nucléaire existant, une solution dite de « quasi-régie » est envisagée. Une société, détenue à 100 % par l’État, pourrait être créée et se voir attribuer les concessions d’EDF sans mise en concurrence, ce qui leur donnerait ainsi un cadre clair et sécurisé, propice aux investissements.
Cette société, que l’on commence à appeler Azur, pourrait être intégrée au groupe EDF (M. Fabien Gay s’exclame.), lequel ne sera ni démantelé ni privatisé, comme certains ont pu le craindre. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.) Bien au contraire, nous nous inscrivons dans un processus global, avec des activités nucléaires et hydroélectriques qui seraient détenues à 100 % par l’État. Celui-ci resterait ainsi très majoritaire, comme il l’est dans les autres activités.
M. Fabien Gay. On va en parler !
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Ce projet, bien évidemment, n’est pas encore acté. Il reste suspendu au débat parlementaire et à un accord global avec la Commission. À cet égard, nous serons vigilants et veillerons à l’équilibre de ces évolutions, ainsi qu’à leurs conséquences.
Ce projet n’est pas l’objet de cette proposition de loi, mais quelques amendements l’évoquant indirectement, je souhaitais y faire référence. S’il devait être retenu, il ferait l’objet d’un débat au Parlement via l’examen d’un texte de loi dédié, sans qu’il soit fait recours à des ordonnances, comme certains le craignent et s’en sont émus. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Nous avons un commun attachement à la continuité écologique et à la qualité des cours d’eau dans ce chemin vers la transition énergétique. Dans nos débats, il est encore trop souvent question – malheureusement – d’opposer ces enjeux environnementaux, qui freineraient le développement de l’hydroélectricité, et une politique de continuité écologique « destructrice » qui conduirait au démantèlement onéreux et contraint de nombreuses installations. Non, point de destruction d’ouvrages, notamment de moulins !
En responsabilité, nous ne devons pas laisser croire qu’il est question de détruire ce patrimoine. Il est simplement question d’aménagements pour restaurer des continuités écologiques, qui ne portent pas atteinte au bâti. Il est important de le redire.
Nous travaillons effectivement sur des enjeux prioritaires, ciblés, mais au cas par cas. Nous y reviendrons.
Un dialogue doit s’installer localement et prendre en compte les aspects environnementaux comme les apports au mix électrique éventuel de chaque projet, en fonction des contextes et des territoires.
Seuls 11 % des cours d’eau sont soumis à des obligations relatives au transport des sédiments et à la circulation des espèces. Cette continuité est évidemment un élément fondamental pour le bon fonctionnement des écosystèmes aquatiques. L’État a pris des engagements dans le cadre des directives européennes, qui se traduiront non par des transpositions, je le crains, mais simplement par une mise en œuvre opérationnelle de la conservation d’une bonne qualité des eaux et de la préservation de la biodiversité.
Aucun moulin, je le redis, n’a vocation à être détruit. Seuls les seuils doivent évoluer pour répondre à ces standards. Dans le cadre du plan pour la continuité, élaboré en concertation avec l’ensemble des partenaires – collectivités, associations de protection de la nature, propriétaires d’ouvrage –, nous avons mis en place en 2020 une stratégie de priorisation en inscrivant environ 1 600 seuils de moulin devant faire l’objet de projet d’aménagement ou d’effacement.
Depuis la loi du 24 février 2017, les moulins utilisés pour une activité de production hydraulique sont exemptés de cette obligation. Aussi, pour restaurer les continuités écologiques, nous disposons de plusieurs outils ou moyens : l’effacement des ouvrages, c’est-à-dire la suppression du seuil existant dans le cours d’eau, et non du bâtiment que constitue le moulin ; la mise en place de passes à poissons.
Grâce au génie écologique, d’autres solutions se dessinent. En 2019, les agences de l’eau ont participé à la restauration de 4 113 kilomètres de cours d’eau, ce qui représente tout de même environ cinq fois la longueur du Rhône. Dans le même temps, concernant la restauration de la continuité écologique, 353 ouvrages en liste 2 ont été aidés en 2019 pour les rendre franchissables. La création de ces passes à poissons représente environ les deux tiers des aides.
L’arasement de quelques ouvrages fortement dégradés ne menace en rien nos objectifs de développement des énergies renouvelables. Soyons clairs : il ne faut pas confondre l’apport épars de cette petite hydroélectricité au mix électrique et celui de projets plus ambitieux.
Les acteurs peuvent bénéficier d’aides importantes, en particulier des agences de l’eau, parfois des collectivités locales. Ces aides, cela a été dit, peuvent couvrir entre 30 et 80 % du coût des projets selon leur ambition et leur volume.
En 2020, ce sont 23 nouvelles centrales qui ont été autorisées en site vierge. Parmi celles-ci, 5 répondent à l’appel d’offres « petite hydro » pour un total de 19,4 mégawatts, dont 10 mégawatts pour le seul appel d’offres. Cette légère baisse par rapport aux années précédentes s’explique sans doute par l’effet covid et les différents confinements que nous avons connus en 2020.
En outre, 50 augmentations de puissance sur des centrales existantes, des équipements d’ouvrages existants ou des remises en route de moulins ont été acceptées pour 11,2 mégawatts, tandis que 143 remises en exploitation de moulins et de vieux droits sont en cours d’instruction.
Nous n’observons donc pas de blocage. Simplement, il convient d’analyser aussi finement que possible ces dossiers pour retrouver ces équilibres.
Cette politique de restauration de la continuité écologique donne d’ailleurs déjà des résultats probants puisqu’on observe une remontée rapide et forte de nombreuses espèces, en particulier le saumon dans l’Orne, la Touques et la Vire. De même, les rivières sont plus oxygénées. Les exemples sont nombreux.
Si tout n’est pas parfait, si nous devons effectivement entendre la nécessité d’expliquer les processus d’autorisation, qui sont complexes, d’améliorer l’identification des ouvrages – un sujet d’inquiétude pour les propriétaires –, ou encore les craintes d’ordre financier, il n’en reste pas moins que les dispositifs de soutien existants nous laissent entrevoir des solutions apaisées.
Des projets de nouvelles concessions hydroélectriques sur des installations de taille moyenne sont envisagés par le ministère pour exploiter ou réexploiter des potentiels existants.
Avec la filière, nous travaillons également à compléter les aides aux projets avec un dispositif de soutien à la rénovation d’équipements entre 1 et 4,5 mégawatts. Celui-ci sera prochainement notifié à la Commission européenne pour approbation au titre des aides d’État.
Enfin, le Gouvernement a proposé à l’Assemblée nationale, qui l’a adopté à une très large majorité, un amendement au projet de loi Climat et résilience tendant à permettre à l’autorité administrative de lancer des appels d’offres pour rémunérer des capacités de stockage d’électricité, s’il en est besoin au regard des objectifs fixés dans la PPE.
La loi de programmation Énergie-climat, prévue pour 2023, permettra d’aborder la question des moyens de flexibilité qui sont nécessaires à moyen et long termes dans notre futur mix électrique. Le stockage en fera partie. Nous créons ainsi un cadre pour soutenir l’émergence de nouvelles installations de stockage, dont les stations de pompage hydroélectriques.
Il importe également de continuer à chercher un équilibre entre le développement de projets d’hydroélectricité, d’une part, et la préservation et la restauration des environnements naturels, d’autre part.
Il faut faciliter le dialogue autour de ces enjeux, créer ces espaces d’échanges pour mieux construire, pour mieux se comprendre. C’est tout l’objet, à l’article 23 du projet de loi Climat et résilience, de ces communautés énergétiques citoyennes.