M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Je ne reviendrai pas sur le fait que nous nous rejoignons pour condamner la polygamie. Nous sommes tous dans une opposition forte à ce système moyenâgeux et archaïque et à la conception qu’il implique s’agissant des femmes.
Partant de là, il convient simplement d’examiner à quoi servent un certain nombre d’articles prévus dans ce texte de loi.
Je le rappelle, cet article, introduit par l’Assemblée nationale, concerne le renouvellement de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » délivrée à l’étranger conjoint de Français. Déjà, quand on est français, on respecte la loi : la polygamie n’est pas autorisée sur notre territoire, en particulier, j’y insiste, quand on est français.
Comme cela existe déjà pour les victimes de violences conjugales, cet article vise à neutraliser la condition tenant au maintien de la vie commune pour le conjoint d’un Français, lorsque l’étranger a été victime de pratiques de polygamie. Dans ce cas, l’autorité administrative ne pourrait procéder au retrait du titre et devrait en accorder le renouvellement. C’est ce principe de renouvellement automatique que la commission des lois n’a pas souhaité maintenir.
À nos yeux, ce dispositif n’est pas opérationnel, car il vise des femmes étrangères qui vivent avec un conjoint français. Or, comme je l’ai rappelé, il y a des règles qui s’appliquent à tous, et en particulier aux Français. Aujourd’hui, chaque situation est étudiée par les services des préfectures dans le cadre du renouvellement du titre de séjour.
Nous ne sommes donc pas favorables à un renouvellement automatique de ces titres de séjour. C’est la raison pour laquelle la commission est défavorable à ces trois amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 66 rectifié, 313 et 539.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 14 bis reste supprimé.
Article 15
(Non modifié)
I. – Le paragraphe 4 de la sous-section 4 de la section 1 du chapitre Ier du titre VI du livre Ier du code de la sécurité sociale est complété par un article L. 161-23-1 A ainsi rédigé :
« Art. L. 161-23-1 A. – Sous réserve des engagements internationaux de la France, une pension de réversion au titre de tout régime de retraite de base et complémentaire, légal ou rendu légalement obligatoire, ne peut être versée qu’à un seul conjoint survivant. En cas de pluralité de conjoints survivants, la pension de réversion est versée au conjoint survivant de l’assuré décédé dont le mariage a été contracté, dans le respect des dispositions de l’article 147 du code civil, à la date la plus ancienne.
« Le conjoint divorcé n’est susceptible de bénéficier d’un droit à pension de réversion, sous réserve qu’il remplisse les conditions prévues par le régime dont il relève, que si le mariage a été contracté dans le respect des dispositions du même article 147 à la date la plus ancienne ou au titre de la durée du mariage au cours de laquelle il était le seul conjoint de l’assuré décédé et en proportion de cette durée, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État.
« Le présent article n’est pas applicable aux mariages déclarés nuls mentionnés à l’article 201 du code civil. Dans ce cas, la pension de réversion est partagée entre les conjoints survivants, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État. »
II. – Les dispositions du présent article s’appliquent aux pensions de réversion prenant effet à compter de la publication de la présente loi.
M. le président. L’amendement n° 540, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et Apourceau-Poly, MM. Bacchi et Bocquet, Mmes Brulin et Cohen, M. Gay, Mme Gréaume, MM. Lahellec, P. Laurent, Ouzoulias et Savoldelli et Mme Varaillas, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jérémy Bacchi.
M. Jérémy Bacchi. Madame la ministre, devant la commission des lois du Sénat, vous avez affirmé : « Nous considérons donc que les pratiques dites “coutumières” telles que les mariages forcés, la polygamie, la discrimination en matière d’héritage et les certificats ou tests de virginité n’ont pas leur place en France. »
Nous sommes également opposés à ces pratiques, car nous estimons qu’elles remettent en cause l’égalité entre les femmes et les hommes, notamment le droit à disposer de son corps.
Vous avez fait état, madame la ministre, de 200 000 femmes mariées de force sur le territoire national en 2020. Il convient donc non pas de sanctionner les femmes victimes de polygamie en les privant de la pension de réversion de leur mari, mais au contraire de s’attaquer véritablement au problème et de lutter contre la polygamie.
Le texte ne prévoit aucune protection pour les femmes ayant épousé sous la contrainte un mari qui s’est avéré, par la suite, polygame.
Pour ces raisons, nous demandons la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cet amendement vise à supprimer l’article 15, qui tend à limiter de droit la réversion à un seul conjoint non divorcé.
Ce dispositif est destiné à assurer l’égalité entre les femmes et les hommes et à faire prévaloir l’ordre public français. Il prévoit des garanties, il prend en compte les conjoints de bonne foi qui auront droit, dans tous les cas, à la pension. Par ailleurs, les conjoints qui n’auront plus droit à la pension de réversion auront accès, comme tout un chacun, aux prestations sociales universelles.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, car il ne souhaite pas supprimer l’article 15.
Il considère en effet que cet article est réellement protecteur pour les femmes, puisqu’il tend à protéger les femmes victimes de la polygamie. Il vise à préserver les droits de la première conjointe survivante en lui épargnant le partage de sa pension de réversion avec une autre femme mariée dans une situation de polygamie.
Pour ce qui concerne les femmes ayant subi une situation de polygamie qu’elles ignoraient, l’adoption de cet article permettra de faire annuler le mariage, en faisant reconnaître par le juge son caractère putatif.
À cet égard, j’évoquerai une situation tout à fait concrète, rapportée par de nombreuses associations, notamment le GAMS et Regards de femmes. On fait venir une jeune femme, qui pense qu’elle va se marier et vivre un conte de fées. À l’aéroport, elle rencontre monsieur, mais aussi sa première, voire sa deuxième femme. Elle comprend alors que sa vie ne sera pas conforme à celle qu’on lui avait promise.
Il est important d’avoir connaissance de cette réalité concrète et de mieux protéger ces femmes. L’adoption de cet article leur donnera un droit à pension de réversion, sans remettre en cause les effets du mariage antérieurs à son annulation.
Cet amendement alerte à juste titre sur le cas des mariages contraints ou forcés contre lesquels ce projet de loi prévoit de lutter et que nous évoquerons tout à l’heure. Des dispositions contre ces mariages sont prévues à l’article 17 du texte.
Selon moi, l’adoption de l’article 15 permettra de mieux protéger les femmes. Le Gouvernement est donc défavorable à sa suppression.
M. le président. Je mets aux voix l’article 15.
(L’article 15 est adopté.)
Article 15 bis
Après l’article L. 513-1 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 513-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 513-2. – Les organismes débiteurs des prestations familiales avisent le procureur de la République des situations susceptibles de relever du délit mentionné à l’article 433-20 du code pénal. »
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, sur l’article.
M. Stéphane Le Rudulier. Je me fais le porte-parole de ma collègue Valérie Boyer, qui souhaitait exprimer solennellement toute sa satisfaction concernant l’article 15 bis.
En effet, à ses yeux, la polygamie est une situation matrimoniale qui n’est pas conforme à la législation française. La polygamie donne aux hommes tous les droits et aux femmes, tous les devoirs. La représentation nationale ne pouvait rester insensible à cet abus de vulnérabilité que constitue la polygamie de fait s’exerçant sur notre territoire.
Malgré son interdiction, la polygamie continue d’exister dans notre pays, et il semble que les autorités et les pouvoirs publics français soient quelque peu impuissants à l’évaluer, à la contrôler, voire à la maîtriser. Les services de préfecture, qui sont en première ligne, sont bien en peine de fournir un chiffre quelconque quand on les interroge sur un phénomène qui leur échappe.
Aussi Mme Boyer tient-elle à remercier la commission des lois d’avoir voté son amendement visant à introduire cet article 15 bis, lequel prévoit expressément que les caisses d’allocations familiales avisent le procureur de la République de situations susceptibles de relever de cette infraction pénale.
Les caisses d’allocations familiales ont alloué, en 2019, à plus de deux millions de foyers la prestation d’accueil du jeune enfant et à près de cinq millions de foyers les allocations familiales. Il était donc important qu’elles aient l’obligation d’aviser le procureur des situations de polygamie.
M. le président. L’amendement n° 314, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Le présent article a pour objet d’attribuer un nouveau rôle aux organismes débiteurs des prestations familiales : il s’agit d’aviser les procureurs de la République des situations familiales susceptibles de relever de la polygamie. Ils sortiraient ainsi de leur rôle !
Je le répète, la polygamie, aussi condamnable soit-elle, est une pratique très peu répandue en France. Comment revenir, au prétexte de lutter contre ce phénomène, à quelque chose qui s’apparenterait à de la délation ?
Les caisses d’allocations familiales (CAF) ne sont aucunement investies du rôle d’enquêter dans la vie intime et sexuelle des couples. Leur mission première est le versement de revenus, telles les prestations familiales ou les prestations sociales pour le compte de collectivités publiques, et la mise en œuvre d’une action sociale destinée aux allocataires.
Une telle intrusion dans la vie intime des familles par un organisme comme la caisse d’allocations familiales est liberticide. Elle porterait une atteinte manifeste aux principes de notre République que ce projet de loi prétend renforcer.
La France, comme toutes les sociétés démocratiques en Europe, est tenue au respect de la vie privée et familiale des individus, comme le prévoient les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Dans ces conditions, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande la suppression de cet article inadmissible.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. L’article 15 bis a été introduit par la commission. Il vise à prévoir expressément que les caisses d’allocations familiales avisent le procureur de la République des situations susceptibles de relever du délit de polygamie.
Il faut savoir ce qu’on veut ! Si l’on veut lutter contre la polygamie, qui est quelque chose de monstrueux, il faut prendre des outils pour le faire ! Le fait de dénoncer des situations de polygamie n’est pas liberticide ! Il s’agit simplement de protéger les femmes qui subissent de telles situations.
Je suis étonnée d’une attaque aussi violente contre une mesure qui vise simplement à faire disparaître ce phénomène. Cela n’a rien à voir avec le fait d’enquêter sur la vie privée des gens. Simplement, à un moment donné, lorsque les organismes qui allouent les prestations sociales ont des doutes sur la situation des familles, il paraît important de ne pas se contenter d’avoir des doutes et d’adopter des mesures efficaces.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Madame la sénatrice, initialement, après les discussions interministérielles, j’avais prévu d’émettre un avis de sagesse sur cet amendement. Toutefois, au vu de l’exposé des motifs, j’y suis défavorable.
Tout d’abord, je suis très choquée d’entendre le mot « délation », alors que nous parlons de protection. Une telle attitude est tout à fait contre-productive. Je vous le rappelle, nous incitons tout un chacun, en période de confinement, à appeler le 119 pour protéger les enfants qui subissent des violences ou des négligences. Il s’agit non pas de délation, mais de protection, qui sauve parfois la vie des enfants.
On dit aux témoins de violences conjugales qu’il faut appeler le 3919 ou le 17. Si on leur parle de délation, personne n’entendra ni ne dira plus rien. Et on laissera les femmes et les enfants dans des situations difficiles, voire dramatiques.
Je ne peux donc accepter de tels propos !
Par ailleurs, je suis étonnée d’entendre dire dans cet hémicycle qu’il serait liberticide de faire respecter la loi ! Je ne crois pas qu’il soit liberticide de vouloir que les femmes ne soient plus brimées ; je ne crois pas qu’il soit liberticide de demander le respect des lois de la République. L’ensemble de ce projet de loi va d’ailleurs en ce sens. Je ne crois pas qu’il soit liberticide de demander le respect des droits des femmes.
S’agissant du signalement, sortons du manichéisme ! Comme s’il y avait les gentils polygames et les méchants et liberticides services sociaux et procureurs ! La situation est tout de même un peu plus subtile ! Les signalements de la CAF et l’action du procureur permettent souvent de rediriger les femmes vers des associations, de mettre en place des accompagnements sociaux et psychologiques et, parfois, de sauver les femmes de situations de polygamie auxquelles elles n’ont pas consenti.
Mon avis de sagesse est donc devenu très défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je soutiens l’article introduit par Valérie Boyer et ses collègues. Je suis donc hostile à cet amendement de suppression.
Je suis heureuse qu’à cette occasion nous puissions évoquer les enfants. J’ai failli intervenir sur les amendements identiques tendant à rétablir l’article 14 bis. En effet, si le père est français et que la mère a été expulsée, que faisons-nous des enfants ? Pour de telles situations, je ne suis pas sûre que nous ayons réglé le problème.
De ce point de vue, ces amendements, qui semblaient pertinents, me posaient problème.
Je souhaite donc que l’article 15 bis soit maintenu. À la suite de la ministre, qui a fait une réponse tout à fait pertinente, je souhaite également que le signalement puisse être fait par les services de l’éducation nationale. Ce sont eux qui sont confrontés à ces cas de polygamie. Quand plusieurs enfants portent le même nom, habitent au même endroit et ont un mois ou deux de différence d’âge, c’est forcément qu’il y a eu plusieurs ventres pour les porter.
Madame la ministre, vous avez très justement parlé de signalement et non pas de délation. Vous avez très subtilement expliqué votre position, que je partage complètement. Toutefois, il convient sans doute de sensibiliser les services de l’éducation nationale, qui feront remonter les cas. Cela nous donnera une idée statistique de la situation. Quoi qu’il en soit, qu’il y ait un cas ou cent, ils sont parfaitement intolérables.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Je ne vois pas bien la différence entre un inspecteur de la CAF contrôlant un parent isolé, dans le cadre de l’allocation pour parent isolé, intégrée dans la loi créant le RSA (revenu de solidarité active), et un inspecteur de la CAF contrôlant une situation de polygamie.
Les inspecteurs de la CAF contrôleront et saisiront, en tant que de besoin, les tribunaux administratifs des affaires de sécurité sociale et le procureur de la République.
Pour autant, excusez mon ignorance, je ne vois pas ce que ces dispositions apportent par rapport à l’article 40 du code de procédure pénale.
M. le président. Je mets aux voix l’article 15 bis.
(L’article 15 bis est adopté.)
Article 16
Le titre Ier du livre Ier de la première partie du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 1110-2, il est inséré un article L. 1110-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-2-1. – Un professionnel de santé ne peut établir de certificat aux fins d’attester la virginité d’une personne.
« Le professionnel de santé sollicité pour établir un certificat aux fins d’attester la virginité d’une personne doit informer la patiente concernée de l’interdiction de cette pratique. » ;
2° Le chapitre V est complété par des articles L. 1115-3 et L. 1115-4 ainsi rédigés :
« Art. L. 1115-3. – L’établissement d’un certificat en méconnaissance de l’article L. 1110-2-1 est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
« Art. L. 1115-4. – (Supprimé) ». ».
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.
Mme Laurence Cohen. Pour ce qui concerne les certificats de virginité, je crois que nous sommes toutes et tous d’accord, ce qui n’est pas si fréquent en matière de défense des droits des femmes.
Ces certificats symbolisent à eux seuls la domination masculine sur le corps des femmes, la sacralisation d’une prétendue pureté à réserver à l’homme promis. Cette injonction faite à certaines jeunes filles est une véritable violence que nous ne pouvons que dénoncer. C’est bien de violence qu’on parle : une violence psychologique, une pression insupportable, qui alimente la peur chez de nombreuses jeunes filles, y compris de représailles.
Les témoignages de professionnels, dont celui de Ghada Hatem, gynécologue et fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis, sont très éclairants. Elle explique très bien que délivrer ces certificats, sans bien évidemment pratiquer de tests, peut sauver la vie de jeunes femmes. En outre, les médecins peuvent s’appuyer sur l’Ordre des médecins, qui interdit déjà cette pratique, pour entamer un dialogue.
Prévoir dans la loi l’interdiction de ces certificats, avec pénalisation des praticiennes et des praticiens, risque d’avoir plusieurs effets pervers. Cela pourra mettre à mal un lien qui se crée entre la jeune fille et le professionnel, permettant d’évoquer d’autres problèmes plus larges : l’intimité, la prévention et la santé sexuelle. Cela reviendra à fermer la porte de ces cabinets et à ouvrir celle d’individus non médecins qui réaliseront ces certificats.
En effet, ne soyons pas naïfs ! Il y aura des contournements de cette interdiction, même si j’ai bien noté que l’article 16 ter vise à pénaliser la réalisation d’examens. Je crains le développement de filières clandestines sur lesquelles nous aurons du mal à avoir une visibilité ou une maîtrise.
Sur des sujets aussi sensibles, il nous faut écouter les professionnels. Personne ne réclame l’inscription dans la loi d’une pratique déjà interdite par ailleurs. Surtout, tout le monde dénonce la pénalisation des médecins.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Madame la sénatrice, je suis en profond désaccord avec votre argumentaire. Permettez-moi de vous expliquer les raisons pour lesquelles le Gouvernement veut agir contre les certificats de virginité.
Tout d’abord, je suis très attaché à un principe assez peu courant dans la vie politique, ce que je déplore, celui des accords toltèques, selon lesquels il convient de parler non pas de façon générale et empirique, mais de façon personnelle. Je suis donc toujours très étonnée quand j’entends dire « tout le monde » ou « personne ».
Je ne crois pas que personne ne demande l’interdiction des certificats de virginité, comme vous venez de le dire, madame la sénatrice. Au contraire ! Nous écoutons les professionnels. Considérez les prises de position, depuis des mois, de l’ordre des médecins ou, depuis des années, de l’OMS, qui demande que le monde entier adopte des lois pénalisant cette pratique barbare, antique et indigne des certificats et des tests de virginité.
Certes, une gynécologue, sans aucun doute éminente, n’est pas d’accord. Si sa parole doit être entendue, celle de la présidente de l’Ordre des gynécologues, de la présidente du Syndicat des gynécologues, des centaines de gynécologues et de sages-femmes qui ont signé des pétitions, et des associations de femmes et de jeunes filles vivant dans des quartiers difficiles, qui sont aux prises avec la contrainte sociale, la norme, du certificat de virginité, doit également l’être.
Comme la France a dit « non » à l’excision voilà des années, elle doit dire non au certificat de virginité. À l’époque, certains disaient qu’il ne fallait pas interdire l’excision, au risque de voir se développer la pratique d’exciseuses hors des cabinets médicaux.
Fort heureusement, le gouvernement de l’époque, que je félicite – il me semble que cela se passait sous la présidence de Jacques Chirac –, a tenu bon. Sinon, c’était la porte ouverte à tous les relativismes ! On aurait réfléchi à des excisions propres, effectuées dans des cabinets ! C’est la même chose pour ce qui concerne le certificat de virginité.
Je suis en profond désaccord avec l’argument de Mme Ghada Hatem, que je respecte en tant que personne. Elle nous dit qu’elle veut pouvoir donner des certificats de virginité pour sauver la vie des filles. Quelle inversion des valeurs ! Que se produira-t-il quand la jeune fille rentrera chez elle avec sa petite enveloppe et son petit certificat de virginité à l’intérieur ? Elle épousera une personne qui a choisi comme acte fondateur du mariage, une institution dans laquelle on est censé s’engager en termes de respect, de secours et d’assistance mutuelle, la vérification de la virginité de la femme, dans le cadre d’un examen invasif. Et cette vérification donne lieu à un certificat, comme on le ferait pour un cheval dont on examinerait les dents. Si elle est bien vierge, on daignera l’épouser !
Je trouve tout cela scandaleux. Je pense que la jeune fille qui rentre chez elle avec son certificat de virginité n’a pas la vie sauve. Elle n’entre pas dans un mariage respectueux et elle n’est pas protégée par son certificat de virginité, bien au contraire ! Car on l’envoie épouser une personne qui a exigé un tel certificat. Elle sera donc aux prises avec des pressions terribles. On peut gager que sa dignité de femme ne sera pas particulièrement respectée le reste de sa vie, s’il a fallu ce petit papier, ce certificat de virginité.
Je préfère que la République soit courageuse et qu’elle dise clairement ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Dans la République française, je souhaite donc que les certificats de virginité ne soient pas permis. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains. – M. David Assouline applaudit également.)
M. le président. L’amendement n° 662, présenté par Mmes Eustache-Brinio et Vérien, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
certificat aux fins d’attester la virginité d’une personne doit informer
par :
tel certificat informe
et le mot :
patiente
par le mot :
personne
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 483 rectifié bis, présenté par Mmes Meunier, Monier et de La Gontrie, M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Sueur et Marie, Mme Lepage, MM. Féraud et Leconte, Mme Harribey, MM. Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
et la renseigne sur les organismes judiciaires et associatifs qu’elle peut contacter
La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. En commission des lois, les socialistes ont soutenu l’interdiction d’établir un certificat de virginité. Un amendement visant à renforcer l’information de la jeune fille ou femme a été en partie adopté. Ces mesures obligent le professionnel de santé à informer la patiente concernée de l’interdiction de cette pratique.
Nous souhaitons néanmoins compléter la protection que notre société doit à ces femmes contraintes par leur entourage de se soumettre à ces pratiques visant à établir leur virginité. Selon nous, l’accompagnement doit inclure également l’orientation de la femme vers les organismes judiciaires et associatifs spécialisés.
Le seul rappel de l’interdiction n’est pas de nature à protéger suffisamment la jeune femme des risques qu’elle encourt. L’approche complémentaire des organismes associatifs ou judiciaires permet de déconstruire l’exigence de virginité et les présupposés patriarcaux que nous combattons.
M. le président. L’amendement n° 544 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
Il lui remet à cet effet un document expliquant que la loi de la République interdit cette pratique. Le professionnel de santé a également pour obligation d’informer cette même personne des organismes spécialisés dans la défense des droits des femmes qu’elle peut contacter.
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Cet amendement, bien qu’il soit rédigé différemment de celui qui vient d’être défendu par notre collègue Marie-Pierre Monier, va dans le même sens.
Si je peux rejoindre, madame la ministre, votre vigueur et votre rigueur sur les certificats de virginité, il ne suffira pas, me semble-t-il, d’inscrire leur interdiction dans la loi, en « se lavant les mains », pour utiliser des termes un peu crus, de ce qui peut se passer ensuite.
L’article prévoit l’interdiction de ces certificats, le professionnel de santé étant tenu d’informer la personne de cette interdiction. Selon nous, il convient également d’orienter les femmes vers des associations qui peuvent les accompagner.
Des expériences sont menées, notamment en Île-de-France, et peuvent être considérées avec intérêt. Car un certain nombre de femmes peuvent être fragilisées, voire en danger, si un certificat de virginité leur est refusé. Nous ne pouvons donc pas inscrire cette interdiction dans la loi sans nous préoccuper de ce qui se passe ensuite. Des mesures d’accompagnement doivent être prévues. Tel est le sens de cet amendement.