M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le ministre, j’ai eu plusieurs fois l’occasion d’en appeler à la renaissance d’un véritable ministère de l’industrie, c’est-à-dire d’un ministère exclusivement chargé de concevoir et d’appliquer une stratégie industrielle pour notre pays.
Je me réjouis que nos collègues socialistes, conscients de la nécessité de conserver le patrimoine industriel français, aient inscrit ce débat à l’ordre du jour.
Malheureusement, auparavant beaucoup de gouvernements ont laissé des rachats de nos fleurons se faire, entraînant la perte progressive d’un précieux savoir-faire industriel. Je n’en citerai que quelques-uns : Technip, Arcelor, la branche énergie d’Alstom, dont la vente emporte une perte d’autonomie, et même la fusion d’Alstom et Siemens, qui heureusement n’a pas abouti.
Afin de préserver les emplois, et surtout de maintenir les compétences industrielles de notre pays, le Gouvernement s’emploie – il faut le saluer – à créer de nouvelles chaînes de valeur. Au-delà de son rôle dans le développement d’une stratégie de long terme, l’État doit être également attentif aux prises de contrôle des entreprises françaises et sauvegarder nos savoir-faire technologiques.
Si l’OPA lancée par Veolia sur Suez aboutissait, elle aurait pour effet de fusionner l’activité internationale de deux champions français. Pourtant, certains exemples de fusion soulèvent la difficulté des restructurations qui les suivent.
Au-delà de cette opération, plusieurs questions se posent. Estimez-vous, monsieur le ministre, qu’un rapprochement de ce type met par principe en péril le patrimoine industriel français ? Le Gouvernement a-t-il établi une liste des industries à valeur stratégique ? Quel est le plan d’action du Gouvernement pour les sauvegarder et les développer ? Quelle reconquête industrielle et quelle articulation avec nos partenaires européens permettraient à nos entreprises de peser suffisamment sur la scène internationale, notamment via des regroupements du type Airbus ? Enfin, qu’en est-il de la solidarité européenne quand nos partenaires polonais achètent des avions de chasse américains, ou quand nos partenaires allemands formulent des exigences au sujet du nouvel avion de chasse européen ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Monsieur le sénateur, j’estime que peu de gouvernements se sont autant employés à protéger notre industrie et nos grandes entreprises industrielles.
Quand la grande aciérie d’Ascoval, équipée d’un four électrique, était menacée de fermeture, je me suis battu pendant plus de deux ans pour trouver des repreneurs. Dieu sait que nous avons vécu un vrai parcours de montagnes russes, avec des espoirs, des déceptions. Au bout du compte, nous avons sauvé l’aciérie d’Ascoval et ses 300 emplois.
Lorsque le groupe qui a repris Ascoval, mais aussi l’usine d’Hayange et d’autres entreprises de l’aciérie en France, s’est trouvé confronté à des difficultés financières, nous avons débloqué lundi dernier 20 millions d’euros de prêts pour permettre à Ascoval de poursuivre son activité.
Nous sommes intervenus pour favoriser le rapprochement entre Alstom et Bombardier, qui permet de créer un leader dans le domaine de l’industrie ferroviaire.
Je n’ai pas hésité – cela peut pourtant paraître surprenant de ma part – à nationaliser les Chantiers de l’Atlantique. Nous avons renoncé au rapprochement avec Fincantieri, de concert avec notre partenaire italien, parce que nous estimions que les conditions n’étaient plus remplies.
Lorsque l’acteur canadien Couche-Tard – tout à fait respectable par ailleurs – a voulu racheter Carrefour dans une opération qui m’a semblé précipitée, je m’y suis opposé. Je constate aujourd’hui avec satisfaction que Carrefour n’était pas en si mauvaise posture puisque le groupe, dont je félicite la direction, vient de réaliser une opération tout à fait admirable de rachat d’actifs au Brésil. C’est bien la preuve qu’il n’y avait aucune raison de céder ce géant de la distribution qui est aussi le premier employeur privé français.
J’estime que nous intervenons à bon escient pour protéger sans relâche les intérêts stratégiques industriels de la nation française. Je tiens à indiquer clairement que je n’hésiterai pas continuer à le faire. (M. Fabien Gay s’exclame.)
Nous intervenons également de manière offensive pour créer de nouvelles chaînes de valeur. Le grand défi auquel nous sommes confrontés aujourd’hui n’est pas seulement la protection, mais l’investissement. Vous citiez l’Europe. L’un des résultats les plus positifs de la crise dont nous sommes en train de sortir est la création de nouvelles chaînes de valeur européennes dans les domaines des batteries électriques, de l’hydrogène, du calcul quantique et du cloud.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur l’action de l’État durant ces derniers mois, eu égard notamment au rôle de la Caisse des dépôts et consignations, point qui a déjà été soulevé par mon collègue Hervé Gillé. La Caisse des dépôts et consignations a-t-elle vocation à se trouver partie prenante dans une OPA qui se révèle hostile ? La décision de mener cette OPA a été prise à l’unanimité par le conseil d’administration de Veolia, donc par la CDC. Or cette décision s’est heurtée à l’opposition de l’Agence des participations de l’État, dont des représentants siègent au conseil d’administration d’Engie. Comment interpréter cette incohérence ?
Vous évoquiez le directeur du Trésor, monsieur le ministre. Veolia est peut-être entièrement privée, comme vous l’indiquiez, mais son premier actionnaire est tout de même la Caisse des dépôts et consignations. N’est-ce pas une voie pour mettre en avant l’intérêt général afin de faire en sorte que les choses se passent correctement, au bénéfice du service public, des agents, des personnels et des usagers ? Le traitement de l’eau et des déchets est un service public essentiel.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. La Caisse des dépôts et consignations détient effectivement une participation de 6 % au capital de Veolia, mais je rappelle qu’elle est indépendante. (M. Fabien Gay ironise.) Je ne donne pas d’instructions à son directeur général pour lui indiquer ce qu’il doit faire. Par ailleurs, je rappelle que la Caisse des dépôts et consignations est placée sous le contrôle du Parlement.
Je n’épiloguerai pas sur un sujet qui relève désormais du droit des affaires et du droit privé. Au risque de vous lasser, je rappelle encore une fois les conditions sous lesquelles ce rapprochement serait utile d’un point de vue industriel pour la nation française : préserver la concurrence, préserver l’emploi et préserver l’empreinte industrielle. Telles sont les conditions qui doivent permettre à cette opération de réussir.
Une dernière condition me semble toutefois nécessaire : c’est que l’opération se fasse sur la base d’un accord amiable. Personne – je le répète – n’a intérêt à engager un conflit ouvert entre deux géants industriels. Comme je l’ai indiqué clairement à la présidente Sophie Primas, nous sommes intervenus pour pacifier les choses et rapprocher les positions des deux parties.
Je souhaite maintenant qu’elles écoutent la voix, non pas seulement du ministre de l’économie et des finances, mais des parlementaires, des représentants du peuple français, et – je le crois – de la grande majorité de nos compatriotes.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.
Mme Sophie Taillé-Polian. Sur son site internet, il est indiqué que « la Caisse des dépôts et consignations et ses filiales constituent un grand pôle financier public à l’identité forte et ancrée dans l’histoire. À l’intersection du domaine public et du secteur privé concurrentiel, le groupe est entièrement dédié au service de l’intérêt général, avec un objectif unique : faire grandir la France ».
Je suppose que le conseil d’administration de la CDC ne décide pas tout seul de ce que sont l’intérêt général ou l’objectif de « faire grandir la France ». Je suppose que de telles décisions se prennent tout de même un peu en relation avec le gouvernement de la France. D’ailleurs, des parlementaires siègent à ce conseil d’administration.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez indiqué que, de cette affaire, vous tiriez la conclusion que l’État n’a rien à faire dans les conseils d’administration d’entreprises comme Engie, et qu’il doit uniquement se concentrer sur les services publics. Mais que sont la production et la fourniture d’électricité et l’accès à l’eau si ce ne sont pas des services publics ? J’estime pour ma part que l’on doit se réinterroger sur la participation de l’État dans ces entreprises, mais pour l’augmenter.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Depuis le 30 août 2020, nous assistons à une bataille fratricide entre les deux géants du traitement de l’eau autour d’un projet de fusion entre Veolia et Suez. Cette bataille est devenue une véritable tragédie grecque à partir du moment où Engie a accepté l’offre d’achat proposée par Veolia malgré l’opposition de l’État actionnaire.
D’un côté, Veolia veut créer en France le super champion mondial de la transformation écologique ; de l’autre, Suez, absolument opposé à tout projet de fusion dans les termes proposés par Veolia, s’alarme pour ses 90 000 collaborateurs, dont 30 000 en France, et évoque une menace de suppressions d’emplois.
En sous-main, des fonds d’investissement gravitent autour des deux géants : Meridiam, à proximité de Veolia, ne cesse de montrer patte blanche pour rassurer les salariés de Suez, tandis qu’Ardian et GIP, autour de Suez, affirment vouloir assurer l’indépendance et l’intégrité du groupe.
Embarquées dans la bataille entre ces deux géants, un grand nombre de communes françaises ne cachent pas leur inquiétude. Ce projet de fusion pourrait en effet concerner toutes les collectivités qui ont délégué la gestion de leur eau à l’un ou à l’autre de ces deux groupes.
À ce jour, la situation paraît difficilement conciliable, et nous nous acheminons vers des enchères boursières. Pourtant, face à des enjeux économiques, géopolitiques et environnementaux majeurs, notre État stratège doit conforter son rôle.
Alors que la journée internationale de l’eau était célébrée le 22 mars dernier et qu’un tiers de la population mondiale n’a pas accès à l’eau potable, quelles autres possibilités s’offrent à nous pour régler une situation complexe, potentiellement préjudiciable en termes d’emploi, et dont l’issue doit apporter une réponse viable aux deux protagonistes et permettre à la France de gagner davantage de visibilité face à des concurrents étrangers toujours plus redoutables ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Monsieur le sénateur Bargeton, je ne puis me prononcer sur les offres des uns ou des autres. Dans une économie telle que la nôtre, c’est aux acteurs privés qu’il appartient de le faire, mais – je le répète – je ne ménagerai pas mes efforts pour parvenir à concilier les positions des uns et des autres.
La véritable question est de savoir s’il y a de l’espace pour deux grands acteurs industriels de la gestion des déchets et du traitement de l’eau. Nous estimons que c’est le cas, et que cette situation est même préférable, car la concurrence permet aux collectivités locales que vous représentez, monsieur le sénateur, de disposer de différentes possibilités. C’est un point auquel vous êtes légitimement attaché.
Au cours des derniers jours, nous avons progressé dans le rapprochement des positions. Nous allons continuer à travailler dans ce sens, et si je ne puis à cette heure vous donner de garantie que cela aboutira à un accord en bonne et due forme entre les deux parties, j’estime que cela serait préférable pour tous.
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Monsieur le ministre, il y a exactement un an aurait dû débuter la privatisation du groupe Aéroports de Paris, conformément aux articles 130 à 136 de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, ou loi Pacte.
Après le rejet de cette réforme par le Sénat en 2018, un projet de référendum d’initiative partagée avait été proposé pour la première fois par des parlementaires, recueillant un peu plus d’un million de signataires. L’ironie de l’histoire veut que ce soit la crise du covid qui ait enterré ce projet contesté. Après une année de pandémie, ces débats paraissent anciens.
Plus récemment, monsieur le ministre, vous avez pris la décision d’empêcher un projet de fusion entre l’entreprise Carrefour et le groupe de supérettes canadiennes Couche-Tard. Si le caractère stratégique de cette décision a pu étonner, il est vrai que l’enjeu en termes d’emplois n’était pas tout à fait négligeable, puisque plus de 300 000 salariés étaient concernés.
Le cas de Veolia-Suez est un peu différent, puisqu’il s’agit d’une offre publique d’achat entre deux entreprises concurrentes, mais françaises, dans un secteur qui intéresse de nombreux acteurs : entreprises, salariés, consommateurs et élus locaux.
L’examen du projet de loi Pacte avait aussi été l’occasion de débattre de la notion d’entreprise stratégique et de renforcer les pouvoirs de contrôle du ministère de l’économie sur les autorisations d’investissements étrangers dans certains secteurs d’activité.
Ma question est donc double, monsieur le ministre.
À l’aune du cas de Veolia et de Suez, mais aussi des exemples précités, pourriez-vous repréciser ce que le Gouvernement considère comme une entreprise ou un secteur stratégique dans lequel il peut avoir vocation à intervenir ?
Dans quelle mesure nos conceptions françaises en la matière peuvent-elles entrer en conflit avec les principes défendus par les régulateurs européens ? L’on sait en effet combien la Commission et la Cour de justice de l’Union européenne peuvent être soucieuses du respect des règles de libre concurrence. Une fusion entre Veolia et Suez emporterait-elle un risque en la matière ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Madame la sénatrice, permettez-moi de revenir brièvement sur le projet de rachat de Carrefour par Couche-Tard. Si je devais prendre de nouveau cette décision demain, je reprendrais exactement la même.
Certains avancent qu’il ne s’agit pas d’un secteur stratégique. Mais le nucléaire est stratégique, la défense est stratégique, certaines technologies de pointe sont stratégiques, et notre alimentation l’est tout autant.
Le stratégique n’est pas forcément ce qui est loin des gens, ce qui est à distance ou à la pointe de la technologie. Le stratégique, c’est aussi ce qui préserve notre culture, notre manière de vivre, la qualité de notre alimentation, notre sécurité sanitaire, et c’est bien ce qui est en jeu dans la grande distribution.
En effet, les grands distributeurs français ont créé un modèle – ils peuvent en être fiers – d’approvisionnement auprès des filières agricoles françaises. Qui ici peut me garantir que le rachat de Carrefour par Couche-Tard aurait préservé les filières agricoles françaises ? Quelqu’un peut-il prendre cette responsabilité ?
M. Fabien Gay. Nous sommes d’accord sur ce point.
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour ma part, je ne le pouvais pas, et c’est pourquoi j’ai manifesté mon refus.
Par ailleurs, croyez-vous que les États-Unis accepteraient que l’un de leurs premiers employeurs privés tels que Walmart soit racheté par un grand distributeur français sans coup férir ? Ce ne serait probablement pas le cas.
Enfin, n’estimez-vous pas préférable de faire respecter les procédures telles qu’elles ont été définies par vous-même, c’est-à-dire par le législateur ? Nous avons élargi ensemble le champ d’application du décret relatif aux investissements étrangers en France, si bien que toutes les entreprises qui souhaitent investir en France dans une technologie sensible ou une activité critique doivent d’abord s’assurer auprès de l’État français que cet investissement est le bienvenu. Ce sont les 275 procédures que j’évoquai précédemment.
Dès lors qu’un groupe s’affranchit des procédures que vous-mêmes, législateurs, avez définies, ma responsabilité de ministre de l’économie et des finances est de dire non à son investissement. Protéger n’est pas un gros mot.
Par ailleurs, comme je l’ai déjà indiqué, Carrefour a montré ses capacités de rebond au travers de l’opération que le groupe vient de lancer au Brésil. J’en félicite la direction et les salariés de Carrefour, car c’est bien la preuve que ce groupe a su se réinventer et innover au cours des derniers mois.
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour la réplique.
Mme Maryse Carrère. Monsieur le ministre, je ne conteste absolument pas votre décision relative au rachat de Carrefour par ce groupe canadien. Lorsqu’un secteur emploie 300 000 personnes en France, il mérite la protection de l’État, car on peut à bon droit le considérer comme stratégique.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, ce débat aurait pu s’intituler : « À quoi joue l’État, ou plutôt l’exécutif, dans l’affaire Suez-Veolia ? »
Cela fait maintenant plusieurs mois que nous assistons à une mauvaise partie de Monopoly. Le premier coup de dés fut la privatisation d’Engie au travers de la loi Pacte, et sa scission en deux entités selon le plan Clamadieu – équivalent du plan Hercule pour EDF – pour qu’une partie de ses activités soit revendue à Total.
Puis, vous avez enchaîné avec la vente des parts de Suez que possédait Engie, pourtant stratégiques, à Veolia qui, grâce à ce cadeau, a pu lancer son OPA hostile. L’enjeu de la partie consiste à gérer la majeure partie de l’or bleu de notre pays, les déchets et les services à l’environnement indispensables pour assurer la transition écologique.
Comment expliquer, comment croire que le projet d’absorption de Suez ait pu surprendre par sa rapidité d’exécution l’État, à la fois comme puissance publique et comme actionnaire d’Engie, mais aussi de Veolia, puisque la Caisse des dépôts et consignation en est le premier actionnaire ?
Après Alstom, Nokia, Technip, Engie, General Electric, les Chantiers de l’Atlantique, la volonté de privatiser ADP et de casser EDF, nous assistons aujourd’hui au démantèlement d’un champion français de la transition écologique.
Je constate que vous avez en horreur les monopoles lorsqu’ils sont publics et que vous estimez alors qu’il faut organiser la concurrence. En revanche, cela ne vous dérange absolument pas que des monopoles privés se constituent au seul profit des actionnaires et au détriment des usagers, des salariés et des collectivités.
Dès lors, la seule question est la suivante : quand l’exécutif décidera-t-il d’arrêter la grande braderie afin de permettre à l’État de jouer son rôle de garant de l’intérêt général, de stratège et d’actionnaire ? En tant que bien commun, l’eau ne devrait-elle pas faire partie des secteurs stratégiques et, à ce titre, comme l’avait indiqué le président Macron, être tenue en dehors des lois du marché ? Nous pourrions ainsi œuvrer à la création d’un grand service public de l’eau.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Monsieur le sénateur, cette grande braderie nous coûte fort cher, puisque nous rachetons au contraire un certain nombre d’actifs et que nous prenons des positions.
M. Fabien Gay. Dans quelle société ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Désormais, les Chantiers de l’Atlantique, que vous avez cités, sont à 85 % sous contrôle public. Je n’appelle pas cela une braderie.
M. Fabien Gay. Parce que vous n’avez pas réussi !
M. Bruno Le Maire, ministre. De même, nous avons pris des positions pour protéger Ascoval-Hayange. Et je pourrais ainsi multiplier les exemples d’interventions de l’État qui ont permis de protéger notre outil industriel.
M. Fabien Gay. Donnez-en au moins un !
M. Bruno Le Maire, ministre. Par ailleurs, accorder 330 milliards d’euros de prêts garantis par l’État pour soutenir notre économie comme nous l’avons fait est encore la meilleure façon d’éviter la braderie que vous redoutez. (M. Fabien Gay ironise.)
S’agissant d’EDF, je tiens également à répondre à vos inquiétudes. Dans les années à venir, l’électrification des usages sera un défi considérable. Nous devons produire de l’électricité immédiatement disponible et à un coût raisonnable. En la matière, EDF a un rôle fondamental à jouer.
M. Fabien Gay. Nous sommes d’accord.
M. Bruno Le Maire, ministre. La transformation d’EDF que nous appelons de nos vœux vise à maintenir un prix de l’énergie qui soit suffisamment rentable pour que l’entreprise puisse investir.
M. Fabien Gay. Stoppons l’Arenh !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je rappelle qu’il y a des lois et des règlements et que, si nous n’intervenons pas, cette régulation du prix de l’énergie s’arrêtera. Nous nous battons pour son maintien : vous devriez nous en être reconnaissants !
M. Fabien Gay. Stoppons l’Arenh !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous nous battons pour maintenir l’unité d’EDF, ce grand service public de l’énergie : vous devriez nous en être reconnaissants !
M. Fabien Gay. Non !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous nous battons aussi pour préserver le nucléaire. (M. Fabien Gay ironise.) Je crois à cette énergie, car j’estime qu’elle est indispensable si nous voulons disposer d’électricité à un coût raisonnable, faiblement émettrice de CO2 et capable d’alimenter tous les usages à venir, qu’ils soient industriels, avec le développement de l’hydrogène, ou privés, du fait du développement de la voiture électrique et d’autres usages électriques. Nous continuons de progresser dans les négociations avec la Commission européenne à ce sujet.
Vous m’avez demandé si j’étais prêt à recevoir les syndicats d’EDF pour discuter de nos propositions : ma porte est toujours ouverte. D’ailleurs, la ministre de la transition écologique et moi-même recevrons les syndicats d’EDF dans les jours qui viennent pour leur expliquer nos intentions et nos ambitions pour EDF, écouter leurs critiques et leurs propositions et bâtir ensemble le meilleur projet possible pour EDF.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga.
M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le ministre, nous sommes attachés à la constitution de champions nationaux et européens afin de peser sur la compétition internationale. Tel est d’ailleurs le principal argument utilisé par les promoteurs de la fusion entre les entreprises numéro un et deux du secteur du retraitement des déchets et de l’eau.
Toutefois, une éventualité n’est que peu évoquée ou documentée : le veto des autorités européennes de la concurrence qui auront à traiter cette affaire, et qui, de manière similaire, avaient exercé leur droit de veto contre la fusion d’Alstom et de Siemens en février 2019. Il est rare que de tels mariages entre deux acteurs déjà champions dans leur domaine soient autorisés.
Or trois arguments allant dans ce sens pourraient être pris en compte.
Premièrement, la réalisation d’une telle fusion pourrait être conditionnée à une exigence de désinvestissements, ce qui réduirait d’autant sa pertinence.
Deuxièmement – certains de mes collègues l’ont évoqué –, les parties prenantes, au premier rang desquelles les collectivités territoriales, soulignent à raison les bienfaits de la concurrence en termes de prix et de qualité de service.
Troisièmement, une telle fusion suscite des inquiétudes quant à l’emploi et à la valeur de la future entité, alors que les bienfaits d’une croissance par la taille critique, par l’innovation et la signature de nouveaux marchés concernant ces deux acteurs tricolores complémentaires sur la scène internationale sont potentiellement surestimés.
Alors que l’idée défendue par la France d’une réforme du règlement européen sur les concentrations n’est pas à l’ordre du jour, et alors que la méfiance européenne envers les grands groupes est bien d’actualité comme le démontre le cas d’EDF, où en sont vos discussions avec la Commission européenne, monsieur le ministre ? Vous inquiétez-vous d’un éventuel veto européen ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Monsieur le sénateur, vous posez deux questions liées, mais différentes.
La première porte sur le maintien de la concurrence entre Veolia et Suez. Je répète que nous y sommes attachés. Ce projet de rapprochement peut poser des difficultés du point de vue de la concurrence. J’ai eu l’occasion d’en discuter avec la commissaire européenne à la concurrence, Mme Margrethe Vestager. Je poursuivrai ce dialogue, car n’oublions pas que, au bout du compte, c’est la Commission européenne qui donnera ou non le feu vert à cette opération. Il est donc légitime que je sois en contact régulier avec la Commission européenne sur ce point.
Vous avez unanimement appelé à juste titre au maintien d’une saine concurrence dans le domaine du traitement des déchets et de la gestion de l’eau. Vous pouvez compter sur ma mobilisation et sur la très grande attention avec laquelle je défendrai ce sujet devant de la Commission européenne.
Votre deuxième question porte sur le sujet plus global du maintien d’un cadre concurrentiel adapté à la réalité de la situation économique mondiale. Il y a quelques mois, à l’occasion du projet de fusion entre Siemens et Alstom, mon homologue allemand Peter Altmaier et moi-même en avons appelé à l’adoption d’un cadre plus global et plus pertinent sur les marchés, découlant d’une analyse à la fois mondiale et dynamique. Nous continuons à défendre à cette nouvelle approche du droit de la concurrence en Europe, car aujourd’hui, une approche mondiale et dynamique est plus pertinente qu’une approche locale et statique. Nous devons notamment tenir compte de la rapidité avec laquelle nos concurrents étrangers peuvent monter en gamme et en puissance.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que je continuerai à défendre ces deux points auprès de la Commission européenne.
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Monsieur le ministre, depuis sept mois maintenant, le capitalisme à la française se déchire par médias interposés et devant les tribunaux. Depuis sept mois maintenant, les salariés de Suez et de Veolia sont inquiets pour leur avenir. Depuis sept mois maintenant, les collectivités qui doivent renouveler leur contrat s’interrogent. Depuis sept mois maintenant, l’image des deux champions français s’abîme sur la scène internationale. Depuis sept mois, finalement, seuls les banquiers d’affaires et les avocats se frottent les mains.
Il faut désormais sortir de cette crise collectivement. C’est pourquoi, cet après-midi, je vous propose modestement une solution de sortie de crise : demandons aux salariés de Suez, via leur intersyndicale, de construire et de soumettre publiquement un cahier des charges aux actionnaires actuels et futurs.
Ce cahier des charges porterait notamment sur les garanties sociales et sur les effectifs ; sur la participation des salariés au capital de l’entreprise ; sur l’investissement dans les activités et dans les métiers de demain ; sur la présence d’actifs en France et à l’international permettant d’assurer la pérennité et le développement du futur groupe Suez ; sur les activités sur tout le territoire, le partenariat avec les collectivités et le service aux usagers ; et enfin, sur la création d’une fiducie garantissant la tenue des engagements.
Cette démarche publique tournée vers l’avenir serait garantie par le Parlement et par l’État. Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à soutenir publiquement cette démarche d’élaboration d’un cahier des charges et de rassemblement ?