M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Monsieur le sénateur, cette démarche est assez proche de la nôtre. En effet, depuis le début de notre débat, c’est bien un cahier des charges que je vous propose afin de faire de cette opération non pas un déchirement entre deux grandes entreprises françaises, mais un succès.
Maintien de la concurrence, préservation des emplois, préservation de l’empreinte industrielle : tel est le cahier des charges que nous proposons.
Nos positions sont assez proches, et je crois qu’elles rejoignent aussi les préoccupations exprimées à plusieurs reprises par les salariés de Suez.
Il appartient à présent à ces deux entreprises, dont je rappelle qu’elles sont privées, de se saisir de ce cadre global et d’en faire un atout.
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour la réplique.
M. Rachid Temal. Monsieur le ministre, il y a une différence entre votre proposition et la mienne. Depuis maintenant sept mois, le rôle de l’État paraît abscons, si bien que votre voix n’est plus audible. C’est pourquoi je propose que les salariés eux-mêmes rédigent le cahier des charges et que vous, en tant qu’État, et nous, en tant que parlementaires, garantissions et accompagnions cette démarche.
Nos propositions ne sont pas identiques. Si toutefois vous jugez qu’elles peuvent se rejoindre et si vous en êtes d’accord, je me propose de vous soumettre ce cahier des charges. Ainsi, nous pourrons avancer dans l’intérêt des salariés de Suez et de Veolia.
M. le président. La parole est à M. Alain Cadec.
M. Alain Cadec. Gaulliste « canal historique » – vous me connaissez, monsieur le ministre –, je suis attaché au principe de l’intervention de la puissance publique quand il s’agit de défendre l’intérêt de la Nation et ce qui reste de son patrimoine industriel.
Nous avons là deux champions européens dans le domaine de l’eau, de l’assainissement et du traitement des déchets. Le respect de la juste concurrence permet aux collectivités de pouvoir les mettre en compétition pour leur délégation de services publics.
Aujourd’hui, Veolia lance une OPA hostile sur le groupe Suez après avoir racheté 29 % du capital de cette société à Engie, avec la bénédiction du Gouvernement – ne vous en déplaise, monsieur le ministre.
Certains nous expliquent que ce rachat déboucherait sur la création d’un « champion mondial » dans le domaine. Ne serait-il pas plus pertinent de garder deux champions nationaux, voire européens, comme le propose Suez, dans une solution qui serait négociée ?
Rappelez-vous, monsieur le ministre, les prétendus champions européens ou mondiaux que nous devions créer lors de la reprise d’Alstom par General Electric, ou bien celle d’Alcatel par Nokia, rapprochements soutenus par le Président de la République, encore ministre à l’époque ! On sait ce qu’il en est advenu.
À cette logique de fusion-absorption systématique, je préfère la saine concurrence qui renforce la créativité, l’innovation, et l’investissement massif en recherche et développement.
Je ne prendrai que deux exemples. Comment contester le statut de leader des groupes LVMH et Kering, ou bien encore celui des groupes EDF et Engie, pourtant concurrents en France ?
Monsieur le ministre, je crains qu’en matière de stratégie économique le Gouvernement ne suive la même pente que pour la gestion de la crise sanitaire, à savoir l’improvisation, les changements erratiques et l’absence de cap.
Comment expliquer aux Français que l’État n’intervienne pas dans la cession des parts qu’Engie possédait dans Suez, ouvrant ainsi la porte à la fusion des deux sociétés, et que le Gouvernement réclame ensuite le maintien des deux leaders, la protection de l’emploi et la préservation intégrale de la concurrence ? Vous pratiquez toujours le « en même temps » ! Où est l’État stratège ?
Monsieur le ministre, une bonne fois pour toutes, quelle est votre position sur ce dossier ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. De gaulliste à gaulliste, monsieur Cadec, nous défendons la même position, celle de la préservation d’une concurrence entre deux champions industriels français. Comme je le dis depuis le début de ce débat, je pense que c’est la bonne option. Maintenir cette concurrence permettra non seulement de préserver le plus grand nombre d’emplois possible, mais aussi de créer la compétition nécessaire, notamment pour faire évoluer les technologies et les usages. Nous nous rejoignons donc sur ce point.
Quant à la stratégie de l’État, elle est extraordinairement claire. Il s’agit tout d’abord de garantir la reconquête industrielle du pays : à cet égard, nous sommes la seule majorité depuis des années à avoir réussi à recréer des emplois industriels dans notre pays.
Il s’agit ensuite de favoriser les rapprochements d’entreprises lorsqu’ils sont pertinents et qu’ils donnent des résultats, notamment sur les technologies critiques. Nous l’avons fait dans le domaine des microprocesseurs en créant la très belle entreprise franco-italienne STMicroelectronics. Dans le domaine de l’optique, nous avons soutenu le rapprochement entre Essilor et Luxottica, qui fonctionne remarquablement bien. Quant au rachat par Alstom de Bombardier Transport, il est la preuve que la France détient des atouts considérables dans le secteur du transport ferroviaire.
Par conséquent, l’un des éléments centraux de notre stratégie est de savoir saisir toutes les occasions de consolider et de renforcer nos positions.
En revanche, dès lors que nous estimons que des technologies clés sont en jeu, nous nous opposons sans aucune hésitation à toute tentative de rapprochement.
Je n’ajouterai qu’un exemple à ceux que j’ai déjà cités : nous nous sommes opposés à ce que l’entreprise Photonis soit cédée à un leader américain qui est pourtant un partenaire régulier de la France, parfaitement respectable, car la ministre des armées Florence Parly et moi-même avons estimé qu’il s’agissait d’un élément stratégique dans le domaine de la vision nocturne.
L’autre volet de notre stratégie consiste donc à savoir refuser la cession de technologies dont nous considérons qu’elles relèvent de la souveraineté nationale.
Enfin, comme je l’ai dit dans mon intervention liminaire, nous souhaitons favoriser l’investissement, la recherche et l’innovation, parce que c’est ainsi que nos industriels pourront le mieux réussir.
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Prince.
M. Jean-Paul Prince. Monsieur le ministre, le projet d’OPA de Veolia sur Suez, s’il venait à se concrétiser, risquerait d’avoir des conséquences sur les délégations de service public d’eau et d’assainissement de nombreuses collectivités.
Une telle fusion pourrait certes avoir des retombées positives. Grâce aux économies d’échelle qui résulteraient de la création d’une entreprise unique, le coût des prestations effectuées pourrait diminuer. Je redoute cependant que l’inverse ne se produise dans notre pays.
En effet, de par leur taille et leurs compétences, Veolia et Suez sont des candidats incontournables à ces délégations de service public, et bien souvent les seuls. Mon inquiétude est que la fusion de ces deux entreprises ne mette fin à la saine concurrence qui profitait jusqu’alors à de nombreuses collectivités, et finalement à l’abonné local.
Une entreprise géante en situation de monopole aurait un pouvoir de marché très fort, trop fort pour de nombreuses collectivités délégataires dont elle serait le seul cocontractant possible. Ma crainte est que la création de ce géant mondial ne se traduise par une augmentation des prix qui pèserait sur les collectivités et sur nos concitoyens.
Diverses pistes, assez contradictoires, ont d’ores et déjà été suggérées pour éviter cette situation. Veolia a récemment proposé de céder les activités françaises de Suez en cas de fusion. Suez a commencé par faire état d’offres d’acquisition de ses activités françaises dans le domaine de l’eau et des déchets, avant de déclarer il y a quelques jours avoir rendu incessibles, par le biais d’une fondation, ses deux principales sociétés d’eau en France jusqu’en 2024. Veolia a alors saisi la justice. Au milieu de cette bataille juridique, financière et boursière, l’État paraît adopter une position de simple observateur et de nombreuses collectivités délégataires sont dans le brouillard.
Monsieur le ministre, je suis sûr que vous êtes parfaitement au fait de la situation. Je souhaiterais savoir quelle est la position de l’État sur cette question particulièrement sensible pour les collectivités de notre pays.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Monsieur le sénateur, si nous nous sommes efforcés de rapprocher les positions des deux entreprises, c’est précisément parce que nous sommes conscients des conséquences que leur fusion pourrait avoir sur la concurrence, et sur le prix qu’auront à payer les collectivités locales pour accéder à leurs services.
Je partage l’analyse qui est la vôtre, et je considère qu’il est préférable de maintenir une concurrence. C’est la raison pour laquelle nous sommes intervenus. Même s’il s’agit de deux entreprises privées, leurs activités touchent aux services publics, qu’il s’agisse de l’accès à l’eau ou de la gestion des déchets. De ce point de vue, il est plus sain de maintenir une concurrence entre les deux acteurs.
Je rappelle également qu’au-delà de la médiation dont j’ai parlé à la présidente Sophie Primas, nous avons engagé un dialogue avec la Commission européenne, qui est chargée de l’examen de cette opération, au titre du droit de la concurrence. Je redis que, in fine, il reviendra à la Commission européenne de donner ou non son feu vert à cette opération, du point de vue du droit de la concurrence. Voilà pourquoi je suis en contact régulier avec la commissaire Margrethe Vestager sur ce sujet comme sur d’autres.
M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, le projet de fusion entre Veolia et Suez inquiète à juste titre les élus locaux, qui redoutent la création d’une situation de monopole sur la gestion de l’eau et des déchets, premiers postes de dépenses des collectivités locales.
Certes, le président-directeur général de Veolia a rappelé qu’une superposition des activités « eau » de Veolia et de Suez serait impossible. Aussi, pour éviter cet écueil aux yeux des autorités de la concurrence, le rapprochement des deux entreprises permettrait de créer une nouvelle entité rassemblant l’ensemble des activités « eau » de Suez, ce qui en ferait le troisième opérateur mondial de la gestion de l’eau.
L’autre inquiétude concerne la préservation des emplois d’ingénierie et des sièges. Cependant, Veolia soutient qu’en plus de conserver les deux masses salariales, l’entreprise continuera d’embaucher.
Le projet, tel qu’il est présenté, semble donc fournir toutes les garanties demandées : pas de situation de monopole, pas de suppressions d’emplois, et même l’obligation pour les parties prenantes de s’engager devant les parlementaires qui auront un droit de contrôle et de sanction sur les engagements non tenus.
Pourtant, les élus locaux ne paraissent pas rassurés par les déclarations du président-directeur général de Veolia.
En effet, la situation de concurrence actuelle leur permet d’obtenir des conditions de contractualisation favorables. Face à un groupe unique en situation de monopole, ce qui adviendrait si la fusion avec Suez aboutissait, les élus craignent d’être désavantagés et de voir leurs marges de manœuvre fortement réduites. Alors que les collectivités subissent déjà depuis plusieurs années un contexte budgétaire extrêmement contraint, elles risquent de voir leur budget de fonctionnement encore grevé plus, si un monopole s’exerce sur les marchés de l’eau et des déchets.
Monsieur le ministre, comment l’État stratège entend-il répondre concrètement à ces deux légitimes inquiétudes et intervenir dans ce dossier, afin de garantir à la fois une saine concurrence dans les territoires et le maintien des emplois existants ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Je suis désolé de me répéter, au risque de vous ennuyer. Les questions que vous posez relèvent du droit des affaires, ce qui m’empêche d’aller plus avant dans les réponses que je pourrai vous faire.
Cependant, nous pouvons fixer ensemble le cadre de la discussion. En effet, le débat a fait surgir deux questions fondamentales sur lesquelles un accord global se dégage.
La première question porte sur la nécessité d’avoir une seule entreprise qui concentre l’intégralité de l’offre en matière de gestion des déchets et de l’eau. La réponse est unanimement négative : vous voulez de la concurrence, et nous en voulons aussi. Je considère en effet qu’elle est saine et nécessaire, notamment pour les collectivités locales.
La deuxième grande question à laquelle je crois que nous apportons très majoritairement la même réponse concerne la manière dont l’opération doit se faire : celle-ci doit-elle être inamicale et hostile, ou bien ne vaut-il pas mieux que les deux groupes trouvent une entente ? Il me semble que nous sommes tous unanimement favorables à un accord sur une base amiable. Je souhaite que les propos que nous avons tenus lors de ce débat particulièrement utile soient rapportés aux présidents des deux groupes, afin de les inciter à trouver un terrain d’accord. En effet, leur mésentente renvoie une image de l’industrie française et de la place de Paris qui n’a rien de positif.
M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.
Mme Viviane Artigalas. Nous avons effectivement tous la volonté de maintenir une saine concurrence. Cependant, monsieur le ministre, vous nous proposez des moyens qui ne sont pas sûrs. Or les élus locaux ont besoin de garanties fiables.
Plus un groupe est vaste, moins la concurrence peut s’exercer sainement. Il est essentiel que l’État intervienne sur ce point. Vous devez pouvoir faire pression sur ces deux présidents-directeurs généraux qui campent sur leurs positions respectives. Précédemment, certains projets de fusion et de rachat ont donné lieu, une fois réalisés, à de très mauvaises surprises.
Enfin, sur la question du maintien des emplois, il est urgent que l’État demande à Veolia de présenter rapidement les conséquences de son projet sur les sites de production, territoire par territoire.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Favreau.
M. Gilbert Favreau. Monsieur le ministre, dans un pays fortement centralisé comme la France, la question du rôle de l’État actionnaire se pose nécessairement.
Après une alternance, au XXe siècle, de périodes de fortes nationalisations et de périodes de privatisations, le portefeuille des entreprises à participation publique reste important.
L’actualité récente montre cependant que l’État n’a pas toujours été efficace dans son rôle de protecteur du patrimoine économique et industriel de la France. On peut citer, sans être exhaustif, son rôle récent dans la cession de quelques-unes des principales entreprises cotées en Bourse : le Crédit lyonnais, les Autoroutes du Sud de la France (ASF), Gaz de France, France Telecom et, plus récemment, Alstom.
Alors que le rôle de l’État consiste traditionnellement soit à accompagner le développement des filières stratégiques, soit à sauver les fleurons de l’industrie française, l’affaire Suez-Veolia exige que nous développions notre réflexion.
Monsieur le ministre, de votre propre aveu, cette affaire vous aurait « vacciné contre la participation de l’État au capital des entreprises », selon vos déclarations à un journaliste du Figaro. Cependant, elle ne semble pas vous avoir immunisé contre la tentation des interventions de l’État.
L’exemple le plus récent est l’affaire du projet de rachat de Carrefour par Couche-Tard, dans laquelle l’État s’est montré très efficace, puisqu’il a tout simplement menacé d’appliquer le décret relatif aux investissements étrangers en France.
Dans ces conditions, on peut légitimement s’interroger sur la nécessité, pour l’État, de rester actionnaire et de conserver toutes les participations qu’il détient actuellement. Celui-ci n’aurait-il pas intérêt à revoir sa stratégie dans deux directions complémentaires ? Il pourrait d’une part user de son pouvoir régalien pour infléchir certaines décisions, comme il l’a fait dans l’affaire Carrefour. Il gagnerait d’autre part à réorienter tout ou partie de ses participations dans des domaines qui détermineront l’avenir des Français.
Je pense bien sûr à la santé et au laboratoire Sanofi, mais aussi aux nouvelles technologies et à la maîtrise de la 5G par Huaweï, ou bien encore à toutes les technologies qui permettraient d’améliorer notre environnement.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Gilbert Favreau. La question vous est posée, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Je suis très heureux, monsieur le sénateur, que vous portiez ce débat au-delà de l’affaire Suez-Veolia, en abordant la question de la place de l’État dans l’économie. C’est un sujet majeur, dont l’actualité a été renforcée par la crise économique, car l’État a joué durant cette période un rôle de protection comme il ne l’avait pas fait depuis des décennies.
Cependant, au moment où nous sortirons de cette crise, il sera très important de définir clairement devant nos compatriotes, le rôle que nous souhaitons que l’État joue dans l’économie.
Pour moi, je le redis, l’État remplit trois fonctions essentielles, et je rejoins les propos que vous avez tenus. Premièrement, l’État doit protéger. Ainsi, lorsque l’ordre public économique n’est pas respecté, l’État est là pour dire le droit et le rétablir, notamment au profit des plus fragiles et des salariés.
L’État protecteur doit aussi protéger la Nation contre les investissements de pillage, qui ne visent qu’à récupérer les technologies, les start-up et les savoir-faire dans lesquels nous avons investi depuis des décennies. En effet, seuls sont bienvenus en France les investissements durables, porteurs d’emplois et créateurs de richesses. C’est grâce à cela que notre nation est la plus attractive d’Europe pour les investissements étrangers.
La deuxième responsabilité de l’État consiste à garantir la pérennité et la solidité des services publics qui font partie de notre culture économique et qui sont une fierté pour notre nation.
Dans le plan de relance, nous avons dégagé 20 milliards d’euros pour les entreprises publiques. Nous avons aidé Air France et Renault, nous continuerons d’aider la SNCF pour laquelle 4,5 milliards d’euros ont déjà été décaissés. Nous croyons aux services publics et nous les soutenons.
La troisième responsabilité de l’État est celle que vous venez d’indiquer, et je crois qu’elle est majeure, puisqu’il s’agit du développement de nouvelles filières industrielles qui ne seraient pas rentables sans le soutien de l’État.
Si l’État ne soutient pas le développement de batteries électriques, il n’y aura pas de production de batteries électriques en France, et nous continuerons à dépendre de la Chine et de l’Asie. Si l’État ne soutient pas le développement de semi-conducteurs chez STMicroelectronics ou ailleurs, il n’y aura pas de développement de semi-conducteurs, parce que l’investissement coûte trop cher et n’est pas rentable. Si nous ne soutenons pas massivement le développement de la filière hydrogène, aucun acteur privé ne pourra le faire seul, compte tenu du coût et du manque de rentabilité dans les cinq ou dix prochaines années. Le soutien de l’État est donc indispensable à cette nouvelle filière industrielle.
Je me réjouis que nous développions, en un an, davantage de filières industrielles, en France et en Europe, que tout ce qui a été fait depuis vingt ans.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel.
M. Stéphane Sautarel. Monsieur le ministre, que des entreprises veuillent conduire des stratégies de croissance et de développement, ou qu’un grand groupe veuille devenir le champion mondial des services dans le domaine de l’environnement : quoi de plus normal ?
Toutefois, l’État actionnaire, l’État régulateur, l’État stratège, tel que vous venez encore de le redéfinir selon des orientations que je partage, a un rôle à jouer et une place à tenir pour veiller à l’équilibre et à la durabilité de telles opérations.
Cette OPA amicale, devenue hostile et très médiatisée, n’a été rendue possible qu’à la suite du rachat par Veolia, en octobre dernier, des 30 % du capital de Suez que possédait Engie. Or dans la mesure où l’État est le principal actionnaire d’Engie, il semble pour le moins ne pas s’être opposé au projet de Veolia. Il serait donc favorable à la création de ce géant mondial des services de l’environnement, dans des conditions de concurrence que vous nous avez précisées.
Sur le fond, cette opération soulève des interrogations, et je ne crois pas pour ma part aux arguments développés quant à la taille de l’entreprise, car le domaine économique concerné ne présente pas de rendements croissants. Je crains même que l’ambition internationale ne s’exerce au détriment du marché français et ne contribue à surenchérir le prix de l’accès à l’eau et de la gestion des déchets pour les collectivités et pour nos concitoyens.
Monsieur le ministre, pourquoi accepte-t-on encore les OPA hostiles dans notre pays ? Elles ont pratiquement disparu aux États-Unis et dans les pays du nord de l’Europe. Hormis la fusion de la BNP et de Paribas en France, elles ont presque toujours échoué. Plutôt que l’intérêt des seuls actionnaires, il suffirait de prendre en compte l’intérêt social de l’entreprise pour dépasser ces situations.
Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu’un encadrement renforcé des OPA hostiles serait nécessaire, non seulement pour réconcilier les Français et l’entreprise, mais aussi pour reconquérir notre souveraineté nationale ? Peut-on imaginer une juridiction indépendante qui veille au respect de l’intérêt social de l’entreprise ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Monsieur le sénateur, je partage votre raisonnement au sujet de la concurrence, et je n’ai cessé de défendre cette position depuis le début de notre débat. La taille d’une entreprise n’est pas forcément un gage de succès dans tous les secteurs économiques.
C’est un raisonnement un peu court que de considérer qu’il suffit de rassembler les acteurs et de rendre l’entreprise toujours plus grosse et plus importante pour lui garantir le succès. Si cela fonctionne dans certains secteurs, ce n’est pas forcément le cas dans d’autres. Je ne suis pas certain que ce soit la voie la plus pertinente dans le domaine de l’accès à l’eau et de la gestion des déchets, où il me semble plus intéressant de maintenir une concurrence entre les entreprises pour donner le choix aux collectivités locales.
Cette concurrence est-elle possible entre Veolia et Suez ? Oui ! Est-ce qu’un partage des activités peut être réalisé de manière raisonnable et satisfaisante pour les deux entreprises ? Oui ! Est-ce qu’il suffit de mettre de la bonne volonté pour y arriver ? Oui ! Que les acteurs fassent donc preuve de cette bonne volonté, et je suis convaincu qu’ils pourront y arriver.
En revanche, dans certains autres secteurs, très capitalistiques, comme l’industrie automobile, des consolidations sont nécessaires en raison des économies d’échelle. Compte tenu du prix des plateformes, de la nécessité d’investir dans le véhicule électrique, de renouveler complètement les chaînes de production, de développer la recherche sur les véhicules autonomes, il est indispensable de renforcer le secteur. De ce point de vue, la création de Stellantis, groupe issu de la fusion de PSA et Fiat Chrysler Automobile (FCA) est une très bonne nouvelle pour la France, l’Italie et l’Europe. Nous créons en effet un champion mondial, et l’entreprise qui sera plus solide dans ses aspects industriel, technologique et financier pourra amortir des coûts très élevés.
Enfin, je le répète, le caractère hostile de l’opération n’est pas conforme à l’image que nous voulons donner de notre économie, de nos industriels et de nos entreprises. Nous sortirions tous grandis si l’opération se faisait de manière amicale plutôt qu’hostile.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour la réplique.
M. Stéphane Sautarel. Monsieur le ministre, vous n’avez pas complètement répondu à ma question sur la nécessité d’outiller davantage l’État, pour éviter d’avoir à s’en remettre à la bonne volonté des acteurs.
Avant d’être parlementaire, j’ai suivi et soutenu l’évolution de la loi Pacte, que vous avez voulue. J’ai considéré avec passion les espoirs que le texte suscitait sur la transformation de notre rapport à l’entreprise, notamment à partir des travaux de la commission présidée par Jean-Dominique Senard, alors encore auvergnat, et par Nicole Notat. La loi Pacte ne devrait-elle pas éviter le type de situation dont nous débattons aujourd’hui ?
Le chemin vers la société à mission et vers la raison d’être de l’entreprise, par-delà sa profitabilité, est encore long. L’actualité le montre également dans d’autres dossiers. Il faudrait avancer dans cette voie.
M. le président. La parole est à M. Édouard Courtial.
M. Édouard Courtial. Monsieur le ministre, le rachat de Suez par Veolia est souvent présenté, à raison, comme la bataille de l’eau. En effet, cette opération est susceptible d’avoir des conséquences importantes et très directes non seulement pour nos concitoyens, mais aussi pour les élus locaux qui gèrent la ressource. Elle suscite, à ce titre, des préoccupations bien légitimes auxquelles l’État doit répondre, en prenant toutes ses responsabilités.
Ces inquiétudes s’expriment notamment au sujet de la cession éventuelle par Veolia de la branche « eau » de Suez au fonds d’investissement Meridiam, afin de garantir la poursuite d’une véritable concurrence.
En effet, il est impossible que la France ne compte qu’un seul géant de l’eau, dans la mesure où Veolia et Suez sont déjà pratiquement en situation de duopole sur ce secteur, puisque le groupe SAUR, qui constitue le troisième acteur, est bien plus petit.
Au terme des auditions conduites conjointement par la commission des affaires économiques et celle du développement durable, qui suivent ce dossier avec constance et précision, il est apparu que les responsables de Suez doutaient de la capacité du fonds à maintenir et à développer les savoir-faire de l’entreprise, et donc à exercer la pression concurrentielle promise.
En effet, Meridiam n’est pas spécialisé dans le secteur de l’eau. Certes, le fonds d’investissement réoriente ses actifs vers des activités relatives au développement durable. Cependant, dans la mesure où il gère 8 milliards d’euros d’actifs, quelle est sa capacité à absorber Suez « eau » dont le chiffre d’affaires est de plus de 2 milliards d’euros ? Écrasé par les dettes, sera-t-il contraint de désinvestir in fine presque la totalité de ce qu’il aura acheté ?
Monsieur le ministre, quelles garanties avez-vous obtenues de la part de ce fonds d’investissement ? En effet, dans cette opération, nous savons ce que nous perdons – deux champions internationaux français –, mais nous ne savons pas précisément ce que nous gagnons. Il revient à l’État, actionnaire minoritaire d’influence via Engie, de s’en assurer, afin d’éviter toute mauvaise surprise, comme elles ont pu se produire dans le passé, à l’occasion de cessions malheureuses.