compte rendu intégral
Présidence de M. Pierre Laurent
vice-président
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa,
M. Daniel Gremillet.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Veolia-Suez : quel rôle doit jouer l’État stratège pour protéger notre patrimoine industriel ?
Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème : « Veolia-Suez : quel rôle doit jouer l’état stratège pour protéger notre patrimoine industriel ? »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd’hui a pour vocation d’éclairer le rôle que doit jouer l’État dans la définition de notre politique industrielle. Cette question, centrale en temps normal, devient essentielle en temps de crise. Depuis un an, l’épidémie de covid-19 agit comme un révélateur des failles de notre société ; les fragilités de notre modèle industriel sont apparues en pleine lumière quand il a fallu faire face à des pénuries de produits qui, seuls, pouvaient nous permettre de lutter contre la maladie.
L’épreuve que nous traversons a néanmoins un intérêt : elle remet enfin au centre du débat public la question de la reconquête industrielle. C’est donc notre conception de la souveraineté nationale dans ce domaine qui est interrogée.
Pour illustrer ces thèmes, il est apparu au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain que ce que l’on peut légitimement qualifier d’« affaire Veolia-Suez » était une clé d’entrée pertinente.
Le 30 août dernier, Veolia, numéro un français de la gestion de l’eau et des déchets, annonce son intention de racheter le numéro deux, Suez, son concurrent historique, en se portant candidat à l’acquisition des parts qu’Engie avait annoncé céder. Depuis lors, nous suivons les aléas d’une offre publique d’achat (OPA) qui n’avait d’amicale que le nom et qui a fini par assumer son caractère hostile.
On pourrait y voir le déroulement normal d’une opération économique entre deux grands groupes industriels. On pourrait accepter cet état de fait et se dire qu’il s’agit d’une situation classique dans une économie de marché mondialisée dans sa pire acception, c’est-à-dire non régulée.
Or nous ne sommes pas prêts à accepter ce qui se déroule depuis plusieurs mois, et ce pour deux raisons : d’une part, le rôle de l’État, de l’autre, les conséquences qui pourraient découler de cette affaire.
Depuis le départ, je vous le dis franchement, monsieur le ministre, la position de l’État n’est pas claire. La rapidité de l’offensive menée par Veolia interroge.
Vous me répondrez que vous avez œuvré pour qu’un délai supplémentaire soit accordé afin que Suez puisse soumettre une offre alternative. Certes. Objectivement, toutefois, un délai de cinq jours paraît bien court…
Vous me direz également que les représentants de l’État se sont opposés à la cession des parts d’Engie à Veolia. Leur vote n’a pourtant été que symbolique, tant les autres parties, qui auraient pu rejoindre leur position, ont fait basculer très opportunément le vote final en s’abstenant ou en quittant la salle.
Pouvons-nous, pouvez-vous, accepter un tel camouflet ? Aujourd’hui, Veolia détient 29,9 % des parts de Suez.
Encore récemment, la proposition des dirigeants de Suez en date du 21 mars dernier a été rejetée par Veolia et la voix de l’État n’a pas été entendue, alors que cela aurait pu aboutir au rapprochement amical que vous appelez de vos vœux.
Pour toutes ces raisons, et bien d’autres que mes collègues développeront, l’action de l’État pose question. Elle me semble bien timide et n’a, pour l’heure, pas obtenu de résultats.
Si vous ne représentiez qu’un actionnaire privé, monsieur le ministre, les marchés vous auraient sanctionné après avoir constaté la faible efficacité de votre action et le manque de rentabilité de votre travail. Or vous n’êtes pas un actionnaire comme les autres : vous représentez l’intérêt général.
Et les conséquences pour l’intérêt général sont bien réelles ! Vous les connaissez, car, dans une interview du 29 septembre 2020, vous avez vous-même défini, et à juste titre, les quatre conditions préalables à tout rachat : protection de l’emploi, protection de l’empreinte industrielle, offre à majorité française, offre amicale.
À ce stade, nous constatons que ces conditions ne sont pas remplies.
À ce stade, vous n’avez pas été en mesure d’apporter des garanties à la représentation nationale, pas plus – c’est peut-être plus grave – qu’aux salariés concernés.
Comment pouvez-vous nous garantir que cette OPA n’emportera pas de conséquences sociales, environnementales et territoriales qui affecteraient durablement notre pays ?
Comment pouvez-vous nous garantir que les intérêts des collectivités locales – donc ceux de nos concitoyens –, très sensibles à cette affaire, seront préservés ?
Comment pouvez-vous nous garantir que la compétitivité d’un nouveau groupe d’une telle taille ne soit pas fortement menacée ?
Comment pouvez-vous nous garantir que cela ne favorisera pas l’apparition d’acteurs low cost défendant un moins-disant social ?
En conclusion, monsieur le ministre, nous voulons vous entendre aujourd’hui sur les choix politiques découlant d’un laisser-faire dommageable à nos yeux, qui n’incarnent plus l’intérêt général et qui conduisent à remettre en cause une véritable politique industrielle. Or celle-ci nous semble au contraire devoir être réinventée aujourd’hui, notamment au regard de la crise.
En cette période si particulière, le choix n’est pas entre moins d’État et mieux d’État, mais il doit être celui de la reconstruction d’un État stratège en matière industrielle. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Hervé Gillé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’OPA se voulait amicale, mais les hostilités ne cessent pas, dans un contexte pandémique provoquant des incertitudes financières. Était-il vraiment opportun pour le groupe Engie de vendre ses participations dans Suez ?
Le Gouvernement a, semble-t-il, désapprouvé ce mouvement dans un premier temps, alors que la Caisse des dépôts et consignations (CDC) a salué, par la voix de son directeur général, une « OPA amicale », rompant ainsi avec sa neutralité classique. Faut-il le rappeler ? La CDC pèse 10 % des droits de vote au sein de Veolia. Pourtant, son conseil de surveillance n’a pas donné son avis sur cette opération.
Toujours est-il que les 18 euros de l’offre d’achat initiale sont désormais le niveau atteint par l’action de Suez, ce qui laisse rêveur quant aux dernières spéculations.
En raison de l’ampleur de cette OPA, la commissaire européenne à la concurrence est désormais saisie, en relation avec l’Autorité de la concurrence de notre pays. Il faut en effet en interroger les effets collatéraux, notamment sur le marché français. Collectivités locales et territoriales, syndicats, régies font maintenant face à l’incertitude sur les évolutions et les dévolutions du marché.
La séquence pose question pour de nombreux décideurs. Elle crée, sans aucun doute, un appel d’air sans précédent pour les concurrents intermédiaires, soucieux de peser davantage et dans l’attente de cessions d’actifs imposées par les autorités.
Il est difficile de percevoir le véritable projet industriel de Veolia. Nos auditions dans le cadre d’un comité de suivi sur les conséquences économiques et environnementales de la fusion entre Veolia et Suez n’ont pas permis, en l’état, de mettre en évidence un risque concurrentiel des opérateurs chinois à l’international et encore moins sur le marché français.
À l’inverse, la séquence renforcera la financiarisation des deux opérateurs, alors qu’il faudrait un ancrage actionnarial portant une vision à long terme. Le risque de l’entrée de fonds activistes et purement spéculatifs est réel et inquiétant.
Engie aurait pu développer des coopérations industrielles mariant des compétences énergétiques et environnementales en travaillant sur la numérisation des données dans une approche de smart city très attendue. Le groupe a préféré vendre, une stratégie peut être plus politique qu’industrielle.
Quelles seront les incidences de ces évolutions sur l’ensemble des usagers, sur les collectivités locales et territoriales et sur les syndicats ?
Prenons un exemple en tenant compte des concentrations actuelles. En remportant la délégation du service public pour la gestion de l’ensemble des incinérateurs de la métropole bordelaise, Veolia a implicitement créé un différentiel de prix important entre la métropole et le reste du département, dans un marché captif en raison de l’absence de concurrence. À l’heure des coopérations territoriales, c’est un exemple provocant.
Suez multiplie aujourd’hui les projets de cessions ; Veolia y voit une volonté d’amplifier les dividendes pour consolider sa majorité et sa gouvernance dans la tempête actuelle, mais ni les usagers, ni les collectivités, ni les salariés n’en sortiront gagnants.
Il faut siffler la mi-temps, mais comment finir le match ? Monsieur le ministre, le souhaitez-vous ? En avez-vous les moyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la position de l’État sur Veolia et Suez a été constante : nous souhaitons que cette opération se fasse dans un cadre amiable, nous refusons que le conflit l’emporte sur le dialogue et nous refusons la guerre de tous contre tous, qui ne fera que des perdants.
Pour répondre à la question de Patrick Kanner, l’État a fixé des conditions pour décider de soutenir ou non la cession par Engie de sa participation dans Suez à Veolia, puisque l’État est actionnaire – actionnaire minoritaire, je le rappelle – d’Engie : la pérennité de l’emploi – sujet évidemment majeur –, la logique industrielle, la préservation d’une offre concurrentielle, essentielle pour les collectivités locales auxquelles vous êtes particulièrement attachés, l’intérêt patrimonial, l’État étant actionnaire d’Engie.
Veolia a pris un certain nombre d’engagements sur ces points, notamment sur l’emploi, sur l’investissement et sur le maintien de la recherche et du développement en France. J’ai toutefois toujours été très clair sur le fait que cette opération devait être amicale, c’est-à-dire acceptée par le conseil d’administration de Suez et par l’ensemble des parties prenantes.
Dans cette affaire, monsieur le sénateur, j’ai pris mes responsabilités. Dès lors que cette offre n’était pas acceptée par le conseil d’administration de Suez, j’ai demandé que le représentant de l’État au conseil d’administration (CA) d’Engie vote contre la cession des participations d’Engie dans Suez. Nous n’avons pas été suivis par le reste du conseil d’administration ; j’ai dit que je le regrettais, mais je rappelle que nous ne sommes pas majoritaires.
Cela pose d’ailleurs un certain nombre de questions sur la participation de l’État dans certaines entreprises, puisqu’il se retrouve finalement juge et partie.
M. Fabien Gay. Cela ne sert à rien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je suis heureux de l’entendre dire !
Dans certains cas, l’État ferait mieux de défendre l’intérêt général en dehors des entreprises plutôt que l’intérêt général dans les entreprises, sauf pour des services publics ou certaines entreprises stratégiques.
C’est la position constante que je défends depuis quatre ans que je suis ministre de l’économie, des finances et de la relance et cette affaire n’a fait que me conforter dans cette conviction que l’État a sa place dans les grands services publics et dans quelques entreprises stratégiques.
Pour le reste, je le répète, l’État se retrouve très vite juge et partie. Devant défendre son intérêt patrimonial et l’intérêt général, il est déchiré entre deux obligations contradictoires. La meilleure façon de trancher ce nœud gordien, c’est d’accepter que l’État se retire des participations dans les entreprises qui ne sont pas stratégiques.
Cela ne l’empêche pas de jouer un rôle important dans notre économie et dans l’industrie, bien au contraire. Cette crise économique a montré que nous avions besoin d’un État fort et responsable dans le domaine économique, pour fixer des orientations, pour garantir l’attractivité de notre territoire, pour faciliter le financement de l’innovation et de la recherche qui fera la puissance de la nation française et de l’Europe au XXIe siècle.
De ce point de vue, je tire quatre leçons de la crise actuelle pour la définition de la place de l’État dans l’économie.
La première responsabilité de l’État est de faire en sorte que la France soit attractive pour les investisseurs étrangers dont dépendent nombre d’emplois.
Toutes les décisions que nous avons prises – baisse de l’impôt sur les sociétés, baisse de l’impôt de production, indispensable pour l’attractivité industrielle du pays –, tous les choix que nous avons faits avec le Président de la République depuis 2017 nous ont permis de devenir le pays le plus attractif pour les investissements étrangers en Europe. C’est un bon résultat. C’est à l’État, et à l’État seul, qu’incombe la responsabilité de rendre la nation française attractive.
La deuxième fonction de l’État, et elle est vitale au lendemain de cette crise où les innovations technologiques vont s’accélérer, est de financer les investissements dans l’innovation, de faire le choix des innovations de rupture, de soutenir sans cesse l’investissement, l’investissement et toujours plus d’investissement.
Ainsi, le maintien du crédit d’impôt recherche (CIR), le soutien à la recherche fondamentale, l’identification des chaînes de valeur, qui est venue non pas d’en haut, car nous ne sommes plus dans les années 1960, mais des chercheurs, des industriels, des économistes, de ceux qui sont au plus près du terrain et des attentes des consommateurs, nous ont permis de définir un certain nombre de nouvelles filières dans lesquelles la France va investir : l’hydrogène, le calcul quantique, les biotechnologies, l’agroalimentaire, les batteries électriques. Il s’agit pour nous de conserver la valeur issue de la production de véhicules électriques en France, plutôt que de la laisser partir à l’étranger, en Asie ou ailleurs. Encourager l’innovation, soutenir l’investissement, c’est pour moi la deuxième fonction essentielle.
La troisièmement mission de l’État, c’est la défense d’un modèle social auquel nous sommes attachés. Cette singularité française s’appelle les services publics et ils sont une fierté de notre pays. Avoir un grand service public ferroviaire, un grand service public de l’électricité, avec EDF, c’est une fierté française. (M. Fabien Gay s’exclame.) Cessons de considérer que ces services publics seraient un poids pour notre pays. Ils sont au contraire, à mon sens, un atout, un facteur d’attractivité et un garant d’efficacité.
Cela justifie d’ailleurs que nous ayons déployé plus de 4,5 milliards d’euros dans le plan de relance pour la SNCF. Selon moi, il s’agit d’un bon investissement et c’est pourquoi nous négocions pied à pied avec la Commission européenne une réforme d’EDF qui maintienne l’unité de cette grande entreprise énergéticienne.
Je veux le dire à cette tribune avec beaucoup de force : nous refuserons tout démantèlement d’EDF. Nous voulons la transformer pour qu’elle investisse davantage, notamment dans les énergies renouvelables, et cela peut se faire en maintenant l’unité du groupe. Avec le Président de la République, c’est notre ambition.
Enfin, la quatrième responsabilité de l’État, c’est de protéger : protéger nos technologies, nos savoir-faire, notre indépendance. Ne soyons pas naïfs sur le monde dans lequel nous entrons. Les investissements sont parfois des investissements de pillage et non de développement.
Les investissements de développement, ceux qui créent des emplois sur notre territoire, qui permettent de développer nos entreprises, d’accroître l’activité sur les territoires, sont les bienvenus en France. En revanche, les investissements de court terme qui s’intéressent uniquement à une technologie dans une PME ou une entreprise de taille intermédiaire (ETI) française, pour se l’approprier puis se retirer au bout de quelques mois ou de quelques années, ne sont pas les bienvenus. Ce sont des investissements de pillage et nous les refusons.
Nous avons utilisé le décret relatif aux investissements étrangers en France à 275 reprises en 2020, précisément pour stopper ces investissements et protéger nos technologies. Je me réjouis que l’Union européenne, à son tour, ait pris conscience de cette nécessité et avancé dans cette voie.
Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, l’idée que nous nous faisons de l’État dans l’économie. Il a un rôle essentiel à jouer, mais celui-ci doit être clairement défini : créer un environnement favorable à l’investissement, encourager l’innovation, préserver nos services publics, protéger nos technologies de pointe. Voilà ce à quoi je m’attache depuis près de quatre ans.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le ministre, depuis le mois d’août 2020, les salariés des entités et filiales de Suez et de Veolia sont inquiets pour leur avenir. Les clients, usagers et autres contractants de ces groupes le sont tout autant. C’est le cas des collectivités territoriales dont nous sommes les représentants.
Pour nous, parlementaires nationaux en charge notamment du contrôle des autorités exécutives, de nombreuses questions demeurent sur l’attention et l’action des pouvoirs publics et de l’État actionnaire. Nous avons constitué ici même un comité de suivi sur les conséquences économiques et environnementales de la fusion entre Veolia et Suez auquel j’ai l’honneur de participer.
Monsieur le ministre, je souhaite aujourd’hui regarder avec vous, non pas vers le passé, mais vers l’avenir de ces deux groupes, qui sont tous deux issus d’une longue et prestigieuse histoire et qui sont particulièrement performants, en France, en Europe et dans le monde.
Ils sont présents, l’un et l’autre, dans des activités qui sont à maturité sur le marché français et, pour se développer et rester compétitifs, ils doivent bénéficier de la dynamique du marché mondial. Le risque est grand, pour l’entité dont les activités seraient principalement circonscrites à la France, de voir sa pérennité remise en cause à terme.
Quel avenir, en cas de fusion, pour la part de ces activités jugées moins stratégiques et cédées ? Même si celles-ci échappaient à la vente à la découpe, quelle dynamique interne auront-elles, coupées des activités avec lesquelles elles développaient des synergies ?
Depuis la fin de l’été 2020, l’annonce de la vente des parts d’Engie dans Suez a été suivie de déclarations parfois discordantes au sein de l’État. Quelle était alors réellement la stratégie de l’État actionnaire et de son levier opérationnel qu’est l’Agence des participations de l’État (APE) ? Celle-ci a-t-elle fait connaître à Engie des demandes particulières en termes de dividendes ou de valorisation boursière ?
Comment l’État actionnaire entend-il agir désormais pour réussir sa médiation et assurer le développement, à l’international et en France, de groupes français performants, efficaces, offrant un service essentiel à nos concitoyens ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Madame la sénatrice, je vous remercie de vous tourner vers l’avenir ; c’est la bonne méthode. Il ne sert à rien de pleurer sur le lait renversé, mieux vaut essayer de voir ce qui peut être construit à l’avenir.
Ma conviction reste la même. Deux voies sont possibles dans les semaines et les mois à venir : soit ces deux entreprises, qui, je le rappelle, sont privées, poursuivent dans la logique de l’affrontement – cela ferait beaucoup de dégâts inutiles, encore plus dans cette période de crise économique où les acteurs français doivent se rassembler et c’est pour cela que j’appelle chacun à faire preuve de sens des responsabilités –, soit ces deux grands industriels français, dans le contexte que nous connaissons, trouvent un terrain d’entente et ne cèdent pas à la facilité du conflit.
Ensuite, existe-t-il des possibilités d’accord sur les bases que vous indiquez ? Oui, trois fois oui ! Il est possible de maintenir deux grandes entreprises industrielles et de répartir les actifs entre l’une et l’autre. Des propositions ont été formulées de part et d’autre. Je souhaite que ces mains tendues soient saisies, que l’on parvienne à définir le périmètre de Veolia, celui de Suez, que les acteurs s’entendent et qu’ils trouvent un accord à l’amiable. C’est hautement préférable.
Les données sont sur la table, le choix appartient maintenant aux dirigeants de Veolia comme à ceux de Suez. À mon sens, il serait bon que, quelles que soient nos divergences sur certains points, un message simple et clair à destination de ces deux entreprises ressorte de nos débats : nous voulons la voie de l’accord et nous refusons la voie du conflit.
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour la réplique.
Mme Florence Blatrix Contat. Une solution doit en effet être trouvée. N’oublions pas que 60 % des fusions se soldent par un échec ; si cela se produisait, cela serait un terrible gâchis, alors que nous disposons actuellement de deux champions.
La richesse des entreprises – leur vrai capital – est aussi constituée des hommes et des femmes qui s’y consacrent tous les jours. Aujourd’hui, monsieur le ministre, mon vœu le plus cher, c’est que toutes celles et tous ceux qui font aujourd’hui la richesse de Suez et de Veolia ne soient pas abandonnés au profit d’une chimère.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Monsieur le ministre, quelques mots, tout de même, sur le lait renversé : je ne veux pas et je ne peux pas croire un instant que, dans les dernières années, le sort de Veolia et de Suez, deux pépites françaises de surface mondiale, fussent-elles des entreprises privées, ait été indifférent aux différents Présidents de la République, conseillers économiques ou gouvernements.
Que penser ? Que le Gouvernement ne nous a pas fait part des orientations définies qu’il souhaitait pour ces deux groupes ? Pire, que l’État n’a pas su jouer son rôle et insister auprès de Veolia et, comme l’a dit Patrick Kanner, auprès d’Engie, pour permettre l’émergence d’offres alternatives ?
La précipitation des acteurs et la contradiction apparente au sein même de l’État n’ont pas permis de prendre ce recul. Quelle destruction de valeur en seulement quelques semaines !
Aujourd’hui, les lignes bougent et, en creux, une négociation semble s’amorcer, peut-être sur votre initiative d’ailleurs, monsieur le ministre, autour de deux projets qui ont émergé ces derniers jours. Toutefois, le Sénat craint qu’amputer Suez de ses activités à l’international, comme le prévoit pour le moment l’offre de Veolia, ne prive l’entreprise de son potentiel d’innovation dans le futur, à son détriment et au détriment des collectivités territoriales.
Votre politique étant de permettre l’investissement, l’investissement et l’investissement, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, vous devez jouer un rôle dans ces négociations. Il s’agit en effet de protéger la compétitivité dans des services stratégiques, ceux de l’environnement.
Monsieur le ministre, on ne peut pas convoquer la Convention citoyenne pour le climat, on ne peut pas produire un projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets et accepter un bazar pareil entre deux entreprises majeures stratégiques de l’environnement.
C’est donc maintenant qu’il faut agir. Il existe encore une fenêtre d’opportunité jusqu’au 20 avril prochain, qui permet une médiation de l’État. Comment vos services sont-ils mobilisés pour faire aboutir une solution concertée, ambitieuse et pérenne ? Vous avez raison, l’important, c’est la vision que nous partageons sur ces services fondamentaux de l’environnement.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Madame Primas, la première responsabilité de l’État actionnaire concernait Engie et non Suez ou Veolia, qui sont des entreprises strictement privées. Notre souhait était de permettre à Engie de se développer et de se recentrer sur ses activités ; chacun sait qu’elle gérait un portefeuille d’activités trop diversifié et qu’il lui était nécessaire de simplifier et de clarifier sa stratégie industrielle.
Nous avons d’ailleurs veillé aussi à ce que le remplacement de la direction générale d’Engie se fasse dans de bonnes conditions. Mme MacGregor accomplit aujourd’hui un travail remarquable pour préciser la stratégie de l’entreprise dont, je le répète, l’État est actionnaire et au sein de laquelle il exerce donc une responsabilité actionnariale. Ce n’est pas le cas au sein de Suez ou de Veolia.
Ensuite, nous avons fixé un cadre général qui doit présider au rapprochement entre ces deux entreprises, j’y suis très attaché : maintien de la concurrence, préservation de l’emploi et garantie sur les technologies industrielles de pointe.
L’État souhaite-t-il intervenir et chercher à rapprocher les deux points de vue ? Ma réponse est oui. L’a-t-il fait ? Oui, nous l’avons fait au début et nous avons continué à le faire au cours des dernières semaines, puisque j’ai souhaité que le directeur général du Trésor lance une médiation entre les deux parties, Suez et Veolia, et essaie de rapprocher les deux positions. Je lui suis reconnaissant du travail tout à fait remarquable qu’il a réalisé à cette fin.
Je répète toutefois que l’État n’est pas partie à cette négociation ; il est là simplement pour servir d’arbitre, pour tenter de rapprocher les positions. Nous progressons et j’espère que, au bout du compte, la raison l’emportera et que les deux entreprises comprendront que leur intérêt patrimonial, industriel, réputationnel aussi, est de trouver un accord à l’amiable.
Madame la sénatrice, je vous réponds donc très clairement : oui, l’État a joué son rôle pour rapprocher les positions des deux entreprises.