M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Angèle Préville. Monsieur le secrétaire d’État, vous êtes récemment venu en visite dans mon département, le Lot, plus particulièrement sur le vaste territoire de la communauté de communes Causses et Vallée de la Dordogne. Si j’avais pu avoir un temps d’échanges avec vous, je vous aurais volontiers dit deux ou trois choses de ce territoire particulier, notamment que nous manquons de médecins, surtout de spécialistes.
Aménager le territoire, c’est garantir l’égalité d’accès aux soins, c’est-à-dire faire en sorte, par exemple, que toute Française puisse avoir accès à un gynécologue. Or, sur ce territoire de 48 000 habitants, il n’y en a qu’un seul ! La moyenne française étant de 17,6 pour 100 000 habitants, il nous en faudrait 8 !
Vous pouvez sans peine imaginer les conséquences. Elles vont de l’attente pendant des mois pour l’obtention d’un rendez-vous au renoncement aux soins, en passant par le fait de sortir du département, pour aller par exemple en Corrèze, en Dordogne ou dans le Cantal, et de parcourir des kilomètres pour consulter un spécialiste. Est-ce satisfaisant ? Il en résulte notamment de graves manques dans le suivi de santé des femmes. Les déserts médicaux ne sont pas une vue de l’esprit ; ils sont une triste réalité.
L’Occitanie, région pourtant attractive, est passée en dix ans d’une situation de surdotation à une situation de sous-dotation en professionnels de santé. Alors que nous manquons de praticiens et que le nombre de seniors dépendants devrait augmenter de 60 % en cinq ans, 70 % de ces médecins partiront à la retraite d’ici à 2026. Or les jeunes médecins, et leur choix est parfaitement respectable, n’assurent pas toujours le même nombre de consultations.
Si l’on ne remplace que les départs à la retraite, la fracture sanitaire va continuer à s’accentuer. La formation des médecins est dispensée par les établissements publics d’enseignement supérieur et est quasiment gratuite. Le coût moyen de formation d’un étudiant en médecine est d’environ 150 000 euros. Pourtant, les praticiens continuent de s’installer dans des zones surdotées quand l’État et les collectivités territoriales investissent dans les territoires sous-dotés.
L’aménagement du territoire n’implique-t-il pas de répondre aux besoins des habitants, dont la santé n’est pas le moindre, et de faire en sorte de les satisfaire ? Où en est-on, par exemple, du déconventionnement ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice, je vous aurais volontiers accordé un entretien privé si vous en aviez sollicité un lorsque je me suis rendu dans le Lot, comme j’en ai accordé à tous les élus du département qui en avaient fait la demande.
Nous sommes toujours sur le thème de la différenciation au bénéfice de territoires ruraux, voire de territoires urbains dépourvus de médecins, notamment de spécialistes.
Dans le cadre des maisons de santé, la mise en place de bureaux nomades avec des financements spécifiques est favorisée. Il s’agit précisément de pouvoir accueillir un certain nombre de spécialités, comme la gynécologie ou l’ophtalmologie, par exemple. J’ai moi-même monté des projets de maisons de santé sur des territoires où l’on m’expliquait qu’il était impossible d’avoir de la radiologie ou telle autre spécialité. Nous avons imposé la mise en place d’un système de radiologie dans une maison de santé de territoire sur une commune de moins de 800 habitants. En effet, il y avait beaucoup d’accidents de montagne, et nous voulions désengorger les urgences des hôpitaux.
Madame la sénatrice, il faut absolument, me semble-t-il, construire un projet territorial dans lequel nous pourrons avoir un dialogue sur le financement d’investissements nécessaires à l’implantation de la médecine spécialisée. Celle-ci sera sans doute nomade, afin d’avoir un médecin pouvant faire le tour de plusieurs maisons de santé pluridisciplinaires.
Certes, je sais bien que l’augmentation du numerus clausus n’est pas une réponse immédiate ; toutes les spécialités ne sont pas concernées de la même manière. Néanmoins, c’est la première fois depuis fort longtemps qu’un gouvernement exprime cette volonté de l’augmenter. Cela permettra d’améliorer le ratio entre le nombre de médecins et le nombre d’habitants sur l’ensemble des territoires.
Mme Marie-Claude Varaillas. Quand ?
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour la réplique.
Mme Angèle Préville. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Mais, à présent, nous voulons des résultats. Comment les propositions que vous formulez vont-elles se décliner dans les territoires ? Comme je l’ai mentionné, l’aggravation continue. Il faut des solutions bien plus concrètes pour répondre aux attentes des citoyens.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Demas. Alors que le projet de loi Climat et résilience va faire son entrée dans l’hémicycle de la Haute Assemblée, de même bientôt – nous l’espérons – que le projet de loi 4D, il est important de penser à l’avenir de nos espaces ruraux.
Si lutter contre l’artificialisation des terres est une nécessité partagée pour préserver ce bien commun qu’est notre environnement, il n’en demeure pas moins que nos espaces ne doivent pas être mis sous cloche et qu’il nous faut chercher un juste équilibre entre protection et dynamique de nos territoires ruraux. Or les outils mis en place jusqu’à présent par les politiques de l’État ne répondent qu’à un seul objectif : réduire, voire interdire l’utilisation de l’espace. Comment concevoir dès lors une ruralité attractive, vivante, dans la mesure où aucune solution autre que l’interdiction de construire n’est vraiment proposée ?
La crise sanitaire a confirmé l’engouement des Français à voir dans les campagnes l’accès à une meilleure qualité de vie. Alors que les villes manquent cruellement de logements, il existe un fort potentiel, sans construction nouvelle, dans les communes rurales, dont certaines souffrent de désertification. N’y aurait-il pas ici une occasion à saisir ?
Dans mon département, les Alpes-Maritimes, la petite commune d’Ascros a sauvé son école en lançant un appel pour que de nouvelles familles viennent s’installer dans des logements vacants de son village. Cela a été du gagnant-gagnant. Mais une telle initiative est malheureusement trop rare.
Monsieur le secrétaire d’État, un grand nombre de maires ruraux comptent sur la mise en œuvre d’un plan national ambitieux de résorption de la vacance et de transformation ou de rénovation de bâtis inoccupés pour revitaliser nos campagnes et accueillir des actifs. Qu’en pensez-vous ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice Demas, la vacance de logements est vraiment un enjeu majeur des territoires dits « détendus », qui sont pour la plupart des territoires ruraux. Ces zones concentrent environ 74 % du parc privé vacant.
Depuis plus de trois ans, le Gouvernement s’est clairement engagé pour la revitalisation de ces territoires, dont la rénovation des logements constitue véritablement un pilier majeur. Nous menons de front une politique ambitieuse d’attractivité et de développement des territoires en luttant contre la consommation d’espaces naturels, qui constituent un patrimoine vital pour la ruralité et l’ensemble de la France.
Nous avons lancé au mois de septembre dernier le programme « Petites villes de demain ». Les lauréats ont tous été annoncés en début d’année. Le programme concerne toutes les communes, sans plancher de taille, et a vocation à soutenir non seulement celles qui ont une fonction de centralité, mais également les bourgs alentours. Notre objectif est que chacune de ces communes et leur intercommunalité soient couvertes par des opérations de revitalisation de territoire (ORT). Celles-ci permettent en particulier de mettre en place l’avantage fiscal dit « Denormandie ancien » pour les Français qui souhaitent investir dans nos territoires en rénovant des logements, de renforcer le droit de préemption urbain et de faciliter l’installation et la rénovation des commerces. C’est évidemment intimement lié à l’attractivité des logements, donc à l’envie des Français de s’installer dans ces territoires.
Les ORT peuvent bénéficier à toutes les communes rurales, et rien n’empêche de s’y inscrire aux côtés de l’intercommunalité et de la ville centre. Le dispositif est simple, dès lors que la collectivité a une stratégie et des actions pour la rénovation de l’habitat. Comme vous le soulignez très justement, beaucoup de collectivités ont des stratégies innovantes.
En outre, nous allons renforcer dans le projet de loi 4D le dispositif en nous attaquant aux biens abandonnés des centres-bourgs. Ce sont souvent de véritables verrues, dont le propriétaire n’est absolument pas connu et que les collectivités ne peuvent pas récupérer pendant trente ans. Ce délai sera divisé par trois, ce qui permettra aux communes de conduire des projets d’aménagement.
Nous avons également mobilisé d’importants moyens financiers dans le plan de relance, qui prévoit 300 millions d’euros pour combler les déficits des opérations de recyclage ou de rénovation d’îlots bloquant fortement les opérations. Les remontées en cours sont importantes. Le plan connaît d’ailleurs un franc succès.
Je mentionne également le plan de lutte contre la vacance, qui concerne tous les territoires et qui vise à outiller les collectivités pour recenser les logements vacants et les outils disponibles aux échelons national et local et accompagner ainsi les propriétaires.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas, pour la réplique.
Mme Patricia Demas. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse, mais je crois qu’il faut aller encore un peu plus loin. En effet, des petites communes se retrouvent isolées malgré la volonté d’absorber ces manquements au logement. Il faut décomplexifier encore et encore les procédures et, surtout, donner de nouveaux moyens aux maires. Ces derniers sont dépourvus face à ce véritable fléau qu’est la vacance de logements en milieu rural.
M. le président. La parole est à M. François Calvet.
M. François Calvet. Ma question porte sur la coopération transfrontalière.
Le dernier sommet franco-espagnol du 15 mars, à Montauban, est l’annonce d’un véritable renouveau de cette coopération, qui semblait en panne de volonté politique du côté de la France. Pourtant, deux cadres existent, et ils pourraient être mieux exploités. Je fais référence au traité de Bayonne du 10 mars 1995, qui concerne les régions de part et d’autre des Pyrénées, ainsi qu’à l’accord de 2010 créant l’eurodistrict de l’Espace catalan transfrontalier. Ce groupement européen de coopération territoriale rassemble une zone plus resserrée : le département des Pyrénées-Orientales et la province de Gérone.
Beaucoup a déjà été fait pour permettre aux habitants de profiter d’équipements en commun. Je pense notamment à l’hôpital franco-espagnol de Cerdagne, exemple unique en Europe, à la station d’épuration des eaux usées sur le Sègre, affluent de l’Èbre, ou à l’abattoir transfrontalier d’Ur ; le domaine culturel n’est pas en reste, puisque nous avons plusieurs parcours transfrontaliers de routes patrimoniales. Mais tant reste à faire !
Monsieur le secrétaire d’État, la loi 4D inclura-t-elle des dispositions facilitant les coopérations entre les cantons et les villes de part et d’autre de la frontière, afin de permettre aux habitants d’accéder à plus d’équipements communs, comme une université transfrontalière ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Calvet, le projet de loi 4D reposant sur le principe de différenciation, il me paraît tout à fait légitime qu’il permette la prise en compte des spécificités de la coopération transfrontalière. Vous ouvrez une piste qui méritera d’être explorée pendant le débat parlementaire ; je vous en remercie. Comme je l’ai déjà souligné en réponse à la question de M. Marchand, une saisine rectificative du Conseil d’État porte d’ailleurs sur le sujet.
Je vous remercie d’avoir souligné la volonté politique affichée lors du sommet du 15 mars dernier en faveur du renouveau de la coopération transfrontalière franco-espagnole. Nous sommes plus qu’attentifs au développement des territoires qui bordent la frontière espagnole sur 600 kilomètres et qui concernent cinq départements ; c’est considérable. Je me suis d’ailleurs entretenu assez récemment avec mon homologue en Espagne, M. Paco Boya, secretario general para el reto demográfico.
Au moment où nous conduisons la concertation sur le programme Montagne, je n’oublie pas que la très grande majorité de ces territoires frontaliers sont situés en zone de montagne.
Il existe sur cette frontière beaucoup de structures de coopération. Vous avez mentionné l’eurodistrict de l’Espace catalan transfrontalier, qui permet au département des Pyrénées-Orientales et à la Généralité de Catalogne de mener des actions coordonnées. Il y en a beaucoup d’autres à l’échelle locale ; nombre d’entre elles s’inscrivent dans le cadre de programmes européens. D’ailleurs, je remercie vivement les élus de leur implication dans ces structures de coopération transfrontalière.
La déclaration du 15 mars appelle une amplification de la dynamique et prévoit le lancement d’un travail conjoint pour une nouvelle stratégie franco-espagnole sur cette frontière. Les sujets ne manquent pas. Bien entendu, il s’agit des passages transfrontaliers, qu’il faut décongestionner par de nouvelles solutions ne passant pas seulement par les deux extrémités des frontières. Ainsi, la mutualisation d’équipements peut être développée en surmontant quelques obstacles juridiques et administratifs. Vous avez évoqué l’hôpital de Puigcerdá en Cerdagne, que je connais très bien ; la coopération y est exemplaire.
Les enjeux relatifs à la biodiversité sont également importants. Je pense que nous pouvons mener des actions de coopération numérique, mais aussi améliorer l’accès aux services publics. J’aimerais bien que l’on réfléchisse à ce que ce seraient des espaces France Services transfrontaliers. Voilà qui serait, me semble-t-il, un très bel exemple de réflexion à lancer avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires.
M. le président. La parole est à M. François Calvet, pour la réplique.
M. François Calvet. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Notre pays a 2 913 kilomètres de frontières et est frontalier avec huit autres. Je pense que les zones frontalières ont toute leur place dans la loi 4D.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le secrétaire d’État, à une question concernant Orange en date du 15 octobre dernier de notre excellent collègue Guillaume Chevrollier, ici présent, vous répondiez : « Plusieurs déplacements officiels m’ont permis de constater dans divers départements […] les manquements que vous signalez à juste titre. » Puis, vous renvoyiez vers M. Cédric O, en expliquant que celui-ci allait voir avec l’Arcep, et que tout allait bien. Je vous ferai grâce de réponses similaires que le Gouvernement a déjà adressées au mois de janvier 2020 à Mme Monier ou le 21 mars 2019 à Mme Jourda.
Je ne doute pas que vous allez me faire la même réponse, en m’expliquant que tout va bien. Or, puisque vous avez été sur le terrain, vous avez pu constater, comme moi, des poteaux qui ne tiennent plus, des fils par terre, des responsables qui ne répondent pas quand on cherche à les joindre par téléphone, des délais qui ne sont pas respectés…
Comme nous avons la chance d’avoir un secrétaire d’État chargé de la ruralité, je crois que vous feriez œuvre utile en faisant en sorte que même les ruraux, dans l’attente de la 4G et de la 5G, puissent accéder au télétravail et, tout simplement, au service universel ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Paul Prince applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur de Legge, j’ai effectivement eu à répondre à une question similaire lors d’un débat ici, au Sénat.
Nous avons fait en sorte qu’une mission flash soit menée par une parlementaire, Mme Célia de Lavergne, qui avait soulevé le problème à propos de son territoire, la région de Die, dans la Drôme, où les réseaux cuivre avaient été « abandonnés » avant même le 3 décembre, date de fin du service universel sur le réseau cuivre. Mme Célia de Lavergne a formulé un certain nombre de recommandations, qui ont immédiatement été portées à la connaissance du groupe Orange – il est concerné s’agissant du réseau cuivre – et du secrétaire d’État Cédric O.
Avec ce dernier, nous avons rencontré le PDG du groupe Orange sur le sujet et, de manière plus large, sur la question de la couverture universelle 4G sur l’ensemble du territoire, ainsi que sur celle du « rattrapage » : il ne faut pas que des territoires attendent trop longtemps la 4G alors que le réseau cuivre est devenu complètement obsolète et ne sert absolument plus à transporter des données.
Une nouvelle rencontre dans la même formation est prévue la semaine prochaine. L’idée est qu’un plan complet soit établi à la fin du mois de mars – vous voyez donc que ce n’est pas renvoyé aux calendes grecques –, afin d’accélérer la couverture 4G dans les territoires là où elle est possible et d’envisager un rattrapage, ainsi que la réparation d’un certain nombre de réseaux là où elle ne peut pas être mise en œuvre immédiatement.
Tout cela sera fait d’ici à la fin du mois de mars, et Cédric O, secrétaire d’État chargé de la transition numérique, annoncera évidemment au Parlement les mesures qui seront prises, notamment dans les dix départements identifiés comme étant particulièrement en difficulté à cet égard.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.
M. Dominique de Legge. Monsieur le secrétaire d’État, tout cela, c’est très joli… Vous indiquez que tout sera réglé pour la fin du mois de mars. Mais nous sommes le combien aujourd’hui ? (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est un peu comme pour la vaccination, où l’on va réussir, nous dit-on, à régler en huit jours des problèmes qui traînent depuis des lustres…
Je ne doute pas un seul instant de votre bonne volonté ni de celle de M. Cédric O. Mais je me dois de souligner ici l’exaspération de tous les élus ruraux, qui se sentent abandonnés, face au sentiment d’impunité d’Orange. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Christian Bilhac applaudit également.)
M. Laurent Duplomb. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Garnier. Alors que 79 % des Français vivent en ville, 80 % d’entre eux voudraient vivre à la campagne. Le confinement a encore accentué cette situation. En Loire-Atlantique, nous avons accueilli 200 000 personnes supplémentaires au mois de mars 2020.
Cela s’explique par la manière dont nous avons conçu l’aménagement du territoire depuis trente ans : aujourd’hui, 82 % des créations d’emploi se font dans les grandes métropoles ! Résultat : les Français vivent non pas là où ils le voudraient, mais le moins loin possible de leur lieu de travail ! Tout cela a des conséquences très fortes.
Il y a d’abord une fracture sociale. Les plus riches s’installent dans les centres-villes, près de leur travail, où ils vont à vélo. Les moins riches s’installent en périphérie, loin de leur travail, et ils y vont en voiture. Cela a été l’un des déclencheurs de la crise des « gilets jaunes ».
Il y a ensuite une fracture territoriale. Les villes sont de plus en plus bétonnées, embouteillées, tandis que les territoires ruraux sont de plus en plus isolés et abandonnés. On ferme des classes, des services postaux, des guichets… Personne ne s’y retrouve.
Face à cela, soit on continue avec le « tout-métropole », soit on fait en sorte que nos villes redeviennent des locomotives, et non des aspirateurs ! Pour cela, il faut créer des emplois, faire venir des habitants et s’appuyer sur une démarche raisonnée de développement de nos transports en commun et de nos infrastructures numériques. Je pense évidemment en particulier à la fibre optique.
Il ne s’agit pas, bien sûr, de plaider pour « la petite maison dans la prairie » ou l’étalement urbain, mais d’accompagner une démarche raisonnée de développement de nos villes moyennes et de nos centres-bourgs.
Monsieur le secrétaire d’État, êtes-vous prêt à prendre ce tournant ? Les Français vous le demandent, ils aspirent à des communautés plus réduites, plus humaines, à plus petite échelle ; notre société est fragile, la violence augmente partout, l’aménagement du territoire est un vrai levier pour lui redonner un peu de cohésion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice, vous embrassez un sujet assez large, relatif à la dualité entre métropole et ruralité. Comme je l’ai indiqué dans mon intervention liminaire, ce sont deux espaces que je considère comme complémentaires et que je ne veux pas opposer par principe. Cela serait, à mon sens, une erreur tragique pour ce pays.
Il est vrai que les espaces urbains sont parfois plus agréables à vivre dans d’autres pays de l’Union européenne. Les villes n’ont pas été conçues de la même façon en Allemagne et en France, par exemple. Je ne peux pourtant pas réparer ce qui a été fait chez nous pendant des années tandis que, dans le même temps, nos voisins allemands ceinturaient leurs agglomérations de couloirs circulaires verts.
Vous soulignez un défi posé à la politique d’aménagement du territoire : les emplois sont concentrés dans les villes alors que les Français préfèrent vivre à la campagne où, pour autant, leurs exigences peuvent être encore supérieures à celles qu’elles sont en ville. Lorsque j’étais maire d’une commune rurale, on m’avait ainsi demandé que les crèches soient ouvertes jusqu’à vingt heures ou vingt et une heures. Il m’était difficile de répondre à cela !
Il ne faut pas non plus idéaliser la campagne ; j’ai habité à la montagne, mais je n’ai jamais rencontré Heidi dans la rue… (Sourires.)
Un rapport récent de l’Institut Montaigne indique que les quinze métropoles de plus de 500 000 habitants représentent plus de 50 % de l’activité économique et qu’elles captent les secteurs les plus porteurs de croissance. C’est indéniable. L’action des pouvoirs publics doit en tenir compte pour assurer la cohésion des territoires, mais aussi le bien-être des habitants qui subissent l’augmentation du prix de l’immobilier dans des secteurs concentrant, en plus, des emplois.
Ce sujet n’est d’ailleurs pas perçu partout de la même façon dans les territoires. Je me suis rendu il y a très peu de temps dans les monts du Lyonnais pour labelliser des « petites villes de demain », c’est-à-dire des bourgs-centres qu’il convient de renforcer. La démarche des bourgs de proche banlieue, qui font face à des questions de mobilité très particulières – notamment dans le cadre de la métropole de Lyon, laquelle va s’étendre au département du Rhône en termes de mobilité –, y est complètement différente de celle d’autres bourgs, qui souhaitent une plus grande autonomie et un développement territorial.
Les programmes nationaux que nous avons lancés, auxquels s’ajoutent les crédits du plan de relance concernant les collectivités mais également la reconquête industrielle des territoires, et que nous mettons en œuvre au titre de l’ANCT, nous permettront de prendre en compte demain les projets de ces territoires au lieu d’imposer du « tout-cuit » depuis Paris. L’ingénierie territoriale doit être cousue main. J’ai d’ailleurs bien vu la différence dans les secteurs où le plan de relance est très important pour revitaliser les bourgs-centres et ramener de l’emploi.
Cela permettra à ces territoires, qu’ils se trouvent dans l’extrême proximité des métropoles ou dans la ruralité plus profonde, de reprendre leur destin en main parce que nous aurons consacré à leurs projets l’ingénierie et les moyens financiers nécessaires.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier, pour la réplique.
Mme Laurence Garnier. Un changement de logiciel doit s’opérer, il est urgent d’en prendre conscience. Cette démarche est écologiquement vertueuse puisque, en rapprochant les lieux de travail et d’habitation des Français, elle permettra de limiter les déplacements pendulaires.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour le groupe les Républicains. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer l’ensemble des interventions, qui ont porté sur les problématiques touchant nos concitoyens : La Poste, l’accès aux soins, la coopération transfrontalière, la sécurité sur les routes, la fermeture des services publics, les risques d’inondation, les problèmes d’ingénierie. Cela prouve combien les sénateurs sont proches de nos concitoyens.
Monsieur le secrétaire d’État, je suis toutefois perplexe, car la teneur de vos réponses sur le large panel de domaines évoqués, si elle témoigne d’un réel engagement, implique davantage d’actions d’envergure et, surtout, convergentes.
De toute évidence, et nous en prenons acte, le contexte connaît des transformations profondes : mondialisation économique accentuant la métropolisation, décentralisation, construction européenne. De nouveaux sujets apparaissent, comme le développement durable ou le numérique, qui modifient le sens et le contenu de cette politique.
Le constat est simple, Didier Mandelli l’a souligné, la photographie de la France métropolitaine en 2021 est celle d’un pays où quinze métropoles polarisent le développement économique pendant que les « territoires épars », qui représentent 90 % de la superficie et 70 % de la population du pays, voient leur croissance et leur niveau de vie stagner, voire décliner.
Nous avons bien conscience que le développement de pôles d’attractivité économique, démographique, culturelle de dimensions européenne et mondiale, constitue un atout indéniable pour la France. Pour autant, un tel développement, au détriment de certains territoires toujours plus marginalisés, doit être interrogé. Seule une politique volontariste permettra de réussir ce rééquilibrage. Elle devra s’inscrire dans la perspective d’un renforcement durable et structurel de l’attractivité économique des territoires ruraux.
Dès lors, il est nécessaire de repenser l’action publique en favorisant la différenciation selon les territoires et, ainsi, de renforcer durablement la cohésion à l’échelle nationale, dont l’État est garant, en mobilisant toutes les parties prenantes. La crise sanitaire sans précédent que nous traversons en a été un puissant révélateur.
C’est désormais selon cet axiome que doivent être pensées les différentes actions de collaboration entre l’État et les collectivités territoriales. Ces actions conféreront à ces dernières une confiance renforcée, en leur garantissant l’exercice plein et entier de leurs compétences, comme la modulation des ressources en fonction de leurs besoins et de leurs objectifs.
À cette fin, j’insiste sur la contractualisation, mise en avant au sein de l’agenda rural ; elle doit être systématiquement préférée, car elle offre de la cohérence grâce à la prise en compte de la décentralisation et des spécificités locales. C’est la condition d’un aménagement du territoire concerté et mobilisateur pour tous.
Il nous faut retrouver aussi la raison d’être de l’aménagement du territoire : obtenir un véritable effet contracyclique par rapport aux déséquilibres spontanément créés par les forces de concentration autour des grandes aires urbaines, et pondérer les disparités en termes d’isolement ou de revenu par habitant.
Pour y parvenir, il faut réellement organiser la métropolisation afin que celle-ci bénéficie au plus grand nombre. L’objectif de rayonnement reste cependant peu concret, ainsi que le souligne le tout récent rapport de la Cour des comptes pour 2020.
D’autre part, il faut soutenir plus intensément les réels leviers d’émancipation et d’attractivité des territoires que sont le développement d’une offre de formation universitaire et professionnelle ainsi qu’une couverture numérique pérenne et homogène accompagnée d’une réelle pédagogie, et relever le défi de l’écomobilité.
Enfin, il faut véritablement s’atteler à une action renforcée de l’ANCT – c’était l’une des propositions de notre rapport – au service des territoires. Ceux-ci savent bien évidemment se prendre en charge, mais ils se heurtent aux complexités et à l’enchevêtrement des dispositifs actuels. L’Agence, en fluidifiant et en rationalisant l’existant, doit permettre aux territoires moins denses de se développer grâce à des projets propres, sans voir leurs potentialités aspirées par d’autres territoires plus aguerris.
En conclusion, je ne peux que réitérer avec force ce que nous disions déjà dans notre rapport et qui reste particulièrement d’actualité : il faut rétablir un État stratège, régulateur, véritable pilote de la politique d’aménagement du territoire autour des binômes région-intercommunalité – acteur majeur – et département-commune.
Le critère d’aménagement du territoire doit être prioritaire dans les choix de régulation et d’investissement de l’État, lequel doit cesser de fonctionner en silos et envisager sa politique comme un projet global et prospectif. La crise actuelle ne nous laisse plus le choix.
Favoriser les territoires les plus compétitifs pour attirer les entreprises et créer de l’emploi, d’une part, et maintenir une offre de service public dans tous les territoires et pour tous les habitants, d’autre part, ne sont pas nécessairement deux approches contradictoires. Cette vision nécessite une action politique courageuse que nous attendons tous urgemment. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Canevet applaudit également.)