Sommaire
Présidence de M. Georges Patient
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, M. Loïc Hervé.
2. Communication relative à deux commissions mixtes paritaires
3. Politique énergétique. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de résolution
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Adoption, par scrutin public n° 96, de la proposition de résolution.
Suspension et reprise de la séance
4. Quelle politique d’aménagement du territoire ? – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Didier Mandelli, pour le groupe Les Républicains
M. Franck Menonville ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité.
M. Ronan Dantec ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; M. Ronan Dantec.
M. Frédéric Marchand ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité.
Mme Guylène Pantel ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité.
Mme Marie-Claude Varaillas ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; Mme Marie-Claude Varaillas.
M. Jean-François Longeot ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; M. Jean-François Longeot.
M. Joël Bigot ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; M. Joël Bigot.
M. Stéphane Sautarel ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; M. Stéphane Sautarel.
M. Hervé Maurey ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; M. Hervé Maurey.
M. Gilbert-Luc Devinaz ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; M. Gilbert-Luc Devinaz.
M. Jean-Claude Anglars ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité.
Mme Angèle Préville ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; Mme Angèle Préville.
Mme Patricia Demas ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; Mme Patricia Demas.
M. François Calvet ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; M. François Calvet.
M. Dominique de Legge ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; M. Dominique de Legge.
Mme Laurence Garnier ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; Mme Laurence Garnier.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour le groupe les Républicains
Suspension et reprise de la séance
5. Avenir des entreprises assurant les liaisons trans-Manche. – Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste
M. Michel Canevet, pour le groupe Union Centriste
Mme Annick Girardin, ministre de la mer
M. Jacques Fernique ; Mme Annick Girardin, ministre de la mer ; M. Jacques Fernique.
Mme Nadège Havet ; Mme Annick Girardin, ministre de la mer.
M. André Guiol ; Mme Annick Girardin, ministre de la mer ; M. André Guiol.
Mme Céline Brulin ; Mme Annick Girardin, ministre de la mer ; Mme Céline Brulin.
Mme Catherine Fournier ; Mme Annick Girardin, ministre de la mer.
M. Jean-Michel Houllegatte ; Mme Annick Girardin, ministre de la mer ; M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-François Rapin ; Mme Annick Girardin, ministre de la mer ; M. Jean-François Rapin.
M. Jean-Pierre Decool ; Mme Annick Girardin, ministre de la mer.
M. Pascal Martin ; Mme Annick Girardin, ministre de la mer ; M. Pascal Martin.
M. Didier Marie ; Mme Annick Girardin, ministre de la mer.
M. Philippe Paul ; Mme Annick Girardin, ministre de la mer.
M. Michel Dagbert ; Mme Annick Girardin, ministre de la mer.
Mme Agnès Canayer ; Mme Annick Girardin, ministre de la mer ; Mme Agnès Canayer.
M. Alain Cadec ; Mme Annick Girardin, ministre de la mer.
Mme Béatrice Gosselin ; Mme Annick Girardin, ministre de la mer ; Mme Béatrice Gosselin.
M. Marc Laménie ; Mme Annick Girardin, ministre de la mer.
Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre
6. Mise au point au sujet d’un vote
7. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 25 et 26 mars 2021
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
M. Clément Beaune, secrétaire d’État
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
compte rendu intégral
Présidence de M. Georges Patient
vice-président
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio,
M. Loïc Hervé.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 18 mars 2021 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Communication relative à deux commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi rénovant la gouvernance des services publics d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Par ailleurs, la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention est également parvenue à l’adoption d’un texte commun. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.)
3
Politique énergétique
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à étudier la possibilité d’une mise en cohérence de sa politique énergétique avec ses ambitions écologiques, présentée par M. Bruno Retailleau, Mme Sophie Primas, M. Daniel Gremillet et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 348).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec Bruno Retailleau, Sophie Primas et l’ensemble des membres du groupe LR, j’ai souhaité débattre au Sénat de cette proposition de résolution invitant le Gouvernement à étudier la possibilité de mettre en cohérence sa politique énergétique avec ses ambitions écologiques.
L’énergie nucléaire est un atout considérable pour atteindre la « neutralité carbone » à l’horizon 2050, cap que nous avons fixé. De toutes les sources d’énergie, c’est la moins émissive : en effet, les émissions d’une centrale nucléaire sont limitées à 6 kilogrammes de dioxyde de carbone par kilowattheure.
C’est une filière d’excellence, portée par la recherche scientifique et pourvoyeuse de 220 000 emplois industriels ancrés dans nos territoires.
C’est une filière centralisée, reposant sur une entreprise publique. Qu’on se le dise, l’énergie nucléaire est garante de l’égalité dans l’accès à l’énergie, sur tout le territoire de la République ; elle est aussi garante de la place de l’État dans le secteur de l’énergie face aux pressions concurrentielles et d’un faible coût de l’énergie, primordial pour le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises.
La production d’énergie nucléaire est, en France, un service public, une mission régalienne, qui conditionne tout à la fois notre vie sociale, notre activité économique et notre transition écologique. Notre souveraineté et notre efficacité énergétiques en dépendent.
Face à l’urgence climatique, c’est grâce à cette source d’énergie que nous pouvons réduire durablement nos émissions : la décarbonation de notre économie passe par l’énergie nucléaire.
Parce que je crois en l’avenir de la filière nucléaire, je suis préoccupé par la politique énergétique conduite par le Gouvernement.
Si le Sénat a adopté la loi Énergie-climat en 2019, c’est parce qu’elle comprenait plusieurs avancées significatives pour cette filière : le report de dix ans de la réduction à 50 % de la proportion d’énergie nucléaire ; la prise en compte de l’inflation dans les ressources perçues par EDF ; l’établissement – enfin – d’un cadre législatif pour l’hydrogène bas-carbone, produit à partir de l’énergie nucléaire.
Or le Gouvernement n’a cessé de décevoir depuis lors.
En effet, nous avons assisté à l’arrêt du démonstrateur de réacteur à neutrons rapides Astrid, en 2019, et des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim, en 2020 : c’est regrettable, d’autant qu’aucune raison de sécurité ne justifiait cette fermeture.
M. André Reichardt. Lamentable !
M. Daniel Gremillet. Par ailleurs, sur les 110 milliards d’euros du plan de relance, seuls 200 millions d’euros sont alloués à l’énergie nucléaire, alors qu’elle représente les trois quarts de notre mix énergétique.
Les réformes en cours du marché de l’électricité, à commencer par celle de l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (Arenh) et le projet de réorganisation « Hercule » au sein d’EDF, sont conduites dans une opacité inacceptable.
C’est pourquoi je me félicite de ce que la commission des affaires économiques du Sénat, à défaut d’être associée à ces réformes, comme elle l’avait demandé, ait de son propre chef institué un groupe de suivi pluraliste.
En outre, le ministère de la transition écologique a commandé à Réseau de transport d’électricité (RTE) et à l’Agence internationale de l’énergie (AIE) un scénario « 100 % renouvelables » d’ici à 2050.
C’est une entorse faite à la loi quinquennale, prévue par la loi Énergie-climat, qui détermine seule, en principe, l’évolution de notre mix énergétique après 2023.
Je veux dire très clairement ici que le non-respect par le Gouvernement de la loi quinquennale est inadmissible.
M. Bruno Sido. Totalement !
M. Daniel Gremillet. Outre ce scénario, je rappelle que le Gouvernement a voulu supprimer l’évaluation de la loi quinquennale, à l’occasion de la loi de finances pour 2020. Aujourd’hui, il souhaite revenir au décret pour la détermination d’objectifs en matière de certificats d’économie d’énergie, mais aussi en matière d’énergies renouvelables, dans le cadre notamment du projet de loi Climat et résilience.
La pandémie de la covid-19 a des répercussions très importantes sur la filière nucléaire.
Dans son bilan électrique pour l’année 2020, RTE a relevé que, « du fait de la pandémie de covid-19, l’année 2020 marque une rupture ».
Au total, on observe une chute de 3,5 % de la consommation d’électricité, 7 % pour sa production et 18 % pour son prix : c’est considérable !
Cette crise affecte au premier chef notre fournisseur historique, EDF, avec une chute de la production d’énergie nucléaire de 13 %, une perte de recettes de 2 milliards d’euros et un décalage du programme d’« arrêts de tranches », c’est-à-dire les opérations de maintenance des centrales nucléaires.
Cette crise pèse sur notre sécurité d’approvisionnement. Sur ce point, RTE a relevé que notre production d’électricité sera « sans aucune capacité supplémentaire » jusqu’en 2023.
Cette crise éprouve notre souveraineté énergétique. Selon RTE, la France a été importatrice d’électricité pendant quarante-trois jours en 2020, contre vingt-cinq en 2019.
Enfin, cette crise érode notre capacité d’investissement. EDF est ainsi confrontée à un « mur d’investissements ». Grevé d’une dette de 40 milliards d’euros, le groupe doit parvenir à financer le « grand carénage », les chantiers des EPR, mais aussi ses programmes d’énergies renouvelables.
Dans ce contexte très perturbé, les réponses apportées par le Gouvernement ne sont pas à la hauteur des enjeux de la filière nucléaire.
Tout d’abord, la chute de la production d’énergie nucléaire résulte non seulement d’un facteur exogène, la crise de la covid, mais aussi d’un choix politique, la fermeture de la centrale de Fessenheim.
C’est un immense gâchis ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Sur le plan économique, tout d’abord, cette fermeture coûte 5 milliards d’euros.
Sur le plan social, ensuite, 150 salariés ont déjà quitté le site et seuls 60 resteront à terme.
Sur le plan énergétique, enfin, le parc nucléaire a perdu 1,8 gigawatt de puissance.
Face aux difficultés liées à la sécurité d’approvisionnement, la ministre Barbara Pompili et la secrétaire d’État Bérangère Abba se sont contentées d’appeler, ici même, « à diversifier notre mix énergétique ».
C’est une erreur majeure, car les énergies renouvelables, intermittentes, ne permettent pas de surmonter « la pointe de consommation » hivernale.
En clair, si nous délaissons nos centrales nucléaires nationales, nous ferons tourner à plein régime les centrales à charbon étrangères.
Loin de veiller à notre souveraineté énergétique, le Gouvernement n’offre pas de solutions pour le retour des turbines nucléaires, fabriquées par Arabelle, ou l’avenir des services nucléaires, assurés par Endel.
Nous manquons cruellement d’un État stratège dans le domaine, stratégique, de l’énergie nucléaire !
Pour ce qui concerne nos capacités d’investissement, le Gouvernement ne propose aucune réponse à ce jour.
La réforme de l’Arenh est conditionnée au projet « Hercule », la construction de nouveaux EPR à la mise en service de celui de Flamanville, les investissements mobilisables aux négociations sur la « taxonomie verte ».
Dans le domaine du nucléaire, tout est en chantier, tout est en suspens. Aucune décision n’est prise, aucune information n’est donnée. Les réformes sont tantôt imminentes, tantôt encalminées. Or il devient urgent que le Gouvernement s’exprime, qu’il affirme un cap nucléaire, clairement établi et vraiment appliqué.
À quelques semaines de l’examen par le Sénat du projet de loi Climat et résilience, cela devient une nécessité. Aucune disposition de ce texte n’évoque le nucléaire. C’est tout à fait paradoxal, mais peut-être aussi très révélateur !
Au-delà de ce constat, très inquiétant, que faire ?
J’ai la conviction que le moment est venu de réaffirmer notre confiance en la filière nucléaire : un cap, des projets, des financements.
Nous devons, tout d’abord, fixer un cap ambitieux. Dès l’examen de la loi Énergie-climat, j’avais alerté sur l’insuffisante évaluation préalable de la fermeture des quatorze réacteurs nucléaires d’ici à 2035.
Nous en mesurons aujourd’hui les conséquences pour les territoires et les salariés concernés, a fortiori dans le contexte de crise de la covid-19.
Preuve de son manque d’anticipation, le Gouvernement a voulu supprimer la commission chargée du démantèlement des centrales nucléaires dans le cadre de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) : le Sénat s’y est fermement opposé.
Face à un exécutif hésitant, le Parlement doit jouer tout son rôle : je plaide pour que la prochaine « loi quinquennale » soit celle d’une politique nucléaire ambitieuse.
Nous devons, de plus, promouvoir des projets.
Cela suppose de redoubler d’efforts pour sortir des difficultés du chantier de l’EPR de Flamanville, que Jean-Martin Folz, dans son rapport, a imputées à une « perte de compétences généralisée ».
Les difficultés de la filière nucléaire sont à l’image de celles de l’industrie : notre pays s’est trop longtemps résigné à une perte d’emplois, de compétences ou de technologies, sous l’effet de la mondialisation des échanges.
Cette période est révolue, et il nous faut renouer avec le volontarisme : la réindustrialisation de la France commence par la renaissance de la filière nucléaire.
À cette fin, un effort de recherche et d’innovation suffisant doit être consenti, en direction notamment des petits réacteurs modulaires, des réacteurs à neutrons rapides et des électrolyseurs à hydrogène bas-carbone.
Par ailleurs, des choix clairs doivent être faits : le projet de construction de trois nouvelles paires d’EPR, proposé par EDF, mérite d’être étudié avec attention.
Enfin, nous devons mobiliser des financements suffisants.
Cela implique de rehausser les ressources nécessaires dans le cadre du plan de relance, de défendre l’énergie nucléaire dans les négociations sur la « taxonomie verte » et de préparer l’évolution de l’Arenh après 2025.
Au total, nous attendons du Gouvernement un changement de politique, pour redonner à l’énergie nucléaire la place qu’elle n’aurait jamais dû perdre. La France a besoin d’une colonne vertébrale énergétique.
Je souhaite que l’examen de cette proposition de résolution soit l’occasion de rappeler l’attachement du Sénat à l’énergie nucléaire, car notre assemblée, celle du temps long, est très attentive à la science et à l’écologie.
Or c’est avec l’énergie nucléaire que nous pouvons atteindre nos objectifs énergétiques et climatiques, fixés par la loi Énergie-climat, reconquérir la production industrielle de notre pays et garantir l’accessibilité à tous nos concitoyens.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter la proposition de résolution qui vous est soumise aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer Sophie Primas et Bruno Retailleau, coauteurs de cette proposition de résolution, et m’associer pleinement aux propos de mon collègue Daniel Gremillet.
La politique publique énergétique de notre pays est affectée par l’indécision du Gouvernement.
Toutefois, il ne s’agit pas uniquement de son incapacité à définir un scénario réaliste. Le Gouvernement dispose en effet de tous les moyens et données pour établir des scénarios plausibles s’agissant de l’évolution de la consommation énergétique, notamment électrique.
Ainsi, nous le savons, entre 2012 et 2019, la consommation énergétique finale n’a diminué que de 1,4 %, alors que le plan pluriannuel de l’énergie 2016 prévoyait une baisse de 12,3 % entre 2012 et 2023. Les prévisions n’ont donc pas été atteintes.
Le Gouvernement table aujourd’hui – rendez-vous compte, mes chers collègues – sur une baisse de 50 % d’ici à 2035, c’est-à-dire une diminution trente-cinq fois plus importante, sur seulement le double de temps !
Cela ne paraît pas très sérieux. La réduction de la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 est une hypothèse irréaliste. C’est un mirage sur lequel ne peut pas reposer une politique énergétique honnête et juste.
Cela rend le problème encore plus grave et inquiétant pour l’avenir. La difficulté majeure, selon moi, est de ne pas concevoir la transition écologique autrement que comme un slogan médiatique et une promesse de campagne.
Mais gouverner, c’est autre chose, c’est faire des choix. Il ne s’agit pas de promettre et de faire croire ; il s’agit de faire !
L’une des premières responsabilités du Gouvernement est ainsi d’éviter les risques de carences, de coupures d’approvisionnement électrique ou, pire, de blackout énergétique – nous en avons débattu ici même il y a peu.
Pour éviter la réalisation de ces scénarios catastrophes à court et moyen termes, il n’y a pas d’autres choix que de se fonder sur les moyens dont dispose la France, ce qui suppose d’accorder une place centrale au nucléaire, qu’on le veuille ou non, dans notre bouquet énergétique.
Pour réaliser ses ambitions écologiques, la politique énergétique du Gouvernement doit aussi gagner en clarté.
En ce sens, la mise en concurrence des concessions hydrauliques, sous la pression de la réglementation européenne, et le projet Hercule ne sont pas des bases solides.
D’une part, elles portent atteinte à la souveraineté énergétique nationale ; d’autre part, elles négligent la diversification de notre mix énergétique.
L’hydroélectricité peut évidemment concourir à atteindre l’objectif de « neutralité carbone » en 2050, mais pas à n’importe quelles conditions.
J’interrogeais récemment encore, ici même, la ministre de la transition écologique à propos de la prorogation des concessions des barrages du Lot et de la Truyère en Aveyron, qui représentent 10 % de l’énergie hydroélectrique en France ; aucune réponse claire ne m’a été donnée.
Le problème est donc celui d’une invocation idéologique de la transition écologique, qui se décline dans tous les domaines des politiques publiques, de manière bien souvent irresponsable.
Récemment encore, le Gouvernement a pris des mesures contradictoires avec ses annonces passées concernant la filière automobile diesel, en décidant ne plus soutenir la transition écologique de cette filière.
Trois mois plus tard, les conséquences se répercutent en cascade, avec des licenciements en nombre : plus de 1 000 suppressions d’emplois en Aveyron, dans les usines Bosch de Rodez et SAM de Viviez, et des territoires désabusés.
Je pourrais également évoquer l’impact économique de la réglementation environnementale RE 2020. Sur ce sujet, les mêmes causes produisent encore les mêmes conséquences : manque d’association des professionnels, insuffisance de l’évaluation réalisée et, surtout, crainte des ménages face à l’augmentation des coûts induits par ces mesures. Le renforcement de l’efficacité énergétique des logements neufs est nécessaire, mais sa mise en œuvre est à revoir.
En évoquant ces problèmes, je ne m’écarte pas du sujet de la présente résolution.
Au contraire, je montre à quel point cette résolution est pertinente : en effet, sur bien des sujets, la transition écologique est invoquée par le Gouvernement pour justifier des choix incohérents, irréalistes et au final néfastes pour nos concitoyens, pour leur portefeuille et pour l’aménagement du territoire.
Les citoyens ne sont pas dupes. Ils nous font part de leurs inquiétudes et de leurs préoccupations, comme aujourd’hui, en Aveyron, à Onet-le-Château ou à Viviez. Ils dénoncent l’incohérence des choix gouvernementaux sous couvert d’ambitions écologiques.
La mise en cohérence de la politique énergétique, conciliée avec des ambitions écologiques fortes, est une nécessité sur laquelle la responsabilité du Gouvernement doit être affirmée.
Il est urgent de poser les jalons d’une véritable politique énergétique pluridimensionnelle dans laquelle le nucléaire a toute sa place.
Cette cohérence est celle d’une politique pragmatique, au sein d’une transition écologique ambitieuse, mais responsable pour l’avenir de la France et de nos concitoyens.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Claude Anglars. Ce qui se joue ici, mes chers collègues, ce ne sont pas des querelles partisanes ; c’est l’avenir de la souveraineté énergétique de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme Sophie Primas et M. Bruno Sido. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la neutralité carbone à l’horizon 2050 (L’orateur met sa main en visière.) : oui, mais comment ?
Il est juste de s’interroger sur les moyens pour l’atteindre, comme le fait cette proposition de résolution.
Le principal objectif est ainsi de sortir des énergies fossiles polluantes et de développer les énergies non émettrices de gaz à effet de serre. La stratégie française doit composer avec des impératifs climatiques et viser l’indépendance énergétique.
La composition de notre bouquet énergétique en constitue un aspect. Il faut ainsi travailler à des évolutions pertinentes pour le rendre à la fois sûr, décarboné et compétitif.
Je pense que l’une des clés de la réussite est d’augmenter la part de l’électricité dans notre mix énergétique. La décarbonation de secteurs entiers de notre économie sera un élément crucial, et la priorité doit donc selon moi aller vers les secteurs industriels fortement émetteurs, comme l’acier, le ciment et les transports.
Les demandes augmentent et les émissions doivent baisser. Si nous parvenons à décarboner ces secteurs, l’effet d’entraînement sera immense.
L’énergie nucléaire, fleuron de l’industrie française depuis les années 1970, a le mérite d’apporter une solution à la décarbonation de notre mix énergétique, comme l’a fait remarquer Brice Lalonde.
C’est un atout à préserver, comme le souligne la proposition. C’est le point névralgique du débat électrique en France.
Cependant, plusieurs problèmes se posent.
Premièrement, il faut préserver et développer notre savoir-faire reconnu en la matière et poursuivre les innovations technologiques, qui nécessiteront de lourds investissements. C’est une question d’économie et d’emplois. Le secteur place de grands espoirs dans le nucléaire de quatrième génération, qui pourra fonctionner avec certains déchets.
Deuxièmement, si nous pouvons organiser le recyclage et la réutilisation des déchets nucléaires, une part importante du problème sera réglée.
Le stockage en profondeur, type Cigéo, semble être une solution très prometteuse, même si nous pouvons nous interroger légitimement sur la notion de réversibilité du stockage.
Troisièmement, enfin, il faut intensifier le travail sur la sûreté.
Elle doit être envisagée selon plusieurs angles : technologique, risque d’accident météorologique et sécurité nationale. En effet, toutes ces installations peuvent représenter des cibles privilégiées pour les terroristes.
Si le nucléaire est le cœur du débat électrique, alors les énergies renouvelables en sont les poumons.
Si le nucléaire est indispensable dans notre mix énergétique, les énergies renouvelables sont tout aussi cruciales.
La diversité des sources d’énergie est stratégique ; elle apparaît comme un choix de bon sens.
Les énergies renouvelables deviennent de plus en plus efficaces. Elles sont aussi de moins en moins onéreuses et concurrencent aujourd’hui les prix du nucléaire. L’électricité en France représente déjà une part importante du budget pour de nombreux ménages ; la précarité énergétique doit continuer de reculer.
Le solaire doit également retenir toute notre attention. Les progrès déjà réalisés dans ce domaine sont immenses et la technologie avance à pas de géant – je pense notamment au taux de recyclabilité des panneaux solaires.
Par souci de compétitivité, les futurs investissements dans ce secteur, comme dans celui des batteries ou de l’hydrogène, doivent être réalisés à l’échelon européen, d’autant que, dans ce domaine, nous dépendons fortement des fournisseurs asiatiques.
Bien sûr, j’ai lu dans la proposition de résolution toutes les craintes autour de l’intermittence des énergies renouvelables et de leur stockage. Là encore, je crois que les innovations technologiques sont d’ampleur et que les solutions sont désormais à portée de main.
Nous devons poursuivre inlassablement le travail et les investissements afin de permettre l’émergence de solutions nouvelles, comme celle qu’apporte l’hydrogène, via la conversion d’électricité en gaz.
La part d’électricité dans notre bouquet énergétique et la baisse des émissions sont directement liées aux usages des consommateurs. Il faut poursuivre notre action, notamment dans les performances thermiques de l’habitat et dans le secteur automobile.
Le bon sens nous le rappelle : l’énergie la plus propre sera toujours celle qui n’a pas été consommée. Mais si nous voulons éviter de cruelles déceptions à l’avenir, attachons-nous à afficher des objectifs réalistes au lieu de faire de la communication politicienne fantaisiste et utopique. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, abandonner les énergies fossiles est une urgence, un impératif de survie pour l’humanité !
Mme Sophie Primas. Sur ce point, nous sommes d’accord !
M. Daniel Salmon. Produire notre électricité de demain sans émettre de CO2 est indispensable, même si, rappelons-le, 75 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre proviennent de secteurs sans aucun lien avec la production d’électricité.
M. Bruno Sido. Exact !
M. Daniel Salmon. Aujourd’hui, nous sommes à un tournant. Les choix politiques effectués sur les questions énergétiques engageront la France pour des décennies, voire, selon les décisions, pour des millénaires.
Pour y répondre, deux options sont sur la table. La vôtre : une relance du nucléaire, cette énergie obsolète,…
M. Bruno Sido. Non !
M. Daniel Salmon. … fragile, dangereuse, chère, qui oblige l’État à une nationalisation du parc nucléaire pour assurer la charge des investissements colossaux.
La nôtre : un engagement immédiat, massif et sans faille dans la sobriété énergétique et les énergies renouvelables, avec parallèlement une sortie programmée du nucléaire.
À l’heure où les choix du Gouvernement s’orientent vers la décision irresponsable de construire un nouveau parc nucléaire EPR en France, il est temps d’ouvrir les yeux sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une énergie d’avenir. Le Gouvernement, comme l’administration, s’arc-boute sur des schémas du XXe siècle, en restant habité par cette mystique qui veut que la grandeur de la France passe nécessairement par une industrie nucléaire triomphante. La puissance du nucléaire, oui, mais avec quelles conséquences ?
La construction de nouveaux EPR dans les prochaines décennies est plus qu’aventureuse, au niveau technique aussi bien que financier. Comme le montre l’EPR de Flamanville, l’industrie nucléaire française ne maîtrise pas ce genre de chantiers. Alors qu’il devait être opérationnel en 2012, cet EPR ne le sera pas avant 2023. Et son coût a été multiplié par six – une bagatelle !
M. Bruno Sido. Pour l’instant !
M. Daniel Salmon. EDF est au bord de la faillite et l’argent public devrait être mieux utilisé. Ces prétendus fleurons de l’industrie française nous coûtent cher, très cher, excessivement cher. Ces réacteurs n’ont aucune chance d’être rentables sur le marché électrique européen.
Le choix du nucléaire pose des problèmes majeurs de sûreté, de sécurité et de déchets.
Dix ans après la catastrophe de Fukushima, qui a cruellement rappelé à la communauté internationale les dangers de cette industrie, nous ne pouvons plus jouer les apprentis sorciers.
Qui peut dire, à l’heure de cette pandémie, comment sera la société dans dix ans, cent ans et plus ?
À l’heure où nos entreprises et nos hôpitaux sont l’objet de cyberattaques, notre vulnérabilité est extrême avec l’industrie atomique. Alors que nos fleuves sont au plus bas en été, la poursuite du nucléaire, c’est un pari fait en regardant dans une boule de cristal.
Parlons également de nos vieux réacteurs. L’échelonnement des travaux de remise aux normes pour autoriser la poursuite de l’exploitation au-delà de quarante ans est une prise de risque très importante, surtout au vu de l’accumulation d’incidents graves ces dix dernières années. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) estime qu’un accident nucléaire coûterait a minima 400 milliards d’euros. (Marques d’agacement sur des travées du groupe Les Républicains.) Et il n’y a pas que l’argent qui compte !
Sur la question des déchets nucléaires, qu’on ne sait tout simplement pas gérer, dans quelle langue écrire « attention danger » pour des produits dont la durée de vie excède de loin 10 000 ans, quand l’invention de l’écriture date d’environ 5 000 ans ?
Quant à la faisabilité technique d’un mix électrique décarboné « 100 % renouvelables » d’ici à 2050, sans nouveau nucléaire, l’étude RTE-AIE parue le 27 janvier a conclu que, oui, c’était difficile, mais possible !
Bien sûr, un certain nombre de conditions devront être réunies pour garantir à la fois la sécurité de l’alimentation en électricité, la disponibilité de réserves opérationnelles, la stabilité de la fréquence du système électrique et, enfin, le bon fonctionnement des réseaux de transport et de distribution.
Cependant, contrairement à ce que vous indiquez dans votre résolution, le « 100 % renouvelables » n’est pas impossible. Il est bel et bien faisable !
Mme Sophie Primas. Certes, mais quand ?
M. Stéphane Piednoir. À quel prix ?
M. Daniel Salmon. Mes chers collègues, c’est un choix non pas seulement d’énergie, mais de société. Ce choix doit résulter d’une délibération démocratique spécifique, par le Parlement ou – pourquoi pas ? – par un référendum.
Le funeste projet Hercule, négocié dans une opacité totale, est profondément antidémocratique. Il illustre tout ce qu’il ne faut pas faire en la matière. Le nucléaire et la démocratie n’ont décidément jamais fait bon ménage. (Murmures accentués sur les travées du groupe Les Républicains.)
Pendant ce temps, Photowatt, le seul producteur européen de panneaux photovoltaïques, se meurt.
La position des sénateurs et sénatrices écologistes est claire. Les économies d’énergie couplées à une rapide montée en puissance des énergies renouvelables (EnR), une production tout à la fois décentralisée et en réseau : voilà la vraie transition énergétique que nous défendons.
Vous l’aurez compris, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre cette proposition de résolution, qui est à l’opposé de ses préconisations.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la politique publique énergétique de notre pays est marquée du sceau de l’indécision ». C’est ce que l’on peut lire dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution qui nous rassemble aujourd’hui.
C’est un angle bien réducteur, convenons-en. Chers collègues du groupe Les Républicains, de quelle indécision parlez-vous ? Considérez-vous que la France, en choisissant de combiner développement des énergies renouvelables (EnR) et ambition nucléaire, tergiverse ? Bien au contraire ! Pour conforter notre souveraineté énergétique, il est simplement nécessaire de ne pas dépendre d’une seule source. Il y a le nucléaire, bien sûr, et nous allons y revenir, mais aussi les énergies renouvelables, comme l’éolien, à terre ou sur mer, le solaire, l’hydraulique, la biomasse, la géothermie, entre autres sources.
Le code de l’énergie, auquel vous faites référence, vise l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. De telles ambitions sont compatibles avec notre politique énergétique. En effet, ce qui lie toutes ces énergies produites en France, c’est qu’elles sont décarbonées. Nous allons entendre beaucoup de réserves de part et d’autre de cet hémicycle, mais les faits sont là : avec une empreinte carbone de 6,9 tonnes par habitant, nous sommes résolument bien placés dans l’Union européenne.
L’énergie nucléaire contribue à ce bon classement, car elle ne rejette pas, ou très peu, de dioxyde de carbone. Elle produit en moyenne 35 grammes d’équivalent CO2 par kilowattheure, contre 1 200 grammes pour les centrales à charbon, charbon qui ne produit que 0,2 % de notre électricité, contre 29 % en Allemagne. Il est à noter la fermeture, en 2022, des quatre dernières centrales à charbon françaises.
En même temps, nous devons amplifier notre production d’énergies renouvelables. Le projet de loi Énergie-Climat vise un niveau de 33 % de consommation d’énergie d’origine renouvelable en 2030. C’est un objectif atteignable. La part des énergies renouvelables dans la consommation finale a beaucoup progressé ces dernières années. Les EnR ont ainsi participé, à hauteur de 26,9 %, à la couverture de la consommation de notre électricité l’année dernière. Il s’agit d’une progression de près de quatre points par rapport à 2019, mais c’est un chiffre à manier avec prudence au vu de la mise à l’arrêt d’une partie de nos entreprises pour cause de covid.
Cependant, nous sommes capables d’atteindre de bons résultats. Le Gouvernement maintient ce cap et va injecter 30 milliards d’euros pour la transition écologique via le plan de relance, 2 milliards d’euros étant dédiés à la filière de l’hydrogène vert, un soutien qui pourrait atteindre 7 milliards d’euros d’ici à 2030, ce qui ferait de la France un pays moteur en la matière.
Parlons également de l’éolien en mer, qui tarde à se développer au large de nos côtes. D’ici à 2026, 7 parcs éoliens devraient être construits. Ainsi, plus de 350 éoliennes devraient turbiner dans les eaux françaises.
Je souhaite aussi parler du nucléaire. C’est d’ailleurs la principale inquiétude qu’exprime cette proposition de résolution, dont les auteurs estiment « nécessaire de préserver l’atout industriel et technologique que représente cette filière ». Sur ce point, nous sommes d’accord ; nous le sommes d’autant plus qu’à notre connaissance le Gouvernement partage pleinement ce point de vue. Le Président de la République l’a rappelé le 8 décembre dernier au Creusot : « Notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire. »
Nous assumons cette position, que nous ne sommes pas les seuls à avoir en Europe, puisque d’autres pays, comme la Finlande ou les Pays-Bas, se sont engagés dans cette voie en étudiant la réalisation de nouveaux réacteurs nucléaires.
À ce sujet, alors que l’EPR de Flamanville accumule, il est vrai, les déconvenues, un travail d’étude sur la construction de nouveaux réacteurs est en cours pour garantir, en particulier, un niveau de sûreté maximal. En règle générale, nous devons poursuivre nos efforts en matière de gestion des déchets et maintenir notre vigilance sur la capacité de résistance des piscines d’entreposage des combustibles nucléaires usés.
Le nucléaire, ce sont aussi, comme le précise cette proposition de résolution, 2 600 entreprises réparties dans les territoires et employant plus de 220 000 salariés. C’est véritablement une ressource économique puissante et un réseau territorial de sous-traitants sans précédent.
Le nucléaire, c’est aussi un potentiel d’avenir. Le plan de relance y injectera d’ailleurs 500 millions d’euros, dont 100 millions d’euros dès cette année pour moderniser et transformer ce secteur stratégique.
Je viens d’un département, la Drôme, où l’énergie nucléaire occupe une place importante, tant dans l’économie locale que dans la production française, avec notamment la centrale du Tricastin, Cruas-Meysse étant juste de l’autre côté du Rhône. Ces deux centrales représentent 12 % de la production française. Je mesure donc l’intérêt de cette production. Nous le mesurons d’autant plus que, avec les élus de nos territoires – 175 signataires parmi nos parlementaires, conseillers régionaux, départementaux, maires et présidents d’EPCI de toutes les sensibilités politiques –, nous avons fait connaître au président d’EDF, Jean-Bernard Lévy, notre soutien total pour accueillir l’EPR 2 sur le site du Tricastin, et ce, bien sûr, avec des investissements importants pour répondre aux exigences de sécurité les plus élevées.
Nous savons aussi qu’il faut diversifier la production, en portant en parallèle une attention toute particulière aux projets de SMR, petits réacteurs nucléaires français. Ces petites unités sont plus faciles à installer et moins complexes à brancher aux réseaux électriques.
Avec ces projets, la France vise l’export, mais nous ne devons pas tarder, car nous ne sommes pas seuls sur ce nouveau marché : la Chine, la Russie et les États-Unis sont déjà dans la course.
Enfin, l’urgence climatique nous impose d’agir sur notre consommation d’énergie finale.
L’exposé des motifs précise que la baisse observée entre 2012 et 2019 est insuffisante. Pour autant, plutôt que de nous focaliser sur le verre à moitié vide, agissons ! C’est ce que fait cette majorité. En témoignent le succès retentissant de MaPrimeRénov’ – 780 000 demandes ont été déposées à ce jour – de même que les objectifs fixés par la RE 2020. Avec elle, la France se dotera de l’une des réglementations environnementales du bâtiment neuf les plus ambitieuses en Europe, aux côtés des Pays-Bas ou de la Suède.
Pour conclure, si nous partageons avec les auteurs de cette résolution notre soutien au nucléaire et à sa modernisation, nous pensons que ce n’est pas le seul vecteur énergétique à suivre. Nous devons faire confiance à notre savoir-faire, notre capacité d’adaptation, notre recherche, nos start-up pour enrichir notre mix énergétique, et nous y arriverons.
Pour ces raisons, rejetant le déclinisme qui irrigue l’ensemble de cette proposition de résolution, le groupe RDPI votera contre.
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nombreux sont les États, les collectivités territoriales et les entreprises qui se sont engagés sur l’objectif de neutralité carbone en 2050, un défi sans précédent. La Commission européenne propose quant à elle de porter à 55 % l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, soit en moins de dix ans.
L’analyse des motifs de la proposition de résolution est pertinente. Elle suppose un basculement important des énergies fossiles vers l’électricité, essentiellement d’origine décarbonée en France, et ce grâce au nucléaire. La stratégie nationale bas-carbone repose sur une augmentation de la part de l’électricité de 25 % à 50 % des besoins énergétiques finaux d’ici à 2050.
Les risques de la réduction de la part du nucléaire au sein de notre mix électrique, en ce qui concerne tant la sécurité d’approvisionnement que la stabilité du système électrique, ne peuvent pas être minimisés. La prolongation de la durée de vie des 32 réacteurs de 900 mégawatts de quarante à cinquante ans, décidée en février par l’Autorité de sûreté nucléaire, constitue une bonne nouvelle, mais cela ne suffira pas face à la faible disponibilité du parc nucléaire et à la demande croissante en électricité à venir.
Dans ces circonstances, l’abandon progressif du recours au gaz pour le chauffage des logements par la nouvelle réglementation thermique RT 2020 est prématuré. De même, au nom du respect de l’environnement et de la lutte contre la pollution, la puissance publique demande aux Français de remplacer le chauffage au charbon et au fioul par des pompes à chaleur électriques et les incite à remplacer leurs véhicules fonctionnant au diesel par des véhicules électriques ou hybrides ; mais, à terme, l’ensemble de ces décisions aura pour conséquence une augmentation exponentielle de la consommation électrique dans notre pays.
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. Christian Bilhac. Malgré le report de la construction de 6 nouveaux EPR, le soutien apporté à la filière nucléaire par le Président de la République lors du discours du Creusot, en décembre dernier, est sans équivoque : « Notre avenir écologique et énergétique passe par le nucléaire. » Nos collègues s’insurgent contre le rapport commandé par le Gouvernement à RTE et à l’Agence internationale de l’énergie afin d’étudier la faisabilité technique d’un mix électrique avec un très haut niveau d’intégration d’énergies renouvelables. Huit scénarios principaux sont à l’étude, avec une pondération du nucléaire située entre 0 % et 50 % à l’horizon 2050.
Nous considérons que cet exercice de prospective est utile, car il permettra d’anticiper les obstacles techniques, financiers, environnementaux ou sociaux à venir pour notre pays. Il nous apparaît indispensable pour orienter les acteurs du secteur de l’énergie et leurs investissements. Ne pas le faire serait irresponsable.
S’il est vrai qu’il faut veiller à ne pas tomber en situation de pénurie énergétique et qu’il est nécessaire de décarboner notre mix énergétique, d’autres variables, loin d’être négligeables, sont absentes de l’équation établie par la proposition de résolution : la montée en puissance des énergies renouvelables, les économies d’énergie et le développement du stockage de l’énergie.
Il faut donner un coup d’accélérateur aux énergies renouvelables, devenues désormais compétitives. Paradoxalement, les recours contre les parcs éoliens ou photovoltaïques se multiplient partout. Voilà quelques semaines, dans mon département de l’Hérault, une décision de justice a été rendue à la suite de l’action d’une association dite environnementale contre un parc éolien. Ce dernier a été condamné à la destruction. L’émergence des éoliennes en mer se trouve également embourbée en raison d’une multitude de recours.
Mme Sophie Primas. Des recours des écologistes ! (M. Guillaume Gontard acquiesce.)
M. Christian Bilhac. Il nous semble aussi que les gisements d’économies d’énergie ont été peu exploités. La consommation énergétique primaire tarde à s’infléchir en raison de l’inertie de la performance énergétique des bâtiments. Notre parc de logements est énergivore ; les travaux sont peu efficaces ; les rénovations globales restant rares, de même que les contrôles a posteriori.
Le stockage de l’énergie doit aussi évoluer. Je pense à l’hydrogène vert, comme je l’ai souligné le 18 novembre dernier, lors du débat mis à l’ordre du jour du Sénat à la demande du groupe RDSE sur le thème : « La France peut-elle devenir un champion de l’énergie hydrogène ? »
Pour l’avenir, il convient, à mon sens, de conserver notre parc nucléaire tant que d’autres solutions ne nous permettront pas de répondre aux besoins du pays en toute indépendance énergétique. Dans le même temps, il faut développer les énergies renouvelables et rénover notre parc de logements, avec une volonté forte et des financements importants de la part de l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution sur la mise en cohérence de la politique énergétique du Gouvernement avec ses ambitions environnementales est essentiellement axée sur la place de la production électrique d’origine nucléaire dans notre mix énergétique.
Je souhaite l’aborder sans a priori dogmatiques, loin des positions « anti-énergies renouvelables » ou « anti-nucléaire », qui ne permettent pas, selon nous, un débat serein, et empêchent de saisir les véritables enjeux auxquels nous sommes confrontés aux échelles nationale et mondiale : l’urgence d’une révolution environnementale globale ; l’exigence de sortir 12 millions de nos concitoyens de la précarité énergétique ; la sécurisation et la garantie pour les décennies futures de notre souveraineté énergétique.
La question est celle de la neutralité carbone à l’horizon 2050. Pour l’atteindre, comment bâtir une meilleure complémentarité entre les différentes énergies ?
L’évolution de notre système électrique impliquera la construction de nouveaux moyens de production, le développement de nouvelles filières industrielles et de nouvelles infrastructures de réseau. Cela suppose non seulement de planifier et mobiliser des moyens financiers qui s’inscrivent sur le temps long, mais aussi de continuer à investir dans la recherche et le développement.
C’est pourquoi il est impératif de sortir des confrontations entre positions tranchées pour que les choix technologiques ne soient plus l’apanage de l’exécutif, en particulier du Président de la République, mais qu’ils résultent bien d’un choix citoyen éclairé.
Le nucléaire est aujourd’hui un atout incontestable.
M. Pierre Louault. Nous sommes d’accord !
M. Fabien Gay. Il s’agit de l’énergie la plus décarbonée, qui permet une maîtrise des coûts (Bravo ! sur des travées du groupe Les Républicains.), même si les importations d’uranium ne sont pas prises en compte dans la facture énergétique française. C’est surtout une énergie pilotable, contrairement aux énergies renouvelables aujourd’hui,…
M. Bruno Sido. Oui !
M. Fabien Gay. … et donc un atout pour éviter le blackout. Le fait de renoncer aux centrales à charbon va renforcer cette dépendance au tout-nucléaire.
Toutefois, nous ne pouvons occulter l’impact majeur des accidents de Tchernobyl et Fukushima sur l’acceptation par nombre de nos concitoyens de notre dépendance à ce mode de production.
Or cette maîtrise du risque majeur par la qualité des constructions et de l’exploitation des centrales, le maintien d’un haut niveau de compétences et de surveillance dans la sûreté des ouvrages, ainsi que la gestion rigoureuse des déchets nucléaires ne peuvent, à notre sens, s’envisager que dans le cadre du service public, du secteur public.
M. Bruno Sido. D’accord !
M. Fabien Gay. C’est justement la faiblesse de la proposition de résolution dont nous débattons aujourd’hui de ne mentionner à aucun moment le service public.
Rien non plus sur la notion de « biens publics » garantis à tous et devant donc être placés hors du champ de la concurrence. Pour nous, cela devrait être le cas des centrales nucléaires ou encore des barrages hydroélectriques.
Certes, les auteurs de la proposition de résolution rappellent la nécessité de « garantir le pouvoir d’achat de nos concitoyens en maîtrisant le coût de l’électricité pour les entreprises, et notamment les industriels ».
Pourtant, rien n’est dit sur l’échec de la libéralisation de l’électricité ni sur l’Arenh, qui oblige EDF à vendre une partie de sa production nucléaire à ses concurrents.
M. Bruno Sido. Exact !
M. Fabien Gay. Or, mes chers collègues, je suis désolé de vous le dire, mais ce bilan est le vôtre. Il a provoqué des augmentations de tarifs pour les usagers.
Pire, l’Autorité de la concurrence nous rappelle que 40 % des augmentations des tarifs réglementés « ont pour but de permettre aux concurrents d’EDF de proposer des prix égaux ou inférieurs à ces tarifs ». C’est donc aux ménages de supporter la note en payant le prix de l’Europe libérale au profit des actionnaires des opérateurs alternatifs.
Pourtant, ces tarifs réglementés sont la garantie pour chacun d’avoir accès à l’énergie et l’un des atouts pour la compétitivité de nos entreprises.
Enfin, vous nous dites qu’il ne faut pas « fragiliser davantage l’opérateur historique de production d’électricité et ses salariés ». En ce cas, pourquoi ne pas demander clairement au Gouvernement de renoncer au projet Hercule, hérité du dogme dépassé des bienfaits de la concurrence libre et non faussée ? Nous savons tous ici qu’il ne vise qu’à créer de la concurrence là où il ne peut y en avoir.
Vous le savez, si ce projet est adopté, alors, la filière nucléaire, qui sera 100 % nationalisée dans « EDF Bleu » sera lourdement handicapée en raison de la séparation avec les autres activités, qui seront ainsi privatisées. On fera peser la dette sur cette structure EDF Bleu, alors que le nucléaire a besoin dans les années à venir des plus grands investissements pour sécuriser et démanteler les centrales qui devront l’être, mais aussi pour se développer.
Pour nous, la complémentarité entre énergies doit se faire dans un groupe qui reste intégré et dispose d’un monopole public.
Pour conclure, je dirai que l’intérêt général, l’environnement et l’accès à l’énergie pour tous passent nécessairement au second plan dans la recherche du profit. La mise en cohérence de la politique énergétique avec les ambitions écologiques de la France ne peut se faire que dans un cadre public.
C’est pour toutes ces raisons que le groupe CRCE s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé. (Mme Anne-Catherine Loisier applaudit.)
Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe Les Républicains d’avoir déposé cette proposition de résolution.
Je crois déterminant pour les parlementaires de discuter de la politique énergétique du Gouvernement, car le court terme de la crise sanitaire ne doit pas faire oublier le défi sur le long terme du dérèglement climatique.
Si l’exécutif en a conscience, comme en témoigne le projet de loi Climat et résilience, comment expliquer le nombre dérisoire de dispositions dans ce texte se rapportant à l’énergie ?
La question n’est abordée quasiment que sous le prisme de la rénovation énergétique. Certes, l’enjeu est important, mais cela ne suffira pas pour atteindre les objectifs affichés dans le cadre de la loi Énergie-climat.
La réduction massive de nos émissions de gaz à effet de serre doit passer par la production d’une énergie décarbonée. Or, sur ce sujet, le projet de loi fait montre d’une frilosité que je déplore.
En parallèle, une étude de RTE est venue affirmer la faisabilité d’un scénario « 100 % énergies renouvelables » d’ici à 2050. Si je doute que le projet soit techniquement et administrativement réalisable, il ne me paraît pas non plus souhaitable.
En effet, les EnR, telles que le photovoltaïque ou l’éolien, sont par nature intermittentes, non pilotables, et l’électricité qu’elles produisent n’est pas stockable en l’état actuel de la technologie. Ces limites ont pris un caractère très concret quand RTE a demandé en janvier à nos concitoyens de réduire leur consommation électrique pour éviter des coupures localisées sur le réseau. Tous ont ainsi pu constater les difficultés des éoliennes à prendre le relais du parc nucléaire quand le vent vient à manquer. De plus, de nombreux projets d’EnR sont contestés par les citoyens et les associations environnementales.
Alors, effectivement, d’autres énergies renouvelables ont des atouts à faire valoir, avec des emplois non délocalisables et une exploitation valorisant nos territoires, surtout ruraux.
Je pense, par exemple, au biogaz issu de la méthanisation agricole, qui peut aisément être injecté dans les réseaux de gaz naturel et s’y substituer. Cependant, le Gouvernement semble réticent à lui témoigner sa confiance : la RE 2020 qu’il souhaite faire appliquer conduirait, dans les faits, à écarter son usage pour chauffer les bâtiments neufs.
Quant aux barrages hydroélectriques, leur sort est toujours suspendu aux résultats des discussions avec la Commission européenne, ce qui bloque des investissements pourtant nécessaires pour moderniser les infrastructures.
Enfin, le développement de l’hydrogène paraît prometteur, mais la filière doit encore se structurer pour être à la fois rentable et écologique, ce qui va prendre du temps.
Dans ces conditions, je pense, comme le Président de la République, que le nucléaire doit faire partie de la solution, car c’est une énergie décarbonée.
Malheureusement, le sort de la filière semble aujourd’hui lié au dangereux projet Hercule. C’est pourquoi je souhaite que le Gouvernement clarifie sa position en la matière dès que possible pour redonner des perspectives à celle-ci.
En parallèle, l’industrie nucléaire doit encore convaincre les Français à la fois sur sa sécurité et sur son coût. Il lui reste beaucoup à prouver, alors que la mise en service de l’EPR de Flamanville risque d’être de nouveau retardée et que les centrales existantes doivent être aménagées pour que leur fonctionnement soit prolongé.
Le nucléaire doit évidemment faire partie de notre politique énergétique si nous voulons être à la hauteur de nos ambitions écologiques. Il ne doit pas pour autant en constituer l’unique horizon.
Le groupe Union Centriste votera majoritairement ce texte. Quant à moi, je m’abstiendrai eu égard aux arguments que je viens de développer devant vous. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot (Applaudissements sur les travées du groupe SER.).
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour, je remercie les auteurs de cette proposition de résolution, qui nous permet aujourd’hui de débattre des enjeux très importants que représente notre avenir énergétique.
Ce texte invite le Gouvernement « à étudier la possibilité d’une mise en cohérence de sa politique énergétique avec ses ambitions écologiques ».
Ce titre est encourageant, car il met sur un pied d’égalité la politique énergétique, la cohérence et les ambitions écologiques. Sur ce point, nous pourrions être en accord avec les auteurs de la proposition de résolution, tant les enjeux environnementaux sont intimement liés à l’avenir de notre bouquet énergétique. Toutefois, son contenu nous invite à davantage de mesure.
L’impossibilité de contrôler notre consommation énergétique, exprimée par ses auteurs, est un premier point important de divergence. Il n’est pas irréaliste d’imaginer une consommation énergétique plus sobre et respectueuse de notre environnement et de nos ressources. Seule une réelle volonté politique permettra d’atteindre cet objectif.
Le deuxième point de divergence est le tout-nucléaire prôné par les auteurs de la proposition de résolution.
Pour l’avenir de la politique énergétique de notre pays, nous ne devons pas nous laisser enfermer dans une opposition stérile entre les pro-nucléaires et les anti-nucléaires. Les réalités structurelles, techniques et matérielles du secteur de l’énergie doivent nous conduire à trouver un juste milieu.
Non, nous ne pourrons pas nous passer de l’électricité d’origine nucléaire du jour au lendemain.
Oui, les énergies renouvelables occupent une place croissante dans notre bouquet énergétique, grâce à des innovations régulières et une mobilisation de plus en plus importante.
Face à ces enjeux, le Gouvernement fait preuve d’une impréparation et d’une inaction inquiétantes.
En début d’année, le débat sur le risque de blackout énergétique nous avait permis d’exprimer nos opinions respectives sur la stratégie énergétique de notre pays. Nous avions notamment souligné les retards pris pour l’entretien des centrales nucléaires.
Alors que nous sortons juste de l’hiver 2021, l’utilisation à vingt-deux reprises de la centrale à charbon de Saint-Avold et l’importation d’électricité d’origine allemande, produite à 40 % par des ressources fossiles, sonnent comme des échecs pour la décarbonation de notre énergie.
Afin de mettre en cohérence la politique énergétique de notre pays avec les ambitions environnementales fixées par les accords de Paris, seule une véritable planification de la transition écologique permettra de programmer sur le long terme la décarbonation de nos modes de production et la transformation de nos modes de consommation.
Notre politique énergétique doit s’inscrire dans une vision où seraient réellement planifiés la rénovation thermique des bâtiments, le développement des mobilités propres et un plan d’investissement pour la reconversion industrielle, avec des mesures d’accompagnement social pour les secteurs impactés.
Le rééquilibrage de notre bouquet énergétique, engagé lors de la mandature précédente par la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, s’inscrit aussi dans cette programmation. La réduction progressive de la part du nucléaire au profit des énergies renouvelables doit se poursuivre à l’échéance de 2035.
La construction de l’EPR de Flamanville sonne elle aussi comme un véritable échec avec ses multiples retards et ses surcoûts. Elle révèle la défaillance de l’État actionnaire, qui préfère optimiser ses participations financières au détriment du pilotage sur le long terme de l’outil industriel.
En matière d’énergies renouvelables, les estimations réalisées par RTE sont encourageantes : les EnR ont participé à près de 30 % de la consommation d’électricité en France métropolitaine en 2020. L’éolien est même devenu la troisième source de production d’électricité.
Ce contexte implique pour le Gouvernement et la représentation nationale de disposer d’une vraie capacité à mettre en œuvre une politique énergétique maîtrisée et souveraine.
Pourtant, en se désengageant progressivement de certains grands groupes du secteur de l’énergie, que ce soit en achevant la privatisation totale de l’entreprise Engie ou en permettant le démantèlement du groupe EDF, le Gouvernement se prive de la possibilité de s’appuyer sur eux pour agir, alors qu’ils sont indispensables à la réussite de la transition énergétique. Ce faisant, il nie totalement l’importance de l’État stratège.
L’esprit libéral de ce gouvernement va malheureusement à l’encontre des enjeux et des nécessités de notre époque. La question d’un véritable service public de l’énergie mérite d’être posée et ne doit pas être balayée d’un revers de main. Sur un secteur aussi stratégique, les décisions que nous prenons aujourd’hui se répercuteront sur les générations de demain.
Ainsi, mes chers collègues, pour souligner combien les enjeux relatifs aux changements climatiques supposent d’agir simultanément sur nos modes de production et de consommation de masse, énormément consommateurs d’énergie, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’abstiendra, bien qu’étant en désaccord avec le contenu et les arguments avancés dans la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Monsieur le ministre, depuis bientôt un an, la commission des affaires économiques du Sénat ne cesse de demander un débat transparent devant le Parlement sur l’évolution de notre politique énergétique. À défaut de l’avoir obtenu, je me réjouis que la présente proposition de résolution l’ait provoqué.
Au printemps dernier, la pandémie de la covid-19 a plongé le secteur de l’énergie dans une crise tout à fait inédite, après une chute de 5 % de la demande mondiale. C’est pourquoi l’Agence internationale de l’énergie estime que la crise sanitaire a causé plus de perturbations que tout autre événement dans l’histoire récente.
Dans ce contexte, les projets de restructuration se multiplient, en France notamment. Après le projet Hercule et le projet Bright, même TotalEnergies revoit certains de ses objectifs. Cette succession d’annonces, globalement très anxiogène, pose de lourdes questions pour notre souveraineté et notre transition énergétiques.
Concernant notre souveraineté, nous assistons à un long affaiblissement de notre appareil productif et, plus grave, à une perte de compétence, d’envie et d’enthousiasme autour d’une compétence qui était phare pour la France : celle de l’atome.
Nous savons qu’EDF a déjà arrêté les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim ; ces arrêts sont les deux premiers d’une longue série de quatorze, qui se succéderont jusqu’en 2035. Aujourd’hui, le groupe EDF envisage d’ouvrir au public un tiers du capital d’une nouvelle entité, dénommée « EDF Vert ». Quelles assurances a-t-on quant au poids et au rôle de l’État dans cette nouvelle entité ? De son côté, Engie restructure les deux tiers de ses activités de services, avec des répercussions sur la moitié de son personnel. Que dire enfin de la cession, il y a quelques années, des turbines nucléaires d’Alstom à General Electric ? La situation nous semble préoccupante.
Face à ces difficultés, notre commission n’a pas ménagé ses efforts.
Tout d’abord, elle a reculé de dix ans l’objectif de réduction à 50 % de la proportion d’énergie nucléaire dans le cadre de la loi Énergie-climat. Sans cela, le nombre de fermetures de réacteurs aurait atteint vingt-quatre dès 2025 ! Étions-nous prêts à faire face ? Eh bien, je vous le dis : nous n’étions pas prêts.
Par ailleurs, notre commission poursuit une intense activité de contrôle, notamment sur EDF et Engie.
Si notre souveraineté est ainsi mise à l’épreuve, il en va de même de notre transition vers une économie plus sobre en carbone.
La recherche nucléaire semble en berne depuis l’arrêt du réacteur Astrid ; les énergies renouvelables ne sont pas mieux loties, avec la remise en cause de dispositifs de soutien à l’énergie photovoltaïque ou au gaz renouvelable.
La nouvelle réglementation environnementale induit des surcoûts très élevés.
En outre, la moitié des 12 milliards d’euros d’investissements du plan de relance consacrés à l’énergie est en réalité issue de redéploiements de crédits. De toute évidence, ces moyens sont bien insuffisants pour relancer notre économie en accélérant sa décarbonation.
Dès le mois de juin dernier, notre commission avait pourtant proposé d’investir massivement dans l’industrie nucléaire, la rénovation énergétique et les énergies alternatives. Je ne vois aucune opposition entre le développement du nucléaire et les efforts sur les autres points énergétiques.
Aujourd’hui, nous attendons du Gouvernement qu’il sorte d’un double déni : il doit admettre que la crise de la covid-19 a un impact considérable sur le secteur de l’énergie, mais aussi que nous devons faire davantage en faveur de l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050.
Pour ce faire, le Gouvernement doit réaffirmer sa confiance en l’énergie nucléaire : plutôt que de seulement le dire, il doit surtout le faire !
Face à l’urgence climatique, il faut cesser de tergiverser sur les avantages et les inconvénients du nucléaire, car nous n’accomplirons pas la transition actuelle vers une économie sobre en carbone sans le nucléaire : celui-ci est le meilleur allié actuel du climat ; c’est le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui le dit.
Alors il nous faut accélérer l’achèvement de l’EPR de Flamanville, cher Daniel Gremillet ; il nous faut développer les trois paires d’EPR ; il nous faut dynamiser les projets du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, et, bien sûr, conforter les missions de l’Autorité de sûreté nucléaire, missions qui sont tout à fait essentielles pour la confiance des Français. L’hydrogène nucléaire doit aussi être activement soutenu, à l’échelle nationale comme au niveau européen, car il permet le développement de la filière aval en attendant l’hydrogène vert.
Voilà, monsieur le ministre, ce que nous attendons du Gouvernement. C’est plus substantiel et, peut-être, plus ambitieux que certaines dispositions du projet de loi Climat et résilience, dont on peut s’étonner qu’il soit absolument muet sur l’énergie nucléaire.
Je forme donc le vœu que celle-ci retrouve une place de choix dans notre mix énergétique, ainsi que dans notre recherche et développement. Cette place n’évincerait en rien le développement légitime et nécessaire des énergies renouvelables. Bien évidemment nous attendons de ces dernières qu’elles soient efficaces et efficientes, et nous consacrons beaucoup de moyens à cette fin. C’est à ce moment-là que nous pourrons baisser la part de notre énergie nucléaire, mais non pas plus tôt : ce serait une faute pour les Français et pour l’industrie française ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
M. Patrick Chauvet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution déposée par nos collègues du groupe Les Républicains pose la question de l’équilibre à trouver entre la politique énergétique de notre pays et ses ambitions écologiques.
Au cœur de ce questionnement figurent nos choix en matière d’énergie nucléaire – avenir des réacteurs de quatrième génération, prolongement ou fermeture des réacteurs actuels –, ainsi qu’en matière d’énergies renouvelables.
Pour ma part, il me semble que l’équation que nous avons à résoudre réside plus dans la balance à trouver entre le prix de l’énergie produite et consommée, d’une part, et le mix énergétique que nous souhaitons mettre en place à l’avenir dans notre pays, d’autre part.
Même si notre volonté commune est de diminuer nos consommations énergétiques, cet objectif ne peut être atteint qu’à usage constant. Or le développement de nouvelles pratiques, qu’il s’agisse des mobilités ou de l’adoption de nouvelles normes de construction comme la RE 2020, et les mutations relevées dans de nombreuses activités, comme le télétravail ou les usages numériques, impliqueront irrémédiablement une augmentation globale des besoins en énergie électrique.
Nous devons donc trouver des sources d’énergie qui assureront l’approvisionnement du pays pour les habitants comme pour les entreprises. Pour cela, il nous faudra être très vigilants quant à notre capacité à produire suffisamment et de manière responsable, au bon moment et surtout au bon prix.
L’équation à résoudre est à trois inconnues.
Il faut, d’abord, produire suffisamment et proprement, ce qui implique de maintenir au minimum notre capacité nucléaire à son niveau actuel. Il s’agit en effet d’une énergie décarbonée, maîtrisée et fiable. Cela implique aussi de développer les énergies renouvelables, par l’intermédiaire de l’éolien, du solaire, des biocarburants et, bien sûr, de l’hydroélectrique, dont nous aurons l’occasion de parler prochainement.
Il faut, ensuite, produire au bon moment. C’est à l’évidence une autre des qualités du nucléaire, mais cela doit aussi nous inciter à accentuer la recherche et développement en matière de stockage de l’électricité.
Il faut, enfin, produire au bon prix : c’est sans doute la plus grande difficulté. L’Arenh a déjà permis de favoriser l’émergence de fournisseurs d’électricité alternatifs, sans leur faire porter la charge de l’investissement et de la recherche sur le nucléaire. Le projet Hercule, demandé à EDF par le Gouvernement, possède comme principal ressort l’évolution de cet accès régulé. Ce boulet aux pieds de l’opérateur historique ne lui permet ni d’amortir ses coûts ni d’investir pour l’avenir dans le nucléaire et les énergies renouvelables.
Où en sont, monsieur le ministre, les négociations avec la Commission européenne sur cette question primordiale pour EDF, pour l’organisation du secteur énergétique en France et pour les consommateurs français ?
En outre, le coût relativement maîtrisé de l’électricité en France est une conséquence de nos choix passés, qui nous placent comme le pays du monde où l’énergie nucléaire occupe la plus grande place au sein du mix énergétique. Si l’on souhaite passer de 70 % à 50 % de nucléaire dans le mix à l’horizon 2035, prenons garde à nous doter de la capacité d’investir dans d’autres sources d’énergie décarbonées suffisamment productrices ! Il serait incompréhensible de devoir importer de l’électricité parfois produite à partir de charbon.
L’Europe possède le plus grand parc nucléaire du monde ; il représente en fin de compte une partie de la solution pour atteindre l’objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre en 2050. Néanmoins, les dynamiques mondiales démontrent que ce sont la Chine et la Russie qui ont les dynamiques de capacités de mise en service les plus importantes, la Chine devant dépasser l’Europe vers 2030.
L’Europe est donc à la croisée des chemins. Au-delà d’une question purement nationale, nous devons élever le débat et impulser une véritable politique européenne de l’énergie, qui soit ambitieuse, décarbonée et indépendante. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme Angèle Préville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, nous devons mettre en cohérence la politique énergétique de la France avec ses ambitions écologiques.
Cela dit, notre production d’électricité est aujourd’hui fortement décarbonée, à 93 %, dont plus de 70 % de nucléaire. La part des énergies renouvelables dans notre production augmente régulièrement, mais il faudrait s’engager de manière plus volontariste encore dans leur développement pour compenser les futures fermetures de centrales, sans oublier l’hydroélectricité, qui est tout de même la seule énergie renouvelable capable d’assurer le maintien des réseaux et des fréquences ; la petite hydroélectricité, très pertinente à l’échelon local, est pourtant sujette à de nombreux freins.
En réalité, pour décarboner, l’impératif est de réduire la consommation d’énergie fossile dans les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre, c’est-à-dire en premier lieu dans les transports. Une révolution de nos mobilités et de nos modes de consommation et de production est donc incontournable et nécessaire. Une réflexion doit également être menée sur les déchets et le gaspillage. Il convient enfin de conditionner les aides publiques en cohérence avec la stratégie nationale bas-carbone et d’investir davantage dans le financement de la transition écologique : 50 milliards d’euros de plus par an sont nécessaires, selon Jean Pisani-Ferry.
Nos centrales nucléaires vont toutes atteindre leur quarantième anniversaire dans les années à venir ; ce sera le cas de trente-neuf réacteurs d’ici à 2025. Les bétons des enceintes de confinement deviennent poreux, certaines tuyauteries non accessibles ne sont plus étanches. Tout a vieilli : continuer l’exploitation de ces sites pourrait donc poser problème, malgré le lancement de travaux dans le cadre du « grand carénage ».
S’ajoute à cela le fait que le réchauffement climatique s’installe de manière pérenne sur nos territoires : l’augmentation de la température des fleuves et la trop grande faiblesse des débits ne permettent plus d’assurer le refroidissement, entraînant des arrêts répétés de certaines centrales. C’est le cas de celle de Golfech, refroidie par la Garonne, qui atteint 30 degrés tous les étés, vrai sujet d’inquiétude.
Il faut ensuite se pencher sur le fiasco technologique et économique de l’EPR de Flamanville, qui devait être raccordé au réseau en 2012 et coûter 3,3 milliards d’euros.
Or on a appris le 16 mars dernier qu’il y avait encore des problèmes de soudure ; l’ASN a demandé à EDF de lui indiquer sa stratégie et les raisons de la détection tardive de ces problèmes. Au mieux, cette centrale sera raccordée au réseau en 2023 et devrait coûter quatre à six fois plus cher que prévu.
Dès lors, comment envisager l’avenir du nucléaire ?
Enfin, comment parler du nucléaire sans évoquer la gestion du cycle de vie de l’uranium et les risques qu’elle pose. Toute entreprise humaine comporte des risques. À ce propos, l’IRSN rappelait ce mois-ci que « l’absence d’incident ou d’accident sérieux depuis celui de Fukushima ne saurait conduire à considérer la maîtrise du risque comme définitivement acquise ».
Un accident nucléaire en France, ce serait un demi-département rayé de la carte, qu’on ne pourrait même plus traverser, contaminé pour des milliers d’années ; ce serait des centaines de milliers de personnes déplacées et une centrale qu’il faudrait refroidir sans cesse. À Fukushima, en ce moment, on injecte en continu de l’eau douce dans les cuves des réacteurs 1, 2 et 3.
Quant à l’exploitation minière de l’uranium, elle n’a pas toujours été des plus vertueuses, en France comme ailleurs. Malheureusement, le Limousin s’en souviendra longtemps, qu’il s’agisse de la radioactivité de l’eau à Limoges, ou des 176 000 fûts de yellowcake disséminés sur ce territoire.
En outre, la question des déchets nucléaires n’est toujours pas résolue et continue de faire débat. Les déchets de haute activité et à vie longue ne sont toujours pas enfouis à Bure ; il serait grand temps d’y remédier.
S’il fallait changer la voie choisie de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans le mix énergétique, comme il est envisagé dans cette proposition de résolution, qui porte sur un sujet sociétal par excellence, il serait absolument nécessaire d’y associer nos concitoyens : après tout, on ne leur a jamais demandé leur avis sur cette question, choix crucial d’avenir mêlant souveraineté, indépendance, industrie et écologie. Pour une fois, il serait bon de bien faire les choses, c’est-à-dire de donner à nos concitoyens des connaissances pour leur offrir les conditions d’un choix éclairé.
Pour toutes ces raisons, la diminution de la part du nucléaire actée dans la programmation pluriannuelle de l’énergie, jusqu’à 50 % en 2035, nous paraît un choix raisonnable. C’est pourquoi nous nous abstiendrons sur cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Christian Klinger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Klinger. Alors que le Gouvernement souhaite mettre en place un délit d’écocide pour punir les atteintes à l’environnement, est-il prêt, monsieur le ministre, à reconnaître la fermeture de la centrale de Fessenheim comme le premier écocide ? (Rires et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Dans son rapport de mars 2020, la Cour des comptes indique que la fermeture de Fessenheim se caractérise par un processus de décision chaotique.
De fait, cette fermeture est une triple faute.
C’est tout d’abord une faute écologique et l’amorce d’un écocide. Les deux réacteurs de Fessenheim représentaient une production de 1,8 gigawatt. Avec la centrale de Fessenheim, RTE n’aurait pas été obligé de tirer la sonnette d’alarme cet hiver : nous n’aurions pas eu de tensions sur les réseaux. Avec Fessenheim, nous n’aurions pas dû avoir recours de manière accrue à la centrale à charbon de Saint-Avold et aux importations de gaz de nos voisins, mesures dont l’impact direct a été une émission supplémentaire d’environ 10 millions de tonnes de CO2.
M. François Bonhomme. Beau résultat !
M. Christian Klinger. Par conséquent, si votre délit d’écocide est correctement appliqué, les personnes qui ont décidé de la fermeture de Fessenheim pourraient être poursuivies, puisque cette décision a été néfaste pour l’environnement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ensuite, la fermeture de la centrale de Fessenheim est une faute économique et industrielle. Comme le dit le maire de Fessenheim, la centrale était un îlot de prospérité. La fermer a mis en difficulté 2 000 emplois directs et indirects, ainsi que les familles de ces salariés. Cela a occasionné des répercussions sur les sous-traitants et sur les commerçants, dont le chiffre d’affaires a évidemment baissé. Il y a aussi eu des répercussions pour les collectivités, avec le prélèvement par l’État de 3 millions d’euros au titre du fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR), qui n’a pas été neutralisé.
Fermer Fessenheim a aussi eu des conséquences pour nos finances publiques. On a dû verser 400 millions d’euros à EDF pour sa fermeture, sans compter toutes les sommes à ajouter pour le manque à gagner ; le coût du démantèlement est évalué à 2 milliards d’euros.
Alors, monsieur le ministre, pourquoi fermer Fessenheim ? Était-ce parce que la centrale était la doyenne du parc, ou qu’elle était trop vieille ?
L’âge d’une centrale n’a rien à voir avec sa sûreté ; c’est d’ailleurs ce qu’indiquent les différents rapports. La centrale était sûre et rentable ; elle pouvait encore fonctionner durant plusieurs années, comme l’indique l’Autorité de sûreté nucléaire.
C’est là qu’intervient la troisième faute, qui laissera des traces sur notre territoire : fermer Fessenheim est une faute politique majeure, car cette fermeture relève d’un choix arbitraire, fait pour des raisons politiciennes.
Les Alsaciens ne sont pas dupes, non plus que les Français. Ils n’oublieront pas que Fessenheim a été sacrifiée pour quelques voix et un accord électoraliste entre le PS et les Verts en 2012. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Sacrifier des intérêts stratégiques et économiques, un territoire et les salariés sur l’autel d’un accord politicien, c’est une erreur historique !
Enfin, la reconversion du territoire n’a pas été anticipée et le projet de technocentre, une usine de traitement de métaux radioactifs, est très loin des attentes.
Ce projet, défendu par le Gouvernement, verrait une mise en service au plus tôt en 2029 avec seulement 150 emplois créés : on aura vu mieux comme reconversion ! Quelle image le Gouvernement envoie-t-il au territoire alsacien avec ce projet, alors qu’il s’était engagé à ce que Fessenheim devienne un symbole de la reconversion industrielle et énergétique du pays ?
Après la fermeture des réacteurs de Fessenheim et la fin de non-recevoir sur StocaMine, l’attente est forte sur le territoire alsacien. Pour l’instant, monsieur le ministre, le Gouvernement n’est pas au rendez-vous !
Nous devons, collectivement, assurer cette reconversion du territoire. Les élus sont prêts à vous suivre, mais sur un projet viable. Avec le plan de relance, nous avons une chance inouïe d’assurer cette reconversion : il prévoit 200 millions d’euros pour la filière nucléaire. Alors fléchons dès aujourd’hui une partie de ce fonds pour la reconversion du territoire de Fessenheim ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, merci pour votre invitation, qui me permet de vous exposer la cohérence de notre politique énergétique avec nos ambitions écologiques.
Cette cohérence s’apprécie déjà dans nos objectifs, nos ambitions et nos investissements. Ce qui nous fait défaut, en matière d’énergie, ce n’est pas tant la cohérence que la souveraineté.
Le grand défi de notre génération et des suivantes, après presque deux siècles d’abondance énergétique, est de garantir notre sécurité d’approvisionnement dans des conditions soutenables pour la planète.
Pour ce faire, nous devons donner à la France les moyens de sa souveraineté énergétique. En matière d’énergie comme pour les autres secteurs stratégiques, la souveraineté repose sur la diversification et l’indépendance.
Cette stratégie est un héritage : nous le devons au Conseil national de la Résistance, qui donna naissance à EDF et GDF, deux sociétés d’impulsion étatique qui constituent depuis lors des attributs de puissance de la France et ont été un moyen pour le pays de se reconstruire, mais aussi l’un des fondements de son identité.
Concernant le gaz, nous avons constitué au fil des années l’un des portefeuilles d’approvisionnement les plus diversifiés d’Europe. C’est une force ; tous nos voisins ne peuvent pas en dire de même.
Pour l’électricité, avec le développement du nucléaire, comme cela a été rappelé, nous avons construit un atout précieux : celui d’avoir une électricité parmi les moins carbonées au monde.
Comme vous le savez, nous avons fait le choix de ramener progressivement la part du nucléaire de 70 % à 50 % du mix électrique d’ici à 2035.
Viser 50 %, c’est maintenir la part prépondérante du nucléaire en France et c’est préserver une filière de 2 600 entreprises et de plus de 200 000 emplois directs et indirects ; ces chiffres aussi ont été cités dans ce débat.
Il nous revient aujourd’hui de terminer les grands chantiers actuels et de préparer ceux qui s’annoncent. Il s’agira aussi de constituer une filière de démantèlement et de développer de nouvelles solutions pour le traitement des déchets.
Pour cela, la filière nucléaire peut compter sur un savoir-faire et une excellence reconnus à travers le monde. Mais elle doit aussi pouvoir compter sur une capacité d’investissement que le Gouvernement renforce avec France Relance.
Nous mobilisons ainsi un demi-milliard d’euros pour soutenir les entreprises les plus sensibles, pour amplifier l’effort de recherche et développement, pour renforcer les compétences critiques et pour moderniser une industrie qui fait l’honneur de la France depuis soixante ans.
Parallèlement, nous devons accélérer le développement des énergies renouvelables. Aujourd’hui, celles-ci fournissent déjà environ un cinquième de notre production électrique, notamment parce que nous avons historiquement développé l’hydraulique. Ces énergies renouvelables sont de plus en plus compétitives.
Nous pouvons passer à la vitesse supérieure, avec un cap clair : que, d’ici à 2030, 40 % de l’électricité produite dans le pays soit renouvelable.
Pour cela, nous devons développer plus largement le solaire, l’éolien et l’hydrolien.
Concernant le solaire, nous avons pour objectif de quadrupler la puissance installée d’ici à 2028, tout en développant des panneaux tant sur les toitures que par des centrales au sol.
Quant à l’éolien terrestre, nous devons poursuivre et amplifier nos efforts, tout en nous assurant de l’acceptabilité des projets. L’objectif est de doubler la puissance d’ici à 2028.
Pour l’éolien en mer, ou hydrolien, nous avons le deuxième gisement d’Europe par son potentiel. Celui-ci doit être davantage exploité ; la simplification administrative peut nous y aider. Nous avons déjà engagé ce travail dans la loi ASAP, mais nous pouvons faire davantage.
Par ailleurs, un certain nombre d’études montrent que nous pourrions intégrer des taux supérieurs à 40 % d’énergies renouvelables variables sans mettre en péril la sécurité du système électrique. Comme vous le savez, RTE analyse actuellement des scénarios de long terme. Ces travaux nous seront remis à l’automne ; ils seront – je n’en doute pas – de nature à nourrir le débat et à éclairer les décisions qui seront prises au début du prochain quinquennat.
Mais notre mix énergétique ne se résume pas à l’électricité : il y a aussi le gaz.
Pour décarboner cette filière, la solution est non pas de la démanteler, mais bien de la transformer et de développer, pour ce faire, le gaz renouvelable. Nous avons pris des engagements inédits à cet effet dans la programmation pluriannuelle de l’énergie.
En trois ans, nous avons multiplié par quatre le nombre d’installations de méthanisation, qui constituent aussi de plus en plus souvent, comme vous le savez, des compléments de rémunération pour nos agriculteurs. Nos capacités de production augmentent rapidement. Au total, nous investirons 10 milliards d’euros dans le biogaz d’ici à 2028.
Enfin, nous devons bâtir une filière française de l’hydrogène qui nous permettra de décarboner un certain nombre d’usages dans les champs de l’industrie et des transports. Pour construire cette filière, il faudra s’assurer de la production d’un hydrogène vert ou décarboné.
Pour cela, l’option la moins coûteuse et la plus efficiente est de le produire localement, par électrolyse, à partir de l’électricité de notre réseau, qui, je le disais, présente l’avantage d’être très peu carbonée.
Sincèrement, sur ce sujet, nous avons toutes les capacités pour nous imposer comme l’un des leaders mondiaux de l’hydrogène, raison pour laquelle nous investirons 7 milliards d’euros d’ici à 2030.
Notre souveraineté énergétique dépend bien sûr de notre mix, mais aussi de notre consommation. En la matière, nous devons aller vers plus de sobriété, par l’innovation technologique et par l’efficacité énergétique.
L’objectif est de faire baisser notre consommation finale d’énergie de moitié d’ici à 2050. Les politiques conquérantes de décarbonation des transports et de rénovation thermique des bâtiments y contribueront fortement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les décisions en matière d’énergie dépassent très largement l’horizon de nos mandats politiques. Elles engagent les générations à venir et nécessitent de la réflexion, du débat et de la planification.
La place de la France dans le monde, sa souveraineté, sa puissance sont intrinsèquement liées à sa production d’énergie. Le général de Gaulle l’avait bien compris ; il visait en la matière l’indépendance et l’excellence.
Cette volonté, cette vision, nous en sommes les héritiers. Soyez assurés qu’elle guide, chaque jour, chacune de nos décisions. Notre politique énergétique n’est pas seulement cohérente avec nos ambitions écologiques ; elle est cohérente avec nos ambitions tout court. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Sophie Primas et M. Fabien Gay. Et Hercule ?
M. le président. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution invitant le gouvernement à étudier la possibilité d’une mise en cohérence de sa politique énergétique avec ses ambitions écologiques
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu les articles 1er à 6 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,
Vu le chapitre XVI du Règlement du Sénat,
Vu la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, et notamment ses articles 1er et 2,
Vu la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, et notamment son article 1er,
Vu la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, et notamment son article 73,
Vu le code de l’énergie, et notamment son titre préliminaire,
Vu le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) du 6 octobre 2018 intitulé « Réchauffement planétaire de 1,5°C », qui inclut l’énergie nucléaire dans les scénarios permettant d’atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris du 12 décembre 2015,
Considérant l’objectif fixé à l’article L. 100-4 du code de l’énergie, de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2035 ;
Considérant que l’article 1er de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 précitée a permis de reporter, de 2025 à 2035, cet objectif, institué par l’article 1er de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 précitée ;
Déplorant que le Gouvernement ait commandé un scenario « 100 % renouvelables » d’ici à 2050 à Réseau de transport d’électricité (RTE) et à l’Agence internationale de l’énergie (AIE), alors que c’est au Parlement de définir, à compter du 1er juillet 2023, l’évolution de notre mix énergétique, dans le cadre de la « loi quinquennale », mentionnée à l’article L. 100-1 A du code de l’énergie, institué par l’article 2 de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 précitée ;
Déplorant que le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ne contienne qu’une dizaine de dispositions relatives à l’énergie, et aucune afférente à l’énergie nucléaire, malgré sa place centrale dans la lutte contre le réchauffement climatique ;
Considérant que l’atteinte de l’objectif, largement partagé, de cesser de recourir aux énergies fossiles pour les besoins de notre pays, nécessitera un recours accru à l’électricité, qui devra être abondante et décarbonée ;
Considérant l’objectif de 20 % à 40 % d’hydrogène bas-carbone et renouvelable d’ici à 2030, mentionné à l’article L. 100-4 du code de l’énergie, institué par l’article 1er de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 précitée ;
Considérant que la production d’hydrogène, qui répond aux impératifs de la transition écologique en décarbonant l’industrie et en développant les mobilités propres, ne peut être collectivement acceptée que si elle est issue de procédés utilisant une électricité décarbonée ;
Considérant que la nouvelle réglementation thermique des bâtiments (Réglementation environnementale 2020 – « RE2020 ») conduira, si elle est adoptée en l’état, à proscrire de facto l’usage du gaz pour le chauffage des logements individuels et collectifs neufs, et donc à renforcer les besoins de la France en électricité décarbonée ;
Considérant l’objectif de décarbonation des transports terrestres d’ici à 2050, mentionné à l’article 73 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 précitée ;
Constatant les risques de tensions, déjà tangibles, que font peser la mise à l’arrêt de plusieurs centrales nucléaires sur notre sécurité d’approvisionnement électrique ;
Constatant que ces risques ne pourront que s’accroître à l’avenir si la mise à l’arrêt de plusieurs centrales nucléaires n’est remplacée que par des énergies renouvelables intermittentes et non pilotables, comme le rappelle France Stratégie dans son rapport intitulé « Quelle sécurité d’approvisionnement électrique en Europe à horizon 2030 ? » publié le 15 janvier 2021 ;
Estimant nécessaire de préserver l’atout industriel et technologique que représente la filière nucléaire, forte d’une chaîne de production de près de 2 600 entreprises réparties dans les territoires et employant plus de 220 000 salariés ;
Estimant à ce titre nécessaire de ne pas fragiliser davantage l’opérateur historique de production d’électricité et ses salariés, déjà pénalisés par la fermeture de la centrale de Fessenheim et par l’abandon du projet de démonstrateur « Astrid » ;
Estimant nécessaire de garantir, pour l’ensemble des ménages français, une électricité comparativement peu onéreuse, celle-ci étant en France, taxes et prélèvements compris, de 0,1765 € / kilowattheure (KWh) contre 0,2147 €/KWh au sein de l’Union européenne et de 0,3088 €/KWh en Allemagne ;
Estimant que le nucléaire confère à la France un avantage comparatif inestimable en termes d’indépendance énergétique par rapport à ses voisins européens ;
Redoutant que la France ne doive importer des énergies carbonées pour satisfaire ses besoins énergétiques pour compenser la réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique ;
Invite le Gouvernement à étudier la possibilité d’une mise en cohérence de sa politique énergétique avec ses ambitions écologiques en cherchant à préserver la prédominance du nucléaire au sein de notre mix énergétique.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 96 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 261 |
Pour l’adoption | 227 |
Contre | 34 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-huit, est reprise à seize heures.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Quelle politique d’aménagement du territoire ?
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Quelle politique d’aménagement du territoire ? »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Didier Mandelli, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Didier Mandelli, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie mon groupe, Les Républicains, d’avoir inscrit à l’ordre du jour ce nouveau débat sur l’aménagement du territoire.
Je dis « nouveau », parce que le 18 novembre 2020, déjà, nous débattions sur l’initiative de nos collègues du groupe RDSE sur le thème de l’« Agence nationale de la cohésion des territoires, un an après sa création », et que le 3 mars dernier s’est tenu un autre débat, à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective, sur les conclusions de son rapport Mobilités dans les espaces peu denses à l’horizon 2040 : un défi à relever dès aujourd’hui.
Sous une forme ou une autre, il ne se passe pas une semaine de contrôle passée sans que l’aménagement du territoire figure à l’ordre du jour.
Aussi, pourquoi parler de nouveau d’aménagement du territoire ?
Dans le cas présent, j’ai la faiblesse de penser que la constance avec laquelle le Sénat traite de cette question n’est pas uniquement le fait de ses attributions constitutionnelles. J’ai même la conviction que l’aménagement du territoire, évoqué avec d’autant plus de vigueur que sa réalité, comme politique publique, nous fait profondément défaut.
Vous l’aurez compris, la fonction de ce débat est non pas de produire une analyse critique de la politique publique d’aménagement du territoire du Gouvernement, mais bien davantage de lui demander quelle est cette politique.
L’aménagement du territoire est bel et bien une spécificité française. De l’ouvrage de Jean-François Gravier, Paris et le désert français, publié en 1947, à la création de la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar) en 1963, en passant par la nomination d’Eugène Claudius-Petit au ministère de la reconstruction et de l’urbanisme de 1948 à 1953, notre pays a appuyé toutes ses politiques sectorielles sur l’aménagement du territoire.
Comme le précisait Michel Debré : « Il faut répondre à ce devoir d’État qui, en termes administratifs, se nomme aménagement du territoire. »
Comme chacun ici a pu le constater, cette politique publique s’est lentement érodée avec le temps.
Nous avons cru d’abord que la décentralisation était un palliatif suffisant à cet abandon : c’était se tromper.
Nous avons cru ensuite que le Fonds européen de développement régional (Feder) allait lui aussi se substituer à ce renoncement : c’était, là encore, se tromper.
Nous avons cru enfin que les métropoles nous conduiraient dans une nouvelle ère, rendant le concept même d’aménagement du territoire inopérant : c’était, une fois de plus, se tromper !
Manifestement, plusieurs raisons peuvent être avancées pour justifier la disparition de cette politique publique : pour les libéraux, l’aménagement du territoire, c’est la planification, l’amorce du socialisme ; pour les Girondins, c’est une création jacobine ; pour les autres, c’est une discipline placée sous le sceau de l’arbitraire, du clientélisme. Pour ma part, je rejette ces trois assertions.
La hausse de la dépense publique nous a conduits à sacrifier nos dépenses d’investissement, nous privant ainsi des moyens indispensables à cette politique.
À ce stade, j’ose formuler une question : savons-nous encore faire de l’aménagement du territoire, en termes d’ingénierie, bien sûr, mais surtout en termes de réflexion, de vision ?
Certes, nous avons multiplié les différents plans et schémas : des Sraddet (schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires) aux PLU (plans locaux d’urbanisme) et PLUi (plans locaux d’urbanisme intercommunaux), en passant par les SCoT (schémas de cohérence territoriale), sans parler des PDU (plans de déplacements urbains), des PLH (programmes locaux de l’habitat), des SRCE (schémas régionaux de cohésion écologique), des contrats territoriaux, des plans de relance, des programmes « Petites villes de demain » et « Action cœur de ville » – et j’en oublie !
Là encore, je me demande naïvement si cette avalanche de plans n’est pas un palliatif…
Toutes les actions engagées depuis trente ans n’ont pas permis de faire disparaître le sentiment d’éloignement ou de délaissement, à la ville comme dans nos campagnes. C’est même l’effet inverse qui s’est produit !
Le vœu pieux de l’article 1er de la loi du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, aux termes duquel « La politique nationale d’aménagement et de développement durable du territoire concourt à l’unité de la nation, aux solidarités entre citoyens et à l’intégration des populations », semble lui aussi bien lointain.
De fait, nous nous sommes accrochés trop longtemps au fait métropolitain et à sa théorie du ruissellement, comme nous avons cru que le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication allait redonner à tous les territoires une nouvelle vocation économique. C’est vrai, mais seulement en partie : plus l’économie se digitalise, plus elle se concentre géographiquement.
Plusieurs explications méritent d’être nuancées. D’une part, la moitié des étudiants de France se concentre dans les quinze métropoles que comptait le pays au 1er janvier 2017, alors que celles-ci n’accueillent que 27 % de la population française. D’autre part, la fracture numérique est loin d’être comblée puisque, dans les unités urbaines de moins de 100 000 habitants et dans les communes rurales, seuls 60 % des habitants disent profiter des possibilités ouvertes par les nouvelles technologies, contre plus de 80 % dans l’agglomération parisienne.
Face à ces difficultés, maintes fois énoncées par le Sénat, les gouvernements ont répondu, non par l’aménagement du territoire, mais avec des politiques éparses de soutien aux territoires en difficulté, qui ressemblent davantage à des soins curatifs, sans garantie de guérison.
Pire encore, lorsque l’on voit ce qu’il est advenu des pôles d’excellence rurale, des zones de revitalisation rurale, si chères à Rémy Pointereau, de la prime d’aménagement du territoire, du fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (Fisac), ou du fonds national d’aménagement et de développement du territoire, on devine que la tendance n’est pas à la hausse des moyens.
En définitive, que devient l’aménagement du territoire ?
Il repose sur le volontarisme des collectivités locales, qui, malgré l’instabilité institutionnelle dans laquelle elles évoluent, se substituent désormais à un État omniprésent et omnipotent. Pour cette raison, nous voulons enfin parler de différenciation, pour que chaque territoire puisse se développer comme il l’entend, fort de son histoire, de sa culture, de son patrimoine et de la volonté des femmes et des hommes qui le font vivre.
Constatant le déclin de cette politique d’aménagement du territoire, votre gouvernement a tenté de renouer avec une vieille tradition française : création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), nomination d’un haut-commissaire au plan, que nous avons auditionné plus de trois heures pour presque rien, et la possible loi 4D – pour différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification –, sans bien sûr oublier votre nomination, monsieur le secrétaire d’État. Ce sont des signaux positifs, qui n’expriment cependant pas une vision stratégique.
L’enjeu, aujourd’hui, est de donner une perspective à nos concitoyens, sans opposer l’urbain et le rural – nous devrions d’ailleurs utiliser le couple ville-campagne pour dessiner notre avenir.
D’éminents chercheurs, universitaires, géographes et sociologues se sont penchés sur ces évolutions, tels que Christophe Guilluy, Laurent Davezies ou Olivier Bouba-Olga. Valérie Jousseaume, que nous avons auditionnée, a écrit Plouc Pride. Un nouveau récit pour les campagnes, livre très éclairant que je vous invite à vous procurer.
La matière ne manque pas pour alimenter les réflexions de l’exécutif. Faut-il être aveugle et sourd pour ne pas comprendre l’aspiration profonde de nos concitoyens, exacerbée par la crise des gilets jaunes, qui a débouché sur un grand débat national, non suivi d’effets ?
Faut-il être enfermé à l’Élysée pour ne pas mesurer les effets durables de la pandémie, qui accentuent la migration vers les campagnes : l’exode urbain, après l’exode rural ?
Suffit-il d’évoquer l’objectif de zéro artificialisation dans le projet de loi Climat, qui stigmatise les territoires en développement pour régler la question climatique ?
Aucune métropole, y compris Paris, ne s’est construite in situ. Le sujet du développement durable concerne tous les territoires. Ces derniers sont la solution aux questions posées par le projet de loi Climat sur le travail, les déplacements, la production et la consommation.
En réalité, la véritable question devrait être formulée comme suit : quel aménagement et quelle place donner à nos territoires pour répondre aux enjeux climatiques ?
Monsieur le secrétaire d’État, la France s’est construite dans la diversité de ses territoires et de leurs richesses. Vous avez l’ardente obligation de préserver, de protéger ce bien commun, que l’on vive dans une petite commune à la campagne ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je remercie le Sénat, chambre des territoires, d’avoir organisé ce débat sur l’aménagement du territoire. C’est le troisième débat auquel j’assiste ; je suis très heureux d’y représenter le Gouvernement.
Ce débat a été intitulé : « Quelle politique d’aménagement du territoire ? » Le pluriel aurait tout aussi bien pu être choisi, vos questions en témoigneront sans doute. En effet, la politique d’aménagement du territoire touche à une diversité de politiques publiques : les transports, le logement et l’urbanisme, mais aussi la santé, le numérique, la jeunesse et l’accès aux services publics. Il y a donc non pas « une » mais « des » politiques d’aménagement du territoire.
Pour autant – et c’est ce qui justifie d’ailleurs l’emploi du singulier –, toutes ces politiques ont un même objectif : tenir la promesse républicaine d’égalité, compenser les handicaps territoriaux pour permettre à chacune et à chacun de s’épanouir dans sa vie personnelle, familiale ou professionnelle, quel que soit son lieu de résidence. Nous devons veiller à ce que chaque territoire dispose des moyens de surmonter ses fragilités et de développer son potentiel en fonction de ses spécificités.
Pour ce faire, notre politique d’aménagement doit être équilibrée et n’oublier aucun territoire.
Mon portefeuille ministériel l’illustre bien : de nombreux acteurs souhaitaient que la ruralité dispose, tout comme la ville, d’un représentant au Gouvernement – c’est chose faite ! Désormais, et pour la première fois, il existe un secrétariat d’État dédié à la ruralité, auprès de la ministre de la cohésion des territoires, Jacqueline Gourault.
Mon rôle est d’assurer le suivi et la mise en œuvre de l’« agenda rural », ce grand plan national en faveur de la ruralité, qui comprend 181 mesures. Les choses avancent bien : à ce jour, 60 % des mesures ont été réalisées et 25 % sont en cours de réalisation. L’agenda ayant été lancé il y a seulement dix-huit mois, il nous reste encore une année pour achever sa mise en œuvre – soyez assurés que j’y veillerai personnellement !
À titre d’exemple, je peux souligner le formidable succès du déploiement des espaces France Services : 1 123 ont d’ores et déjà été labellisés ; il y en aura plus de 2 000 l’année prochaine. L’objectif est de permettre à chacun de nos citoyens d’accéder aux services publics du quotidien, à moins de trente minutes de leur domicile.
Je peux aussi citer la fracture numérique, pour laquelle œuvre Cédric O, secrétaire d’État chargé du numérique. La généralisation de la 4G, la résorption progressive des zones blanches et l’accélération du déploiement de la fibre sont des grands succès de notre politique d’aménagement du territoire.
Pour mettre en œuvre ces politiques, nous disposons d’un opérateur nouvellement créé, qui a déjà fait l’objet d’un débat au Sénat : l’ANCT. Cette dernière s’est imposée comme le nouvel acteur apprécié et incontournable sur les territoires, au travers de ses nombreux programmes nationaux d’appui. Je pense en particulier au programme « Petites villes de demain », qui suscite beaucoup d’enthousiasme sur le terrain. Je trouve votre appréciation un peu modeste, monsieur le sénateur Mandelli : chaque fois que je me rends dans un territoire pour signer une convention relative à ce programme, je constate que les acteurs locaux sont très heureux de disposer d’une telle ingénierie !
L’ANCT va proposer des prestations d’ingénierie gratuite pour les petites communes rurales – celles de moins de 3 500 habitants –, afin qu’elles puissent monter et valoriser leurs projets ; elle joue pleinement le rôle que le législateur lui a confié, celui d’être le bras armé d’une politique de cohésion des territoires.
L’aménagement du territoire, c’est aussi la politique de la ville, dont est chargée ma collègue Nadia Hai. Nous œuvrons en faveur des quartiers défavorisés via une politique de réhabilitation et d’amélioration de l’habitat. La politique de renouvellement urbain, quant à elle, est élaborée conjointement avec la ministre de la transition écologique, pour tenir compte des impératifs environnementaux.
Le comité interministériel des villes qui s’est tenu au mois de janvier dernier a permis de mobiliser 3,3 milliards d’euros supplémentaires au bénéfice des quartiers prioritaires, dont plus de 1 milliard d’euros au titre du plan de relance. En outre, il a été décidé une hausse de 2 milliards d’euros des moyens dont dispose l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, portant ainsi son budget à 12 milliards d’euros pour le nouveau programme national de rénovation urbaine.
Au travers de toutes ces politiques, l’État est présent pour garantir la cohésion des territoires, loin de l’image que certains se plaisent à véhiculer d’une France qui serait déchirée entre la ville, la banlieue et la campagne, d’une « France archipel », éclatée dans des espaces concurrents.
Il nous faut aussi lutter contre cette vision erronée d’un État qui privilégierait les grandes métropoles, seules bénéficiaires des fruits de la croissance, au détriment d’une France périphérique qui serait oubliée – rien n’est plus faux ! Récemment, l’économiste Laurent Davezies a publié un ouvrage qui démontre que les inégalités territoriales n’ont pas explosé et que, sans l’État, certains territoires se seraient vidés. Il a montré, chiffres à l’appui, que l’emploi public a continué de progresser dans les départements dans lesquels l’emploi privé a reculé.
Mais la présence des pouvoirs publics n’a pas toujours suffi à compenser des évolutions économiques profondes, comme la désindustrialisation. L’aménagement du territoire doit reposer aussi sur une économie prospère. Cela excède sans doute les termes du débat de ce jour, mais je tiens à le rappeler : avant la crise du covid-19, nous avions recommencé à créer de l’emploi industriel dans notre pays.
Le plan France Relance nous permettra, dès cette année, de retrouver le chemin de la croissance, car il bénéficie en grande partie aux territoires. Ses crédits sont très largement territorialisés et seront déployés au travers des contrats de relance et de transition écologique. Le Premier ministre a souhaité que chaque territoire soit accompagné pour décliner un projet de relance sur les domaines correspondant à ses besoins et ses objectifs.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, voilà ce que je tenais à dire en prélude à ce débat. En tant qu’ancien élu local – j’ai été maire d’une commune rurale et de montagne durant près de trente ans –, je sais qu’une politique d’aménagement du territoire ne peut se concevoir sans un dialogue constant avec les acteurs de terrain. C’est la raison pour laquelle le débat que nous allons avoir est non seulement utile, mais indispensable.
Nous savons, en France, contrairement à bon nombre de pays de l’Union européenne, aménager le territoire. Je pense que ce débat saura vous en convaincre ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le secrétaire d’État, La Poste assure une mission d’aménagement du territoire en veillant à garantir un bon maillage territorial.
À cet égard, les bureaux de poste jouent un rôle essentiel pour créer le lien entre La Poste, les habitants et les services dispensés. Force est de constater que La Poste est actuellement confrontée à une baisse de volume du courrier, estimée à 19 % pour l’année 2020. En effet, le service universel postal est devenu brutalement déficitaire de 1,5 milliard d’euros, alors qu’il était positif jusqu’en 2017.
Cette chute brutale de courrier a été accélérée durant la crise sanitaire. La perte importante ainsi encourue n’a été compensée ni par la forte croissance des transactions de colis, ayant tout de même rapporté à La Poste 300 millions d’euros cette année, ni par l’augmentation du prix du timbre.
Faute de compensation financière par l’État, les missions de service public de La Poste risquent d’être mises à mal. Sont ainsi concernés non seulement le service universel postal, qui oblige La Poste à distribuer le courrier six jours sur sept, sur l’ensemble de notre territoire, mais également l’obligation de maintenir au moins 17 000 points de contact partout en France, ce malgré la fréquentation en baisse de 20 % des bureaux de poste en 2020.
Dans cette perspective, La Poste entreprend sa modernisation : elle favorise la digitalisation, tisse des partenariats et assure la restructuration des bureaux de poste en fonction des besoins locaux. Il faut le souligner, les bureaux de poste sont bien différents en fonction des territoires, ce qui provoque de nombreuses inquiétudes, notamment dans nos territoires ruraux.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser les mesures que le Gouvernement entend prendre pour accompagner La Poste, afin de retrouver un équilibre budgétaire sans porter atteinte au maillage territorial ? Il est absolument nécessaire de garantir une présence sur l’ensemble de nos territoires, en particulier dans les territoires ruraux. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Votre constat est très juste, monsieur le sénateur Franck Menonville : La Poste doit repenser son modèle, à la fois du fait des conséquences de la crise mais aussi sous l’effet d’évolutions, plus structurelles, de l’usage du courrier.
Bien entendu, il faut distinguer les sujets qui ne pèsent pas du tout le même poids dans le débat. Le service universel postal accuse un déficit massif depuis trois ans, porté à 1,5 milliard d’euros en 2020. Quant à la mission d’aménagement du territoire, qui se traduit par le maintien de 17 000 points de contact, elle n’est pas intégralement compensée. Mais le reste à charge pour l’entreprise n’est pas du même ordre ; il a diminué depuis dix ans, passant ainsi de 152 à 57 millions d’euros. Le Gouvernement a d’ailleurs proposé une dotation de 66 millions d’euros au titre de la loi de finances pour 2021, rejoignant en cela une demande émanant du Sénat.
La Poste s’est engagée dans sa transformation ; de nombreuses adaptations ont déjà été mises en œuvre – il convient de le saluer. Le Gouvernement, de son côté, a récemment missionné Jean Launay, ancien député du Lot et spécialiste reconnu de la question, afin qu’il élabore des propositions. Philippe Wahl, patron du groupe La Poste, a présenté les premières pistes envisagées devant l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF).
Je ne peux, en l’état, vous donner le produit fini qui résultera de ces échanges, mais je peux cependant poser deux jalons dans la réflexion.
D’une part, bien que nous le souhaitions, il n’est pas possible de conserver le service postal tel quel, sur le plan financier ; ce n’est d’ailleurs pas opportun, les habitudes et les attentes des Français ayant changé.
D’autre part, je suis comme vous très attaché au principe d’une implantation territoriale large de La Poste ; il ne faut pas que le réseau territorial subisse les contrecoups de la crise. Il est toutefois sain et nécessaire de s’assurer que le contrat de présence postale est toujours réaliste, en lien avec l’AMF, qui, avec l’État, en est signataire.
En tout état de cause, vous pouvez compter sur moi pour faire en sorte que la mission d’aménagement du territoire de La Poste soit bien remplie dans les années à venir. Pour ma part, je sais compter sur le Sénat pour y veiller !
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Monsieur le secrétaire d’État, une étude publiée le mois dernier par l’Association des maires ruraux de France montre que les écarts en matière d’accès aux médecins généralistes ou spécialistes s’aggravent au détriment du monde rural.
Des régions entières enregistrent des baisses spectaculaires de leur densité globale en médecins généralistes. S’ensuit une concentration des médecins restants sur les principaux centres urbains. Cette situation a des conséquences graves, qui peuvent se résumer en un seul chiffre : une personne vivant en milieu rural a 2,2 ans d’espérance de vie en moins qu’un habitant des villes !
Bien sûr, les facteurs d’explication se croisent, mais il apparaît aujourd’hui évident que le temps d’attente pour décrocher un rendez-vous et l’éloignement géographique des médecins participent de cette évolution, qui s’aggrave chaque année. Il n’y a donc plus d’« égalité », pour reprendre votre terme, monsieur le secrétaire d’État, face aux soins dans notre pays. C’est un phénomène gravissime car, derrière, c’est aussi des entreprises qui ne s’installent pas et des familles qui préfèrent quitter un territoire où l’offre de soins est défaillante.
Les déserts médicaux participent grandement du « désaménagement » du territoire ; ils exacerbent toutes les fractures territoriales et nourrissent la rancœur qui s’installe chez nos concitoyens face à ce qu’ils considèrent être une démission du politique.
La situation continue de se dégrader : des zones pourtant proches de grandes villes, ainsi que des régions attractives, se trouvent en difficulté. Même à Ancenis, à 40 kilomètres de Nantes, les élus assistent au départ de leurs médecins généralistes.
Monsieur le secrétaire d’État, il n’y a plus de place pour les discours lénifiants et les demi-mesures !
En écho aux propositions des réseaux de collectivités, envisagez-vous de vraies mesures non seulement incitatives, mais réellement contraignantes sur les installations, pour répondre enfin à ce qu’il convient d’appeler un scandale français ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. Hervé Maurey. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur, nous avons adopté les 181 mesures de l’agenda rural ; 8 d’entre elles relèvent de la politique de santé publique – c’est une précision importante !
Pour ma part, je me suis attelé à rencontrer de façon bilatérale tous les ministres, en priorité le ministre des solidarités et de la santé pour voir où nous en étions tant par rapport à ces mesures que par rapport à la nécessité de mettre en œuvre une politique d’aménagement du territoire en matière de médecine, telle que l’agenda l’avait prévue.
Bon nombre des mesures de l’agenda rural concernent la santé. Ne disposant pas du temps nécessaire, en deux minutes, pour toutes les décliner, j’y reviendrai plus tard lors de mes réponses à d’autres questions.
Grâce à l’une de ces mesures, plusieurs médecins salariés et 1 545 assistants médicaux ont été recrutés en zone rurale. Je concède que l’agence régionale de santé (ARS) a des difficultés à redéployer ces médecins du fait de la pandémie, qui complique les choses.
Certains départements ont soutenu cette politique en faisant en sorte que des dispensaires médicaux soient mis en place avec des médecins, qui, pour le moment, sont salariés, mais redeviendront libéraux dès lors que nous aurons la patientèle nécessaire sur ces territoires. Nous vous proposerons de légiférer sur ce sujet, à l’occasion de l’examen du projet de loi 4D, de sorte que les choses soient assises juridiquement.
Une autre mesure me semble utile : le déploiement de davantage d’internes, en priorité dans les zones rurales. Il est déjà en cours et certaines indemnités ont été revalorisées – ce n’est pas négligeable. En particulier, l’indemnité de maître de stage a été revalorisée à 900 euros et les conditions d’attribution de l’indemnité forfaitaire d’hébergement des internes, dès lors qu’ils sont éloignés de leur centre hospitalier et universitaire (CHU), ont été révisées.
Je compte beaucoup sur cette mesure, constatant, sur les territoires, qu’il est nécessaire de régler les problèmes des doyens de faculté qui n’acceptent pas que des médecins se rendent dans un territoire voisin s’il ne correspond pas au même territoire de santé. Cette mesure a déjà fait ses preuves dans un certain nombre de territoires ruraux et de montagne que je connais personnellement.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour la réplique.
M. Ronan Dantec. Je vous avais demandé, monsieur le secrétaire d’État, d’en finir avec les demi-mesures ; or vous présentez là un catalogue de demi-mesures !
M. Ronan Dantec. À Ancenis, même les centres de santé perdent leurs médecins salariés. Aujourd’hui, au vu de l’état de la démographie qui rend compte du vieillissement des médecins, toutes les projections montrent que le pire est encore devant nous !
Il n’y a qu’une seule solution – vous n’êtes pas allé sur ce terrain-là, je l’ai bien entendu –, c’est la régulation des installations.
M. Hervé Maurey. Eh oui !
M. Ronan Dantec. Nous le savons tous, nous l’appliquons déjà à beaucoup d’autres métiers. Nous savons aussi que c’est un tabou français, qu’il y a des lobbies mobilisés contre une régulation des installations.
Si nous n’allons pas dans cette direction, nous ne serons pas à la hauteur de l’enjeu ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. La France métropolitaine possède des frontières terrestres avec huit pays voisins, qui totalisent plus de 2 900 kilomètres.
Le développement des territoires transfrontaliers, situés à la limite de l’action des États nationaux, a conduit, au fil des quatre dernières décennies, à la création d’outils et d’instances de gouvernance de ces espaces, qui fédèrent, de part et d’autre de la frontière, nombre de niveaux de collectivités et d’institutions. Cela vise à faciliter, notamment sur ces territoires, la coordination des politiques d’aménagement. Les groupements européens de coopération territoriale en constituent la forme la plus aboutie, parmi lesquels on trouve l’Eurométropole Lille-Courtrai-Tournai.
S’il ne fallait s’arrêter que sur un seul projet structurant d’aménagement du territoire, ce serait celui du Parc Bleu et ses 5 440 kilomètres de cours d’eau, dont 300 kilomètres de voies navigables, et des espaces verts et bleus de proximité.
Cependant, en pratique, de nombreux obstacles de nature juridique, administrative, linguistique, ainsi que des freins à la mobilité liés à des disparités économiques et aux différences socioculturelles continuent d’entraver la coopération transfrontalière. À cet égard, la mise à l’agenda politique du projet de loi 4D constitue une bonne nouvelle pour les territoires frontaliers ; l’idée de renforcer la décentralisation et la déconcentration leur offre des perspectives intéressantes, dans la mesure où ils côtoient des pays qui se caractérisent par un degré plus élevé de décentralisation et de déconcentration.
Les acteurs de la coopération transfrontalière s’accordent pour dire que le projet de loi 4D s’inscrit dans la droite ligne de différentes initiatives qui doivent permettre de donner plus de marges de manœuvre aux territoires, en particulier frontaliers.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire si le texte 4D garantira la reconnaissance de nos territoires transfrontaliers comme des territoires exemplaires d’expérimentation, notamment en matière d’aménagement du territoire ?
Quelles seront les mesures qui faciliteront la coordination des compétences de chaque niveau institutionnel au sein de nos espaces transfrontaliers, autour d’un même projet de développement territorial ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Marchand, le projet de loi 4D repose notamment sur le principe de différenciation : les territoires transfrontaliers, comme les autres, bénéficieront de l’ensemble de ses dispositions.
Toutefois, vous avez raison de souligner les spécificités de ces territoires, au sujet desquels travaille actuellement le préfet Christian Rock, qui s’est vu confier par le Gouvernement une mission dans le cadre de l’ANCT. Il agit ainsi en « assembleur » de ces politiques.
Concernant votre question sur le projet de loi 4D, le Gouvernement travaille à des mesures complémentaires de celles qui avaient été annoncées, qu’il compte transmettre au Conseil d’État sur saisine rectificative.
Nous envisageons de proposer trois mesures au Parlement.
Premièrement, nous réfléchissons à une adaptation du schéma régional de santé aux enjeux transfrontaliers de la gestion des soins. La crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19 a bien démontré l’intérêt d’une bonne coordination entre les autorités sanitaires françaises et celles des pays frontaliers. Il s’agit d’un enjeu majeur pour faciliter la vie des habitants et mieux organiser la coordination des soins sur un même bassin de vie, notamment en cas de pandémie. Je fus le député d’une circonscription dont l’hôpital portait le nom de l’ancien territoire franco-italien : je connais donc ce genre de difficultés !
Deuxièmement, pour renforcer la coopération en matière d’aménagement du territoire, nous proposerons probablement que les collectivités territoriales étrangères frontalières et limitrophes puissent être associées à l’élaboration d’un certain nombre d’éléments, dont les documents d’urbanisme. Actuellement, le code général des collectivités territoriales prévoit seulement des consultations au niveau régional ; il est possible d’en compléter les dispositions pour assurer la consultation de l’ensemble des autorités concernées par toutes les dimensions transfrontalières d’un bassin de vie.
Troisièmement, nous envisageons d’autoriser les collectivités étrangères à participer au capital de certaines sociétés publiques locales, dès lors que leur objet social est exclusivement dédié à la gestion d’un service public d’intérêt commun dans un espace transfrontalier. Il s’agit d’étendre un dispositif qui est déjà ouvert aux sociétés d’économie mixte (SEM), et attendu dans certaines régions frontalières.
La participation des collectivités étrangères sera un élément important, mais elle ne pourra excéder – vous le comprendrez – ni 50 % du capital social des sociétés concernées ni plus de la moitié des droits de vote. C’est une réponse essentielle qu’apportera le projet de loi 4D.
M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel.
Mme Guylène Pantel. Monsieur le secrétaire d’État, dans un article publié le 11 juin 1982 – son titre était : « Lozère : les enfermés du Gévaudan » –, Le Monde évoquait la « pauvre nationale 88 ». On ne peut que regretter que sa modernisation ait si peu avancé depuis lors.
En 2018, Élisabeth Borne, alors ministre des transports, annonçait un effort inédit en matière d’infrastructures afin de contribuer à la cohésion des territoires. Lors de la présentation en conseil des ministres du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM), un plan de désenclavement avait été évoqué : il portait sur une vingtaine d’itinéraires routiers jugés prioritaires, car structurants pour l’aménagement du territoire.
Or, lors de l’examen de la LOM, l’inscription de ces itinéraires dans le texte avait été rejetée. Il est désormais prévu dans le rapport annexé que ce plan sera doté au total d’un milliard d’euros sur dix ans au sein des contrats de plan État- région (CPER), ce qui est très insuffisant eu égard aux besoins constatés sur le terrain. Un espoir est toutefois permis, car il est précisé dans le rapport qu’« un effort particulier est effectué en faveur de l’aménagement et la sécurisation des routes nationales non concédées traversant tout département métropolitain dépourvu de desserte ferroviaire, autoroutière ou de route nationale non concédée à 2x2 voies ». La Lozère devrait donc bénéficier de cet effort.
Le protocole de préfiguration du CPER 2021-2027 pour l’Occitanie, signé en présence de M. le Premier ministre à Tarbes, devrait en toute logique concrétiser cet engagement de l’État. Or il accorde peu de place à des investissements nouveaux sur les routes nationales. Cela vaut aussi bien pour la mise en 2x2 voies de la RN88 en Lozère que pour le contournement de Langogne, qui n’est toujours pas annoncé. Ma collègue Maryse Carrère pourrait vous dire exactement la même chose concernant la RN 21 entre Tarbes et Lourdes.
Monsieur le secrétaire d’État, comment le Gouvernement envisage-t-il le financement des travaux d’aménagement de l’ensemble des routes nationales prioritaires, dont la RN88 ? Les protocoles de préfiguration vont-ils évoluer pour permettre le financement de ces travaux dans le cadre des CPER ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice Pantel, vous m’interrogez sur la prise en compte des réseaux routiers dans le cadre des contrats de plan État-région en cours de négociation, singulièrement sur la situation de votre département et sur la nationale 88, laquelle a été découpée en tronçons. Si j’ai bonne mémoire, dans votre département, l’ancienne nationale est devenue une route départementale et une route départementale est, elle, devenue une route nationale, ce qui est un peu complexe.
Le Gouvernement a effectivement augmenté les investissements dans les infrastructures de transport. Pour la région Occitanie, 595 millions d’euros de crédits d’État ont été contractualisés dans le CPER 2015-2020 pour la mobilité, dont 88 millions d’euros spécifiquement pour le réseau routier.
Les volets relatifs à la mobilité multimodale des CPER 2015-2020 ont été prolongés jusqu’en 2022, afin de les actualiser au regard des nouvelles priorités du territoire régional, en lien, bien sûr, avec le conseil régional et les autres collectivités, et de permettre la poursuite des projets inachevés.
Le protocole de préfiguration du CPER que vous évoquez a effectivement été signé le 16 janvier par le Premier ministre. Il constitue seulement une première étape, marquant l’engagement coordonné de l’État et de la région. Il n’est pas un point final. En 2021, une large concertation avec les territoires permettra de préciser le contenu du CPER, notamment la liste des projets qui seront financés. La signature du CPER interviendra à l’automne 2021.
Ainsi, une nouvelle programmation financière en matière d’infrastructures de transport sera définie à partir de 2023, conjointement entre l’État et la région, en concertation avec les autres collectivités territoriales. Cette nouvelle programmation permettra d’arrêter le financement de l’État pour la période 2023-2027 pour l’ensemble des projets de mobilité, y compris pour les routes nationales prioritaires auxquelles vous faites allusion, notamment la nationale 88.
Ces priorités devront bien sûr être cohérentes avec les priorités nationales de l’État, fixées dans la loi LOM, et tenir compte des démarches spécifiques en cours entre l’État et certains conseils régionaux, tels les protocoles sur des lignes ferroviaires de desserte fine du territoire.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le secrétaire d’État, le monde rural, délaissé au profit des métropoles, a le sentiment d’être abandonné. Alors que le grand débat national devait être l’occasion de mettre en place une concertation accrue avec les élus de proximité, l’État poursuit sa démarche consistant à fermer les services publics : trésoreries, postes, gares, classes, voire écoles. Ces mesures successives ont mis en danger notre France rurale dans laquelle se battent nos agriculteurs, confrontés à la baisse insupportable de leurs revenus, tandis que les PME de proximité tentent de résister.
Les collectivités territoriales, dont les finances et l’autonomie fiscale ont été malmenées, ont pour leur part du mal à répondre comme elles le souhaiteraient aux besoins de la population.
La santé reste au cœur de nos préoccupations.
Le département de la Dordogne compte 8,3 médecins pour 10 000 habitants, soit une densité inférieure à la moyenne régionale et nationale. Ces médecins, il faut le savoir, sont pour la plupart en milieu ou en fin de carrière, 35 % d’entre eux étant âgés de 60 ans ou plus.
Cette désertification médicale a fortement réduit l’attractivité des territoires ruraux. Face à ce constat, la levée du numerus clausus n’aura pas d’effet à court terme, nous le savons. Les maisons de santé doivent être aidées, les formations universitaires décentralisées. En outre, ne faudrait-il pas envisager pour les nouveaux praticiens, moyennant une rémunération en cours d’études, l’obligation d’exercer pendant une période définie dans les territoires déficitaires ?
Monsieur le secrétaire d’État, comment comptez-vous répondre à cette exigence d’égalité territoriale et redonner confiance à nos élus locaux, acteurs de proximité en première ligne en cette période de crise ? Que comptez-vous faire pour développer le réseau des centres de santé, qui permettent de mettre en œuvre le droit à la santé de l’ensemble de nos concitoyens ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice, vous répondre me permettra de compléter la réponse que j’ai faite au sénateur Dantec, car il est assez difficile de parler de ce sujet en deux minutes.
J’ai évoqué les mesures de l’agenda rural et le déploiement des internes en priorité dans les zones rurales. La question d’un encadrement adapté, par des médecins référents, est particulièrement pertinente. À cet égard, une mission a été lancée sur l’évolution de la maîtrise de stage à la fin de l’année 2019 ; un décret est en préparation au Conseil d’État ; des arrêtés sont en cours de rédaction. Le recrutement de nouveaux maîtres de stage est déjà prévu pour la rentrée de septembre 2021. Enfin, je l’ai dit, l’indemnité est revalorisée de 50 %.
Un certain nombre d’autres sujets sont également importants dans les zones rurales. En attendant les effets de la fin du numerus clausus, on constate un effet ciseaux extrêmement ennuyeux, vous le dites très bien.
Le renforcement du champ d’intervention pour des soins par des professionnels non-médecins est maintenant effectif. À ce jour, vingt-neuf protocoles ont été signés. Des protocoles locaux sont possibles, comme le prévoit la loi ASAP. Ces protocoles permettent en particulier à des pharmaciens, à des kinésithérapeutes ou à des infirmiers d’intervenir dans certains cas à la place du médecin, ce qui facilite le recours aux soins.
En termes de coordination, le déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) est en cours. Elles visent à limiter le recours aux gardes en soirée par une meilleure organisation de la prise en charge en journée des soins non programmés au sein d’une communauté de santé. Concrètement, le besoin est pris en charge par le professionnel qui est disponible. Les CPTS sont désormais une réalité, 584 communautés ayant été identifiées en septembre 2020.
La télémédecine est également un sujet important. Les téléconsultations sont désormais remboursées à 100 %, sous réserve que le parcours de santé ait été respecté. Il ne s’agit pas de passer son temps en téléconsultation avec des médecins que l’on ne connaît pas ! La poursuite du remboursement de la télémédecine dans le cadre de la crise du covid fait également partie des solutions figurant dans l’agenda rural.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour la réplique.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le secrétaire d’État, nos territoires ruraux ont de formidables atouts. Du fait de la crise sanitaire, de nombreux citadins envisagent de s’y installer. La loi dite 4D, c’est un fait, devra impérativement participer à la réduction des inégalités territoriales et sociales et nous y veillerons, monsieur le secrétaire d’État, car c’est une exigence, garante de la cohésion territoriale.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. Jean-François Longeot. Monsieur le secrétaire d’État, je me félicite de ce qu’un débat sur l’aménagement du territoire se tienne au Sénat, chambre des territoires. Je profite de cette occasion pour vous indiquer que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, que j’ai l’honneur de présider, organise un cycle d’auditions sur les perspectives de la politique de l’aménagement du territoire et qu’elle entend faire des propositions concrètes à moyen terme sur cette thématique.
On pourrait aisément penser que ce débat est ancien, tout comme les nombreuses propositions déjà formulées par notre institution, mais il n’en est rien. D’une part, nous devons tous collectivement continuer à porter des propositions concrètes, reflétant notre expérience des territoires et de l’évolution de la politique d’aménagement du territoire ; d’autre part, il nous faut tirer les leçons des crises sociales récentes et de la crise sanitaire actuelle pour faire de nouvelles propositions.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous poserai deux questions.
La première porte sur les priorités du Gouvernement en matière d’aménagement du territoire.
Vous avez lancé plusieurs initiatives qui me semblent positives, qu’il s’agisse, notamment, des programmes « Action cœur de ville », « Petites villes de demain », « Territoires d’industrie » ou du réseau « France Services ». Cela étant, je m’inquiète du manque d’effets visibles de ces politiques pour nos concitoyens. Comment comptez-vous assurer l’équilibre de notre territoire face à la puissance du phénomène de métropolisation, afin de permettre à chaque territoire de valoriser ses atouts ? Sur quel nouveau programme de cohésion travaillez-vous actuellement ?
Ma seconde question porte sur l’accès aux soins, sujet cher à de nombreux élus de la ruralité, qui a déjà été évoqué à plusieurs reprises avant moi et qui le sera sans doute encore après.
La commission de l’aménagement du territoire défend la nécessité d’une répartition plus équilibrée des professionnels de santé, en particulier des médecins, afin de rapprocher l’offre de soins des besoins des populations. Quelles leçons tirez-vous des effets de la crise sanitaire actuelle sur l’organisation territoriale de notre système de soins ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le président Longeot, vous posez en fait plusieurs questions.
La première porte sur les phénomènes de métropolisation versus la réalité de l’équité dans les territoires.
Je rappellerai tout d’abord que nous n’opposons jamais, dans notre politique, les villes et les campagnes. Ce serait totalement vain. Le monde urbain et les territoires ruraux sont des espaces complémentaires. Des métropoles fortes et prospères sont non pas un handicap, mais plutôt un atout, à condition que soient mises en œuvre des politiques de rééquilibrage adaptées. C’est tout le sens des programmes d’appui nationaux de l’ANCT et plus encore de l’agenda rural que je suis chargé de mettre en œuvre.
Les projets alimentaires territoriaux (PAT) et les contrats de réciprocité illustrent très bien les capacités de coopération entre villes et campagnes. Les premiers permettent d’éviter un phénomène qui devenait très gênant en France, à savoir l’agribashing. Les effets de ces politiques sont toujours visibles sur le terrain. Chaque fois que j’inaugure un pylône, un espace France Services, que je participe à la signature d’une convention « Petites villes de demain », je constate le même engouement. Nos programmes d’appui fonctionnent.
Nous travaillons d’ailleurs à l’élaboration d’un nouveau programme, dont l’objet sera d’étendre les prestations d’ingénierie de l’ANCT aux communes de montagne. Il s’agira du premier programme de montagne depuis le plan Neige des années 1960-1970.
J’aurais beaucoup à dire pour répondre à votre seconde question, mais je suis contraint par le délai qui m’est imparti. J’ai évoqué la télémédecine en réponse à Mme Varaillas. Sans constituer à elles seules une solution à la problématique des déserts médicaux, les technologies numériques, lorsqu’elles sont utilisées dans le secteur de la santé, permettent de développer l’offre de soins dans des zones sous-denses et de rapprocher les patients des médecins.
Vous le savez, la crise a provoqué une rapide accélération de la télémédecine : on est ainsi passé de 50 000 téléconsultations mensuelles à près de 2 millions. Je continue de penser que ce type de consultations est extrêmement intéressant, y compris pour poser un diagnostic dans certaines spécialités. Je pense en particulier à la dermatologie, qui est en situation de carence absolue dans les zones rurales.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour la réplique.
M. Jean-François Longeot. Merci, monsieur le secrétaire d’État, de votre réponse. La commission de l’aménagement du territoire a fait de nombreuses propositions sur la question des déserts médicaux, dont certaines n’ont pas été suivies d’effets.
J’espère que le développement de la télémédecine va se poursuivre, mais reconnaissez qu’il aura fallu la crise du covid pour qu’elle soit mise en place. On nous disait que c’était très compliqué, difficile… Je souhaite que la crise du covid s’arrête, mais que la télémédecine puisse se poursuivre et qu’il soit possible de déléguer un certain nombre d’actes à d’autres professionnels de santé.
M. le président. La parole est à M. Joël Bigot.
M. Joël Bigot. Monsieur le secrétaire d’État, je vous entretiendrai d’un sujet d’une brûlante actualité pour les élus locaux, qui, malgré la crise sanitaire, sont sur le pont : les travaux de gestion et de prévention des risques d’inondation. Sous l’effet du réchauffement climatique, les inondations sont de plus en plus violentes et fréquentes.
Le bassin ligérien, que je connais bien, est évidemment aux premières loges. La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) a confié les digues non domaniales aux intercommunalités à compter du mois de janvier 2018, tandis que les digues domaniales leur seront transférées à partir du 28 janvier 2024.
À titre d’exemple, le Maine-et-Loire compte 135 kilomètres de digues, dont 42 kilomètres relèvent de l’État. Ce dernier s’était engagé à faire des travaux avant de rétrocéder les digues. Ainsi, en mars 2019, la ministre Emmanuelle Wargon rappelait ici même : « Dans cette période transitoire jusqu’à 2024, l’État travaille en étroite collaboration avec les collectivités chargées de la Gemapi, que ce soit pour les modalités de gestion de ces ouvrages, la réalisation de travaux de renforcement ou encore la préparation des dossiers d’autorisation de systèmes d’endiguement. Ces travaux ne seront donc plus à mener par les collectivités par la suite. »
Or que constate-t-on réellement sur le terrain ? Des travaux insuffisants, un financement largement défaillant de la part de l’État et des collectivités dupées au regard de l’ampleur des coûts d’entretien. La taxe Gemapi, pour gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, même portée au plafond de 40 euros par habitant, ne permettrait pas de couvrir la charge, qui est immense. Dans leur rapport en date de novembre 2018, l’Inspection générale de l’administration (IGA) et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) vous alertaient déjà sur l’état des digues transférées.
Monsieur le secrétaire d’État, êtes-vous aujourd’hui en mesure de rassurer les élus locaux sur la capacité de l’État à honorer ses engagements en matière de soutien financier ? Un fonds de compensation peut-il être envisagé pour mettre fin à l’inégalité de traitement entre digues domaniales et digues non domaniales, afin de consolider le système d’endiguement sur l’ensemble des bassins, et notamment celui de la Loire ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Bigot, vous m’interrogez sur la problématique spécifique de l’entretien des digues domaniales et sur les transferts de compétences aux collectivités à partir de 2024.
Comme vous le savez, la loi Maptam a créé une nouvelle compétence exclusive et obligatoire de gestion des milieux aquatiques au profit des communes, la Gemapi. Dans ce cadre, les EPCI assument la gestion des ouvrages de protection contre les inondations, c’est-à-dire l’entretien, la surveillance, l’ingénierie et les travaux.
Depuis le 1er janvier 2018, les EPCI sont devenus gestionnaires des ouvrages de protection. Afin de préparer la transition entre les anciens et les nouveaux gestionnaires, des périodes transitoires ont été prévues, notamment pour faciliter la mise en place des systèmes d’endiguement. C’est le cas notamment pour les digues de l’État.
Ainsi, les digues achevées avant la date d’entrée en vigueur de la loi Maptam et qui appartiennent à une personne morale de droit public sont mises gratuitement à la disposition, selon le cas, de la commune ou de l’EPCI à fiscalité propre compétent pour la défense contre les inondations. Lorsqu’il gère des digues à la date d’entrée en vigueur de la loi Maptam, l’État, ou l’un de ses établissements publics, continue d’assurer cette gestion pour le compte de la commune ou de l’EPCI pendant une durée de dix ans, soit du 10 janvier 2014 au 28 janvier 2024. Une convention doit déterminer l’étendue de ce concours et les moyens matériels et humains qui y sont consacrés. Cela étant, les intercommunalités qui le souhaitent peuvent tout à fait reprendre la gestion de ces digues avant 2024.
Concernant le financement, sur lequel porte l’essentiel de votre question, la loi Maptam a créé une taxe, la taxe Gemapi, qui est facultative. Les communes et les EPCI à fiscalité propre peuvent instituer cette taxe ou mettre en place une redevance pour service rendu, qui constitue également une ressource importante.
Le fonds de prévention des risques naturels majeurs, ou fonds Barnier, peut également être mobilisé pour des études, des travaux et des ouvrages d’équipement par les territoires à risque important d’inondation, où une stratégie locale de gestion du risque est définie et mise en œuvre dans le cadre d’un programme de prévention des inondations.
Enfin, sachez qu’il existe un dispositif complémentaire, le dispositif Aqua Prêt. Géré par la Caisse des dépôts et consignations, il représente une enveloppe de 2 milliards d’euros. Il a été étendu à la Gemapi depuis la fin du mois de janvier 2019. Il peut donc être mobilisé dans ce cadre.
M. le président. La parole est à M. Joël Bigot, pour la réplique.
M. Joël Bigot. Monsieur le secrétaire d’État, l’ampleur des travaux est telle qu’on ne peut pas laisser les collectivités sans solution de financement ni accompagnement. À titre d’exemple, le coût des travaux de restauration d’une digue que je connais et qui protège 60 000 habitants s’élèverait à un milliard d’euros !
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Sautarel. Monsieur le secrétaire d’État, l’aménagement du territoire fut d’abord un dirigisme et une planification étatique, puis un acte de décentralisation. Depuis plus de dix ans, une longue succession de renoncements, de demi-mesures de recentralisation, affirmées ou rampantes, se sont succédé, qui s’expliquent non seulement par les crises économiques successives ou par la métropolisation croissante, mais surtout par une réalité oubliée, que la crise sanitaire que nous traversons depuis un an est venue faire exploser.
Le Premier ministre a prononcé vingt-cinq fois le mot « territoires » dans son discours de politique générale ; pourtant, cela reste toujours une abstraction.
Ce que la crise est venue nous rappeler, c’est que la question qui se pose est non plus celle des territoires, mais celle des gens. Il y a des gens, des personnes, des individus qui sont en droit de disposer d’un cadre de vie, d’un niveau de services, d’infrastructures leur permettant de vivre librement et en sécurité, bien souvent dans une belle fraternité d’ailleurs.
De quoi les gens ordinaires qui vivent dans notre pays ont-ils besoin ? Je ne parle pas ici de ceux qui vivent dans les métropoles ou dans leurs banlieues, lesquelles concentrent depuis des années tant de moyens pour que, au final, rien, ou presque, ne soit réglé… Les gens qui vivent dans les territoires ont bien sûr besoin d’infrastructures, d’ingénierie, de mobilité, de réseaux à très haut débit, de règles d’urbanisme, de politique du logement, de relocalisation d’emplois ; mais ils ont surtout besoin de deux services essentiels : la santé et l’éducation, cela a été dit. Ces gens respectent les règles ; en retour, ils attendent qu’on les traite avec respect.
Dans le domaine de la santé, nous avons tous multiplié les actions visant à inciter des médecins généralistes à s’installer, à favoriser l’implantation de maisons de santé, l’accueil de stagiaires. Nous avons mis en place des aides financières, etc. Peut-on aller plus loin ? Monsieur le secrétaire d’État, seriez-vous prêt à soutenir une politique plus coercitive en matière d’installation post-internat sur les territoires en déficit ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Sautarel, vous m’interrogez sur l’accès aux services publics en général. Nous l’avons vu lors d’un déplacement officiel dans votre département, le dynamisme territorial, associé à des politiques publiques de l’État, permet aux territoires de disposer d’outils, comme les maisons France Services, le programme « Petites villes de demain », mais aussi d’ingénierie territoriale. C’est très utile pour un département comme le vôtre, que je connais particulièrement bien, vous le savez. Ces politiques publiques me paraissent intéressantes.
J’en viens à votre question sur la santé. J’ai un peu l’impression d’être ministre de la santé aujourd’hui, or je ne le suis pas ! Je vous préciserai donc simplement ce que nous voulons faire dans le cadre de la cohésion des territoires.
Vous évoquez, soyons clairs, des politiques de coercition. Or de telles politiques n’ont jusqu’à présent jamais fait florès et je vais vous dire très franchement et très clairement pourquoi. J’ai été parlementaire pendant des années : chaque fois qu’une initiative parlementaire a été prise en ce sens, des lobbies, issus de tous les rangs, se sont élevés pour s’y opposer. In fine, aucune mesure de coercition n’a jamais été prise ! Certaines idées ne dépassent jamais un certain cap, c’est une habitude française.
En revanche, je puis vous indiquer que plusieurs mesures du projet de loi 4D viseront à mieux répondre aux enjeux des territoires et aux besoins des habitants dans le champ de la santé. Nous allons modifier la gouvernance au sein des agences régionales de santé afin que les élus y soient plus présents ; cela me semble extrêmement important. Les collectivités territoriales se verront reconnaître la capacité de contribuer au financement des programmes d’investissement des établissements de santé. Ce dispositif viendra s’ajouter aux 19 milliards d’euros sur dix ans prévus dans le plan de relance, ce qui est tout à fait considérable. Enfin, les collectivités territoriales se verront également reconnaître des compétences pour gérer des centres de santé ou des systèmes comme celui qui est en vigueur, par exemple, en Saône-et-Loire.
Il faut effectivement que nous mettions en place un encadrement juridique pour les collectivités territoriales désireuses de mener des politiques publiques.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour la réplique.
M. Stéphane Sautarel. Merci, monsieur le secrétaire d’État, pour vos réponses. Je sais que vous connaissez notre territoire. Pour autant, si nous vous posons autant de questions sur la santé cet après-midi, c’est parce qu’il s’agit d’un sujet particulièrement brûlant.
J’ai également évoqué la question de l’éducation : nous avons du mal à comprendre que, d’un côté, on mène des politiques volontaristes pour réimplanter des services dans les territoires et que, de l’autre, on y ferme des classes, alors même que les territoires élaborent des projets territoriaux d’attractivité.
J’attire donc votre attention sur la nécessité de veiller à la cohérence s’agissant de ces deux services essentiels pour les territoires.
Je ne conclurai pas mon intervention sans évoquer la situation de l’agriculture de montagne, en particulier de l’élevage, ce secteur étant aujourd’hui en grande difficulté. Les annonces contradictoires qui sont faites nous inquiètent beaucoup. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Hervé Maurey. Monsieur le secrétaire d’État, j’évoquerai à mon tour l’une des principales fractures territoriales que constituent aujourd’hui les inégalités en matière d’accès aux soins. Une récente étude réalisée pour l’Association des maires ruraux de France rappelle l’ampleur de ce problème en matière hospitalière. Hors hôpital, la situation, vous le savez, n’est guère plus satisfaisante.
Je rappelle que l’écart de densité médicale selon les départements varie de un à trois pour les généralistes et de un à huit pour les spécialistes. Je rappelle également que, aujourd’hui, entre 6 et 8 millions de Français vivent dans des déserts médicaux et que ce nombre n’a fait qu’augmenter au cours des dernières années. Cette situation a bien sûr des conséquences sanitaires, la carte des déserts médicaux se superposant à la carte de la mortalité précoce.
À ce scandale sanitaire s’ajoute un scandale financier. Certaines estimations, notamment de la Cour des comptes, montrent que les dysfonctionnements en matière d’accès aux soins coûtent entre 1 et 5 milliards d’euros par an au contribuable.
Le gouvernement auquel vous appartenez n’a malheureusement fait que poursuivre les politiques mises en œuvre dans le passé, à savoir des politiques uniquement incitatives, lesquelles ont pourtant fait la preuve de leur inefficacité. La loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé de juillet 2019, censée être la grande loi du quinquennat en matière de santé, n’a pas non plus proposé les mesures que l’on pouvait espérer.
Au cours de ce débat, vous avez évoqué l’agenda rural, un certain nombre de dispositifs et de « mesurettes », mais, comme cela a été dit, la somme de ces demi-mesures n’est pas à la hauteur des attentes.
Monsieur le secrétaire d’État, quand le Gouvernement va-t-il enfin se rendre compte de la réalité dans les territoires en matière d’accès aux soins et proposer des mesures adaptées à la situation ? (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Très honnêtement, monsieur le sénateur, je ne pense pas que les mesures que je viens de présenter soient des « mesurettes ». On ne peut considérer que les 181 mesures prévues dans l’agenda rural, dont les 8 mesures spécifiquement dédiées à la santé, sont des « mesurettes ». Je me refuse à le faire ! Vous pouvez les juger insuffisantes, mais c’est le guide que nous avons élaboré avec les associations d’élus qui sous-tend mon action et qui fait que je suis devant vous aujourd’hui. Nous essayons désormais de faire en sorte que ces mesures, que j’ai listées tout à l’heure, soient appliquées.
Ayant toujours habité en milieu rural, je suis bien conscient qu’il y existe un certain déficit. Il est exact aussi que les territoires qui ont très tôt pris la mesure du problème et réussi à mettre en œuvre des maisons pluridisciplinaires de santé, avant d’en arriver à un désert médical complet, ont gagné un certain nombre de points. La mutualisation leur a permis de mettre en place les éléments nécessaires au maintien d’un certain nombre de médecins, deux au minimum, car laisser un médecin seul dans un territoire est le meilleur moyen de ne plus en compter aucun à terme. C’est un peu comme dans les trésoreries, lorsqu’il y a de l’activité pour une journée par semaine : la mutualisation rend les postes attractifs.
Par ailleurs, je rappelle que le Gouvernement a annoncé, lors du Ségur de la santé, que 19 milliards d’euros sur dix ans seraient consacrés dans le plan de relance à l’investissement dans le système de santé. Cet effort permettra à la fois d’accélérer la transformation de l’offre de soins et d’accompagner les territoires afin d’améliorer les conditions de travail et l’accueil des personnes.
Le déploiement de ce plan a fait l’objet d’une circulaire du Premier ministre en date du 10 mars 2021. Le plan sera mis en œuvre dès 2021. Il prendra toute sa place dans les contrats de relance et de transition écologique (CRTE), qui seront, demain, des contrats de plan. Ces mesures figureront dans un avenant au volet relatif à la santé.
Je me suis récemment rendu dans une petite commune de 8 000 habitants qui va ainsi bénéficier d’un plan de modernisation complet de son hôpital. J’ai été particulièrement heureux de voir que les attentes de ce territoire allaient être satisfaites.
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour la réplique.
M. Hervé Maurey. Monsieur le secrétaire d’État, je suis désolé de vous dire que je considère que les mesures que vous proposez ne sont pas suffisantes.
Vos propos me rappellent malheureusement ceux de Roselyne Bachelot, qui, en 2009, alors qu’elle était ministre de la santé, vantait ici les mesures de la loi qu’elle défendait et nous disait : « Vous verrez, dans dix ans, il n’y aura plus de problèmes. » Or, dix ans plus tard, la situation n’a fait que s’aggraver. Je crains que, dans dix ans, on ne fasse le même constat si, d’ici là, aucun gouvernement n’a enfin le courage de mettre en place les mesures nécessaires.
Au sein de cette assemblée, nous n’avons jamais demandé de coercition, nous demandons de la régulation. Si nous sommes attachés à la liberté d’installation des médecins, nous considérons également que toute liberté doit être régulée, y compris celle-là, car nous plaçons l’intérêt général au-dessus de tout. Il serait temps de le prendre en considération ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Monsieur le secrétaire d’État, en novembre dernier, je m’inquiétais du plan de restructuration du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). Ce centre est aux premières loges en matière de transition énergétique, de cohésion, l’aménagement des territoires et de lutte contre le changement climatique. Je m’inquiète toujours de son sort.
Le Cerema accompagne les collectivités dans des démarches de coproduction permettant d’intégrer les enjeux nécessaires à la conduite du changement et d’apporter des réponses spécifiques adaptées aux contextes locaux. Or son plan de restructuration, paradoxalement appelé « Cerem’Avenir », se poursuit sans inflexion et prévoit une diminution des moyens humains et financiers, ce qui fragilise ses compétences et obère ses capacités d’intervention et d’investissement.
À l’heure des projets de loi 4D, Climat et résilience, ainsi que de l’adaptation au changement climatique, il n’est question pour le Cerema que de faire face à des baisses successives de moyens. Je m’interroge donc sur la volonté du Gouvernement de respecter les objectifs ambitieux du plan Biodiversité, initié en 2018, ainsi que la promesse d’un plan de relance orienté vers la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique, d’où ma question : comment mettre en pratique des politiques d’aménagement du territoire pour faire face au changement climatique en dégradant l’outil compétent et performant qui le permet ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur, comme vous le savez, le Cerema est un opérateur de l’État, fort de plus de 2 500 agents, dont deux tiers de cadres techniques. Il mutualise une expertise qu’il déploie grâce à un réseau de vingt-neuf implantations partout en France, y compris en outre-mer.
Cet organisme s’est doté d’un projet d’établissement permettant de recentrer son activité sur six domaines, tous liés à l’aménagement du territoire : mobilités ; infrastructures de transport ; environnement et risques naturels ; mer et littoral ; bâtiment ; ingénierie territoriale.
L’adaptation des territoires au changement climatique est désormais le fil rouge de l’activité du Cerema. Centré sur des missions d’expertise en amont des projets de recherche et d’innovation, ainsi que de diffusion des connaissances, il agit en complémentarité avec l’ingénierie locale privée et publique, en particulier les agences techniques départementales.
En tant que partenaire de l’ANCT, le Cerema intervient pour le compte de l’État et de 400 collectivités chaque année, dont 80 collectivités de moins de 20 000 habitants. Il est porteur de sujets essentiels, tels que le programme national « France vue sur mer – Le sentier du littoral ». Il est aux côtés des territoires face à toutes les catastrophes, par exemple dans les vallées de la Roya et de la Vésubie à la suite de la tempête Alex. Il est là pour la sécurisation, la reconstruction transitoire ou encore l’installation de ponts de secours pour le rétablissement des liaisons.
Le Cerema est donc un acteur essentiel. Il l’est également dans la mise en œuvre des programmes nationaux portés par l’État, comme « Action cœur de ville » ou « Petites villes de demain ». Il est aussi impliqué aux côtés de l’ANCT dans la mise en œuvre des contrats de relance et de transition écologique (CRTE), qui ont naturellement une dimension rurale.
Enfin, son système économique, fondé essentiellement sur une subvention pour charges de service public, lui permet d’intervenir en faveur de collectivités sur la base des modèles freemium, grâce auxquels ces dernières bénéficient de quelques jours d’expertise gratuite, puis ne paient que 50 % environ du coût de la prestation si celle-ci n’est pas directement prise en charge par l’ANCT.
Je voudrais partager une conviction avec vous : la politique d’aménagement du territoire doit prendre en compte les conséquences du changement climatique, dont la possible augmentation d’événements extrêmes. Le Cerema répondra présent. Par ses missions transversales, il apportera les connaissances, ainsi que les savoirs scientifiques et techniques contribuant à l’élaboration de tous les projets territoriaux durables, qui intégreront l’ensemble de vos préoccupations environnementales.
M. le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour la réplique.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse.
Je ne suis pas en désaccord avec ce que vous avez indiqué s’agissant des missions du Cerema, mais le Gouvernement continue de couper dans les effectifs et de réduire les investissements en faveur de cet organisme. On peut donc se demander si le Cerema aura la capacité de mener à bien l’ensemble des missions que vous avez énumérées. Toute belle idée architecturale ne prend sens que s’il reste des maçons pour la concrétiser !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars.
M. Jean-Claude Anglars. Je voudrais évoquer l’aménagement du territoire dans sa dimension économique et industrielle, qui me paraît essentielle. En effet, l’activité économique est vitale pour les bassins de vie. C’est l’économie qui sous-tend le marché de l’emploi, le développement des services et la croissance démographique.
Partout en France, nous avons des entreprises dans des secteurs de pointe qui marchent bien. Lorsqu’elles sont implantées en milieu rural, elles constituent des fleurons et, bien souvent, les principaux employeurs C’est par exemple le cas – je m’en excuse auprès de mes collègues, qui m’entendent de nouveau sur le sujet –, en Aveyron, de l’usine Bosch d’Onet-le-Château et de l’usine SAM de Viviez, au cœur de la Mecanic Vallée. Ces entreprises ont bénéficié d’aides publiques censées favoriser leur installation ou leur développement.
On pourrait donc croire que l’aménagement du territoire fonctionne bien. Pourtant, les annonces de presque 1 000 suppressions d’emplois et l’arrêt des chaînes de production sur les deux sites aveyronnais voilà deux semaines démontrent le contraire.
Force est de constater que l’aménagement du territoire, en dehors des métropoles, est un échec dans sa dimension économique et industrielle ; il manque de cohérence et de pérennité. On oublie trop souvent qu’il n’est pas déconnecté des politiques publiques économiques.
Voilà trois mois encore, j’alertais le ministre de l’économie sur les conséquences des mesures prises au nom de la transition écologique pour les filières industrielles. Alors que, en 2019, le ministre se déclarait favorable à ce que les nouveaux véhicules diesel moins polluants puissent être éligibles à la vignette Crit’Air 1, il a exclu en janvier 2021 les véhicules hybrides diesel des aides à l’achat des voitures neuves. Résultat, en Aveyron, trois mois plus tard, nous pouvons constater les conséquences du choix idéologique de la désindustrialisation concernant la filière automobile diesel en France.
Cet échec, c’est aussi celui de l’aménagement du territoire à la française. L’exemple montre bien les effets ravageurs et en cascade de telles décisions politiques. Elles nécessitent plus de prospective.
Monsieur le secrétaire d’État, comment le Gouvernement envisage-t-il de réindustrialiser la France ? Comment faire pour que la réindustrialisation du territoire se conjugue durablement avec son aménagement ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Anglars, vous avez raison de rappeler que l’industrialisation est un enjeu majeur pour l’aménagement du territoire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons lancé au sein de l’ANCT, en lien avec Agnès Pannier-Runacher, le programme Territoires d’industrie.
Conçu au mois de novembre 2018, ce programme vise à apporter dans les territoires des réponses concrètes à des enjeux de soutien à l’industrie : le développement des compétences, la formation et la mobilité des salariés, la revitalisation des friches industrielles… Il est fondé sur une gouvernance partenariale, associant des binômes présidents d’EPCI et industriels. Il est piloté à l’échelon local par les conseils régionaux. Ses modalités reflètent une coopération étroite entre l’État et les collectivités territoriales pour œuvrer au développement industriel du pays. À ce jour, 148 territoires d’industrie recouvrant près de 500 intercommunalités ont fait émerger 1 500 projets d’investissements concrets, dont 57 sont déjà déployés.
Le programme a été renforcé dans le cadre du plan France Relance, avec la création du fonds d’accélération des investissements industriels dans les territoires, qui est le volet territorial du plan de relance pour l’industrie. Ce fonds est doté de 400 millions d’euros. Il a été mis en œuvre dans cette perspective. D’ailleurs – l’annonce vient d’être faite par l’ensemble des ministres compétents –, il va être augmenté de 300 millions d’euros, ce qui me semble extrêmement important, à parité entre l’État et les régions.
Il y a eu un véritable catalyseur. À l’échelon national, 531 projets ont été soutenus, avec 260 millions d’euros d’engagés pour 2,5 milliards d’euros d’investissements productifs. Et vous en êtes « bénéficiaire » : le territoire d’industrie Aurillac-Figeac-Rodez a fait l’objet d’énormément de mesures, que je n’ai pas le temps de détailler.
Certes, il peut y avoir des défaillances d’industrie ; la vie industrielle peut être un peu différente de celle que nous escomptions. Mais sachez que le renforcement du fonds permettra d’être encore plus performant sur ces territoires, et à leur service, y compris dans les zones les plus rurales et les plus reculées du pays.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Angèle Préville. Monsieur le secrétaire d’État, vous êtes récemment venu en visite dans mon département, le Lot, plus particulièrement sur le vaste territoire de la communauté de communes Causses et Vallée de la Dordogne. Si j’avais pu avoir un temps d’échanges avec vous, je vous aurais volontiers dit deux ou trois choses de ce territoire particulier, notamment que nous manquons de médecins, surtout de spécialistes.
Aménager le territoire, c’est garantir l’égalité d’accès aux soins, c’est-à-dire faire en sorte, par exemple, que toute Française puisse avoir accès à un gynécologue. Or, sur ce territoire de 48 000 habitants, il n’y en a qu’un seul ! La moyenne française étant de 17,6 pour 100 000 habitants, il nous en faudrait 8 !
Vous pouvez sans peine imaginer les conséquences. Elles vont de l’attente pendant des mois pour l’obtention d’un rendez-vous au renoncement aux soins, en passant par le fait de sortir du département, pour aller par exemple en Corrèze, en Dordogne ou dans le Cantal, et de parcourir des kilomètres pour consulter un spécialiste. Est-ce satisfaisant ? Il en résulte notamment de graves manques dans le suivi de santé des femmes. Les déserts médicaux ne sont pas une vue de l’esprit ; ils sont une triste réalité.
L’Occitanie, région pourtant attractive, est passée en dix ans d’une situation de surdotation à une situation de sous-dotation en professionnels de santé. Alors que nous manquons de praticiens et que le nombre de seniors dépendants devrait augmenter de 60 % en cinq ans, 70 % de ces médecins partiront à la retraite d’ici à 2026. Or les jeunes médecins, et leur choix est parfaitement respectable, n’assurent pas toujours le même nombre de consultations.
Si l’on ne remplace que les départs à la retraite, la fracture sanitaire va continuer à s’accentuer. La formation des médecins est dispensée par les établissements publics d’enseignement supérieur et est quasiment gratuite. Le coût moyen de formation d’un étudiant en médecine est d’environ 150 000 euros. Pourtant, les praticiens continuent de s’installer dans des zones surdotées quand l’État et les collectivités territoriales investissent dans les territoires sous-dotés.
L’aménagement du territoire n’implique-t-il pas de répondre aux besoins des habitants, dont la santé n’est pas le moindre, et de faire en sorte de les satisfaire ? Où en est-on, par exemple, du déconventionnement ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice, je vous aurais volontiers accordé un entretien privé si vous en aviez sollicité un lorsque je me suis rendu dans le Lot, comme j’en ai accordé à tous les élus du département qui en avaient fait la demande.
Nous sommes toujours sur le thème de la différenciation au bénéfice de territoires ruraux, voire de territoires urbains dépourvus de médecins, notamment de spécialistes.
Dans le cadre des maisons de santé, la mise en place de bureaux nomades avec des financements spécifiques est favorisée. Il s’agit précisément de pouvoir accueillir un certain nombre de spécialités, comme la gynécologie ou l’ophtalmologie, par exemple. J’ai moi-même monté des projets de maisons de santé sur des territoires où l’on m’expliquait qu’il était impossible d’avoir de la radiologie ou telle autre spécialité. Nous avons imposé la mise en place d’un système de radiologie dans une maison de santé de territoire sur une commune de moins de 800 habitants. En effet, il y avait beaucoup d’accidents de montagne, et nous voulions désengorger les urgences des hôpitaux.
Madame la sénatrice, il faut absolument, me semble-t-il, construire un projet territorial dans lequel nous pourrons avoir un dialogue sur le financement d’investissements nécessaires à l’implantation de la médecine spécialisée. Celle-ci sera sans doute nomade, afin d’avoir un médecin pouvant faire le tour de plusieurs maisons de santé pluridisciplinaires.
Certes, je sais bien que l’augmentation du numerus clausus n’est pas une réponse immédiate ; toutes les spécialités ne sont pas concernées de la même manière. Néanmoins, c’est la première fois depuis fort longtemps qu’un gouvernement exprime cette volonté de l’augmenter. Cela permettra d’améliorer le ratio entre le nombre de médecins et le nombre d’habitants sur l’ensemble des territoires.
Mme Marie-Claude Varaillas. Quand ?
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour la réplique.
Mme Angèle Préville. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Mais, à présent, nous voulons des résultats. Comment les propositions que vous formulez vont-elles se décliner dans les territoires ? Comme je l’ai mentionné, l’aggravation continue. Il faut des solutions bien plus concrètes pour répondre aux attentes des citoyens.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Demas. Alors que le projet de loi Climat et résilience va faire son entrée dans l’hémicycle de la Haute Assemblée, de même bientôt – nous l’espérons – que le projet de loi 4D, il est important de penser à l’avenir de nos espaces ruraux.
Si lutter contre l’artificialisation des terres est une nécessité partagée pour préserver ce bien commun qu’est notre environnement, il n’en demeure pas moins que nos espaces ne doivent pas être mis sous cloche et qu’il nous faut chercher un juste équilibre entre protection et dynamique de nos territoires ruraux. Or les outils mis en place jusqu’à présent par les politiques de l’État ne répondent qu’à un seul objectif : réduire, voire interdire l’utilisation de l’espace. Comment concevoir dès lors une ruralité attractive, vivante, dans la mesure où aucune solution autre que l’interdiction de construire n’est vraiment proposée ?
La crise sanitaire a confirmé l’engouement des Français à voir dans les campagnes l’accès à une meilleure qualité de vie. Alors que les villes manquent cruellement de logements, il existe un fort potentiel, sans construction nouvelle, dans les communes rurales, dont certaines souffrent de désertification. N’y aurait-il pas ici une occasion à saisir ?
Dans mon département, les Alpes-Maritimes, la petite commune d’Ascros a sauvé son école en lançant un appel pour que de nouvelles familles viennent s’installer dans des logements vacants de son village. Cela a été du gagnant-gagnant. Mais une telle initiative est malheureusement trop rare.
Monsieur le secrétaire d’État, un grand nombre de maires ruraux comptent sur la mise en œuvre d’un plan national ambitieux de résorption de la vacance et de transformation ou de rénovation de bâtis inoccupés pour revitaliser nos campagnes et accueillir des actifs. Qu’en pensez-vous ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice Demas, la vacance de logements est vraiment un enjeu majeur des territoires dits « détendus », qui sont pour la plupart des territoires ruraux. Ces zones concentrent environ 74 % du parc privé vacant.
Depuis plus de trois ans, le Gouvernement s’est clairement engagé pour la revitalisation de ces territoires, dont la rénovation des logements constitue véritablement un pilier majeur. Nous menons de front une politique ambitieuse d’attractivité et de développement des territoires en luttant contre la consommation d’espaces naturels, qui constituent un patrimoine vital pour la ruralité et l’ensemble de la France.
Nous avons lancé au mois de septembre dernier le programme « Petites villes de demain ». Les lauréats ont tous été annoncés en début d’année. Le programme concerne toutes les communes, sans plancher de taille, et a vocation à soutenir non seulement celles qui ont une fonction de centralité, mais également les bourgs alentours. Notre objectif est que chacune de ces communes et leur intercommunalité soient couvertes par des opérations de revitalisation de territoire (ORT). Celles-ci permettent en particulier de mettre en place l’avantage fiscal dit « Denormandie ancien » pour les Français qui souhaitent investir dans nos territoires en rénovant des logements, de renforcer le droit de préemption urbain et de faciliter l’installation et la rénovation des commerces. C’est évidemment intimement lié à l’attractivité des logements, donc à l’envie des Français de s’installer dans ces territoires.
Les ORT peuvent bénéficier à toutes les communes rurales, et rien n’empêche de s’y inscrire aux côtés de l’intercommunalité et de la ville centre. Le dispositif est simple, dès lors que la collectivité a une stratégie et des actions pour la rénovation de l’habitat. Comme vous le soulignez très justement, beaucoup de collectivités ont des stratégies innovantes.
En outre, nous allons renforcer dans le projet de loi 4D le dispositif en nous attaquant aux biens abandonnés des centres-bourgs. Ce sont souvent de véritables verrues, dont le propriétaire n’est absolument pas connu et que les collectivités ne peuvent pas récupérer pendant trente ans. Ce délai sera divisé par trois, ce qui permettra aux communes de conduire des projets d’aménagement.
Nous avons également mobilisé d’importants moyens financiers dans le plan de relance, qui prévoit 300 millions d’euros pour combler les déficits des opérations de recyclage ou de rénovation d’îlots bloquant fortement les opérations. Les remontées en cours sont importantes. Le plan connaît d’ailleurs un franc succès.
Je mentionne également le plan de lutte contre la vacance, qui concerne tous les territoires et qui vise à outiller les collectivités pour recenser les logements vacants et les outils disponibles aux échelons national et local et accompagner ainsi les propriétaires.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas, pour la réplique.
Mme Patricia Demas. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse, mais je crois qu’il faut aller encore un peu plus loin. En effet, des petites communes se retrouvent isolées malgré la volonté d’absorber ces manquements au logement. Il faut décomplexifier encore et encore les procédures et, surtout, donner de nouveaux moyens aux maires. Ces derniers sont dépourvus face à ce véritable fléau qu’est la vacance de logements en milieu rural.
M. le président. La parole est à M. François Calvet.
M. François Calvet. Ma question porte sur la coopération transfrontalière.
Le dernier sommet franco-espagnol du 15 mars, à Montauban, est l’annonce d’un véritable renouveau de cette coopération, qui semblait en panne de volonté politique du côté de la France. Pourtant, deux cadres existent, et ils pourraient être mieux exploités. Je fais référence au traité de Bayonne du 10 mars 1995, qui concerne les régions de part et d’autre des Pyrénées, ainsi qu’à l’accord de 2010 créant l’eurodistrict de l’Espace catalan transfrontalier. Ce groupement européen de coopération territoriale rassemble une zone plus resserrée : le département des Pyrénées-Orientales et la province de Gérone.
Beaucoup a déjà été fait pour permettre aux habitants de profiter d’équipements en commun. Je pense notamment à l’hôpital franco-espagnol de Cerdagne, exemple unique en Europe, à la station d’épuration des eaux usées sur le Sègre, affluent de l’Èbre, ou à l’abattoir transfrontalier d’Ur ; le domaine culturel n’est pas en reste, puisque nous avons plusieurs parcours transfrontaliers de routes patrimoniales. Mais tant reste à faire !
Monsieur le secrétaire d’État, la loi 4D inclura-t-elle des dispositions facilitant les coopérations entre les cantons et les villes de part et d’autre de la frontière, afin de permettre aux habitants d’accéder à plus d’équipements communs, comme une université transfrontalière ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Calvet, le projet de loi 4D reposant sur le principe de différenciation, il me paraît tout à fait légitime qu’il permette la prise en compte des spécificités de la coopération transfrontalière. Vous ouvrez une piste qui méritera d’être explorée pendant le débat parlementaire ; je vous en remercie. Comme je l’ai déjà souligné en réponse à la question de M. Marchand, une saisine rectificative du Conseil d’État porte d’ailleurs sur le sujet.
Je vous remercie d’avoir souligné la volonté politique affichée lors du sommet du 15 mars dernier en faveur du renouveau de la coopération transfrontalière franco-espagnole. Nous sommes plus qu’attentifs au développement des territoires qui bordent la frontière espagnole sur 600 kilomètres et qui concernent cinq départements ; c’est considérable. Je me suis d’ailleurs entretenu assez récemment avec mon homologue en Espagne, M. Paco Boya, secretario general para el reto demográfico.
Au moment où nous conduisons la concertation sur le programme Montagne, je n’oublie pas que la très grande majorité de ces territoires frontaliers sont situés en zone de montagne.
Il existe sur cette frontière beaucoup de structures de coopération. Vous avez mentionné l’eurodistrict de l’Espace catalan transfrontalier, qui permet au département des Pyrénées-Orientales et à la Généralité de Catalogne de mener des actions coordonnées. Il y en a beaucoup d’autres à l’échelle locale ; nombre d’entre elles s’inscrivent dans le cadre de programmes européens. D’ailleurs, je remercie vivement les élus de leur implication dans ces structures de coopération transfrontalière.
La déclaration du 15 mars appelle une amplification de la dynamique et prévoit le lancement d’un travail conjoint pour une nouvelle stratégie franco-espagnole sur cette frontière. Les sujets ne manquent pas. Bien entendu, il s’agit des passages transfrontaliers, qu’il faut décongestionner par de nouvelles solutions ne passant pas seulement par les deux extrémités des frontières. Ainsi, la mutualisation d’équipements peut être développée en surmontant quelques obstacles juridiques et administratifs. Vous avez évoqué l’hôpital de Puigcerdá en Cerdagne, que je connais très bien ; la coopération y est exemplaire.
Les enjeux relatifs à la biodiversité sont également importants. Je pense que nous pouvons mener des actions de coopération numérique, mais aussi améliorer l’accès aux services publics. J’aimerais bien que l’on réfléchisse à ce que ce seraient des espaces France Services transfrontaliers. Voilà qui serait, me semble-t-il, un très bel exemple de réflexion à lancer avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires.
M. le président. La parole est à M. François Calvet, pour la réplique.
M. François Calvet. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Notre pays a 2 913 kilomètres de frontières et est frontalier avec huit autres. Je pense que les zones frontalières ont toute leur place dans la loi 4D.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le secrétaire d’État, à une question concernant Orange en date du 15 octobre dernier de notre excellent collègue Guillaume Chevrollier, ici présent, vous répondiez : « Plusieurs déplacements officiels m’ont permis de constater dans divers départements […] les manquements que vous signalez à juste titre. » Puis, vous renvoyiez vers M. Cédric O, en expliquant que celui-ci allait voir avec l’Arcep, et que tout allait bien. Je vous ferai grâce de réponses similaires que le Gouvernement a déjà adressées au mois de janvier 2020 à Mme Monier ou le 21 mars 2019 à Mme Jourda.
Je ne doute pas que vous allez me faire la même réponse, en m’expliquant que tout va bien. Or, puisque vous avez été sur le terrain, vous avez pu constater, comme moi, des poteaux qui ne tiennent plus, des fils par terre, des responsables qui ne répondent pas quand on cherche à les joindre par téléphone, des délais qui ne sont pas respectés…
Comme nous avons la chance d’avoir un secrétaire d’État chargé de la ruralité, je crois que vous feriez œuvre utile en faisant en sorte que même les ruraux, dans l’attente de la 4G et de la 5G, puissent accéder au télétravail et, tout simplement, au service universel ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Paul Prince applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur de Legge, j’ai effectivement eu à répondre à une question similaire lors d’un débat ici, au Sénat.
Nous avons fait en sorte qu’une mission flash soit menée par une parlementaire, Mme Célia de Lavergne, qui avait soulevé le problème à propos de son territoire, la région de Die, dans la Drôme, où les réseaux cuivre avaient été « abandonnés » avant même le 3 décembre, date de fin du service universel sur le réseau cuivre. Mme Célia de Lavergne a formulé un certain nombre de recommandations, qui ont immédiatement été portées à la connaissance du groupe Orange – il est concerné s’agissant du réseau cuivre – et du secrétaire d’État Cédric O.
Avec ce dernier, nous avons rencontré le PDG du groupe Orange sur le sujet et, de manière plus large, sur la question de la couverture universelle 4G sur l’ensemble du territoire, ainsi que sur celle du « rattrapage » : il ne faut pas que des territoires attendent trop longtemps la 4G alors que le réseau cuivre est devenu complètement obsolète et ne sert absolument plus à transporter des données.
Une nouvelle rencontre dans la même formation est prévue la semaine prochaine. L’idée est qu’un plan complet soit établi à la fin du mois de mars – vous voyez donc que ce n’est pas renvoyé aux calendes grecques –, afin d’accélérer la couverture 4G dans les territoires là où elle est possible et d’envisager un rattrapage, ainsi que la réparation d’un certain nombre de réseaux là où elle ne peut pas être mise en œuvre immédiatement.
Tout cela sera fait d’ici à la fin du mois de mars, et Cédric O, secrétaire d’État chargé de la transition numérique, annoncera évidemment au Parlement les mesures qui seront prises, notamment dans les dix départements identifiés comme étant particulièrement en difficulté à cet égard.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.
M. Dominique de Legge. Monsieur le secrétaire d’État, tout cela, c’est très joli… Vous indiquez que tout sera réglé pour la fin du mois de mars. Mais nous sommes le combien aujourd’hui ? (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est un peu comme pour la vaccination, où l’on va réussir, nous dit-on, à régler en huit jours des problèmes qui traînent depuis des lustres…
Je ne doute pas un seul instant de votre bonne volonté ni de celle de M. Cédric O. Mais je me dois de souligner ici l’exaspération de tous les élus ruraux, qui se sentent abandonnés, face au sentiment d’impunité d’Orange. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Christian Bilhac applaudit également.)
M. Laurent Duplomb. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Garnier. Alors que 79 % des Français vivent en ville, 80 % d’entre eux voudraient vivre à la campagne. Le confinement a encore accentué cette situation. En Loire-Atlantique, nous avons accueilli 200 000 personnes supplémentaires au mois de mars 2020.
Cela s’explique par la manière dont nous avons conçu l’aménagement du territoire depuis trente ans : aujourd’hui, 82 % des créations d’emploi se font dans les grandes métropoles ! Résultat : les Français vivent non pas là où ils le voudraient, mais le moins loin possible de leur lieu de travail ! Tout cela a des conséquences très fortes.
Il y a d’abord une fracture sociale. Les plus riches s’installent dans les centres-villes, près de leur travail, où ils vont à vélo. Les moins riches s’installent en périphérie, loin de leur travail, et ils y vont en voiture. Cela a été l’un des déclencheurs de la crise des « gilets jaunes ».
Il y a ensuite une fracture territoriale. Les villes sont de plus en plus bétonnées, embouteillées, tandis que les territoires ruraux sont de plus en plus isolés et abandonnés. On ferme des classes, des services postaux, des guichets… Personne ne s’y retrouve.
Face à cela, soit on continue avec le « tout-métropole », soit on fait en sorte que nos villes redeviennent des locomotives, et non des aspirateurs ! Pour cela, il faut créer des emplois, faire venir des habitants et s’appuyer sur une démarche raisonnée de développement de nos transports en commun et de nos infrastructures numériques. Je pense évidemment en particulier à la fibre optique.
Il ne s’agit pas, bien sûr, de plaider pour « la petite maison dans la prairie » ou l’étalement urbain, mais d’accompagner une démarche raisonnée de développement de nos villes moyennes et de nos centres-bourgs.
Monsieur le secrétaire d’État, êtes-vous prêt à prendre ce tournant ? Les Français vous le demandent, ils aspirent à des communautés plus réduites, plus humaines, à plus petite échelle ; notre société est fragile, la violence augmente partout, l’aménagement du territoire est un vrai levier pour lui redonner un peu de cohésion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice, vous embrassez un sujet assez large, relatif à la dualité entre métropole et ruralité. Comme je l’ai indiqué dans mon intervention liminaire, ce sont deux espaces que je considère comme complémentaires et que je ne veux pas opposer par principe. Cela serait, à mon sens, une erreur tragique pour ce pays.
Il est vrai que les espaces urbains sont parfois plus agréables à vivre dans d’autres pays de l’Union européenne. Les villes n’ont pas été conçues de la même façon en Allemagne et en France, par exemple. Je ne peux pourtant pas réparer ce qui a été fait chez nous pendant des années tandis que, dans le même temps, nos voisins allemands ceinturaient leurs agglomérations de couloirs circulaires verts.
Vous soulignez un défi posé à la politique d’aménagement du territoire : les emplois sont concentrés dans les villes alors que les Français préfèrent vivre à la campagne où, pour autant, leurs exigences peuvent être encore supérieures à celles qu’elles sont en ville. Lorsque j’étais maire d’une commune rurale, on m’avait ainsi demandé que les crèches soient ouvertes jusqu’à vingt heures ou vingt et une heures. Il m’était difficile de répondre à cela !
Il ne faut pas non plus idéaliser la campagne ; j’ai habité à la montagne, mais je n’ai jamais rencontré Heidi dans la rue… (Sourires.)
Un rapport récent de l’Institut Montaigne indique que les quinze métropoles de plus de 500 000 habitants représentent plus de 50 % de l’activité économique et qu’elles captent les secteurs les plus porteurs de croissance. C’est indéniable. L’action des pouvoirs publics doit en tenir compte pour assurer la cohésion des territoires, mais aussi le bien-être des habitants qui subissent l’augmentation du prix de l’immobilier dans des secteurs concentrant, en plus, des emplois.
Ce sujet n’est d’ailleurs pas perçu partout de la même façon dans les territoires. Je me suis rendu il y a très peu de temps dans les monts du Lyonnais pour labelliser des « petites villes de demain », c’est-à-dire des bourgs-centres qu’il convient de renforcer. La démarche des bourgs de proche banlieue, qui font face à des questions de mobilité très particulières – notamment dans le cadre de la métropole de Lyon, laquelle va s’étendre au département du Rhône en termes de mobilité –, y est complètement différente de celle d’autres bourgs, qui souhaitent une plus grande autonomie et un développement territorial.
Les programmes nationaux que nous avons lancés, auxquels s’ajoutent les crédits du plan de relance concernant les collectivités mais également la reconquête industrielle des territoires, et que nous mettons en œuvre au titre de l’ANCT, nous permettront de prendre en compte demain les projets de ces territoires au lieu d’imposer du « tout-cuit » depuis Paris. L’ingénierie territoriale doit être cousue main. J’ai d’ailleurs bien vu la différence dans les secteurs où le plan de relance est très important pour revitaliser les bourgs-centres et ramener de l’emploi.
Cela permettra à ces territoires, qu’ils se trouvent dans l’extrême proximité des métropoles ou dans la ruralité plus profonde, de reprendre leur destin en main parce que nous aurons consacré à leurs projets l’ingénierie et les moyens financiers nécessaires.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier, pour la réplique.
Mme Laurence Garnier. Un changement de logiciel doit s’opérer, il est urgent d’en prendre conscience. Cette démarche est écologiquement vertueuse puisque, en rapprochant les lieux de travail et d’habitation des Français, elle permettra de limiter les déplacements pendulaires.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour le groupe les Républicains. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer l’ensemble des interventions, qui ont porté sur les problématiques touchant nos concitoyens : La Poste, l’accès aux soins, la coopération transfrontalière, la sécurité sur les routes, la fermeture des services publics, les risques d’inondation, les problèmes d’ingénierie. Cela prouve combien les sénateurs sont proches de nos concitoyens.
Monsieur le secrétaire d’État, je suis toutefois perplexe, car la teneur de vos réponses sur le large panel de domaines évoqués, si elle témoigne d’un réel engagement, implique davantage d’actions d’envergure et, surtout, convergentes.
De toute évidence, et nous en prenons acte, le contexte connaît des transformations profondes : mondialisation économique accentuant la métropolisation, décentralisation, construction européenne. De nouveaux sujets apparaissent, comme le développement durable ou le numérique, qui modifient le sens et le contenu de cette politique.
Le constat est simple, Didier Mandelli l’a souligné, la photographie de la France métropolitaine en 2021 est celle d’un pays où quinze métropoles polarisent le développement économique pendant que les « territoires épars », qui représentent 90 % de la superficie et 70 % de la population du pays, voient leur croissance et leur niveau de vie stagner, voire décliner.
Nous avons bien conscience que le développement de pôles d’attractivité économique, démographique, culturelle de dimensions européenne et mondiale, constitue un atout indéniable pour la France. Pour autant, un tel développement, au détriment de certains territoires toujours plus marginalisés, doit être interrogé. Seule une politique volontariste permettra de réussir ce rééquilibrage. Elle devra s’inscrire dans la perspective d’un renforcement durable et structurel de l’attractivité économique des territoires ruraux.
Dès lors, il est nécessaire de repenser l’action publique en favorisant la différenciation selon les territoires et, ainsi, de renforcer durablement la cohésion à l’échelle nationale, dont l’État est garant, en mobilisant toutes les parties prenantes. La crise sanitaire sans précédent que nous traversons en a été un puissant révélateur.
C’est désormais selon cet axiome que doivent être pensées les différentes actions de collaboration entre l’État et les collectivités territoriales. Ces actions conféreront à ces dernières une confiance renforcée, en leur garantissant l’exercice plein et entier de leurs compétences, comme la modulation des ressources en fonction de leurs besoins et de leurs objectifs.
À cette fin, j’insiste sur la contractualisation, mise en avant au sein de l’agenda rural ; elle doit être systématiquement préférée, car elle offre de la cohérence grâce à la prise en compte de la décentralisation et des spécificités locales. C’est la condition d’un aménagement du territoire concerté et mobilisateur pour tous.
Il nous faut retrouver aussi la raison d’être de l’aménagement du territoire : obtenir un véritable effet contracyclique par rapport aux déséquilibres spontanément créés par les forces de concentration autour des grandes aires urbaines, et pondérer les disparités en termes d’isolement ou de revenu par habitant.
Pour y parvenir, il faut réellement organiser la métropolisation afin que celle-ci bénéficie au plus grand nombre. L’objectif de rayonnement reste cependant peu concret, ainsi que le souligne le tout récent rapport de la Cour des comptes pour 2020.
D’autre part, il faut soutenir plus intensément les réels leviers d’émancipation et d’attractivité des territoires que sont le développement d’une offre de formation universitaire et professionnelle ainsi qu’une couverture numérique pérenne et homogène accompagnée d’une réelle pédagogie, et relever le défi de l’écomobilité.
Enfin, il faut véritablement s’atteler à une action renforcée de l’ANCT – c’était l’une des propositions de notre rapport – au service des territoires. Ceux-ci savent bien évidemment se prendre en charge, mais ils se heurtent aux complexités et à l’enchevêtrement des dispositifs actuels. L’Agence, en fluidifiant et en rationalisant l’existant, doit permettre aux territoires moins denses de se développer grâce à des projets propres, sans voir leurs potentialités aspirées par d’autres territoires plus aguerris.
En conclusion, je ne peux que réitérer avec force ce que nous disions déjà dans notre rapport et qui reste particulièrement d’actualité : il faut rétablir un État stratège, régulateur, véritable pilote de la politique d’aménagement du territoire autour des binômes région-intercommunalité – acteur majeur – et département-commune.
Le critère d’aménagement du territoire doit être prioritaire dans les choix de régulation et d’investissement de l’État, lequel doit cesser de fonctionner en silos et envisager sa politique comme un projet global et prospectif. La crise actuelle ne nous laisse plus le choix.
Favoriser les territoires les plus compétitifs pour attirer les entreprises et créer de l’emploi, d’une part, et maintenir une offre de service public dans tous les territoires et pour tous les habitants, d’autre part, ne sont pas nécessairement deux approches contradictoires. Cette vision nécessite une action politique courageuse que nous attendons tous urgemment. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Canevet applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
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Avenir des entreprises assurant les liaisons trans-Manche
Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Union Centriste, sur l’avenir des entreprises assurant les liaisons trans-Manche.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Michel Canevet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Canevet, pour le groupe Union Centriste. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste a souhaité que nous nous penchions sur les questions maritimes, car il lui semble important que notre pays affiche dans ce domaine une ambition extrêmement forte.
Nous avions apprécié, madame la ministre, la création d’un ministère de la mer, qui permettait d’identifier un interlocuteur ministériel spécifique. Il nous faut désormais mener des actions qui soient à la hauteur du domaine maritime de notre pays, lequel est, je vous le rappelle, le deuxième au monde en étendue.
La question maritime dans notre pays est ancienne. Tout le long du littoral, nous pratiquons la pêche. Penmarc’h, la commune près de laquelle je vis, fut ainsi au XVe siècle un grand port de commerce. Et puisque nous sommes ici au Palais du Luxembourg, n’oublions pas que c’est sous Louis XIII que fut constituée la marine d’État. Nous nous réjouissons, par ailleurs, de l’arrivée récente des derniers concurrents du Vendée Globe.
La mer constitue un sujet très divers, et nous avons souhaité examiner aujourd’hui la question des liaisons trans-Manche. Les relations, anciennes, avec le Royaume-Uni sont en effet importantes pour tous ceux qui vivent sur la façade nord de notre pays. Par exemple, dès 1828, des producteurs de Roscoff allaient vendre leurs oignons en Grande-Bretagne ; ils s’y rendaient sur des gabares qu’ils affrétaient à cette fin : on les appelait les Johnnies. Cela ne date pas d’hier !
Un grand opérateur, issu également du milieu des coopératives agricoles, a été créé en Bretagne en 1972 : la compagnie Bretagne Angleterre Irlande (BAI). Elle existait donc déjà lorsque, au 1er janvier 1973, le Royaume-Uni a intégré la Communauté économique européenne. Les paysans bretons ont alors pu acheminer en Grande-Bretagne une bonne partie de leur production. Est ainsi né un courant de commercialisation et d’échanges de biens, puis de passagers. Rappelez-vous également l’inauguration et la mise en service en 1994 du tunnel sous la Manche, qui a facilité le commerce et les échanges avec les Britanniques.
Tout allait donc bien, et les activités se sont développées jusqu’à la décision des Britanniques, en 2016, de quitter l’Union européenne. Ce Brexit a trouvé sa concrétisation au 1er janvier dernier et a posé des difficultés à l’ensemble des opérateurs en raison du niveau d’incertitude auquel leur activité a été confrontée.
S’y est ajoutée la pandémie actuelle, dont les conséquences sur les opérateurs des liaisons trans-Manche, pour l’essentiel français, ont été considérables. Ceux-ci sont aujourd’hui en grande difficulté : en 2020, Brittany Ferries a perdu 70 % de ses passagers par rapport à 2019, DFDS Seaways 60 % et Eurostar 85 %. C’est dire l’impact économique de la crise que nous connaissons, en plus du Brexit !
Madame la ministre, disons-le clairement, il est important de restaurer les conditions de viabilité économique de l’ensemble des opérateurs du trans-Manche. Confrontés à la concurrence internationale, ceux-ci doivent pouvoir y faire face avec des moyens raisonnables, c’est-à-dire sans être accablés de charges.
Beaucoup a déjà été fait, s’agissant notamment de l’exonération des charges patronales. Il convient d’aller plus loin, car il faudra beaucoup de temps à ces opérateurs pour retrouver une situation leur permettant d’absorber les pertes économiques causées par les difficultés que je viens d’évoquer. Certes, le Gouvernement a mis en place les prêts garantis par l’État (PGE), mais il faudra les rembourser. Un dispositif d’activité partielle a également été prévu, mais les compagnies subissent des déficits et il faudra y remédier.
Parmi les propositions que nous avons formulées figure le net wage, c’est-à-dire le remboursement des charges sociales salariales. Je vous le dis au nom du groupe Union Centriste, madame la ministre : cette question perdurera au-delà de 2021 et de 2022 ; le processus doit donc s’étaler dans le temps afin que les entreprises retrouvent la compétitivité dont elles ont besoin. Nous formons le vœu que vous nous apportiez des réponses quant à la pérennisation de ce système.
Il faut également évoquer la formation des marins qui composeront, demain, la marine française. Si l’on veut avoir un pavillon, il faut des marins, et donc un soutien de leur formation.
La question des investissements portuaires sera sans doute abordée dans le débat. Nos ports doivent devenir de véritables espaces de développement à même d’accueillir le trafic dans les meilleures conditions, face aux principaux ports européens situés sur la façade nord que sont Anvers et Rotterdam, notamment. À ce titre, les corridors européens définis en lien avec l’Union européenne doivent atteindre et intégrer certains ports impliqués dans des échanges internationaux importants, comme Saint-Malo, Roscoff ou Brest.
Un autre point de vigilance concerne le plan de relance, lequel doit aider l’ensemble des ports, et pas seulement les ports d’État, à développer une stratégie forte. Nous attendons également des réponses sur l’aide au verdissement de la flottille.
Nous espérons que le Fontenoy du Maritime que vous avez lancé, madame la ministre, soit l’occasion de réaffirmer que la France a la chance de disposer de grands opérateurs maritimes, comme Brittany Ferries, premier employeur de marins français, mais aussi CMA CGM, entre autres. Ce secteur doit être soutenu ; nous comptons sur ce débat pour que des réponses soient apportées et des pistes esquissées.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Brexit et la pandémie ont mis à rude épreuve les opérateurs de l’espace trans-Manche. Cette zone maritime est particulière car, au transport maritime, très ancien, s’est ajouté depuis 1994 le ferroviaire, avec le tunnel sous la Manche.
Le Gouvernement partage bien évidemment vos préoccupations quant à l’avenir des liaisons entre la France et le Royaume-Uni. Je veux toutefois affirmer d’emblée que l’amitié franco-britannique, même mise à rude épreuve par le Brexit, doit rester vive, et elle le restera grâce à notre attachement commun aux liaisons trans-Manche.
Le constat est clair : si le secteur du transport global – maritime, terrestre, aérien ; je n’oublie pas ce dernier segment – a été touché par la crise de manière hétérogène, le transport sur et sous la Manche a, quant à lui, été très fortement impacté. Les transports opérés sous pavillon français par Brittany Ferries et DFDS Seaways ont connu au printemps 2020 des baisses de fréquentation de passagers jusqu’à 80 % et des pertes de chiffre d’affaires de 75 % par rapport à 2019. Il en est de même pour le tunnel, plus spécifiquement pour l’Eurostar, qui a connu des baisses dans des proportions identiques.
Les mesures sanitaires prises de part et d’autre de la Manche depuis un an empêchent pour le moment la reprise du trafic, mais le gouvernement français n’est pas inactif.
L’État a toujours été aux côtés des opérateurs durant la crise et il le demeurera le temps qu’il faudra, conformément au principe du « quoi qu’il en coûte ». Souvenons-nous des paroles du Président de la République, qui concernent évidemment les transports.
Les dispositifs d’aide d’urgence, comme l’activité partielle, ont été prolongés ; le mécanisme de PGE a été instauré afin d’assurer la trésorerie des entreprises. Cela a été vital pour certains armateurs de la zone, en plus de l’implication des régions, que je dois saluer.
Le processus d’activité réduite de longue durée a également été mis en œuvre. À ce titre, les entreprises peuvent, après un accord avec les organisations syndicales, diminuer le temps de travail et pratiquer la modération salariale, à condition de maintenir intégralement l’emploi.
L’État a porté, dès le début de la crise, une attention toute particulière aux compagnies de ferries, touchées de plein fouet par les mesures de confinement et de restrictions des déplacements.
J’en viens maintenant au net wage, que le Premier ministre a annoncé. J’ai été chargée de mettre en place cette aide, qui oscille entre 20 et 25 millions d’euros pour l’ensemble des compagnies de ferries. Je suis certaine que nous y reviendrons pendant le débat, j’en préciserai alors les conditions.
Les infrastructures nécessaires au rétablissement des contrôles aux frontières ont été installées. Tous les ports français des Hauts-de-France, de Normandie ou de Bretagne ont su anticiper la date de sortie du Royaume-Uni. Il faut le dire, la France a su anticiper ce moment en amont. J’ai d’ailleurs pu le constater moi-même le 3 décembre dernier, lors d’un déplacement à Boulogne-sur-Mer avec le Premier ministre et mes collègues Clément Beaune et Olivier Dussopt.
L’ensemble de ces investissements avoisinent les 20 millions d’euros et la France souhaite que la réserve spéciale d’ajustement au Brexit contribue à leur financement.
Face au lancement, en novembre dernier, par le gouvernement britannique d’une procédure d’appel d’offres pour la création de dix ports francs, la France ne va pas rester sans réponse. Le Président de la République a souhaité que nous nous engagions. Une réflexion a été entreprise pour renforcer l’attractivité de nos zones industrialo-portuaires et une mission a été lancée afin d’étudier la mise en place de dispositifs permettant d’améliorer leur compétitivité.
Le transport ferroviaire n’est pas en reste : Eurotunnel a investi 48 millions d’euros pour le rétablissement des contrôles frontaliers.
Le Brexit crée aussi de nouvelles opportunités économiques avec l’Irlande et les acteurs français savent s’en saisir, comme en témoignent les développements de nouvelles liaisons ou le renforcement des lignes existantes.
L’entreprise Getlink, qui gère l’infrastructure du tunnel sous la Manche, a demandé de pouvoir créer des zones de ventes hors taxes, ou duty free, sur la partie française de la concession. Le port de Calais a fait de même.
S’agissant, enfin, du service Eurostar, le bouclage du plan de sauvetage passe avant tout par un effort des actionnaires et une plus grande implication des banques. Les discussions sont en cours. Le gouvernement français est prêt, s’il le faut, à prendre sa part, mais dans un effort partagé avec le Royaume-Uni.
Enfin, je souhaite évoquer trois sujets majeurs.
Je parlais d’opportunités à venir. J’ai lancé la semaine dernière la seconde phase du Fontenoy du Maritime. Depuis octobre, nous travaillons avec l’ensemble des acteurs sur la compétitivité de notre marine marchande. Cet exercice doit aboutir, avant l’été, à un pacte de performance avec les armateurs et l’ensemble de l’écosystème.
La France possède la deuxième zone économique exclusive (ZEE). C’est bien, mais en tant que ministre de la mer, je souhaite que notre pays soit une grande puissance maritime. Cela passe notamment par une véritable politique publique du shipping, qui nous a longtemps fait défaut. Le Fontenoy du Maritime répondra à cette ambition.
Je parlais d’une action déterminée de l’État : c’est, bien entendu, le cœur de notre démarche dans le cadre de France Relance. Le plan de relance maritime, qui s’élève à 650 millions d’euros, a été pensé pour répondre de la manière la plus concrète aux attentes des acteurs économiques. Les acteurs du portuaire peuvent ainsi bénéficier de 200 millions d’euros pour accélérer la transition écologique et le report modal, deux dimensions clés de leur compétitivité.
J’ai évoqué une stratégie de l’État en matière maritime. La stratégie portuaire, très attendue, a été le point d’orgue de la dernière réunion du comité interministériel de la mer (CIMer). La façade Manche-Mer du Nord n’est pas en reste au regard de cette ambition qui doit toucher plus et mieux les ports décentralisés. (Mme Nathalie Goulet et M. Yves Détraigne applaudissent.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, deuxième secteur le plus producteur de gaz à effet de serre avec près d’un quart des émissions mondiales, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les transports ont une lourde responsabilité dans les bilans carbone nationaux et internationaux. Si la circulation maritime ne représente qu’une petite part de ce volume, elle n’en reste pas moins un élément essentiel, et longtemps sous-estimé, de la transition énergétique.
Plusieurs évolutions se sont fait jour ces dernières années afin de réduire l’impact environnemental du transport, à commencer par la réduction de la vitesse ; un seul nœud de moins peut ainsi permettre d’éviter de 15 % à 20 % des émissions de CO2.
D’autres technologies apparaissent, comme la propulsion vélique, l’électrification des quais, le recours à des carburants alternatifs, le gaz naturel liquéfié (GNL) et, surtout, l’hydrogène.
Pour financer ces nécessaires innovations, la création d’un fonds maritime vert comme mécanisme de suramortissement pour tout investissement vert dans la flotte ou encore l’instauration – enfin ! – d’une taxe carbone sur les carburants marins et aériens doivent être mises en débat.
Madame la ministre, ma question est multiple.
Quelle transition énergétique est-elle prévue pour le transport maritime de voyageurs afin de réduire l’empreinte environnementale des bateaux ainsi que leur consommation ?
Pour ce faire, quels projets peuvent être développés conjointement avec l’Angleterre, comme nous avons su le faire avec Eurotunnel ?
Quel portage comptez-vous faire de cette question au niveau européen et, plus largement, à l’international, étant entendu que seules des actions globales peuvent avoir des impacts significatifs sur ces sujets ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur Jacques Fernique, je connais votre intérêt pour cette problématique, puisque vous êtes membre de la mission d’information relative au transport de marchandises face aux impératifs environnementaux.
La transition énergétique du transport maritime va nécessiter des coopérations internationales, mais aussi public-privé intersectorielles qui dépassent le seul cadre du shipping pour inclure les ports, les fournisseurs d’énergie, les transporteurs, les distributeurs de carburant et bien d’autres acteurs de cet écosystème.
De nombreuses coopérations industrielles voient le jour – et il faut s’en féliciter –, telles que le Cluster maritime français (CMF) qui crée une dynamique très propice en la matière.
Au niveau national, mon ministère porte la charte Sails qui vise à limiter l’utilisation des carburants à fort taux de soufre, mais aussi à adapter la navigation dans les aires marines protégées et à sensibiliser les passagers au respect de l’environnement. Aujourd’hui, 14 compagnies ont déjà signé ces engagements.
Le Gouvernement finalise actuellement un rapport qui sera remis au Parlement sur la décarbonation et la réduction des émissions polluantes dans le transport maritime. Par ailleurs, dans un récent rapport sur la propulsion vélique, Franck Cammas propose des pistes extrêmement intéressantes. Nous suivons ces projets de très près.
En effet, il pourrait en découler, au niveau national, des actions de coopération industrielle ciblant notamment les flottes purement domestiques, et au niveau international, des actions ciblant les lignes internationales, qui sont d’ailleurs relativement protégées de la concurrence internationale et dont les liaisons, du fait de leurs caractéristiques, notamment la durée limitée des rotations, pourraient s’avérer propices au développement de solutions technologiques.
Vous avez évoqué la création d’un fonds maritime vert. C’est l’un des sujets qui seront débattus dans le cadre du Fontenoy du Maritime. Un tel fonds pourrait ainsi voir le jour à l’issue de nos travaux, c’est-à-dire en avril-mai, pour être concrétisé en juin.
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour la réplique.
M. Jacques Fernique. Madame la ministre, je vous remercie de vos éléments de réponse et des pistes tracées. Il semble toutefois nécessaire de fixer des calendriers réalisables pour la mise en place de ces solutions et de déterminer, avec le ministère de la transition écologique, des objectifs clairs et quantifiables d’émissions de CO2 pour le transport maritime de voyageurs.
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Madame la ministre, le secteur maritime trans-Manche est doublement affecté, par le Brexit et par la crise du coronavirus. Il accuse sur l’année 2020 un recul de 80 % de son chiffre d’affaires. L’activité de transport de passagers à ce jour est quasiment inexistante et sans aucune perspective de reprise.
Brittany Ferries est la compagnie la plus touchée par la crise : de 2,5 millions de passagers, elle est passée à 700 000 en 2020. Cette entreprise qui emploie près de 3 000 salariés, dont 1 600 navigants, est un modèle pour la Bretagne mais également pour l’ensemble du secteur touristique.
Je sais que le Gouvernement est actif. Je pense notamment à la répartition très contestée du fonds européen post-Brexit, sujet sur lequel il est très mobilisé. Outre le dispositif de chômage partiel, la compagnie a bénéficié d’un PGE à hauteur de 117 millions d’euros.
En septembre 2020, notre Premier ministre a déclaré que le Gouvernement allait encore accentuer son soutien à la compagnie finistérienne en procédant au remboursement de ses charges sociales pour l’exercice 2021. Cet engagement porte sur un montant de 15 millions d’euros.
Les acteurs économiques du trans-Manche ont acté le principe selon lequel la crise traversée allait structurellement bouleverser leur secteur d’activité. Comme vous l’avez indiqué, madame la ministre, il s’avère nécessaire d’élaborer une stratégie globale dans le cadre du Fontenoy du Maritime. Tel est le sens des travaux que vous menez depuis plusieurs semaines.
Pour surmonter cette crise, ce secteur comme beaucoup d’autres a besoin de perspectives de long terme. Les PGE sont remboursables sur une durée de cinq ans. La compétitivité des armateurs – vous le savez – est un enjeu fondamental face aux avantages concurrentiels dont bénéficient certains pavillons par rapport au pavillon français. Une pérennisation du dispositif de remboursement des charges sociales tout au long de la durée de remboursement des PGE ou, a minima, jusqu’à la fin de la crise sanitaire, pourrait à ce titre être débattue dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
Madame la ministre, ma question porte sur l’engagement pris par le Premier ministre de procéder au remboursement des charges sociales pour l’exercice 2021. Pouvez-vous nous indiquer la date de parution du décret permettant ce remboursement ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Madame la sénatrice Nadège Havet, le transport maritime, notamment trans-Manche, a été très fortement affecté par la crise sanitaire. Les deux compagnies qui opèrent sous pavillon français, Brittany Ferries et DFDS Seaways, ont été particulièrement touchées. Comme je l’ai indiqué précédemment, l’État a été aux côtés des opérateurs et le restera dans la durée.
Vous évoquez le cas spécifique de Brittany Ferries. Cette entreprise, qui est le premier employeur de marins français, a bénéficié – je l’avais souligné dès mon arrivée au ministère – d’un certain nombre de dispositifs d’accompagnement tels que le PGE, à hauteur de 117 millions d’euros, et l’activité partielle. Notre objectif était de maintenir l’emploi. C’est la raison pour laquelle, en sus de ces dispositifs, le Premier ministre a annoncé la mise en œuvre de la mesure net wage à hauteur de 30 millions d’euros. Comme je l’ai indiqué, une fois les chiffres affinés, ce montant se situera vraisemblablement plutôt entre 20 et 25 millions d’euros.
Ce versement s’effectuera par trimestre. Vous m’interrogez à juste titre sur la date de parution du décret d’application de cette disposition, votée dans la quatrième loi de finances rectificative. Ce décret est en cours d’instruction devant le Conseil d’État, dont nous attendons la réponse pour le 30 mars prochain. Nous espérons toutefois être en mesure d’apporter cette aide financière concrète, notamment à Brittany Ferries, au tout début du mois de juillet.
Quoi qu’il en soit, soyez assurée que l’État demeure attentif à la pérennité des armateurs français, notamment dans cette période compliquée et dans cette zone, et qu’il s’attache à poursuivre ses travaux en ce sens dans le cadre du Fontenoy du Maritime. Le net wage fait ainsi partie des sujets qui sont étudiés afin d’apporter des réponses beaucoup plus larges aux difficultés rencontrées. Cela nous permettra aussi d’aider Brittany Ferries.
M. le président. La parole est à M. André Guiol.
M. André Guiol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec plus de 5 000 kilomètres de linéaire côtier métropolitain, la France peut s’enorgueillir de posséder l’une des plus grandes façades maritimes d’Europe. Pourtant, le trafic de nos principaux ports se place loin derrière celui de nos voisins. L’activité du Havre, premier port à conteneurs français, ne représente que le quart, voire le cinquième, de celle de ports comme Rotterdam, Anvers ou Hambourg. Si l’on considère les données en tonnage de marchandises, les résultats ne sont guère différents.
Avec ses 65 millions d’habitants, la France représente la part la plus importante du marché européen après l’Allemagne. Un avantage compétitif ne se bâtit pas en un jour. Cela nécessite des investissements massifs sur le long terme dans les infrastructures et la logistique. Certes, cette différence constatée peut aussi être en partie liée à la géographie. Toutefois, un tel déséquilibre interroge.
Ma question est donc la suivante, madame la ministre : quelle est la stratégie du Gouvernement pour le développement économique de nos littoraux, en particulier de nos ports ? Alors que nous sommes à un tournant de la mondialisation du fait des évolutions socio-économiques, de la montée des préoccupations environnementales, de la crise sanitaire et du Brexit, vers quel secteur devons-nous concentrer nos efforts ? Il peut s’agir aussi bien du commerce de marchandises, des activités industrielles dans les zones portuaires ou de la politique de pêche que du transport de passagers et du développement touristique.
Mon interrogation découle du sentiment général que notre pays ne tire pas suffisamment parti du potentiel que représente sa façade maritime exceptionnelle. Vous l’aurez compris, ma question ne se limite pas strictement à celle, tout à fait légitime, des liaisons trans-Manche. L’objectif est d’essayer de réfléchir également, à plus long terme, à la façon dont la mer peut s’inscrire dans notre trajectoire de redressement économique.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur André Guiol, le ministre chargé des transports Jean-Baptiste Djebbari et moi-même avons récemment présenté notre stratégie maritime à l’horizon 2050, notamment pour les ports.
Vous avez raison de souligner que la crise liée au covid et les désordres qu’elle a engendrés à l’échelon mondial ont renforcé le besoin de fixer un cap clair avec l’ensemble des acteurs portuaires français. Notre ambition est que la France soit le premier port d’Europe en 2030. Nous serons capables d’atteindre cet objectif si nous y consacrons les investissements suffisants et si nous parvenons à créer une dynamique par façade, mais aussi, plus globalement, entre les grands ports et l’ensemble des ports décentralisés.
Cette stratégie repose sur la volonté de créer une dynamique afin d’atteindre des objectifs ambitieux, tels que celui de porter à 80 % la part de marché de fret conteneurisé à destination ou en provenance de la France en 2050.
Au-delà de ces ambitions fortes, il faut que nous parvenions à donner du sens et de la cohérence à l’ensemble de nos actions. Jean-Baptiste Djebbari et moi-même avons ouvert un véritable chantier, et nous allons poursuivre ce travail.
Le ministère de la mer n’est pas seulement chargé des ports, des armateurs et des bateaux, mais bien d’un ensemble unifié. Comment faire en sorte que la France soit demain une vraie puissance maritime ? Le nombre de navires naviguant sous pavillon français nous place en vingt et unième position au niveau mondial. Comment changer cette situation ? Comment améliorer notre positionnement européen ? Comment répondre au besoin de développement touristique des littoraux ?
Le ministère de la mer est aussi le ministère de la planification, des usages et des usagers. C’est le ministère qui soutient l’ensemble de la dynamique économique et qui œuvre pour que notre pays devienne une vraie puissance.
M. le président. La parole est à M. André Guiol, pour la réplique.
M. André Guiol. Dans le contexte actuel, les cartes sont redistribuées et la France a des atouts. C’est peut-être une opportunité de réfléchir à une vraie stratégie, à l’image de celle que vous avez esquissée, madame la ministre.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire et le Brexit fragilisent terriblement le trafic trans-Manche. Pourtant, plus la situation se dégrade et moins vous semblez vous intéresser à la situation des liaisons maritimes.
L’activité partielle et les prêts garantis ont certes été activés, mais aucune aide spécifique n’a été à ce stade engagée pour les emplois maritimes. Sur les littoraux des Hauts-de-France, de la Bretagne et de la Normandie, le sort de 20 000 salariés est pourtant en jeu.
Les remboursements de cotisations sociales et salariales que vous avez évoqués ne sont pas encore effectifs, et il faudra manifestement attendre quelques mois encore pour qu’ils le soient. De plus, la ligne Dieppe-Newhaven, opérée par DFDS Seaways dans le cadre d’une délégation de service public (DSP), en serait exclue.
Rien dans le plan de relance, rien non plus dans les contrats de plan État-région, notamment en faveur de nos ports. Quant au fonds de compensation du Brexit, la France ne touchera que 421 millions d’euros sur plus de 4 milliards au total. De plus, ce dernier ne prend en charge que les dépenses de l’État, à l’exclusion de celles qui sont engagées par les opérateurs et par les collectivités. Tel est le premier sujet sur lequel je souhaite vous interpeller, madame la ministre.
À cela s’ajoute que la filière devrait mettre en œuvre dans moins d’un an de nouveaux dispositifs très complexes décidés par l’Europe pour ses frontières externes, afin de réaliser des contrôles biométriques avec le système EES (Entry/Exit System). Ce dernier nécessite de nouveaux espaces, de nouveaux équipements et sa mise en œuvre aura pour conséquence un allongement des délais, et donc des coûts.
Envisagez-vous d’utiliser le plan de relance pour soutenir véritablement le trans-Manche et permettre aux ports d’investir, notamment pour prendre en compte ces nouvelles contraintes ? Envisagez-vous de plaider auprès de l’Union européenne un report de la mise en place de ce système ? Quel plan de promotion des traversées comptez-vous développer ? Telles sont quelques-unes de mes questions, madame la ministre.
La concurrence étant très forte dans ce secteur, il est urgent d’apporter un soutien concret et réel au trans-Manche.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Madame la sénatrice Céline Brulin, vous soulignez qu’aucune aide spécifique n’a été débloquée en faveur des opérateurs de liaisons trans-Manche. Vous êtes toutefois obligée de reconnaître que les différents dispositifs mis en place par le Gouvernement, notamment le net wage, ont permis d’accompagner l’ensemble des compagnies de ferries.
Permettez-moi de corriger un point relatif au net wage. J’ai indiqué tout à l’heure que le décret devrait être prêt pour le 30 mars, qu’il serait ensuite publié et que cette aide serait mise en place en juillet. Or le rendez-vous est bien, non pas en juillet, mais en mai. Autrement dit, nous y sommes…
Si aucune mesure spécifique n’a été mise en place, toutes ces mesures globales ont permis malgré tout de passer ce moment difficile qui, certes, se poursuit, mais du fait cette fois de la crise sanitaire. Ces mesures de soutien ont permis d’éviter tout licenciement. Telle était la priorité du Gouvernement, et nous avons atteint notre objectif. Je souhaite que nous poursuivions l’accompagnement des entreprises afin de garantir l’emploi maritime.
Vous m’avez également interrogée sur l’EES, c’est-à-dire le système des entrées/sorties qui a été instauré par l’Europe en 2017. Le Royaume-Uni étant désormais un pays tiers, ce système doit être mis en place à nos frontières avec ce pays. La France compte 33 points de passage aux frontières maritimes où ce document sera exigé. Ce nouveau contexte nous impose de réaliser des aménagements et des investissements complémentaires pour assurer une fluidification du passage. Un système de pré-enregistrement sera également mis en place. Il est actuellement encore à l’étude, mais sera annoncé sous peu.
Nous disposons encore d’un peu de temps, puisque l’entrée en vigueur de cette attestation n’interviendra qu’en mai 2022, mais nous y travaillons d’ores et déjà avec l’ensemble des territoires qui seront concernés.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.
Mme Céline Brulin. Vous n’avez pas répondu à ma question relative à la ligne, opérée en DSP, Dieppe-Newhaven, qui est très importante pour mon département de la Seine-Maritime. Or, a priori, il n’est pas prévu qu’elle bénéficie du net wage, mais peut-être ce point pourrait-il être étudié.
Par ailleurs, vous affirmez que nous avons le temps de nous préparer aux nouvelles contraintes liées aux entrées et aux sorties de nos ports. Permettez-moi d’insister, car les acteurs alertent sur l’étendue des travaux et le coût des équipements et des infrastructures que cela impliquera. Il me semble nécessaire de consacrer des crédits du plan de relance à ces investissements.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Fournier.
Mme Catherine Fournier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les entreprises du trans-Manche sont aujourd’hui victimes d’une situation exceptionnelle à double titre, du fait du Brexit et de la mise en place de mesures sanitaires strictes à la frontière du Royaume-Uni.
Dans le Pas-de-Calais, les entreprises privées assurant la liaison trans-Manche emploient plus de 10 000 personnes, et bien davantage à l’échelon national. Aujourd’hui, ces entreprises souffrent.
Elles souffrent du Brexit qui a réduit le marché des échanges de 27 % et nécessité des investissements qui se chiffrent en dizaines de millions d’euros. Comme l’a rappelé Mme la ministre, Eurotunnel a investi 48 millions d’euros afin de réaliser des infrastructures imposées par le Gouvernement.
Elles souffrent aussi de la covid qui a conduit à fermer la frontière de la Grande-Bretagne plus que toutes les autres, comme pour sanctionner une nouvelle fois les Britanniques de leur départ de l’Union européenne, alors que finalement, c’est nous qui souffrons.
Certaines entreprises ont déjà présenté leur plan de licenciements ; d’autres, comme Eurotunnel, cherchent à maintenir l’emploi en attendant une réponse gouvernementale à la hauteur des enjeux.
De plus, dans la continuité de l’accord Brexit, il est impératif de contrôler l’effectivité du protocole nord-irlandais repoussé unilatéralement au mois d’octobre 2021, ce qui détourne la frontière et constitue une concurrence déloyale inacceptable à l’entrée du territoire européen. Il est très important que le Gouvernement établisse un dialogue constructif et direct avec le Royaume-Uni.
Pour la suite, des propositions concrètes existent : un véritable plan de relance des entreprises du trans-Manche, et plus largement, des emplois logistiques et touristiques de la façade Manche-Mer du Nord ; la mise en place du duty free pour le tunnel et les ports, qui ne dépend plus que de l’autorisation du Gouvernement car la Commission n’a pas émis d’objection ; la simplification des conditions de voyage vers la France pour les Britanniques vaccinés ; le redémarrage du trafic Eurostar par le soutien de l’État avec, en contrepartie, des arrêts à Calais-Fréthun, nouvelle porte d’entrée de l’Union européenne. Qu’attendons-nous encore pour mettre en place ces mesures de bon sens ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Madame la sénatrice Catherine Fournier, permettez-moi de répondre d’abord à votre dernière question.
La société Eurostar connaît effectivement de lourdes difficultés, principalement en raison de la crise sanitaire. Son chiffre d’affaires a chuté en 2020 de 75 % par rapport à 2019. Malgré la mise en place d’un prêt bancaire de 450 millions d’euros en juin dernier et l’aide des actionnaires à hauteur de 210 millions d’euros, le maintien des restrictions de circulation fait craindre une nouvelle crise de liquidités dès le deuxième semestre 2021. Nous y veillons et nous y travaillons.
C’est pourquoi les services du ministre chargé des transports et leurs homologues britanniques mettent tout en œuvre afin de trouver des solutions pour soutenir l’entreprise et assurer l’avenir de cette liaison ferroviaire trans-Manche.
Tout comme les Français, le Gouvernement est étroitement attaché au ferroviaire. C’est pourquoi nous avons engagé un plan massif visant à renforcer le rail en général, dans le transport tant de marchandises que de voyageurs. Malgré le Brexit, les trafics demeurent importants. Par ailleurs, la création de zones duty free demandée par Getlink permettra de trouver de nouvelles ressources.
Le transit par Eurotunnel reste absolument considérable. Chaque année, il est emprunté par 22 millions de passagers – la moitié via l’Eurostar et l’autre moitié via les navettes passagers Eurotunnel. Nous veillons à consolider l’ensemble de ces moyens de transport trans-Manche pour que ces liaisons puissent perdurer. On m’indique que la baisse de chiffre d’affaires enregistrée par Eurostar n’est pas de 75 %, comme je l’ai dit, mais de 25 %. Je suis pourtant persuadée que la baisse est beaucoup plus importante, mais nous allons le vérifier.
Quoi qu’il en soit, l’ensemble du Gouvernement est mobilisé sur ces sujets. Les nombreux déplacements de ministres dans les territoires montrent que nous avons été présents et que nous le resterons. Le Président de la République et le Premier ministre nous ont d’ailleurs demandé de dresser un bilan de toutes ces opérations dans les quinze jours qui viennent.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. Madame la ministre, comme l’a indiqué Jean-Marc Roué, président du conseil de surveillance de Brittany Ferries, lors de l’assemblée générale de la semaine dernière, la crise sanitaire s’ajoutant à celle du Brexit a frappé la compagnie trans-Manche d’une double peine. Celle-ci lutte avec beaucoup de difficulté depuis un an pour préserver les emplois et maintenir son activité.
Mais à l’heure où la contamination est loin d’être maîtrisée dans toute l’Europe, et même si la campagne de vaccination bat son plein et que les mesures sont drastiques, un certain nombre de passagers qui embarquent sur ces compagnies trans-Manche ne sont pas astreints aux mesures sanitaires qui sont exigées pour tous les autres voyageurs.
Ainsi, en dépit de toutes les précautions sanitaires mises en œuvre, les enfants de moins de 11 ans sont en contact direct avec les marins, le personnel navigant et les autres passagers. Or les enfants n’entrent pas dans le programme de vaccination en Europe, et cela bien que différentes études, dont l’une est parue aujourd’hui, montrent que les jeunes enfants ne sont pas moins contaminants que les adultes.
De même, depuis le décret du 20 février dernier, les chauffeurs de poids lourds revenant en France depuis le Royaume-Uni n’ont plus besoin de présenter un test de dépistage s’ils sont restés moins de quarante-huit heures sur le sol britannique.
Les marins et le personnel navigant de ces compagnies maritimes courent donc le risque d’être contaminés. Devant ce danger potentiel, et une fois l’ensemble des publics prioritaires vaccinés – comme c’est déjà le cas pour les personnes âgées en Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), et comme ce sera le cas dès la mi-avril pour tous les enseignants, ainsi qu’Emmanuel Macron l’a annoncé aujourd’hui à Valenciennes –, est-il envisageable que la nouvelle stratégie vaccinale esquissée par le Président de la République, et ciblée sur des professions exposées, soit ouverte à d’autres secteurs les plus en contact avec la population, à l’exemple des salariés du trans-Manche ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur Jean-Michel Houllegatte, je suis entièrement d’accord avec vous. Lors de la première vague de la crise sanitaire, la France a très tôt reconnu les marins comme des travailleurs essentiels. Nous avons mesuré à quel point notre approvisionnement dépendait de leur travail. Je tiens d’ailleurs à les remercier, ainsi que l’ensemble des acteurs portuaires, d’avoir permis que nous soyons régulièrement avitaillés.
Les gens de mer – il faut le rappeler – sont également reconnus comme travailleurs prioritaires aux échelons européen et international. Ils ont donc l’autorisation de franchir les frontières intérieures et extérieures sur présentation de leur carte professionnelle et de l’attestation de déplacement.
Le sujet que vous soulevez a déjà été abordé par mon ministère. Il est en cours d’instruction au sein de la cellule de crise interministérielle que nous avons mise en place. Après les annonces du Président de la République relatives aux enseignants, j’ai réitéré cette demande car les gens de mer sont également un public prioritaire que nous devons mieux protéger et vacciner rapidement. C’est pour moi une préoccupation quotidienne.
Permettez-moi d’avoir une pensée pour les trois marins pêcheurs qui sont actuellement hospitalisés dans l’océan Indien ou le Pacifique. Je souhaite apporter des solutions rapidement afin que de telles situations ne se renouvellent pas.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour la réplique.
M. Jean-Michel Houllegatte. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Permettez-moi de souligner que cette problématique de la vaccination n’est pas négligeable au plan économique. En effet, les conclusions de la dernière étude sur les destinations touristiques sont encourageantes puisqu’elles indiquent que la clientèle britannique, qui représente 80 % des traversées, est prête à revenir en France. En 2019, ces traversées ont induit près de 9 millions de nuitées. Il serait dommageable que ces circulations trans-Manche estivales soient perturbées en raison de l’indisponibilité sanitaire des marins.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. Voilà presque trois mois que le Royaume-Uni est définitivement sorti de l’Union européenne. Les entreprises du trans-Manche, tout comme les ports de la façade Nord-Ouest, qu’ils soient situés dans les Hauts-de-France, en Normandie ou en Bretagne, n’ont pas attendu la date fatidique du 1er janvier dernier pour anticiper cette nouvelle réalité.
Tous les acteurs ont montré leur capacité de résilience et d’adaptation aux conséquences de cette séparation. Ce qu’ils n’avaient pas anticipé, c’est la crise sanitaire qui entraîne un choc supplémentaire et concomitant. Les acteurs du trans-Manche subissent ainsi la double peine – Brexit et covid-19 –, sans oublier la concurrence des grands ports du nord de l’Europe. Ils sont aujourd’hui très inquiets et se trouvent dans une situation critique.
Une réserve d’ajustement au Brexit est prévue pour en atténuer l’impact et soutenir les secteurs les plus touchés. Face à l’injuste répartition de cette réserve que propose la Commission européenne, j’ai appelé avec mon collègue Christian Cambon à un rééquilibrage de cette enveloppe au profit de notre pays et, par conséquent, de l’ensemble des collectivités et entreprises concernées.
Les opérateurs du trans-Manche – je tiens à insister sur le rôle et la place des ports dans ce système – doivent pouvoir bénéficier de ces fonds pour couvrir les dépenses d’aménagement requises par le retrait britannique. Je rappelle que 70 % des échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et l’Union européenne transitent par le Nord de France.
Les structures portuaires, avec le concours des régions, ont été contraintes de réaliser des investissements importants : outils de contrôle douanier, nouveaux terminaux, etc. D’après l’Union des ports de France, près de 20 millions d’euros ont déjà été investis, et ce montant devrait doubler d’ici à la fin 2023.
Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que ces dépenses réalisées très en amont par les opérateurs seront couvertes par la réserve d’ajustement ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le député Jean-François Rapin, vous avez raison de souligner que la France dans sa globalité, le Gouvernement, mais aussi les collectivités et l’ensemble des acteurs économiques ont anticipé le Brexit. Ces acteurs, et plus largement les Français, ceux qui vivent au bord de la mer comme ceux du monde rural – mon collègue Joël Giraud l’a rappelé tout à l’heure – ont cette capacité de résilience qui nous permet de nous adapter à des situations très difficiles. En revanche, nous n’avions pas anticipé la crise sanitaire qui nous a frappés et qui a sensiblement compliqué les choses.
Les investissements ont effectivement été importants. J’aurai l’occasion de rappeler ultérieurement les montants investis pour chaque territoire et chaque port. Nous ne pouvons que nous féliciter de ces investissements substantiels déjà réalisés et de ceux qui sont à venir car, comme vous le savez, nous avons encore du travail à faire.
La réserve d’ajustement a vocation à compenser les dépenses engagées par les collectivités, les entreprises et l’État. Des débats sont en cours à l’échelon européen. Ils ne sont complètement satisfaisants ni sur le volume, ni sur les répartitions entre pays, ni en termes d’aménagement portuaire ou de pêche. Nous devons continuer à argumenter, à expliquer et à monter nos dossiers pour obtenir des réponses à la hauteur de ce que vous attendez.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour la réplique.
M. Jean-François Rapin. Madame la ministre, je vous invite à consulter la proposition de résolution européenne relative à la réserve d’ajustement au Brexit, qui a été déposée par la commission des affaires européennes la semaine dernière…
M. Jean-François Rapin. C’est un bel exercice de soutien à la politique nationale menée au niveau européen, dont on ne peut que s’inspirer.
Nous formulons deux propositions : premièrement, que les rééquilibrages se fassent financièrement, et, deuxièmement, que la prise en compte de la temporalité dans la répartition de la réserve d’ajustement soit revue et corrigée. En effet, il n’est pas normal que les collectivités qui ont investi bien en amont soient pénalisées aujourd’hui. C’est le cas dans ma région comme dans d’autres régions littorales.
Permettez-moi d’insister, madame la ministre, pour que le Gouvernement soit bataillant sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la ministre, le Brexit est une opportunité ! Aussi incroyable que ce soit, après plus de quatre années de négociations complexes, ces mots sont parfois prononcés dans les Hauts-de-France dès que l’on approche le port de Dunkerque et son écosystème.
Le territoire dunkerquois a compris très tôt l’importance qu’allait revêtir le départ des Britanniques sur la relation trans-Manche et l’économie en résultant. J’ai eu de nombreux échanges avec les acteurs de terrain, particulièrement les autorités portuaires et les entreprises. La préparation du Brexit a été très bien organisée. Je salue la capacité d’adaptation et la réactivité dont chacun a su faire preuve. Les services de l’État, notamment douaniers, ont mis en place un accompagnement efficace.
Le port de Dunkerque a transformé son activité, réorganisé sa distribution et anticipé tous les cas de figure. L’annonce de l’accord de commerce et de coopération fut, tout de même, un soulagement pour nos entreprises.
Le port a saisi les opportunités qui s’offraient à lui, et il devrait prendre prochainement la place de premier port européen pour le trafic avec l’Irlande. Pour l’instant, la connexion avec Douvres n’est pas endommagée. C’est la conséquence des réserves que les Anglais ont accumulées à la fin de l’année dernière et de la chute du trafic due à la pandémie de covid-19.
Bien sûr, certains effets négatifs devront être contrés ! Je pense notamment aux difficultés qui pourraient menacer la fluidité de circulation sur l’autoroute A16, ce qui inquiète les transporteurs de la région. Je pense aussi à de possibles dérives dans les années à venir. Nos entrepreneurs restent vigilants et demandent à disposer de moyens d’alerte pour pouvoir réagir si l’accord était bafoué, particulièrement en cas de concurrence déloyale.
L’Europe doit pouvoir se défendre et rester unie. À cet égard, la flexibilité importante des ports belges ou encore hollandais, tout comme la création de ports francs en Angleterre, ne peuvent que nous interpeller.
Madame la ministre, quelle est votre position quant à la création de zones économiques spéciales (ZES) dans le port de Dunkerque et sur son littoral, suggérée par le député du Nord, Paul Christophe ?
Ces ZES ont pour objectif majeur de favoriser une fiscalité du territoire avantageuse en matière d’emploi, ce qui permettra de réindustrialiser les ports en renforçant leur attractivité. L’avenir des entreprises qui assurent les liaisons trans-Manche en dépend.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur Decool, vous l’avez dit, le Royaume-Uni a pris l’initiative de créer dix ports francs. La France ne sera pas en reste. À la demande du Président de la République, le Premier ministre a annoncé lors du dernier CIMer, le 22 janvier 2021, qu’il travaillerait sur le sujet.
J’ai dit précédemment, parce qu’il me semble parfois que le temps est un peu trop lent, que nous venions « enfin » de lancer cette réflexion sur les leviers qui permettront à la France de se doter de zones industrialo-portuaires, le terme désignant à peu près la même chose que les ZES.
Nous sommes donc favorables à leur développement et nous y travaillons. Nous indiquons aux investisseurs qu’ils pourront bénéficier non seulement d’une meilleure attractivité fiscale et douanière, mais aussi d’une simplification administrative, notamment en matière environnementale. Notre objectif est de mettre les ports français sur un pied d’égalité avec les autres ports européens.
Quels que soient les dispositifs qui seront retenus, ils devront s’inscrire dans la mise en œuvre de la transition écologique, sujet central qui est au cœur des politiques menées par le Gouvernement. Il n’en va pas autrement des « ports francs », si du moins ce terme a un sens, car au-delà des zones que le Royaume-Uni s’apprête à créer, il recouvre une pluralité de statuts, sans doute très différents d’un côté et de l’autre de la Manche.
Je sais combien le littoral de Dunkerque est exposé aux conséquences du Brexit. Cependant, il va également bénéficier de nouvelles opportunités. Vous avez mentionné à juste titre les liaisons avec l’Irlande. En effet, le port de Dunkerque a reçu, cette semaine, la dix-millième unité de fret réalisée depuis janvier 2021 via la ligne de Dunkerque à Rosslare.
Mieux vaut considérer que dans le cadre de la crise sanitaire, comme dans celui du Brexit, des opportunités s’offrent à la France. Elles existent à Dunkerque, et plus largement dans le domaine du shipping. La France doit pouvoir prétendre au titre de nouvelle place du shipping.
M. le président. La parole est à M. Pascal Martin.
M. Pascal Martin. Madame la ministre, les liaisons maritimes entre la France et la Grande-Bretagne sont vitales pour notre économie. Une étude réalisée en 2020 révèle que la ligne de ferries reliant Dieppe à Newhaven, reprise depuis 2001 par le conseil départemental de la Seine-Maritime, sous forme d’une DSP, génère 48 millions d’euros par an de retombées à l’échelle départementale, 82 millions d’euros à l’échelle régionale et 219 millions d’euros à l’échelle nationale. Or il ne s’agit pas de la plus importante des lignes trans-Manche.
Cependant, les entreprises qui assurent les dessertes trans-Manche sont économiquement précaires. C’est la raison pour laquelle les collectivités les soutiennent financièrement. Le Brexit risque de remettre en cause ce fragile équilibre. Je remercie donc nos collègues Nathalie Goulet et Michel Canevet pour ce débat.
Les liaisons trans-Manche ne figurent pas dans le deal du Brexit, ce qui suscite une incertitude quant à leur avenir. Il n’est pas certain que les collectivités aient encore le droit d’aider financièrement les entreprises de ferries comme elles l’ont fait jusqu’à présent.
Précédemment, dans les dossiers portés à sa connaissance sur le sujet, l’Union européenne a pris acte d’un soutien public et ne l’a pas interdit. Elle n’a pas non plus condamné la France au titre d’une aide d’État.
Par ailleurs, un équilibre non coopératif se met en place. Les Anglais achètent aux compagnies des capacités de transport pour leurs approvisionnements vitaux, les faisant ainsi bénéficier d’une forme de soutien au détriment des besoins de transport français.
Enfin, le Brexit peut être une occasion de rééquilibrer la situation. En effet, pour l’instant, les lignes profitent aux deux pays, mais ne sont soutenues financièrement que par la France.
Dans ces conditions, madame la ministre, allez-vous négocier avec la Grande-Bretagne des accords spécifiques sur les liaisons maritimes trans-Manche ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur Pascal Martin, comme vous le rappelez avec justesse, une partie non négligeable du trafic trans-Manche bénéficie d’un soutien des collectivités, et il faut le saluer. Ce soutien peut notamment prendre la forme – la sénatrice Brulin l’a rappelé – de délégations de service public, en dépit de l’absence d’obligation en la matière.
Avant même le Brexit, en raison de la crise sanitaire de 2020, le Royaume-Uni et l’Irlande, dont je rappelle qu’elle est très dépendante du trafic maritime, ont apporté un soutien financier direct à un certain nombre d’armateurs, notamment des opérateurs français, pour qu’ils maintiennent ces lignes vitales pour l’approvisionnement de leurs territoires.
À ce stade, la France a choisi – je l’ai précisé lors de mes interventions précédentes – d’apporter un soutien économique direct aux armateurs, tant par le biais des mesures de droit commun que j’ai citées que par celui de dispositifs spécifiques. Ce choix de soutenir les compagnies plutôt que les lignes doit permettre de préserver l’emploi. Notre priorité reste en effet de protéger la situation économique et sociale des entreprises.
Quant à l’opportunité d’un accord spécifique aux liaisons trans-Manche avec le Royaume-Uni, elle n’est pas d’actualité. Mieux vaut le dire en toute franchise ! Toutefois, soyez assuré que l’État restera très attentif aux conditions sociales et environnementales dans lesquelles opèrent les concurrents de nos armateurs sur ces lignes.
C’est l’une des priorités de notre action. Dans ce domaine comme dans d’autres, j’entends continuer à mener le combat contre le dumping social et environnemental, afin de maintenir les conditions d’une concurrence loyale dans les activités trans-Manche.
M. le président. La parole est à M. Pascal Martin, pour la réplique.
M. Pascal Martin. Madame la ministre, je regrette que, selon vos mots, il n’y ait pas d’« opportunité » d’accord avec le Royaume-Uni, compte tenu des enjeux économiques majeurs.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Madame la ministre, « quand la mer baisse, les rochers montent ! » (Sourires.) Je vous invite à voir dans ce vieux dicton marin une métaphore de la situation de l’activité trans-Manche. La baisse concerne les volumes de trafic qui, sous l’effet du Brexit et de la crise sanitaire, s’effondrent.
À Dieppe – je suis moi aussi un élu de la Seine-Maritime –, l’opérateur DFDS Seaways a enregistré une diminution de 66 % du trafic de passagers. Alors que celui-ci représentait 50 % du chiffre d’affaires de l’entreprise en 2019, il ne constitue plus aujourd’hui que 2 % de l’activité.
La baisse de volumes touche aussi le fret, après une légère embellie à la fin de 2020, alors que les Britanniques constituaient des stocks.
Cette situation précipitera les compagnies sur les rochers, tout droit vers le naufrage, si des mesures fortes ne sont pas prises. Tous les opérateurs ne partagent pas nécessairement votre optimisme.
Ainsi, DFDS Seaways a engagé un premier plan social qui prévoit le départ de 152 personnes sur les sites de Calais et Dieppe, par redéploiement et départs volontaires, avec heureusement un seul licenciement.
La situation peut cependant empirer. Une année touristique blanche se profile, les droits de port augmentent pour financer les gros investissements indispensables pour s’adapter au Brexit, et la subvention britannique dont DFDS Seaways bénéficie, grâce à un appel à candidatures, disparaîtra au plus tard au mois de juin prochain, et peut-être plus rapidement.
À court terme, les deux bateaux qui assurent la liaison entre Dieppe et Newhaven, ou au mieux un seul, risquent de rester à quai, ce qui entraînera le licenciement de 66 membres d’équipage. À moyen terme, la question de la pérennité de la ligne et celle du pavillon se posent.
Les entreprises ont besoin d’être aidées, particulièrement DFDS Seaways, dont l’activité relève d’une délégation de service public sur cette liaison, comme mes collègues l’ont déjà dit. À ce titre, la compagnie ne bénéficie pas du remboursement des charges sociales salariales des marins.
Plus largement, il y va de la relance du pavillon français : si son excellence est reconnue, son coût reste de 20 % à 30 % supérieur aux autres pavillons, lorsqu’il s’agit d’armer un ferry.
Aussi, madame la ministre, que ce soit dans le plan de relance ou dans des dispositions particulières relevant de l’Union européenne, nous attendons un soutien accru aux lignes trans-Manche. Nous souhaitons aussi vous voir mettre en œuvre une stratégie de promotion de la destination France auprès du public britannique, pour relancer la fréquentation touristique.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur Didier Marie, la liaison entre Dieppe et Newhaven qui est opérée, vous l’avez dit, par délégation de service public au groupe danois DFDS Seaways, pour le compte du département de la Seine-Maritime, connaît effectivement des difficultés. Deux navires battant pavillon français, sur les douze que compte l’armateur, assurent la traversée. Le trafic de passagers entre Dieppe et Newhaven a chuté fortement au cours de l’année 2020. En dépit des 26 millions d’euros annuels que la compagnie reçoit du département au titre de la DSP, l’équilibre économique de l’activité demeure très difficile à atteindre, voire introuvable.
De surcroît, cette ligne ne pourra pas bénéficier de la mesure relative à l’élargissement des exonérations de charges, car nous avons choisi de ne pas la rendre applicable aux DSP.
La compagnie, qui a enregistré sur cette ligne une baisse de son trafic de passagers de 66 % après impôts, en 2020, a lancé une consultation auprès du Royaume-Uni et de la France. Nous avons donc des échanges réguliers avec ses représentants.
Cependant, même si nous sommes vigilants et que nous souhaitons examiner les possibilités d’un soutien plus important, il n’en reste pas moins que DFDS Seaways fait partie des armateurs les plus solides en Europe. Les capacités et marges d’investissement de l’entreprise sont importantes, ce qui explique qu’elle n’ait pas contracté de PGE. Elle a la possibilité de réagir rapidement, et il faut s’en réjouir.
La compagnie a d’ailleurs su prendre des initiatives et saisir l’occasion de développer les liaisons entre la France et l’Irlande. Nous l’encourageons dans cette voie.
Pour ce qui concerne le Fontenoy du Maritime, la concertation ne sera pas réservée à certaines compagnies. Elle a pour objectif d’élaborer le nouveau contexte qui favorisera une meilleure attractivité de nos navires et du pavillon français, dans une perspective globale. En prenant en compte l’ensemble des sujets, cette concertation pourra aussi contribuer à aider DFDS Seaways.
M. le président. La parole est à M. Philippe Paul.
M. Philippe Paul. Madame la ministre, le sujet a déjà été abordé, mais je me permets d’insister. On ne peut pas évoquer l’avenir des entreprises assurant les liaisons trans-Manche sans mentionner la situation de la compagnie Brittany Ferries.
Créée en 1972 par des bâtisseurs visionnaires, soucieux de désenclaver leur territoire excentré, la compagnie finistérienne est devenue au fil des ans le premier transporteur maritime dans la Manche ouest et centrale, et le premier employeur de marins français.
Les restrictions sanitaires liées à la pandémie de covid-19 ont très fortement réduit le trafic de passagers depuis un an, affectant ainsi la santé économique des opérateurs.
Dès le 21 avril 2020, sur la proposition de Pascal Allizard, Philippe Bas et Jean Bizet, nous alertions le Premier ministre sur la nécessité de mettre en place un plan d’action volontariste et ambitieux pour une filière qui, avant la crise sanitaire, était déjà dans la crainte des effets du Brexit. Nous soulignions alors qu’il fallait agir rapidement afin de sauver le trans-Manche chez les opérateurs sous pavillon français, et préserver les emplois directs et indirects qui en dépendent. Nous précisions qu’il y allait aussi plus largement de l’économie des territoires concernés.
Dans un courrier de réponse, le 30 septembre dernier, M. le ministre délégué chargé des transports rappelait que le Gouvernement s’était engagé à attribuer aux compagnies une subvention correspondant à un remboursement de charges salariales en 2021, soit 15 millions d’euros pour la Brittany Ferries. Il indiquait également que la situation post-2021 était en cours d’examen.
Madame la ministre, face aux difficultés particulièrement lourdes que les opérateurs continuent de rencontrer, ma question sera double : tout d’abord, avez-vous confirmation du versement, au mois de mai prochain, de la somme correspondant au remboursement des charges salariales ? La situation reste floue. Or vous pouvez aisément comprendre que les compagnies ont besoin de ce soutien pour maintenir leur flotte et préserver l’emploi en attendant la reprise du trafic de passagers.
Dans un contexte de crise qui s’installe, il est clair que cette aide doit être prolongée. Quelles sont les intentions du Gouvernement à ce propos ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur Philippe Paul, je ne reviendrai pas sur l’ensemble des aides de droit commun qui ont été apportées à Brittany Ferries, car votre question porte surtout sur les moyens d’accompagner davantage l’entreprise.
Le Gouvernement est déterminé à soutenir cette compagnie qui souffre à la fois du Brexit et de la crise sanitaire. Alors qu’elle a connu des jours meilleurs en 2018 et 2019, elle a été mise à rude épreuve en 2020 et 2021, et il n’est pas besoin de rappeler les chiffres que vous avez déjà mentionnés.
En revanche, l’activité de fret se maintient avec des perspectives favorables pour 2021, car le Brexit n’a pas mis fin aux besoins de trafic entre le Royaume-Uni et la France. L’armateur prévoit de reprendre un certain nombre de liaisons à partir du mois de mai 2021, si la situation sanitaire le permet.
Quant aux premiers versements correspondant au net wage annoncés par le Premier ministre, ils devraient intervenir au mois de mai prochain, date à laquelle nous devrions être opérationnels.
La compagnie a lancé un plan de réduction de dépenses, notamment par l’optimisation des effectifs. Nous avons veillé à ce qu’il n’y ait aucun licenciement, car l’emploi reste au cœur de toutes nos actions.
Compte tenu de l’importance des recrutements effectués par la compagnie dans les régions Bretagne et Normandie, un comité interministériel de restructuration industrielle a formulé plusieurs demandes auprès de la Commission européenne, dont un accord d’activité partielle de longue durée pour 19 millions d’euros, le refinancement de 80 % du PGE par un prêt de longue durée, un PGE sur seize ans de 50 millions d’euros, l’abandon des créances Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) pour 10 millions d’euros et des subventions de portage pour 20 millions d’euros. Telles sont les propositions que nous avons faites à la Commission européenne.
M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert.
M. Michel Dagbert. Madame la ministre, je voudrais intervenir sur la question du transport de marchandises, notamment à partir des ports de mon département du Pas-de-Calais.
L’enjeu est en effet de taille puisque près de 6 millions de camions transitent chaque année entre les ports de la région des Hauts-de-France et la Grande-Bretagne, ce qui représente 70 % des échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. À lui seul, le site de Calais voit ainsi passer 4 millions de camions via les ferries et le tunnel, et son port reçoit environ 40 millions de tonnes de marchandises par an.
L’entrée en vigueur du Brexit et la mise en place de nouvelles procédures et obligations douanières, vétérinaires et phytosanitaires ne sont pas sans conséquence sur la fluidité du trafic.
Des ralentissements dus aux contrôles à la frontière ont été observés au début de l’année, malgré la création par les services de la douane française, en collaboration avec le port de Calais, les opérateurs maritimes et ferroviaires et les services de l’État, d’une frontière dite « intelligente » reposant sur l’utilisation des nouvelles technologies.
Certes, des investissements ont été faits par les opérateurs trans-Manche et l’État à hauteur de 40 millions d’euros, dont 12 millions ont été apportés par le port Boulogne Calais pour éviter les engorgements. Il faut aussi saluer le recrutement de fonctionnaires dans les douanes et les services vétérinaires, notamment 276 agents pour les contrôles sanitaires sur le seul site de Calais.
Madame la ministre, compte tenu des remontées de terrain et des constats effectués à la fois par les professionnels, les transporteurs et les services de l’État, quelles mesures comptez-vous prendre pour assurer la fluidité du lien trans-Manche et éviter l’engorgement de l’autoroute A16 ?
En parallèle se pose la question du développement du ferroutage. Le 6 novembre 2018, Mme Élisabeth Borne, à qui je souhaite un prompt rétablissement, inaugurait l’autoroute ferroviaire qui relie le port de Calais à Orbassano, dans la banlieue de Turin. Le port de Calais devenait ainsi le hub de référence des interconnexions entre la mer, la route et le chemin de fer pour la circulation des flux entre le nord et le sud de l’Europe. La création d’une ligne de fret ferroviaire entre Sète et Calais a, quant à elle, été confirmée en juillet dernier, ce qui assurera une liaison notamment pour les containers maritimes.
De quelle manière le Gouvernement compte-t-il accompagner ce type de projet permettant aux transporteurs de disposer de solutions de report modal au sein même du port ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur Michel Dagbert, 500 agents supplémentaires sont désormais dédiés au contrôle, dont 270 douaniers et 230 vétérinaires.
Chacun ici a pu constater que la France s’était largement préparée, bien avant d’autres pays, à faire face à tous les aspects du Brexit, notamment ceux qui concernent le trafic trans-Manche. Des exercices ont été effectués régulièrement dans les territoires concernés. Depuis 2019, l’État, les collectivités et les entreprises se sont donné les moyens d’être prêts.
Nous avons effectivement besoin de créer une « frontière intelligente » de la douane reposant sur un système d’information qui permettra d’éviter les engorgements. Des travaux sont en cours.
Le Brexit a été préparé en amont et ses conséquences ont été bien ciblées, de sorte que nous pouvons y apporter des réponses au fur et à mesure. Des opportunités s’ouvrent aussi, comme avec l’Irlande, que nous devons saisir.
L’État entend accompagner les ports dans le développement de nouvelles stratégies en lien avec le fret ferroviaire, dont vous avez parlé, ou l’intermodalité entre le rail et le fluvial qui concerne surtout les ports de la côte d’Opale.
Nous devons être au rendez-vous de la compétitivité. Le Fontenoy du Maritime nous y aidera, ainsi que tous les investissements que nous ferons pour accélérer la transition écologique. Ces objectifs doivent rester au cœur de notre action, qu’il s’agisse d’infrastructures ou de simplification des procédures.
Le réseau fluvial permet de pénétrer au centre des agglomérations traversées par des voies d’eau, ce qui favorise aussi une logistique urbaine massifiée. En consacrant près de 25 millions d’euros à la transition des flottes, grâce aux aides de l’État, de l’Ademe, mais aussi des régions, nous devrions être efficaces dans ce secteur.
Le plan de relance prévoit également 175 millions d’euros pour rafraîchir les infrastructures fluviales. Enfin, la stratégie nationale portuaire vise à accroître de 30 % la part des modes de transport massifié, ferroviaire et fluvial, dans les pré et post acheminements portuaires.
Nous préparons donc l’avenir. Le Premier ministre a annoncé un volet de soutien pérenne en faveur de la compétitivité et du fret ferroviaire, à hauteur de 170 millions d’euros par an. Le plan de relance garantira la stabilité du programme opérationnel pour le fret grâce à une enveloppe de 250 millions d’euros.
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Madame la ministre, selon l’humour anglais : « Entre la France et l’Angleterre, la meilleure chose, c’est la Manche ! » Elle est surtout un lien maritime incontournable au cœur de l’entente cordiale entre nos deux pays, entente souvent tumultueuse que le Brexit a de nouveau fragilisée, notamment pour ce qui est des relations maritimes.
L’annonce en novembre 2020 de la création de dix ports francs au Royaume-Uni a ravivé les tensions des deux côtés de la Manche. Le choix des huit premiers sites retenus, le 3 mars dernier, pour devenir les premiers ports francs géographiques d’Europe a donné corps à l’ambition anglaise.
Madame la ministre, quand la France pourra-t-elle disposer des mêmes armes que ses concurrents anglais ? Notre pays doit rester une puissance maritime d’envergure. Quand lui donnera-t-on des moyens à la hauteur de ses concurrents ? C’est particulièrement nécessaire dans les temps de crise que nous vivons.
Comme élue de la Porte Océane, vous connaissez mon attachement à l’essor des grands ports maritimes. Le Havre doit naturellement jouer un rôle dans les relations trans-Manche et occuper une place prépondérante.
Conscient de cette nécessité, l’État s’est engagé en faveur du transport combiné, et à investir fortement dans les ports français, comme M. le Premier ministre l’a annoncé lors du CIMer, au Havre, le 21 janvier dernier.
Il faut aller plus loin en dotant les ports français de nouveaux outils juridiques et fiscaux. Les zones franches portuaires peuvent être un levier pour maintenir nos ports à flot. Elles permettent de libérer les marchandises des formalités douanières lourdes et d’inciter fiscalement le transport maritime. Avec ce dispositif, les ports français pourront alors décharger, stocker, transformer et réexpédier des marchandises plus facilement et à moindre coût.
Madame la ministre, vous m’opposerez qu’il faut prendre le temps d’engager une réflexion sur le sujet dans le cadre d’une mission d’information. Cependant, je vous pose une question simple : quand pourrons-nous expérimenter les ports francs en France, notamment sur la côte normande ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Madame la sénatrice Agnès Canayer, j’ai déjà rappelé l’implication du Gouvernement sur le sujet des ports francs. Même si nous préférons parler de « zones industrialo-portuaires », le terme recouvre la même réalité. Des travaux sont en cours qui témoignent de notre volonté d’apporter des réponses assez rapidement. Nous devrions trouver un accord sur les dispositifs à déployer d’ici quelques mois.
La création, au 1er juin 2021, du premier port de France, Haropa, issu de la fusion entre Le Havre, Rouen et Paris montre combien le Gouvernement tient à positionner la France comme un pays portuaire qui peut devenir le premier port d’Europe. Nous poursuivrons cette ambition, en y mettant les moyens.
Je veux rappeler que les grands ports maritimes et les ports autonomes bénéficient d’investissements forts, à hauteur de 175 millions d’euros, sur la période 2020-2022, pour des projets de verdissement, et à hauteur de 44,6 millions d’euros en ce qui concerne Le Havre.
À cela s’ajoute le fonds de concours de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), qui est inscrit dans la loi d’orientation des mobilités (LOM), et qui finance chaque année plus de 30 millions d’euros de projets inscrits à la fois dans les contrats de plan État-région (CPER), en ce qui concerne les ports régionaux, ou dans les contrats de convergence, pour ce qui est des territoires ultramarins.
Nous sommes au rendez-vous pour financer les infrastructures. Nous le serons également lorsqu’il s’agira de créer des zones qui pourront répondre aux attentes fiscales ou sociales des acteurs.
J’ai mentionné précédemment deux signaux forts : l’un pour favoriser l’attractivité fiscale et douanière, l’autre consacré à la simplification administrative.
Il m’est difficile de vous donner la date exacte du début de l’expérimentation de ces zones industrialo-portuaires. En revanche, je m’engage à faire en sorte que le ministre chargé des transports et moi-même avancions rapidement sur ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.
Mme Agnès Canayer. Madame la ministre, vous appelez les ports francs des « zones industrialo-portuaires ». Pour votre information, cette dénomination de zone industrialo-portuaire (ZIP) existe au Havre depuis près de cinquante ans ! Il faut à mon avis éviter toute confusion entre ces notions. Il me semble que la désignation de zone franche portuaire est plus claire pour nos concitoyens.
Enfin, la capitainerie du Havre porte la devise : « Le Havre, porte de l’Europe » ; je compte sur vous pour donner véritablement du sens à cette inscription.
M. le président. La parole est à M. Alain Cadec.
M. Alain Cadec. En 2019, les deux tiers des plus de 10 millions de visiteurs britanniques ont utilisé les lignes de transport maritime ou ferroviaire trans-Manche. Pour rappel, les dépenses de ces touristes britanniques séjournant en France s’élèvent à 1,5 milliard d’euros par an. Par le biais de la TVA, l’État en récupère une part non négligeable, estimée à 250 millions d’euros.
Avec la crise sanitaire, les confinements successifs et le Brexit, les entreprises de transport assurant les liaisons entre la France et la Grande-Bretagne sont fortement touchées. Cette situation a des conséquences négatives majeures et entraîne une désorganisation des échanges maritimes sans précédent.
L’impact financier sera très lourd, et les pertes de chiffre d’affaires significatives. Entre 2019 et 2020, Brittany Ferries a perdu 70 % de ses passagers – très majoritairement des Britanniques – ou, en tous les cas, 70 % des recettes que ceux-ci pouvaient représenter ; la société Eurostar, quant à elle, a perdu 77 % de ses recettes, et la compagnie DFDS Seaways 53 %.
Les collectivités, singulièrement des régions comme les Hauts-de-France, la Normandie ou la Bretagne, et l’État ont déjà pris des engagements, qui ont permis au secteur pour l’instant d’éviter des faillites qui toucheraient dramatiquement tout un pan de notre économie, avec les conséquences sur l’emploi que l’on imagine.
Désormais, nous devons anticiper sur la sortie de crise et fixer un cap clair pour aider ces entreprises à se relever dans les meilleurs délais et les meilleures conditions.
Madame la ministre, avez-vous l’intention de mettre en place un plan de relance spécifique, tant attendu par les entreprises de transport et de service maritime trans-Manche ?
Mieux vaut répéter que contredire. C’est pourquoi, pour faire face à une concurrence internationale impitoyable, à la veille d’une saison touristique estivale que l’on espère réussie, ce soutien devrait, me semble-t-il, se traduire par la prise en charge par l’État des charges sociales des personnels des entreprises assurant les liaisons trans-Manche, ainsi que par des campagnes de promotion de nos territoires auprès du public britannique.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
M. Alain Cadec. Monsieur le sénateur ! J’ai été autrefois député européen…
Mme Annick Girardin, ministre. Oui, excusez-moi, monsieur le sénateur ! Nous nous sommes d’ailleurs connus à cette époque (Sourires.), et je crois pouvoir dire sans risque de me tromper que nous avons la même passion pour la mer, les ports, les bateaux et les marins.
Vous avez raison de rappeler que le Brexit, tout comme la crise sanitaire, a malmené l’ensemble de nos entreprises. Nous avons effectivement accordé un certain nombre d’aides et prévu plusieurs aménagements. Nous nous sommes préparés à cet événement, au travers notamment d’investissements portuaires.
Il nous a fallu, aussi, nous préparer à l’après-Brexit et à la sortie de crise : nous avons jusqu’ici investi 650 millions d’euros pour l’économie bleue au sens large – et je sais que vous y tenez – dans le cadre du plan de relance, ou plus exactement du plan France Relance, dont 175 millions d’euros dédiés aux grands ports maritimes, de manière à ce que nous puissions restaurer l’attractivité des ports mais aussi celle des territoires littoraux.
Je ne rappellerai pas l’ensemble des mesures. Je veux simplement redire que le Fontenoy du Maritime, cette consultation que nous avons lancée depuis déjà plusieurs semaines, nous a permis de mener plus de soixante-dix entretiens pour avancer sur la voie de la compétitivité. Comment faire en sorte que la France devienne plus compétitive, qu’il s’agisse de ses navires, de son pavillon ou de ses ports ? À cet égard, on en a parlé tout à l’heure, une nouvelle stratégie portuaire a été présentée au CIMer.
Des dynamiques seront engagées et des instruments déployés dans les semaines et les mois qui viennent. Le ministère de la mer est né en juillet dernier, il n’y a donc pas si longtemps que cela. Cela faisait plus de trente ans que notre pays n’avait plus eu de ministère de la mer. Il était nécessaire de défendre à nouveau cette vision globale de ce que doit être la France, de cette puissance que nous souhaitons tous rétablir : c’est chose faite !
Bien sûr, il nous faudra un peu de temps pour mettre tout cela en cohérence. Beaucoup de ministères ont travaillé sur ces questions et il importe de mettre du liant avec l’ensemble de l’écosystème. C’est ce que nous faisons actuellement.
L’issue du Fontenoy du Maritime sera importante. Le net wage est l’une des mesures envisageables, mais ce ne sera pas la seule. Des groupes de travail, pilotés par des personnalités d’ores et déjà nommées, ont été lancés pour avancer sur les propositions formulées au cours de la première phase.
J’attends aussi une implication totale de la part des armateurs et des différentes structures qui participent à cette consultation. En effet, pour que la France retrouve le rang de grande puissance maritime qui a été le sien, elle devra certes bénéficier des engagements de l’État, mais aussi de ceux du secteur privé.
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin.
Mme Béatrice Gosselin. Le trafic maritime trans-Manche sous pavillon français a une longue histoire.
Cette activité, qui assure habituellement le transport de plusieurs millions de passagers chaque année et emploie directement des milliers de salariés, présente un intérêt stratégique et économique majeur pour le pays et pour le département de la Manche. Ses débouchés créent des milliers d’emplois et sont essentiels pour le développement économique du Grand Ouest.
Déjà mis à mal par la très longue incertitude due aux négociations du Brexit, le transport trans-Manche a été fortement affecté par la crise sanitaire, qui a fait fuir les voyageurs.
À cela s’ajoutent les distorsions de concurrence, qui perdurent, avec les pavillons étrangers. En effet, les concurrents britanniques sont dispensés de cotisations sociales salariales, et les opérateurs danois se voient rembourser les cotisations sociales patronales et salariales. Si de telles mesures sont licites au regard du droit de l’Union européenne, l’État français n’y a pas recours. Nos opérateurs, à cause de ces coûts salariaux excessifs, sont en position de fragilité, laquelle n’est pas liée au niveau des rémunérations nettes mais véritablement au poids des cotisations sociales dans notre pays.
Depuis la sortie officielle du Royaume-Uni de l’Union européenne, la route classique pour rejoindre l’Irlande par le tunnel sous la Manche, puis la traversée de l’Angleterre, étant moins rentables, de nombreux transporteurs se tournent vers le port de Cherbourg où des liaisons directes sont assurées vers l’Irlande, ce qui accroît l’activité du port.
Cependant, il ne faudrait pas que l’augmentation du fret à Cherbourg soit un feu de paille. Une reprise du trafic à travers l’Angleterre pourrait avoir lieu lorsque les entreprises se seront habituées aux nouvelles procédures. Il nous faut dès maintenant renforcer notre compétitivité et mettre en place une véritable stratégie proactive.
Madame la ministre, quelles mesures entendez-vous prendre en réaction à la récente annonce faite par le gouvernement britannique de créer huit ports francs ou zones industrialo-portuaires, afin de défendre ce secteur et de construire une vision stratégique indispensable pour notre pays ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Madame la sénatrice Béatrice Gosselin, j’ai envie de vous répondre : reconquête ! Voilà ce que veut le gouvernement français aujourd’hui.
Cette reconquête doit concerner nos ports, dont nous souhaitons qu’ils soient mieux classés sur la scène européenne. Elle doit aussi s’appliquer au pavillon français. Il faut accroître notre puissance, qui se définit avant tout par le nombre de bateaux, de marins, de ports ou de containers transportés.
Le net wage est une passion française ; la preuve en est que l’on ne cesse de parler de cette mesure au cours de ce débat. Pourtant, ce n’est pas le seul outil à notre disposition. S’il m’est impossible de dévoiler le contenu des travaux qui se déroulent dans le cadre du Fontenoy du Maritime, je peux vous garantir que d’autres propositions tout aussi importantes sont en préparation pour améliorer la compétitivité de notre pays – c’est bien là tout le sujet – et conforter la place de la France dans le shipping.
Du fait du Brexit, la France a une vraie chance à saisir dans ce domaine. J’y crois, et l’ensemble des investissements ou des mesures qui sont mis en œuvre contribueront à favoriser cette reconquête.
On parle beaucoup d’ambition, mais je préfère parler de conquête ou de reconquête. L’État et le Gouvernement ne l’entreprendront pas seuls ; nous n’y parviendrons que si l’ensemble de l’écosystème est au rendez-vous. Pour l’évoquer souvent avec elles, je sais pouvoir compter sur les collectivités du littoral, tout comme sur l’ensemble des élus, sénateurs et députés.
J’essaie le plus possible d’échanger sur l’ensemble de ces sujets et sur les propositions qui sont sur la table, de sorte que l’on aboutisse à un paquet complet de mesures pour le mois de mai ou de juin prochain. Nous envisageons effectivement la tenue d’un nouveau CIMer à cette échéance, dont le rôle sera d’arbitrer entre les diverses dispositions.
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour la réplique.
Mme Béatrice Gosselin. Le Brexit a mis l’économie de nos territoires de la Manche, de la Normandie et du Grand Ouest en grande difficulté économique, aussi bien le secteur de la pêche, que vous connaissez, que le transport trans-Manche.
Nous espérons que l’État français et les collectivités – je suis d’accord avec vous sur ce point – sauront accompagner ces territoires littoraux afin qu’ils ne subissent pas davantage une situation indépendante de leur volonté.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Tout d’abord, je tiens à remercier nos collègues du groupe Union Centriste d’avoir organisé ce débat concernant l’avenir des entreprises qui assurent les liaisons trans-Manche, en particulier Michel Canevet et Nathalie Goulet.
Mon interrogation portera principalement sur le volet ferroviaire. Malheureusement, le trafic ferroviaire connaît une baisse significative de son activité du fait de la crise sanitaire et du Brexit. La circulation des Eurostar dans l’Eurotunnel, qui est une réalisation exceptionnelle, est en très forte baisse avec 77 % de passagers en moins, soit 2,5 millions de voyageurs seulement au total.
Même si le fret ferroviaire résiste mieux, puisque plus de 1 700 trains ont traversé le tunnel sous la Manche en 2020, on peut comprendre que, pour l’exploitant du tunnel, la situation soit très problématique.
Madame la ministre, quelles seront, selon vous, les perspectives pour l’année 2021 et au-delà ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur Marc Laménie, comme il s’agit de la dernière question, je veux moi aussi remercier le groupe qui a pris l’initiative de ce débat. Plus largement, et si vous en êtes d’accord, il serait intéressant que nous puissions avoir prochainement un grand débat sur la mer.
Votre question me permet de revenir et de conclure sur les principales actions mises en place par l’État pour soutenir le transport ferroviaire.
Le Gouvernement est disposé à accompagner la société Eurostar avec beaucoup d’énergie pour lui permettre de rebondir. Cela étant, il s’agit – il faut qu’on se le dise – d’une société de droit anglais, qui appartient à des actionnaires privés. Le soutien des pouvoirs publics, celui du gouvernement britannique et celui du gouvernement français, doit s’organiser. Nous y travaillons très activement.
Près de 26 % des échanges entre le continent européen et la Grande-Bretagne transitent par l’Eurotunnel. Ce chiffre ne s’effondrera pas avec le Brexit. Il s’agit d’un mauvais moment à passer, mais l’avenir est tout de même à envisager sous un soleil radieux.
La volonté d’accompagner l’ensemble de ces structures est commune. Je tiens d’ailleurs à saluer le ministère français des transports et à remercier mon collègue Jean-Baptiste Djebbari et ses équipes, qui œuvrent sans relâche pour trouver des solutions à cette crise. L’issue de celle-ci dépendra avant tout de la situation sanitaire, qui perdure hélas. Il reste difficile de préjuger de la date à laquelle nous en sortirons.
Le soutien au fret ferroviaire est véritablement la marque de ce quinquennat. J’ai évoqué précédemment plusieurs mesures : au total, 1 milliard d’euros sera investi pour soutenir ce secteur. Le transport de voyageurs est également concerné ; pour les lignes de desserte fine du territoire, l’État et les collectivités – encore une fois –, en particulier les régions, vont investir 6,5 milliards d’euros lors des prochaines années, ce qui permettra, entre autres, de réactiver ou de sauvegarder des lignes capillaires de fret.
L’État stratège est au rendez-vous et définit une ligne politique claire. Il faut construire une offre de transport massifiée et favoriser une meilleure interconnexion entre le ferroviaire, le fluvial et le transport maritime. Je sais que nous en sommes tous d’accord. Au sein de ce gouvernement, Barbara Pompili, Jean-Baptiste Djebbari et moi-même encourageons cette dynamique au travers de la stratégie de développement du fret ferroviaire et la stratégie nationale portuaire, qui devraient donner un autre visage à cette France maritime et terrestre.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste. Tout d’abord, je veux rappeler que ce débat a eu lieu grâce à une initiative prise par Michel Canevet, Nadège Havet et moi-même. Nous avions d’abord pensé à une commission d’enquête, tant le sujet est large, avant d’envisager la création d’une mission d’information. Finalement, le groupe Union Centriste ayant déjà exercé son droit de tirage, il a tenu à ce que la question soit abordée sous cette forme.
Le débat a été très riche puisqu’il a permis d’entendre de très nombreux collègues, y compris jusque dans le département des Ardennes, qui n’est pas pourtant pas un territoire maritime. (Sourires.)
Madame la ministre, vos réponses ont été beaucoup plus enthousiastes que précises. Qu’il s’agisse des questions sur la fiscalité, sur les financements en place ou sur la coordination des différentes politiques ministérielles, les informations transmises n’ont pas toujours été très nettes.
En tout cas, il y a un mot que je n’ai pas entendu, celui de « souveraineté ». Pourtant, lorsque l’on aborde la question du transport maritime, qu’il s’agisse des personnels ou des compagnies, c’est bien notre souveraineté qui est en jeu.
Deux observations s’imposent.
Premièrement, vous n’avez pas vraiment répondu à Catherine Fournier sur le duty free. Il serait bon que vous le fassiez de façon plus précise dans les jours qui viennent. Plus généralement, il serait intéressant que vous listiez l’ensemble des aides qui ont été accordées par l’État.
Pour éviter de créer de nouvelles iniquités, empêchons que certaines sociétés, parce qu’elles sont historiquement bien implantées, profitent des aides, quand d’autres, plus petites et moins visibles, n’en profitent pas !
Deuxièmement, je souhaiterais que, dans la perspective du prochain projet de loi de finances, vous et vos services, madame la ministre, puissiez mettre à notre disposition un document de politique transversale, autrement dit un « orange budgétaire », sur cette activité trans-Manche. Vous l’avez dit, cette politique concerne de nombreux ministères, à la fois celui de l’environnement, celui des transports et celui de l’économie. Un tel travail serait bienvenu : il permettrait de recenser l’ensemble des dispositifs dans un seul et même document, ce qui nous permettrait de travailler dans les meilleures conditions.
Nous ne sommes qu’au mois de mars. Aussi serait-il utile de tenir un autre débat sur les mesures fiscales attendues par les opérateurs, qu’il s’agisse de fiscalité directe ou de fiscalité sur les charges sociales. Ainsi, nous serions prêts pour les prochains projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Ce débat s’intercale entre les débats budgétaires de l’année dernière et le Fontenoy du Maritime que vous animez. Il a été passionnant, mais je crois qu’il ne constitue qu’une étape.
Je le répète, madame la ministre, il nous manque encore des réponses précises sur le duty free, les ports francs et l’ensemble des aides, autant d’éléments qui pourraient utilement figurer dans le document de politique transversale que j’appelle de mes vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)
PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Madame la présidente, lors du scrutin n° 94 portant sur l’article 25 de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la sécurité globale, Claude Malhuret a été noté comme ayant voté pour alors qu’il souhaitait s’abstenir.
Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
7
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 25 et 26 mars 2021
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des affaires européennes, le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 25 et 26 mars 2021.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président Rapin, monsieur le président Cambon, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous présenter ce soir les sujets qui seront à l’ordre du jour du Conseil européen de jeudi et vendredi prochains. Celui-ci, pour des raisons sanitaires, se tiendra en visioconférence, et c’est le Président de la République qui représentera notre pays.
Le premier sujet qui sera abordé, sans doute le plus longuement, est celui de la situation sanitaire liée à la crise de la covid, dans toutes ses dimensions. Nous étudierons en particulier comment mieux coordonner les mesures de gestion que peut prendre l’Europe et les réponses qu’elle peut apporter.
Pour être très clair, la priorité est simple : il faut accélérer la campagne de vaccination en Europe, augmenter l’approvisionnement en doses de vaccin. À cette fin, je suis convaincu qu’il est essentiel de maintenir le cadre européen d’acquisition de ces doses, cadre qui, à ce jour, est non pas un problème mais la solution. Néanmoins, il faut renforcer la pression sur les laboratoires, s’assurer de la bonne exécution des contrats et ne négliger aucun outil, aucun mécanisme, pour garantir le plus rapidement possible, de manière complète et équitable, l’approvisionnement de l’Union européenne et de ses États membres en doses de vaccin.
Vous le savez, un débat s’est fait jour voilà quelques semaines sur le contrôle des exportations de vaccin. Un tel mécanisme a été mis en place, notamment à la demande de la France, par les institutions européennes au début du mois de février. La France défend le principe de réciprocité et d’équité qu’a proposé la Commission européenne. C’est ce à quoi veille celle-ci au travers des contrôles systématiques qui sont exercés sur les livraisons effectuées depuis l’Union européenne. Je précise que le but n’est pas de les interdire, car tel ne serait pas notre intérêt dans la mesure où, ayant aussi besoin d’importer des doses, nous devons en permettre, dans certains cas, l’exportation.
C’est donc dans ce cadre européen que nous assurerons au mieux la défense de ces intérêts. Nous en discuterons donc jeudi et vendredi.
Vous le savez, afin de tirer les leçons de ce qui n’a pas été suffisamment anticipé et de ce qui s’est révélé insuffisamment efficace dans cette crise sanitaire, la Commission européenne a également proposé – là aussi, c’était une demande qu’avait formulée la France voilà plusieurs mois – de mettre en place une forme d’agence européenne s’inspirant du modèle de l’agence fédérale américaine, la Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda), dans le but de financer davantage, plus en amont et en prenant plus de risques, la recherche de solutions technologiques et médicales.
Si l’on veut être tout à fait honnête et transparent, il faut bien dire que c’est grâce à cela que les États-Unis d’Amérique ont pu obtenir un avantage décisif dans cette campagne de vaccination. C’est pourquoi nous devons en tirer les leçons pour l’Union européenne.
De fait, au mois de février, la Commission européenne a proposé de créer une autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire, appelée HERA (Health Emergency Response Authority). De premiers financements ont été proposés en préfiguration de cette agence.
Sur ce front sanitaire et vaccinal, ce point sera donc également à l’ordre du jour du Conseil de la fin de semaine.
Dans cette crise, il est important aussi que les Européens continuent à faire preuve de fermeté, d’unité et de solidarité. Vous avez constaté les tensions qui sont parfois apparues entre États européens face aux difficultés sanitaires et vaccinales que nous rencontrons tous. Je note d’ailleurs qu’à deux exceptions près, aucun État européen, malgré les tentations, n’est sorti de ce cadre, car il n’existe pas de solution miracle pour trouver des doses « cachées ». Chaque pays a donc fait l’expérience qu’il était dans notre intérêt de demeurer dans le cadre européen, pour une plus grande sûreté sur les plans tant scientifique qu’industriel.
Quand un pays membre est confronté, ponctuellement, à d’importantes difficultés, notre intérêt à la fois sanitaire et géopolitique doit nous conduire à faire jouer la solidarité européenne. C’est ce que nous avons fait collectivement à l’égard de deux pays européens particulièrement touchés ces dernières semaines, la République tchèque et la Slovaquie.
Et puisque cette entraide européenne fait parfois moins de bruit dans les médias que d’autres gestes géopolitiques, je tiens donc à le souligner : c’est d’abord d’un soutien européen dont ont bénéficié ces deux pays et d’autres, comme l’Autriche, plutôt que de solutions externes à l’Union européenne.
Cette approche de solidarité doit aussi se penser à l’échelle internationale. C’est la raison pour laquelle la France défend depuis plusieurs mois, par la voix du Président de la République, l’idée que le vaccin doit être considéré comme un bien public mondial et que l’accès à celui-ci doit être progressivement généralisé, indépendamment des moyens financiers, des capacités industrielles ou sanitaires de telle ou telle région du monde.
Non seulement cela correspond à nos valeurs, mais c’est aussi notre intérêt pour que la pandémie ne continue pas de frapper l’ensemble de la population mondiale et donc, in fine, l’Europe et la France.
C’est notamment l’initiative Covax qui porte cette ambition de solidarité internationale. Financée à plus de 40 % par l’Union européenne, elle a déjà permis d’ailleurs d’assurer de premiers approvisionnements à destination de pays en développement, en particulier en Afrique.
Il faut également accélérer la campagne vaccinale et préparer l’avenir. C’est pourquoi le Conseil européen se penchera sur l’après-crise sanitaire, qui devra être gérée de manière coordonnée. C’est notre devoir d’Européens d’anticiper et de coordonner ensemble, notamment – rêvons un peu – la levée progressive des mesures restrictives de circulation, mieux que nous ne l’avons fait après la première vague de la pandémie, l’été dernier.
C’est dans cet esprit que, le 17 mars dernier, la Commission européenne a proposé de créer un « certificat vert numérique », qu’on appelle parfois « pass sanitaire ». Selon nous, cette proposition va dans la bonne direction.
Cette solution de pass sanitaire n’est certes pas pour aujourd’hui. Nous avons dit à plusieurs reprises qu’elle était prématurée, ce qu’a répété le Président de la République lors du dernier sommet européen. Mais nous devons l’anticiper.
Deux critères principaux doivent être retenus.
D’une part, cette solution doit être européenne pour nous préserver de solutions nationales non coordonnées, voire incohérentes ou contradictoires, ce qui ne serait dans l’intérêt d’aucun pays. C’est ce vers quoi tend la proposition qu’a formulée le commissaire Thierry Breton voilà quelques jours.
D’autre part, cette solution ne doit pas reposer sur le seul vaccin car, même si nous nous employons à ce que la campagne de vaccination s’accélère partout en Europe, il est évident qu’à l’été, elle n’aura pas encore été généralisée à l’ensemble de la population, en particulier aux jeunes. Et donc opérer une discrimination entre générations et entre catégories d’âge serait une approche injuste. C’est aussi pour cette raison que la proposition de la Commission européenne intègre comme preuve sanitaire non seulement le vaccin, mais aussi d’autres éléments, comme un test négatif ou une infection préalable à la covid, laquelle apporte une protection au moins pour quelques mois.
Autre enjeu de ce Conseil européen, au-delà de l’après-crise sanitaire : renforcer notre économie, faire face aux conséquences de cette crise en poursuivant la construction d’une autonomie stratégique de l’Europe, redonner aux secteurs économiques les plus touchés une ambition européenne plus forte. Seront donc évoquées les questions de politique industrielle et le marché unique.
La France défend en l’espèce, depuis plusieurs années, un certain nombre de priorités, notamment le renforcement de notre politique commerciale qui, tout en restant ouverte vers le monde extérieur, doit être capable de garantir une meilleure lutte antidumping, une meilleure autonomie stratégique, l’équité dans l’accès aux marchés publics.
Nous demanderons une nouvelle fois, à l’occasion de ce Conseil européen, que soit relancé le travail législatif au niveau de l’Union européenne.
Nous défendrons aussi, dans cet esprit de reconstruction économique, l’accélération des plans de relance, du plan de relance européen en particulier. Voilà maintenant six semaines, votre assemblée a voté les ressources propres permettant de financer ce plan ; cependant, il reste encore quatorze pays européens qui doivent faire de même. C’est aussi ce message d’urgence et d’accélération que nous ferons passer.
Dans ce débat sur le marché unique et sur le renforcement de notre économie, un point spécifique sera consacré à la question du numérique.
Vous le savez, depuis maintenant plus de trois ans, la France porte l’ambition d’une taxation juste des entreprises du numérique, qui, souvent, échappent à quasiment toute imposition. Il y a un peu plus de deux ans, les pays européens ont collectivement pris la décision de renvoyer ces travaux à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La nouvelle administration américaine a adressé des signaux positifs en faveur de leur reprise dans un tel cadre international.
Néanmoins, il faut être très clair : si ces travaux n’aboutissent pas ou, dans le cas où ils aboutiraient, s’ils doivent faire l’objet de précisions, nous devrons reprendre le fil des discussions européennes dès la fin du premier semestre 2021. Nous attendons d’ailleurs de la Commission européenne une proposition législative sur de nouvelles ressources propres budgétaires, notamment une taxe numérique au niveau européen. Ce sera là sans doute un point de débat difficile de ce sommet européen, mais nous devrons à nouveau porter cette initiative.
Le Conseil européen sera l’occasion de discuter de l’agenda international. Plusieurs points ont été renvoyés à ce sommet, cependant qu’un nouveau – je le signale à votre assemblée – vient de s’ajouter à cet agenda : le président du Conseil européen, Charles Michel, a annoncé cet après-midi que le président américain Joe Biden serait, en fin de journée jeudi, connecté à la visioconférence des chefs d’État et de gouvernement pour un échange sur la nouvelle relation transatlantique.
Plusieurs points étaient déjà à l’ordre du jour de ces échanges, notamment une question relative à la Turquie. Nous avons demandé, au mois de décembre, au Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, de faire un point complet de la relation entre l’Union européenne et la Turquie pour étudier les signaux adressés par celle-ci après la pression que les Vingt-Sept, la France en tête, avaient exercée sur elle à la suite du Conseil européen qui s’est tenu à la fin de l’année 2020.
Vous le savez, ces signaux sont ambigus et parfois contradictoires. Certains, il faut le reconnaître, sont positifs.
Ainsi, en Méditerranée orientale, les forages illégaux ont, à ce stade, cessé et des bateaux qui menaçaient de porter atteinte à la souveraineté de la Grèce ou de Chypre ont été retirés des eaux concernées. A contrario, dans d’autres domaines, qui touchent à son paysage politique et partisan, la Turquie a adressé ces derniers jours encore des signaux préoccupants. Ce week-end, dans un registre différent mais tout aussi préoccupant, elle a annoncé se retirer de la convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, une décision que, avec Jean-Yves Le Drian et Elisabeth Moreno, nous avons profondément regrettée.
Par conséquent, Josep Borrell fera donc un point aussi transparent et complet que possible. Si besoin était, nous avons préparé des mesures restrictives, mais nous donnerons sans doute jusqu’au mois de juin à la Turquie pour clarifier sa position, pour marquer sa volonté de dialogue ou d’escalade. Nous restons ouverts au dialogue, mais l’Europe se prépare à faire preuve de fermeté, si nécessaire, dans la continuité de celle qu’a fait prévaloir la France ces derniers mois.
Une même approche de dialogue et de fermeté sera poursuivie à l’égard de la Russie. Un point sur cette question est également inscrit à l’ordre du jour de ce Conseil européen.
J’ajoute un dernier élément.
Un sommet entre l’Union européenne et l’Inde étant prévu au mois de mai, sous la présidence portugaise, la France souhaite ajouter à la discussion de l’agenda international un point sur la région indo-pacifique, dans le but de construire une stratégie européenne à destination de cette zone. Ces derniers jours, les États-Unis et le Royaume-Uni, en manifestant une volonté d’implication plus forte, ont signifié que cet espace géopolitique était pour eux une priorité. Le souhait de la France est que l’Europe manifeste une pareille ambition.
Pour conclure, je veux indiquer que, voilà quelques jours, un accord a enfin été trouvé pour le lancement de la Conférence sur l’avenir de l’Europe.
Même s’il ne fera pas l’objet d’une discussion entre les chefs d’État et de gouvernement, il s’agit là d’un point d’actualité important. Il devrait trouver dans les prochaines semaines une traduction concrète puisque le 9 mai seront lancés les premiers débats entre les trois institutions européennes. Seront sollicitées les contributions de l’ensemble des parlements nationaux, de l’ensemble des gouvernements des États membres et de toute autre instance – association, fédération, etc. – qui souhaiterait, pour une année, participer à ce débat sur les orientations à long terme de l’Union européenne.
Puisque nous parlions de l’après-crise, nous devrons aussi réfléchir aux réformes importantes qui pourront être mises œuvre au sein de l’Union européenne, et dont la présidence française aura à connaître à partir de 2022. (M. André Gattolin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des formes armées. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen abordera évidemment la nouvelle relation euro-britannique, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle connaît en ce moment une phase critique.
Il va falloir empêcher la dérive politique et symbolique du Royaume-Uni, loin de notre continent. L’année dernière, Boris Johnson avait remis en cause le protocole irlandais au mépris de la signature britannique. Certes, il s’est ravisé in extremis pour arracher un accord commercial, mais on sait que les partis unionistes d’Irlande du Nord n’en contestent pas moins les contrôles en mer d’Irlande qu’implique le marché unique.
Et voilà maintenant que le Royaume-Uni revient à nouveau sur ses engagements, en prolongeant de six mois la dispense provisoire de contrôle sanitaire des produits agroalimentaires passant de la Grande-Bretagne à l’Irlande du Nord !
L’Union européenne vient certes de mettre en demeure le Royaume-Uni de renoncer à cette décision illégale, mais la question très sensible de la frontière irlandaise s’est déjà envenimée avec la tentative avortée des autorités européennes d’y contrôler les livraisons de vaccins au Royaume-Uni.
Et c’est à juste titre que l’Union européenne exige maintenant que les livraisons de vaccins prévues aux contrats soient honorées : la Commission devrait adresser une mise en demeure au groupe AstraZeneca, afin que ses usines britanniques livrent enfin les Vingt-Sept.
L’Europe a passé les contrats nécessaires ; elle ne peut accepter de plus grands retards dans la vaccination. Monsieur le secrétaire d’État, il y va de la crédibilité des institutions européennes ; elles ont là l’occasion de montrer le visage d’une Europe qui protège et non d’une Europe qui échoue.
Au-delà de la dimension sanitaire, il y a évidemment un enjeu politique considérable dans ce dossier.
Dans cette perspective, il faut souligner à nouveau l’importance du Royaume-Uni dans la défense européenne, au moment où les Vingt-Sept élaborent leur « boussole stratégique » et où ce pays, de son côté, publie sa Revue stratégique.
Désormais, les membres de l’Union européenne ne représentent plus que 20 % des dépenses militaires des pays membres de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord), comme se plaît à le rappeler son secrétaire général, Jens Stoltenberg.
Monsieur le secrétaire d’État, vous le savez, la question de la défense européenne mobilise notre assemblée de manière constante. Sur ce sujet, il est naturellement indispensable de préciser la relation de l’Union européenne avec l’OTAN. Le Président de la République, je n’en doute pas, aura à cœur de le faire.
L’Union européenne peut et doit améliorer sa résilience et sa capacité de défense pour conquérir son autonomie. Que les États-Unis réinvestissent l’OTAN, tant mieux ! Qu’ils aient un regain de considération pour l’Europe, tant mieux ! Que l’Organisation se préoccupe du flanc sud de l’Europe, tant mieux !
Mais prenons garde que les Européens, trop heureux d’éprouver à nouveau la solidité du parapluie de l’OTAN, se laissent entraîner dans cette dangereuse confrontation qui se profile entre les États-Unis et la Chine : l’amitié et la solidarité ne sont pas l’alignement.
Enfin, l’Union européenne est, par exemple, bien mieux placée que l’OTAN pour sanctionner les actes hostiles d’une Turquie membre de l’Alliance.
Les travaux sur la « boussole stratégique » offrent peut-être une fenêtre pour nous entendre afin d’organiser notre sécurité et notre défense conformément à nos valeurs et à nos intérêts. Du reste, cela n’est pas contradictoire avec le rôle dévolu à l’OTAN.
Je sais pouvoir compter sur vous, monsieur le secrétaire d’État, pour que la France s’investisse pleinement dans cette démarche de la « boussole stratégique », que nous suivons pas à pas.
Cette démarche pourra s’enrichir d’une étude bienvenue, à savoir la vision pour la transformation numérique de l’Europe d’ici à 2030, que le Conseil des ministres va examiner.
Qu’il s’agisse d’intelligence artificielle, de stockage des données ou de cybersécurité, l’enjeu du numérique est fondamental pour l’autonomie stratégique de l’Union. Il irrigue tous les domaines de la défense et de la sécurité, mais aussi notre tissu industriel et de recherche. L’Union européenne peut encore rester dans la course si elle a la volonté d’avancer.
Concernant la cybersécurité, les dernières attaques dont les États-Unis ont été victimes montrent la prégnance de la menace cyber.
Je l’observe avec soulagement : l’Europe est de plus en plus lucide sur le mélange de menaces et d’opportunités que représente le numérique.
Autre sujet majeur abordé au Conseil : la Turquie.
Monsieur le secrétaire d’État, gardons-nous de lui envoyer des signaux trop positifs ! Certes, elle a retiré son navire de forage Oruç Reis de la zone de recherche en mer Égée, et fait de l’adhésion à l’Union européenne une « priorité stratégique » ; certes, elle a entamé des concertations exploratoires avec la Grèce. Mais ses refus d’inspection dans le cadre de l’opération Irini, son attitude en Libye, sa réaffirmation de l’illégitimité du droit de la mer et une tension qui reste palpable en Méditerranée orientale doivent nous laisser sur nos gardes.
Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, le retrait de la Turquie, annoncé samedi, de la convention d’Istanbul sur les violences faites aux femmes montre que, derrière les paroles apaisantes, les désaccords de fond sont profonds. Puissent les discussions sur le rapport que le Haut Représentant de l’Union européenne doit présenter sur la Turquie être à la hauteur de ces enjeux !
L’Union européenne doit aussi affiner sa doctrine quant à l’approche du dossier russe. Vous connaissez la position du Sénat : nécessaire fermeté, mais ouverture permanente au dialogue avec ce grand voisin et défense de nos intérêts économiques.
Sur tous ces sujets, monsieur le secrétaire d’État, vous avez notre confiance, mais le chemin est encore bien long et nécessite du courage pour faire advenir une Europe plus forte, plus unie et plus autonome. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il ne fait pas de doute que les difficultés liées à la campagne de vaccination à travers l’Europe occuperont une part considérable des échanges du Conseil européen de cette semaine, plusieurs points de son ordre du jour intéressent plus directement notre commission des finances.
Alors que le Conseil européen examinera les priorités pour le second semestre 2021, je mentionnerai ce soir deux principaux points d’attention.
Tout d’abord, la commission des finances suit avec grande attention la mise en œuvre de la réponse budgétaire de l’Union européenne à la crise sanitaire, au regard des perspectives de reprise économique de l’Union.
En juillet dernier, tous les États membres se sont accordés sur la mise en œuvre d’un plan de relance. Où en sommes-nous huit mois plus tard ? Si la France a rapidement approuvé la décision « ressources propres », indispensable pour permettre à la Commission européenne de lever les ressources nécessaires au plan de relance sur les marchés, à ce jour, seuls neuf autres États membres ont suivi la même dynamique.
Or, au travers de la ratification de cette décision, se joue une véritable course contre la montre pour la reprise économique. En effet, tant que le plan de relance européen n’est pas mis en œuvre, les budgets nationaux restent en première ligne pour soutenir l’économie, au risque d’accentuer davantage les déséquilibres macroéconomiques entre les États membres.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous faire un point d’étape sur la ratification de la décision « ressources propres » et ses blocages ? Le Gouvernement espère-t-il toujours une entrée en application de celle-ci d’ici avant l’été ?
En outre, s’il n’est pas encore mis en œuvre, le plan de relance européen semble, selon certains, déjà insuffisant. La semaine dernière, son dimensionnement a même alimenté les divergences entre les membres du directoire de la Banque centrale européenne (BCE), comparé notamment aux 1 900 milliards de dollars du plan de relance américain.
Il faut donc, à tout le moins, engager les fonds rapidement pour que la relance budgétaire européenne ne soit pas reléguée en deuxième division.
En outre, pour bénéficier des subventions du plan de relance européen, encore faut-il que les États membres fassent valider leur plan national pour la reprise et la résilience. Les discussions entre le Gouvernement et la Commission européenne sur son contenu ont déjà commencé il y a plusieurs mois.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous établir devant nous un état des lieux de ces échanges et nous confirmer le calendrier de transmission au Parlement du plan national pour la reprise et la résilience ? Cette transmission aura-t-elle lieu à la fin du mois d’avril, en même temps que le programme de stabilité ? Le plan français est-il à la hauteur des objectifs devant être satisfaits pour solliciter les fonds ?
Le second point à l’ordre du jour du Conseil européen qui intéresse tout particulièrement la commission des finances est le bilan des travaux sur la fiscalité de l’économie numérique, lequel devrait être discuté entre les États membres.
Prenant acte de l’échec des discussions entre les États membres sur les propositions de la Commission européenne datant de 2018, la France a introduit en 2019 une taxe sur les services numériques. Toutefois, cette solution ne peut qu’être temporaire, en attendant que les négociations au niveau de l’OCDE aboutissent.
Si les contraintes de l’unanimité en matière fiscale restent entières, l’année 2021 pourrait offrir un contexte renouvelé à ces discussions entre les États membres.
Premièrement, la Commission européenne est tenue de présenter une nouvelle proposition de ressource fondée sur une redevance numérique, et ce avant le mois de juin. Dans cette perspective, l’introduction de nouvelles ressources propres de l’Union européenne pour soulager les États membres du remboursement du plan de relance constitue assurément une incitation sans précédent à progresser sur ce dossier.
Deuxièmement, plusieurs États membres ont désormais mis en place une taxation proche de la « taxe GAFA à la française », tels que l’Autriche, l’Italie, l’Espagne ou encore la République tchèque.
Toutefois, la prudence reste de mise, compte tenu de la persistance d’opinions divergentes entre les États membres.
Surtout, l’articulation avec les négociations à l’OCDE reste, semble-t-il, incertaine à ce stade : envisageons-nous une solution européenne subsidiaire ou complémentaire ? Il s’agit d’une question centrale, alors qu’un accord semble de nouveau possible à la faveur des positions prises par la nouvelle administration américaine.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous faire le point sur le message que la France entend porter sur ce dossier au Conseil européen de cette semaine ? Des progrès par rapport au Conseil européen de novembre dernier peuvent-ils être attendus ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis deux ans, nous débattons dans cet hémicycle à l’issue des réunions du Conseil européen. L’expérience a montré que la formule n’était pas satisfaisante.
De fait, le moment politique où les parlements nationaux peuvent mobiliser l’exécutif se situe plutôt en amont qu’en aval du Conseil européen.
Aussi, dès le renouvellement de la commission des affaires européennes, en octobre dernier, son bureau a proposé à l’unanimité de rétablir en séance plénière le débat préalable au Conseil européen, comme c’était le cas auparavant.
Cette proposition a été acceptée par le groupe de travail sur la modernisation de nos méthodes de travail, présidé par Mme Pascale Gruny, vice-présidente du Sénat. Nous nous en félicitons. La nouvelle formule retenue par le groupe de travail prévoit une discussion générale plus longue permettant aux groupes politiques d’exposer leurs positions avant chaque réunion trimestrielle des chefs d’État ou de gouvernement européens.
Après le Conseil européen, la commission des affaires européennes entendra désormais le ministre chargé des affaires européennes pour qu’il lui en rende compte. Nous espérons que cette nouvelle formule satisfera chacun d’entre vous. Souhaitons aussi que, au vu des enjeux, les sujets européens retiennent l’intérêt d’un nombre toujours croissant de nos collègues.
Nous voici donc à l’avant-veille d’un prochain sommet européen, qui se déroulera une nouvelle fois par visioconférence. La situation sanitaire de l’Europe, comme celle de la France, reste la préoccupation première. Elle se dégrade nettement depuis un mois à l’échelle européenne et cette dégradation va s’accélérant à mesure que les variants du virus prennent le dessus.
Notre priorité absolue doit être de maximiser l’approvisionnement en vaccins des États. Nous appuyons donc l’action menée par la Commission dans deux directions.
Première direction : augmenter le plus possible notre capacité de production industrielle de vaccins. À cet égard, je veux saluer ici la détermination du commissaire Thierry Breton à identifier les goulots d’étranglement dans les chaînes de production ; il a ainsi encouragé les entreprises européennes à développer des synergies.
Il sera auditionné la semaine prochaine par la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes réunies, et nous ne manquerons pas de l’interroger à ce sujet.
Seconde direction : maîtriser les exportations européennes de vaccins.
Depuis deux mois, la Commission a les moyens juridiques de bloquer l’exportation des vaccins pour lesquels elle a conclu des contrats d’achats anticipés. Elle ne l’a fait qu’une seule fois, la semaine dernière ; est-ce suffisant ? La France doit faire valoir auprès du Conseil européen que, sans perdre de vue l’objectif d’un accès mondial aux vaccins, nous devons à nos concitoyens les vaccins dont ils ont besoin.
Il n’est pas envisageable de laisser des vaccins produits sur le sol européen quitter l’Union européenne alors que celle-ci ne reçoit même pas les doses promises dans le cadre des contrats. Il ne s’agit pas de fermer nos frontières mais d’appliquer un principe de réciprocité, afin que l’Union ne soit pas seule à supporter l’inconséquence de fabricants incapables d’honorer les contrats. Sans vaccination, en effet, nos libertés restent confinées et la relance de l’économie européenne demeure une chimère.
Enfin, notre pays doit rappeler au Conseil européen l’importance d’un travail approfondi sur le projet de certificat vert numérique pour restaurer la liberté de circulation dans le respect des droits fondamentaux. J’indique d’ailleurs que notre commission des affaires européennes proposera sur ce sujet une résolution européenne dès la semaine prochaine.
Je ne m’étendrai pas sur les autres questions à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, à savoir le marché unique et la politique industrielle numérique, ainsi que les relations extérieures en Méditerranée orientale et avec la Russie – je sais que d’autres collègues y reviendront.
Je veux seulement partager un motif de satisfaction profonde : le projet de conclusions du Conseil européen pointe du doigt nos dépendances stratégiques. Cette évolution fondamentale atteste d’une réelle prise de conscience, parmi les Vingt-Sept, de l’enjeu que représente l’autonomie stratégique européenne. Ces mots prêtent toujours à un débat sémantique : chaque État membre leur donne un sens différent selon sa propre situation.
Mais les faits sont là : la Commission entreprend d’analyser nos dépendances stratégiques, et pas seulement dans le domaine pharmaceutique. Terres rares, batteries électriques, microprocesseurs… L’Union européenne ne sera jamais autosuffisante. Elle doit donc construire des stratégies, en s’appuyant notamment sur les pays de son voisinage et en veillant à s’assurer la maîtrise du volet logistique ; les ports et autres infrastructures sont eux aussi d’importance stratégique.
Les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC), qui permettent de déroger doublement aux règles européennes de concurrence, constituent une opportunité que l’Europe doit exploiter si elle veut exister dans ce nouveau monde qui prend forme autour du cloud, de l’ordinateur quantique, du supercalculateur et des constellations spatiales.
Je relève aussi que le sommet de la zone euro qui suivra la réunion du Conseil européen se penchera sur les moyens de renforcer le rôle international de l’euro, autre clé de l’autonomie européenne. Ne faut-il pas envisager la mise en place d’une banque européenne du commerce extérieur pour sécuriser nos entreprises à l’international contre les sanctions extraterritoriales ?
Monsieur le secrétaire d’État, quel espoir avons-nous de faire partager toutes ces ambitions à nos partenaires européens ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en préambule à mon propos, je voudrais vous faire part d’une petite mésaventure qui m’est arrivée hier à l’occasion de la préparation de mon intervention.
À la recherche de quelques précisions sur l’ordre du jour du Conseil européen à venir, j’ai eu, en cliquant sur certains liens concernant les documents préparatoires afférents à cette réunion, l’heur de voir s’afficher le désormais traditionnel message : « Cette ressource n’est actuellement disponible que dans la ou les langues suivantes : English. » L’anglais, rien que l’anglais ! (Mme Catherine Morin-Desailly et M. Bruno Sido s’en offusquent.)
Mme Pascale Gruny. Ce n’est pas normal !
M. André Gattolin. Je m’intéresse aux questions européennes et les suis depuis près de quarante ans ; je devrais être habitué, d’autant que cette prédominance toujours croissante de la langue de Shakespeare dans les enceintes institutionnelles de l’Union paraît une tendance irrésistible au fil du temps.
Lorsque nous procédons à des auditions de représentants de la Commission, il est en effet de plus en plus fréquent que nos interlocuteurs ne soient plus en mesure de s’exprimer, outre dans leur langue native, qu’en anglais.
Je n’ai rien contre le multilinguisme, tout au contraire. C’est pourquoi je suis résolument opposé à ce monolinguisme de fait, assorti d’ailleurs d’une dérive techniciste de l’anglais vers une version dénuée de toute richesse syntaxique et sémantique, qui s’impose plus que jamais en dépit du retrait du Royaume-Uni.
M. Bruno Sido. Très bien :
Mme Pascale Gruny. Il a raison !
M. André Gattolin. Au sortir d’une semaine consacrée à la promotion de la langue française et de la francophonie, admettez, monsieur le secrétaire d’État, qu’il y a de quoi être choqué par ce non-respect quasi systématique des obligations des principales institutions de l’Union en matière de plurilinguisme. (Mme Catherine Morin-Desailly acquiesce.)
Je rappelle que l’Union compte vingt-quatre langues officielles et que le français et l’allemand figurent logiquement, à équité avec l’anglais, parmi les trois langues de travail de la Commission et du Conseil !
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme Catherine Morin-Desailly. Bravo !
M. André Gattolin. Je sais que, dans un contexte européen fait de tensions larvées déjà nombreuses entre les États membres, il peut sembler un peu inconvenant de vouloir ouvrir un tel front. Mais, monsieur le secrétaire d’État, quand notre pays va-t-il enfin faire valoir ses droits linguistiques, rien que ses droits et cependant tous ses droits, en la matière ?
Mme Pascale Gruny. Bravo !
M. André Gattolin. Il ne s’agit pas ici de contester à l’anglais son statut partagé de langue de travail, mais de ne lui accorder que la part qui lui revient, et pas davantage, dans une Europe à vingt-sept qui ne compte désormais plus que deux États membres, l’Irlande et Malte, pour qui cet idiome est la langue officielle.
Monsieur le secrétaire d’État, le 1er mars dernier, lors de la première réunion du comité d’échanges et de suivi de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, vous nous avez dit vouloir mettre en avant la question de la francophonie et du multilinguisme tout au long de la présidence française.
Précisément, n’y aurait-il pas là l’occasion d’affirmer un changement de cap en faisant en sorte que, lors de toutes les réunions se rapportant à la présidence française, l’ensemble de nos dirigeants et de nos représentants choisissent de ne s’exprimer qu’en français ou, à défaut, en allemand ?
L’usage de la langue, notamment dans les domaines politique et diplomatique, est loin d’être symbolique : il traduit dans les actes une certaine idée de l’appartenance européenne.
M. Bruno Sido. Bien sûr !
M. André Gattolin. Au-delà de cette question d’usage, cette réunion du Conseil européen programmée de longue date tombe particulièrement à point, grâce à une concordance de plusieurs calendriers.
En effet, deux mois après l’investiture de Joe Biden, trois mois après la sortie effective du Royaume-Uni de l’Union, quatre mois après le pré-accord d’investissement entre l’Union européenne et la Chine et, bien sûr, un an après l’explosion de la pandémie de covid-19 sur notre continent, cette réunion pourrait être une occasion forte de s’interroger sur l’état de l’Union et sur ses perspectives d’avenir dans un contexte géopolitique et stratégique extrêmement évolutif, et parfois même inquiétant.
Certes, ce questionnement global n’est pas inscrit à l’ordre du jour de la réunion. Cependant, à regarder l’ensemble des thèmes qui devraient y être discutés, on constate que jamais l’agenda d’un Conseil européen n’aura été – à ma connaissance, tout au moins – doté d’une tonalité aussi géostratégique !
On y parlera bien évidemment de la stratégie vaccinale au sein de l’Union et des pressions exercées par certains États tiers, tantôt pour limiter notre approvisionnement par rapport à ce qui est prévu, tantôt pour introduire un ou plusieurs vaccins non certifiés par l’Agence européenne des médicaments (AEM).
La réunion traitera également des priorités à donner aujourd’hui au marché unique et à la stratégie industrielle de l’Union, ainsi que de la nouvelle stratégie numérique – on parle de « nouvelle boussole numérique » –, qui a déjà fait l’objet d’un Conseil européen extraordinaire en octobre dernier.
Stratégie, souveraineté, protection, objectifs, cibles, boussole… Jamais le vocabulaire usité par l’Union, notamment dans le domaine économique, n’aura été autant empreint de connotations tactiques et géopolitiques.
Et ce n’est pas tout ! La réunion consacrera une part importante de son agenda à la situation en Méditerranée orientale, avec la présentation du rapport du Haut Représentant sur les relations – de plus en plus tendues – avec la Turquie, ou plutôt, faudrait-il dire, avec le régime toujours plus autoritaire et plus agressif de M. Recep Tayyip Erdogan.
À l’ordre du jour, encore : la tenue d’un débat stratégique sur les relations avec la Russie, ou plutôt, faudrait-il dire, avec le régime toujours plus autoritaire et plus répressif de M. Vladimir Poutine.
À cette liste de points épineux, qui renvoient à la définition d’une politique étrangère commune aux pays de l’Union, viendront certainement s’ajouter les tensions récentes, et d’un niveau sans précédent depuis Tiananmen, avec la Chine, ou plutôt, faudrait-il dire, avec le régime toujours plus autoritaire, plus répressif et plus agressif du président Xi Jinping !
À travers ses débats, son vocabulaire et certaines de ses orientations politiques et stratégiques, l’Union européenne, aujourd’hui placée au pied du mur, semble sortir enfin de la béatitude et de la naïveté géopolitiques dans lesquelles elle baignait depuis la chute du Mur et l’effondrement de l’URSS.
Certes oui, il y a, si l’on veut voir le verre à moitié plein, des raisons de se réjouir de certaines initiatives européennes, comme la mise en œuvre de la réglementation Magnitski adoptée en décembre dernier, avec, d’ores et déjà, une salve de sanctions ciblées à l’endroit de plusieurs dirigeants russes, chinois et birmans. Je citerai également l’ouverture des fonds destinés à la Facilité européenne pour la paix, ou encore l’avancée de l’initiative franco-allemande, reprise par l’Union, en faveur de la réforme de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Mais il est malheureusement impossible aussi de ne pas voir le verre à moitié vide, notamment à propos de certaines attitudes relativement ambiguës de notre grand partenaire, l’Allemagne, concernant la mise sur pied d’une Europe de l’armement, la politique spatiale européenne à mener, la construction du gazoduc Nord Stream 2 ou le préaccord d’investissement Europe-Chine, Berlin tentant de tordre le bras de ses partenaires au nom de ses seuls intérêts industriels et commerciaux.
C’est là, j’en ai peur, l’un des dégâts collatéraux du Brexit, encore peu mesuré, car la France a peut-être perdu un précieux allié en Europe à un moment où les enjeux géopolitiques et militaires semblent prendre une dimension sans précédent pour le futur de notre continent.
Si nous sommes d’accord pour penser que le multilatéralisme est en danger aujourd’hui, conclurai-je, nous ne devons cependant pas oublier que ce qui menace l’Europe en tant que véritable acteur dans le jeu mondial est aussi la tentation, chez certains de nos partenaires, d’un équilatéralisme concernant de tierces grandes puissances susceptibles d’entrer demain dans une conflictualité accrue les unes avec les autres. (Applaudissements sur des travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, d’après les statistiques du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, 10,4 % des habitants de l’Union et de l’Espace économique européen avaient reçu une première dose de vaccin contre la covid-19 au 22 mars 2021. C’est bien en deçà des États-Unis, où un tiers de la population a désormais reçu une première injection.
C’est également moins que chez notre voisin le Royaume-Uni, où ce ratio atteint plus de 40 %, ou qu’en Israël, où il dépasse les 60 %. Les habitants de ces pays y redécouvrent la vie d’avant tandis que notre gouvernement est contraint, un an après le premier confinement, de resserrer la vis.
Au regard de ces chiffres, une évaluation du déploiement de la stratégie vaccinale européenne s’impose ; c’est l’un des points principaux de l’ordre du jour du Conseil européen des 25 et 26 mars prochain – vous l’avez longuement évoqué.
L’Europe de la santé n’existe pas encore, hélas. L’Union dispose néanmoins d’une compétence de santé lui permettant de mener des actions afin d’appuyer, de coordonner ou de compléter l’action des États membres. On peut donc se réjouir qu’elle ait mis en œuvre une approche centralisée pour répondre à la crise sanitaire, et en particulier pour garantir l’approvisionnement du continent en vaccins.
L’Union fait la force, dit-on : l’adage a en partie porté ses fruits, puisque les négociations menées en groupe nous ont permis de conclure des contrats à des prix avantageux. Ainsi le vaccin de Pfizer nous a-t-il coûté moins cher qu’au Royaume-Uni et qu’aux États-Unis.
Il ne faudrait toutefois pas que nous payions le prix fort de ces économies réalisées, celui d’un pays qui tourne au ralenti faute de livraisons dans les temps ! Sans vaccination massive, l’immunité collective – nous le savons bien – est impossible et une véritable reprise économique ne peut donc être envisagée à court terme.
Or, aujourd’hui, que constate-t-on ? Si la Commission européenne a commandé plus de 2 milliards de doses, les retards s’accumulent. Au 16 mars, seulement 69,5 millions de doses avaient été livrées.
C’est autour du contrat conclu avec AstraZeneca que les difficultés se cristallisent. Clairement, l’entreprise ne tiendra pas ses engagements. Vous le savez, mes chers collègues, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a exhorté le laboratoire à honorer les contrats de commande conclus avec l’Union avant de livrer d’autres pays, comme il le fait actuellement avec le Royaume-Uni. Le contrat entre l’Union et AstraZeneca prévoit la livraison de doses produites à la fois sur le territoire européen et sur le territoire britannique ; or les doses produites au Royaume-Uni ne sont pas livrées sur le continent.
Comme vous l’avez dit lors d’une intervention télévisée, monsieur le secrétaire d’État, l’Union européenne ne doit pas servir de « variable d’ajustement » pour les laboratoires pharmaceutiques.
Faudra-t-il donc, comme le suggère la présidente de la Commission, empêcher les doses de sortir du territoire européen si le fabricant anglo-suédois ne remplit pas ses obligations contractuelles ? Alors que nous avons adopté, en décembre dernier, un accord sur la relation future entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, une escalade des tensions sur la question des vaccins serait un mauvais signe pour ladite relation.
En outre, si cette escalade aboutissait à des rétorsions sur nos importations, l’Union européenne pourrait être privée de composants que nous ne fabriquons pas. L’heure n’est donc pas à l’isolement, car il est vital que les chaînes d’approvisionnement demeurent ouvertes.
Ce problème nous renvoie d’ailleurs à celui, plus général, de la relocalisation de certaines industries en Europe. Le commissaire au marché intérieur, Thierry Breton, y travaille. Mon groupe est en tout cas favorable à une forte ambition européenne de réindustrialisation, gage de notre autonomie stratégique dans de nombreux domaines, notamment celui de la santé.
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme Véronique Guillotin. En attendant, il est regrettable que, face au manque de doses de vaccins autorisés par l’Agence européenne des médicaments, certains États fassent le choix de conclure des contrats de commande parallèlement au dispositif de l’Union : la Hongrie, la Slovaquie, la Tchéquie ou encore la Pologne.
Je ferai deux observations.
Tout d’abord, ces choix sont préjudiciables à la valeur de solidarité qui est théoriquement au cœur du projet européen. Nous avons fait un grand pas, en juillet dernier, avec le plan de relance européen, en consacrant la solidarité financière entre États membres. Il ne faudrait pas que, dans cette course aux vaccins, les choix nationaux faits à l’est de l’Europe nous ramènent en arrière en posant une nouvelle fracture.
Viktor Orban n’en est pas à son premier bras de fer avec Bruxelles. Aussi, s’il assure que ce choix de faire cavalier seul est uniquement motivé par des nécessités sanitaires, il semble s’engouffrer dans la « diplomatie du vaccin » déployée par la Chine et par la Russie pour élargir leurs sphères d’influence respectives.
Ensuite, ces attitudes risquent de poser des difficultés si l’Union met bien en place son passeport vaccinal : pourra-t-on octroyer les mêmes libertés à tous sans discrimination ? Cela semble difficile, et cette situation pourrait peser sur la circulation des Européens au sein du continent.
S’agissant de libre circulation, j’en profite pour aborder celle des travailleurs transfrontaliers. Dans sa déclaration du 26 février dernier, le Conseil européen a affirmé : « Il faut assurer la circulation sans entrave des biens et des services au sein du marché unique, y compris en recourant à des voies réservées aux points de passage frontaliers. »
L’Union affirme un principe, mais sa mise en œuvre demeure bel et bien du ressort des États membres. Depuis le classement, le 2 mars dernier, de la Moselle en zone à forte circulation des variants du virus, les transfrontaliers sont contraints de présenter un test PCR négatif toutes les quarante-huit heures afin de pénétrer sur le territoire allemand. Dans le même temps, les frontaliers allemands peuvent rejoindre le territoire français sans observer les mêmes contraintes. Je mesure bien, sur le terrain, la lassitude des 16 000 travailleurs frontaliers concernés.
Monsieur le secrétaire d’État, reconnaissons que l’Union est ici dans une posture difficile : la Commission a voulu jouer un rôle ambitieux dans la gestion de la crise, mais elle semble rattrapée par la réalité de pouvoirs très limités en la matière.
Cette situation soulève une question de fond : les États membres doivent-ils se ressaisir des compétences déléguées à l’Union à l’occasion de cette crise, ou doit-on au contraire confier à l’Union des prérogatives plus importantes en matière de santé ?
Il nous faut en tout cas aujourd’hui apprendre des erreurs passées afin de continuer à gérer cette crise le mieux possible, et continuer à penser une Europe solidaire, au service de tous ses citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Didier Marie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Balzac écrivait qu’« il ne croyait à aucune vertu, mais à des circonstances où l’homme est vertueux ». Probablement sommes-nous face à de telles circonstances. Alors que le covid-19 continue ses ravages, que le pays est partiellement reconfiné, que la population commence à se désespérer des mesures de privation de libertés, la stratégie vaccinale européenne et nationale doit être considérée avec gravité. C’est sur ce point que je souhaite intervenir.
En de pareilles circonstances, nous ne pouvons plus tolérer que les logiques du marché prévalent sur la santé physique et mentale des citoyennes et des citoyens européens. Des solutions existent et pourraient s’imposer autour d’un principe : la libération des brevets.
Les investissements des laboratoires pharmaceutiques étant financés massivement par de l’argent public, l’argument selon lequel les brevets servent à couvrir ces investissements ne tient pas. Selon la fondation kENUP, les gouvernements des grandes puissances ont mobilisé a minima 93 milliards d’euros d’argent public pour soutenir la recherche et la production d’un vaccin.
La Commission européenne a choisi la méthode des contrats d’achats anticipés. Elle a déboursé 2,1 milliards d’euros, grâce aux fonds de l’instrument d’aide d’urgence de l’Union européenne, pour garantir un stock de 2,5 milliards de doses destiné aux citoyens européens. Or nous savons aujourd’hui qu’aucun stock n’est véritablement garanti, que les États membres sont lésés, que les concurrences demeurent et que l’ambition d’une Europe protectrice relève à ce jour d’une chimère.
Les pertes sociales et humaines pour le plus grand nombre, d’un côté, et les profits pour les grands groupes, de l’autre, cela n’est plus acceptable ! C’est pourquoi les sénatrices et les sénateurs de mon groupe sont partie prenante de la campagne de signatures lancée au niveau européen sur le thème : « Pas de profit sur la pandémie ».
Le Président de la République avait pourtant déclaré, le 4 juin dernier, lors du sommet mondial sur la vaccination : « L’enjeu c’est de faire en sorte dès maintenant qu’un vaccin contre le covid-19, lorsqu’il sera découvert, bénéficie à tous, parce qu’il sera un bien public mondial. »
Ces mots dont nous voulions espérer la mise en œuvre se sont révélés n’être que posture. La France a voté contre l’initiative portée par l’Afrique du Sud et par l’Inde, meneurs d’une coalition d’une centaine de pays militant au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour une dérogation temporaire permettant que chaque pays puisse produire des vaccins.
Le 4 mars dernier, le secrétaire général de l’OMS apportait son soutien à cette volonté de lutter contre la captation des vaccins par les pays riches : 75 % des 200 millions de doses inoculées l’ont été dans 10 pays, quand 130 pays où vivent 2,5 milliards de personnes n’en ont pas reçu une seule.
Les laboratoires pharmaceutiques ne respectent pas leurs engagements contractuels. Malgré leur opacité, certains manquements sont établis. Tout d’abord, les retards d’approvisionnement : je pense évidemment à AstraZeneca, qui ne livrera qu’un tiers des doses promises d’ici à juin. Ensuite, les atermoiements autour du nombre de doses par flacon de vaccin : Pfizer et BioNTech en profitent pour livrer 20 % de doses en moins pour le même prix.
L’objectif doit bien rester que le vaccin devienne véritablement un bien public mondial. Comme le déclarait la présidente de la Commission, en effet, « l’Union européenne ne sera à l’abri que si le reste du monde est à l’abri ».
Pour prendre toute sa part de l’effort réalisé en vue de cet objectif, l’Europe a besoin de reconstruire au plus vite des capacités de recherche et de production souveraines, afin de sortir de la dépendance aux grands laboratoires mondiaux et de faire prévaloir la coopération contre les logiques de la concurrence et des « égoïsmes nationaux » qui en sont le pendant naturel.
La concurrence de tous contre tous crée une inflation des prix et la rareté des flacons. Si l’Europe paie ses doses, aujourd’hui, autour de 2 euros l’unité, l’Afrique du Sud, qui a revendu les siennes, avait déboursé 4,5 euros quand l’Ouganda se ruinait en payant plus de trois fois le prix.
L’initiative Covax était censée permettre de vacciner 20 % de la population de 142 pays ; or ce chiffre devrait n’être que de 3,3 % au premier semestre 2021, et la majorité de la population africaine n’aura pas accès aux vaccins avant 2022. L’Afrique du Sud a déclaré récemment, lors de la réunion du conseil général de l’OMC : « Le problème de la philanthropie est qu’elle ne peut pas acheter l’égalité. […] S’il n’y a pas de vaccins à acheter, l’argent n’a pas d’importance. » En vérité, les pays pauvres constituent donc la variable d’ajustement de l’approvisionnement des vaccins.
Si les pays développés se sont accaparés la quasi-totalité des doses de vaccin, cela ne signifie même pas que les populations européennes sont pour autant bien protégées. Là aussi, en effet, les logiques de marché font des ravages.
Quand 8,9 % seulement de la population européenne a reçu au moins une dose, l’exportation récente de 34 millions de doses interroge. Depuis le début de l’année, 249 demandes d’exportations ont déjà été autorisées vers 31 pays. Parmi ces pays, le Royaume-Uni a bénéficié de 8 millions de doses de vaccin produites aux Pays-Bas, mais aucune dose n’a fait le chemin inverse.
Symboliquement, la Commission européenne a mis en place un « mécanisme de transparence » forçant les entreprises qui produisent des vaccins contre le covid-19 dans l’Union européenne à notifier toute exportation de leurs produits vers des pays tiers, mécanisme utilisé aussitôt par l’Italie pour bloquer 250 000 doses en partance pour l’Australie.
Les stratégies nationales de contournement avaient en réalité débuté, semble-t-il, avec l’Allemagne d’Angela Merkel, qui aurait passé commande à Pfizer et BioNTech de 30 millions de doses supplémentaires de leur vaccin. Plus récemment, le Danemark et l’Autriche ont mis en scène la signature de leur partenariat avec Israël pour la production du vaccin Moderna, via son sous-traitant Teva qui dispose d’usines dans ces pays.
Pendant ce temps, la Hongrie, la République tchèque et la Pologne se tournent vers le vaccin chinois Sinopharm et le vaccin russe Spoutnik V, sans attendre l’avis des autorités sanitaires européennes. L’Union européenne, au lieu d’organiser la coopération entre tous les vaccins, ferme la porte à ces deux vaccins au nom d’un interdit géopolitique et non d’arguments sanitaires.
Le 9 septembre dernier, Ursula von der Leyen avertissait : « Le nationalisme vaccinal met des vies en danger, la coopération en matière de vaccins les sauve. » Force est de constater que la coopération et la solidarité européennes restent à construire. La pandémie révèle au grand jour, en effet, que c’est la matrice même de l’actuelle Union européenne qui est en cause.
L’enjeu sanitaire nous donne l’occasion de changer de logiciel. Allons-nous une nouvelle fois rater la marche ? Cette fois, les Européens ne nous le pardonneront pas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Jacques Fernique et Didier Marie applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme le montre l’ordre du jour du prochain Conseil européen, les enjeux du numérique semblent enfin prendre toute leur place dans les discussions intraeuropéennes.
Si je dis « enfin », c’est qu’il aura fallu attendre l’affaire Cambridge Analytica et les révélations de l’ingérence possible d’une puissance étrangère dans un processus électoral pour réaliser combien les modèles de fonctionnement et de financement des plateformes en ligne pouvaient constituer de réelles menaces, non seulement pour les fondements de nos économies et de nos modèles sociaux et culturels, mais aussi pour nos systèmes politiques et nos démocraties.
La crise sanitaire, de son côté, a mis en évidence l’importance de la maîtrise du numérique dans toute une série de domaines clés, qu’il s’agisse de la logistique et des transports, de la cybersécurité ou des données de santé, ainsi que la nécessité de développer une autonomie stratégique européenne en la matière.
Je me réjouis donc du virage qui a été pris sous l’impulsion de Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, lequel affirme que l’Union doit en finir avec la naïveté ayant marqué jusqu’à présent son action dans le domaine des technologies. En effet, nous devons être lucides, monsieur le secrétaire d’État, sur les mesures et les nouvelles réglementations qu’il faut prendre. En matière de souveraineté, il est temps de passer du discours aux actes et d’adopter une stratégie cohérente, à commencer par chez nous – pardonnez-moi de le dire.
D’un côté, nous avons un ministre de l’économie qui a fait de l’harmonisation fiscale son cheval de bataille – et il a eu bien raison ; de l’autre, on note une sorte de résignation et des abandons permanents de souveraineté. La gestion du Health Data Hub, confiée sans états d’âme à Microsoft au prétexte fallacieux qu’il n’existait aucune entreprise française à la hauteur, est le dernier et inquiétant symbole de notre incapacité à faire face pour l’heure aux défis politiques, industriels et juridiques soulevés par les Gafam.
Si l’harmonisation fiscale post-Brexit doit être une priorité, il nous faut avant tout une stratégie de développement industriel, défensive mais surtout offensive, de ces technologies. Nous devons aider les entreprises de ces secteurs à se développer en Europe, et en particulier aider les PME à devenir des acteurs internationaux.
Ce n’est bien entendu pas à l’État de créer de telles technologies, mais il doit en accompagner les acteurs en orientant ses marchés vers les PME innovantes dans les secteurs éminemment stratégiques que sont la santé connectée, l’énergie, la maîtrise de l’environnement, les transports. Avec l’internet des objets – des milliards d’objets connectés –, ces secteurs représentent les filières de demain !
Monsieur le secrétaire d’État, la France est-elle prête à pousser à la création desdites technologies et des réglementions qui permettront de développer un internet des objets en accord avec nos principes fondamentaux de protection de l’État de droit ? Êtes-vous favorable à ce que l’on aide les entreprises européennes à développer les outils cryptographiques, en particulier les crypto-monnaies, fers de lance des nouvelles vagues d’ubérisation dans la banque et l’assurance ?
Rappelons que toutes les nations qui ont développé des écosystèmes technologiques puissants l’ont fait grâce à des politiques volontaristes. Le Small Business Act de 1953 a permis aux PME américaines innovantes d’obtenir d’emblée des contrats fédéraux ou locaux. Ces mécanismes d’achats et d’aides publiques intelligentes sont à l’origine des plus grandes réussites américaines, comme celle d’Elon Musk avec Tesla.
Bien entendu, des projets communs doivent être identifiés au niveau européen, notamment en matière d’infrastructures et de capacités numériques critiques. La France soutient-elle activement cette démarche et est-elle prête à jouer un rôle important dans sa mise en œuvre ? Qu’en est-il de la possibilité de mettre en place des capacités de stockage et de traitement des données sur le territoire européen sans risque d’intervention extraterritoriale ni d’ingérence dans les données à caractère privé, personnelles ou de nos entreprises, toutes devenues un actif stratégique majeur ?
Certes, le règlement général sur la protection des données (RGPD) a constitué une avancée considérable, mais son articulation avec le Digital Services Act (DSA), le Digital Market Act (DMA) et la proposition de règlement sur la gouvernance européenne des données visant à faciliter leur accès, leur partage et leur réutilisation au sein du marché unique doit absolument être précisée.
Le développement particulièrement rapide et inventif de la cybercriminalité est également extrêmement préoccupant. La Commission européenne et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) ont présenté une nouvelle stratégie de cybersécurité destinée à protéger les réseaux et les systèmes d’information ainsi que les utilisateurs de ces systèmes et les personnes exposées à la cybermenace.
Aucune vulnérabilité n’est permise pour la 5G, nous dit Thierry Breton. Cette dimension doit être pleinement intégrée dans le programme numérique que prépare la Commission. Le sujet sera-t-il effectivement abordé lors du prochain Conseil ?
La commission des affaires européennes m’a chargée de suivre, avec notre collègue Florence Blatrix Contat, la définition d’un cadre européen de responsabilité des grandes plateformes du numérique. Propagation des contenus illicites ou préjudiciables, vente de produits contrefaits : aujourd’hui omnipotentes, ces plateformes nous imposent leurs règles et disent n’être responsables de rien !
Enfin, les propositions de règlement DSA et DMA, présentées en décembre, introduisent une régulation et un principe de redevabilité que j’appelle de mes vœux depuis des années ! Des normes comportementales ex ante devraient par ailleurs être enfin imposées aux grands services numériques, qui sont toujours en position d’évincer leurs concurrents, d’empêcher le développement de nouveaux services et de nouveaux acteurs, nuisant de fait à l’innovation et à la qualité de l’offre de biens et services. Ces normes devraient prendre en compte les caractéristiques techniques et les modèles économiques des plateformes ainsi que leurs évolutions, car la régulation, elle aussi, doit être agile et s’adapter.
En l’état, leur modèle basé sur le « capitalisme de surveillance » est pervers. C’est pourquoi, à l’issue de nos travaux, nous devrions proposer au Sénat de compléter et de renforcer ces deux textes sur un certain nombre de points, pour que les objectifs de protection de la concurrence, de l’innovation et des consommateurs soient assurés au sein du marché intérieur.
Fort de ce que nous venons de dire, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous confirmer que le Gouvernement soutiendra activement au sein du Conseil la démarche de régulation esquissée et proposera d’en renforcer la portée et les moyens ? Veillera-t-il à ce qu’elle débouche sur un cadre effectif début 2022 et qu’elle s’accompagne d’une politique industrielle enfin digne de ce nom ? Tel serait le bon cap pour une boussole numérique. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Didier Marie. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la semaine dernière, dans mon département de la Seine-Maritime, 18 hommes, 5 femmes et 10 enfants ont été secourus à Dieppe alors qu’ils tentaient de rejoindre la Grande-Bretagne en traversant la Manche sur une embarcation pneumatique instable et extrêmement dangereuse.
Heureusement, tous s’en sont sortis sains et saufs. Mais, sur ces cinq derniers mois, ces situations se sont multipliées tout le long de nos côtes, des Hauts-de-France à la Normandie, interrogeant sur les conséquences du Brexit, la fin de l’application des accords de Dublin et la collaboration entre l’Union européenne, la France et la Grande-Bretagne en matière de migrations.
Monsieur le secrétaire d’État, il est urgent de définir un nouveau cadre de partenariat pour éviter les drames, et nous serions intéressés d’en connaître les modalités.
En Méditerranée, ces drames humains n’ont jamais cessé depuis 2014. Ils tendent à se multiplier depuis un an en raison de la situation sanitaire et vont s’accroître avec l’amélioration des conditions climatiques.
En novembre dernier, un navire a maintenu 1 195 migrants en quarantaine au large de la Sicile. D’autres bateaux ont vu leurs délais de débarquement allongés, quand les ports n’étaient pas tout simplement rendus inaccessibles, résultat des égoïsmes nationaux. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) compte plus de 20 000 décès recensés depuis 2014, auxquels s’ajoutent tous ceux qui se sont noyés dans l’anonymat. La Méditerranée est devenue un cimetière, et les Européens regardent ailleurs.
Il n’est plus possible de gérer les migrations sans un partenariat renforcé avec les pays d’origine, et il est inadmissible de les presser à collaborer avec l’Union en fonction d’objectifs excessivement focalisés sur le contrôle migratoire et la réduction du nombre de tentatives de traversées, au détriment de la protection des droits humains. C’est particulièrement vrai à l’égard de la Libye, où plus personne n’ignore que de graves violations de ces droits sont commises, où les femmes deviennent esclaves sexuelles et les hommes sont vendus pour 400 dollars, quand ils ne sont pas torturés jusqu’à ce que leurs familles payent une rançon.
L’Europe, depuis des années, s’est engagée dans une course vers l’abîme pour maintenir hors de nos frontières les personnes ayant besoin de notre protection, usant de manière croissante du refoulement des migrants sous l’œil passif, sinon complice, de Frontex.
Une autre voie est possible, celle de la tenue des engagements de réinstallation, de la généralisation des visas humanitaires, de l’assouplissement du regroupement familial, de la facilitation à poursuivre des études en Europe. Bref, il s’agirait de développer des voies de migration sûres et légales. L’Europe doit prendre ses responsabilités et signer des accords durables avec des pays tiers respectueux des droits de l’homme. Elle doit réorienter et renforcer son partenariat avec notre voisinage sud.
Nous attendons de la France qu’elle pèse au Conseil européen pour que celui-ci trace une voie vers plus de solidarité et d’humanité.
À ce titre, l’expérience de l’accord Union européenne-Turquie, signé voilà maintenant cinq ans, doit être source d’enseignements.
Certes, cet accord a permis de réguler l’arrivée de migrants sur les îles et les côtes grecques, et d’aider légitimement Ankara à gérer l’afflux de plus de 3 millions de réfugiés syriens. Mais il a aussi offert à M. Erdogan la formidable opportunité de devenir notre maître chanteur et de se départir du respect de ses engagements quand bon lui semblait – comme en mars 2020, lorsqu’il ouvrait les frontières de son pays pour faire pression sur l’Europe et la Grèce –, ou de manière plus générale en battant en brèche le droit international et les principes démocratiques, sans réaction sérieuse de l’Union européenne.
Nous saluons à cet égard la position de la France, qui a soutenu la Grèce face aux violations de ses frontières maritimes et aériennes, en signant un contrat de vente de 18 avions Rafale, considéré par Florence Parly comme un choix résolument européen, ou encore en menant la semaine dernière un exercice de contre-terrorisme sans précédent au large de la Crète, destiné à envoyer un message à M. Erdogan.
Celui-ci souffle depuis quelques semaines le chaud et le froid. Le chaud, en retirant les bateaux prospectant dans les eaux territoriales grecques aux abords de Kastellorizo ou de Chypre, pays avec lequel il est, d’autre part, convenu de reprendre les discussions fin avril sur le devenir de la partie nord, occupée par la Turquie. Le froid, en menaçant de dissolution le parti démocratique du peuple, en emprisonnant M. Gergerlioglu, déchu de son mandat de député de l’opposition et condamné à deux ans et demi de prison, ou en arrêtant M. Turkdogan, coprésident de l’association des droits de l’homme.
La Commission veut l’apaisement, la reconduction de l’accord migratoire, un agenda positif. D’accord, mais la réponse de M. Erdogan sur ces propositions, c’est le retrait de son pays de la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe, premier traité fixant des normes juridiques contraignantes pour prévenir les violences sexistes.
Monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes dit « préoccupé par ce recul des droits », et nous partageons fortement ce sentiment.
Au regard de la montée actuelle des tensions en mer Égée et en Méditerranée, comment la France compte-t-elle peser, lors du Conseil européen, pour que l’Union avance en faveur d’une politique migratoire respectueuse des droits humains, sans être l’otage d’un régime comme celui de M. Erdogan, qui bafoue l’État de droit et la démocratie ?
De même, alors que le nouveau président américain Joe Biden a exprimé très franchement son opinion sur Vladimir Poutine, le reconnaissant coupable de museler son opposition par la violence, le Conseil de cette semaine doit de nouveau s’interroger sur la nature de nos relations avec la Russie.
Il y a un mois, de nouvelles sanctions ciblées avaient été décidées par les Vingt-Sept en réponse à l’emprisonnement d’Alexeï Navalny. Elles n’ont pas eu d’effets. La France va-t-elle emboîter le pas à l’administration américaine et plaider pour plus de fermeté, pour un renforcement de l’aide à la société civile, pour lutter plus efficacement contre la désinformation ou les attaques des hackers russes ? Va-t-elle au contraire se ranger derrière ceux qui ne veulent pas froisser ce pays, dont dépendent un tiers des fournitures de gaz de l’Union européenne, ce qui pose par ailleurs la question de notre autonomie stratégique et de la diversification de nos approvisionnements ?
Je dirai enfin un dernier mot sur la politique extérieure de l’Union à l’égard de la Chine. Nous saluons les premières sanctions prises par les Européens à l’encontre de plusieurs responsables de la province du Xinjiang, coupables de persécutions contre la minorité musulmane des Ouïghours. La réponse de la Chine n’a pas tardé, symbolique car frappant des parlementaires européens dont la liberté d’expression dérange Pékin.
Monsieur le secrétaire d’État, l’Union est en pleine négociation d’un accord sur les investissements. Peut-on croire aux promesses de la Chine, ou celles-ci n’engagent-elles que ceux qui les reçoivent, notamment sur le sujet du travail forcé des Ouïghours, qu’elle nie, ou le respect des règles de l’Organisation internationale du travail (OIT) ?
Monsieur le secrétaire d’État, vous l’aurez compris, mon intervention vise à obtenir des éclaircissements sur la politique extérieure de l’Union et la position de la France. L’Europe doit à nos yeux se réaffirmer comme puissance économique, mais aussi politique, et promouvoir ses valeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’agenda de ce Conseil européen suscite de très nombreuses interrogations. Loin d’un inventaire à la Prévert, je m’efforcerai de soulever les questions que se posent nos concitoyens.
La pandémie de covid-19 demeure le principal point à l’agenda. Les derniers jours ont été mouvementés autour de la politique vaccinale européenne et des doutes sanitaires concernant le vaccin AstraZeneca. Jeudi dernier, nous apprenions la rédaction d’une lettre de mise en demeure de la Commission européenne à l’endroit de l’entreprise anglo-suédoise concernant les retards de livraison. Quelques jours avant, l’Italie bloquait 250 000 doses à destination de l’Australie.
La Commission européenne souhaite aujourd’hui renforcer le mécanisme européen d’autorisation des exportations de vaccins contre la covid-19. Quelle est la position de la France, monsieur le secrétaire d’État ?
La politique vaccinale européenne stagne, et cela nous préoccupe. Des problèmes de répartition des vaccins entre pays membres de l’Union européenne ont été soulevés, obligeant la Commission à se justifier, encore une fois.
Monsieur le secrétaire d’État, ne devrions-nous pas nous doter d’un outil européen de gestion de crise adapté ? La Commission européenne n’est évidemment pas faite pour cela.
Le vaccin n’en représente pas moins une lueur d’espoir pour une Europe qui vient de passer douze mois dans l’incertitude, et qui doit faire face à une crise économique violente et profonde. L’Agence européenne des médicaments a renouvelé sa confiance dans le vaccin AstraZeneca, en le qualifiant de sûr et d’efficace. Quelles sont les perspectives de la stratégie vaccinale européenne pour ces prochaines semaines ?
La Commission européenne a également mis sur la table une proposition de règlement pour un certificat numérique vert destiné à faciliter la libre circulation durant la pandémie. Le calendrier prévoit sa mise en œuvre directe dès la fin du mois de mai, un horizon très proche. La France a-t-elle identifié des lignes rouges ? Je pense notamment au stockage des données, les États membres ayant fait à ce sujet des choix différents lors du développement de leur application anti-covid.
Quelles sont les pistes en ce qui concerne les déplacements extraeuropéens, en particulier au niveau de la reconnaissance des différents vaccins dans ce passeport vaccinal ?
Le sujet de la pandémie est aussi celui de la crise, et surtout celui de la relance économique, qui doit être au rendez-vous. Bien que cela ne soit pas inscrit formellement à l’ordre du jour, pourriez-vous nous dresser un état des lieux de son avancée ?
Ce point conduit directement à la question de la fiscalité numérique, indispensable pour rembourser notre emprunt commun. Ce dossier complexe a suscité de grandes attentes chez nos concitoyens. En parallèle, il est indispensable que nous développions nos propres outils numériques : c’est là un enjeu de souveraineté majeur pour l’avenir, comme l’a précisé Christian Cambon dans son propos introductif.
Autre sujet inquiétant, notre souveraineté alimentaire. Nous avons constaté, lors de la première vague de covid-19, que la sécurité et l’indépendance dans ce domaine étaient cruciales. Nous sommes nombreux à nous inquiéter de la tournure que prennent les discussions sur la réforme de la politique agricole commune (PAC), notamment le risque de renationalisation rampante que représente l’émergence de vingt-sept plans stratégiques nationaux, ouvrant la voie à des distorsions de concurrence et à un delta de répartition entre le premier et le deuxième pilier.
Il est aussi question d’indépendance dans la gestion de nos relations extérieures, un sujet sur lequel les Européens sont mis à l’épreuve depuis des mois.
Concernant la Russie, tout d’abord, le début de l’année a été marqué par un coup dur pour la diplomatie européenne, qui oscillait entre faiblesse et désunion manifeste. Notre réponse ne peut pas être guidée par des intérêts nationaux contradictoires, notamment en termes d’indépendance énergétique. Notre force diplomatique doit donc s’affirmer. Monsieur le secrétaire d’État, quel sera le discours de la France sur les dernières évolutions du dossier russe ?
La question est la même pour la Méditerranée orientale, où la position de la Turquie, qui s’éloigne de plus en plus de nos valeurs, est préoccupante. Sa place au sein de l’OTAN questionne. En atteste sa décision récente de se retirer de la convention d’Istanbul de 2011, dont l’objectif est de prévenir et combattre la violence faite aux femmes.
Pour finir sur une note plus positive, j’ai noté que le Royaume-Uni, pour la première fois depuis son départ, avait évoqué des relations constructives et positives avec l’Union européenne dans le domaine de la politique étrangère et de la sécurité commune, même si ses représentants ont bien évidemment précisé qu’ils choisiraient le cadre de l’OTAN.
En conclusion, nous le voyons, l’Europe dans cette crise est face à son destin. Aurons-nous la force de rebondir collectivement ? L’Européen convaincu que je suis l’imagine encore, à condition de réactualiser notre logiciel commun. Les grands défis industriels et technologiques ne peuvent être portés qu’au niveau européen. Il y va de la place de l’Europe dans le monde de demain. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et au banc de la commission. – MM. Claude Kern et Cyril Pellevat applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous serons particulièrement attentifs à ce que feront ou ne feront pas les dirigeants européens à la fin de cette semaine. Cette attention va sans doute dépasser le cercle des initiés, car je crois que nos attentes précises, nos exigences d’avancées concrètes, sont partagées par bon nombre de nos concitoyens.
C’est d’abord évidemment face à la pandémie que l’Europe est attendue. Le choix de jouer collectif pour le groupement des commandes et l’approvisionnement en vaccins était le bon. Il ne produit cependant pas les résultats escomptés : les engagements de livraison ne sont pas tenus, les taux de vaccination sont toujours inférieurs à 10 % et la nette différence avec le Royaume-Uni, le Chili, les États-Unis ou Israël, par exemple – et l’incompréhension des opinions publiques qui en découle –, incite les uns et les autres à la tentation de rompre cette cohésion européenne et de faire cavalier seul pour leur fourniture en vaccins.
Cette évolution est délétère. Comment pourrait-on, avec ce retour du « chacun pour soi », imposer un rapport de force aux laboratoires pharmaceutiques ? Comment pourrait-on mettre en œuvre, dans une telle désorganisation, la mobilisation industrielle qui s’impose pour la production massive de vaccins ? Comment, si ce repli généralisé se confirmait, pourrait-on conduire l’indispensable soutien à la vaccination des populations les plus précaires de la planète ?
Aujourd’hui, à peine dix pays concentrent les trois quarts des personnes vaccinées dans le monde. Qui peut croire que l’on viendra à bout d’une pandémie mondiale en poursuivant de cette façon ?
Nous attendons donc de l’Europe qu’elle écarte ces dérives néfastes, qu’elle assume complètement lors de ce Conseil son choix d’agir collectivement face à la pandémie, qu’elle manifeste clairement sa détermination à ne pas rester au milieu du gué. La communication récente du commissaire Thierry Breton n’y suffira pas, même s’il est déterminé. Nous attendons des actes forts pour engager la production sur l’ensemble des sites qui le peuvent, pour mettre les laboratoires pharmaceutiques dans la logique de transparence, de mobilisation et, disons-le, de discipline collective qui est nécessaire.
Des sommes considérables d’argent public soutiennent la recherche et l’innovation technologique des laboratoires pour la riposte à la pandémie ; on ne peut pas gaspiller cet argent dans l’opacité, la désorganisation, le cynisme et la cupidité. Pour optimiser la disponibilité et le caractère abordable des vaccins, il faut une dérogation temporaire aux obligations prévues par l’OMC sur la propriété intellectuelle.
Les dirigeants européens sont attendus par l’Afrique du Sud, l’Inde, par plus de cent gouvernements, des organisations non gouvernementales, des syndicats et par le directeur général de l’OMS, pour peser afin que le vaccin devienne « bien public mondial ». Vous avez utilisé cette expression, monsieur le secrétaire d’État, encore faudrait-il lui donner corps !
Une autre attente forte vis-à-vis de nos dirigeants européens, c’est le renforcement de la transparence fiscale. Au moment où les dépenses publiques sont mises à forte contribution face à la pandémie, l’évasion fiscale pratiquée par de nombreuses multinationales apparaît totalement intolérable pour l’immense majorité des Européens. C’est là-dessus qu’il faut agir, par des dispositifs volontaristes et efficaces, plutôt que d’envisager d’énièmes réformes structurelles qui saccageraient le bien commun que constituent les services publics.
La directive en faveur d’un reporting public et obligatoire s’avérerait extrêmement efficace, puisqu’elle permettrait de vérifier que les impôts sont bien payés là où ils doivent l’être. Elle permettrait d’identifier les lacunes du système et d’avoir les données pour agir afin de garantir la justice fiscale et mettre fin à la concurrence déloyale fondée sur l’abus du système.
Nous ne voulons pas que les négociations interinstitutionnelles réduisent cette ambition. Aussi, nous n’acceptons pas le principe de la clause de sauvegarde que porte apparemment le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d’État. Permettre aux multinationales de garder secrètes pendant six ans des informations comptables basiques, sous prétexte d’un possible préjudice à leur position commerciale, affaiblirait considérablement l’exigence de transparence fiscale. Nous attendons des dirigeants européens qu’ils assurent un dispositif robuste.
Dans l’ordre du jour dense de ce Conseil européen, il y a aussi la politique industrielle. Notre conviction à cet égard est que la réindustrialisation en Europe et la création des emplois qualifiés de demain passeront par l’innovation industrielle bas-carbone. Cette ligne responsable, rationnelle et lucide n’a pas encore gagné face aux tenants d’un ancien monde qui minimisent toujours l’urgence climatique.
Le débat sur le futur ajustement carbone aux frontières montre crûment combien ces deux lignes s’affrontent. À quinze voix près, les plus conservateurs des parlementaires européens viennent d’emporter un vote qui voudrait maintenir les droits à polluer octroyés gratuitement aux industries hautement polluantes.
Ce traitement spécial temporaire entendait soutenir la compétitivité de ces industries considérées comme exposées à un risque de délocalisation. Il ne peut se perpétuer, car il deviendrait caduc avec l’instauration du mécanisme d’ajustement carbone. L’ambition doit en être maintenue : ne laissons pas certains lobbies vouloir le beurre et l’argent du beurre sans même faire les efforts requis pour le climat. Ces quotas gratuits ont fait leur temps, ils sont incompatibles avec l’ajustement carbone aux frontières, pour des raisons environnementales, d’abord, mais aussi de compatibilité avec le droit de l’OMC.
Nous attendons donc de ce Conseil européen qu’il fixe clairement la ligne de la stratégie industrielle pour que l’opportunité de la conversion vers l’économie décarbonée soit pleinement saisie et que nos industries ne soient pas fragilisées par des logiques à courte vue. (M. André Gattolin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen reviendra, comme il le fait désormais chaque mois, sur la gestion de la crise sanitaire, et se concentrera plus particulièrement sur la question du déploiement des vaccins sur le continent.
Les retards accumulés en la matière par rapport à d’autres pays bien plus performants comme Israël, le Royaume-Uni ou les États-Unis ont suscité de nombreuses critiques, qu’il s’agisse d’une certaine naïveté européenne dans la passation de ces contrats, ou de la lourdeur de ses procédures au regard de la gravité et de l’urgence de la situation sanitaire et économique.
L’exaspération face à ces lenteurs a d’ailleurs conduit certains États membres – l’Autriche, le Danemark, la Slovaquie, la Hongrie et la République tchèque – à sortir des rangs de la stratégie vaccinale commune, voire à s’affranchir des avis de l’Agence européenne des médicaments, pour se tourner sans attendre vers la Russie ou la Chine, leur offrant au passage une victoire symbolique indéniable sur l’Union européenne.
Après les cacophonies désastreuses observées lors de la première vague, ce nouvel accès de désunion montre que pour l’Europe, le risque n’est pas seulement sanitaire et économique mais aussi politique. Pour maintenir l’unité de ses membres, elle doit faire la preuve de sa plus-value, c’est-à-dire de sa capacité à obtenir des résultats que les États n’auraient pu atteindre en agissant seuls.
Force est de constater que nous n’y sommes pas encore en matière vaccinale, et que la spirale de la défiance envers l’Union européenne s’est réenclenchée.
Naturellement, les failles dans l’approvisionnement ne sont sans doute pas toutes imputables à la seule stratégie mise en place et exécutée par la Commission. Il conviendra de dresser dans les semaines et les mois à venir un bilan exhaustif et objectif pour tirer les leçons de ce qu’il faut bien qualifier, malheureusement, d’échec.
Mais, pour l’heure, permettez-moi tout de même de m’interroger sur un élément en particulier. La semaine dernière, Mme von der Leyen précisait en effet qu’avec 41 millions de doses exportées vers 33 pays, dont près de 10 millions vers le Royaume-Uni et plus de 1 million vers les États-Unis, l’Europe était le principal fournisseur de vaccins dans le monde.
Or, dans le même temps, nous apprenions que les nouveaux retards de livraison annoncés par AstraZeneca n’étaient pas seulement liés à des difficultés de production, mais aussi à des restrictions d’exportation en Inde, aux États-Unis et, selon le président du Conseil, Charles Michel, au Royaume-Uni.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez déclaré en évoquant ces retards d’AstraZeneca que l’Europe devait « défendre ses intérêts par tous les moyens possibles, judiciaires en dernier recours, car les contrats doivent être respectés ».
Je souscris bien évidemment à ces propos, mais le décalage entre le rythme de la vaccination en Europe, le volume des exportations de vaccins depuis son territoire et l’attitude que nous découvrons de la part de certains pays est trop grand. Il impose d’aller plus loin. Je pense notamment au mécanisme d’autorisation des exportations, prorogé le 11 mars, et qui n’a été activé à ce jour qu’une seule fois, par l’Italie.
Les chefs d’État et de gouvernement devraient s’employer à le renforcer, non pour singer le « nationalisme vaccinal » pratiqué par certains États, mais par exemple pour lui adjoindre une clause de réciprocité qui interdirait l’exportation de vaccins vers les pays qui font le choix de restreindre l’approvisionnement de l’Europe.
En tout état de cause, le Conseil européen devra trouver des solutions rapides et efficaces pour accélérer la cadence et ne pas donner aux citoyens européens le sentiment d’être abandonnés par l’Union au moment où leur besoin de protection est plus fort que jamais.
Un mot enfin sur le semestre européen 2021, qui sera également au menu du prochain Conseil. La Commission a proposé au début du mois de proroger jusqu’à la fin 2022 la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance, qui permet aux États membres de déroger aux règles budgétaires et à celles qui encadrent les aides d’État.
Face aux conséquences économiques de la pandémie, qui se feront encore sentir durant de longs mois, le maintien à ce stade d’une orientation budgétaire expansionniste apparaît en effet inévitable.
Cependant, il est tout aussi inévitable, une fois l’urgence sanitaire et économique surmontée, que les finances publiques nationales retrouvent une trajectoire soutenable, en particulier dans les pays très lourdement endettés comme la France.
Le pacte de stabilité et de croissance devra donc à terme trouver à s’appliquer de nouveau, mais peut-être de manière différente, puisque la Commission a fait part de sa volonté de relancer au deuxième semestre de cette année le débat sur la réforme et la simplification du cadre européen de gouvernance économique et budgétaire.
Certaines pistes commencent à se dessiner, que ce soit au Parlement européen ou au sein même de la Commission, notamment au travers des prises de parole de M. Gentiloni. À n’en pas douter, de très nombreuses propositions seront faites d’ici à la clôture de cet ample débat.
Celui-ci ne devra toutefois pas perdre de vue un certain nombre de fondamentaux, essentiels pour préserver tant la solidité que la compétitivité de la zone euro. Ainsi, si le cadre révisé pourra éventuellement faire preuve de davantage de souplesse et de réactivité, il n’en devra pas moins rester suffisamment strict pour assurer dans chaque État membre le retour à des niveaux soutenables de dépense et de dette, et promouvoir les réformes structurelles propices à la croissance.
Monsieur le secrétaire d’État, bien qu’il n’en soit qu’à ses balbutiements, pouvez-vous nous préciser sur quelle ligne la France compte entrer dans ce débat et quelles grandes propositions elle compte défendre à cette occasion ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Claude Kern. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 17 mars 2021 a marqué le triste anniversaire du début du premier confinement en France. La crise sanitaire que nous vivons a permis à l’Europe de montrer qu’elle était capable d’apporter une réponse forte et coordonnée sur plusieurs sujets, par exemple le plan de relance voté par le Parlement européen le 11 février dernier. Ce dernier permettra de réinjecter 672,5 milliards d’euros dans l’économie européenne.
Si cet effort de coordination doit être salué, force est de constater que nous ne retrouvons pas cette même coordination dans la vaccination des populations des différents pays de l’Union européenne.
La Commission européenne a autorisé la mise sur le marché conditionnelle de quatre vaccins, permettant aux États membres d’entamer leurs campagnes de vaccination dès le 27 décembre. Celles-ci ont été ralenties par les problèmes de production rencontrés par les laboratoires.
Au 15 mars, 7,8 % de la population française avait reçu au moins une première injection de vaccin, une proportion inférieure à la moyenne observée dans l’Union européenne, qui était alors de 8,2 %.
La progression de la vaccination sur le territoire de l’Union européenne semble bien plus lente qu’au Royaume-Uni, aux États-Unis ou encore en Israël, ce qui nous conduit à nous interroger sur la stratégie vaccinale européenne.
Malgré les problèmes d’approvisionnement, la Commission européenne tente de coordonner la distribution des doses et les campagnes de vaccination dans l’ensemble des États membres. Elle a ainsi garanti l’égal accès des Vingt-Sept aux doses de vaccin. C’est un objectif important, que nous saluons, mais, au vu des importants flux de population qui traversent l’espace européen, nos pays sont particulièrement interdépendants. En d’autres termes, parvenir à l’immunité collective en France sans l’atteindre en Espagne n’aurait que peu d’utilité.
Or, pour l’instant, la proportion des personnes vaccinées au sein des populations des États membres varie de un à quatre. En témoigne la carte actualisée par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, qui permet de suivre l’évolution des campagnes de vaccination de chaque pays. Comment expliquer ces différences avec nos voisins ?
Cet engagement montre ses limites, à en croire notre ministre de la santé, Olivier Véran. Alors que Paris avait annoncé qu’il disposerait de 1 million de doses du vaccin au 31 décembre, ce dernier a affirmé, le 5 janvier, que la Commission européenne avait décidé de plafonner les livraisons par pays à 520 000 doses par semaine afin de faciliter la logistique et d’assurer un traitement équitable entre tous les pays.
Les premières livraisons de doses du vaccin de Moderna, à hauteur de 500 000 par semaine en ce qui concerne la France, devaient permettre de dissiper les craintes quant à une potentielle pénurie. Il n’en a rien été.
Conséquence de ce manque de doses, l’Allemagne, pays traditionnellement partisan d’une approche coordonnée au niveau européen, a signé des contrats bilatéraux avec Pfizer-BioNTech, Moderna et CureVac, a-t-on appris par voie de presse. Si Berlin a rappelé que ces contrats avaient été signés après les négociations au niveau européen, permettez-nous de nous étonner de cette démarche.
En parallèle, le Danemark et l’Autriche ont lancé un projet de production de vaccin de deuxième génération avec Israël, tandis que la Pologne se tourne pour sa part vers le vaccin chinois Sinopharm et la Slovaquie vers Spoutnik V. Autant d’initiatives bilatérales qui témoignent des inquiétudes des États membres face aux lenteurs de la stratégie vaccinale européenne.
Le manque de coordination entre nos pays ne semble pas se limiter à la stratégie vaccinale. Comme ma collègue Véronique Guillotin, je pense au cas des travailleurs transfrontaliers de la Moselle. Ainsi, 16 000 travailleurs doivent, depuis le 2 mars, pratiquer un test antigénique toutes les quarante-huit heures pour être autorisés à entrer dans le Land de la Sarre.
Étant donné le niveau de contrainte que cela représente pour nos concitoyens concernés, ces décisions sont d’autant moins comprises que nos voisins allemands sont, eux, autorisés à venir faire leurs courses dans un rayon de 30 kilomètres et sans test. Comment expliquer ces mesures à deux vitesses ?
M. Bruno Sido. Ce n’est pas normal !
M. Claude Kern. Sur une note un peu plus optimiste, je souhaiterais évoquer le projet de règlement de la Commission européenne, publié le 17 mars dernier, concernant l’émission d’un passeport digital vert permettant, notamment, la reprise du trafic des voyageurs entre les pays européens.
Pouvez-vous nous préciser, monsieur le secrétaire d’État, les arbitrages arrêtés quant à l’utilisation d’un tel certificat ? Faudra-t-il être vacciné pour pouvoir se déplacer librement au sein de l’Union européenne ou un simple test négatif enregistré dans ce certificat pourra-t-il suffire ? Qu’en est-il des ressortissants européens vivant en dehors de l’Union ? Pourront-ils se faire vacciner avec un vaccin autre que ceux qui sont autorisés par l’Union européenne et circuler dans nos vingt-sept pays ?
Enfin, seront abordées mercredi les relations entre l’Union européenne et la Turquie.
Les dirigeants des institutions européennes se sont entretenus vendredi dernier avec le président Erdogan, plaidant pour un apaisement des relations entre l’Union européenne et son pays. La Turquie a pourtant acté, samedi, son retrait de la convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, et ce quelques heures après la tenue, par la commission permanente de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, d’un débat déplorant les attaques majeures des autorités turques contre les droits de l’homme et la démocratie.
La première victime de cette politique populiste et réactionnaire sera de nouveau le peuple turc. Comment interpréter ce signe inquiétant ? Quelles seront les réactions de nos dirigeants européens face à cette décision ?
Telles sont les quelques questions que je souhaitais vous poser, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. Le prochain Conseil européen, au-delà de la stratégie vaccinale, traitera particulièrement des grandes priorités pour le marché unique, des grands axes de la politique industrielle et de la transformation numérique. J’aimerais, monsieur le secrétaire d’État, vous faire part de quelques remarques et vous poser des questions sur ces points de l’agenda.
La pandémie de covid-19 impacte profondément l’Union européenne et nous incite à préciser ses priorités, dans la fidélité à ses valeurs fondamentales de démocratie et de solidarité.
On dit souvent que nos concitoyens tendent à prendre leurs distances avec le projet européen. En réalité, ils souhaitent de l’efficacité. Ils nous demandent surtout d’axer les politiques européennes dans les domaines qui leur semblent les plus pertinents, qui leur apparaissent les plus structurants. Comme hier pour la sidérurgie, le charbon ou l’énergie, il nous faut aujourd’hui déterminer les secteurs d’activité qui assureront, demain, à nos concitoyens et à leurs enfants emplois et revenus décents. Pour cela, ils réclament des engagements clairs, lisibles et démocratiquement débattus.
Une Déclaration commune du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne a officiellement lancé, le 10 mars 2021, la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Comme assemblée parlementaire, comme groupes politiques, nous y prendrons toute notre part.
Nous devons conduire une stratégie industrielle offensive pour l’Union européenne En la matière, nous n’oublions pas que, pour l’heure, l’Union ne dispose, selon les traités, que de compétences limitées, « de soutien et de coordination » essentiellement. Néanmoins, dans ce contexte étroit, l’Union est parvenue à faire beaucoup ces dernières années. Ainsi, le plan Juncker a été un moment clé pour la prise de conscience de la nécessité de développer une stratégie économique et industrielle ambitieuse. Cela a été poursuivi par la présidente von der Leyen.
La Communication de la Commission européenne du 10 mars 2020 intitulée « Une nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe » a été une autre étape cohérente. Les cinq grands axes alors définis demeurent très largement valides dans la période. Néanmoins, le contexte que nous connaissons avec la crise sanitaire nous incite à les adapter sans doute plus rapidement et fortement.
L’accord du 10 novembre 2020 entre les institutions européennes sur le budget à long terme de l’Union et sur le plan de relance donne des moyens nouveaux. Cependant, avec la crise qui s’installe dans la durée, ne devrait-on pas envisager avec pragmatisme un renforcement ?
Ce qui nous semble essentiel, monsieur le secrétaire d’État, c’est l’affirmation de l’autonomie stratégique de l’Europe dans le domaine industriel. De ce point de vue, nous souhaitons pouvoir disposer du document d’actualisation de la stratégie industrielle pour l’Europe, qui devait être publié depuis plusieurs semaines déjà.
Par ailleurs, au-delà des retards dans sa campagne vaccinale, la France, berceau historique de la recherche médicale en Europe et dans le monde, a reçu un terrible camouflet en se révélant incapable de produire un vaccin. Comment le Gouvernement et les pouvoirs publics entendent-ils aujourd’hui redresser cette situation et faire de nos laboratoires, de nouveau, des leaders européens ?
En France, lorsque l’on évoque une réussite industrielle emblématique de l’Europe, on se tourne souvent vers le secteur aéronautique et la réussite d’Airbus face à ceux que l’on appelait, à l’époque, les « géants » américains.
On réduit cette réussite aux vingt ou vingt-cinq dernières années et à l’accord capitalistique ayant donné naissance à EADS puis au groupe Airbus. Or il y a eu en amont, avec le concours d’industriels, mais aussi de responsables administratifs et politiques de différents pays, tout un travail de développement de projets communs, de petites et grandes coopérations. C’est cette dynamique vertueuse qu’il s’agit de recréer pour de nouveaux secteurs qui, demain, permettront à l’Union européenne de compter et de s’imposer face aux géants mondiaux.
Le développement méthodique d’écosystèmes industriels, grâce à la coopération entre grandes entreprises, PME innovantes, à la recherche et à une main-d’œuvre qualifiée, est une des clés de la réussite de demain. C’est particulièrement évident pour des secteurs d’activité récents, comme la transition énergétique ou numérique. Sur ce point, nous souhaiterions des éclaircissements sur vos orientations.
Catherine Morin-Desailly a évoqué l’indispensable action française pour l’industrie du numérique, qui sera décisive pour notre avenir. J’ai travaillé avec elle, au sein de cette assemblée, sur les propositions législatives européennes relatives aux marchés et services numériques. Nous avons finalisé un travail sur la désinformation en ligne et les atteintes aux processus électoraux, et nous prolongerons ces travaux au cours des mois prochains.
Je salue la publication par la Commission européenne, voilà quelques jours, de son plan d’action « Boussole numérique 2030 ». La crise sanitaire met en évidence une accélération des besoins dans le domaine du numérique. C’est une opportunité qu’il convient de saisir pour en faire un pilier de la relance européenne et un axe de l’autonomie stratégique européenne dans le futur.
Pour cela, l’Union européenne doit améliorer fortement sa capacité d’acheminement, de stockage et de traitement des données, pour la recherche comme pour les entreprises, afin de ne pas avoir à les traiter hors d’Europe, comme l’a souligné ma collègue.
Les besoins en investissements publics et privés, notamment en France, sont considérables, en particulier dans la réalisation d’infrastructures. Il convient d’augmenter la connectivité partout, de produire davantage de composants et de semi-conducteurs en Europe, de développer les technologies quantiques : autant de défis stimulants pour nos chercheurs, nos entreprises, nos travailleurs, français et européens.
Monsieur le secrétaire d’État, comment porterez-vous ces enjeux de souveraineté numérique, fondamentaux d’un point de vue tant économique que démocratique ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen se réunira donc ces deux prochains jours. Une fois n’est pas coutume, son ordre du jour n’est pas des plus chargés, mais il se penchera tout de même sur des sujets d’importance pour l’Union européenne, comme la lutte contre la covid-19, et plus spécifiquement le déploiement des vaccins, mais aussi les relations avec la Turquie et la Russie, ou encore le marché unique et la transformation numérique. C’est sur ce dernier point que je souhaite m’attarder, et notamment sur la « boussole numérique » que la Commission a récemment présentée, et qui sera examinée par les chefs d’État et de gouvernement.
Cette boussole vient fixer des objectifs en matière de numérique pour l’Union européenne à l’horizon 2030. J’ai plusieurs fois plaidé pour que l’Union ait des ambitions plus grandes en la matière. Je ne peux donc que me réjouir de ces orientations et de cette planification en amont, qui permettra de compléter la stratégie de l’Union européenne en matière de nouvelles technologies. La politique actuelle reste en effet largement insuffisante face aux mastodontes que sont la Chine et les États-Unis. L’Europe est toujours fortement dépendante de ces pays, malgré ses efforts.
À ce sujet, la Commission européenne a très justement indiqué que l’Union devait renforcer l’investissement dans le numérique. Elle prévoit un objectif de 20 % de dépenses dans ce domaine, par le biais de la facilité pour la reprise et la résilience, et ce en complément du budget européen déjà dédié à ce secteur.
Ces financements devraient alors permettre une véritable transformation digitale et un plus grand développement en Europe des nouvelles technologies, telles que les voitures connectées, les intelligences artificielles ou encore les supercalculateurs. Concernant ces derniers, le Sénat avait adopté une résolution, que nous avions déposée avec mes collègues André Gattolin, Claude Kern et Pierre Ouzoulias. Celle-ci rappelait l’importance stratégique du calcul à haute performance et encourageait les efforts faits par l’Union européenne en ce sens.
Néanmoins, si l’Europe veut devenir un véritable leader en matière de calcul à haute performance, il est nécessaire que des progrès soient faits pour asseoir la souveraineté de l’Union sur toute la chaîne de valeur scientifique et industrielle. Implanter des supercalculateurs en Europe est une bonne chose, mais cela ne suffira pas si ceux-ci sont fabriqués par des entreprises étrangères.
À ce jour, une grande partie des appels d’offres lancés en Europe pour de tels équipements sont remportés par des entreprises américaines et chinoises, faute d’une compétitivité suffisante des entreprises européennes. Utiliser des pièces étrangères pose pourtant des problèmes de sécurité, car cela rend difficile la détection de logiciels espions qui pourraient être implantés par les pays tiers fabriquant ces pièces. Il est donc extrêmement important que l’Union européenne ait une vision ambitieuse et qu’elle s’impose sur toute la chaîne de valeur.
Monsieur le secrétaire d’État, quels leviers seront-ils mobilisés pour atteindre ces objectifs ?
En outre, la question des intelligences artificielles sera abordée. La boussole numérique devrait également permettre d’investir plus massivement dans ce secteur d’avenir. L’Europe accuse pour le moment du retard, et il est important qu’elle s’attache à le rattraper si elle ne souhaite pas devenir dépendante de l’Amérique du Nord et de la Chine, comme elle l’est aujourd’hui en matière de numérique.
L’Union européenne a déjà mis en place de nombreux mécanismes pour investir dans l’intelligence artificielle, mais cela ne suffit pas. Le Conseil européen avait d’ailleurs invité la Commission, en octobre, à se pencher sur les moyens d’accroître les investissements publics et privés dans la recherche, l’innovation et le déploiement des intelligences artificielles.
Le Sénat avait, quant à lui, dès 2019, invité l’Union à faire de l’intelligence artificielle un projet important d’intérêt européen commun (PIIEC), par le biais d’une résolution européenne. Pourtant, cette recommandation n’a pas été suivie d’effet, la mise en place d’un tel projet n’ayant été reprise ni dans le Livre blanc de la Commission sur l’intelligence artificielle ni dans la boussole numérique.
Faire de l’intelligence artificielle un PIIEC serait pourtant l’un des moyens de renforcer les investissements dans ce domaine, les règles relatives à la concurrence au sein de l’Union empêchant de faire émerger des champions européens dans des domaines stratégiques.
Les PIIEC sont l’une des seules façons de contourner ces règles et de permettre aux États d’aider certaines entreprises en menant une véritable politique industrielle. L’intelligence artificielle remplit la totalité des critères fixés pour en bénéficier, et des garanties sont prévues pour maintenir les exigences de transparence et éviter de trop grandes distorsions de concurrence. Alors, pourquoi refuser de mobiliser ce mécanisme, alors même qu’il est l’outil idéal pour aller dans le sens des orientations fixées par la Commission ?
Il ne suffit pas de conclure qu’il faut investir davantage, si les moyens dont l’Europe dispose pour ce faire ne sont pas mis en œuvre… Aussi, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer si la France compte soutenir la mise en place d’un PIIEC pour l’intelligence artificielle ? Savez-vous pourquoi la Commission n’a pas prévu de le proposer pour l’instant ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen de jeudi et vendredi prochains traitera pour partie de la transition numérique de l’Union européenne. Outre la fiscalité du secteur, les chefs d’État et de gouvernement aborderont plus globalement la stratégie européenne en matière de numérique à l’horizon 2030.
Cette stratégie, la boussole numérique de la décennie pour l’Union européenne, a été récemment présentée par la Commission et se décompose en quatre axes : transformation numérique des entreprises ; numérisation des services publics ; compétences ; infrastructures numériques sûres et durables.
L’actualité devrait me pousser à évoquer la sûreté des infrastructures numériques, après l’incendie de l’entreprise OVH à Strasbourg, qui renforce nos interrogations sur les centres de données européens et leur sécurité. Alors que les Gafam pénètrent l’Europe avec une force concurrentielle immense depuis plusieurs années, l’une des seules entreprises françaises et européennes du marché risque d’éprouver des difficultés à la suite de cet incident, ce qui doit pousser l’Union européenne à accélérer le mouvement sur ce sujet d’importance.
Néanmoins, je souhaite plutôt m’attarder ce soir sur les effets du numérique sur le climat et l’environnement.
L’empreinte environnementale du secteur est une source de préoccupations pour les années à venir. Le numérique représente, au niveau mondial, plus de 2 % des émissions de gaz à effet de serre, soit autant que l’ensemble du trafic aérien. Sans action particulière, il pourrait représenter 14 % des émissions mondiales d’ici à 2040. L’enjeu est donc bel et bien devant nous si nous souhaitons atteindre l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050.
La Commission européenne, dans sa Communication pour façonner l’avenir numérique de l’Europe, s’est saisie de ce défi. Deux grandes mesures sont développées dans ce document.
En premier lieu sont préconisés l’adoption de mesures en matière d’efficacité énergétique et d’économie circulaire pour les réseaux et les équipements, ainsi qu’un travail sur les marchés publics durables. L’écoconception des appareils et leur cycle de vie sont d’ailleurs évoqués dans le plan d’action pour l’économie circulaire présenté récemment, et qui nécessitera des ajustements législatifs.
Ces questions touchant à la vie quotidienne des Européens, il faut que ces propositions se concrétisent dans les années à venir. L’engagement des États membres sur cette question est crucial.
En second lieu, la Commission européenne prône des mesures d’efficacité énergétique pour les centres de données, avec un objectif de neutralité sur le plan climatique d’ici à 2030.
Les centres de données sont par ailleurs de véritables leviers de flexibilité énergétique, puisqu’ils permettent de stocker l’électricité des installations d’énergies renouvelables intermittentes. De telles solutions sont déjà développées dans plusieurs pays européens, dont le Royaume-Uni, l’Irlande ou la Suède. Ce sont principalement des initiatives issues des échelons locaux. Il est donc important que les collectivités territoriales soient associées à cette initiative européenne.
Le Sénat s’est saisi du sujet de l’empreinte environnementale du numérique, d’abord à travers une mission d’information conduite par mes collègues Patrick Chaize, Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte, puis avec une proposition de loi, adoptée à la quasi-unanimité de notre assemblée. L’objectif de ce travail parlementaire était bel et bien d’aller au-delà de la feuille de route présentée par le Gouvernement.
Comme le préconise le Haut Conseil pour le climat, le Sénat s’est intéressé à l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur afin de traiter l’enjeu de manière globale. Infrastructures, terminaux, usages, réseaux : les mesures à envisager sont nombreuses, mais ce travail de mes collègues soulignait aussi l’importance de les articuler à l’action européenne.
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est un premier levier pour intégrer les émissions pour la production et l’importation des terminaux dans le prix d’achat. Cette mesure rendra de facto les appareils issus du reconditionnement et de la réparation beaucoup plus attractifs qu’actuellement. La question des usages vidéo doit également se régler à l’échelle européenne, puisqu’elle nécessite une discussion avec les géants du numérique.
Transitions écologique et numérique doivent être menées de front à l’échelle européenne.
Monsieur le secrétaire d’État, quelle position la France portera-t-elle sur la réduction de l’empreinte environnementale du numérique ? Quelles mesures l’Union européenne pourrait-elle adopter sur cette question ?
Cette réflexion est d’autant plus importante à l’aune de la pandémie que nous subissons depuis maintenant plus d’un an. Celle-ci a en effet conduit le numérique à prendre une place encore plus importante dans nos vies quotidiennes, et notamment nos vies professionnelles avec le développement du télétravail.
La seule porte de sortie identifiée de cette pandémie à l’heure actuelle est la vaccination. Les commandes de vaccins ont été opérées à l’échelle européenne, mais – l’ensemble des dirigeants européens s’accordent à le dire –, l’approvisionnement en vaccins du continent doit s’accélérer.
Il est donc impératif que l’ensemble des commandes soient assurées par les laboratoires et que le rythme de vaccination augmente significativement. La reprise de l’ensemble des activités en dépend, notamment en France.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous assurer que cette montée en puissance sera effective aux échelons européen et français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les dirigeants de l’Union européenne se retrouvent jeudi et vendredi à Bruxelles pour discuter, entre autres sujets, de la riposte à la pandémie de covid-19 et dresser un nouveau bilan de la stratégie vaccinale européenne.
Cette stratégie repose sur deux piliers : la solidarité et l’équité. On ne peut que s’en réjouir, car, compte tenu de l’interdépendance des économies européennes, il est indispensable que les Vingt-Sept puissent avoir accès au vaccin au même moment et aux mêmes conditions de prix.
L’accord conclu entre les États membres et la Commission en juin 2020 répartit clairement les rôles de chacun : à la Commission de négocier avec les entreprises pharmaceutiques pour l’achat anticipé de vaccins ; aux États membres de commander, acquérir et régler les doses de vaccin auprès des producteurs, selon leurs demandes et leur responsabilité.
La politique de vaccination reste donc bien de la compétence des États membres. C’est ce qui explique, d’ailleurs, le retard pris par la France sur ses voisins en matière de vaccination.
En privilégiant le vaccin AstraZeneca, moins cher que ses concurrents, notre pays subit les retards de production et de livraison de l’entreprise pharmaceutique, qui ne pourra fournir que 70 millions de doses sur les 300 millions prévues d’ici au mois de juin.
Au-delà de nos problèmes franco-français, nous aurons, le moment venu, à tirer les conséquences de cette gestion de la crise sanitaire par l’Union européenne.
Les statistiques de vaccination restent peu flatteuses en Europe lorsqu’on les compare au reste du monde : 9 % de primo-vaccinés contre 33 % au Royaume-Uni et même 55 % en Israël. Et que dire des start-up biotech ou des géants pharmaceutiques, qui n’ont pas eu l’écoute nécessaire au sein de l’Union européenne ?
La pénurie de masques, de composants et de matières premières pour les vaccins rend également indispensable une réindustrialisation de l’Europe dans ces secteurs stratégiques. Se posera aussi la question de la juste répartition des compétences entre États membres et Union européenne en matière de santé.
Si les Français réclament une plus grande coordination sanitaire au niveau européen, les traités excluent toute idée d’harmonisation afin de tenir compte des spécificités de chaque État membre. Le Sénat l’a rappelé à la Commission dans une résolution pour non-respect du principe de subsidiarité. Les États membres doivent pouvoir garder la main sur leur politique de santé.
Le Conseil européen doit également se pencher sur la question de la taxation du numérique. Les négociations internationales sur le sujet reprennent sous des auspices plus favorables avec l’élection de Joe Biden. Cela retarde la proposition législative qu’est censée faire la Commission sur le sujet d’ici au 1er juin. Pouvez-vous nous garantir, monsieur le secrétaire d’État, que le calendrier prévu sera respecté ?
Je voudrais enfin mentionner la nouvelle réforme de la PAC, en voie d’adoption, laquelle ne correspondra manifestement pas aux demandes du Sénat exprimées dans les quatre résolutions européennes que nous avons adoptées depuis 2017. Nos principales sources d’inquiétudes portent sur sa mise en œuvre, qui va aboutir à une renationalisation, autrement dit à un remplacement d’une politique commune par vingt-sept politiques agricoles nationales, sur fond de distorsions de concurrence supplémentaires et de dumping social et environnemental.
Nous avons également des réserves sur la stratégie biodiversité de la Commission européenne, qui prévoit, à l’horizon 2030, soit dans neuf ans seulement, de renoncer à 10 % de la surface agricole utile européenne, tout en diminuant de 50 % l’utilisation des pesticides et en quadruplant les terres converties au bio.
Nous sommes tous d’accord pour verdir les activités agricoles, et les agriculteurs y ont pris toute leur part en faisant beaucoup d’efforts depuis déjà quarante ans. Mais il faut pouvoir disposer de produits de substitution efficaces et assurer un revenu décent à nos agriculteurs.
Espérons que le Conseil et la Commission sauront reprendre les apports positifs du Parlement européen pour la nouvelle PAC.
L’enjeu est crucial, car l’Europe est aujourd’hui à la croisée des chemins. Les États-Unis ont récemment tablé sur une diminution de 12 % de la production agricole européenne à l’horizon 2030. Si ces prédictions se révélaient exactes, c’est que nous aurions collectivement accepté de renoncer à notre ADN : nourrir le reste du monde et assurer la souveraineté alimentaire de notre continent. Nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d’État ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 21 septembre 2020, l’Union européenne appelait à une reprise forte et à une Europe compétitive et durable, via la suppression des obstacles au commerce au sein de l’UE, la simplification des procédures administratives et l’empêchement des obstacles de nature réglementaire.
Les 1er et 2 octobre 2020, les dirigeants de l’Union européenne soulignaient la nécessité de revenir, dès que possible, à un marché unique pleinement opérationnel. Ils demandaient plus particulièrement la suppression des obstacles injustifiés, en particulier dans le domaine des services, le façonnement d’un nouveau système de gouvernance économique mondiale ou encore des investissements dans l’utilisation efficace des compétences.
Six mois plus tard, les obstacles administratifs, les obstacles de gestion et les obstacles du « en même temps » nous hantent toujours ; ils hantent toujours la France, avec l’exemple contagieux et ô combien alarmant de la vaccination chez nous.
« On est prêts », disiez-vous, monsieur le secrétaire d’État, avec tous les autres membres du Gouvernement. Malheureusement, la réalité nous montre le contraire : l’avenir est loin d’être serein. La France est la tortue de la vaccination, mais le lièvre de la communication (Sourires.).
Des vaccinodromes, certes, mais avec quoi, et pour quoi ? Notre maillage médical territorial n’est-il pas suffisant ? Alors que les Français ont confiance en leur médecin, nos personnes âgées vont devoir se confronter à ces lieux ; un déplacement de leur médecin ou de leur infirmier serait pourtant plus rassurant, dans un contexte fortement anxiogène.
Je vous rappelle, monsieur le secrétaire d’État, que nous avons en France 100 000 docteurs médecins généralistes et 50 000 pharmaciens. Si chacun d’entre eux recevait 10 personnes par jour, il y aurait quotidiennement 1,5 million de vaccinés, ou du moins d’injections : plus de 45 millions de personnes seraient vaccinées au bout d’un mois. Encore faudrait-il bien sûr avoir un nombre suffisant de vaccins !
Or à quel niveau de vaccination sommes-nous aujourd’hui ? Au plus bas, en comparaison avec nos voisins européens. L’heure est grave ; après un an de crise sanitaire, le constat est sans appel : les Français en ont assez, ils sont angoissés, ils sont anxieux ! Nous sommes donc loin des conditions humaines de la reprise forte que souhaite l’Union européenne et que nous souhaitons tous.
Économiquement, le constat est aussi alarmant. Là encore, les chiffres parlent d’eux-mêmes : ils montrent une fois de plus que la France est en bas du classement.
Les chiffres de la balance commerciale française sont parus : le déficit atteint 82 milliards d’euros pour la France, alors que son voisin allemand connaît 180 milliards d’euros d’excédent – oui, d’excédent, et non de déficit ! – et que l’Italie, dont on se moque parfois, connaît elle aussi un excédent, de 63 milliards d’euros.
Et la sonnette d’alarme continue de retentir ! La part de marché de la France dans le commerce international a chuté en vingt ans de près de 35 %, passant de 5,1 % à 3,5 %, soit une chute bien supérieure à la moyenne de l’Union européenne, alors même que la part de marché de l’Allemagne augmentait, pour s’établir à 7,2 %, soit plus du double du niveau français.
Mon exemple suivant portera sur un fleuron français : l’industrie automobile. Selon les chiffres de l’Insee, alors que la France produisait 13,1 % des automobiles européennes en 2000, cette proportion n’est plus que de 6,7 % aujourd’hui, alors que la part de l’Allemagne est passée dans le même temps de 40,6 % à 44,5 %.
Quant à l’industrie agroalimentaire, la France assurait en 2000, en valeur, 7 % des exportations mondiales dans ce secteur, contre environ 4,5 % aujourd’hui. La part de l’Allemagne, dans le même temps, est passée de 5,1 % à 5,4 %.
Je pourrais continuer cette liste : ainsi, pour l’industrie pharmaceutique, la part de la France est de 6,3 % des exportations dans le monde, alors que l’Allemagne détient 15 % de ces parts de marché.
Nous n’avons plus de top sector, comme on dit en bon français ! Je me pose donc clairement la question suivante : la France va-t-elle devenir une colonie allemande ? Au-delà de ces comparaisons, nous devenons, faute de force suffisante, une caisse de résonance de l’Allemagne : ces chiffres révèlent que la situation française est dégradée, voire désastreuse !
En revanche, la France aime sa démocratie ; elle n’est pas une colonie de la Macronie ! (Sourires.)
On entend parler d’un éventuel report des élections départementales et régionales, alors que tous les autres pays votent, notamment nos voisins européens !
M. André Gattolin. Mettez-vous d’accord !
M. Laurent Duplomb. Je vous rappelle, monsieur Gattolin, que douze pays de l’Union européenne ont tenu des élections depuis mars 2020, sans compter la Suisse, qui a organisé des élections cantonales et trois referendums, dont le dernier s’est tenu récemment, le 7 mars dernier.
M. André Gattolin. Eh oui !
M. Laurent Duplomb. Outre les Pays-Bas, dont les élections législatives viennent d’avoir lieu, deux pays de l’Union européenne prévoient de tenir des élections d’ici à la fin du mois de juin : des élections législatives se tiendront en Bulgarie le 4 avril et des élections régionales dans le Land de Saxe-Anhalt le 6 juin 2021.
Par ailleurs, le Royaume-Uni organise ses élections locales et des élections législatives en Écosse et au Pays de Galles le 6 mai 2021.
Comment pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, envisager un report de ces élections ? Ce serait dangereux pour notre démocratie et démontrerait, une fois de plus, que vous employez des moyens détournés pour parvenir à vos fins !
Monsieur le secrétaire d’État, plutôt que de communiquer, vous devriez agir : agir pour redresser notre économie, agir pour la vaccination, agir pour l’avenir de la France et non pour reporter les élections ! Confucius disait : « L’homme de bien préfère être lent à parler, mais prompt à agir. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, après les propos pleins d’optimisme et de légèreté de M. Duplomb, je vais m’efforcer, une fois n’est pas coutume, d’être le lièvre de la réponse ! (Sourires.)
Si vous m’y autorisez, je veux vous offrir quelques éléments de réponse qui soient les plus complets possible, en regroupant par grands thèmes les remarques et interpellations qui ont été formulées.
J’aborderai en premier lieu la question de la vaccination, car c’est, à juste titre, celle qui préoccupe le plus et sera donc en tête de l’ordre du jour du Conseil européen. Je veux notamment rétablir certains faits et apporter plusieurs précisions au sujet du cadre européen de vaccination.
On voit bien – je l’ai dit très honnêtement – que ce cadre n’est pas parfait aujourd’hui. C’est un fait qu’il y a dans le monde des pays qui vont plus vite en la matière que les États membres de l’Union européenne. Il faut savoir pourquoi et essayer d’y remédier, sans pour autant noircir un tableau qui n’en a pas besoin.
Si l’on procède à des comparaisons internationales, on peut constater qu’il y a essentiellement trois pays qui vont plus vite que les pays de l’UE.
Deux grandes économies importent particulièrement, du fait de leur taille : les États-Unis et le Royaume-Uni. Quant au troisième, Israël, qui est souvent cité en exemple, il s’agit d’un cas assez particulier : cet État a accepté de conclure avec un laboratoire pharmaceutique un accord permettant de lui fournir des données médicales, en échange d’une livraison plus rapide de doses de vaccination. Je ne crois pas que nous aurions fait un tel choix.
Il faut aussi relever – je ne m’en félicite pas ! – que certains pays dont on nous dit qu’ils ont trouvé la solution miraculeuse pour procéder à une campagne de vaccination n’ont pas, de fait, réalisé de miracles. On nous avait vanté les prétendus mérites de la Chine dans la gestion globale de la crise sanitaire ; on nous promet le vaccin libérateur de la Russie. Pourtant, ces deux puissances vaccinent, en proportion, deux fois moins vite que les pays de l’Union européenne.
Précisons enfin, puisque des comparaisons imprécises, voire fausses, sont parfois faites, que la France n’est pas la lanterne rouge de la vaccination au sein de l’Union européenne, très loin de là. En proportion de la population adulte, même si nous devons collectivement aller plus vite, nous sommes devant l’Allemagne, devant l’Italie et devant l’Espagne.
M. Guillaume Chevrollier. Mais derrière la Roumanie !
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Certes, monsieur le sénateur, nous ne sommes pas les premiers du classement de l’Union européenne, mais les différences sont très faibles entre les différents pays, hormis quelques exceptions assez atypiques, comme Malte, qui a pu aller très vite du fait de sa petite taille.
Toujours est-il que nous ne sommes pas la lanterne rouge de l’UE : nous sommes plus rapides que les Allemands, que les Espagnols ou que les Italiens, pour prendre des pays comparables au nôtre par leur taille. Je ne dis pas que tout va bien, mais il faut tout de même remettre les choses dans leur contexte et à leur juste place.
On sait que le sujet, pour l’Union européenne, c’est l’accélération de la production et de la livraison de vaccins. Cela se fera, non par des stratagèmes ou des tensions, mais en éprouvant toutes les solutions, jusqu’aux plus innovantes, pour que nous soyons livrés plus vite.
Cela implique tout d’abord de passer des contrats supplémentaires ; c’est ce que nous avons fait, notamment, avec le laboratoire Pfizer, qui nous a déjà livré au premier trimestre plus de doses que prévu et qui nous livrera encore au deuxième trimestre 10 millions de doses supplémentaires par rapport aux prévisions. Cela fait partie des bonnes nouvelles !
Il faut ensuite mettre la pression sur les laboratoires qui connaissent des retards ; on sait bien qu’il est question ici d’un laboratoire en particulier, à savoir AstraZeneca.
Dans de tels cas, il faut utiliser tous les leviers qui sont à notre disposition. Cela peut aller, comme je l’ai dit, jusqu’à des recours juridiques, mais soyons honnêtes : à court terme, ce n’est pas un recours en justice qui va nous apporter des flacons de vaccin !
On essaie donc de régler les problèmes industriels et de trouver des solutions créatives, innovantes, voire exceptionnelles – la période l’exige ! –, comme des accords croisés de production. C’est ce que nous avons incité le laboratoire Sanofi à faire, afin de produire, dès cet été, des vaccins Johnson & Johnson et Pfizer dans ses sites français et allemands. Nous mobilisons toutes ces solutions.
Ensuite, nous défendons nos intérêts. Je défends le cadre européen, parce qu’aucun de ces vrais problèmes de production ne serait mieux réglé dans un cadre national, me semble-t-il ; si vous voulez connaître ma conviction, je pense même que ce serait exactement le contraire, parce qu’on ajouterait aux problèmes actuels une guerre entre pays européens pour les doses de vaccin.
Beaucoup d’entre vous ont fait l’éloge de la coopération européenne et réaffirmé sa nécessité. Je partage volontiers cette position, d’autant que je ne suis pas sûr que, si l’on était en train de se faire la guerre entre Français, Allemands, Espagnols ou Italiens pour acheter des doses de vaccin, nous en sortirions gagnants ; je suis même persuadé que nous sortirions tous perdants d’un tel conflit, parce que la campagne de vaccination en Europe serait bien plus décalée d’un pays à l’autre, alors que c’est aussi notre intérêt que de voir les vaccinations aller au même rythme dans des pays voisins.
La défense de nos intérêts implique la mise en place de mécanismes tels que des contrôles des exportations. De nombreux orateurs ont souligné leur pertinence ; je le prends comme un encouragement pour cette réunion du Conseil européen. Vous avez notamment évoqué, monsieur Rapin, l’idée d’un principe simple de réciprocité.
On peut comprendre les problèmes industriels d’un laboratoire comme AstraZeneca, parce qu’il s’agit d’une campagne exceptionnelle et, somme toute, d’une prouesse industrielle.
Pour autant, on ne peut pas comprendre que, quand on a signé un contrat, on soit moins bien traité que d’autres signataires de contrats ; je pense au Royaume-Uni, qui a signé son contrat avec AstraZeneca en même temps que nous, et même un jour plus tard ! Une fois de plus, ne nous concentrons pas sur les faux problèmes : ce n’est pas une affaire de signature ou de délai administratif dans la signature des contrats.
Vous avez également justement rappelé, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous devrons tirer de la crise des leçons en matière de compétence sanitaire européenne. Celle-ci n’existait pas auparavant ; on l’a construite au cours de la crise. Le problème que nous avons rencontré à l’échelle européenne est que nombre de pays européens, dont la France, ont subi un retard industriel par rapport à d’autres puissances pharmaceutiques ou d’innovation.
C’est notamment le cas vis-à-vis des États-Unis d’Amérique, qui ont plus investi que nous, plus vite, et sur plus de vaccins et de technologies risquées. En outre, ils avaient dès l’origine une capacité de production plus grande, même si nous la rattrapons à un rythme rapide.
Plusieurs d’entre vous ont cité à cet égard les efforts déployés par le commissaire français Thierry Breton pour accélérer nos capacités de production. Nous sommes en voie de tenir notre objectif : d’ici à la fin de l’année, la capacité annuelle de production de vaccins sur le territoire de l’Union européenne atteindra 2 à 3 milliards de doses. Cela fera de nous, avec les États-Unis, le premier producteur mondial de vaccins, et de loin !
M. Laurent Duplomb. On en est loin !
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Il convient de replacer les choses dans ce contexte et de relever les améliorations que l’on est en train d’apporter, au fur et à mesure et le plus vite possible. Je le répète : le seul sujet sur lequel nous allons nous concentrer est la production et la livraison de vaccins ; quant au reste, il ne s’agit pas de vraies réponses à une situation qu’il faut, objectivement, améliorer.
Je veux à présent vous apporter quelques éléments de réponse au sujet de la relance et de la stratégie économique, qui ont été évoquées par nombre d’entre vous et, en particulier, par M. le rapporteur général de la commission des finances.
Pour être précis et apporter une note positive en cette heure tardive, je ferai remarquer que plus de neuf États membres, de fait, sont arrivés au bout de la procédure d’autorisation du plan de relance européen : la procédure parlementaire est en effet achevée dans quatre États supplémentaires, auxquels il ne reste plus qu’à notifier la ratification aux autorités européennes ; on peut donc considérer que treize États ont aujourd’hui ratifié ce plan de relance, soit près de la moitié des membres de l’Union. Il faut encore accélérer !
Une dernière phase doit, elle aussi, être accélérée, à savoir la discussion avec la Commission européenne de chacun des plans de relance nationaux. Pour répondre à la question qui m’a été posée sur le calendrier, je préciserai que c’est à la fin du mois d’avril que le programme national de relance et de résilience sera communiqué, en même temps que le programme de stabilité ; il fera sans doute alors également l’objet d’un débat devant votre assemblée.
Je veux brièvement revenir sur les comparaisons, parfois imprécises, qui sont établies entre le plan européen et le fameux « plan Biden » de relance de l’économie américaine. Il ne convient pas de comparer celui-ci aux 750 milliards d’euros du plan de l’Union européenne, parce qu’il ne s’agit pas d’un plan de relance, mais principalement de mesures d’urgence portant sur le pouvoir d’achat ou le chômage partiel.
De telles mesures sont mises en place dans les États membres de l’UE en dehors du plan de relance : quand vous additionnez l’ensemble des mesures d’urgence et des plans de relance nationaux et européens qui ont été mis en place, même si le total est encore imprécis, on avoisine sans doute les 2 000 milliards d’euros, soit une somme très voisine de celle du plan américain.
Rappelons également qu’une partie des mesures du « plan Biden », notamment les mesures sociales de soutien au pouvoir d’achat des ménages, sont liées au fait que l’économie américaine a vingt points de dépense publique de moins que la France, ce qui a des inconvénients en temps de crise.
Il y a dans ces dispositifs un effet de rattrapage qui empêche une comparaison directe avec nos mesures, en particulier de chômage partiel. Je ferai remarquer à ce propos que la Commission européenne a relevé la semaine dernière que la France avait été le pays de l’Union européenne qui avait décaissé le plus de moyens pour aider les entreprises, les salariés et le pouvoir d’achat durant cette crise.
Je veux maintenant faire un point sur les questions numériques, qui sont également à l’ordre du jour de cette réunion du Conseil européen et que plusieurs d’entre vous ont évoquées.
La taxation du numérique sera évoquée, de même que la souveraineté numérique au sens large, dont M. Pellevat a parlé. La boussole numérique pour 2030 est un concept important ; concrètement, il s’agit de chantiers que l’on doit faire avancer d’ici à la présidence française et au cours de celle-ci.
Des propositions législatives seront faites en ce sens, autour de la cryptomonnaie ou de cryptoactifs, mais aussi de la souveraineté de nos centres de stockage de données, un sujet très important. Vous savez d’ailleurs que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne nous incite à relocaliser ces centres.
Nous avons subi le dramatique incendie du centre de stockage de l’entreprise OVH, à Strasbourg, mais il existe des acteurs européens qui peuvent être nos champions du stockage de données. Parfois, on n’a pas le réflexe d’imposer le recours à des solutions européennes pour le cloud ou, en meilleur français, les centres de données ; parfois, on ne dispose pas des règles nécessaires pour le faire.
J’en avais pris un exemple très concret lors de notre précédent échange, parce que la souveraineté numérique passe d’abord par ce genre de choix : nous avons refusé une solution de stockage sur des serveurs non européens pour les données de la présidence française, au profit d’une solution européenne, à savoir OVH.
C’est possible, et il faut renforcer cet avantage : cela fera partie des discussions relatives à la souveraineté numérique. Ce concept figure d’ailleurs pour la première fois dans le projet de conclusions de ce Conseil, qu’il conviendra de préciser.
J’en viens aux questions relatives à la francophonie, confus que je suis d’avoir utilisé le terme de cloud. (Sourires.) M. Gattolin a souligné à juste titre l’importance de ces questions.
Je pourrai en faire un long exposé, quelques jours après la Semaine de la francophonie et sa Journée internationale, mais je puis d’ores et déjà vous annoncer que Jean-Baptiste Lemoyne et moi-même serons accompagnés de la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie, l’OIF, le 8 avril prochain, à Bruxelles, pour rencontrer la présidente de la Commission, le président du Conseil européen et beaucoup d’autres acteurs des institutions européennes et souligner auprès d’eux la nécessité, pendant la présidence française et au-delà, de recourir davantage au français.
En effet, il s’agit non pas seulement de francophonie, mais plus largement de multilinguisme, et il ne faut pas tomber dans un réflexe anglophone qui est d’autant moins justifié après le Brexit.
Mme Catherine Morin-Desailly. Très bien !
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Cette approche est justifiée d’un point de vue défensif : nous devons être extrêmement fermes pour que tous les documents et les interventions soient traduits et disponibles en français et dans d’autres langues ; la présidence française sera l’occasion de s’en assurer.
Toutefois, il nous faut aussi une approche plus offensive, en renforçant à l’occasion de notre présidence nos actions de formation et nos démarches en faveur de l’attractivité de la langue française, notamment dans la pratique quotidienne des institutions européennes. Vous avez raison, monsieur Gattolin, ce sujet est extrêmement important.
Permettez-moi, madame la présidente, de revenir brièvement sur un autre point tout aussi important que j’ai omis de mentionner au sujet de la vaccination : on a affirmé de beaucoup de pays qu’ils étaient sortis du cadre européen, mais tel n’est pas le cas, même s’ils en ont eu la tentation. Il y a parfois eu en la matière, si vous me permettez l’expression, un peu d’« intox » ou de communication politique.
Ainsi, le Danemark et l’Autriche n’ont pu trouver en dehors du cadre européen, des millions de doses de vaccin : il n’y a pas de solution miracle ! De fait, ils n’en ont même trouvé aucune et n’ont procédé à aucun achat en dehors du cadre européen. On avait un moment évoqué un contrat complémentaire conclu par l’Allemagne avec Pfizer et BioNTech : ce contrat n’a pas été signé, et l’Allemagne a intégré de nouveau le cadre européen, pour une nouvelle commande de 300 millions de doses du vaccin Pfizer-BioNTech.
Pour être tout à fait précis, deux pays ont passé des commandes complémentaires : la Hongrie et la Slovaquie. Vous avez d’ailleurs pu constater que cette commande va entraîner la chute du gouvernement slovaque, parce que les formations minoritaires de la coalition au pouvoir n’ont pas accepté ce choix de sortir du cadre européen.
Or les doses promises par la Russie n’arrivent qu’au compte-gouttes ; les Slovaques se sont en outre aperçus qu’il était assez risqué de recourir à un vaccin qui n’était pas autorisé, à ce stade, par l’Agence européenne des médicaments : ces doses russes, en nombre limité, ne sont donc même pas utilisées à ce jour en Slovaquie !
Je le répète, il n’y a pas de solution miracle en Europe, avec des vaccins russes ou chinois qui nous sauveraient. À ce propos, la Pologne a eu des contacts avec la Chine, mais elle n’a finalement pas commandé de vaccins chinois.
Monsieur Laurent, vous avez évoqué la question de la propriété intellectuelle et des brevets, en citant le Président de la République quant à l’idée d’un accès généralisé aux vaccins, considérés comme un bien public mondial.
C’est exactement ce que nous faisons, mais la levée des brevets n’est pas la bonne réponse, car elle créerait un doute sur la rémunération de l’innovation dans un domaine où – cela a d’ailleurs constitué une difficulté – des start-up, parfois européennes, ont investi massivement et ont besoin de cette rémunération. Certains laboratoires, dont AstraZeneca, il faut le reconnaître, vendent déjà leur vaccin à prix coûtant. Ce n’est pas le cas d’autres laboratoires, qui ont besoin d’amortir leur investissement dans une certaine mesure.
En revanche, ce n’est pas aux pays qui n’ont pas les moyens d’accéder aux vaccins, notamment en Afrique, d’assurer cette rémunération du secteur privé.
C’est exactement pour cette raison que la France a, la première, proposé l’initiative européenne et le mécanisme Covax. Nous avons commencé à livrer un certain nombre de doses, même si nous sommes tous confrontés à un problème de rareté. Malgré ces difficultés, nous avons déjà envoyé près de 30 millions de doses dans 33 pays.
C’est le Président de la République qui, lors du dernier sommet européen, a proposé que nous vaccinions en priorité, malgré nos propres difficultés d’approvisionnement, tous les soignants africains d’ici à l’été prochain. Il le redira jeudi, car c’est la priorité absolue si l’on veut que leurs systèmes de santé tiennent dans une période extrêmement difficile.
Nous sommes à la manœuvre sur ce point. Aussi, dépassons les postures : la bonne solution est de passer par ce système où nous achetons des doses pour les donner à des pays qui n’en ont pas les moyens. C’est d’ailleurs pourquoi l’Union européenne est la zone qui, dans le monde, a commandé le plus de doses – 2,6 milliards, soit bien plus que nos propres besoins –, de manière à en donner un certain nombre et à assurer une vaccination mondiale.
Au vu de l’heure qui avance, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d’être plus rapide dans ma réponse à vos autres questions, voire à pratiquer une forme d’oubli plus ou moins délibéré ! (Sourires.)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Vous y répondrez devant notre commission !
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Bien volontiers ; je serai ravi de poursuivre ces échanges devant votre commission des affaires européennes.
Je veux cependant répondre en un mot à M. Fernique, qui a fait allusion au mécanisme dit « CBCR », pour Country by Country Reporting, si vous me pardonnez cet affreux anglicisme. C’est grâce à la France que l’on a trouvé un accord au Conseil européen. Certains points, relatifs notamment à la phase de transition, doivent encore être réglés. Il est normal qu’une telle phase soit ouverte.
Pour vous répondre précisément quant aux informations comptables que les entreprises pourraient garder pour elles, nous avons demandé que la clause de sauvegarde s’applique à un nombre très restreint d’informations. La discussion se poursuivra avec le Parlement dans les prochaines semaines ; le rapporteur de ce projet de directive sera un député français de la délégation Renaissance. Ce débat va continuer, mais je tiens à répéter que c’est grâce à la France que ce projet a été débloqué après plusieurs années.
Je reviendrai, si vous le voulez bien, pour un débat plus large sur les droits à polluer et l’articulation avec le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.
Quant aux certificats sanitaires, il ne s’agit certainement pas d’instaurer un passeport, ou un passe, vaccinal. Quoi qu’il arrive, et même quand la campagne de vaccination aura porté ses fruits pour la population adulte, d’ici à l’été, on ne peut pas exclure toute une partie de la population, en particulier les jeunes, de la possibilité de circuler en Europe.
Si passe il y a, il doit être sanitaire, et non pas seulement vaccinal : il faut donc, monsieur Kern, qu’il intègre d’autres modalités, comme le test PCR ou la preuve d’immunité consécutive au fait d’avoir contracté la covid-19.
Je ne reviendrai pas sur la question des supercalculateurs, mais je pense que mes éléments de réponse sur la souveraineté numérique pourront être pertinents face aux interrogations de Mme de Cidrac.
Quant à la PAC, madame Gruny, je vous propose de revenir plus en détail sur cette question dans le prolongement de notre précédent échange. Sachez en tout cas que je partage vos préoccupations !
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous remercie tout d’abord d’avoir été si studieux, en dépit de l’heure tardive de ce débat.
Je le conclurai très brièvement, en trois points.
Premièrement, en écho à André Gattolin et à l’idée d’une « refrancisation » de l’Europe en matière linguistique, je veux à mon tour faire mon mea culpa pour avoir utilisé le terme cloud dans mon exposé. Voyez-vous, monsieur le secrétaire d’État, j’ai un peu de mal à le traduire : il serait difficile d’employer « nuage » dans un tel discours… (Sourires.)
Je veux faire un parallèle immédiat avec l’un des sujets qui va être étudié par le Conseil européen : celui de l’autonomie stratégique. Le terme « autonomie » n’a pas la même compréhension dans ses différentes traductions ; nous pouvons le ressentir différemment que certains de nos voisins ; se pose donc ici un véritable enjeu.
Vous avez évoqué le deuxième enjeu de notre débat dans votre discours préliminaire, monsieur le secrétaire d’État, même s’il n’a pas de lien direct avec ce qui va être étudié par le Conseil européen : il est bon que la Conférence sur l’avenir de l’Europe puisse commencer.
Vous avez évoqué un délai d’un an pour ses travaux ; j’espère qu’il pourra être tenu, mais cela me paraît difficile si l’on veut lui donner l’ambition requise, car il faudra y être studieux et déterminer les échelles de consultation. En tout cas, cette conférence est essentielle pour la continuité européenne.
Pour mon troisième point, j’ai été sensible au discours d’André Reichardt et, en particulier, à ses propos sur le pacte de stabilité.
Un sujet commence d’émerger et nous tombera dessus dans peu de temps, d’ici à la fin de 2022. On commence à entendre des discours sur une reprise éventuellement plus rapide de ce pacte de la part des autres États, notamment de manière à écourter cette période, dès lors que l’on considérera être revenu à la normale.
Toutefois, qu’est-ce qu’un retour à la normale ? Est-ce la reprise de la croissance à un taux de 6 % ou 7 %, après une chute de 12 % ? Est-ce, plus modestement, retrouver le taux de croissance d’avant la crise ? Toutes ces questions sont ouvertes ; elles n’ont pas encore trouvé de réponses. Nous aimons bien, ici, fixer des critères : ils seront essentiels en la matière et il faudra les harmoniser à l’échelle européenne. Vous avez là un sacré travail, monsieur le secrétaire d’État !
Enfin, concernant la vaccination, en santé publique, on a un devoir de moyens. C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je vais vous mettre la pression : vous avez à la fois un devoir de moyens et une obligation de résultats. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDPI.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 25 et 26 mars 2021.
8
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 24 mars 2021 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quarante-cinq :
Débat à la suite du dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes ;
Débat sur le thème : « Quel rôle pour le préfet à l’heure de la relance ? » ;
Débat sur le thème : « Quelle perspective de reprise pour une pratique sportive populaire et accessible à tous ? ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER