M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
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Avenir des entreprises assurant les liaisons trans-Manche
Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Union Centriste, sur l’avenir des entreprises assurant les liaisons trans-Manche.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Michel Canevet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Canevet, pour le groupe Union Centriste. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste a souhaité que nous nous penchions sur les questions maritimes, car il lui semble important que notre pays affiche dans ce domaine une ambition extrêmement forte.
Nous avions apprécié, madame la ministre, la création d’un ministère de la mer, qui permettait d’identifier un interlocuteur ministériel spécifique. Il nous faut désormais mener des actions qui soient à la hauteur du domaine maritime de notre pays, lequel est, je vous le rappelle, le deuxième au monde en étendue.
La question maritime dans notre pays est ancienne. Tout le long du littoral, nous pratiquons la pêche. Penmarc’h, la commune près de laquelle je vis, fut ainsi au XVe siècle un grand port de commerce. Et puisque nous sommes ici au Palais du Luxembourg, n’oublions pas que c’est sous Louis XIII que fut constituée la marine d’État. Nous nous réjouissons, par ailleurs, de l’arrivée récente des derniers concurrents du Vendée Globe.
La mer constitue un sujet très divers, et nous avons souhaité examiner aujourd’hui la question des liaisons trans-Manche. Les relations, anciennes, avec le Royaume-Uni sont en effet importantes pour tous ceux qui vivent sur la façade nord de notre pays. Par exemple, dès 1828, des producteurs de Roscoff allaient vendre leurs oignons en Grande-Bretagne ; ils s’y rendaient sur des gabares qu’ils affrétaient à cette fin : on les appelait les Johnnies. Cela ne date pas d’hier !
Un grand opérateur, issu également du milieu des coopératives agricoles, a été créé en Bretagne en 1972 : la compagnie Bretagne Angleterre Irlande (BAI). Elle existait donc déjà lorsque, au 1er janvier 1973, le Royaume-Uni a intégré la Communauté économique européenne. Les paysans bretons ont alors pu acheminer en Grande-Bretagne une bonne partie de leur production. Est ainsi né un courant de commercialisation et d’échanges de biens, puis de passagers. Rappelez-vous également l’inauguration et la mise en service en 1994 du tunnel sous la Manche, qui a facilité le commerce et les échanges avec les Britanniques.
Tout allait donc bien, et les activités se sont développées jusqu’à la décision des Britanniques, en 2016, de quitter l’Union européenne. Ce Brexit a trouvé sa concrétisation au 1er janvier dernier et a posé des difficultés à l’ensemble des opérateurs en raison du niveau d’incertitude auquel leur activité a été confrontée.
S’y est ajoutée la pandémie actuelle, dont les conséquences sur les opérateurs des liaisons trans-Manche, pour l’essentiel français, ont été considérables. Ceux-ci sont aujourd’hui en grande difficulté : en 2020, Brittany Ferries a perdu 70 % de ses passagers par rapport à 2019, DFDS Seaways 60 % et Eurostar 85 %. C’est dire l’impact économique de la crise que nous connaissons, en plus du Brexit !
Madame la ministre, disons-le clairement, il est important de restaurer les conditions de viabilité économique de l’ensemble des opérateurs du trans-Manche. Confrontés à la concurrence internationale, ceux-ci doivent pouvoir y faire face avec des moyens raisonnables, c’est-à-dire sans être accablés de charges.
Beaucoup a déjà été fait, s’agissant notamment de l’exonération des charges patronales. Il convient d’aller plus loin, car il faudra beaucoup de temps à ces opérateurs pour retrouver une situation leur permettant d’absorber les pertes économiques causées par les difficultés que je viens d’évoquer. Certes, le Gouvernement a mis en place les prêts garantis par l’État (PGE), mais il faudra les rembourser. Un dispositif d’activité partielle a également été prévu, mais les compagnies subissent des déficits et il faudra y remédier.
Parmi les propositions que nous avons formulées figure le net wage, c’est-à-dire le remboursement des charges sociales salariales. Je vous le dis au nom du groupe Union Centriste, madame la ministre : cette question perdurera au-delà de 2021 et de 2022 ; le processus doit donc s’étaler dans le temps afin que les entreprises retrouvent la compétitivité dont elles ont besoin. Nous formons le vœu que vous nous apportiez des réponses quant à la pérennisation de ce système.
Il faut également évoquer la formation des marins qui composeront, demain, la marine française. Si l’on veut avoir un pavillon, il faut des marins, et donc un soutien de leur formation.
La question des investissements portuaires sera sans doute abordée dans le débat. Nos ports doivent devenir de véritables espaces de développement à même d’accueillir le trafic dans les meilleures conditions, face aux principaux ports européens situés sur la façade nord que sont Anvers et Rotterdam, notamment. À ce titre, les corridors européens définis en lien avec l’Union européenne doivent atteindre et intégrer certains ports impliqués dans des échanges internationaux importants, comme Saint-Malo, Roscoff ou Brest.
Un autre point de vigilance concerne le plan de relance, lequel doit aider l’ensemble des ports, et pas seulement les ports d’État, à développer une stratégie forte. Nous attendons également des réponses sur l’aide au verdissement de la flottille.
Nous espérons que le Fontenoy du Maritime que vous avez lancé, madame la ministre, soit l’occasion de réaffirmer que la France a la chance de disposer de grands opérateurs maritimes, comme Brittany Ferries, premier employeur de marins français, mais aussi CMA CGM, entre autres. Ce secteur doit être soutenu ; nous comptons sur ce débat pour que des réponses soient apportées et des pistes esquissées.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Brexit et la pandémie ont mis à rude épreuve les opérateurs de l’espace trans-Manche. Cette zone maritime est particulière car, au transport maritime, très ancien, s’est ajouté depuis 1994 le ferroviaire, avec le tunnel sous la Manche.
Le Gouvernement partage bien évidemment vos préoccupations quant à l’avenir des liaisons entre la France et le Royaume-Uni. Je veux toutefois affirmer d’emblée que l’amitié franco-britannique, même mise à rude épreuve par le Brexit, doit rester vive, et elle le restera grâce à notre attachement commun aux liaisons trans-Manche.
Le constat est clair : si le secteur du transport global – maritime, terrestre, aérien ; je n’oublie pas ce dernier segment – a été touché par la crise de manière hétérogène, le transport sur et sous la Manche a, quant à lui, été très fortement impacté. Les transports opérés sous pavillon français par Brittany Ferries et DFDS Seaways ont connu au printemps 2020 des baisses de fréquentation de passagers jusqu’à 80 % et des pertes de chiffre d’affaires de 75 % par rapport à 2019. Il en est de même pour le tunnel, plus spécifiquement pour l’Eurostar, qui a connu des baisses dans des proportions identiques.
Les mesures sanitaires prises de part et d’autre de la Manche depuis un an empêchent pour le moment la reprise du trafic, mais le gouvernement français n’est pas inactif.
L’État a toujours été aux côtés des opérateurs durant la crise et il le demeurera le temps qu’il faudra, conformément au principe du « quoi qu’il en coûte ». Souvenons-nous des paroles du Président de la République, qui concernent évidemment les transports.
Les dispositifs d’aide d’urgence, comme l’activité partielle, ont été prolongés ; le mécanisme de PGE a été instauré afin d’assurer la trésorerie des entreprises. Cela a été vital pour certains armateurs de la zone, en plus de l’implication des régions, que je dois saluer.
Le processus d’activité réduite de longue durée a également été mis en œuvre. À ce titre, les entreprises peuvent, après un accord avec les organisations syndicales, diminuer le temps de travail et pratiquer la modération salariale, à condition de maintenir intégralement l’emploi.
L’État a porté, dès le début de la crise, une attention toute particulière aux compagnies de ferries, touchées de plein fouet par les mesures de confinement et de restrictions des déplacements.
J’en viens maintenant au net wage, que le Premier ministre a annoncé. J’ai été chargée de mettre en place cette aide, qui oscille entre 20 et 25 millions d’euros pour l’ensemble des compagnies de ferries. Je suis certaine que nous y reviendrons pendant le débat, j’en préciserai alors les conditions.
Les infrastructures nécessaires au rétablissement des contrôles aux frontières ont été installées. Tous les ports français des Hauts-de-France, de Normandie ou de Bretagne ont su anticiper la date de sortie du Royaume-Uni. Il faut le dire, la France a su anticiper ce moment en amont. J’ai d’ailleurs pu le constater moi-même le 3 décembre dernier, lors d’un déplacement à Boulogne-sur-Mer avec le Premier ministre et mes collègues Clément Beaune et Olivier Dussopt.
L’ensemble de ces investissements avoisinent les 20 millions d’euros et la France souhaite que la réserve spéciale d’ajustement au Brexit contribue à leur financement.
Face au lancement, en novembre dernier, par le gouvernement britannique d’une procédure d’appel d’offres pour la création de dix ports francs, la France ne va pas rester sans réponse. Le Président de la République a souhaité que nous nous engagions. Une réflexion a été entreprise pour renforcer l’attractivité de nos zones industrialo-portuaires et une mission a été lancée afin d’étudier la mise en place de dispositifs permettant d’améliorer leur compétitivité.
Le transport ferroviaire n’est pas en reste : Eurotunnel a investi 48 millions d’euros pour le rétablissement des contrôles frontaliers.
Le Brexit crée aussi de nouvelles opportunités économiques avec l’Irlande et les acteurs français savent s’en saisir, comme en témoignent les développements de nouvelles liaisons ou le renforcement des lignes existantes.
L’entreprise Getlink, qui gère l’infrastructure du tunnel sous la Manche, a demandé de pouvoir créer des zones de ventes hors taxes, ou duty free, sur la partie française de la concession. Le port de Calais a fait de même.
S’agissant, enfin, du service Eurostar, le bouclage du plan de sauvetage passe avant tout par un effort des actionnaires et une plus grande implication des banques. Les discussions sont en cours. Le gouvernement français est prêt, s’il le faut, à prendre sa part, mais dans un effort partagé avec le Royaume-Uni.
Enfin, je souhaite évoquer trois sujets majeurs.
Je parlais d’opportunités à venir. J’ai lancé la semaine dernière la seconde phase du Fontenoy du Maritime. Depuis octobre, nous travaillons avec l’ensemble des acteurs sur la compétitivité de notre marine marchande. Cet exercice doit aboutir, avant l’été, à un pacte de performance avec les armateurs et l’ensemble de l’écosystème.
La France possède la deuxième zone économique exclusive (ZEE). C’est bien, mais en tant que ministre de la mer, je souhaite que notre pays soit une grande puissance maritime. Cela passe notamment par une véritable politique publique du shipping, qui nous a longtemps fait défaut. Le Fontenoy du Maritime répondra à cette ambition.
Je parlais d’une action déterminée de l’État : c’est, bien entendu, le cœur de notre démarche dans le cadre de France Relance. Le plan de relance maritime, qui s’élève à 650 millions d’euros, a été pensé pour répondre de la manière la plus concrète aux attentes des acteurs économiques. Les acteurs du portuaire peuvent ainsi bénéficier de 200 millions d’euros pour accélérer la transition écologique et le report modal, deux dimensions clés de leur compétitivité.
J’ai évoqué une stratégie de l’État en matière maritime. La stratégie portuaire, très attendue, a été le point d’orgue de la dernière réunion du comité interministériel de la mer (CIMer). La façade Manche-Mer du Nord n’est pas en reste au regard de cette ambition qui doit toucher plus et mieux les ports décentralisés. (Mme Nathalie Goulet et M. Yves Détraigne applaudissent.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, deuxième secteur le plus producteur de gaz à effet de serre avec près d’un quart des émissions mondiales, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les transports ont une lourde responsabilité dans les bilans carbone nationaux et internationaux. Si la circulation maritime ne représente qu’une petite part de ce volume, elle n’en reste pas moins un élément essentiel, et longtemps sous-estimé, de la transition énergétique.
Plusieurs évolutions se sont fait jour ces dernières années afin de réduire l’impact environnemental du transport, à commencer par la réduction de la vitesse ; un seul nœud de moins peut ainsi permettre d’éviter de 15 % à 20 % des émissions de CO2.
D’autres technologies apparaissent, comme la propulsion vélique, l’électrification des quais, le recours à des carburants alternatifs, le gaz naturel liquéfié (GNL) et, surtout, l’hydrogène.
Pour financer ces nécessaires innovations, la création d’un fonds maritime vert comme mécanisme de suramortissement pour tout investissement vert dans la flotte ou encore l’instauration – enfin ! – d’une taxe carbone sur les carburants marins et aériens doivent être mises en débat.
Madame la ministre, ma question est multiple.
Quelle transition énergétique est-elle prévue pour le transport maritime de voyageurs afin de réduire l’empreinte environnementale des bateaux ainsi que leur consommation ?
Pour ce faire, quels projets peuvent être développés conjointement avec l’Angleterre, comme nous avons su le faire avec Eurotunnel ?
Quel portage comptez-vous faire de cette question au niveau européen et, plus largement, à l’international, étant entendu que seules des actions globales peuvent avoir des impacts significatifs sur ces sujets ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur Jacques Fernique, je connais votre intérêt pour cette problématique, puisque vous êtes membre de la mission d’information relative au transport de marchandises face aux impératifs environnementaux.
La transition énergétique du transport maritime va nécessiter des coopérations internationales, mais aussi public-privé intersectorielles qui dépassent le seul cadre du shipping pour inclure les ports, les fournisseurs d’énergie, les transporteurs, les distributeurs de carburant et bien d’autres acteurs de cet écosystème.
De nombreuses coopérations industrielles voient le jour – et il faut s’en féliciter –, telles que le Cluster maritime français (CMF) qui crée une dynamique très propice en la matière.
Au niveau national, mon ministère porte la charte Sails qui vise à limiter l’utilisation des carburants à fort taux de soufre, mais aussi à adapter la navigation dans les aires marines protégées et à sensibiliser les passagers au respect de l’environnement. Aujourd’hui, 14 compagnies ont déjà signé ces engagements.
Le Gouvernement finalise actuellement un rapport qui sera remis au Parlement sur la décarbonation et la réduction des émissions polluantes dans le transport maritime. Par ailleurs, dans un récent rapport sur la propulsion vélique, Franck Cammas propose des pistes extrêmement intéressantes. Nous suivons ces projets de très près.
En effet, il pourrait en découler, au niveau national, des actions de coopération industrielle ciblant notamment les flottes purement domestiques, et au niveau international, des actions ciblant les lignes internationales, qui sont d’ailleurs relativement protégées de la concurrence internationale et dont les liaisons, du fait de leurs caractéristiques, notamment la durée limitée des rotations, pourraient s’avérer propices au développement de solutions technologiques.
Vous avez évoqué la création d’un fonds maritime vert. C’est l’un des sujets qui seront débattus dans le cadre du Fontenoy du Maritime. Un tel fonds pourrait ainsi voir le jour à l’issue de nos travaux, c’est-à-dire en avril-mai, pour être concrétisé en juin.
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour la réplique.
M. Jacques Fernique. Madame la ministre, je vous remercie de vos éléments de réponse et des pistes tracées. Il semble toutefois nécessaire de fixer des calendriers réalisables pour la mise en place de ces solutions et de déterminer, avec le ministère de la transition écologique, des objectifs clairs et quantifiables d’émissions de CO2 pour le transport maritime de voyageurs.
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Madame la ministre, le secteur maritime trans-Manche est doublement affecté, par le Brexit et par la crise du coronavirus. Il accuse sur l’année 2020 un recul de 80 % de son chiffre d’affaires. L’activité de transport de passagers à ce jour est quasiment inexistante et sans aucune perspective de reprise.
Brittany Ferries est la compagnie la plus touchée par la crise : de 2,5 millions de passagers, elle est passée à 700 000 en 2020. Cette entreprise qui emploie près de 3 000 salariés, dont 1 600 navigants, est un modèle pour la Bretagne mais également pour l’ensemble du secteur touristique.
Je sais que le Gouvernement est actif. Je pense notamment à la répartition très contestée du fonds européen post-Brexit, sujet sur lequel il est très mobilisé. Outre le dispositif de chômage partiel, la compagnie a bénéficié d’un PGE à hauteur de 117 millions d’euros.
En septembre 2020, notre Premier ministre a déclaré que le Gouvernement allait encore accentuer son soutien à la compagnie finistérienne en procédant au remboursement de ses charges sociales pour l’exercice 2021. Cet engagement porte sur un montant de 15 millions d’euros.
Les acteurs économiques du trans-Manche ont acté le principe selon lequel la crise traversée allait structurellement bouleverser leur secteur d’activité. Comme vous l’avez indiqué, madame la ministre, il s’avère nécessaire d’élaborer une stratégie globale dans le cadre du Fontenoy du Maritime. Tel est le sens des travaux que vous menez depuis plusieurs semaines.
Pour surmonter cette crise, ce secteur comme beaucoup d’autres a besoin de perspectives de long terme. Les PGE sont remboursables sur une durée de cinq ans. La compétitivité des armateurs – vous le savez – est un enjeu fondamental face aux avantages concurrentiels dont bénéficient certains pavillons par rapport au pavillon français. Une pérennisation du dispositif de remboursement des charges sociales tout au long de la durée de remboursement des PGE ou, a minima, jusqu’à la fin de la crise sanitaire, pourrait à ce titre être débattue dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
Madame la ministre, ma question porte sur l’engagement pris par le Premier ministre de procéder au remboursement des charges sociales pour l’exercice 2021. Pouvez-vous nous indiquer la date de parution du décret permettant ce remboursement ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Madame la sénatrice Nadège Havet, le transport maritime, notamment trans-Manche, a été très fortement affecté par la crise sanitaire. Les deux compagnies qui opèrent sous pavillon français, Brittany Ferries et DFDS Seaways, ont été particulièrement touchées. Comme je l’ai indiqué précédemment, l’État a été aux côtés des opérateurs et le restera dans la durée.
Vous évoquez le cas spécifique de Brittany Ferries. Cette entreprise, qui est le premier employeur de marins français, a bénéficié – je l’avais souligné dès mon arrivée au ministère – d’un certain nombre de dispositifs d’accompagnement tels que le PGE, à hauteur de 117 millions d’euros, et l’activité partielle. Notre objectif était de maintenir l’emploi. C’est la raison pour laquelle, en sus de ces dispositifs, le Premier ministre a annoncé la mise en œuvre de la mesure net wage à hauteur de 30 millions d’euros. Comme je l’ai indiqué, une fois les chiffres affinés, ce montant se situera vraisemblablement plutôt entre 20 et 25 millions d’euros.
Ce versement s’effectuera par trimestre. Vous m’interrogez à juste titre sur la date de parution du décret d’application de cette disposition, votée dans la quatrième loi de finances rectificative. Ce décret est en cours d’instruction devant le Conseil d’État, dont nous attendons la réponse pour le 30 mars prochain. Nous espérons toutefois être en mesure d’apporter cette aide financière concrète, notamment à Brittany Ferries, au tout début du mois de juillet.
Quoi qu’il en soit, soyez assurée que l’État demeure attentif à la pérennité des armateurs français, notamment dans cette période compliquée et dans cette zone, et qu’il s’attache à poursuivre ses travaux en ce sens dans le cadre du Fontenoy du Maritime. Le net wage fait ainsi partie des sujets qui sont étudiés afin d’apporter des réponses beaucoup plus larges aux difficultés rencontrées. Cela nous permettra aussi d’aider Brittany Ferries.
M. le président. La parole est à M. André Guiol.
M. André Guiol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec plus de 5 000 kilomètres de linéaire côtier métropolitain, la France peut s’enorgueillir de posséder l’une des plus grandes façades maritimes d’Europe. Pourtant, le trafic de nos principaux ports se place loin derrière celui de nos voisins. L’activité du Havre, premier port à conteneurs français, ne représente que le quart, voire le cinquième, de celle de ports comme Rotterdam, Anvers ou Hambourg. Si l’on considère les données en tonnage de marchandises, les résultats ne sont guère différents.
Avec ses 65 millions d’habitants, la France représente la part la plus importante du marché européen après l’Allemagne. Un avantage compétitif ne se bâtit pas en un jour. Cela nécessite des investissements massifs sur le long terme dans les infrastructures et la logistique. Certes, cette différence constatée peut aussi être en partie liée à la géographie. Toutefois, un tel déséquilibre interroge.
Ma question est donc la suivante, madame la ministre : quelle est la stratégie du Gouvernement pour le développement économique de nos littoraux, en particulier de nos ports ? Alors que nous sommes à un tournant de la mondialisation du fait des évolutions socio-économiques, de la montée des préoccupations environnementales, de la crise sanitaire et du Brexit, vers quel secteur devons-nous concentrer nos efforts ? Il peut s’agir aussi bien du commerce de marchandises, des activités industrielles dans les zones portuaires ou de la politique de pêche que du transport de passagers et du développement touristique.
Mon interrogation découle du sentiment général que notre pays ne tire pas suffisamment parti du potentiel que représente sa façade maritime exceptionnelle. Vous l’aurez compris, ma question ne se limite pas strictement à celle, tout à fait légitime, des liaisons trans-Manche. L’objectif est d’essayer de réfléchir également, à plus long terme, à la façon dont la mer peut s’inscrire dans notre trajectoire de redressement économique.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur André Guiol, le ministre chargé des transports Jean-Baptiste Djebbari et moi-même avons récemment présenté notre stratégie maritime à l’horizon 2050, notamment pour les ports.
Vous avez raison de souligner que la crise liée au covid et les désordres qu’elle a engendrés à l’échelon mondial ont renforcé le besoin de fixer un cap clair avec l’ensemble des acteurs portuaires français. Notre ambition est que la France soit le premier port d’Europe en 2030. Nous serons capables d’atteindre cet objectif si nous y consacrons les investissements suffisants et si nous parvenons à créer une dynamique par façade, mais aussi, plus globalement, entre les grands ports et l’ensemble des ports décentralisés.
Cette stratégie repose sur la volonté de créer une dynamique afin d’atteindre des objectifs ambitieux, tels que celui de porter à 80 % la part de marché de fret conteneurisé à destination ou en provenance de la France en 2050.
Au-delà de ces ambitions fortes, il faut que nous parvenions à donner du sens et de la cohérence à l’ensemble de nos actions. Jean-Baptiste Djebbari et moi-même avons ouvert un véritable chantier, et nous allons poursuivre ce travail.
Le ministère de la mer n’est pas seulement chargé des ports, des armateurs et des bateaux, mais bien d’un ensemble unifié. Comment faire en sorte que la France soit demain une vraie puissance maritime ? Le nombre de navires naviguant sous pavillon français nous place en vingt et unième position au niveau mondial. Comment changer cette situation ? Comment améliorer notre positionnement européen ? Comment répondre au besoin de développement touristique des littoraux ?
Le ministère de la mer est aussi le ministère de la planification, des usages et des usagers. C’est le ministère qui soutient l’ensemble de la dynamique économique et qui œuvre pour que notre pays devienne une vraie puissance.
M. le président. La parole est à M. André Guiol, pour la réplique.
M. André Guiol. Dans le contexte actuel, les cartes sont redistribuées et la France a des atouts. C’est peut-être une opportunité de réfléchir à une vraie stratégie, à l’image de celle que vous avez esquissée, madame la ministre.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire et le Brexit fragilisent terriblement le trafic trans-Manche. Pourtant, plus la situation se dégrade et moins vous semblez vous intéresser à la situation des liaisons maritimes.
L’activité partielle et les prêts garantis ont certes été activés, mais aucune aide spécifique n’a été à ce stade engagée pour les emplois maritimes. Sur les littoraux des Hauts-de-France, de la Bretagne et de la Normandie, le sort de 20 000 salariés est pourtant en jeu.
Les remboursements de cotisations sociales et salariales que vous avez évoqués ne sont pas encore effectifs, et il faudra manifestement attendre quelques mois encore pour qu’ils le soient. De plus, la ligne Dieppe-Newhaven, opérée par DFDS Seaways dans le cadre d’une délégation de service public (DSP), en serait exclue.
Rien dans le plan de relance, rien non plus dans les contrats de plan État-région, notamment en faveur de nos ports. Quant au fonds de compensation du Brexit, la France ne touchera que 421 millions d’euros sur plus de 4 milliards au total. De plus, ce dernier ne prend en charge que les dépenses de l’État, à l’exclusion de celles qui sont engagées par les opérateurs et par les collectivités. Tel est le premier sujet sur lequel je souhaite vous interpeller, madame la ministre.
À cela s’ajoute que la filière devrait mettre en œuvre dans moins d’un an de nouveaux dispositifs très complexes décidés par l’Europe pour ses frontières externes, afin de réaliser des contrôles biométriques avec le système EES (Entry/Exit System). Ce dernier nécessite de nouveaux espaces, de nouveaux équipements et sa mise en œuvre aura pour conséquence un allongement des délais, et donc des coûts.
Envisagez-vous d’utiliser le plan de relance pour soutenir véritablement le trans-Manche et permettre aux ports d’investir, notamment pour prendre en compte ces nouvelles contraintes ? Envisagez-vous de plaider auprès de l’Union européenne un report de la mise en place de ce système ? Quel plan de promotion des traversées comptez-vous développer ? Telles sont quelques-unes de mes questions, madame la ministre.
La concurrence étant très forte dans ce secteur, il est urgent d’apporter un soutien concret et réel au trans-Manche.