COMPTE RENDU INTÉGRAL

Présidence de Mme Laurence Rossignol

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Jacqueline Eustache-Brinio,

Mme Patricia Schillinger.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Modification de l’ordre du jour

Mme la présidente. Par lettre en date du 10 mars 2021, le Gouvernement demande de modifier l’ordre du jour des jeudis 1er et 8 avril 2021.

Concernant l’ordre du jour du jeudi 1er avril 2021, le Gouvernement demande de compléter l’ordre du jour du matin par l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement et sur la proposition de loi améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale.

Le Gouvernement demande également l’inscription, l’après-midi, sous réserve de sa transmission, avant la suite du projet de loi confortant le respect des principes de la République, de la nouvelle lecture de la proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification. Nous pourrions fixer le délai limite pour le dépôt des amendements de séance sur ce texte au lundi 29 mars 2021, à douze heures.

Nous pourrions fixer la durée de la discussion générale pour chacun de ces trois textes à quarante-cinq minutes.

Concernant l’ordre du jour du jeudi 8 avril 2021, le Gouvernement demande l’inscription, le matin, sous réserve de leur dépôt, des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi rénovant la gouvernance du service public d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe ou de sa nouvelle lecture.

Pour ce texte, nous pourrions fixer la durée de la discussion générale à quarante-cinq minutes.

Le Gouvernement demande également l’inscription, le matin, et éventuellement l’après-midi et le soir, avant la suite du projet de loi confortant le respect des principes de la République, du projet de loi ratifiant les ordonnances n° 2021-45 du 20 janvier 2021 et n° 2021-71 du 27 janvier 2021 portant réforme de la formation des élus locaux. Nous pourrions fixer le délai limite pour le dépôt des amendements de séance au mardi 6 avril 2021, à douze heures.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité
Discussion générale (suite)

Droit à mourir dans la dignité

Discussion et retrait de l’ordre du jour d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité, présentée par Mme Marie-Pierre de La Gontrie et plusieurs de ses collègues (proposition n° 131, résultat des travaux de la commission n° 403, rapport n° 402).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité
Article 1er (début)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà sept jours, celle qui était notre amie, notre collègue, notre camarade, qui avait été membre d’un gouvernement, Paulette Guinchard-Kunstler, a décidé de finir sa vie en Suisse, dans un pays qui pouvait l’accueillir.

Que nous dit ce choix intime de la situation qui est la nôtre, en France ? Il nous dit d’abord que, contrairement à ce que certains prétendront peut-être, la législation actuelle ne permet pas de répondre aux situations cruelles que vivent nombre de nos compatriotes.

La législation a considérablement évolué dans une période contemporaine, des lois ont permis des progrès : la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite Leonetti, et la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite Claeys-Leonetti. Pour autant, ces textes ne permettent pas de partir sereinement et dignement lorsque l’on n’est pas véritablement dans les tout derniers moments de sa vie.

Chacun le sait, depuis la loi Claeys-Leonetti, ce que l’on appelle la sédation profonde et continue est autorisé, même si personne ne sait d’ailleurs très exactement comment le patient la vit puisque la mort est bien évidemment au bout du chemin.

Ce sujet traverse la société française depuis très longtemps. Le premier à l’avoir soulevé a été Henri Caillavet, en 1978. L’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) a été créée en 1980. Un grand nombre d’initiatives ont été prises depuis, ne serait-ce qu’au Parlement, ce dont on ne peut que se réjouir. Ainsi, plusieurs propositions de loi ont à ce jour été déposées, dont le sérieux n’est, je l’espère, pas contesté, même si le sujet reste difficile.

Que proposons-nous aujourd’hui ? Par son geste, Paulette Guinchard-Kunstler nous montre la difficulté et, d’abord, le doute et les évolutions intimes. Elle n’était pas favorable à une évolution de la législation en la matière. Toutefois, lorsque la maladie l’a rattrapée et placée dans une situation personnelle extrêmement douloureuse, elle a évolué, s’est tournée vers le monde médical et a découvert que la loi Claeys-Leonetti ne pouvait lui être d’aucune aide. S’est alors imposée à elle l’obligation de s’expatrier, comme si le processus n’était pas déjà d’une violence extrême ! Devoir quitter son pays pour mourir constitue évidemment une violence supplémentaire.

C’est pourquoi nous proposons aujourd’hui une aide active à mourir, mais pas dans n’importe quelles circonstances : il faut que la personne soit atteinte d’une maladie grave et incurable, que ses douleurs sont inapaisables, que sa dignité soit mise en cause et, au final, qu’il n’y ait aucun espoir d’amélioration et que sa vie soit devenue proprement insupportable.

Tout cela est très encadré dans notre proposition de loi : des avis médicaux sont nécessaires, les médecins eux-mêmes sont accompagnés par une procédure très balisée, un échange entre médecins est prévu, ainsi qu’un délai, suivi d’un nouvel entretien avec le patient, lequel peut évidemment – est-il besoin de le préciser ? – renoncer à tout moment. La démarche à la fois médicale et collégiale permet de prendre le temps de la réflexion, sans que cette fin de vie soit reportée de manière excessive.

Ce texte prévoit également une clause de conscience pour le personnel soignant. En effet, certains médecins, nous en avons rencontré, ne souhaitent pas avoir à accomplir ce geste, et il faut l’entendre. Il suffit alors qu’ils puissent orienter la personne qui s’adresse à eux vers l’un de leurs confrères, qui pourra, lui, apporter l’apaisement nécessaire.

Certains argueront que nous manquons de recul sur la loi Claeys-Leonetti. À ceux-là je répondrai que ce n’est pas exact. C’est pour cela que j’ai pris l’initiative d’évoquer la situation de Paulette Guinchard-Kunstler. Bien que cette loi existe, un grand nombre de Français quittent le pays pour mourir. Par ailleurs, nous souhaitons que la notion de mort imminente ne soit pas une condition sine qua non, comme le prévoit la loi Claeys-Leonetti, puisqu’il faut véritablement être dans les derniers moments de sa vie pour que ses dispositions s’appliquent.

D’autres avanceront que la réponse à cette situation passe par le développement des soins palliatifs. À ceux-là j’opposerai plusieurs arguments.

D’abord, ce n’est pas la même réponse : les soins palliatifs sont faits pour accompagner le patient atteint d’une maladie à l’issue défavorable, dans une période de grande souffrance, alors qu’il ne souhaite pas forcément finir sa vie volontairement. Par ailleurs, il faut souligner que les soins palliatifs ne sont pas suffisamment développés en France : vingt-six départements – j’insiste sur ce nombre – ne disposent d’aucune unité de soins palliatifs ; le dernier plan en date s’est achevé à la fin de 2018 et n’a pas été reconduit.

C’est pourquoi cette proposition de loi précise – vous l’aurez certainement noté, monsieur le ministre, mes chers collègues – qu’il est indispensable de prévoir, comme corollaire, un développement des soins palliatifs pour en garantir un accès universel dans les trois années à venir. J’indique que, lorsque la Belgique a délibéré sur le droit de finir sa vie, le même jour a été votée une loi sur l’accès universel aux soins palliatifs.

Parlons de la situation dans les autres pays. Dans quelques mois, nous serons l’un des seuls pays européens à ne pas avoir de législation sur la fin de vie telle que nous la proposons aujourd’hui. Certains pays se sont désormais engagés dans cette voie, alors que nous ne les imaginions pas le faire : c’est le cas, à la suite de la Belgique, de la Suisse et des Pays-Bas, du Portugal voilà quelques semaines et de l’Espagne il y a quelques jours, le Sénat espagnol venant de voter une loi en ce sens. Enfin, sous l’impulsion de leurs cours constitutionnelles respectives, l’Allemagne et l’Italie vont devoir elles aussi s’engager dans cette voie. Un grand nombre de pays européens qui nous entourent s’apprêtent à adopter une telle législation, alors même que, vous l’aurez remarqué, certains ont une histoire et une relation à la religion peut-être plus fortes que celles que connaît la France.

Par ailleurs, et c’est toute la particularité de ce sujet, nos compatriotes sont massivement favorables à une telle législation. Des études ont été menées, souvent d’ailleurs aux prémices de l’examen de la loi de bioéthique : elles ont démontré que neuf Français sur dix, y compris, je le précise, ceux qui ont des convictions religieuses affirmées, étaient favorables à l’évolution du texte. À cet égard, le grand nombre de propositions de loi qui ont été déposées, émanant d’environ 250 parlementaires de tous bords, montre que ce sujet est désormais mûr.

Aux sénateurs présents ce matin, je tiens à dire ceci : le Sénat est aujourd’hui face à un choix. Il peut décider de participer à cette réflexion, en modifiant certaines données ou en amendant certaines parties du texte, et ainsi d’y travailler, comme l’ensemble des autres groupes parlementaires. C’est le sens du texte de ce matin. Il peut aussi décider de fermer la porte et de se mettre en dehors de ce débat, de renoncer à y participer et de rejeter le texte.

Je ne dirai pas ce que je pense des perspectives de ce texte, qui sera examiné par l’Assemblée nationale le 8 avril prochain et auquel une majorité de députés seront favorables. Parce que le Sénat a su parfois – pas toujours – être actif sur les questions de société qui nous traversent de manière transpartisane, je vous le dis, mes chers collègues : soyez au rendez-vous aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST, RDSE et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Michelle Meunier, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le recours par des Français à l’euthanasie et au suicide assisté est une réalité, que ce soit à l’étranger ou à l’intérieur même de nos frontières.

Plusieurs d’entre eux se rendent chaque année en Belgique pour bénéficier d’une euthanasie ou en Suisse pour obtenir une assistance au suicide. Le décès par suicide assisté, la semaine dernière, en Suisse, de l’ancienne secrétaire d’État aux personnes âgées, Paulette Guinchard-Kunstler, est le poignant rappel d’une situation qui ne peut nous laisser indifférents, Marie-Pierre de La Gontrie a insisté sur ce point. Tout comme pour l’écrivaine Anne Bert, contrainte de solliciter en 2017 une euthanasie en Belgique, l’ultime recours de Paulette Guinchard-Kunstler nous renvoie à la détresse et à l’angoisse existentielle de nombre de nos concitoyens, que notre législation en matière de fin de vie ne permet pas d’apaiser.

Gardons également à l’esprit une autre réalité, impossible à objectiver : le nombre important de malades atteints d’une affection grave et incurable qui n’ont ni les moyens ni la force de se rendre en Belgique, au Luxembourg ou en Suisse, mais qui ne peuvent pas non plus bénéficier des dispositifs d’accompagnement de la fin de vie institués par la loi Claeys-Leonetti de 2016.

À ces départs à l’étranger s’ajoutent les euthanasies dites clandestines réalisées sur notre territoire : comme l’a rappelé en 2018 le Conseil économique, social et environnemental, entre 2 000 et 4 000 décès annuels résulteraient d’une euthanasie active pratiquée par des professionnels de santé en dépit de son interdiction par la loi.

Avant d’entrer dans le détail des insuffisances de la loi en vigueur, j’insisterai sur le devoir de modestie auquel nous sommes tous tenus, élus comme professionnels de santé, lorsqu’il s’agit d’aborder une question aussi délicate que la fin de vie. Personne ne peut se prévaloir de certitudes sur la manière dont une personne affectée par une maladie incurable appréhende les derniers jours de sa vie et la conception qu’elle se fait d’une fin de vie digne. Nous devons donc nous garder de juger les choix, très personnels et propres à chaque situation, qui sont faits en fin de vie.

Cinq ans après l’adoption de la loi Claeys-Leonetti, le bilan est mitigé. Si cette loi a permis des avancées indéniables grâce au caractère contraignant des directives anticipées et à la désignation de la personne de confiance, son application reste insatisfaisante. En outre, son dispositif principal, la sédation profonde et continue, ne permet pas de répondre à certaines demandes d’accompagnement de la fin de vie, pourtant parfaitement entendables, au regard de la souffrance du patient.

En 2018, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) a pointé en particulier l’absence de registre national des directives anticipées et le défaut de traçabilité des décisions d’arrêt des traitements et d’administration de la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Comment comprendre que, cinq ans après l’adoption de la loi Claeys-Leonetti, nous ne disposions pas d’une vision consolidée des sédations profondes et continues mises en œuvre ?

L’inspection générale des affaires sociales a également regretté l’absence de cadre réglementaire pour l’usage du Midazolam en ville. Dans ces conditions, la réalisation de cette sédation à domicile et en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) reste marginale et ne permet pas d’accompagner les mourants dans des conditions optimales.

Monsieur le ministre, quand le Gouvernement compte-t-il autoriser la dispensation du Midazolam en ville, alors que la Haute Autorité de santé la préconise depuis le début de l’année 2020 ?

En dépit des progrès indéniables qu’elle a permis, la loi de 2016 présente des limites qui interrogent le devoir d’humanité, de solidarité et de compassion incombant à notre société.

Tout d’abord, en circonscrivant la possibilité de bénéficier de la sédation profonde et continue jusqu’au décès à des situations soit d’imminence de la mort, soit d’obstination déraisonnable pour les personnes hors d’état d’exprimer leur volonté, ce texte ne laisse finalement encore que peu de place à la volonté du patient.

L’appréciation du caractère insupportable de la souffrance par le médecin semble rester prépondérante dans bien des cas. La souffrance existentielle du patient demeure ainsi difficilement appréhendée par les équipes soignantes, qui restent attachées à une objectivation de la souffrance sur la base de symptômes cliniques.

Ensuite, les critères de l’obstination déraisonnable, de la souffrance réfractaire aux traitements et de l’engagement du pronostic vital à court terme paraissent peu pertinents dans un certain nombre de situations qui, bien que limitées dans leur nombre, sont à l’origine d’une souffrance considérable pour les personnes concernées. Je pense à des maladies neurodégénératives particulièrement graves, telles que la maladie de Charcot, pour lesquelles l’évolution gravement incapacitante de la maladie est la source d’une angoisse existentielle difficilement soutenable.

La loi dans sa rédaction actuelle est également difficile à appliquer dans d’autres situations impliquant soit une dégradation inexorable des capacités cognitives, soit des états végétatifs chroniques. Les éventuels conflits entre la famille et l’équipe soignante dans l’interprétation de la loi rendent alors difficile l’établissement de la volonté du patient par le médecin.

Face à ces situations qui exigent de concilier respect du libre arbitre et protection de la vulnérabilité, notre législation doit rester attentive aux attentes de l’opinion publique, ainsi qu’aux évolutions observées à l’étranger, même si nous devons nous garder de tout suivisme en la matière.

Dans un sondage réalisé au mois de mars 2019, 96 % des Français interrogés se sont déclarés favorables à la reconnaissance et à l’encadrement d’un droit à l’euthanasie. Par ailleurs, plusieurs pays étrangers reconnaissent un droit à l’aide active à mourir, dans le souci de mieux respecter l’autonomie de la personne et son souhait de mourir dans des conditions qu’elle juge dignes : les pays du Benelux bien sûr, mais aussi la Suisse, le Canada, plusieurs États aux États-Unis et en Australie, plus récemment la Nouvelle-Zélande et le Portugal. L’Espagne reconnaîtra elle aussi très prochainement ce droit. Dans ces conditions, la France sera bientôt frontalière de quatre pays autorisant une ou plusieurs modalités de l’aide active à mourir.

Ces législations étrangères peuvent apporter aux patients un surplus d’apaisement psychologique dans l’appréhension de leur fin de vie, sans pour autant les conduire à systématiquement passer à l’acte, tout en garantissant la traçabilité et le contrôle de ces situations.

Dans ces conditions, la proposition de loi dont Marie-Pierre de La Gontrie est la première signataire consacre le droit à une fin de vie digne, en y incluant le droit à bénéficier de l’aide active à mourir, mise en œuvre par le suicide médicalement assisté ou par l’euthanasie. Elle définit également des critères exigeants qui conditionneront le bénéfice de cette aide active à mourir. Dans le respect du libre arbitre du patient, ces critères accordent une place déterminante à l’appréciation que celui-ci fait de sa situation, du caractère insupportable de sa souffrance physique ou psychique ou du caractère indigne de son état de dépendance.

Comme dans les législations des pays du Benelux, la mise en œuvre des aides actives à mourir fera, en outre, l’objet d’un contrôle par une commission nationale qui en assurera la traçabilité.

La proposition de loi ne se cantonne pas à la reconnaissance de l’aide active à mourir. Elle veille également à garantir le respect des volontés de la personne ayant perdu leur capacité, en rénovant notamment le cadre juridique applicable aux directives anticipées pour améliorer leur développement et renforcer leur caractère contraignant.

Enfin, dans le souci d’apporter une réponse globale au « mal mourir » en France, la proposition de loi prévoit de rendre effectif un droit universel à l’accès aux soins palliatifs et à un accompagnement en tout point du territoire dans un délai de trois ans à compter de la publication de la loi. Rappelons que, aujourd’hui encore, vingt-six départements, notamment la Guyane et Mayotte, n’ont pas d’unité de soins palliatifs.

Mes chers collègues, si la commission des affaires sociales a rejeté cette proposition de loi, je vous invite à titre personnel à débattre des dispositions qu’elle contient et à l’adopter. À mon sens, l’objectif de ce texte est susceptible de nous rassembler : garantir enfin à tous le droit de mourir dans la dignité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST, RDSE et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, le thème qui nous réunit est à la fois universel et puissamment intime. Il nous ramène tous à ce que nous sommes fondamentalement : des êtres marqués par la finitude.

Parler de la fin de vie et de la façon dont la société la regarde, plus ou moins en face, plus ou moins de biais, c’est placer au cœur du débat les conditions de ce moment où chacun affronte sa propre disparition et la façon dont la société nous accompagne, nous et nos proches.

La fin de vie n’est pas un sujet tabou ; en tout cas, elle ne l’est plus depuis longtemps. Il est donc parfaitement légitime que le législateur se saisisse de ce sujet.

J’ai l’habitude de dire que le ministère des solidarités et de la santé est le ministère qui accompagne les Français de leur premier à leur dernier souffle, dans leurs joies, dans leurs peines et dans leurs espoirs.

Comme aide-soignant en Ehpad, comme médecin neurologue et, à ce titre, confronté à des maladies parfois aiguës, parfois chroniques, très dures, j’ai assisté de près à ces moments où un résident, un patient, est confronté à l’imminence de sa mort.

Loin des convictions tranchées et des positions inébranlables, ces moments représentent toujours une épreuve de vérité, avec ses doutes, ses hésitations, ses angoisses et ses craintes souvent, sa sérénité parfois.

Dans le débat qui s’engage, je sais que nous serons à la hauteur de ces doutes. Commençons par regarder ce que la France prévoit d’ores et déjà en matière de fin de vie.

Il y a très précisément cinq ans a été votée dans cet hémicycle la loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite loi Claeys-Leonetti, fruit d’un grand consensus national et d’une réflexion nourrie, conduite sous l’égide du Président de la République François Hollande.

Cette loi a permis de faire évoluer notre droit et nos pratiques. Elle a notamment réaffirmé le droit du malade à l’arrêt de tout traitement. Elle a rendu contraignantes les directives anticipées pour les médecins. Répond-elle pour autant à toutes les situations individuelles ? Peut-être pas. En cet instant, j’ai moi aussi une pensée émue pour Paulette Guinchard-Kunstler, femme engagée, militante infatigable, ancienne secrétaire d’État aux personnes âgées, qui vient de nous quitter dans les conditions qui ont été rappelées.

Il me semble néanmoins, comme à de nombreux observateurs, notamment le Comité consultatif national d’éthique (CNCE), qui a rendu un avis sur ce thème en 2020, que la loi actuelle pose en droit un cadre qui permet de résoudre l’immense majorité des situations difficiles que peuvent vivre les patients, leurs familles et, parfois, il faut le rappeler, les communautés soignantes qui ont la lourde tâche de les accompagner. Dans la plupart des situations, le droit actuel permet de trouver une solution. Force est de constater que ce n’est pas le cas dans certaines situations très particulières, qui suscitent des débats nourris dans notre société.

Aujourd’hui, cinq ans après la promulgation de la loi Claeys-Leonetti, le principal enjeu n’est pas tant de la faire évoluer que de la faire connaître aux professionnels de santé, aux professionnels des soins palliatifs, aux accompagnants et aux bénévoles qui travaillent dans ces services et, bien entendu, à tous les Français.

Pour ne donner qu’un exemple, qui donne une idée du chemin à parcourir, je souligne que seuls 18 % des Français de plus de 50 ans ont rédigé leurs directives anticipées.

Par ailleurs, si les professionnels de santé ne sont pas formés et sensibilisés à cette loi, inévitablement, le droit sera mal appliqué, voire ne le sera pas du tout.

Il y a donc du travail, je le concède, et la crise sanitaire nous a sans doute fait perdre un temps précieux, tout autant qu’elle aura mis en lumière nos propres insuffisances.

Durant la crise sanitaire, j’ai été amené à autoriser des traitements par injection de benzodiazépine, comme le Rivotril, pour alléger les souffrances des personnes âgées en détresse respiratoire avec suffocation qui étaient à leur domicile. Je n’occulte pas le débat qui a alors secoué une partie de la société et les réactions parfois extrêmement violentes que j’ai pu essuyer de la part d’une partie de la population qui considérait que soulager des souffrances devenues insupportables et irrémédiables s’apparentait à une forme de je ne sais quel génocide programmé. La situation n’est pas si simple.

Avant de soutenir que la population est très majoritairement prête à faire évoluer le droit, n’oublions pas que, dès lors que l’on ouvre un tel débat et que l’on entre dans le vif du sujet, il faut s’attendre à ce que les discussions soient plus ardues et nécessitent patience, pédagogie, dialogue et discussion. Pour ma part, quand il est question de l’accompagnement de la fin de vie, je ne considère jamais qu’une position est plus morale qu’une autre ni que certains pays sont en avance ou retard par rapport à d’autres.

Encore une fois, cette question touche à l’intime. Elle nécessite, en tout cas elle justifie un débat comme celui que vous permettez d’avoir aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, ce dont je vous remercie.

Rouvrir la discussion sur le cadre juridique, dont les questions sont vertigineuses et d’une profonde intimité, nécessite un débat parlementaire évidemment, mais également, je le crois profondément, un débat national impliquant les Français, les associations, les soignants, les corps intermédiaires.

Assurer la mise en œuvre concrète et réelle du cadre existant constitue en revanche un travail urgent, sur lequel le Gouvernement vous propose d’accélérer et dont la tâche m’incombe en tant que ministre chargé des questions de santé. Je m’attelle d’ores et déjà à ce travail : je tiens à vous annoncer aujourd’hui le lancement, à compter du mois d’avril prochain, d’un nouveau plan national de développement des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Il s’agira du cinquième plan national, le précédent s’étant il est vrai interrompu en 2019. Je confierai à mes confrères Olivier Mermet et Bruno Richard, unanimement reconnus pour leur implication sur le sujet, le soin de copiloter ce nouveau plan national triennal.

Mieux faire connaître la loi actuelle aux professionnels et aux accompagnants sera l’un des fils conducteurs de ce plan, qui sera largement détaillé au cours des prochaines assises de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs au mois de mai prochain.

Nous inscrirons dans ce plan la nécessité d’améliorer la formation initiale et continue de l’ensemble des professionnels de santé sur la thématique de la fin de vie. Avec Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, nous devons engager un travail pour intégrer la fin de vie aux programmes des formations de santé.

Le plan prévoira aussi un développement de la prise en charge en ville – vous l’avez souhaité et je partage votre point de vue –, qui sera très vite facilitée par la mise à disposition du Midazolam dès la fin de l’année 2021.

Faire connaître la loi pour ne pas avoir un droit bavard et mal appliqué, c’est un impératif, mais ce n’est pas le seul. Il y a également un enjeu de moyens. À cet égard, le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale devra intégrer des mesures nouvelles pour augmenter la dotation socle des soins palliatifs. Ce sera au législateur de définir ces moyens et ce cap.

Au chapitre des moyens, je ne peux pas ne pas rappeler que le Ségur de la santé a prévu pas moins de 7 millions d’euros pour l’appui sanitaire aux Ehpad, ceux-ci incluant la mise en place d’astreintes de soins palliatifs.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat sur la fin de vie est un débat essentiel. Il mérite évidemment de l’apaisement, du sang-froid et tout le temps nécessaire à un sujet de société aussi important.

Nous sommes aujourd’hui encore en plein combat contre la crise virale, avec un système de santé totalement mobilisé, au front, et des mesures sanitaires qui pèsent lourdement sur le quotidien de nos concitoyens.

Pour le dire autrement, je ne pense pas que le moment choisi pour modifier le régime juridique de la fin de vie soit opportun, mais je sais que nos échanges permettront de nous fixer un horizon et de renforcer les dispositifs existants.

L’une des grandes avancées de la loi Claeys-Leonetti est d’avoir permis un accompagnement juste et adapté des personnes en fin de vie. Beaucoup de professionnels des soins palliatifs considèrent d’ailleurs que cette loi, si elle était correctement appliquée, suffirait à protéger l’autonomie de chaque individu face à la mort.

Il y a des situations de grande détresse qu’il faut entendre et pour lesquelles nous devons trouver des solutions, dans leur immense majorité déjà mobilisables dans notre droit.

Sur un sujet aussi sensible, je le répète, sans porter le moindre jugement sur les demandes, dont le fondement relève de l’intimité la plus profonde, sans dogmatisme aucun, j’appelle chacun à la prudence, à la sagesse.

Je me réjouis une nouvelle fois de ce débat. Les positions personnelles des parlementaires sont importantes ; j’en ai également, mais mon rôle ici est de porter la parole et l’engagement du Gouvernement d’améliorer l’application du droit existant, de renforcer les droits des personnes en fin de vie. Je suis ouvert à la réflexion, à la discussion, à l’échange. C’est aussi l’objet du présent débat parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)