Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, la question de la fin de vie « interroge chacune et chacun d’entre nous sur son rapport intime à la vie et à la mort. Mais la mort fait partie de la vie, et nos conditions de mort valent bien un débat égal à ceux que nous avons sur nos conditions de vie. » Ces mots, d’une profonde justesse, de Marie-Guite Dufay, amie intime de l’ancienne secrétaire d’État Paulette Guinchard-Kunstler, résonnent dans notre hémicycle alors que nous examinons cette proposition de loi.
La fin de vie est un sujet de société majeur, qui intéresse et mobilise nos concitoyens. En témoignent les dernières enquêtes d’opinion réalisées, selon lesquelles 89 % des Français sont favorables à une évolution de la législation. C’est pourquoi je souhaite remercier l’auteure de cette proposition de loi, Marie-Pierre de La Gontrie, et saluer les travaux de l’association ADMD et de son président, Jean-Luc Romero, dont je connais l’engagement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il est présent aujourd’hui.
M. Xavier Iacovelli. Car si le droit a connu des évolutions importantes ces dernières années, nous constatons d’importantes disparités sur notre territoire.
Nous ne pouvons rester muets face aux difficultés juridiques de mise en œuvre de notre législation, qui conduit au départ de nombreux Français à l’étranger lorsque leurs ressources le leur permettent, créant de facto des inégalités liées aux ressources de chacun.
Pour celles et ceux qui en ont les moyens, être contraint de se rendre à l’étranger signifie bien souvent une fin de vie loin de leur pays, sans la présence de leurs proches et de leur famille, privés d’un accompagnement moral si important.
Comme l’indique le CESE dans un avis rendu en 2018, l’offre de soins palliatifs demeure insuffisante dans notre pays et inégalement répartie sur notre territoire, je pense notamment aux outre-mer. Au total, cela a été dit, vingt-six départements, dont Mayotte et La Réunion, ne sont pas dotés d’unités de soins palliatifs. Il convient donc de renforcer cet accès afin de permettre à nos concitoyens d’avoir une fin de vie digne et conforme à leurs souhaits.
Mes chers collègues, comme nos concitoyens, nous avons tous été confrontés à la perte d’un proche. Nous connaissons le sentiment d’impuissance que l’on éprouve durant ses derniers instants, auquel s’ajoute une profonde tristesse.
Que dire alors, et je reprends les mots de Jean-Luc Romero, lorsque ce proche vit ses derniers instants dans la souffrance, sans avoir pu choisir « le moment et la manière d’éteindre soi-même sa propre lumière » ? Pour lui, pour nous, nous ne pouvons évidemment pas l’accepter.
Il s’agit là d’un grand chantier que nous devrons conduire dans les mois et les années à venir, et je sais la mobilisation sur cette question de la majorité présidentielle et du Gouvernement, notamment par la voix du garde des sceaux, et, plus largement, sur l’ensemble des bancs de nos assemblées.
À cet égard, et comme le soulève l’ensemble des acteurs, le renforcement d’unités mobiles de soins palliatifs constituerait une première piste de réflexion.
Cette proposition de loi, qui prévoit d’inscrire dans le code de la santé publique le droit à l’aide active à mourir dans les cas de pathologies au caractère grave et incurable avéré et infligeant une souffrance physique ou psychique, constitue une réponse aux difficultés que pose notre législation.
Elle pose également le sujet essentiel des directives anticipées, en permettant leur développement et en instaurant un fichier national les recensant, ce qui constitue une avancée non négligeable que nous tenons à saluer et à soutenir.
Cette proposition de loi offre une nouvelle liberté sans créer d’obligation. C’est une loi de liberté. En tout état de cause, elle touche à l’intime, à la conception que nous nous faisons de la vie et de la mort. C’est pourquoi chaque membre du groupe RDPI votera ce texte en son âme et conscience. À titre personnel, comme l’écrasante majorité de mon groupe, je voterai pour. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, GEST, SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, exceptionnellement, je débuterai par ce qui devrait être la fin de mon intervention : le groupe du RDSE est partagé sur cette proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité.
Il est partagé, car ce texte, au-delà des schémas partisans classiques, touche à ce que nous avons de plus intime, notre rapport à la mort. Il fait rejaillir des situations que nous avons pu connaître pour nos parents, nos amis ou nos proches et qui restent parfois douloureuses.
Il est partagé aussi, car une « bonne mort », pour reprendre l’étymologie du mot euthanasie, ne se décrète pas. Nous pouvons chacun avoir une interprétation de ce qu’elle peut être ou non et cette conception peut évoluer tout au long de notre vie.
À cet égard, je tiens à saluer à mon tour la mémoire de Paulette Guinchard-Kunstler, ancienne secrétaire d’État socialiste, décédée après avoir eu recours à un suicide assisté en Suisse, alors même qu’elle s’était opposée à cette pratique en 2005. Son choix de faire connaître sa décision est une preuve de courage sans commune mesure et force le respect.
Comme je vous l’indiquais, nous sommes partagés, au sein du groupe du RDSE, entre, d’une part, l’équilibre obtenu en 2016 dans la loi Claeys-Leonetti et, d’autre part, l’ouverture d’un véritable droit de mourir dans la dignité. Car au-delà de l’affirmation des droits existants, il nous faut les garantir pleinement, et force est de constater que ce n’est pas le cas.
Concernant les soins palliatifs d’abord, si des progrès ont récemment été effectués, l’on estime que près de 20 % des personnes qui pourraient les solliciter n’y ont pas accès. Les raisons en sont nombreuses : l’absence d’information sur ces soins, le manque de formation des personnels de santé, mais aussi une grande disparité territoriale, selon que l’on réside dans une métropole ou dans un territoire rural – j’en suis témoin.
Ce constat est partagé par le Conseil économique, social et environnemental qui, dans son rapport de 2018 intitulé Fin de vie : la France à l’heure des choix, indiquait que l’offre de soins palliatifs est « insuffisante et inégalement répartie ». C’est d’autant plus vrai qu’un nombre croissant de Français fait le choix du maintien à domicile.
Ce que j’évoque concernant les soins palliatifs est également valable pour les directives anticipées. Créées en 2016, elles devaient permettre de connaître les volontés en termes de soins médicaux d’une personne devenue inconsciente ou incapable de s’exprimer. L’objectif était d’éviter les drames familiaux, comme dans l’affaire Vincent Lambert, dont les proches se sont déchirés durant des années au sujet du consentement qu’aurait ou non donné celui-ci.
À cet égard, on peut regretter que des affaires comme celle-ci n’aient pas incité les pouvoirs publics à lancer une vaste campagne d’information au sujet des directives anticipées.
Au fond, c’est l’absence d’effectivité de la loi actuelle qui fait que certains d’entre nous s’interrogent sur l’opportunité de franchir l’étape supplémentaire qu’est l’ouverture du droit de mourir dans la dignité.
D’autres de nos collègues sont convaincus qu’il faut passer à cette étape : d’abord parce qu’ils sont attachés à la liberté individuelle et pensent que, lorsque les circonstances le justifient, chacun doit pouvoir choisir sa mort ; ensuite parce qu’ils estiment que la sédation profonde et continue, tout comme la notion de non-acharnement thérapeutique, qui consiste au final à endormir et à laisser mourir par l’arrêt des traitements, ne permet pas de garantir une fin de vie digne aujourd’hui ; enfin parce qu’ils considèrent que le cadre juridique posé par l’article 2 est suffisamment rigoureux, ce que l’on ne peut nier.
En prévoyant que le patient doit être en phase terminale ou avancée d’une affection pathologique ou accidentelle, que celle-ci doit être incurable, le législateur apporte de véritables garanties aux plus sceptiques d’entre nous.
Il le fait encore lorsqu’il prévoit que pour bénéficier de ce droit, cette affection doit infliger une souffrance physique ou psychique inapaisable, insupportable ou plaçant le malade dans un état de dépendance qu’il estime incompatible avec sa dignité.
Enfin, ces garanties sont données lorsque les médecins doivent consulter leurs confrères et émettre un avis collégial sur la mise en œuvre de l’aide active à mourir. Nous défendrons d’ailleurs un amendement visant à renforcer cette collégialité.
Comme je vous l’ai dit au début de mon propos, le groupe du RDSE reste partagé sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Rachid Temal applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le philosophe Sully Prudhomme disait : « Il est bon d’apprendre à mourir par volonté, non d’un coup traître. […] Qui sait mourir n’a plus de maître. »
La covid-19 a malheureusement été le maître de nombreuses décisions concernant la fin de vie ces derniers mois. Or, en ce domaine, comme en beaucoup d’autres, les inégalités territoriales sont fortes et il n’est pas excessif d’avancer qu’on meurt, encore trop souvent, dans de mauvaises conditions en France.
La pandémie fut en quelque sorte un miroir grossissant de toutes ces difficultés et des souffrances qu’elles engendrent. Elle a accentué les problèmes de pénurie de médicaments, notamment de Midazolam, utilisé pour les sédations terminales. Les personnes en fin de vie n’ont pas eu accès à ce médicament, conservé pour la réanimation, et un traitement de substitution, le Rivotril, leur a été administré dans les Ehpad. Le décret autorisant son utilisation, dans le cadre de l’urgence sanitaire, n’a malheureusement pas étendu son emploi à domicile.
Enfin, pendant de très longues semaines, les visites des proches et des familles ont été interdites pour les personnes en fin de vie, entravant voire empêchant un accompagnement et une présence indispensables.
Cette proposition de loi en faveur de la légalisation de l’euthanasie, du suicide assisté et d’un accès universel aux soins palliatifs est plus que jamais d’actualité.
Même si la loi dite Claeys-Leonetti constitue une avancée avec l’instauration du droit à la sédation profonde et continue, elle est insuffisante et mal connue, tant par les patients que par les soignants. Les auditions organisées par Michelle Meunier ont par ailleurs confirmé que les directives anticipées étaient rares.
Le Conseil économique, social et environnemental avait fait état en 2018 des difficultés de mise en œuvre du droit à la sédation profonde. Celles-ci ne sont toujours pas résolues et persistent, en raison notamment de problèmes d’ordre médical, juridique et éthique.
Actuellement, l’état du droit conduit de nombreuses personnes à partir à l’étranger, quand elles en ont les moyens, pour y terminer leur vie conformément à leurs souhaits. Cette discrimination par l’argent est intolérable !
Nous ne pouvons que regretter en la matière l’absence de position commune en Europe, où les législations connaissent de profondes disparités en matière d’euthanasie active.
Faut-il redire que cette proposition de loi répond à une demande forte des Français, qui souhaitent que la législation évolue afin d’autoriser les médecins à mettre fin sans souffrance à la vie des personnes qui en font la demande ? Elle constitue un progrès.
C’est une question intime, propre à chacun. Nous connaissons tous des exemples douloureux qui nous conduisent à nous interroger. Nous ne pouvons nous contenter de la législation en cours. Cette proposition de loi est très encadrée : elle prévoit des conditions strictes et précises, un protocole de décision et de mise en œuvre bien défini, et, comme pour tout acte médical, une clause de conscience.
Pour notre groupe, la meilleure prise en considération des volontés des patients et un plus grand respect des conditions de fin de vie sont des éléments fondamentaux pour garantir la liberté et l’égalité des droits devant la mort. D’ailleurs, le texte que nous examinons reprend les termes d’une proposition de loi déposée en 2011 par le groupe communiste, sous l’impulsion de Guy Fischer et Annie David, alors présidente de la commission des affaires sociales.
Parallèlement, comment ne pas s’interroger sur le développement des soins palliatifs, qui a hélas ! pris beaucoup de retard, puisque, entre 2015 et 2018, seuls 210 lits en unités de soins palliatifs ont été créés, ainsi que 6 équipes mobiles.
Le 13 février dernier, l’IGAS a publié un rapport très critique sur l’état des soins palliatifs. Résultat, l’offre « est globalement insuffisante », de fortes disparités régionales étant constatées, « et ne répond pas bien à la demande de la population qui devrait recevoir des soins palliatifs ».
Pour améliorer la fin de vie et mettre en œuvre un droit à mourir dans la dignité, il faut donc faire évoluer la loi, mais également renforcer le développement des soins palliatifs, recruter des professionnels spécialisés, donc bien formés.
J’ai bien entendu votre engagement, monsieur le ministre, mais je pense sincèrement qu’il n’est pas en contradiction avec cette proposition de loi, bien au contraire. Nous verrons dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale si les moyens financiers et humains que vous nous avez promis pour les soins palliatifs sont dégagés.
Pour l’heure, les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE voteront en faveur de cette proposition de loi. Nous remercions le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, particulièrement Michelle Meunier et Marie-Pierre de La Gontrie, ainsi que l’association ADMD. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – Mme Élisabeth Doineau et M. Henri Cabanel applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à remercier notre rapporteure pour la qualité des travaux qu’elle a menés. Comme beaucoup des orateurs qui sont intervenus et qui s’exprimeront aujourd’hui dans le cadre de cette discussion générale, c’est avec beaucoup de modestie que je prendrai la parole au nom de mon groupe sur un texte qui, par essence, ne peut pas faire l’objet d’une position commune.
Dès lors, le vote du groupe Union Centriste sur l’ensemble de cette proposition de loi sera nécessairement partagé. Toutefois, une chose nous rassemble et nous indigne à la fois, et je ne crois pas m’avancer si je dis que cela nous rassemble tous ce matin.
En effet, et pardonnez-moi l’expression, « nous mourrons mal en France ». Un chiffre est particulièrement édifiant, nous sommes plusieurs à l’avoir souligné : vingt-six départements ne disposent pas d’unité de soins palliatifs. Lorsque le décès advient en milieu hospitalier, et en dépit des efforts des personnels, force est de constater que l’environnement du décès ne garantit pas le respect qui est dû à l’intéressé, ainsi qu’aux proches qui l’accompagnent et qui souffrent.
Aussi, les membres du groupe Union Centriste profitent de cette tribune offerte par les auteurs de cette proposition de loi pour attirer solennellement l’attention du Gouvernement sur la nécessité de soutenir le maintien et le développement des unités de soins palliatifs, de veiller à ce que la fin de vie demeure toujours un sujet abordé à sa juste mesure dans l’ensemble des formations des personnels soignants, y compris dans les modules de formation continue.
Cette exigence, monsieur le ministre, permettra d’acculturer les Français aux dispositions toujours trop méconnues de notre droit : nous pensons à la loi du 22 avril 2005, ainsi qu’à la loi du 2 février 2016.
Nous estimons qu’un meilleur usage de nos droits, l’élaboration de directives anticipées ou la désignation d’une personne de confiance sont susceptibles d’éviter aux familles des discussions délicates et parfois sources de tensions insoutenables.
D’ailleurs, monsieur le ministre, pourquoi ne pas envisager de rendre obligatoire la rédaction de directives anticipées dès l’âge de 18 ans et leur renouvellement tous les dix ans au minimum ? L’usage des nouveaux outils, je pense au dossier médical partagé (DMP) par exemple, devrait permettre d’envisager une telle mesure.
Par ailleurs, j’ai été sensible aux propos qu’a tenus en commission la semaine dernière notre collègue Véronique Guillotin. Elle nous a fait part de son expérience de médecin en soins palliatifs à proximité de la frontière belge et expliqué que, dans quasiment tous les cas, une fois que le mourant était convenablement installé à domicile, bien accompagné, que sa douleur était gérée, il revenait sur sa demande initiale.
Cela confirme assurément nos deux premières exigences : une meilleure connaissance et diffusion de notre droit et la mise en place d’environnements respectueux des familles.
Pour ma part, j’estime que ces deux exigences n’étant pas remplies, cette proposition de loi passe partiellement à côté de l’objectif affiché dans son titre : le droit à mourir dans la dignité et, j’ajouterai, dans la sérénité.
Aussi, je voterai contre cette proposition de loi qui, par ailleurs, me semble apporter des solutions à un certain nombre de problèmes bien réels, tout à fait délicats, et que l’on ne peut examiner qu’avec les précautions et la finesse auxquelles nous oblige ce sujet. Il me semble toutefois que ces dispositions sont source d’autres problèmes susceptibles d’être à l’origine de nouveaux contentieux pour les familles.
Disons-le clairement, ce texte ne se situe pas dans le prolongement des lois que j’ai rappelées précédemment. Il prévoit un changement de paradigme en ouvrant la possibilité de recourir au suicide assisté et à l’euthanasie.
Je vous rappelle que le législateur a jusqu’à présent toujours fait l’économie de telles dispositions. Il a choisi d’interdire l’acharnement thérapeutique et préféré à l’euthanasie l’usage de médicaments pour soulager les douleurs, bien qu’ils puissent entraîner la mort, ou encore d’une sédation profonde en cas de douleur réfractaire aux traitements. Ainsi, nos prédécesseurs n’ont jamais souhaité franchir la ligne qui consisterait à légaliser un acte positif ayant pour seule finalité de tuer une personne ou de lui permettre de se suicider, quand bien même celle-ci serait atteinte d’une maladie grave, incurable et qu’elle en ferait la demande.
D’ailleurs, la proposition de loi met en place une fiction juridique, puisque la personne ainsi décédée verrait son décès enregistré comme mort naturelle.
Enfin, je m’arrêterai sur l’article 7, qui précise l’ordre de primauté pour déterminer les conditions d’application du dispositif lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté, en l’absence de directives anticipées ou de désignation de personne de confiance. La proposition de loi prévoit que sera d’abord consulté le partenaire de vie, sans préciser la durée minimale de la relation. Le partenaire ayant vécu trois mois avec le patient serait donc prioritaire sur l’enfant majeur, mais l’enfant mineur, deux mois avant sa majorité, ne serait pas prioritaire sur ses grands-parents ou ses cousins.
Bref, en l’état, cet article ne me semble ni souhaitable ni abouti. Il est surtout susceptible de créer un grand nombre de contentieux, alors que nous recherchons en la matière l’apaisement et la dignité.
Malgré ces remarques, je remercie les auteurs de cette proposition de loi, qui nous permettent de débattre d’un sujet important pour notre société, essentiel pour chacun d’entre nous, et d’une importance considérable pour celles et ceux dont les demandes ne trouvent pas encore satisfaction. Le débat aura assurément contribué à réexposer les demandes, les difficultés à y répondre, les freins sociétaux et les exigences que nous avons pour ce qui existe aujourd’hui et ce qui pourrait exister demain.
C’est la raison pour laquelle je ne voterai pas la suppression de l’article 1er : le débat doit avoir lieu dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Véronique Guillotin et M. Stéphane Artano applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sommet de l’abject se rapproche de jour en jour durant ce quinquennat puisque le Gouvernement a décidé d’abandonner nos anciens en reportant aux calendes grecques le projet de loi Autonomie et grand âge et que les sénateurs socialistes, jamais en retard d’une ignominie (Vives protestations sur les travées du groupe SER), proposent comme alternative à la souffrance en fin de vie l’euthanasie ! (« C’est l’hôpital qui se moque de la charité ! » sur les travées du groupe CRCE.)
Ce sont les mêmes qui ont aboli la peine de mort pour les assassins qui souhaitent la rétablir pour les innocents (Applaudissements ironiques et huées sur les travées du groupe SER) dont le seul crime est d’être malades.
Depuis un an que nous sommes entrés en crise épidémique, nous avons accepté, de gré, et surtout de force, de mettre à l’arrêt, ou presque, tout un pays pour protéger la vie humaine, dont le prix est inestimable, notamment celle des personnes les plus fragiles, et ce quitte à imposer de grandes souffrances économiques et sociales à toute une nation solidaire.
Mais ici, dans ce texte, vous venez balayer tous ces sacrifices en offrant comme perspective macabre aux personnes souffrantes le suicide et donc la mort. Projet nauséabond de matérialistes, plus connus sous le vocable antinomique de « progressistes »…
M. Pierre Ouzoulias. C’est un mot que vous ne connaissez pas !
M. Stéphane Ravier. … qui souhaitent éliminer tout ce qui n’est pas utile à la société matérialiste déshumanisée. (Exclamations exaspérées sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Comme le disait le professeur et académicien Jean Bernard : « Il faut ajouter de la vie aux jours lorsqu’on ne peut plus ajouter de jours à la vie. » Et c’est ainsi que j’imagine l’accompagnement des personnes en grandes souffrances ou condamnées à mourir.
Car il y a dans nos établissements de soins palliatifs une médecine tournée vers l’humain dans ses particularités sociales, familiales, physiques et même spirituelles. C’est cette médecine qu’il nous faut soutenir et développer.
La souffrance peut faire peur, la volonté de liberté sans frein peut séduire, l’acharnement thérapeutique peut susciter des interrogations, mais jamais, jamais la mort précipitée ne doit être considérée comme une solution.
Les patients ne souhaitent pas mourir, ils souhaitent ne pas souffrir. Alors il faut leur assurer une fin de vie la plus « confortable » possible, c’est l’honneur de notre société ; il y va de notre conscience individuelle, qui ne saurait céder à l’inconscience collective.
Vous nous parlez de « suicide assisté », en même temps que nombreux, trop nombreux sont nos compatriotes, notamment paysans, commerçants et représentants des forces de l’ordre, qui se suicident pour fuir la détresse de l’abandon. Il faut une grande ambition de solidarité nationale pour endiguer le phénomène plutôt que de le légaliser.
La médecine s’est évertuée jusqu’à nos jours à augmenter l’espérance de vie, faisant de la protection de la vie humaine sa vocation. Vous voulez faire table rase de ce passé en imposant la désespérance de vie, au nom d’une nouvelle liberté. Liberté, voilà un nouveau crime que certains s’apprêtent à commettre en ton nom !
Est-ce cela votre conception d’une société avancée, d’une société moderne, d’une société éclairée ? Tant de lumière finit par vous aveugler, mes chers collègues, au point de ne plus voir que la vie doit rester au-dessus de tout.
Je vous appelle donc, mes chers collègues, à rejeter les arguments fallacieux des tenants de ce texte mortifère. (Des sénateurs des groupes SER et CRCE frappent sur leur pupitre pour couvrir la voix de l’orateur.) Face à l’offensive des marchands de mort, menée par ces fanatiques de l’IVG et de la mise à mort des malades, le Sénat doit plus que jamais justifier son nom et sa qualité de Chambre haute en étant le rempart infranchissable qui, et quoi qu’il en coûte, protégera toujours la vie !
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. René-Paul Savary. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme tout médecin généraliste, j’ai été confronté à la fin de vie de patients atteints de pathologies insupportables ou parfois usés par la vie, désireux d’en finir et l’exprimant régulièrement.
Et pourtant ! Je me souviens de Jeanne, me répétant à chaque visite : « Docteur, je veux en finir, je souffre le martyre. » Voulant m’assurer de sa certitude, je lui dis avec compassion que j’étais prêt à répondre à sa volonté.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ah bon ?
M. René-Paul Savary. Alors, j’ai vu dans son regard non pas une lueur d’espoir que ses souffrances soient abrégées, mais une crainte de ne plus vivre. Elle m’a demandé timidement, humblement, de reporter à plus tard cette décision lourde. Au fond d’elle-même, elle n’était pas prête.
Oui, le doute est permis, la volonté d’un jour n’est pas celle de toujours. Ce dialogue singulier entre un patient et son médecin, s’il doit être encadré par la loi, reste heureusement plus relationnel que législatif.
« Une loi pour celles ou ceux qui vont mourir, nous l’avons, c’est la loi Leonetti-Claeys » : c’est ce que disait Alain Milon, alors président de notre commission des affaires sociales, au moment de son adoption au Sénat, qui est excusé aujourd’hui. Michel Amiel, corapporteur du texte, citait lui Albert Camus, qui a décrit la mort heureuse, « la tête dans les étoiles ». Dans les faits, ce n’est, hélas ! pas ainsi que les choses se passent, disait-il.
Cette proposition de loi s’adresse, elle, à celles ou ceux qui veulent mourir. L’approche éthique est différente, plus sociétale que médicale. Apportera-t-elle l’humanité indispensable à celui qui veut mourir et la sérénité à son entourage et au personnel soignant ? Intimement, je ne suis pas sûr que ce texte réponde à toutes les questions soulevées.
Les patients désireux de mourir le veulent-ils vraiment ? Leur volonté est-elle définitive ? N’est-elle pas orientée ? Considérer que l’euthanasie conduit à une mort naturelle, à déclarer comme telle sur le certificat de décès, n’est-ce pas une source de dérive ? Jusqu’où aller dans le respect de la dignité humaine, tellement différente d’un individu à l’autre dans la vie courante, et donc lors de l’inéluctable fin de vie de chacun ? Et poser la clause de conscience, n’est-ce pas reconnaître implicitement ne pas savoir jusqu’où aller dans l’aide active à mourir ?
Voici quelques propos émanant d’un collectif de médecins en soins palliatifs et de gériatres qui alertent sur ces risques de dérive, vous les avez sûrement lus.
« Dans les pays où l’aide à mourir est proposée, la critique de l’acte devient difficile, voire impossible. Le respect de la conscience et des volontés des médecins et des malades est mis à mal.
« Les patients peuvent ressentir une pression sociale, parfois même familiale, les poussant à demander une mort anticipée. Sommes-nous dès lors toujours dans la thématique du choix ? »
Il doit tenir compte de l’expérience de ces soignants confrontés à la fin de vie insupportable de certains patients. Alors, appliquons déjà les textes existants !
La loi Leonetti-Claeys peut permettre de faire face à plus de situations et répondre aux besoins de celles et ceux qui vont mourir, dont certains veulent en finir. Évaluons d’abord son application. Nous verrons vite qu’elle n’est pas suffisamment mise en œuvre, parce que pas encore assimilée, et pour cause ! Il y a très peu de directives anticipées ; M. le ministre l’a souligné.
Cette loi préconisait un développement des services de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire, ce qui n’a toujours pas été fait. Cela fait partie de ces innombrables inégalités territoriales, qui vont de la naissance au dernier jour, et dont tout le monde parle, mais qui ne sont toujours pas résorbées. Et ce n’est pas en répétant loi après loi tout ce qui ne va pas qu’on fait avancer les choses plus vite !
Certains évoquent l’expérience de nos voisins belges ou suisses, ou encore le cas de Paulette Guinchard-Kunstler. D’autres feront peut-être référence, avec beaucoup de sincérité, aux affaires Vincent Humbert ou Vincent Lambert. Ne préférons pas la facilité du débat au respect de l’humanité de la fin de vie.
Oui, la dignité humaine impose le respect de la vie que mérite tout individu jusqu’à son dernier souffle. Non, cette proposition de loi ne semble pas répondre aux incertitudes légitimement soulevées.
Aussi, dans sa majorité, notre groupe ne votera pas la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)