PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Communication d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des finances a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable (13 voix pour, 1 voix contre) au renouvellement de M. Patrick de Cambourg à la présidence de l’Autorité des normes comptables.
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Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la bioéthique n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
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Candidatures à deux missions d’information
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la nomination des membres de deux missions d’information : l’une relative aux conditions de la vie étudiante en France ; l’autre intitulée : « La méthanisation dans le mix énergétique : enjeux et impacts. »
Conformément à l’article 8 de notre règlement, les listes des candidats remises par les groupes politiques ont été publiées.
Elles seront ratifiées s’il n’y a pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par le règlement.
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Amélioration du système de santé par la confiance et la simplification
Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification (proposition n° 200, texte de la commission n° 357 rectifié, rapport n° 356).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi soumise à votre examen est un texte important par les engagements qu’il concrétise comme par les ambitions dont il est porteur. Ces engagements sont ceux du Ségur de la santé ; ces ambitions répondent à la situation d’un système de santé qui, depuis un an, fait face à l’impensable.
Voilà un an, je franchissais les portes d’un ministère sur le point d’affronter une crise historique, qui n’est pas encore derrière nous. D’une brutalité inouïe, l’épidémie qui nous frappe est combattue par nos soignants depuis le premier jour : ces femmes et ces hommes, en ville comme à l’hôpital, ont fait face et permis à la France de tenir.
Il fallait les applaudir, mais aussi et surtout les reconnaître ; j’allais dire : les reconnaître enfin.
Le Ségur de la santé n’a pas été un énième grand barnum, une consultation de plus avant un rapport qui terminerait dans je ne sais quel tiroir. Des sommes extrêmement importantes ont été mises sur la table, pour des revalorisations sans précédent. C’est un fait. Signées le 13 juillet dernier à Matignon, ces revalorisations profitent à l’ensemble des personnels médicaux et paramédicaux de l’hôpital, notamment public.
Au-delà de ces revalorisations, attendues depuis bien longtemps par-delà les âges et les alternances, le Ségur de la santé a permis de dresser un diagnostic solide et partagé de l’ensemble de notre système de santé. Nous n’avons éludé aucun sujet : investissements, pour regarder l’avenir avec confiance ; gouvernance, pour redonner le pouvoir à ceux qui soignent – en tout cas, partager les processus de décision ; élargissement des compétences des professionnels de santé.
Après la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, cette proposition de loi vient donner force de loi aux engagements pris dans ce cadre. Je salue le travail et la rigueur de son auteure, Mme Stéphanie Rist, ainsi que sa détermination à changer la donne pour l’ensemble de notre système de santé.
Après l’Assemblée nationale voilà quelques semaines, le Ségur de la santé franchit donc à nouveau les portes du Parlement. S’il était indispensable de donner la parole aux soignants, il ne l’était pas moins que les représentants de la Nation s’emparent d’un sujet qui concerne tous nos concitoyens. Je remercie chacune et chacun d’entre vous pour le travail d’enrichissement et de consolidation que vous avez mené en commission et qui, je n’en doute pas, sera poursuivi dans cet hémicycle.
Parlons-nous clairement : le texte qui résulte des travaux de la commission des affaires sociales présente, à l’évidence, de nombreuses qualités, mais le Gouvernement ne partage pas l’ensemble de ses orientations.
Le Ségur a préconisé la réhabilitation du rôle et de la place du service au sein de l’hôpital, pour mettre fin aux excès de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite HPST, en reprenant notamment une préconisation, consensuelle, formulée dans son rapport par le professeur Olivier Claris.
Cette proposition de loi répond également à la revendication, ancienne et renforcée par la crise sanitaire, visant à laisser une plus grande liberté d’organisation interne des établissements de santé à la main des acteurs locaux. La crise a montré que les collectifs de soins savaient s’adapter, s’organiser et surmonter des situations extrêmement sensibles sans attendre un accord, une validation ou un feu vert venu d’en haut.
Si, dans un hôpital, les communautés sont d’accord pour adapter l’organisation médicale, pour mettre en place une gouvernance un peu différente de celle de l’établissement d’à côté, au nom de quoi les en empêcherait-on ? Faut-il vraiment que les règles applicables à un centre hospitalier universitaire de plusieurs dizaines de milliers de salariés soient, au mot près, calquées sur celles d’un hôpital de périphérie, plus petit et aux missions parfois différentes ?
Nous devons continuer à progresser en matière de démocratie hospitalière. À cet égard, ce texte prévoit de faire siéger au sein du directoire des établissements publics hospitaliers un représentant des personnels non médicaux, un représentant des étudiants en santé et un représentant des usagers. Cela semble aller de soi, mais ce n’est pas actuellement le cas. Nous le devons aux personnels paramédicaux, aux étudiants et aux usagers, parce que l’expérience vécue, quelle qu’elle soit, a sa place quand il s’agit de prendre des décisions.
Certains membres de la commission des affaires sociales se sont inquiétés, émus même, du manque d’ambition de ce texte, notamment en matière de gouvernance, craignant des dissonances normatives et une forme d’insécurité juridique.
Je tiens à rassurer chacun : l’ordonnance prévue à l’article 37 de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé (loi OTSS), relative aux groupements hospitaliers de territoire (GHT), est en cours de concertation avec l’ensemble des acteurs, et les commissions médicales de groupement (CMG) seront demain des instances décisionnelles dans la vie de ces établissements. Par voie de conséquence, les missions des commissions médicales d’établissement (CME), des présidents de commission médicale d’établissement (PCME) et des présidents de commission médicale de groupement (PCMG) sont revues dans l’ordonnance, ainsi que certaines recommandations du rapport Claris, qui ont fixé le cap que nous suivons.
La réforme de la gouvernance hospitalière, j’y tiens ; elle est en train de se dessiner, avec celles et ceux qui, demain, présideront aux destinées de l’hôpital public dans notre pays.
Par ailleurs, le Gouvernement poursuit sa la lutte contre l’intérim médical – une orientation déjà au cœur du plan « Investir pour l’hôpital » défendu par ma prédécesseure. Ce mercenariat désorganise l’offre de soins dans nos territoires et peut mettre à mal les finances de nos hôpitaux : le déficit de certains établissements correspond, à l’euro près, aux surdépenses liées au recours contraint à l’intérim médical…
Plus précisément, la proposition de loi rend effectif, une bonne fois pour toutes, le plafond réglementaire de l’intérim médical, en obligeant le comptable public à rejeter tout paiement au-delà de cette limite. L’intérim n’est pas à jeter, comme l’on dirait, avec l’eau du bain : il peut être intéressant, important même, en tout cas avoir sa place ; mais lorsqu’il devient la règle, en dehors de tout cadre budgétaire, la situation peut devenir proprement scandaleuse. Pour qui connaît la vie d’un service, c’est aussi et surtout une plaie qui mine la cohésion de toute une équipe.
Par ailleurs, ce texte renforce un certain nombre de mouvements nés l’été dernier, avec le Ségur de la santé. Je pense en particulier à l’extension du champ de compétences de certaines professions, au premier rang desquelles les sages-femmes et les masseurs-kinésithérapeutes. Permettre à des professions comme celles-là d’accomplir des actes qui leur étaient jusqu’alors impossibles, c’est faire le choix de la confiance et de l’efficacité ; c’est faire le pari que notre système de santé ne relèvera pas les défis qui l’attendent en ménageant les guerres de chapelles et les prés carrés.
J’ai énuméré les grands axes de la proposition de loi : à bien les regarder, je les trouve nombreux et importants pour un texte qui manquerait d’ambition… Il est vrai qu’il est toujours temps d’enrichir, d’améliorer, de renforcer un texte ; tel est évidemment l’objet de nos travaux.
Une ambition, ce sont d’abord des moyens. Or les moyens sont là et bien là, en monnaie sonnante et trébuchante, personne ne pourra le contester.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de voir le Ségur de la santé se poursuivre à partir de cet après-midi dans votre hémicycle. Les enjeux sont clairs : nous devons trouver ensemble les voies et moyens par lesquels les mesures décidées l’été dernier trouveront à s’appliquer concrètement, sur le terrain, dans les territoires, dans chaque service hospitalier de France.
Je salue encore une fois le travail de toutes celles et de tous ceux qui ont déjà enrichi ce texte et qui contribueront à lui donner la force d’une promesse tenue. Je ne doute pas que nous parviendrons à surmonter nos désaccords pour faire avancer ensemble, et pour de bon, des sujets qui ne peuvent plus attendre !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, faire confiance et simplifier : l’intitulé de cette proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, est riche de promesses.
La crise sanitaire a contribué, depuis un an, à inscrire ces objectifs fédérateurs au cœur des attentes des acteurs de santé. Exprimée tant dans le Ségur de la santé que dans la mission sur la gouvernance hospitalière présidée par le professeur Claris, leur aspiration, légitime, est de se recentrer sur leur cœur de métier : le soin.
Malheureusement, le choc de confiance et de simplification tant attendu n’est clairement pas au rendez-vous de ce texte. La commission en a déploré le contenu disparate et, sur certains volets, chétif, le prisme et le manque de vision stratégique.
De fait, cette proposition de loi ne nous paraît pas porter haut l’ambition pour notre système de santé que ses acteurs de première ligne, au front de l’épidémie depuis un an, sont aujourd’hui en droit d’attendre. Cette ambition appellerait, selon moi, la discussion d’un texte à l’ossature plus forte, plutôt que procédant à des ajustements.
Surtout, la cohérence de certaines mesures que nous sommes appelés à examiner est mise à mal par le calendrier de la discussion, des ordonnances structurantes pour l’hôpital, prévues par la loi relative à l’organisation et la transformation du système de santé, dite loi Ma santé 2022, n’ayant pas encore été publiées.
Bien que contraints par les règles de recevabilité des amendements, les membres de la commission des affaires sociales ont adopté une version largement remaniée de ce texte.
D’abord, nous en avons d’abord recentré l’objet en supprimant dix articles sur trente-sept, portant principalement sur des évolutions de trop faible portée ou, selon nous, insuffisamment préparées. En particulier, nous avons supprimé l’article 1er, qui créait une profession médicale intermédiaire aux contours indéfinis : engagée, je crois, sans concertation avec les professionnels intéressés, cette mesure n’avait pas sa place dans un texte censé rétablir la confiance avec les acteurs.
D’autres évolutions envisagées dans les missions des professionnels de santé sèment la confusion dans la logique du parcours de soins, sans répondre à la demande légitime de ces professionnels de voir leurs compétences reconnues. Là aussi, nous avons déploré l’absence d’une ligne directrice claire.
Ensuite, nous avons rejeté des mesures engagées dans la précipitation, dont les potentiels effets collatéraux ne nous ont pas paru maîtrisés. Ainsi, la commission a réaffirmé le rôle majeur des associations dans l’encadrement des bénévoles qui interviennent dans le contexte, si sensible, des lieux de soins, en refusant les dérives que pourrait entraîner la notion de bénévole individuel.
En ce qui concerne les dispositions relatives à la gouvernance hospitalière, je ne puis vous cacher, monsieur le ministre, que la déception de la commission est réelle.
Nous déplorons d’abord un problème de méthode : la proposition de loi, d’une part, traite de plusieurs sujets pour lesquels le Parlement a très largement habilité le Gouvernement à légiférer par ordonnances et, d’autre part, se borne, malgré l’ambition de son titre, à hisser au niveau législatif des dispositions réglementaires existantes.
Surtout, nous regrettons que les propositions traduites par le texte soient, pour la plupart, des traductions, parfois édulcorées, des recommandations émises par le professeur Claris au terme de sa mission sur la gouvernance hospitalière ou issues de la concertation du Ségur de la santé.
La possibilité de former une commission médico-soignante, le droit d’option en matière d’organisation interne, la recomposition du directoire, le plan de gouvernance et de management et même la lutte contre l’intérim médical sont autant de mesures dont l’annonce produit certes un effet de courte durée, mais dont la faible envergure est unanimement regrettée par les acteurs médicaux et administratifs que nous avons auditionnés.
Devant ce texte, la commission avait deux options, chacune pouvant se justifier aux yeux de l’opinion : le rejeter en bloc, son adoption devant en fin de compte n’entraîner que peu de changements, ou tenter de l’améliorer en profondeur. C’est la seconde voie que nous avons choisie.
Nous avons adopté une position qui me paraît équilibrée, de prudence mais de méfiance, à l’égard des GHT, à propos desquels la commission avait commandé à la Cour des comptes une étude spécifique, dont elle a tenté de tirer profit.
Nous avons supprimé l’article 4 quater, le considérant comme une véritable provocation à l’égard des praticiens hospitaliers, dont la vie privée subissait une atteinte manifestement disproportionnée.
La commission a fait part de son intérêt pour plusieurs initiatives qui seront discutées en séance en ce qui concerne l’inégalité de traitement entre l’activité libérale exercée par un praticien hospitalier d’un établissement public de santé et l’activité libérale exercée par un praticien salarié d’un établissement de santé privé à intérêt collectif (Espic).
Surtout, la commission a réécrit les articles 5 et 6, pour exploiter à fond les opportunités ouvertes par les dispositions à peine esquissées du texte initial. Elle a sécurisé les compétences du chef de service afin d’éviter tout chevauchement avec celles des chefs de pôle. Elle a fait droit à la demande très ancienne d’approfondir la délégation de gestion au sein de l’établissement.
Enfin, elle s’est attelée à traiter l’une des causes du défaut d’attractivité de l’hôpital public pour les personnels paramédicaux. Mes auditions ont montré qu’il est en grande partie lié à un défaut de représentation auprès de la direction. Nous avons donc prévu l’inscription de la commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSIRMT) au rang des organes représentatifs de l’établissement public de santé, ainsi que l’élection de son président par ses membres.
À toutes ces avancées, saluées par les acteurs, le Gouvernement a opposé une fin de non-recevoir peu constructive, en déposant une série d’amendements visant à rétablir l’ensemble des articles touchant à la gouvernance hospitalière dans la rédaction issue de l’Assemblée nationale. Leur examen donnera lieu, dans la discussion des articles, à des explications plus détaillées.
Fidèle à ses positions, la commission a accueilli favorablement les initiatives, de tous bords politiques, servant la construction d’un hôpital public moins contraint et plus soucieux d’assurer à ses personnels l’attractivité qui lui fait aujourd’hui tant défaut. Nul doute que le texte qui résultera de nos débats répondra davantage aux maux et aux attentes de nos soignants.
Néanmoins, notre tâche est encore loin d’être achevée. Face au problème, désormais structurel, de l’abandon résigné de l’hôpital public par nos gouvernements successifs, la commission a une nouvelle fois rappelé qu’aucune mesure législative ne pourrait durablement se substituer aux revalorisations salariales qui s’imposent. L’urgence est là, impérieuse. Mais avec le mauvais génie français de la réforme, il semble que les évidences les plus criantes restent encore ignorées…
Mes chers collègues, ayant eu le souci de tirer le meilleur parti possible de ce texte, la commission peut vous en présenter une version, sinon parfaite, du moins nettement améliorée. Elle recommande au Sénat d’adopter la proposition de loi dans le texte issu de ses travaux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 144.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture, visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification (n° 357 rectifié, 2020-2021).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la motion.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre groupe a fait le choix de déposer cette motion tendant à opposer la question préalable, car nous sommes opposés aux orientations de cette proposition de loi. D’ailleurs, soignants comme non-soignants sont vent debout contre la plupart des mesures qu’elle contient.
Monsieur le ministre, vous avez utilisé la proposition de loi de la députée Stéphanie Rist pour compléter certaines mesures du Ségur de la santé, voire en ajouter d’autres. L’adoption de ce texte serait lourde de conséquences pour notre système de santé – des conséquences bien éloignées de la volonté de simplification affichée…
Ainsi, il s’agit notamment de renforcer l’échelon des groupements hospitaliers de territoire, qui devient davantage encore la référence, alors même que le rapport de la Cour des comptes d’octobre dernier est plutôt mitigé.
De même, cette proposition de loi offre une place prépondérante aux gestionnaires et technocrates, ceux-là mêmes qui ont conduit l’hôpital public à l’asphyxie.
Parallèlement, ou paradoxalement, le texte autorise le bénévolat à l’hôpital, ce que mon collègue député Pierre Dharréville a comparé, à juste titre, à une forme d’ubérisation des activités associatives.
Notre groupe a déposé cette motion car nous nous opposons au texte non seulement sur le fond, les mesures étant en deçà des attentes et des besoins, mais aussi sur la forme. De fait, le Gouvernement a travesti cette proposition de loi en véritable projet de loi, engageant en outre la procédure accélérée. Cette méthode présente l’avantage pour lui de l’exonérer d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État, ce qui laisse de fortes incertitudes sur les conséquences de ce texte que nous refusons.
Le plus grave est le décalage entre ce texte et le vécu des professionnels de santé et du médico-social. Comment oublier que ce texte, présenté comme le prolongement du Ségur de la santé, fait suite à la première vague de covid-19 et, surtout, à des mois de mobilisation de collectifs et de syndicats des personnels ?
Contradiction supplémentaire, malgré la volonté affichée d’enrichir le Ségur, ce texte contient seulement cinq des trente-huit propositions qui y figurent.
Alors qu’il faudrait s’attaquer aux racines du malaise des personnels soignants – manque de moyens, pilotage comptable, gestion calquée sur le privé –, ce texte prolonge une vision libérale de l’hôpital public en assumant l’introduction des règles du management privé dans le secteur public. Dans la lignée du New Public Management, il vise à renforcer la vision gestionnaire et managériale de l’hôpital.
Cette conception détourne le système public de sa fonction première : le soin. Il s’agit de rapprocher le fonctionnement de l’hôpital public de celui des cliniques privées, au mépris de l’histoire du service public hospitalier, des valeurs incarnées par ses agents et des services rendus aux populations dans le respect de l’égalité de toutes et tous, quels que soient l’origine sociale et le territoire.
Derrière l’argument des contraintes organisationnelles se dissimulent l’autonomie de gestion et l’autonomie de moyens des établissements de santé. L’autonomie n’est donc qu’un paravent pour justifier, plus tard, une baisse supplémentaire des dépenses de l’État ou de la sécurité sociale.
De plus, en renforçant l’autonomie des hôpitaux, vous forcez la main aux réorganisations des services et des métiers administratifs et techniques.
Il faut au contraire renforcer l’égalité d’accès aux soins, plutôt que de casser le cadre national du service public de santé en prenant modèle sur l’autonomie des universités, qui a aggravé la mise en concurrence des établissements et encouragé le financement privé.
La crise semble ainsi vous fournir un prétexte pour aller plus loin dans la déréglementation. Vous ne le faites pas au hasard : vous le faites pour pousser le plus loin possible les logiques gestionnaires et technocratiques qui ont contribué à affaiblir l’hôpital public.
Voilà qui va encore alimenter la mise en concurrence des structures et favoriser la gestion pyramidale et centralisée des hôpitaux. Par exemple, le départ d’un directeur d’hôpital pourrait être le prétexte à faire de cet établissement, au bout du compte, une annexe de l’hôpital support du GHT.
Alors que les bilans financiers démontrent l’échec des groupements hospitaliers de territoire, vous décidez d’accélérer ce que vous appelez l’intégration par l’installation de méga-GHT. Pourtant, les personnels que je rencontre lors de mes nombreux déplacements dans les hôpitaux et les Ehpad publics continuent, comme ils l’ont toujours fait, de remettre en cause ce pilotage à distance par des superstructures.
Redonner de l’attractivité aux professions de la santé et du médico-social passe par la revalorisation des métiers et l’augmentation salariale, mais aussi par le partage des pouvoirs et donc des décisions.
À cet égard, la réhabilitation des chefs de service est totalement amoindrie par le maintien des pôles. Pourquoi ce maintien, alors que la majorité des professionnels, à l’image du collectif interhôpitaux, demandent leur suppression, critiquant la bureaucratie qu’ils engendrent ?
A contrario, ce que vous appelez la gouvernance doit redonner à chacune et à chacun sa place et s’appuyer sur deux piliers : la fin des politiques d’austérité, avec un objectif national des dépenses d’assurance maladie à la hauteur, a minima, de l’évolution naturelle des dépenses ; et l’instauration d’une véritable démocratie sanitaire, avec une représentation plus importante de l’ensemble des professionnels médicaux, administratifs et techniques, des étudiantes et étudiants internes de médecine, des usagers et des élus locaux, totalement absents des prises de décision.
Or rien de tout cela ne se retrouve dans le texte, à part une mesure à l’article 9.
En outre, il manque dans ce texte des éléments fondamentaux pour un meilleur maillage de proximité, donc une offre de soins égale pour l’ensemble des territoires.
Ainsi, les centres de santé sont totalement oubliés. Pourtant d’après les chiffres du Conseil national de l’ordre des médecins, le nombre de médecins exerçant au moins une partie de leur activité en centre de santé a presque doublé entre 2010 et 2018. De fait, le salariat et l’exercice regroupé séduisent de plus en plus les jeunes médecins : malgré les tentatives de certains pour les maintenir dans le sacro-saint exercice libéral, nous assistons à un développement indiscutable de la médecine salariée, notamment chez les généralistes.
Il est donc nécessaire de renforcer l’attractivité des centres de santé, qui assurent l’accès aux soins non programmés que les médecins libéraux ont abandonnés depuis le décret Mattei supprimant les gardes les nuits, les week-ends et les jours fériés.
C’est d’autant plus nécessaire que, selon l’Association des maires de France et les maires ruraux, la désertification médicale s’accélère, en sorte que les habitantes et habitants des zones rurales ont de moins en moins accès aux hôpitaux. Ainsi, en 2019, ce sont 7,4 millions de Françaises et de Français qui habitaient dans un désert médical, soit 11 % de la population ; ils n’étaient que 5,7 millions trois ans plus tôt…
Le manque de médecins est l’une des causes fondamentales de l’accélération de la désertification médicale. Mme Buzyn y avait répondu par la suppression du numerus clausus dans les études de santé. Mais sans moyens supplémentaires accordés aux universités, sans investissements immobiliers et sans revalorisation du tutorat, cela revient à la situation actuelle de stagnation du nombre de médecins formés.
Selon Emmanuel Vigneron, géographe de la santé, plus on est loin, moins on a d’informations et moins il y a de médecins. Pourtant, la crise sanitaire de la covid-19 souligne l’enjeu que constitue l’investissement dans l’éducation à la santé et dans un maillage territorial d’accès aux soins.
Mes chers collègues, nous vous invitons à voter la question préalable, et ce malgré deux éléments positifs – la suppression de l’article 1er, qui créait des professions médicales intermédiaires, article vilipendé de tous ; le maintien de plusieurs articles renforçant les prérogatives des sages-femmes et contribuant ainsi à une meilleure reconnaissance de cette profession médicale –, parce que nous sommes en désaccord avec la conception générale de ce texte. Quelle que soit notre appétence pour le débat, nos désaccords de fond rendent l’adoption de nos amendements très hypothétique.
Le plus grave, monsieur le ministre, est qu’aucun enseignement n’a été tiré de la pandémie que nous vivons depuis près d’un an et qui ne s’éteint toujours pas. Vous continuez à prendre des mesures dans le droit-fil des réformes qui ont conduit notre système de santé là où il en est aujourd’hui – loi HPST de Roselyne Bachelot, loi Santé de Marisol Touraine, loi Ma santé 2022 d’Agnès Buzyn –, avec en supplément la casse du cadre national du service public de santé.
Mes chers collègues, Cathy Apourceau-Poly et moi-même avons entendu des critiques virulentes contre ce texte en commission ; nous avons même entendu monter de la colère, depuis tous les groupes politiques. Nous invitons donc toutes celles et tous ceux d’entre vous qui prétendent défendre le service public de santé et refuser la casse du système hospitalier à voter notre motion. Ne remettez pas à plus tard ce que vous pouvez faire maintenant ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)