Mme le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 28, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le démarchage d’un électeur en vue de solliciter une procuration est interdit. Toute infraction au présent article est punie d’une amende de 75 000 €.
L’amendement n° 29, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À compter de l’entrée en vigueur de la présente loi et jusqu’au 31 décembre 2022, le démarchage d’un électeur en vue de solliciter une procuration est interdit. Toute infraction au présent article est punie d’une amende de 75 000 €.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour présenter ces deux amendements.
M. Jean Louis Masson. J’ai déposé, à plusieurs reprises, deux amendements assez proches afin d’échapper à tout risque d’irrecevabilité au titre de l’article 45 de la Constitution. Deux précautions valant mieux qu’une, ne sachant pas ce qui serait décidé, le deuxième amendement, de repli, prévoit que la disposition proposée est seulement applicable le temps de la crise sanitaire. Notre collègue Alain Richard s’est fort bien exprimé sur le sujet.
En matière de procuration, il faut être extrêmement prudent. J’ignore si la Moselle ou Metz sont des cas particuliers, mais beaucoup de personnes souffrant d’Alzheimer aggravé y donnent des procurations après avoir été démarchées.
Ces dérives visent des personnes âgées n’ayant plus tous leurs moyens et dont les familles prennent peu de soin. Il s’agit d’un véritable problème. Les élections municipales ont été annulées à Thionville parce que des gens n’ayant plus toute leur tête avaient donné procuration à ces démarcheurs.
Nous savons tous que ces pratiques ont cours, notamment chez les candidats qui ont les moyens d’avoir des réseaux dans les maisons de retraite.
On m’a déjà opposé que le démarchage était interdit par la loi. Ce n’est pas vrai : le démarchage n’est pas explicitement interdit. Or les choses vont beaucoup mieux quand elles sont dites clairement, et ce d’autant plus que les gens qui se livrent à ces pratiques sont assez peu sensibles à l’interprétation de la loi.
Tel est le sens de ces deux amendements.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Le démarchage des procurations est déjà sévèrement puni, bien heureusement. Il est inutile de renforcer les sanctions : avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Les articles L. 106 et L. 116 du code électoral prévoient déjà des sanctions dans de telles situations : avis défavorable également.
Mme le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. J’apprends avec inquiétude que la situation en Moselle n’est pas toujours parfaite. (Sourires ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Toujours est-il que le droit de procuration, qui peut se révéler très utile dans certaines situations, est aujourd’hui parfaitement encadré : il faut notamment justifier de problèmes de santé ou d’obligations professionnelles et déposer la procuration au tribunal ou à la gendarmerie. Il serait paradoxal de revenir sur ce droit fondamental, alors que la crise sanitaire met déjà à mal la participation démocratique.
Ce n’est pas en raison de quelques abus ici ou là que l’on doit se priver de cette faculté. Et pourquoi ne pas interdire les déplacements en automobile au motif qu’il y a des excès de vitesse ?
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Je ne propose pas de supprimer le droit de procuration.
Ce qui est insupportable, c’est le démarchage auprès de personnes qui n’ont plus toute leur tête. Quoi qu’on en dise, ces situations se produisent. Les gens qui ont de l’influence dans les maisons de retraite ne manquent pas une occasion de le faire !
Je maintiens mon amendement.
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 30, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’utilisation de tout ou partie des listes d’émargement du premier tour afin de démarcher les électeurs est interdite. Toute infraction au présent article est punie d’une amende de 75 000 €.
L’amendement n° 31, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À compter de l’entrée en vigueur de la présente loi et jusqu’au 31 décembre 2022, l’utilisation des listes d’émargement ou tout autre moyen pour recenser les électeurs abstentionnistes du premier tour afin de les démarcher est interdite. Toute infraction au présent article est punie d’une amende de 75 000 €.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour présenter ces deux amendements.
M. Jean Louis Masson. Dans la même logique que les deux amendements précédents, il s’agit encore d’éviter le démarchage d’électeurs.
Certains candidats profitent de leur situation, dans certaines municipalités, pour relever la liste des abstentionnistes du premier tour et les appeler avant le second.
Or il faut laisser chacun libre de voter ou non. Le démarchage s’accompagne souvent de pression sur les abstentionnistes. L’utilisation des listes électorales à ces fins est une très mauvaise chose dans une logique de démocratie. Je crois nécessaire de l’interdire.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission estime, au contraire, que la consultation des listes d’émargement entre les deux tours de scrutin, comme après le second tour, correspond à une tradition républicaine bien ancrée dans notre démocratie, nécessaire pour permettre d’amener au vote des citoyens qui n’auraient pas voté au premier tour. Il s’agit d’une bonne mesure, qu’il ne faut surtout pas limiter.
Il faut bien évidemment sanctionner les pressions, quand elles existent, mais le code pénal y suffit.
La commission est défavorable à ces deux amendements.
Mme Laure Darcos. Bravo !
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour explication de vote.
M. Laurent Burgoa. Je suis quelque peu surpris de ce double amendement.
Nous sommes nombreux ici à mener des campagnes électorales. Le droit de consulter les listes est ouvert à tout le monde, à tous les candidats, sur toutes les listes. Avant le premier tour, cela nous permet parfois de constater de nouvelles inscriptions dans notre circonscription. Entre les deux tours, c’est non pas à la mairie que l’on peut exercer ce droit, mais à la préfecture.
Un sénateur est quelqu’un qui respecte et garantit les mêmes droits à chacun. (M. le rapporteur et M. Jean-Marc Boyer applaudissent.)
Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.
M. Olivier Paccaud. Il s’agit non seulement d’une tradition, monsieur le rapporteur, mais aussi d’un droit et d’une liberté.
Je suis assez surpris, monsieur Masson, que vous proposiez de supprimer un droit démocratique élémentaire. Si l’on va au bout de votre logique, il ne faudrait pas faire campagne, car parler reviendrait alors à faire pression. J’avoue ne pas comprendre cette vision de la démocratie.
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote. (Marques d’agacement sur plusieurs travées.)
M. Jean Louis Masson. Je ne souhaite pas interdire la consultation des listes électorales avant l’élection. Ce contre quoi je m’insurge, c’est d’aller reprocher à quelqu’un de ne pas être allé voter. Je ne crois pas qu’aller voir les abstentionnistes du premier tour n’engage à rien !
Par ailleurs, des rapports de pouvoir peuvent exister, par exemple entre le maire et un employé municipal, ce qui induit une forme de pression.
Enfin, les sortants, déjà en place à la mairie, ont beaucoup plus de facilité que les autres candidats pour recenser les votants et les abstentionnistes. L’égalité n’est donc pas aussi parfaite qu’il n’y paraît.
Mme le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que l’auteur d’un amendement a également le droit d’expliquer son vote.
La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Je suis surpris des arguments avancés par M. Masson.
Il est faux de dire que la liste d’émargement n’est consultable que par les sortants. Il s’agit d’un document administratif comme un autre, consultable par tous ceux qui en font la demande.
Les présupposés sur lesquels sont construits ces amendements sont surprenants. Monsieur Masson, vous laissez entendre que des gens iraient voir les abstentionnistes pour leur reprocher de n’être pas allés voter. C’est vraiment l’argument zéro. Vous semblez oublier l’existence de l’isoloir, élément très protecteur pour chacun d’entre nous puisque le vote est individuel. Franchement, celui qui irait « engueuler » les électeurs qui n’ont pas voté risque fort de voir son idée se retourner contre lui.
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 31.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er bis (nouveau)
I. – Compte tenu des risques sanitaires liés à l’épidémie de covid-19, le présent article s’applique aux élections mentionnées au I de l’article 1er de la présente loi.
II. – Par dérogation à l’article L. 73 du code électoral, chaque mandataire peut disposer de deux procurations, y compris lorsque ces procurations sont établies en France.
Si cette limite n’est pas respectée, les procurations qui ont été dressées les premières sont les seules valables. La ou les autres procurations sont nulles de plein droit.
III. – Le mandataire doit être inscrit dans la même commune que le mandant, sauf lorsqu’il dispose de la procuration de son conjoint, de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, de son concubin, d’un ascendant, d’un descendant, d’un frère ou d’une sœur.
Pour l’application du présent III, la procuration est enregistrée au moins trois jours avant le scrutin.
IV. – À leur demande, les personnes qui, en raison de l’épidémie de covid-19, ne peuvent pas comparaître devant les officiers et agents de police judiciaire habilités à établir les procurations ou leurs délégués disposent du droit à ce que les autorités compétentes se déplacent pour établir ou retirer leur procuration.
Ces personnes peuvent saisir les autorités compétentes par voie postale, par téléphone ou, le cas échéant, par voie électronique. Elles indiquent la raison de leur impossibilité de se déplacer, sans qu’il leur soit nécessaire de fournir un justificatif.
V. – Au sein du bureau de vote, des équipements de protection adaptés sont mis à la disposition des électeurs qui n’en disposent pas et des personnes participant à l’organisation ou au déroulement du scrutin.
Les dépenses résultant du présent V sont à la charge de l’État.
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l’article.
M. Jean Louis Masson. Je suis assez réticent, si ce n’est très réticent, à l’extension des possibilités de donner procuration.
S’il n’y a aucun risque, pourquoi ne pas laisser une personne avoir dix ou quinze procurations ? C’est bien que des dérives ou des anomalies sont possibles. Je pense que nous devons nous montrer très prudents sur cette question.
Mme le président. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 32 rectifié est présenté par M. Benarroche, Mme Benbassa, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Fernique, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon.
L’amendement n° 43 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 2 et 3
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 32 rectifié.
M. Guy Benarroche. J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer nos doutes sur les procurations, qui ne sauraient être des remèdes à l’abstention.
J’y vois trois raisons : tout d’abord, le mandant est tributaire du mandataire qui dépose le bulletin dans l’urne transparente. Il ignorera toujours si ce bulletin correspondait bien à son choix intime. Cette modalité de vote est assurément celle qui met le plus en questionnement la sincérité dudit vote. Il s’agit d’une limite majeure.
Ensuite, nous savons tous que la course aux procurations – il ne s’agit pas de procurations en blanc, il n’y a donc rien de frauduleux – auprès de personnes plus fragiles peut d’autant plus faire basculer un vote que le corps électoral est limité. Le risque est plus ou moins grand en fonction des élections, mais il existe.
Enfin, le risque de fraude – je suis élu d’une région qui a connu récemment des tentatives de fraude en la matière – sera nécessairement plus important avec l’instauration d’une double procuration.
Les travaux de la mission d’information sur le vote à distance n’ont pas permis de trancher sur d’autres modalités applicables dès aujourd’hui ou dans un avenir très proche pour améliorer la participation, ce qui est bien l’objectif recherché.
J’entends bien votre souhait de faciliter le vote et de lutter contre l’abstention, mais votre remède me semble pire que le mal. Faute d’assurance sur la sécurisation et sur la sincérité de cette modalité de vote, je ne peux que m’opposer à l’extension du nombre de procurations que peut posséder un même mandataire.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée, pour présenter l’amendement n° 43.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le présent amendement vise à supprimer le II de l’article 1er bis, qui permet à chaque mandataire de disposer de deux procurations.
Le relèvement à deux du nombre de procurations qu’un même mandataire peut détenir avait en effet été mis en place pour le second tour des élections municipales comme une mesure d’urgence, dans un contexte où nous n’avions qu’une connaissance limitée de la manière dont nous pouvions freiner la propagation du virus.
Un tel relèvement ne peut devenir une règle générale et ne saurait être pérennisé. Les risques de fraude, déjà évoqués, apparaissent en effet trop élevés. C’est ce qui avait d’ailleurs amené le législateur, en 1988, à supprimer la possibilité pour un mandataire de porter deux procurations.
Même dans le contexte épidémique lié à la covid, le Gouvernement souhaite permettre au plus grand nombre possible de nos concitoyens d’exercer leur droit de vote dans le respect des principes édictés par l’article 3 de la Constitution, qui mentionne le vote personnel, et éviter les abus pouvant accroître le risque de fraude.
Comme il l’a fait depuis le début, le Gouvernement souhaite tout mettre en œuvre pour sécuriser sanitairement le double scrutin et permettre à tous les électeurs de se déplacer.
De plus, les personnes vulnérables qui le souhaitent devront être protégées. À la différence du second tour des élections municipales, le rapport entre les bénéfices du relèvement à deux du nombre de procurations et les risques qu’il emporte, notamment sur la sincérité du scrutin, a évolué.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement ne souhaite pas pérenniser cette mesure et propose donc à votre assemblée de la supprimer.
Mme le président. L’amendement n° 33 rectifié, présenté par M. Benarroche, Mme Benbassa, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Fernique, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette possibilité ne peut s’appliquer pour le renouvellement général des conseils départementaux.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Il s’agit d’un amendement de repli.
Les risques que je viens d’énumérer – fraude, organisation de collecte de procurations et manque de sincérité – doivent être particulièrement limités, a fortiori pour un scrutin départemental où quelques voix bien réparties dans quelques cantons suffisent à faire basculer l’équilibre politique du département tout entier.
Les élections départementales, au regard du mode de scrutin, sont particulièrement sensibles à ces risques. C’est la raison pour laquelle, dans l’hypothèse où mon amendement précédent ne serait pas adopté, je propose que la double procuration ne s’applique pas au renouvellement des conseils départementaux.
Le code électoral, dans sa partie réglementaire, prévoit que, « lorsque plusieurs élections ont lieu le même jour, il n’est établi qu’une procuration valable pour toutes ces élections ». Différencier ces procurations entraînerait des difficultés matérielles dont je suis bien conscient. Toutefois, je reste persuadé que cette différenciation en vaut la peine afin de garantir le bon déroulement de cette élection et d’assurer la confiance des électeurs en ses résultats.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission s’étonne…
L’exposé des motifs de l’amendement n° 43, déposé le 12 octobre 2020, au projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire précisait : « [La] pérennisation d’une mesure essentielle en période de pandémie, déjà mise en œuvre pendant l’état d’urgence sanitaire avant l’été, qui demeure nécessaire pour le double scrutin des élections départementales et régionales de mars 2021 ». L’exposé des motifs ajoutait, et je partage cet argument : « Cela contribuera à renforcer la participation citoyenne sans fragiliser la sécurité juridique des scrutins, tout en limitant l’exposition des personnes vulnérables. »
Mes chers collègues, savez-vous qui avait déposé cet amendement ? (On fait mine de s’interroger sur les travées du groupe Les Républicains.) Le Gouvernement ! (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains) Il me semble que vous en étiez déjà membre, madame la ministre.
M. Laurent Duplomb. Grotesque !
M. Philippe Bas, rapporteur. Quand, le jeudi 21 janvier 2021, La République En Marche a proposé de mettre en place le vote par internet pour l’élection présidentielle de 2027, elle a assorti cette proposition d’un certain nombre de recommandations très utiles, dont la première était de « maintenir à deux le nombre de procurations qu’une personne peut détenir ».
Madame la ministre, vous ne vous étonnerez donc pas que nous soyons parfois un peu troublés par les évolutions des positions de principe énoncées par le Gouvernement.
En vérité, vous avez vous-même souhaité, à juste titre, la mise en place de la double procuration au second tour des élections municipales. Cela s’est fait dans le bon ordre. Vous avez ensuite souhaité, en octobre dernier, le maintien de cette modalité pour les élections départementales et régionales.
Le principal parti de la majorité propose de pérenniser le système de double procuration. Nous n’allons pas aussi loin : nous proposons simplement son maintien pour les élections de juin prochain. Je ne vois pas l’inconvénient, mais je vois bien l’avantage. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François Bonhomme. En marche arrière !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 33 rectifié et demande le retrait de l’amendement n° 32 rectifié au profit du sien.
Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Le vote par procuration est le seul substitut au vote à l’urne en France.
Nous savons que cette modalité pose des difficultés structurelles. Nous sommes d’ailleurs très peu à l’utiliser en Europe. Sur le plan international, l’ensemble des commissions qui travaillent sur cette question propose de sortir du vote par procuration en ce qu’il contrevient au secret du vote et qu’il est sensible à la pression familiale…
Il n’en demeure pas moins que cette solution peut être utile dans la période que nous traversons. Pour autant, nous regrettons qu’elle se substitue à tout l’éventail des adaptations qu’il aurait été souhaitable de mettre en place.
Pour ces raisons, nous nous abstiendrons sur tous les amendements relatifs aux procurations.
Mme le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour explication de vote.
M. Laurent Burgoa. Plusieurs de nos collègues ont mis en doute la crédibilité de la parole du Gouvernement. Voilà encore un bel exemple, madame la ministre. Comment vous croire ?
Voilà quelques mois, notre rapporteur vient de le rappeler de manière magistrale, le Gouvernement proposait deux procurations. Malgré ce dispositif, et malheureusement pour la démocratie, la participation aux élections municipales de juin dernier n’a pas dépassé 30 %, notamment dans les grandes villes. Nous savons qu’elle risque d’être encore plus faible lors des régionales et départementales.
Il faut pourtant que le peuple s’exprime. Pour qu’il puisse le faire, madame la ministre, il faut lui en donner les moyens. Demain, le Gouvernement nous proposera de proroger l’état d’urgence jusqu’au 1er juin 2021, soit très près des échéances électorales des 13 et 21 juin. Pourquoi ne pas maintenir le même dispositif que celui du mois de juin dernier ? Pardonnez-moi de vous le dire, madame la ministre, mais votre parole n’est plus crédible.
Mme le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Vous l’avez rappelé, madame la ministre, la double procuration a été supprimée en France en 1988. Mais, en 1988, on votait encore beaucoup.
Aux élections législatives de 1988, la participation s’élevait, pour le premier tour, à 66 % et, pour le deuxième tour, à 69 %. Aux élections législatives de 2017, le taux de participation n’atteignait que 48 % !
À une époque où les gens allaient massivement voter, je peux comprendre que la double procuration n’était pas utile. Cependant, à une époque où le nombre de votants, quelle que soit l’élection concernée, ne cesse de diminuer, affirmer qu’on ne peut pas revenir au système de la double procuration, notamment en période de pandémie, n’a pas de sens ! Je n’ose l’imaginer, mais le Gouvernement ferait-il le raisonnement selon lequel, quitte à perdre les élections départementales et régionales, mieux vaudrait pour lui une faible participation ?
M. Laurent Duplomb. Ça fera moins mal !
M. Roger Karoutchi. Ne faites-vous pas un tel calcul ? Ce serait regrettable… M. le rapporteur vient de le rappeler, en octobre dernier, vous défendiez, par amendement, la double procuration.
J’ai moi-même fait partie, comme d’autres ici, d’un gouvernement. Quel que soit le gouvernement en place et quelle que soit sa couleur politique, je considère que, en démocratie, le débat entre le Parlement et le Gouvernement doit se faire de manière claire. Si on peut ne pas être d’accord avec le Gouvernement, la parole de ce dernier doit être crédible, constante et régulière. En effet, si ce dernier donne le sentiment de changer de pied en fonction d’éléments politiciens, il devient impossible de considérer sa parole comme crédible.
M. Laurent Duplomb. Exactement !
M. Roger Karoutchi. Que nous soyons dans l’opposition ou la majorité, nous devons pouvoir nous créditer d’une certaine régularité dans nos prises de position. Le Gouvernement avait déposé un amendement visant à mettre en place la double procuration dans les périodes pandémiques. En juin prochain, nous le savons, nous serons encore dans une telle période.
Par conséquent, pour ces prochaines élections, maintenez ce système, quitte à revenir à une seule procuration pour les élections suivantes.
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Un dicton bien connu l’affirme, seuls les imbéciles ne changent pas d’avis. Selon moi, il est tout à l’honneur du Gouvernement (Exclamations sur plusieurs travées.) de s’être rendu compte que les procurations représentent une source potentielle de fraudes et, donc, d’avoir changé d’avis.
Pour faire de la politique, nous le savons tous ici, les gens changent d’avis, y compris certains de nos collègues ! Par conséquent, pourquoi le Gouvernement ne pourrait-il pas faire évoluer sa position ?
Pour ma part, j’estime, comme le Gouvernement, que les procurations posent un vrai problème.
On nous parle de l’abstention, mais je ne suis pas d’accord avec cet argument. Les procurations peuvent faire basculer une majorité, dans la mesure où tout se joue parfois à quelques dizaines ou quelques cinquantaines de voix. En revanche, dans la mesure où leur nombre est très faible – c’est vraiment epsilon –, elles ne peuvent faire évoluer le taux d’abstention !
Là où elles représentent un grand danger, c’est qu’elles permettent de récupérer à la marge, plus ou moins légalement – je ne referai pas le débat –, des suffrages susceptibles de faire basculer le vote.
Par conséquent, sur ce point, le Gouvernement a tout à fait raison !
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Les argumentations sur lesquelles reposent ces trois amendements sont différentes. Permettez-moi d’exprimer la position du groupe CRCE.
Nous allons voter sur ces amendements, et nous allons également envoyer un message aux Françaises et aux Français.
D’un point de vue démocratique, la procuration laisse subsister des éléments d’incertitude, mais comme tout acte humain !
Toutefois, la question du nombre de procurations ne permettra pas de régler les problèmes bien plus importants qui nous sont posés : la démocratie représentative est en crise, mes chers collègues. Il y a une crise de la politique et de la citoyenneté. Nous débattrons tout à l’heure des procurations familiales. N’avons-nous pas un autre débat à mener ? Dans quelle République chaque Française et chaque Français dispose-t-il d’un d’espace d’émancipation ? Telle est la question qui nous est posée, non seulement lors des élections, mais aussi lorsqu’il n’y a pas d’élections.
M. Masson nous a fait un récit digne de la bibliothèque verte (Sourires.), en évoquant différentes formes de fraudes. C’est à se demander si, avant la fin de la soirée, nous n’allons pas avoir un cours magistral.
La question posée est aussi, de fait, celle de la confiance. Cela fait un an qu’on culpabilise les Françaises et les Français pour ce qui concerne la crise du covid et bien d’autres sujets. Cela fait un an qu’on infantilise les gens. Pour ma part, je vois dans votre revirement sur cette question, madame la ministre, non pas tant toutes ces manœuvres politiciennes que d’aucuns évoquent, mais bien davantage un problème de confiance. Si nous conservons les mêmes procédures en matière de procuration, des dangers existent, certes, mais nous devons faire confiance à la citoyenneté des Françaises et des Français. Dans notre société fragmentée, divisée et violente, nous devons faire ce geste.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons contre ces trois amendements.