Sommaire
Présidence de Mme Pascale Gruny
Secrétaires :
MM. Daniel Gremillet, Joël Guerriau.
3. Hommage à Jean-Pierre Michel, ancien sénateur
4. Renouvellement des conseils départementaux et régionaux. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois
Demande de renvoi à la commission
Clôture de la discussion générale.
Article additionnel avant l’article 1er
Amendement n° 11 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 12 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 1 rectifié quater de M. Alain Cadec. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 1er
Amendement n° 28 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 29 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 30 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 31 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 33 rectifié de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 21 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 1er bis
Amendement n° 41 rectifié de M. Éric Kerrouche. – Rejet.
Amendement n° 44 rectifié ter de M. Éric Kerrouche. – Rejet.
Amendement n° 45 de M. Éric Kerrouche. – Rejet.
Amendement n° 19 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 34 rectifié bis de Mme Marta de Cidrac. – Rejet.
Amendement n° 17 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 2
Amendement n° 13 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 14 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 15 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 16 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 3
Amendement n° 46 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 42 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 40 rectifié de M. Pierre Louault. – Retrait.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 4
Amendement n° 47 de M. Alain Richard. – Retrait.
Amendement n° 3 de Mme Agnès Canayer. – Retrait.
Amendement n° 48 de M. Alain Richard. – Rejet.
Amendement n° 9 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 7 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 10 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 8 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Articles 5 et 6 (nouveaux) – Adoption.
Articles additionnels après l’article 6
Amendement n° 36 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Retrait.
Adoption de l’article.
Adoption de l’article.
Amendement n° 23 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Adoption de l’article.
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
5. Code de la justice pénale des mineurs. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 3 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 1er
Amendement n° 4 rectifié de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 1er bis
Amendement n° 24 rectifié de Mme Laurence Harribey. – Rejet.
Amendement n° 63 rectifié de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 47 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
Amendement n° 25 rectifié de Mme Laurence Harribey. – Retrait.
Amendement n° 62 rectifié de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 6 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 50 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
Amendement n° 51 rectifié ter de Mme Valérie Boyer. – Retrait.
Amendement n° 52 rectifié ter de Mme Valérie Boyer. – Retrait.
Amendement n° 27 de M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Amendement n° 70 de M. Thani Mohamed Soilihi. – Devenu sans objet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 74 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 68 rectifié de M. Thani Mohamed Soilihi. – Rejet.
Amendement n° 58 rectifié ter de Mme Valérie Boyer. – Rejet.
Amendement n° 76 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 72 du Gouvernement. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Article additionnel après l’article 2
Amendement n° 7 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 60 rectifié de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 8 de Mme Cécile Cukierman. – Adoption.
Amendement n° 26 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
Amendement n° 54 rectifié bis de Mme Valérie Boyer. – Retrait.
Amendement n° 23 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 2 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 3
Amendement n° 53 rectifié bis de Mme Valérie Boyer. – Rejet.
Amendement n° 28 de Mme Laurence Harribey. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 69 rectifié de M. Thani Mohamed Soilihi. – Retrait.
Amendement n° 11 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 64 rectifié de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 12 de Mme Cécile Cukierman. – Retrait.
Adoption de l’article.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Pascale Gruny
vice-président
Secrétaires :
M. Daniel Gremillet,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
Mme le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 21 janvier 2021 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Décès d’un ancien sénateur
Mme le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jean Dumont, qui fut sénateur des Deux-Sèvres de 1986 à 1995.
3
Hommage à Jean-Pierre Michel, ancien sénateur
Mme le président. Nous avons appris avec tristesse ce week-end le décès de notre ancien collègue Jean-Pierre Michel, qui fut sénateur de la Haute-Saône de 2004 à 2014.
Magistrat de profession, Jean-Pierre Michel a été secrétaire général du Syndicat de la magistrature de 1972 à 1974.
Il est élu député de la Haute-Saône en 1981 et le restera sans discontinuer jusqu’en 2002. En 2004, il est élu sénateur de son département et siégera au sein de notre hémicycle pendant dix ans.
Ses mandats parlementaires furent notamment marqués par son rôle majeur en tant qu’auteur de la proposition de loi ayant abouti à la création du pacte civil de solidarité (PACS) et par son travail en tant que rapporteur du Sénat sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Au nom du Sénat, je souhaite exprimer notre sympathie et notre compassion à sa famille, à ses proches, ainsi qu’au président et aux membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, dont il fut membre.
4
Renouvellement des conseils départementaux et régionaux
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique (projet n° 254, texte de la commission n° 288, rapport n° 287).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les élections locales sont une composante essentielle de la démocratie. Elles sont l’occasion d’un moment démocratique important pour les Françaises et les Français : ils y élisent des élus de proximité, qu’ils ont souvent eu l’occasion de connaître et de rencontrer.
Les Français choisissent aussi à cette occasion les élus qui exerceront des compétences touchant à leur vie du quotidien, que ce soit la solidarité pour les départements, ou l’emploi et le développement économique pour les régions.
Je sais l’attention que porte le Sénat aux scrutins désignant les élus locaux, lui qui a la mission spécifique d’assurer la représentation des collectivités territoriales de la République, en vertu de l’article 24 de notre Constitution.
C’est pourquoi le projet de loi que nous examinons aujourd’hui prend une dimension particulière au Sénat. Par ce texte, le Gouvernement soumet au Parlement la proposition de reporter de mars à juin 2021 le renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux, des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique prévu cette année.
Pourquoi reporter le double scrutin prévu en mars prochain et allonger le mandat des conseillers départementaux et régionaux ?
Proposer un tel report des échéances électorales n’est jamais une décision facile. Ce report est directement lié au contexte épidémique que nous connaissons.
Avant de prendre cette décision, le Gouvernement a souhaité bénéficier de tout l’éclairage nécessaire. C’est pourquoi le Premier ministre a confié le 23 octobre dernier à M. Jean-Louis Debré, ancien président du Conseil constitutionnel, une mission visant à étudier si les élections départementales et les élections régionales, que le législateur avait fixées en même temps en mars 2021, pourraient se tenir, et dans quelles conditions.
Je tiens, au nom du Gouvernement, à saluer le travail réalisé par M. Debré, qui a nourri le rapport remis au Premier ministre le 13 novembre dernier. Dans un temps court, M. Debré a réalisé des consultations larges, de toutes les forces politiques comme des associations d’élus locaux. Son analyse est ainsi exempte de tout esprit partisan.
Ce rapport intègre aussi les recommandations du Conseil scientifique sur la pandémie de covid-19. Il a permis d’aboutir à un diagnostic partagé sur le sujet essentiel qu’est le scrutin dans une démocratie. Après avoir étudié plusieurs scénarios de report, M. Debré a estimé « raisonnable » – je cite le terme employé dans son rapport – que ce double scrutin se tienne au mois de juin 2021.
Les recommandations du rapport sont claires et pragmatiques. Le Gouvernement les a suivies en présentant ce projet de loi qui reporte les élections départementales et régionales à juin prochain.
Il faut donner de la lisibilité aux électeurs, aux candidats et aussi aux élus locaux sortants concernés par cette échéance : le Gouvernement entend donc que ces élections se tiennent en juin prochain et fera tout pour qu’il en soit ainsi.
M. Bruno Sido. Fort bien !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le choix précis des dates relève – vous le savez, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs – du pouvoir réglementaire. Il sera fait au plus vite, dès que le pouvoir législatif aura donné sa position sur le report de mars à juin prochain, objet de notre discussion de ce jour.
En revanche, seule la loi pourrait décider d’un éventuel nouveau report pour une autre période que juin prochain, ce que le Gouvernement ne souhaite pas. Cela supposerait que les conditions sanitaires ne se soient pas améliorées d’ici là. En tout état de cause, le Parlement sera parfaitement informé de la situation sanitaire par le biais du rapport qui lui sera remis au plus tard le 1er avril 2021. J’ai bien relevé les informations complémentaires que la commission des lois a souhaité obtenir dans le cadre de ce rapport : le Gouvernement y répondra.
Le report de l’élection des conseillers régionaux et départementaux a un impact sur la fin de leur mandat. Les conseillers régionaux élus en juin prochain devraient voir leur mandat s’achever en juin 2027, période à laquelle se dérouleront des élections législatives. C’est pourquoi le Gouvernement avait proposé de reporter cette fin de mandat à décembre 2027, à une date qui respectait le plus possible la durée habituelle du mandat.
Tout est donc mis en œuvre pour que ce double scrutin puisse se tenir dans les meilleures conditions possible, en juin prochain.
Je partage les préoccupations de la commission des lois et des sénateurs, exprimées dans les amendements qui ont été adoptés par la commission ou déposés sur son texte : permettre au plus grand nombre d’électeurs de prendre part au double scrutin de juin prochain et de choisir librement leurs représentants au sein de ces collectivités territoriales.
Le Gouvernement entend mettre en œuvre les mesures nécessaires pour leur permettre d’exercer ce droit et ce devoir de citoyen. Il s’agit ainsi de concilier la sécurité sanitaire et la tenue d’un scrutin dans les conditions les plus parfaites d’équité, de liberté et de sincérité, sans prendre un risque inconsidéré de fraude électorale.
Ainsi, même si le Gouvernement a bien relevé les évolutions adoptées en commission des lois, je souhaite dès à présent souligner que certaines posent de vraies difficultés pratiques. C’est le cas, par exemple, de l’anticipation de la déterritorialisation des procurations. Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen des amendements.
En tout état de cause, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement partage votre souci de permettre à chaque citoyen de prendre part à ce scrutin. Plusieurs mesures s’inscrivant dans cette perspective sont d’ailleurs en cours de préparation.
Pour sécuriser la tenue des bureaux de vote, des dispositions seront prises afin de limiter le risque sanitaire. J’en rappellerai brièvement les grandes lignes, qui tirent les conséquences de l’expérience de la mise en œuvre de plusieurs protocoles sanitaires.
Le port du masque sera évidemment obligatoire, sauf le temps de contrôler, le cas échéant, l’identité du votant, et du gel hydroalcoolique sera mis à disposition.
Le matériel nécessaire – masques, gel, visières – sera fourni par l’État ou remboursé, par exemple pour des parois en plexiglas visant à séparer les membres du bureau de vote et l’électeur.
Le maintien d’une distance minimale entre les électeurs sera organisé de différentes manières : marquage au sol, parcours fléché, limitation du nombre d’électeurs présents simultanément et gestion des files d’attente.
Le nombre d’électeurs présents simultanément dans le bureau de vote sera limité à trois, et les personnes vulnérables auront un accès prioritaire.
Les bureaux de vote seront aérés en continu et désinfectés régulièrement.
Pour la tenue des rôles dans le bureau de vote, là aussi, la prise en compte de la situation sanitaire a amené à des aménagements des règles habituellement établies. Par exemple, la carte d’électeur ne sera pas estampillée pour éviter les contacts entre les personnes.
En résumé, l’objectif global est d’aménager les lieux de manière à limiter les situations dites de « promiscuité prolongée » et les contacts.
Au-delà de ces aménagements purement sanitaires, le Gouvernement prépare déjà des mesures réglementaires pour faciliter l’exercice du droit de vote.
Tout d’abord, une téléprocédure sera ouverte pour faire une demande de procuration. Elle sera complémentaire de la procédure papier. Même s’il reste nécessaire de se déplacer au commissariat ou à la brigade de gendarmerie, la démarche sera simplifiée, et le citoyen sera informé que la commune a bien pu prendre en compte sa demande.
Ensuite, un projet de décret est en cours d’examen par le Conseil d’État pour faciliter l’organisation du double scrutin par les communes, et donc dans l’intérêt des électeurs. Vous le savez, la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la question du double scrutin est très stricte. Il faut dédoubler les bureaux de vote afin de ne pas créer de confusion dans l’esprit de l’électeur.
Tout en respectant ce principe, le Gouvernement envisage les aménagements suivants pour juin prochain.
Les fonctions de président et de secrétaire du bureau de vote pourraient être mutualisées, tout en conservant un niveau suffisant de surveillance des opérations électorales.
Dans les cas où les deux bureaux pour les deux scrutins sont ouverts dans la même salle, les isoloirs seraient mutualisés.
Dans les bureaux dotés de machines à voter, les deux scrutins pourraient être organisés sur la même machine et tous les membres du bureau de vote seraient mutualisés.
Enfin, dans le contexte de l’épidémie de covid-19, qui rend plus vulnérables les personnes âgées, il sera proposé que, en l’absence d’assesseur, l’électeur le plus jeune soit désigné par défaut puis, s’il manque encore un assesseur, l’électeur le plus âgé.
En plus de ces aménagements qui doivent aider les communes comme les électeurs, le ministère de l’intérieur hébergera sur son site les professions de foi des candidats qui le souhaiteraient. Il n’y aura bien sûr pas de suppression du support papier pour les candidats qui désirent le conserver. S’agissant de la campagne électorale, ce support électronique permettra un accès sûr à l’information d’un point de vue sanitaire.
En outre, toujours pour rendre possible une campagne électorale dynamique malgré l’épidémie, mais aussi pour tenir compte de l’allongement de la période de campagne, le Gouvernement propose dans ce projet de loi une augmentation des dépenses électorales – les plafonds de dépenses autorisées étant majorés de 20 %.
Notre objectif commun est bien que les citoyens participent le plus massivement possible au scrutin de juin prochain, sans risque pour leur santé ou pour la maîtrise de l’épidémie si celle-ci est encore active au printemps prochain.
À cet égard, le Gouvernement prévoit des aménagements qui nous permettront d’organiser le double scrutin en juin prochain sans risque de fraude ou de déficit de confiance quant aux résultats des élections.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les élections sont le fondement même du fonctionnement de notre démocratie, au niveau tant national que local. Nous vivons actuellement une situation inédite avec la pandémie de covid-19 : un report de quelques mois, mais de quelques mois seulement, nous semblait être une nécessité.
Avec le concours des préfets et des maires, qui organisent concrètement chaque élection, nous donnerons aux Français la possibilité de choisir leurs élus départementaux et leurs élus régionaux en juin prochain, en toute sécurité et – je l’espère – en toute sérénité. (M. Alain Richard applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je dois vous dire avec sincérité et honnêteté que j’aurais préféré que les élections départementales et régionales ne soient pas déplacées.
M. Bruno Sido. Moi aussi !
M. Philippe Bas, rapporteur. Au moment où le rapport Debré a été remis, rien ne laissait prévoir l’impossibilité d’organiser des élections départementales et régionales en mars prochain. Je comprends cependant bien que, dans le contexte de très grande anxiété justifiée par la gravité de l’épidémie, les forces politiques se soient entendues pour admettre un report de ces scrutins.
Néanmoins, il me semble que la solution consistant à faire face à l’épidémie en jouant sur le calendrier électoral n’est pas la bonne. Cela étant dit, je vous proposerai d’adopter ce texte. Pourquoi ? Parce qu’il est trop tard pour ne pas le faire ! C’est toute l’habileté du processus engagé en désignant, au mois d’octobre dernier, l’ancien président du Conseil constitutionnel pour faire un rapport qu’il a remis le 13 novembre suivant, que d’avoir rendu pratiquement impossible l’organisation, dans de bonnes conditions, des élections départementales et régionales en mars prochain.
Je vous le dis, madame la ministre : « Jusqu’ici, mais pas plus loin ! » En effet, ce serait une mauvaise habitude à prendre que de reporter des élections, alors même que nous n’en savons collectivement pas plus long sur ce que sera le contexte épidémique en juin prochain que sur ce qu’il sera en mars prochain, même si nous constatons, hélas ! que l’épidémie est en train de s’aggraver.
Dans l’optique des futures échéances électorales – puisque le Président de la République a annoncé son souhait qu’un référendum soit organisé cette année et que se tiendront de toute façon une élection présidentielle et des élections législatives l’an prochain –, il faut, me semble-t-il, apprendre à vivre, comme l’a dit le Président de la République, avec le virus, y compris pour ce qui concerne le fonctionnement de notre démocratie.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Philippe Bas, rapporteur. Nos enfants vont à l’école, les professeurs sont à leur poste, les ouvriers travaillent dans les usines, les transports en commun fonctionnent, nous faisons nos courses dans les hypermarchés, et il serait impossible d’organiser dans le même contexte des élections si importantes pour l’avenir du pays que les élections régionales et départementales ? Franchement, je n’en crois rien !
L’effort que nous, démocrates de tous bords, avons à faire, c’est précisément de permettre que le suffrage universel puisse en toutes circonstances s’exprimer. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la commission des lois a fait un certain nombre de propositions afin d’apporter des garanties de sécurité supplémentaires à nos concitoyens lors du déroulement du scrutin et de faire en sorte que la campagne électorale, notamment régionale, puisse se dérouler avec des instruments nouveaux. J’espère que ces dispositions seront adoptées par notre assemblée.
J’entends bien que nous puissions être, en quelque sorte, « traumatisés » par les conditions dans lesquelles s’est déroulé le premier tour du scrutin des élections municipales le 15 mars dernier. En effet, le 14 mars, ce fut un coup de tonnerre dans tous les foyers français lorsque l’on a appris, de la bouche du Premier ministre, que des restrictions majeures allaient être apportées aux libertés tant le virus était dangereux et tant il se répandait rapidement. Chaque Français s’est bien sûr interrogé sur le risque qu’il prenait s’il allait voter le lendemain, ce qui s’est traduit par un taux d’abstention très élevé.
Sommes-nous dans la situation d’être surpris par l’urgence alors que nous avons maintenant l’expérience d’un an de gestion de crise sanitaire et de l’adoption de quatre textes législatifs pour réguler l’action des pouvoirs publics pendant cette période ? La réponse est évidemment : non !
Nous avons, à rebours de l’expérience du 15 mars dernier, celle du second tour des élections municipales, qui a été organisé – je crois pouvoir le dire – dans de bonnes conditions, à un moment où l’épidémie marquait d’ailleurs heureusement le pas. Ne nous laissons pas « imprégner » dans nos réactions par la mauvaise image laissée par les circonstances tout à fait extraordinaires dans lesquelles le premier tour de scrutin des élections municipales s’est déroulé en mars dernier !
Je ne voudrais pas que, comme certains en ont prêté l’intention au Président de la République et au Gouvernement, derrière l’utilisation de la crise sanitaire se cache en réalité le souhait d’un report des élections départementales et régionales à une date plus lointaine que le mois de juin prochain, pour des motifs de convenance personnelle.
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Philippe Bas, rapporteur. La presse s’est fait l’écho, en juin dernier, d’un déjeuner du Président de la République avec le président et le vice-président de l’association Régions de France au cours duquel il aurait demandé à ses interlocuteurs de bien vouloir accepter, en contrepartie des moyens donnés par l’État aux régions dans le cadre du plan de relance pour qu’elles agissent aux côtés des entreprises, le report des élections régionales à l’automne de 2022 – je dis bien 2022 !
M. Loïc Hervé. Pourquoi pas 2023 ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Le Président de la République semble avoir renoncé à cette hypothèse de travail, mais elle était bien sur la table si l’on en croit la presse. Jean-Louis Debré, ancien président du Conseil constitutionnel, ne nous a-t-il pas dit, au cours de son audition par la commission des lois, qu’on attendait de son rapport qu’il envisage cette hypothèse comme la plus favorable ?
Ici, au Sénat, nous ne pouvons que dire non ! Nous ne pouvons que nous opposer à la manipulation du calendrier électoral pour convenance personnelle. Il ne s’agit pas simplement de dégager la voie pour qu’elle soit libre jusqu’à l’élection présidentielle : ce n’est pas notre conception de la démocratie !
J’ai bien entendu, madame la ministre, que vous avez cherché à nous rassurer, et je suis heureux des propos que vous avez tenus à l’instant à cette tribune. Vous pourrez, je le crois, les traduire concrètement en approuvant les dispositions adoptées par la commission des lois du Sénat qui vont être débattues tout à l’heure.
Celles-ci consistent précisément, d’une part, à faire une campagne pour les élections régionales sur les médias audiovisuels du service public – vous aviez déposé un amendement, j’apprends que vous l’avez retiré : je vous en remercie, c’est un geste dans notre direction –, et, d’autre part, à faire en sorte que les opérations de vote se déroulent dans des conditions qui assurent leur sécurité – là aussi, vous avez repris un certain nombre de dispositions.
En revanche, je suis très étonné d’entendre que le Gouvernement n’est plus favorable, pour ces scrutins, à la possibilité d’une double procuration pour favoriser la participation d’un plus grand nombre d’électeurs.
M. Loïc Hervé. Dommage !
M. Philippe Bas, rapporteur. Pourquoi suis-je si surpris ?
D’abord, parce que c’est une bonne mesure.
Ensuite, parce qu’elle a été appliquée au second tour des élections municipales avec l’accord du Gouvernement.
Enfin, parce que le Gouvernement, il y a finalement très peu de temps – c’était au mois d’octobre –, a lui-même présenté un amendement visant à permettre la double procuration.
Et voilà que le Gouvernement change d’avis ! Il va falloir nous expliquer pourquoi. Car, en réalité, ou bien l’on est pour la lutte contre l’abstention des personnes vulnérables, qui n’osent pas se déplacer, ou bien l’on est contre.
Si l’on est contre, il faut le dire, et alors on ne fait qu’une seule procuration. Si l’on est pour, on est d’accord – comme vous l’avez été, puisque vous l’aviez vous-même proposé – pour faire une double procuration, comme nous le prévoyons.
Nous proposons aussi qu’il soit possible de donner procuration à l’un des membres de son cercle familial restreint – les ascendants directs, les frères et sœurs, les descendants directs – en qui l’on a confiance, même s’il n’est pas électeur de la commune. En quoi cela pourrait-il favoriser une fraude, alors que les conditions sont extrêmement précises et restrictives ?
Si le Gouvernement met de la bonne volonté pour assurer la qualité et la sécurité du scrutin, alors nous penserons, sur l’ensemble de ces travées, qu’il veut vraiment que la date du mois de juin prochain soit respectée.
Si, en revanche, toutes les précautions ne sont pas prises, tant pour la campagne que pour le déroulement du scrutin, nous continuerons, madame la ministre, à nous interroger sur votre intention, avec une forme d’anxiété.
Car tout report après le mois de juin se heurterait non seulement à des difficultés politiques – si l’élection devait se tenir à l’automne prochain, la campagne serait difficile à organiser au mois d’août –, mais aussi constitutionnelles – si l’on reportait ces élections à une date postérieure à l’élection présidentielle. Le Conseil constitutionnel devrait d’ailleurs, de mon point de vue, s’y opposer.
Voilà, madame la ministre, mes chers collègues, ce que je souhaitais vous dire pour introduire le débat. Nous entrerons davantage dans le détail des mesures au cours de la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Demande de renvoi à la commission
Mme le président. Je suis saisie, par M. Masson, d’une motion n° 49.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale le projet de loi portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique (n° 288, 2020-2021).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord évoquer l’organisation de nos débats, notamment l’application des articles 41 et 45 de la Constitution. Vous le savez tous, il existe des garde-fous pour encadrer les cavaliers législatifs, mais il faudrait plutôt, me semble-t-il, encadrer ces garde-fous !
Le périmètre du projet de loi a été défini, et les amendements qui n’entrent pas dans ce périmètre sont jugés irrecevables. Ce périmètre – ce n’est pas moi qui l’ai fixé, un document nous a été adressé – comprend, premièrement, l’organisation des élections régionales et départementales et de la campagne afférente et, deuxièmement, les conséquences qui en résultent pour le fonctionnement des collectivités territoriales.
Je suis tout de même quelque peu surpris qu’une série de mes amendements aient été repoussés, même si j’avais pris des précautions : pour éviter le rejet, j’ai déposé chaque amendement en double, avec une version cantonnée aux élections régionales.
Un de mes amendements prévoyait de limiter le nombre d’électeurs inscrits par bureau de vote : actuellement, il n’y a aucune limitation de cet effectif, ce qui entraîne parfois des files d’attente, dangereuses en période de contamination. Cet amendement a été déclaré irrecevable au titre de l’article 41 de la Constitution. Je le regrette, car il avait vraiment un rapport avec le sujet dont nous discutons.
Par ailleurs, compte tenu de l’épidémie, il va être très difficile de faire des campagnes électorales. J’avais proposé que les professions de foi puissent être publiées non pas en format A4, mais en format double A4 – le candidat payant la dépense supplémentaire. Celui qui ne veut rien payer aurait un format A4 et celui qui accepte de payer aurait un double A4. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Cela permettrait, dans une période où l’on ne peut avoir de propagande, d’assurer une meilleure information des électeurs. Là encore, mes amendements n’ont pas été retenus.
Dernier point, j’avais proposé que, durant la période de propagation du virus, les commissions permanentes des conseillers régionaux et des conseillers départementaux puissent institutionnellement se dérouler en téléconférence. J’estime que cette mesure entre tout autant dans le champ du fonctionnement des collectivités territoriales en période d’épidémie que les articles 7, 8 et 9 du projet de loi sur le report des échéances des votes budgétaires.
Je suis un peu surpris,…
M. Bruno Sido. Pas vraiment !
M. Jean Louis Masson. … mais, les choses étant ce qu’elles sont, je m’incline devant le sort qui a été fait à mes amendements. Comme j’avais pris des précautions, certains d’entre eux seront tout de même discutés.
Je voudrais profiter de cette motion de renvoi en commission pour vous dire, madame la ministre, qu’il aurait été judicieux de profiter d’un texte à connotation électorale pour élargir le débat. Vous le savez, je ne figure pas parmi les soutiens du Gouvernement, mais j’ai pour habitude dans cette enceinte de voter pour un texte quand je considère qu’il est bon et de voter contre quand il est mauvais.
M. Philippe Bas, rapporteur. Nous aussi !
M. Jean Louis Masson. J’estime que le programme du président Macron pour sa campagne présidentielle comprenait, en matière électorale, d’excellentes choses.
Certaines de ces propositions ne peuvent plus être mises en œuvre aujourd’hui, mais il s’agissait malgré tout d’engagements du Président de la République. Je pense en particulier à la réduction du nombre de parlementaires – c’est une bonne chose, je l’ai toujours dit, même avant les élections. Il est dommage que l’on ne puisse plus y revenir.
Cela dit, il y avait d’autres engagements du Président de la République, comme l’introduction d’une dose de proportionnelle dans les scrutins. Là encore, j’ai toujours été très favorable à cette évolution ; sur ce point – c’est d’ailleurs assez rare –, je suis tout à fait d’accord avec François Bayrou, le président du MoDem ; cela m’arrive de temps en temps. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Oui, pour une fois, je suis d’accord avec lui !
Le Bulletin quotidien d’hier, lundi 25 janvier, rapporte ainsi ses propos : « Moi, je n’ai pas l’habitude de renoncer à ce que je considère comme essentiel. Je déplore, une nouvelle fois, la brutalité du scrutin majoritaire, dans lequel ni le pluralisme ni l’équité ne sont respectés. »
Il a, je crois, tout à fait raison et, en lisant la presse, j’ai appris qu’il avait l’intention de profiter des débats sur ce projet de loi à l’Assemblée nationale pour essayer, sinon de faire évoluer le texte, du moins de soulever le problème. Je profite donc, quant à moi, de cette intervention pour vous dire qu’il y a aussi des sénateurs qui sont pour ; il y en a également qui sont contre, je vous rassure, madame le ministre.
Il y a un dernier point, à propos des élections en général et des élections régionales en particulier, auquel tient considérablement M. Bayrou, c’est la banque de la démocratie…
Mme le président. Mon cher collègue, pourriez-vous mieux positionner votre masque, s’il vous plaît ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER.)
M. Jean Louis Masson. Bien sûr, madame la présidente.
C’était un engagement très fort et c’est une réflexion importante dans une démocratie, surtout en période d’épidémie ; en effet, dans une telle période, celui qui a peu de moyens sera beaucoup plus pénalisé que celui qui a en a beaucoup. En période d’épidémie, l’argent joue, dans les campagnes électorales, un rôle encore plus important qu’habituellement. C’est extrêmement préoccupant.
La moindre des choses serait que tout candidat puisse souscrire un emprunt, sans discrimination entre les candidats. J’ai personnellement vécu ce problème pendant les élections européennes. Il y avait des discriminations très fortes et non liées à la probabilité de remboursement, puisque des partis ayant un très gros potentiel électoral n’ont pas pu emprunter auprès des banques, tandis que d’autres, qui ont certes atteint le seuil de 5 %, seuil d’éligibilité et de remboursement, mais sans le dépasser de beaucoup, n’ont eu aucune difficulté.
Ainsi, un certain nombre de problèmes mériteraient d’être examinés. D’où cette proposition de renvoi en commission.
Pour terminer, je veux vous dire, madame le ministre, que ce qui se passe aujourd’hui au Gouvernement présente des aspects très positifs ; j’y reviendrai ultérieurement. J’ai notamment beaucoup apprécié la position du Premier ministre, M. Castex, qui a pris ses responsabilités,…
M. Philippe Bas, rapporteur. Ah ?
M. Jean Louis Masson. … de manière très courageuse, sur un dossier qui concerne les régions et le découpage régional, donc les élections régionales : la question de l’Alsace. En effet, samedi dernier, M. Castex a été très courageux en Alsace. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) J’y reviendrai. Il faudrait également avoir une réflexion sur l’organisation des grandes régions, qui sont démesurément grandes ; j’ai déposé des amendements à ce sujet.
Tout cela vient à l’appui de ma motion de renvoi en commission.
M. Philippe Bas, rapporteur. Notre collègue présente une motion de renvoi en commission, mais, comme il n’appartient plus à la commission des lois, il n’a pas pu mesurer directement à quel point les travaux de celle-ci ont été approfondis. Je veux donc en témoigner et en remercier notre président et chacun de nos collègues. Par conséquent, il ne me semble pas indispensable de renvoyer le texte en commission.
Néanmoins, le mérite de cette motion est qu’elle vous aura permis, mon cher collègue, de défendre, dans le détail, chacun de vos amendements, ce qui est susceptible de nous faire gagner du temps dans la suite de la discussion. (Sourires et applaudissements sur diverses travées des groupes Les Républicains, UC et CRCE.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Si seulement !
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le Gouvernement a émis un avis défavorable sur cette motion, madame la présidente.
Mme le président. Je mets aux voix la motion n° 49, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Yves Roux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, une fois de plus, nous sommes amenés à examiner le report de scrutins à venir, en l’espèce, le renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique, afin d’assurer la plus complète protection de nos concitoyens et le meilleur fonctionnement possible de nos institutions.
Nous prenons cette décision avec, en toile de fond, plusieurs incertitudes sanitaires : l’émergence de différents variants, qui affectent la rapidité des contaminations à la covid-19, la saturation possible des hôpitaux et la perspective, rendue publique jeudi dernier par le ministre de la santé, d’une vaccination pour tous à la fin de l’été.
Malgré ces très grandes incertitudes, notre démocratie tient le cap et nous avons tout intérêt à agir avec calme et pragmatisme pour aborder ces échéances électorales. Ce projet de loi témoigne que l’organisation des deux scrutins départementaux et régionaux pourra se tenir avec trois mois de décalage, sans préjudice majeur.
Nous souscrivons pleinement au projet de report des élections à juin 2021 et au retour au droit commun du calendrier électoral, avec l’organisation des prochains scrutins locaux en mars 2028. Nous sommes également favorables à un protocole sanitaire renforcé, à la possibilité de recevoir deux procurations, à l’augmentation des plafonds de campagne, à la possibilité de reporter le vote des budgets des départements et des régions et au dépôt différé des comptes de campagne. Ce sont des mesures de bon sens.
Nous proposons, si vous l’acceptez, monsieur le président de la commission, d’évaluer, à l’automne prochain, les difficultés liées à l’article R. 44 du code électoral relatif au nombre d’assesseurs tenant les bureaux de vote ; le recours à des assesseurs payés par les collectivités est une charge supplémentaire pour celles-ci et l’État se grandirait en la compensant a posteriori.
Je dois le préciser, le groupe du RDSE est attaché à la tenue de ces élections en juin 2021, parce que les échelons départementaux et régionaux ne sont pas des antichambres de l’élection présidentielle. Pierre Mauroy le disait, la décentralisation n’est pas qu’une démarche administrative, qu’un dispositif institutionnel ; c’est un souffle, un élan pour l’unité de la République, pour sa cohésion et l’efficacité de son action.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jean-Yves Roux. Notre République a besoin de conseillers départementaux renouvelés, de conseillers régionaux renforcés et de relais, d’élus de proximité qui puissent affronter ensemble les crises sociales, économiques, sanitaires et territoriales. En particulier, les conseillers départementaux ont, entre leurs mains, des missions de solidarité et de proximité quotidiennes. À ce titre, j’apprécierais que l’État prenne en charge, dès le mois de mai, des campagnes institutionnelles pour rappeler le rôle de ces conseillers.
Certes, nous sommes sous la Ve République, mais l’échéance présidentielle doit-elle pour autant tourner à l’obsession ? Je ne le crois pas et le Sénat non plus. L’enjeu majeur de ces deux scrutins est, selon nous, l’organisation de réelles campagnes électorales ; c’est à nous qu’il revient de rendre ces élections attractives, afin de rompre ce que Pierre Mendès France appelait l’« indifférence démocratique ».
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jean-Yves Roux. Il s’agit de ne pas se retrouver, comme en mars dernier, avec des conseillers élus par un socle trop faible d’électeurs, faisant ainsi le lit, sur les réseaux pas si « sociaux », d’un populisme évoquant des manipulations, des élections tronquées…
Qui peut se contenter d’être élu par 20 % de ses électeurs et, dans ces conditions, mener sereinement un projet municipal ? Nous plaidons donc pour que chaque candidat ait la possibilité de mener une campagne en dehors de son canapé. Gaston Monnerville l’affirmait déjà, lorsqu’il était président du Sénat, dans un discours de 1962 : rien ne saurait remplacer « la discussion, l’affrontement des thèses diverses, l’examen approfondi des conséquences probables des décisions prises, méthode sans laquelle il n’y a ni démocratie véritable ni stabilité possible des institutions ».
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jean-Yves Roux. Voilà notre objectif ; l’indifférence démocratique ne se combat pas à coups de votes par correspondance.
Pour autant, rien ne nous interdit de penser à l’avenir. Une trop grande majorité de jeunes ne postent plus de lettres et ne viennent même pas voter. En mars 2028, nos concitoyens auront depuis longtemps, je l’espère, l’accès à la téléphonie mobile dans toute la France ; c’est loin d’être le cas actuellement. Nous pourrions ainsi nous donner collectivement pour objectif de rendre le vote électronique possible et pleinement sécurisé pour ce scrutin.
Le groupe du RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec la plus grande humilité et la plus grande prudence que nous devons aborder l’examen de ce texte. En effet, à l’heure où nous parlons, nous ne savons pas réellement ni de façon définitive quelle sera la situation sanitaire de notre pays au mois de juin prochain et pendant les mois qui précéderont, au cours desquels se déroulera la campagne électorale et s’organiseront les élections. J’y reviendrai.
Bien évidemment, madame la ministre – cela a été dit –, il faudra tout mettre en œuvre pour que, le jour du vote, il y ait du gel hydroalcoolique dans les bureaux de vote et pour que la distanciation physique soit respectée ; comment pourrait-il en être autrement ? Cela dit, avouons-le, tant le 15 mars que le 28 juin 2020, ce n’était pas forcément au sein des bureaux de vote que le risque de contracter la maladie était le plus fort.
Cette crainte s’ajoute à une crise politique, à une crise de défiance qui traverse notre démocratie, élection après élection. Nous devons y apporter des réponses, tant pour les élections départementales et régionales à venir que, plus largement, pour les élections suivantes. Oui, nous pensons qu’il faut répondre à cette exigence démocratique et sortir du slogan, de la posture incantatoire consistant à affirmer que la démocratie ne peut pas être confinée. Nous devons tout mettre en œuvre pour que ces élections puissent se tenir en juin prochain.
D’abord, ces élections locales – les élections départementales et régionales – sont importantes quant aux politiques publiques que les institutions concernées mènent et aux services qu’elles rendent aux citoyens du matin au soir, tout au long de leur vie. (Brouhaha persistant sur les travées du groupe SER.)
Je suis désolée, mes chers collègues, je ne m’entends même plus parler, pourtant je parle fort…
Mme le président. Mes chers collègues, je vous demande instamment de respecter les orateurs et de cesser vos discussions privées. Lors de l’intervention de Mme la ministre, le niveau sonore était déjà difficilement supportable.
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Cécile Cukierman. Je vous remercie, madame la présidente.
Il faut entretenir la vitalité de la démocratie locale, parce que les collectivités ont été et sont toujours fortement mobilisées dans cette période de crise sanitaire et parce que – M. le rapporteur l’indiquait – repousser ces élections à une date postérieure à l’élection présidentielle nuirait à la nature même de ces institutions.
Madame la ministre, sans vouloir vous faire de procès d’intention, je veux vous alerter : nous ne pourrions pas envisager un report des élections locales si celles-ci ne pouvaient pas se tenir au mois de juin prochain pour des raisons sanitaires, tout en constatant la tenue d’un référendum à l’automne. Si la situation sanitaire ne permettait pas de maintenir ces élections en juin prochain, nous nous trouverions dans une situation de report excessif. Là est toute l’exigence de ce projet de loi, qui ne vise pas simplement à reporter la date de ces élections.
Notre formation politique l’a dit lors de son audition par M. Debré, et je l’ai répété lors de mon propos liminaire en commission des lois : permettre à des élections de se tenir, cela signifie bien sûr sécuriser le processus le jour du vote, mais cela implique également de sécuriser la campagne électorale.
L’ensemble des candidats, potentiels ou supposés, l’ensemble des formations politiques, en tout cas celles qui contribueront à la vitalité du débat démocratique dans les semaines et dans les mois à venir, ont déjà anticipé la question ; elles réfléchissent aux moyens d’adapter les modalités de cette campagne. Ainsi, autour du 1er avril, ce sera bien la capacité d’assurer l’égalité entre les sortants et les autres candidats qu’il nous faudra évaluer.
Selon nous, l’article 2 ne peut pas se limiter à une simple « clause de revoyure » ; il s’agit bel et bien d’une démonstration des mesures mises en œuvre, par le Gouvernement, pour répondre à ce besoin de démocratie.
Je termine en indiquant que nous nous félicitons que l’examen en commission ait permis d’améliorer ce texte, lequel n’est pas qu’un texte de fatalité, de simple report des élections ; il vise à une meilleure organisation des élections départementales et régionales, dans un cadre garantissant la sécurité sanitaire de chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Didier Marie applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la date retenue fait consensus et vous disiez votre détermination, madame la ministre, à voir les élections se tenir en juin.
Reste à savoir si les modalités du vote seront compatibles avec les risques sanitaires que nous connaissons ; à ce sujet, nous pouvons nous en remettre à l’expérience des collectivités, puisque, depuis mars 2020 et encore plus depuis l’automne dernier, nous y voyons beaucoup plus clair et on a gagné en expérience.
Le Sénat propose d’ajouter l’avis du comité scientifique sur les modalités des élections et demande que l’on sollicite les conseils de ce comité pour l’organisation de la campagne ; c’est l’objet de l’article 2. En effet, c’est la principale question : comment cette campagne se déroulera-t-elle face à la crise qui a conduit le Gouvernement à mandater le président Debré pour étudier les conditions d’organisation ou de report des élections ?
Je partage le sentiment que le président de Régions de France a pu exprimer dans Le Journal du dimanche : nous avons besoin d’une respiration démocratique. En revanche, la petite musique, que l’on cherche à instiller, selon laquelle « on » – l’exécutif –, voudrait profiter de la crise sanitaire pour enjamber les prochaines échéances locales me semble infondée. Notre rapporteur le rappelait précédemment : alimenter cette musique serait alimenter le fantasme d’une manipulation politique et jeter l’opprobre sur l’ensemble du personnel politique, nous compris.
Lors de son audition, le président Debré faisait part de sa sympathie pour Léon Blum ; je ne prendrai quant à moi que peu de risques en citant Pierre Mendès France : « La démocratie, c’est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité : c’est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire ; c’est un code moral. »
J’ajoute que ce soupçon n’existerait pas si les échéances régionales et présidentielle étaient enfin totalement décorrélées ; quarante ans après les lois Defferre, la France n’a pas totalement donné à ses régions et à ses départements une identité locale propre. Nous ne pouvons que souhaiter que ces élections cessent de conforter ou de sanctionner une politique nationale. À titre personnel, je souhaite ardemment que la France se pose la question d’une journée entière consacrée aux scrutins locaux dans leur ensemble.
L’option proposée dans le rapport Debré consistant à reporter à la fin du mois de juin 2021 les élections régionales et départementales a fait l’objet d’un large consensus politique. La commission des lois y a donc souscrit, en apportant quelques modifications substantielles, notamment sur le calendrier. Notre rapporteur l’a précisé, ce report respecte tant les principes que la jurisprudence constitutionnels, en ayant pour objectif d’intérêt général de préserver les électeurs et les candidats face à la covid-19.
La commission a souhaité modifier l’article 1er du projet initial en proposant également un autre calendrier que celui proposé par le Gouvernement pour les échéances ultérieures. Celui-ci prévoyait de tenir les élections régionales et départementales en décembre 2027, afin de revenir, à partir de mars 2033, à un calendrier classique. La solution de la commission, qui consiste à décaler les élections à mars 2028, permet de revenir plus rapidement au droit commun sans percuter d’autres élections.
Le rapporteur a souhaité ajouter au projet de loi l’article 1er bis, qui permet aux électeurs de disposer de deux procurations, avec la possibilité, à titre dérogatoire, de voter dans une autre commune que celle du mandant. Le Gouvernement a émis des réserves sur ces mesures. Il craint, pour la première, l’occurrence de fraudes – ce risque ne nous semble pas totalement avéré, au regard des élections municipales de juin dernier, lors desquelles cette double procuration était autorisée – et, pour la seconde, il ne s’y oppose pas tant sur le principe que sur ses modalités. Nous adhérons à l’idée de faciliter la participation et de l’encourager grâce à ces dispositifs.
En ce qui concerne l’article 2 du projet de loi initial, qui prévoit la remise au Parlement d’un rapport du comité scientifique, la commission des lois du Sénat, craignant sans doute que cette « clause de revoyure » puisse fonder un potentiel report des élections après juin prochain, a proposé une rédaction plus sécurisée.
M. le rapporteur l’écrit d’ailleurs : « La situation sanitaire reste d’ailleurs très incertaine. Reporter les élections régionales et départementales en juin 2021 pourrait même paraître optimiste : l’immunité collective ne devrait pas être atteinte à cette date, malgré la campagne engagée pour vacciner la population. » Toutefois, nous souhaitons que les élections aient lieu, que la vie démocratique s’exerce normalement et que l’on ne crée pas de difficultés constitutionnelles.
Nous allons par ailleurs adapter, à raison, cet après-midi, l’article 4 du texte, relatif aux règles de propagande et de financement électoral, afin que les campagnes puissent se dérouler dans de bonnes conditions d’égalité entre candidats et de sincérité du scrutin.
L’article 5, introduit par le rapporteur, vient utilement compléter le dispositif précédent, en octroyant un délai supplémentaire aux candidats pour le dépôt de leurs comptes de campagne. À l’article 6, que nous avons ajouté, il nous est proposé d’instituer une campagne audiovisuelle sur certaines chaînes du service public pour les prochaines élections régionales. Nous comprenons l’utilité démocratique d’une telle intention pour sensibiliser nos concitoyens au rôle des régions et des départements et donc aux enjeux de leur renouvellement. Les difficultés matérielles que rencontrerait évidemment France Télévisions pour la mise en œuvre de cette mesure et le coût que celle-ci représente nous semblent tout à fait surmontables.
Enfin, la commission a introduit, en adoptant des amendements de notre collègue Catherine Di Folco, les articles 8 et 9, utiles aux collectivités locales concernées ; un délai supplémentaire leur est octroyé pour adopter les budgets primitifs et les comptes administratifs ; ces collectivités disposeront donc d’une plus grande souplesse et de davantage de sérénité dans leur préparation budgétaire.
Le groupe Union Centriste soutiendra le projet de loi dans la rédaction issue de son examen par notre commission des lois, afin que les élections régionales et départementales se tiennent en juin 2021. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Alain Richard applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Éric Kerrouche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le principe démocratique de notre République est consacré par la Constitution de 1958. Alors que nous examinons ce projet de loi, deux questions se posent : l’épidémie justifie-t-elle de suspendre la démocratie et sous quelles conditions le report d’une élection est-il démocratique ?
À la première question, la réponse du Président de la République a été claire. Le 13 avril 2020, il a déclaré : « Cette épidémie ne saurait affaiblir notre démocratie ». Voilà pour le discours.
Passons désormais aux actes : quand le report des élections est-il démocratique et sous quelles conditions ?
Pour répondre à cette question, il convient de se référer aux principes habituels de notre droit : la sincérité, l’égalité, la proportionnalité des mesures au regard du motif d’intérêt général et la périodicité du scrutin ; autant de butoirs qui permettent de faire obstacle aux manipulations. Faire fi de ces principes constituerait un danger pour la démocratie.
Un consensus se dessine pour reporter les élections à juin 2021, mais non au-delà.
Face à la crise sanitaire, les pays ont réagi de manière complètement adaptée. De nombreuses démocraties maintiennent leurs scrutins électoraux : les États-Unis, l’Allemagne et l’Espagne en 2020 et, plus récemment, le Portugal, malgré le confinement, ainsi que, prochainement, les Pays-Bas, la Finlande, Israël, l’Écosse, la Palestine et, de nouveau, l’Allemagne.
En France, à la suite des élections municipales de 2020 et après la publication du rapport de Jean-Louis Debré, un consensus s’est dessiné pour faire en sorte que les élections départementales et régionales soient reportées au mois de juin prochain, mais non au-delà.
Avant même la rédaction de ce rapport, quelques voix avaient déjà évoqué l’éventualité d’une modification du calendrier électoral, en arguant qu’un report des élections départementales et régionales au-delà de l’élection présidentielle permettrait de mettre en œuvre plus facilement le plan de relance. Si l’on en juge par les récentes déclarations de Jean-Louis Debré, cette hypothèse a été mise de côté dès le départ.
Toutefois, cette possibilité revient régulièrement dans certains discours, car la situation sanitaire empêcherait non seulement la tenue des élections, mais encore l’organisation de la campagne. Or cela pose un véritable problème constitutionnel, du point de vue de la loyauté et de la périodicité raisonnable du scrutin. Sur le plan politique, cette sorte d’inversion du calendrier électoral traduirait, encore une fois, la dérive de nos institutions, dans lesquelles tout procéderait de l’élection d’un monarque républicain. Un tel report briserait le consensus politique et reviendrait même à s’interroger sur la volonté du Gouvernement.
L’objectif est donc de maintenir ces élections. Le report « sec » n’est donc pas une solution. Pourquoi en sommes-nous là ? Tout simplement parce que le Gouvernement fait tout pour nous mettre face au choix entre le report et la construction d’une abstention électorale. Il ne propose rien, sinon le report sec ; il va même jusqu’à repousser certains aménagements proposés par la commission des lois.
Ainsi, nous allons de report en report : report des municipales, légitime à l’époque, report des élections partielles et report, désormais, des élections régionales et départementales ; jusqu’où ? Le report n’est pas une solution en soi, parce que nous ne disposons pas d’informations sur la façon dont la pandémie évoluera. C’est une solution de facilité et ne prévoir aucune autre solution est d’autant plus déconcertant que l’exécutif évoque lui-même la tenue d’un référendum…
Contrairement au collègue qui m’a précédé à la tribune, je pense que la question est justement de savoir si l’exécutif souhaite vraiment que ces élections se tiennent.
En outre, il est évident que, si l’élection présidentielle se tenait cette année, nous aurions déjà adopté des dispositions. Les élections locales semblent donc être considérées comme des élections de second ordre.
Par ailleurs, que compte faire ce gouvernement pour anticiper l’échéance de 2022, voire celle d’un référendum ?
Enfin, sommes-nous le seul pays du monde à ne pas savoir adapter notre droit électoral ?
La démocratie est un bien essentiel et il faut maintenir son bon fonctionnement ; telle est notre position.
Suspendre la démocratie pendant une épidémie, c’est renoncer au fait que la temporalité est aussi un substrat et un des piliers de la démocratie. Les Français n’ont pas seulement le droit d’aller travailler et de faire leurs courses, ils ont aussi la possibilité, sinon le devoir, d’exprimer leur opinion. Les moments de démocratie électorale sont des moments d’expression d’autant plus nécessaires que les espaces habituels de prises de parole sont actuellement mis sous cloche. En période de pandémie, la démocratie n’est pas un inconvénient, bien au contraire !
Comme dans d’autres pays, le report des élections doit être mis à profit pour prévoir des dispositifs permettant d’assurer la continuité démocratique et l’intégrité électorale. C’est le moment d’anticiper et de préparer. Les propositions des parlementaires n’ont pas manqué depuis un an et nous en reprenons quelques-unes aujourd’hui.
Tout d’abord, s’agissant de la capacité à faire une campagne officielle dans les médias, nous considérons que cette avancée est une bonne chose. Elle a d’ailleurs été reprise par la commission des lois.
Je souhaite également souligner l’adoption en commission de l’amendement de Jean-Pierre Sueur relatif à la nécessaire publication des marges d’erreur dans les sondages d’opinion.
Enfin, il est vrai que la démocratie ne se réduit pas au vote. Mais sans vote, il n’y a pas de démocratie. C’est pourquoi nous avons déposé des amendements pour permettre à chacun de voter et pour lutter contre le risque d’une abstention massive qui nuirait à la légitimité des élus.
C’était l’occasion de réintroduire le vote par correspondance. Bien entendu, il est tard pour mettre en place cette option qui a déjà été introduite seize fois dans cet hémicycle, par des propositions de lois ou d’amendements. Et comme nous la reportons sans cesse, il n’est jamais temps de la mettre en place, alors même que nous la concevons comme un complément du vote à l’urne.
Le vote anticipé permet, dans les pays où il est utilisé, une plus grande participation, ainsi qu’une répartition utile en période de crise sanitaire. C’est ainsi le cas au Portugal où le vote anticipé a été multiplié par cinq lors des élections qui viennent de se dérouler.
S’agissant des doubles procurations, nous en avons déjà exposé les faiblesses : elles sont contraires aux standards internationaux, à l’égalité du scrutin et au secret du vote. Elles sont également socialement inégalitaires. Pour autant, puisque c’est pratiquement l’unique aménagement qui sera potentiellement retenu, nous nous abstiendrons sur ce point.
Enfin, nous serons attentifs à la clause de revoyure fixée au 1er avril. Le périmètre a été utilement recentré par le rapporteur qui a également souhaité responsabiliser le Gouvernement en la matière.
Nous voterons donc ce texte, parce qu’il constitue un consensus électoral, tout en formulant le souhait que de nouveaux aménagements soient prévus.
Bien entendu, nous le votons parce qu’il dispose d’un report uniquement au mois de juin prochain. Plus tard, cela créerait des soucis, pas seulement constitutionnels.
Les décisions que nous prenons façonnent, aujourd’hui et demain, la santé de notre démocratie. Je nous souhaite donc, en guise de vœux de début d’année, de veiller à sa bonne santé ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il faut absolument que nous puissions voter en juin, bien qu’il soit normal de décaler de mars à juin l’échéance électorale, compte tenu du fait que l’expérience de l’an dernier montre un ralentissement de l’épidémie en période d’été.
Je souhaite très vivement que nous ayons tous la possibilité de voter au mois de juin. Il serait extrêmement regrettable que l’échéance soit à nouveau repoussée. En tout état de cause, si l’on parle de faire un ou des référendums, il n’y a pas de raison de ne pouvoir organiser la tenue d’élections régionales. Je crois qu’il faut être assez clair et assez ferme sur le sujet. Il y aura des difficultés en juin, mais il faut les assumer.
Je voudrais aussi revenir sur le problème que j’ai abordé tout à l’heure, à savoir les conséquences de la taille des grandes régions sur l’expression du suffrage universel en période d’épidémie. Plus une région est grande et plus une circonscription électorale est étendue, plus, en période d’épidémie, les candidats potentiels ont des difficultés pour tenir leur campagne électorale.
La campagne s’avérera ainsi beaucoup plus facile pour les candidats aux élections cantonales que pour les candidats aux régionales. Il y aura le plus de problèmes dans les grandes régions tentaculaires. Quand il y a plus de 200 kilomètres de distance entre le chef-lieu et une extrémité de la région – c’est le cas de la région Grand Est –, on subit les contraintes de l’absence de proximité.
Cela m’amène à revenir sur les conséquences désastreuses de la loi du 2 janvier 2015 qui a fusionné autoritairement les régions en créant de véritables monstres administratifs dont l’étendue tentaculaire ne permet aucune gestion de proximité.
M. François Bonhomme. Ce n’est pas faux !
M. Jean Louis Masson. Je le redis, le Premier ministre, M. Castex, a eu tout à fait raison de tenir son discours de samedi dernier à Colmar.
Pour la première fois depuis la fusion autoritaire des régions et la création du Grand Est, un Premier ministre a enfin eu le courage et l’honnêteté d’affirmer que le Grand Est est une aberration et de dire que son existence est incompatible avec « une action publique de proximité ».
M. Philippe Bas, rapporteur. Ce n’est pas le sujet !
M. Jean Louis Masson. J’approuve également le président de la Collectivité européenne d’Alsace, M. Bierry, qui a apporté de l’eau au moulin du Premier ministre…
M. Philippe Bas, rapporteur. Le sujet est la date des élections !
Mme le président. Il faut conclure, cher collègue.
M. Jean Louis Masson. Je reviendrai sur ce point.
Mme le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, voilà bientôt un an que le monde vit avec les conséquences d’une pandémie, qui n’est toujours pas terminée. La covid-19 a causé la mort de plus de 70 000 de nos concitoyens. Elle a aussi bouleversé l’année 2020, que ce soit en matière de libertés, d’économie ou encore de politique.
Les rassemblements de personnes, en ce qu’ils favorisent la transmission du virus, ont été fortement limités, afin d’éviter l’engorgement de nos hôpitaux. C’est ainsi que beaucoup de nos libertés ont été réduites et que la tenue de plusieurs scrutins a été reportée.
Au cours de ces derniers mois, c’est le caractère essentiel ou non des activités qui a déterminé leur sort. Aujourd’hui, nous disposons de vaccins – moyennement, il est vrai – et nous pouvons donc espérer un retour à la normale. Il faudra cependant du temps pour que nous ayons les moyens de vacciner tous nos compatriotes qui le souhaitent.
En attendant, nous devons continuer ce que nous faisons depuis de longs mois, c’est-à-dire vivre malgré le virus. Se pose alors la question du report des prochains rendez-vous électoraux départementaux et régionaux.
Dans les conditions pourtant difficiles de l’an dernier, notre pays a réussi à tenir des scrutins. C’était important pour nos concitoyens, mais aussi pour notre démocratie, parce qu’une démocratie mise entre parenthèses est une démocratie en péril.
Nous devons réaffirmer que les élections politiques font partie des activités les plus essentielles, même dans l’hypothèse d’un confinement strict.
Bien sûr, les circonstances sont très loin d’être idéales, tant pour faire campagne que pour procéder aux scrutins. Néanmoins, nous sommes convaincus que le report des élections à une date lointaine, sauf si la situation sanitaire exceptionnelle l’exigeait, serait bien pire. Dans l’espoir que la situation sanitaire pourrait s’améliorer et que les élections, tout comme les campagnes électorales, pourraient bénéficier de circonstances plus apaisées, un consensus s’est dégagé en faveur d’un report des élections départementales et régionales pour le mois de juin prochain.
Nous examinons donc aujourd’hui les modalités de celui-ci, alors que semble à nouveau planer l’hypothèse d’un report de ces élections, mais cette fois, à une date plus lointaine.
Nous pensons que ce ne serait pas souhaitable. Malgré les conditions auxquelles nous devrons faire face en juin, il est important que les élections qui font vivre notre démocratie puissent se tenir. Les Français ont eu l’occasion de démontrer leur discipline, notamment dans le respect des gestes barrières.
En outre, la commission des lois a inclus dans le texte plusieurs mesures visant à assurer la sécurité sanitaire des scrutins et des campagnes électorales. Elle a ainsi ouvert aux Français la possibilité de détenir jusqu’à deux procurations, en veillant à limiter les risques de fraude.
Il est également prévu que les personnes vulnérables puissent donner procuration sans se déplacer. Ceci est particulièrement important, mais pas suffisant, si nous voulons réduire l’abstention. Toujours dans l’objectif d’assurer la sécurité de ceux qui iront voter, l’État fournira les équipements de protection nécessaires aux personnes qui participent à l’organisation des scrutins et aux électeurs qui en auraient besoin. En outre, ces mesures pourront être précisées à la suite du rapport du comité scientifique.
La campagne doit nécessairement être adaptée aux conditions sanitaires. La commission a ainsi prévu la diffusion des clips de campagnes sur les chaînes locales de radio et de télévision publiques. Toutefois, je suis assez dubitatif quant à la capacité d’organiser une campagne électorale télévisuelle ou audio pour les élections départementales. En effet, bien que nos cantons regroupent une population allant de 8 000 à 10 000 habitants, il n’existe pas une chaîne de radio ou de télévision par canton et celles-ci seraient, en outre, peu susceptibles de s’intéresser à ce type de campagne. Cela dit, on peut toujours rêver !
Les procédures budgétaires des campagnes ont également été adaptées au report prévu par ce projet de loi. Même si les conditions restent difficiles, nous devons nous donner le maximum de moyens afin que les élections départementales et régionales se tiennent cette année. Il y va de la vitalité de notre démocratie. Aussi notre groupe votera-t-il ce texte ainsi amendé. (MM. Richard et Patriat applaudissent.)
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette loi est une énième conséquence de la crise sanitaire sur notre vie démocratique, difficile équilibre entre les exigences de deux points essentiels dans notre vie publique et personnelle.
Depuis le report du second tour des élections municipales, des élections de six des douze sénateurs de Français de l’étranger et d’un certain nombre d’élections partielles, notre pays est de nouveau amené à s’interroger sur les conditions du maintien des échéances démocratiques à venir. Le dernier débat tenu dans notre hémicycle a montré combien l’incompréhension et l’incertitude des parlementaires face à des décisions unilatérales et tardives, fondées sur des données d’un conseil instauré et choisi par l’exécutif, rendues publiques selon un calendrier assez aléatoire, ont laissé des traces.
Il n’est pas question de remettre en cause les difficultés liées à la première vague de l’épidémie, le mélange de panique et de manque d’anticipation qui a conduit à des décisions brutales sur la campagne électorale et la tenue des scrutins. J’espère que, depuis, nous avons appris de ces errements.
L’exécutif, dans une démarche d’apaisement, a cherché à anticiper les difficultés possibles. Il a ainsi fait appel à Jean-Louis Debré qui a remis un rapport au Premier ministre sur les modalités d’organisation et le report de la date des élections régionales et départementales.
Les auditions menées ont révélé l’unanimité des scientifiques et des formations politiques sur l’impossibilité de maintenir un scrutin en mars ainsi qu’un consensus en faveur d’une date en juin 2021. C’est l’objet du premier article de ce texte.
Pour l’article 1er bis, la commission des lois a pallié l’oubli du Gouvernement quant aux dispositions prises pour le scrutin du deuxième tour des municipales permettant une double procuration pour un mandataire, recommandations qui apparaissent dans le rapport Debré.
Comme un certain nombre de membres de mon groupe, ainsi qu’au vu des travaux de la mission d’information sur l’organisation de ces scrutins, je reste prudent sur les votes à distance, par correspondance ou électroniques, en raison, en particulier, de problèmes techniques non résolubles dans un délai si court. Toutefois, j’ai déposé des amendements supprimant la possibilité de double procuration, afin de se prémunir contre de nombreuses dérives.
Je salue, en revanche, l’apport de la commission des lois permettant les procurations « familiales » et la possibilité offerte à chaque citoyen qui ne peut comparaître devant les officiers de police judiciaire pour l’établissement de sa procuration, d’obtenir que les autorités compétentes se déplacent à cet effet.
Venons-en à l’analyse, par le comité scientifique, de la situation sanitaire, objet de l’article 2. En plus de rendre public sans délai ce rapport, notre assemblée a rappelé que notre interlocuteur doit rester le Gouvernement, qui nous remettra lui-même un rapport à partir de l’avis des scientifiques.
Ce rapport, rendu au moins deux mois avant les élections, ne devra pas nous indiquer si celles-ci se tiendront, mais comment sécuriser leur mise en œuvre.
Bien entendu, reste à évoquer la question des rapports intermédiaires qui devraient suivre, avec ou sans revoyure, et donc, globalement, de la loyauté d’une prise de décision argumentée sur la tenue des élections.
La caution du comité scientifique ne doit pas servir d’alibi à un report des élections à l’automne à des fins politiques, alors que les scientifiques interrogés dans le rapport Debré estimaient que « cette saison est plus propice à une reprise de l’épidémie ». Et ce, sans parler du faible impact d’une campagne menée pendant les mois d’été ou du télescopage avec la préparation budgétaire des collectivités et de la proximité avec l’élection présidentielle.
Serait-ce, alors, un prétexte pour les reporter à l’année suivante, c’est-à-dire après l’élection présidentielle ? Nous ne voulons pas le croire.
L’avis du conseil scientifique du 26 octobre dernier évaluait la population vulnérable susceptible de subir des formes graves de la maladie, dont les plus de 65 ans, à 22 millions de personnes. Le ministre des solidarités et de la santé a annoncé, jeudi soir dernier – l’après-midi, il ne disait pas la même chose… –, que le Gouvernement comptait sur 30 millions de vaccinés à la fin du mois mai.
Aussi, il apparaît cohérent de fixer des élections à la mi-juin comme l’indique l’article 1er, puisque toute la population sensible et fragile sera vaccinée.
Reste la question essentielle de la campagne. Cette dernière pourrait être mise à mal par le prolongement de l’état d’urgence qui a servi de base à des décrets limitant les rassemblements, réunions ou activités sur la voie publique. Une élection sans campagne est-elle réellement démocratique ?
Comment mettre en place une réelle campagne permettant à chacun d’exprimer ses projets et de présenter ses programmes ? Si cela n’est pas possible, serait-ce un critère de report des élections ?
J’encourage, une fois de plus, le Gouvernement au dialogue et à la transparence. Madame la ministre, qu’envisagez-vous si une seule des régions est dans une situation sanitaire critique ou si, dans l’ensemble d’une région, seul un département présente des caractéristiques épidémiologiques inquiétantes ? Quels critères avez-vous fixés pour envisager un nouveau report des élections de juin ? De tout cela, nous aimerions être tenus informés, afin de participer au choix de ces critères et de ces décisions.
Pour toutes ces raisons, avec grande vigilance et avec les réserves nécessaires quant à l’évolution de la situation sanitaire – les scientifiques n’ayant, hélas ! pas de certitude sur l’acquisition de l’immunité collective – et de la nécessité d’un dialogue réel entre l’exécutif et l’ensemble des mouvements politiques, notre groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte.
Mme le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je crois que nous allons conclure ce débat par un accord général, le climat est donc plutôt engageant.
C’est d’autant plus souhaitable que la matière dont nous parlons est constitutionnellement délicate. En effet, cet élément est maintenant ancré dans nos débats constitutionnels : le Conseil constitutionnel exerce une réelle vigilance sur les motifs conduisant au report d’une élection et les conditions devant l’accompagner.
J’observe notamment que le Conseil constitutionnel emploie l’expression nouvelle, dans ces dernières décennies, de « motif impérieux d’intérêt général ». En outre, il dégage de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen le principe d’un droit des électeurs à être convoqués régulièrement, de manière que le cycle électoral ne soit pas anormalement perturbé.
C’est donc dans ce cadre-là que nous devons statuer et c’est ce qui justifie le choix, partagé par tous ici, du mois de juin, c’est-à-dire d’un report de durée limitée. La question de l’ampleur du report se reposera tout de même dans l’article qui prévoit les dates ultérieures de renouvellement des conseils départementaux et régionaux.
Il me semble naturel – le Conseil constitutionnel exercera, là aussi, sa vigilance sur le risque de mesures non liées à l’objet du projet de loi – que des mesures facilitatrices soient prises pour le déroulement de cette élection dans un contexte dégradé par la tension sanitaire… (Brouhaha persistant sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. Chers collègues, je vous demande de faire en sorte que le bruit des conversations privées ne couvre pas la voix de l’orateur.
M. Alain Richard. Nous le savons tous, le double scrutin ajoute de la complexité au déroulement de ces opérations. Le moment est donc venu d’approuver les mesures réglementaires dont Mme la ministre a fait état et qui contribuent à la plus grande facilité du déroulement des élections.
Je voudrais souligner une curiosité juridique, à savoir que l’ordre dans lequel les personnes passent devant l’urne relève simplement de l’autorité du président du bureau de vote. Il n’existe pas de disposition réglementaire en ce domaine, qui relève simplement de la police de l’assemblée.
Si, comme je le crois souhaitable pour prévenir des craintes, il est possible dans ce cadre de proposer aux personnes vulnérables de passer en priorité, il me semble, madame la ministre, qu’il serait judicieux que le Gouvernement suggère aussi aux maires qu’ils peuvent indiquer les heures de moindre fréquentation des bureaux de vote. Il serait ainsi conseillé aux personnes de venir voter à ces horaires, de manière à éviter ce phénomène, que nous connaissons tous, d’accumulation du public en fin de matinée.
Le public de nos assesseurs habituels étant quelque peu vieillissant – ce qui se traduit, par exemple, par l’allongement du temps de recherche sur la liste électorale de la personne qui se présente –, ce pourrait être l’occasion, avant les élections, de faire appel aux jeunes électeurs en les informant de leur droit de se proposer comme assesseurs. Cela permettrait d’organiser un renouvellement en douceur des assesseurs.
Parmi les mesures facilitatrices sur lesquelles il faut revenir, il y a le sujet des procurations. Étant donné que cet élément de débat revient de temps en temps, je voudrais insister sur le fait que la procuration ne peut, par elle-même, altérer la sincérité du scrutin ni être une cause de fraude.
En revanche, le terme même de « procuration » signifie que cette dernière n’est complète que lorsque le mandataire est désigné par le mandant. Or les fraudes qui ont pu intervenir, il y a peu de temps encore, sont dues au fait que des officiers de police judiciaire, ou les personnes nommées pour les suppléer, ont accepté des procurations « en blanc », ce qui est contraire à la loi.
Je pense donc qu’il sera heureux que le ministère de l’intérieur, ministère des élections, qui détient, en outre, l’autorité sur la très grande majorité des officiers de police judiciaire, rappelle ce principe simple : il n’est pas acceptable de recueillir et de certifier une procuration qui n’est pas complète.
En ce qui concerne la campagne, qui doit être aussi active que possible malgré les conditions sanitaires, le débat sur une campagne audiovisuelle pour les élections régionales aura inévitablement lieu. Je partage évidemment la déception d’Alain Marc qu’il ne puisse pas y avoir de campagne audiovisuelle pour chaque canton. En tout cas, vu la taille des régions et l’ampleur des débats auxquels l’élection donne lieu, je pense que l’organisation d’une campagne audiovisuelle est souhaitable. Je crois donc que nous pourrons nous mettre d’accord sur ce point-là.
En outre, j’ai proposé de porter à trois semaines la durée de la campagne officielle, c’est-à-dire, notamment, la durée pendant laquelle se fait l’affichage officiel et pendant laquelle les citoyens peuvent recevoir, autrement que le dernier jour, la propagande électorale. Cette prolongation me semble possible, puisque la date de dépôt des candidatures aux élections régionales se situe quatre semaines avant le vote.
Nous entrons donc dans un débat constructif et positif qui, me semble-t-il, se conclura heureusement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, un an après les élections municipales, les élections régionales et départementales étaient prévues au mois de mars prochain.
Or le contexte sanitaire a balayé toutes les prévisions et toutes nos certitudes. Il faut bien reconnaître que nous sommes encore sous l’effet de la sidération, avec la poursuite de l’épidémie et le prolongement prochain de l’état d’urgence sanitaire. Cette situation a conduit le Gouvernement à s’interroger sur la faisabilité de l’organisation de ces scrutins et à envisager des scénarios de report.
Sans surprise, le Gouvernement s’est rangé à la position de Jean-Louis Debré qui a proposé le report des élections de mars à juin, pour peu qu’un protocole sanitaire strict soit garanti.
Par ailleurs, je souscris pleinement à la clause qui prévoit la remise, par le comité de scientifiques, d’un rapport au Parlement, au plus tard le 1er avril prochain, pour évaluer au mieux l’état de l’épidémie et les risques attachés à la tenue des scrutins.
De la même manière, il convient de réaffirmer ici l’importance du respect du calendrier et des échéances électorales comme un élément premier. Un report ne saurait être soumis aux convenances personnelles de quelques-uns dans la mesure où ce qui exceptionnel doit le demeurer, même si, en l’état, le report de l’élection était devenu matériellement inévitable.
De même, dans ce contexte, les aménagements substantiels proposés par le rapporteur pour faciliter l’expression démocratique dans le respect des règles sanitaires me paraissent tout à fait opportuns. Il s’agit de la possibilité, pour chaque mandataire, de disposer de deux procurations, pour les électeurs vulnérables ou cas contacts, d’établir des procurations depuis leur domicile, pour un électeur de voter par procuration dans une autre commune que la sienne lorsqu’il le fait au nom d’un membre de sa famille proche, ainsi que de la fourniture, par l’État, des équipements de protection adaptés pour sécuriser les bureaux de vote.
Je pense également aux aménagements plus techniques tels que la majoration de 20 % du plafond de dépenses électorales, le délai supplémentaire pour le dépôt des comptes ou encore l’introduction d’une campagne audiovisuelle pour les prochaines élections régionales.
Pour autant, je considère, au vu de l’état actuel de la vaccination, de ses effets escomptés et du calendrier, qu’il y a une incertitude fondamentale, et même majeure, sur ce qu’il en sera lorsque nous arriverons dans la période critique du printemps.
C’est une évidence de rappeler, madame la ministre, que la démocratie repose tout entière sur l’élection. Ce n’est qu’à ce prix que la volonté des citoyens librement exprimée sera véritablement la source de tout pouvoir.
Or il est évident que les circonstances actuelles posent également la question de la capacité à organiser et à mener une campagne électorale. Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que la liberté de réunion n’a jamais été aussi fragilisée et malmenée depuis les périodes de guerre. Voilà l’une des principales questions qui se posent aujourd’hui et continueront de se poser demain. En outre, rétablir la confiance dans l’organisation du scrutin ne sera, sans doute, pas chose aisée.
Les incertitudes demeurent fortes. Comment pourra-t-on garantir aux candidats qu’ils pourront mener une campagne électorale dans des conditions normales ?
Car, ne l’oublions pas, faire campagne constitue un élément essentiel de l’élection. Je sais bien que certains s’extasient sur les moyens technologiques au point d’imaginer une campagne exclusivement 2.0. Mais qu’en est-il lorsque la liberté de réunion n’est pas possible pour une période aussi longue ? Qu’en est-il lorsque la liberté d’aller et de venir a été restreinte de manière aussi chaotique ?
Pourtant, l’enjeu qui nous occupe doit bien être de garantir la possibilité, pour les candidats, de voir les électeurs, de les informer, de leur parler, de discuter, de contredire et d’être contredit et, finalement, de convaincre, toutes choses que ne saurait permettre le distanciel. Or nous manquons d’éléments aujourd’hui pour affirmer que cette garantie sera apportée.
Une campagne, c’est aussi une dimension physique, des rencontres dans la rue, chez l’habitant. C’est aussi de la transpiration. Autrement dit, c’est du présentiel !
Madame la ministre, voilà l’incertitude fondamentale et le doute sérieux qui planent aujourd’hui sur la garantie donnée aux futurs candidats qu’ils pourront faire campagne et aux électeurs qu’ils pourront participer à celle-ci.
Nous sommes là au cœur de la démocratie. L’élection dans son ensemble, au-delà du seul scrutin, est un temps fort. Elle doit donc être entourée de toutes les garanties nécessaires pour en assurer à la fois la régularité, donc la sincérité, sans quoi elle risquerait de n’en être que le dévoiement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda. Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, il m’appartient, après notre collègue François Bonhomme, d’exprimer l’avis du groupe Les Républicains sur ce projet de loi qui reporte la date des élections régionales et départementales de mars à juin 2021.
Comme François Bonhomme l’a déjà exposé, notre groupe votera ce texte. Je pourrais presque m’en tenir là, à votre plus grande joie, mais je ne vais pas le faire (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.), car ce projet de loi amène une réflexion sur d’autres sujets, que tous les orateurs précédents ont abordés et dont il semble que nous ne les considérions pas tous ici de la même façon.
Je veux d’abord parler de la démocratie. On pourrait penser, ces derniers temps, que celle-ci consiste à tirer au sort une poignée de citoyens pour leur demander ce qu’ils feraient à la place du Gouvernement ou du Parlement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.) Je n’en dirai pas plus, mes chers collègues. Je crois que Tocqueville a déjà exprimé bien mieux que je ne saurai jamais le faire à quel point la démocratie contient en elle ce germe mortel qu’est la démagogie… (M. Max Brisson applaudit.)
La démocratie, c’est tout à fait autre chose. C’est notamment, nous le savons, les élections, c’est-à-dire des candidats qui se présentent devant les autres citoyens en leur proposant un programme et des électeurs qui vont exprimer un choix. Ce processus électoral se renouvelle à période régulière. La démocratie est donc une campagne électorale – François Bonhomme y a insisté à juste titre –, un processus matériel de vote et une régularité.
On ne saurait trop insister sur le fait que ces élections qui reviennent à période fixe, que la loi prévoit, sont un élément constitutif de l’État de droit. On parle souvent de l’État de droit, mais on oublie parfois de préciser que c’est le contraire de l’arbitraire, du fait du prince. Il est essentiel que l’État de droit soit respecté. Il est essentiel que les élections le soient aussi, dans leur périodicité et dans leur date, non seulement pour des raisons constitutionnelles, mais parce que c’est véritablement ce qui fait de notre pays une vraie démocratie.
M. Bruno Sido. Absolument !
Mme Muriel Jourda. S’il a été envisagé, comme Jean-Louis Debré l’a indiqué, que ces élections soient reportées au-delà de l’élection présidentielle, pour des raisons qui tiendraient non pas à l’épidémie, mais bien, il faut le dire, à un calcul politique, je crois que nous ferions un pas de côté à l’égard de l’État de droit, ce qui serait tout à fait préjudiciable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je n’envisage pas, à l’instar, me semble-t-il, de tous mes collègues ici présents, que ce pas de côté puisse être fait.
Outre le grand sujet qu’est la démocratie, nous abordons également aujourd’hui le comportement à l’égard de l’épidémie.
À ce sujet, je vais peut-être exprimer une position plus personnelle. Pour ma part, je considère que le confinement est une technique moyenâgeuse : c’est la technique de ceux qui ne savent rien faire et qui ne possèdent rien.
Effectivement, au mois de mars de l’année dernière, nous n’avions rien : pas de masques, pas de gel. Les médecins ne savaient pas comment lutter contre le virus. Nous ne savions pas non plus comment prendre en charge les patients en réanimation. Tel n’est évidemment plus le cas aujourd’hui, et nous pouvons en remercier l’ensemble des membres du corps médical, qui, au-delà des querelles ayant agité quelques plateaux, ont réussi à mettre en place sur le terrain des moyens de prise en charge des malades désormais extrêmement efficaces.
Au reste, je crois que nous pouvons tomber d’accord sur le fait que vivre n’est pas le contraire de ne pas mourir et qu’il nous faut continuer à vivre avec cette épidémie telle qu’elle existe.
S’il y a un consensus médical, c’est sur le fait que ce virus continuera à vivre et à muter et que nous aurons sans doute toujours un petit temps de retard sur lui. Dès lors, qu’allons-nous faire ? Allons-nous continuer à nous terrer ? Je crois qu’il ne le faut pas. Ce texte nous permet de ne pas le faire, s’agissant en tout cas du processus électoral.
En effet, il nous permet de faire face aux diverses échéances que sont la campagne – même si François Bonhomme a raison de dire que la campagne, c’est aussi du contact humain – et le processus de vote, lorsque nous nous rendrons aux urnes. Nous pourrons faire face grâce à différents choix que nous avons faits : réaliser des clips, réunir des scientifiques pour nous donner un avis sur la manière d’organiser les élections malgré la crise sanitaire, avoir des procurations dans des conditions qui ont déjà été énoncées.
Or j’entends que le Gouvernement n’est pas favorable à ces procurations. J’ignore pourquoi. Je pense que Mme la ministre nous l’exposera tout à l’heure. Quoi qu’il en soit, je ne voudrais pas que cela signifie que le Gouvernement envisage de faire ce petit pas de côté face à l’État de droit…
En tout état de cause, je crois que personne ici ne le souhaite et que personne ne s’y prêtera. Nous devons continuer à vivre et nous devons continuer à faire vivre la démocratie malgré cette épidémie. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Dominique Vérien et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)
Mme le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de corse, de guyane et de martinique
Article additionnel avant l’article 1er
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 11, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
L’article L. 47 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Est autorisée la création, au ministère de l’intérieur et dans les préfectures, d’un fichier automatisé des élus et des candidats aux élections au suffrage universel. Tout élu ou candidat peut refuser que le fichier enregistre sa nuance politique. Parmi les nuances politiques référencées, le fichier doit comporter la rubrique “non inscrit ou sans étiquette” ».
L’amendement n° 12, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Compte tenu des aléas de l’épidémie de coronavirus, le présent article est applicable pendant toute l’année 2021.
Est autorisée la création, au ministère de l’Intérieur et dans les préfectures, d’un fichier automatisé des élus et des candidats aux élections au suffrage universel. Tout élu ou candidat peut refuser que le fichier enregistre sa nuance politique. Parmi les nuances politiques référencées, le fichier doit comporter la rubrique « non inscrit ou sans étiquette ».
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour présenter ces deux amendements.
M. Jean Louis Masson. Mon amendement concerne la tenue des fichiers automatisés des candidats et les nuances politiques qui leur sont attribuées.
Les candidats n’ont pas la possibilité de choisir la nuance politique qui leur est attribuée. Le préfet peut imposer sa décision, à charge pour le candidat de saisir ensuite le tribunal administratif si le préfet refuse de tenir compte de ses observations.
Cette situation, qui est grave dans l’absolu, l’est encore plus en période d’épidémie, puisque les moyens de communication pour établir une information judicieuse des électeurs n’existent plus.
Je crois que la moindre des choses est de laisser chaque élu ou chaque candidat définir librement sa nuance politique et de ne pas donner carte blanche aux préfets.
Par ailleurs, il est absolument indispensable qu’un candidat puisse choisir la nuance « non inscrit ou sans étiquette ». C’est le minimum qu’exige la démocratie !
Certes, nous ne sommes que trois non-inscrits dans cette enceinte, mais nous avons les mêmes droits que les autres, et je ne vois pas pourquoi on m’attribuerait telle ou telle nuance de telle ou telle couleur. (Murmures sur plusieurs travées.) Personne ne doit pouvoir décider du choix politique d’un autre à sa place !
Tel est le sens de ces deux amendements.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je crois que ce problème a été largement réglé à la suite d’un contentieux devant le Conseil d’État contre une circulaire du précédent ministre de l’intérieur, qui prétendait régir le choix des couleurs politiques par voie d’autorité. Le terme « divers » doit désormais être utilisé pour tous les candidats qui n’ont pas d’attache politique.
Par conséquent, ces deux amendements nous ont paru porter sur une question d’ores et déjà réglée.
Nous y sommes défavorables.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Nous considérons également que cette question a déjà été débattue et tranchée devant la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et le Conseil d’État.
L’avis du Gouvernement est défavorable.
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 12.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
I. – Le prochain renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux, de l’Assemblée de Corse et des assemblées de Guyane et de Martinique a lieu en juin 2021. Les mandats en cours sont prolongés en conséquence.
II. – Le mandat des conseillers départementaux, des conseillers régionaux, des membres de l’Assemblée de Corse et des conseillers aux assemblées de Guyane et de Martinique élus en juin 2021 prend fin en mars 2028.
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l’article.
M. Jean Louis Masson. Le projet initial du Gouvernement m’avait un peu interpellé, parce qu’il prévoyait d’organiser une élection en décembre 2027.
Je crois qu’il n’est vraiment pas raisonnable de vouloir planifier des élections au mois de décembre, dans une période très difficile.
Ce système tout à fait saugrenu avait déjà été prévu par la fameuse loi de 2015, que j’ai évoquée et sur laquelle j’aurai l’occasion de revenir. Cette loi complètement folle ne s’était pas contentée des fusions : elle a introduit tout un tas de dispositions, notamment l’idée de programmer des élections au mois de décembre.
Il me paraît complètement irresponsable de prévoir que des élections aient lieu au cours de ce mois.
J’avais d’ailleurs déposé un amendement sur le sujet en commission, même si je n’en suis pas membre. J’ai eu le plaisir de constater que la commission avait retenu une solution qui allait dans le sens de mon amendement. Je m’en réjouis tout à fait et tiens à en remercier le président et mes collègues qui en sont membres.
Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.
M. Olivier Paccaud. Les pendules de notre République sont précieuses et rigoureuses.
S’il n’est pas inutile de rappeler la définition de la démocratie d’Abraham Lincoln – « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » –, il semble aujourd’hui pertinent d’y ajouter une précision : c’est par la voie des urnes que le peuple s’exprime. Sans rendez-vous régulier, sans échéance respectée, la démocratie n’est plus la démocratie.
Certes, le contexte sanitaire inédit impose des précautions particulières, et l’exercice de la campagne électorale est évidemment plus compliqué lorsque la vie sociale est contrainte, voire pétrifiée.
Mais peut-on raisonnablement faire croire aux Français que sécuriser sanitairement un scrutin est impossible quand s’entasser dans le métro et le RER ne l’est pas ? Gare au venin des contradictions…
Par ailleurs, les révélations de Jean-Louis Debré, confirmant les rumeurs persistantes sur les arrière-pensées du Président de la République et sa volonté de manipuler le calendrier, sont stupéfiantes, consternantes et même révoltantes. (Marques d’approbation sur des travées du groupe Les Républicains.) Elles donnent un autre sens au texte que nous examinons. Nous sommes là pour servir la Nation, et non les intérêts supposés d’un candidat, fût-il Président.
Se vouloir maître du temps pour orienter un vote est-il digne et conforme à l’esprit de Marianne ? De la chrysalide de l’élève horloger peut sortir un apprenti sorcier.
D’ailleurs, nos collègues socialistes pleurent encore leur funeste redécoupage et leur report des élections régionales et départementales de 2014 et 2015.
Quant à la droite, elle n’a pas oublié la stupide dissolution de 1997. Tels furent pris qui croyaient prendre…
Dans le nouveau comme dans l’ancien monde, les Machiavel d’arrière-cour ne récoltent souvent que des lauriers fanés. (Exclamations et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Yves Bouloux, sur l’article.
M. Yves Bouloux. S’il est évident que le renouvellement des conseillers départementaux et régionaux doit se faire au plus tard en juin, il est important de souligner ici les difficultés auxquelles nos élus municipaux seront une nouvelle fois confrontés et de saluer leur engagement.
Ils vont devoir organiser un double scrutin, ce qui n’a plus été fait depuis les élections cantonales et municipales de 2008.
Ce double scrutin signifie le doublement de l’ensemble des panneaux électoraux, des bureaux de vote, chaises, tables et urnes, ainsi qu’une mobilisation en plus grand nombre de personnels municipaux et de citoyens pour tenir ces bureaux de vote. Cela aura un coût.
Nos élus vont également être confrontés aux contraintes d’organisation liées au contexte sanitaire. Je souhaite, à cet égard, remercier M. le rapporteur, qui a prévu l’obligation pour l’État de fournir les équipements de protection nécessaires.
Les maires de mon département de la Vienne sont aujourd’hui inquiets des contraintes financières et logistiques liées à ce double scrutin. Il est important que l’État ait conscience de ces difficultés et qu’il les accompagne. (M. Bernard Bonne applaudit.)
Mme le président. L’amendement n° 1 rectifié quater, présenté par MM. Cadec et H. Leroy, Mme Belrhiti, MM. Bascher et Panunzi, Mme M. Mercier, M. Burgoa, Mme Gruny, MM. Klinger et Rapin, Mme Drexler, MM. Pellevat, Favreau, Chaize et Savary, Mme Garriaud-Maylam, M. Cuypers, Mmes de Cidrac, Chain-Larché et Chauvin et MM. Grosperrin, Paul, Laménie et Duplomb, est ainsi libellé :
Alinéa 1, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
, le second tour ayant lieu, au plus tard, le 20 juin 2021
La parole est à M. Alain Cadec.
M. Alain Cadec. Je vais être un peu plus terre à terre que mes collègues.
Prenant acte du report et pour donner plus de visibilité aux électeurs et aux candidats, nous proposons de fixer dès à présent les dates exactes des prochaines élections régionales et départementales aux 13 et 20 juin 2021.
Il s’agit d’éviter l’organisation des scrutins le week-end du 27 juin, qui correspond aux premiers départs en vacances.
Tout doit être mis en œuvre pour que les Français puissent renouveler leurs conseils départementaux et régionaux dans de bonnes conditions. Une abstention de l’ampleur de celle des dernières élections municipales serait sûrement une catastrophe pour notre démocratie.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je dois dire que l’auteur de cet amendement et ses collègues cosignataires ont adopté une rédaction extrêmement habile.
Je tiens à les en féliciter, parce que cette rédaction n’interfère pas avec les pouvoirs du Gouvernement. Elle ne fixe pas la date des élections, qui relève du décret, mais précise la date jusqu’à laquelle ces élections peuvent être organisées.
La commission estime que les auteurs de l’amendement ont raison d’alerter le Gouvernement sur la nécessité que le second tour de scrutin n’ait pas lieu, comme le second tour des dernières élections municipales, le dernier dimanche du mois de juin, qui est trop proche des vacances scolaires. Une partie de nos concitoyens seront alors partis faire du camping, rejoindre une résidence secondaire ou celle de membres de leur famille, ce que nous ne saurions leur reprocher.
Étant soucieux de la participation, nous préférons que le second tour de scrutin ait lieu non pas le 27 juin, mais au plus tard le 20 juin.
C’est la raison pour laquelle, après en avoir longuement délibéré et avoir pesé le pour et le contre, la commission a émis un avis favorable sur votre amendement, mon cher collègue des Côtes-d’Armor… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Cadec exprime sa satisfaction.)
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, je suis désolée, mais, en ce qui nous concerne, notre analyse diverge de celle de la commission des lois. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, puisque nous considérons, comme M. le rapporteur l’a très bien rappelé, que la fixation de la date ne relève pas de la loi. La loi fixe le mois : c’est ce que nous sommes en train de faire avec le présent projet de loi, en retenant le mois de juin. Une fois que ce texte sera voté, il appartiendra au Gouvernement de préciser la date exacte.
Si vous me le permettez, madame la présidente, je veux en profiter pour réagir aux différentes prises de parole sur la date et sur un éventuel nouveau report.
Je veux de nouveau confirmer ce que j’ai dit dans mon propos introductif et ce qu’ont également dit le Premier ministre ainsi que le ministre de l’intérieur à l’instant même, lors de la séance de questions au Gouvernement de l’Assemblée nationale : il n’y a pas de nouvelle date cachée. Il n’y a pas de projet caché du Gouvernement en ce qui concerne le calendrier. (Marques de scepticisme sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le texte le pose très clairement ! Nous sommes en train de débattre du mois de juin. C’est bien le mois de juin qui est proposé au débat.
Rien ne se fait sans le Parlement. (Exclamations sur les mêmes travées.) Il serait d’ailleurs tout simplement impossible pour le Gouvernement de vouloir repousser de nouveau la date sans en passer par le Parlement. Notre intention est donc bien de faire en sorte que ces élections se tiennent en juin. C’est la proposition que nous formulons et c’est ce dont nous sommes en train de discuter ensemble.
Je tenais à l’exprimer de manière claire.
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour explication de vote.
M. Stéphane Piednoir. Je prends d’abord acte de ce que vient de dire Mme la ministre : le Gouvernement fixe les élections au mois de juin, sans plus de précision. Il lui appartiendra ensuite de déterminer les dates exactes. Nous parlons bien du mois de juin 2021, madame la ministre ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Par ailleurs, si nous sommes collectivement d’accord pour considérer que la crise sanitaire a un impact extrêmement important sur les activités professionnelles et parfois de loisirs de tous les Français, il me paraît normal que les élus et les candidats acceptent qu’elle ait aussi un certain nombre de conséquences pour eux et de fonctionner en mode dégradé, y compris s’agissant de la campagne électorale.
J’ai bien entendu François Bonhomme dire qu’une campagne, c’est aussi de la présence physique. Toutefois, nous devrons inventer de nouveaux moyens. C’est la raison pour laquelle je souscris évidemment au report de six mois des élections.
Au demeurant, on oublie de dire que, n’ayant pas de boule de cristal, nous ignorons si nous serons effectivement sortis de la crise sanitaire au mois de juin et si les élections pourront effectivement se tenir.
Cependant, ce n’est pas négociable : il ne faut pas reporter les élections au-delà de juin 2021. (M. Bruno Belin applaudit.)
M. Jean-Marc Boyer. Très bien !
Mme le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Madame la ministre, comprenez que nous vous fassions répéter les choses plusieurs fois !
Pas plus tard que la semaine dernière, le ministre chargé de la santé, que nous n’avions pas vu depuis longtemps au Sénat (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.), est venu nous dire qu’il avait des vaccins pour l’été. Le soir, à la télévision, il disait autre chose…
La semaine dernière, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement, le Premier ministre a répondu à notre collègue Kristina Pluchet qu’il n’envisageait absolument rien de plus pour les étudiants, que notre demande en ce sens était « péremptoire ». Scandaleux ! Au reste, le Président de la République affirmait le contraire pas plus tard que le lendemain…
Comprenez donc bien, madame la ministre, que nous n’ayons aucune confiance dans la parole gouvernementale, quoi que vous puissiez répéter ici ou ailleurs. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Dès lors, nous préférons inscrire les choses dans la loi !
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. J’ai tendance à préférer la fixation d’une date plutôt que d’un mois.
Mme la ministre nous a indiqué que la loi pouvait fixer le mois, mais pas obligatoirement le jour. Pourrait-elle nous dire sur quelle disposition se fonde cette distinction ?
J’ai beau chercher dans la Constitution, je ne trouve pas.
Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Madame la ministre, comment ne ferions-nous pas confiance au Gouvernement ?
Le Gouvernement a-t-il déjà montré de la défiance à l’égard du Parlement, singulièrement du Sénat ? Non, bien entendu… (Sourires.)
Cela étant, ce sera « ceinture et bretelles » : nous voterons cet amendement.
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Madame la ministre, nous voterons également cet amendement.
Il en est des relations entre le Parlement et, plus largement, l’ensemble des élus locaux et le Gouvernement comme des relations entre les citoyens et celui-ci.
M. Laurent Duplomb. Exactement !
Mme Cécile Cukierman. Effectivement, les propos de M. Debré sur le report des élections et sur la date qui pourrait être retenue heurtent tout un chacun. Ils heurtent d’autant plus qu’ils font écho aux propos du Président de la République, qui s’était lui-même demandé devant les présidents des régions de France, quasiment sous la forme d’un chantage au plan de relance, s’il ne fallait pas envisager un report après l’élection présidentielle, sous couvert d’une meilleure efficacité des politiques publiques et des politiques conduites par les régions dans le cadre de leurs compétences en matière de développement économique. Voilà où nous en sommes…
Par conséquent, oui, nous sommes dans notre droit en rédigeant ainsi la loi. Nous le faisons non pas pour jouer au bras de fer avec le Gouvernement, mais parce que, pour faire vivre la démocratie, comme dans la vie en général, nous avons besoin de visibilité.
À cet égard, graver la date des prochaines élections dans ce projet de loi est aussi, à nos yeux, une garantie de leur bon déroulement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, je ne peux que déplorer que vous n’ayez pas confiance en la parole du Gouvernement, donc en la mienne.
Pour ma part, j’ai confiance dans la parole des sénateurs…
M. Philippe Bas, rapporteur. Merci !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. … et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions et interpellations aussi longtemps que vous le souhaiterez et aussi longtemps que la séance nous le permettra.
Pour répondre justement à l’une des questions qui me sont posées, c’est le décret de convocation des électeurs, pris par le Gouvernement, qui fixe la date des élections.
C’est une disposition du code électoral qui prévoit que l’on fixe le « créneau », si je puis dire, par la loi et que la date exacte est ensuite fixée par décret. Le code électoral est donc la source de cette distinction.
Cela dit, nous nous en remettrons bien évidemment au vote de la Haute Assemblée.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Grand. Madame la ministre, permettez-moi de plaider pour que le dernier dimanche du mois de juin ne soit pas retenu pour l’organisation des élections, même si cette date ne figure pas dans la loi.
Nous avons ici une certaine expérience des élections. Surtout, nous avons une certaine expérience des dernières élections, où nous avons vu une démobilisation de toutes les sensibilités modérées, de gauche comme de droite, mais pas des extrêmes.
Au regard de ce que je vis et ressens sur le terrain, je pense qu’un scrutin qui serait organisé à la date du 27 juin aura forcément lieu en petit comité. Ceux qui s’y inviteront ne sont pas forcément ceux dont vous et nous souhaiterions qu’ils gagnent les élections régionales et départementales…
C’est un appel à la sagesse que je vous lance. Je vous remercie de l’avoir écouté !
Mme le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je veux revenir sur l’étendue des domaines législatif et réglementaire, qui sont à la base de notre discussion.
La Constitution dispose que la loi « fixe le régime électoral des assemblées locales ». L’usage, depuis 1958, est que la partie législative du code électoral fixe le mois des élections. Par exemple, durant des décennies, les élections municipales et cantonales se sont déroulées au mois de mars, un décret fixant les dimanches choisis.
Il se trouve que tout ce que nous faisons actuellement est dérogatoire au code électoral. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, même sur des sujets qui paraissaient intéressants, nous nous sommes abstenus de déposer des amendements visant les dispositions permanentes de ce code.
Le projet de loi que nous examinons est propre à une circonstance : il adapte le régime électoral pour une élection en raison d’un enjeu de sécurité sanitaire.
Il ne me paraît donc pas déplacé, compte tenu des motifs qui ont déjà été évoqués par les uns et les autres, que l’on fixe au Gouvernement une limite pour prendre le décret de convocation des électeurs et que le Parlement, dans ce texte dérogatoire lié aux circonstances, exclue que le vote ait lieu le 27 juin. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Le début de l’intervention d’Alain Richard m’a un peu inquiété, mais mon collègue m’a ensuite rassuré.
Nous sommes, bien sûr, dans un système dérogatoire. La pandémie ne fait pas d’exceptions et ne cible pas les activités.
Selon nous, le vrai vaccin prodémocratie, c’est le vote. En effet, dans un pays troublé – non pas uniquement du fait de l’action du Gouvernement, mais en raison de la situation actuelle –, tout est remis en cause : les valeurs, les systèmes…
Si l’on ne donne pas à la population la possibilité de s’exprimer de manière régulière, rapide et de manière fixe par un vote, il y aura un doute sur la totalité de l’activité de la sphère publique.
Bien sûr, il faut respecter le code électoral, mais on ne peut faire abstraction de la pandémie ! Au demeurant, le code électoral peut être modifié par la loi.
M. Philippe Bas, rapporteur. Bien sûr !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. Roger Karoutchi. Si nous avons aujourd’hui à débattre du moment de ce vote, c’est parce qu’il faut qu’il ait lieu en juin – surtout pas au-delà ! Qu’on ne trouve pas de circonstances ou de prétextes pour le reporter encore. En raison de la pandémie, il faudra peut-être mieux encadrer la campagne ou renforcer encore les conditions sanitaires le jour du scrutin ; mais ne bougeons plus la date du vote ! Nous risquerions de mettre en doute la crédibilité même de ces élections déjà reportées deux fois. Nous avons besoin de stabilité.
Des pays en Europe, parfois confinés, parfois touchés par une crise sanitaire bien pire que la nôtre, votent et élisent leur Président de la République ou leurs instances locales. Nous ne sommes pas indignes de la démocratie dont les autres profitent aussi.
Par ailleurs, madame la ministre, il est de l’intérêt de tous que le plus grand nombre possible de nos concitoyens votent. En choisissant le dernier dimanche de juin, le risque d’abstention est forcément plus important. Choisissons une date. Nous ne vous demandons pas un engagement dès aujourd’hui. Vous pouvez toujours vous retrancher derrière la compétence du Gouvernement en matière de décret.
Au travers de ce vote, le Sénat cherche non pas à imposer sa volonté au Gouvernement, mais simplement à lui faire comprendre que nous avons tout intérêt, ensemble, à ce que le plus grand nombre de personnes viennent voter en juin prochain pour rendre à ce pays sa fierté dans la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Nous partageons parfois les mêmes arguments dans cet hémicycle. Madame la ministre, entendez les parlementaires que nous sommes.
M. Richard a raison : il s’agit d’une dérogation au code électoral. Mais dans quelle situation sommes-nous sinon dans celle d’un état d’urgence répétitif ? Oui, il faut déroger !
Il ne s’agit pas d’une question de confiance, madame la ministre. Essayons d’éviter les polémiques et restons factuels : cette mandature, c’est 287 ordonnances, dont 83 pendant la crise. Quand on a commis 83 ordonnances durant la crise du covid, on peut passer quelques heures ici à discuter de la date des élections. Faisons en sorte que le bon sens l’emporte : madame la ministre, vous avez aussi bien compris que nous que le dernier dimanche était la plus mauvaise solution. Alors, arrêtons les dates.
La citoyenneté recule. Sans doute échangerons-nous de grands mots sur l’abstention et l’éloignement des citoyennes et des citoyens du politique. Dans sa définition grecque, la politique, c’est la vie de la cité, la vie du lieu-dit, du village, de la ville… Il faut remettre de la confiance.
Ce que nous vous demandons est simple, madame la ministre. Nous allons tous voter cet amendement : accompagnez-nous. Il s’agit non pas d’une histoire de combinaison politicienne, mais de rassurer notre maillage démocratique et républicain. Il faut des départements et des régions, et c’est aux électrices et aux électeurs qu’il revient de décider de la majorité politique au regard des politiques publiques choisies. C’est extrêmement important, c’est quelque chose qui a du sens.
Madame la ministre, nous vous demandons un acte de confiance envers les collectivités territoriales dans un esprit de responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER, GEST, UC et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Certains de nos collègues ont exprimé un manque de confiance dans la parole du Gouvernement. Je pourrais dire que nous n’avons pas non plus confiance dans le silence du Gouvernement.
Si vous nous aviez dit que notre demande était de bon sens, si vous nous aviez assuré que vous n’organiseriez pas le scrutin le 27 juin, alors nous aurions été rassurés, car il y aurait eu un engagement gouvernemental. Mais vous ne nous l’avez pas dit.
Vous vous êtes contentée de nous dire que nous, représentation nationale, n’avions pas le droit de fixer la date des élections régionales et départementales. Et je vous dis, madame la ministre, après Alain Richard : bien sûr que si, nous en avons le droit !
La raison est simple : ce n’est pas la Constitution qui prévoit que le Gouvernement fixe la date des élections par le décret de convocation des électeurs ; c’est la loi. Et la loi, madame la ministre, c’est nous qui la votons ! Nous pouvons donc tout à fait déroger aux articles L. 220 et L. 357 du code électoral, posés par le Parlement, pour prévoir que le second tour des élections régionales et départementales ne pourra avoir lieu après le 20 juin prochain.
Permettez-moi de vous dire, madame la ministre, que votre argument juridique est nul et non avenu. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.) L’argument démocratique, en revanche, a une valeur inestimable, raison pour laquelle nous le défendons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, SER et CRCE.)
Mme le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 28, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le démarchage d’un électeur en vue de solliciter une procuration est interdit. Toute infraction au présent article est punie d’une amende de 75 000 €.
L’amendement n° 29, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À compter de l’entrée en vigueur de la présente loi et jusqu’au 31 décembre 2022, le démarchage d’un électeur en vue de solliciter une procuration est interdit. Toute infraction au présent article est punie d’une amende de 75 000 €.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour présenter ces deux amendements.
M. Jean Louis Masson. J’ai déposé, à plusieurs reprises, deux amendements assez proches afin d’échapper à tout risque d’irrecevabilité au titre de l’article 45 de la Constitution. Deux précautions valant mieux qu’une, ne sachant pas ce qui serait décidé, le deuxième amendement, de repli, prévoit que la disposition proposée est seulement applicable le temps de la crise sanitaire. Notre collègue Alain Richard s’est fort bien exprimé sur le sujet.
En matière de procuration, il faut être extrêmement prudent. J’ignore si la Moselle ou Metz sont des cas particuliers, mais beaucoup de personnes souffrant d’Alzheimer aggravé y donnent des procurations après avoir été démarchées.
Ces dérives visent des personnes âgées n’ayant plus tous leurs moyens et dont les familles prennent peu de soin. Il s’agit d’un véritable problème. Les élections municipales ont été annulées à Thionville parce que des gens n’ayant plus toute leur tête avaient donné procuration à ces démarcheurs.
Nous savons tous que ces pratiques ont cours, notamment chez les candidats qui ont les moyens d’avoir des réseaux dans les maisons de retraite.
On m’a déjà opposé que le démarchage était interdit par la loi. Ce n’est pas vrai : le démarchage n’est pas explicitement interdit. Or les choses vont beaucoup mieux quand elles sont dites clairement, et ce d’autant plus que les gens qui se livrent à ces pratiques sont assez peu sensibles à l’interprétation de la loi.
Tel est le sens de ces deux amendements.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Le démarchage des procurations est déjà sévèrement puni, bien heureusement. Il est inutile de renforcer les sanctions : avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Les articles L. 106 et L. 116 du code électoral prévoient déjà des sanctions dans de telles situations : avis défavorable également.
Mme le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. J’apprends avec inquiétude que la situation en Moselle n’est pas toujours parfaite. (Sourires ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Toujours est-il que le droit de procuration, qui peut se révéler très utile dans certaines situations, est aujourd’hui parfaitement encadré : il faut notamment justifier de problèmes de santé ou d’obligations professionnelles et déposer la procuration au tribunal ou à la gendarmerie. Il serait paradoxal de revenir sur ce droit fondamental, alors que la crise sanitaire met déjà à mal la participation démocratique.
Ce n’est pas en raison de quelques abus ici ou là que l’on doit se priver de cette faculté. Et pourquoi ne pas interdire les déplacements en automobile au motif qu’il y a des excès de vitesse ?
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Je ne propose pas de supprimer le droit de procuration.
Ce qui est insupportable, c’est le démarchage auprès de personnes qui n’ont plus toute leur tête. Quoi qu’on en dise, ces situations se produisent. Les gens qui ont de l’influence dans les maisons de retraite ne manquent pas une occasion de le faire !
Je maintiens mon amendement.
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 30, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’utilisation de tout ou partie des listes d’émargement du premier tour afin de démarcher les électeurs est interdite. Toute infraction au présent article est punie d’une amende de 75 000 €.
L’amendement n° 31, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À compter de l’entrée en vigueur de la présente loi et jusqu’au 31 décembre 2022, l’utilisation des listes d’émargement ou tout autre moyen pour recenser les électeurs abstentionnistes du premier tour afin de les démarcher est interdite. Toute infraction au présent article est punie d’une amende de 75 000 €.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour présenter ces deux amendements.
M. Jean Louis Masson. Dans la même logique que les deux amendements précédents, il s’agit encore d’éviter le démarchage d’électeurs.
Certains candidats profitent de leur situation, dans certaines municipalités, pour relever la liste des abstentionnistes du premier tour et les appeler avant le second.
Or il faut laisser chacun libre de voter ou non. Le démarchage s’accompagne souvent de pression sur les abstentionnistes. L’utilisation des listes électorales à ces fins est une très mauvaise chose dans une logique de démocratie. Je crois nécessaire de l’interdire.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission estime, au contraire, que la consultation des listes d’émargement entre les deux tours de scrutin, comme après le second tour, correspond à une tradition républicaine bien ancrée dans notre démocratie, nécessaire pour permettre d’amener au vote des citoyens qui n’auraient pas voté au premier tour. Il s’agit d’une bonne mesure, qu’il ne faut surtout pas limiter.
Il faut bien évidemment sanctionner les pressions, quand elles existent, mais le code pénal y suffit.
La commission est défavorable à ces deux amendements.
Mme Laure Darcos. Bravo !
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour explication de vote.
M. Laurent Burgoa. Je suis quelque peu surpris de ce double amendement.
Nous sommes nombreux ici à mener des campagnes électorales. Le droit de consulter les listes est ouvert à tout le monde, à tous les candidats, sur toutes les listes. Avant le premier tour, cela nous permet parfois de constater de nouvelles inscriptions dans notre circonscription. Entre les deux tours, c’est non pas à la mairie que l’on peut exercer ce droit, mais à la préfecture.
Un sénateur est quelqu’un qui respecte et garantit les mêmes droits à chacun. (M. le rapporteur et M. Jean-Marc Boyer applaudissent.)
Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.
M. Olivier Paccaud. Il s’agit non seulement d’une tradition, monsieur le rapporteur, mais aussi d’un droit et d’une liberté.
Je suis assez surpris, monsieur Masson, que vous proposiez de supprimer un droit démocratique élémentaire. Si l’on va au bout de votre logique, il ne faudrait pas faire campagne, car parler reviendrait alors à faire pression. J’avoue ne pas comprendre cette vision de la démocratie.
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote. (Marques d’agacement sur plusieurs travées.)
M. Jean Louis Masson. Je ne souhaite pas interdire la consultation des listes électorales avant l’élection. Ce contre quoi je m’insurge, c’est d’aller reprocher à quelqu’un de ne pas être allé voter. Je ne crois pas qu’aller voir les abstentionnistes du premier tour n’engage à rien !
Par ailleurs, des rapports de pouvoir peuvent exister, par exemple entre le maire et un employé municipal, ce qui induit une forme de pression.
Enfin, les sortants, déjà en place à la mairie, ont beaucoup plus de facilité que les autres candidats pour recenser les votants et les abstentionnistes. L’égalité n’est donc pas aussi parfaite qu’il n’y paraît.
Mme le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que l’auteur d’un amendement a également le droit d’expliquer son vote.
La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Je suis surpris des arguments avancés par M. Masson.
Il est faux de dire que la liste d’émargement n’est consultable que par les sortants. Il s’agit d’un document administratif comme un autre, consultable par tous ceux qui en font la demande.
Les présupposés sur lesquels sont construits ces amendements sont surprenants. Monsieur Masson, vous laissez entendre que des gens iraient voir les abstentionnistes pour leur reprocher de n’être pas allés voter. C’est vraiment l’argument zéro. Vous semblez oublier l’existence de l’isoloir, élément très protecteur pour chacun d’entre nous puisque le vote est individuel. Franchement, celui qui irait « engueuler » les électeurs qui n’ont pas voté risque fort de voir son idée se retourner contre lui.
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 31.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er bis (nouveau)
I. – Compte tenu des risques sanitaires liés à l’épidémie de covid-19, le présent article s’applique aux élections mentionnées au I de l’article 1er de la présente loi.
II. – Par dérogation à l’article L. 73 du code électoral, chaque mandataire peut disposer de deux procurations, y compris lorsque ces procurations sont établies en France.
Si cette limite n’est pas respectée, les procurations qui ont été dressées les premières sont les seules valables. La ou les autres procurations sont nulles de plein droit.
III. – Le mandataire doit être inscrit dans la même commune que le mandant, sauf lorsqu’il dispose de la procuration de son conjoint, de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, de son concubin, d’un ascendant, d’un descendant, d’un frère ou d’une sœur.
Pour l’application du présent III, la procuration est enregistrée au moins trois jours avant le scrutin.
IV. – À leur demande, les personnes qui, en raison de l’épidémie de covid-19, ne peuvent pas comparaître devant les officiers et agents de police judiciaire habilités à établir les procurations ou leurs délégués disposent du droit à ce que les autorités compétentes se déplacent pour établir ou retirer leur procuration.
Ces personnes peuvent saisir les autorités compétentes par voie postale, par téléphone ou, le cas échéant, par voie électronique. Elles indiquent la raison de leur impossibilité de se déplacer, sans qu’il leur soit nécessaire de fournir un justificatif.
V. – Au sein du bureau de vote, des équipements de protection adaptés sont mis à la disposition des électeurs qui n’en disposent pas et des personnes participant à l’organisation ou au déroulement du scrutin.
Les dépenses résultant du présent V sont à la charge de l’État.
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l’article.
M. Jean Louis Masson. Je suis assez réticent, si ce n’est très réticent, à l’extension des possibilités de donner procuration.
S’il n’y a aucun risque, pourquoi ne pas laisser une personne avoir dix ou quinze procurations ? C’est bien que des dérives ou des anomalies sont possibles. Je pense que nous devons nous montrer très prudents sur cette question.
Mme le président. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 32 rectifié est présenté par M. Benarroche, Mme Benbassa, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Fernique, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon.
L’amendement n° 43 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 2 et 3
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 32 rectifié.
M. Guy Benarroche. J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer nos doutes sur les procurations, qui ne sauraient être des remèdes à l’abstention.
J’y vois trois raisons : tout d’abord, le mandant est tributaire du mandataire qui dépose le bulletin dans l’urne transparente. Il ignorera toujours si ce bulletin correspondait bien à son choix intime. Cette modalité de vote est assurément celle qui met le plus en questionnement la sincérité dudit vote. Il s’agit d’une limite majeure.
Ensuite, nous savons tous que la course aux procurations – il ne s’agit pas de procurations en blanc, il n’y a donc rien de frauduleux – auprès de personnes plus fragiles peut d’autant plus faire basculer un vote que le corps électoral est limité. Le risque est plus ou moins grand en fonction des élections, mais il existe.
Enfin, le risque de fraude – je suis élu d’une région qui a connu récemment des tentatives de fraude en la matière – sera nécessairement plus important avec l’instauration d’une double procuration.
Les travaux de la mission d’information sur le vote à distance n’ont pas permis de trancher sur d’autres modalités applicables dès aujourd’hui ou dans un avenir très proche pour améliorer la participation, ce qui est bien l’objectif recherché.
J’entends bien votre souhait de faciliter le vote et de lutter contre l’abstention, mais votre remède me semble pire que le mal. Faute d’assurance sur la sécurisation et sur la sincérité de cette modalité de vote, je ne peux que m’opposer à l’extension du nombre de procurations que peut posséder un même mandataire.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée, pour présenter l’amendement n° 43.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le présent amendement vise à supprimer le II de l’article 1er bis, qui permet à chaque mandataire de disposer de deux procurations.
Le relèvement à deux du nombre de procurations qu’un même mandataire peut détenir avait en effet été mis en place pour le second tour des élections municipales comme une mesure d’urgence, dans un contexte où nous n’avions qu’une connaissance limitée de la manière dont nous pouvions freiner la propagation du virus.
Un tel relèvement ne peut devenir une règle générale et ne saurait être pérennisé. Les risques de fraude, déjà évoqués, apparaissent en effet trop élevés. C’est ce qui avait d’ailleurs amené le législateur, en 1988, à supprimer la possibilité pour un mandataire de porter deux procurations.
Même dans le contexte épidémique lié à la covid, le Gouvernement souhaite permettre au plus grand nombre possible de nos concitoyens d’exercer leur droit de vote dans le respect des principes édictés par l’article 3 de la Constitution, qui mentionne le vote personnel, et éviter les abus pouvant accroître le risque de fraude.
Comme il l’a fait depuis le début, le Gouvernement souhaite tout mettre en œuvre pour sécuriser sanitairement le double scrutin et permettre à tous les électeurs de se déplacer.
De plus, les personnes vulnérables qui le souhaitent devront être protégées. À la différence du second tour des élections municipales, le rapport entre les bénéfices du relèvement à deux du nombre de procurations et les risques qu’il emporte, notamment sur la sincérité du scrutin, a évolué.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement ne souhaite pas pérenniser cette mesure et propose donc à votre assemblée de la supprimer.
Mme le président. L’amendement n° 33 rectifié, présenté par M. Benarroche, Mme Benbassa, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Fernique, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette possibilité ne peut s’appliquer pour le renouvellement général des conseils départementaux.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Il s’agit d’un amendement de repli.
Les risques que je viens d’énumérer – fraude, organisation de collecte de procurations et manque de sincérité – doivent être particulièrement limités, a fortiori pour un scrutin départemental où quelques voix bien réparties dans quelques cantons suffisent à faire basculer l’équilibre politique du département tout entier.
Les élections départementales, au regard du mode de scrutin, sont particulièrement sensibles à ces risques. C’est la raison pour laquelle, dans l’hypothèse où mon amendement précédent ne serait pas adopté, je propose que la double procuration ne s’applique pas au renouvellement des conseils départementaux.
Le code électoral, dans sa partie réglementaire, prévoit que, « lorsque plusieurs élections ont lieu le même jour, il n’est établi qu’une procuration valable pour toutes ces élections ». Différencier ces procurations entraînerait des difficultés matérielles dont je suis bien conscient. Toutefois, je reste persuadé que cette différenciation en vaut la peine afin de garantir le bon déroulement de cette élection et d’assurer la confiance des électeurs en ses résultats.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission s’étonne…
L’exposé des motifs de l’amendement n° 43, déposé le 12 octobre 2020, au projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire précisait : « [La] pérennisation d’une mesure essentielle en période de pandémie, déjà mise en œuvre pendant l’état d’urgence sanitaire avant l’été, qui demeure nécessaire pour le double scrutin des élections départementales et régionales de mars 2021 ». L’exposé des motifs ajoutait, et je partage cet argument : « Cela contribuera à renforcer la participation citoyenne sans fragiliser la sécurité juridique des scrutins, tout en limitant l’exposition des personnes vulnérables. »
Mes chers collègues, savez-vous qui avait déposé cet amendement ? (On fait mine de s’interroger sur les travées du groupe Les Républicains.) Le Gouvernement ! (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains) Il me semble que vous en étiez déjà membre, madame la ministre.
M. Laurent Duplomb. Grotesque !
M. Philippe Bas, rapporteur. Quand, le jeudi 21 janvier 2021, La République En Marche a proposé de mettre en place le vote par internet pour l’élection présidentielle de 2027, elle a assorti cette proposition d’un certain nombre de recommandations très utiles, dont la première était de « maintenir à deux le nombre de procurations qu’une personne peut détenir ».
Madame la ministre, vous ne vous étonnerez donc pas que nous soyons parfois un peu troublés par les évolutions des positions de principe énoncées par le Gouvernement.
En vérité, vous avez vous-même souhaité, à juste titre, la mise en place de la double procuration au second tour des élections municipales. Cela s’est fait dans le bon ordre. Vous avez ensuite souhaité, en octobre dernier, le maintien de cette modalité pour les élections départementales et régionales.
Le principal parti de la majorité propose de pérenniser le système de double procuration. Nous n’allons pas aussi loin : nous proposons simplement son maintien pour les élections de juin prochain. Je ne vois pas l’inconvénient, mais je vois bien l’avantage. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François Bonhomme. En marche arrière !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 33 rectifié et demande le retrait de l’amendement n° 32 rectifié au profit du sien.
Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Le vote par procuration est le seul substitut au vote à l’urne en France.
Nous savons que cette modalité pose des difficultés structurelles. Nous sommes d’ailleurs très peu à l’utiliser en Europe. Sur le plan international, l’ensemble des commissions qui travaillent sur cette question propose de sortir du vote par procuration en ce qu’il contrevient au secret du vote et qu’il est sensible à la pression familiale…
Il n’en demeure pas moins que cette solution peut être utile dans la période que nous traversons. Pour autant, nous regrettons qu’elle se substitue à tout l’éventail des adaptations qu’il aurait été souhaitable de mettre en place.
Pour ces raisons, nous nous abstiendrons sur tous les amendements relatifs aux procurations.
Mme le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour explication de vote.
M. Laurent Burgoa. Plusieurs de nos collègues ont mis en doute la crédibilité de la parole du Gouvernement. Voilà encore un bel exemple, madame la ministre. Comment vous croire ?
Voilà quelques mois, notre rapporteur vient de le rappeler de manière magistrale, le Gouvernement proposait deux procurations. Malgré ce dispositif, et malheureusement pour la démocratie, la participation aux élections municipales de juin dernier n’a pas dépassé 30 %, notamment dans les grandes villes. Nous savons qu’elle risque d’être encore plus faible lors des régionales et départementales.
Il faut pourtant que le peuple s’exprime. Pour qu’il puisse le faire, madame la ministre, il faut lui en donner les moyens. Demain, le Gouvernement nous proposera de proroger l’état d’urgence jusqu’au 1er juin 2021, soit très près des échéances électorales des 13 et 21 juin. Pourquoi ne pas maintenir le même dispositif que celui du mois de juin dernier ? Pardonnez-moi de vous le dire, madame la ministre, mais votre parole n’est plus crédible.
Mme le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Vous l’avez rappelé, madame la ministre, la double procuration a été supprimée en France en 1988. Mais, en 1988, on votait encore beaucoup.
Aux élections législatives de 1988, la participation s’élevait, pour le premier tour, à 66 % et, pour le deuxième tour, à 69 %. Aux élections législatives de 2017, le taux de participation n’atteignait que 48 % !
À une époque où les gens allaient massivement voter, je peux comprendre que la double procuration n’était pas utile. Cependant, à une époque où le nombre de votants, quelle que soit l’élection concernée, ne cesse de diminuer, affirmer qu’on ne peut pas revenir au système de la double procuration, notamment en période de pandémie, n’a pas de sens ! Je n’ose l’imaginer, mais le Gouvernement ferait-il le raisonnement selon lequel, quitte à perdre les élections départementales et régionales, mieux vaudrait pour lui une faible participation ?
M. Laurent Duplomb. Ça fera moins mal !
M. Roger Karoutchi. Ne faites-vous pas un tel calcul ? Ce serait regrettable… M. le rapporteur vient de le rappeler, en octobre dernier, vous défendiez, par amendement, la double procuration.
J’ai moi-même fait partie, comme d’autres ici, d’un gouvernement. Quel que soit le gouvernement en place et quelle que soit sa couleur politique, je considère que, en démocratie, le débat entre le Parlement et le Gouvernement doit se faire de manière claire. Si on peut ne pas être d’accord avec le Gouvernement, la parole de ce dernier doit être crédible, constante et régulière. En effet, si ce dernier donne le sentiment de changer de pied en fonction d’éléments politiciens, il devient impossible de considérer sa parole comme crédible.
M. Laurent Duplomb. Exactement !
M. Roger Karoutchi. Que nous soyons dans l’opposition ou la majorité, nous devons pouvoir nous créditer d’une certaine régularité dans nos prises de position. Le Gouvernement avait déposé un amendement visant à mettre en place la double procuration dans les périodes pandémiques. En juin prochain, nous le savons, nous serons encore dans une telle période.
Par conséquent, pour ces prochaines élections, maintenez ce système, quitte à revenir à une seule procuration pour les élections suivantes.
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Un dicton bien connu l’affirme, seuls les imbéciles ne changent pas d’avis. Selon moi, il est tout à l’honneur du Gouvernement (Exclamations sur plusieurs travées.) de s’être rendu compte que les procurations représentent une source potentielle de fraudes et, donc, d’avoir changé d’avis.
Pour faire de la politique, nous le savons tous ici, les gens changent d’avis, y compris certains de nos collègues ! Par conséquent, pourquoi le Gouvernement ne pourrait-il pas faire évoluer sa position ?
Pour ma part, j’estime, comme le Gouvernement, que les procurations posent un vrai problème.
On nous parle de l’abstention, mais je ne suis pas d’accord avec cet argument. Les procurations peuvent faire basculer une majorité, dans la mesure où tout se joue parfois à quelques dizaines ou quelques cinquantaines de voix. En revanche, dans la mesure où leur nombre est très faible – c’est vraiment epsilon –, elles ne peuvent faire évoluer le taux d’abstention !
Là où elles représentent un grand danger, c’est qu’elles permettent de récupérer à la marge, plus ou moins légalement – je ne referai pas le débat –, des suffrages susceptibles de faire basculer le vote.
Par conséquent, sur ce point, le Gouvernement a tout à fait raison !
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Les argumentations sur lesquelles reposent ces trois amendements sont différentes. Permettez-moi d’exprimer la position du groupe CRCE.
Nous allons voter sur ces amendements, et nous allons également envoyer un message aux Françaises et aux Français.
D’un point de vue démocratique, la procuration laisse subsister des éléments d’incertitude, mais comme tout acte humain !
Toutefois, la question du nombre de procurations ne permettra pas de régler les problèmes bien plus importants qui nous sont posés : la démocratie représentative est en crise, mes chers collègues. Il y a une crise de la politique et de la citoyenneté. Nous débattrons tout à l’heure des procurations familiales. N’avons-nous pas un autre débat à mener ? Dans quelle République chaque Française et chaque Français dispose-t-il d’un d’espace d’émancipation ? Telle est la question qui nous est posée, non seulement lors des élections, mais aussi lorsqu’il n’y a pas d’élections.
M. Masson nous a fait un récit digne de la bibliothèque verte (Sourires.), en évoquant différentes formes de fraudes. C’est à se demander si, avant la fin de la soirée, nous n’allons pas avoir un cours magistral.
La question posée est aussi, de fait, celle de la confiance. Cela fait un an qu’on culpabilise les Françaises et les Français pour ce qui concerne la crise du covid et bien d’autres sujets. Cela fait un an qu’on infantilise les gens. Pour ma part, je vois dans votre revirement sur cette question, madame la ministre, non pas tant toutes ces manœuvres politiciennes que d’aucuns évoquent, mais bien davantage un problème de confiance. Si nous conservons les mêmes procédures en matière de procuration, des dangers existent, certes, mais nous devons faire confiance à la citoyenneté des Françaises et des Français. Dans notre société fragmentée, divisée et violente, nous devons faire ce geste.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons contre ces trois amendements.
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je ne remercie pas le Gouvernement d’avoir déposé le même amendement que moi ! (Sourires.) D’une manière générale, par les temps qui courent, recevoir le soutien du Gouvernement n’est pas forcément une bonne chose.
Mes chers collègues, je vous demande de ne pas tenir compte de la position du Gouvernement et d’étudier la situation par rapport à ce que vous connaissez parfaitement, comme moi, à savoir les prochaines élections départementales. Vous savez à quel point, pour une élection qui concerne aussi peu d’électeurs et pour laquelle la participation sera, de toute façon, faible, le régime des doubles procurations engendrera un certain nombre de doutes concernant les résultats dans un certain nombre de départements, le mien en particulier.
Je vous incite donc à considérer mes amendements à l’aune de cette réflexion et non des changements de position du Gouvernement.
Pour conclure, je veux dire combien je suis d’accord avec le dernier orateur qui s’est exprimé. Les procurations ne résoudront pas les problèmes de citoyenneté et de démocratie. Faisons avancer la situation avec de vraies propositions qui prennent réellement en compte les évolutions de la citoyenneté et non avec des solutions à la petite semaine !
Mme le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour explication de vote.
M. Vincent Segouin. Je l’avoue, madame la ministre, j’ai besoin d’une explication de texte. Dans l’objet de votre amendement, on peut lire en effet : « Le relèvement à deux du nombre de procurations qu’un même mandataire peut détenir avait en effet été mis en place pour le second tour des élections municipales comme une mesure d’urgence dans un contexte où nous n’avions une connaissance que limitée du virus. »
Dois-je en déduire que, dans la mesure où nous connaissons mieux, désormais, le virus, cette procédure d’urgence est devenue caduque ? Si tel est le cas, ce même raisonnement ne devrait-il pas s’appliquer pour ce qui concerne la date des élections prévues au mois de juin ?
Mme Chantal Deseyne. Très bonne remarque !
Mme le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Comme mon collègue Vincent Segouin, je ne comprends pas sur quoi vous vous fondez pour demander la suppression de la possibilité, pour chaque mandataire, de disposer de deux procurations.
En effet, rien n’a changé sur le fond. À supposer que nous sortions de la situation d’état d’urgence sanitaire début juin, les choses ne seront pas fondamentalement différentes pour ce qui concerne le scrutin qui se déroulera deux semaines plus tard.
Certes, je le sais bien, la double procuration ne constitue pas la solution universelle permettant d’accroître la participation. Mais c’est une faculté qui est encadrée. Vous semblez faire plus de cas aujourd’hui des dangers en termes de fraudes, ce que je ne comprends pas. Vous dites que le rapport bénéfice-risque de la double procuration a évolué. Pour ma part, j’estime que c’est surtout vous qui avez évolué.
Mme le président. La parole est à M. Christian Bilhac, pour explication de vote.
M. Christian Bilhac. Ce débat serait beaucoup plus intéressant s’il portait sur la modification du code électoral. Or il ne s’agit aujourd’hui que des élections départementales et régionales du mois de juin prochain.
J’ai en tête – il ne faut jamais oublier qui nous représentons ici – un couple de 91 ans et 88 ans du même village que moi, qui a toujours exercé ses droits civiques. Il fait partie d’une génération où on allait voter à toutes les élections. Mais, aujourd’hui, il a peur, et n’a pas le courage d’aller devant l’urne dans la situation sanitaire que nous connaissons. Ces deux personnes âgées, qui n’ont qu’un fils, n’ont confiance qu’en lui pour exprimer leur vote. Selon moi, elles méritent de pouvoir s’exprimer à l’occasion de ces élections départementales et régionales du mois de juin. Dans le cadre de la situation sanitaire, il convient donc de conserver la double procuration. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. Très bien !
Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 32 rectifié et 43.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme le président. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 6 est présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 20 est présenté par M. Masson.
L’amendement n° 37 est présenté par le Gouvernement.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 4 et 5
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° 6.
M. Pascal Savoldelli. Nous n’en avons pas parlé tout à l’heure, par sympathie, mais un amendement tendait à opérer un distinguo entre élections départementales et élections régionales. Or, à ma connaissance, dans le cadre des recours relatifs aux élections départementales, si la droite a pris de nombreux départements à la gauche, ce n’est malheureusement pas tant en raison des procurations en sa faveur que – ne vous vexez pas, mes chers collègues ! – grâce à un travail de conviction meilleur que le nôtre.
M. Michel Savin. Très bien !
M. Pascal Savoldelli. Sur la question des procurations filiales, nous avons déjà eu un débat la dernière fois, puisque nous reportons les élections pour la deuxième fois.
Pour notre part, nous considérons qu’il faut continuer à asseoir les procurations sur la notion de citoyenneté. Ce principe, je le sais, fait débat, et notre collègue vient d’évoquer un cas de figure qui plaide en faveur des procurations filiales.
La citoyenneté, c’est le socle qui nous permet non seulement de vivre ensemble, mais aussi d’être ensemble. Il y a toujours un moment où il faut faire des choix, et on peut aussi préférer ne pas choisir un mandant parce qu’on n’a pas confiance. Cela aussi fait partie des libertés, même si un tel choix peut être vécu douloureusement.
Si nous élargissions la procuration au principe de filialité, où cela commencerait-il et où cela finirait-il ? Restons-en au principe de citoyenneté, mes chers collègues. Nous aussi, nous connaissons des situations où il est difficile, pour certains, de trouver un mandataire proche.
Très franchement, le fait de faire reposer la procuration sur la filialité conduira à des situations extrêmement délicates, y compris au sein de l’institution qu’est la famille.
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour présenter l’amendement n° 20.
M. Jean Louis Masson. Pour ce qui concerne les procurations, l’extension qui nous est proposée est extrêmement dangereuse, car on sait où ça commence, mais on ne sait pas où ça s’arrête. Les gens voteront dans des communes différentes, ce qui n’est pas souhaitable. Par ailleurs, la notion de concubinage est juridiquement très floue et n’offre aucune garantie. Qu’est-ce qui empêche M. Dupont de dire, trois jours avant l’élection, que Mme Durand est sa concubine ? Comment peut-on affirmer que deux personnes ne sont pas concubins ? Des problèmes inextricables risquent de se poser.
Il existe d’ores et déjà suffisamment d’irrégularités liées aux procurations. Pourquoi ouvrir encore plus grand la porte à ces dernières ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée, pour présenter l’amendement n° 37.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Cet amendement vise à supprimer le III de l’article 1er bis, qui vise à déterritorialiser les procurations pour les mandants confiant leur procuration à l’un de leurs proches. Cette mesure est mentionnée dans la loi Engagement et proximité du 27 décembre 2019 comme un objectif à mettre en œuvre dans les meilleurs délais, tout en assurant la solidité du dispositif.
Ainsi, la possibilité qu’un électeur puisse donner procuration à un mandataire inscrit dans une autre commune que la sienne entrera en vigueur au 1er janvier 2022.
Pour garantir cette facilité à établir des procurations, il faut que cette réforme soit entourée de toutes les garanties nécessaires, notamment en matière de lutte contre la fraude, que nous avons évoquée précédemment, afin que personne ne puisse voter deux fois.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Mes chers collègues, je ne sais pas si le Gouvernement varie, mais je sais que, pour ce qui la concerne, la commission n’a jamais varié.
Nous avons adopté avec constance, dans les différents projets de loi relatifs aux questions électorales qui nous ont été soumis, la disposition visant, d’une manière presque chirurgicale et très restreinte, à permettre à une personne âgée ou qui ne peut pas se déplacer ou à une personne malade de confier son vote à un membre de sa famille.
On le sait bien, la procuration est un acte singulier, puisqu’il déroge au principe du secret du vote. À qui allez-vous confier le secret de votre vote ? Il arrive d’ailleurs qu’en famille on ne se confie pas ce secret. À plus forte raison, n’y a-t-il pas davantage de réticences encore à confier le secret de son vote à un tiers, à un inconnu ?
Vous en témoigniez, mon cher collègue, en évoquant ce couple de 91 ans et 88 ans, de nombreuses personnes, qui ont voté toute leur vie au bureau de vote, à l’urne, hésitent aujourd’hui à se déplacer. Croyez-vous qu’elles confieront leurs bulletins de vote à des inconnus, à des amis de passage ? Non, elles le confieront à un membre de leur famille, aussi proche que possible. Je ne vois pas qu’il y ait à s’inquiéter des risques de fraudes, à partir du moment où on limite très strictement, en fonction du lien de parenté, les personnes qui peuvent recevoir cette procuration d’ordre familial.
Tout simplement, cela permettra à des personnes qui n’auraient pas pu voter de voter tout de même. Je regrette, madame la ministre, que l’Insee, qui sait à quel point nous avons besoin du répertoire unique permettant de vérifier que le mandataire a la qualité d’électeur dans une autre commune et qu’il ne détient pas déjà deux procurations, n’ait pas pu accélérer son travail en ce sens. Pourtant, nous en parlons depuis plus d’un an ! Mais il vous reste quelques mois pour faire, si vous le souhaitez vraiment, même si je ne crois pas que cela soit indispensable, un fichier ad hoc destiné à rendre ces vérifications effectives.
Surtout, nous avons, sur l’initiative de notre collègue Alain Richard, adopté une modification de notre texte prévoyant que la procuration doit être déposée auprès de l’officier de police judiciaire (OPJ) – celui-ci peut également se présenter au domicile – suffisamment tôt pour permettre toutes les vérifications utiles, notamment les liens de parenté et de concubinage, qui peuvent être attestés. C’est d’ailleurs un grand classique de notre droit que de vérifier la qualité de concubin des deux membres d’un couple.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission est défavorable à ces amendements de suppression.
Mme le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Nous rejoignons la démarche de M. le rapporteur en faveur de ce droit « extraterritorial », pour utiliser un adjectif un peu pompeux. Toutefois, il est vrai que cela pose des difficultés matérielles, qui seront résolues après l’application de l’article de la loi Engagement et proximité évoqué par Mme la ministre.
D’ici là, qu’en est-il ? Dans le formulaire de procuration, il n’y a pas de case pour justifier du lien familial. Par conséquent, si nous adoptons une telle disposition, le Gouvernement devra faire preuve d’une certaine bonne volonté et prévoir que l’officier de police judiciaire demande une justification simple du lien familial, afin que la mairie qui enregistrera le vote par procuration puisse le faire dans le cadre d’une sécurité juridique complète. Reconnaissons-le, il y a bien là une fragilité.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je souhaite répondre à votre interpellation, monsieur le rapporteur sur le travail de l’Insee. Vous avez eu parfaitement raison de le mentionner, l’Insee et les services du ministère de l’intérieur travaillent à adapter les systèmes d’information qui sous-tendent le système électoral, pour rendre possible, à terme, cette disposition.
Toutefois, un certain laps de temps est nécessaire, non seulement à l’Insee et aux services du ministère de l’intérieur, mais aussi aux éditeurs, qui, vous le savez, fournissent les logiciels aux communes, pour prévoir cette nouvelle modalité. Ce sera le cas en 2022 : le répertoire électoral unique, le REU, qui permet aux communes de gérer leurs listes électorales, sera alors en mesure d’intégrer la modification souhaitée. Elle sera utile à nos concitoyens pour exercer leur droit de vote.
Dans l’intervalle, c’est-à-dire pour les scrutins de 2021, il n’est techniquement pas possible d’offrir cette possibilité aux électeurs. Le Sénat en a d’ailleurs parfaitement conscience, puisqu’il a fait état, dans son rapport d’information sur le vote à distance, publié le 16 décembre 2020, de ces contraintes : « Sur le plan opérationnel, la nouvelle version du REU sera disponible en mars 2021, mais devra ensuite être contrôlée dans une phase dite “de qualification”, qui durera jusqu’en juin 2021. À compter de cette date, un délai supplémentaire de six mois sera nécessaire pour adapter les logiciels des 25 sociétés éditrices, qui fournissent aux communes les dispositifs de gestion des listes électorales. »
Au-delà de la question de principe que nous pouvons partager, y compris pour ce qui concerne la mise en œuvre concrète, dans les communes, de cette mesure, nous avons devant nous un certain nombre de sujets à régler.
Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6, 20 et 37.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme le président. L’amendement n° 21, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Supprimer les mots :
ou retirer
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Évitons de surcharger de travail les forces de police, les OPJ ! S’il peut paraître sympathique d’apporter les procurations aux uns et aux autres, il existe d’autres priorités. Nous exagérons considérablement les tâches des forces de l’ordre.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement. On peut désigner des délégués des officiers de police judiciaire.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Je mets aux voix l’article 1er bis.
(L’article 1er bis est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er bis
Mme le président. L’amendement n° 41 rectifié, présenté par M. Kerrouche et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Par dérogation aux articles L. 54 à L. 56 du code électoral, pour les élections mentionnées au I de l’article 1er de la présente loi, le scrutin dure trois jours dans les communes de 5 000 habitants et plus. Les opérations de vote ont lieu les vendredi, samedi et dimanche.
II. – À l’issue des opérations de vote des vendredi et samedi, les urnes et listes d’émargement sont mises sous scellés par le président du bureau de vote en présence des autres membres du bureau de vote et transférées, sous l’autorité d’agents ou d’officiers de police judiciaire compétents pour établir les procurations, dans le poste de police ou de gendarmerie le plus proche.
Pour les opérations de vote des samedi et dimanche, il est procédé aux transferts des urnes et listes d’émergement vers les bureaux de vote correspondants selon les mêmes modalités.
III. – Tout salarié ou agent public souhaitant remplir les fonctions de président, d’assesseur, de secrétaire d’un bureau de vote, ou de délégué de candidats, bénéficie, à sa convenance et sur justificatif, d’une autorisation d’absence dans la limite d’une journée. Il avertit son employeur vingt-quatre heures au moins avant le début de son absence.
IV. – Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article.
V. – Les dépenses résultant du présent article sont à la charge de l’État.
La parole est à M. Éric Kerrouche.
M. Éric Kerrouche. Cela fait maintenant un peu plus d’un an que nous en discutons, faut-il adapter les élections ? Comment ?
Cette année d’hésitations et de tergiversations ne nous a menés nulle part, si ce n’est à évoquer les doubles procurations. J’ai entendu ce qu’a dit notre collègue Pascal Savoldelli : il ne faut pas croire que des modalités techniques transformeront fondamentalement les conditions de participation. Mais penser que ces adaptations techniques n’ont pas de conséquences serait tout aussi inexact. Les transformations des modalités de vote conduisent, dans les pays qui les mettent en place, à des transformations notables et repérables de la participation, même si celles-ci ne sont pas toujours pérennes.
En l’espèce, cet amendement vise – c’est un exemple de tout ce qu’il aurait été possible de faire pendant un an et que le Gouvernement n’a pas fait – à mettre en place un vote par anticipation. Il s’agit non pas de reproduire ce qui a cours outre-Atlantique, mais d’instaurer un vote par anticipation sur trois jours, qui permettrait de répartir l’affluence dans les bureaux de vote sur les vendredi, samedi et dimanche.
Cette solution relativement souple est expérimentée ailleurs. De nombreuses possibilités existent. Malheureusement, elles ne sont pas explorées, ce qui constitue un vrai problème. Nous butons sans cesse sur ce plafond démocratique que nous construisons nous-mêmes, tout simplement parce que le Gouvernement ne souhaite jamais faire d’adaptation à notre droit électoral.
La vraie question est la suivante : sommes-nous les seuls en Europe et dans le monde à ne pas faire avancer notre droit électoral, alors que d’autres l’ont fait ?
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Nous avons exploré l’idée d’assouplir le régime des procurations, qui est encadré et dont nous avons l’expérience, puisque nous pouvons assurer une bonne prévention des fraudes. En revanche, s’agissant du vote par correspondance, la mission présidée par le président de la commission des lois, François-Noël Buffet, a mis en évidence la nécessité de remplir un certain nombre de conditions préalables. Tel n’est pas le cas aujourd’hui.
La possibilité de voter plusieurs jours de suite pose des problèmes délicats : que faire de l’urne ? Qui la surveille ? Comment éviter qu’elle ne soit ouverte ?
Toute contribution à la réflexion est intéressante et tout ce qui pourrait permettre de faciliter le vote des Français est une bonne chose. Toutefois, pour reprendre ce que disait notre collègue Pascal Savoldelli, le problème n’est pas uniquement lié au déplacement jusqu’au bureau de vote et à l’organisation des opérations de vote. Il est surtout lié au sentiment d’appartenance à une nation et à une démocratie. Ce n’est pas ce type de mesures qui permettra de régler les choses !
La commission est défavorable à cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. J’abonderai dans le sens de M. Éric Kerrouche, que je remercie d’avoir déposé cet amendement.
Nous l’avons dit, nous devons trouver des solutions innovantes, réalisables dans des laps de temps assez courts, auxquelles nous devons nous atteler dès maintenant.
Cette proposition en est une. Il en existe d’autres, que nous pourrions développer ici et qui sont désormais indispensables à notre démocratie. Celle que nous examinons a l’avantage d’une mise en place sans doute plus simple, plus facile et plus rapide qu’un vote par correspondance ou un vote électronique.
Notre groupe votera donc cet amendement.
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 44 rectifié ter, présenté par M. Kerrouche, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Leconte, Marie et Sueur, Mme Féret, MM. P. Joly et Cozic, Mmes Poumirol et G. Jourda, M. Bouad, Mmes Carlotti, Le Houerou et S. Robert, MM. Jacquin, Fichet et J. Bigot, Mme Préville, M. Devinaz, Mmes Meunier, Bonnefoy et Lepage et MM. Vaugrenard et Stanzione, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Pour les élections mentionnées au I de l’article 1er de la présente loi, par dérogation à l’article L. 54 du code électoral, tout électeur peut, sur sa demande, exercer son droit de vote par correspondance sous pli fermé, dans des conditions permettant d’assurer le secret du vote et la sincérité du scrutin.
II. – Dans chaque département, il est institué une commission de vote par correspondance, chargée du contrôle et de la traçabilité du processus de vote par correspondance.
La commission est obligatoirement présidée par un magistrat de l’ordre judiciaire. Elle peut s’adjoindre des délégués choisis parmi les électeurs du département.
Les candidats, leurs remplaçants ou leurs mandataires peuvent participer, avec voix consultative, aux travaux de la commission concernant leur circonscription.
La composition ainsi que les conditions de désignation et de fonctionnement des commissions instituées en application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État.
III. – Dès la publication du décret convoquant le collège électoral, tout électeur souhaitant voter par correspondance sous pli fermé peut demander à recevoir, sans frais, le matériel de vote lui permettant de voter par correspondance au premier tour, et, le cas échéant, au second tour.
Lorsque plusieurs élections ont lieu le même jour, la demande vaut pour toutes les élections ayant lieu le même jour.
La demande, formulée auprès de l’autorité compétente pour les procurations, s’établit au moyen d’un formulaire administratif prévu à cet effet qui doit obligatoirement :
1° Comporter les nom, prénoms, sexe, date et lieu de naissance, nationalité, adresse au titre de laquelle l’électeur est inscrit sur la liste électorale ;
2° Comporter une adresse postale de contact, adresse de messagerie électronique, numéro de téléphone permettant à l’électeur d’être informé de la prise en compte de son vote par correspondance ;
3° Être accompagné de la copie d’une pièce justifiant de l’identité de l’électeur et comprenant sa signature dont la liste est fixée par arrêté ;
4° Être accompagné d’un justificatif de domicile de moins de trois mois ;
5° Être signé par le demandeur ;
6° Indiquer si la demande vaut pour le premier tour, et le cas échéant, le deuxième tour ou les deux tours de scrutin.
Le formulaire, complété en triple exemplaire, est retourné par voie postale ou déposé en personne, ou en un exemplaire déposé par voie électronique, ou rempli à partir d’un portail de dépôt des demandes dématérialisées accessible depuis internet.
La demande doit être envoyée au plus tard le deuxième vendredi qui précède le scrutin. L’autorité compétente pour les procurations en accuse réception par tout moyen auprès de l’électeur.
Les demandes et justifications prévues au présent III sont conservées par les autorités mentionnées au troisième alinéa du présent III jusqu’à l’expiration du délai de recours contentieux.
IV. – L’autorité à laquelle est présenté le formulaire de demande de vote par correspondance, après avoir porté mention de celle-ci sur un registre spécial ouvert par ses soins, indique sur le formulaire le numéro de la demande, le numéro d’identifiant national et le numéro d’ordre dans le bureau de vote de l’électeur. Elle ajoute ses noms et qualité et le revêt de son visa et de son cachet.
Elle vérifie la capacité de l’électeur et, en cas d’incapacité, en informe le demandeur et le maire de la commune concernée.
Elle adresse en recommandé avec demande d’avis de réception, ou par porteur contre accusé de réception, un exemplaire papier ou électronique, du formulaire au maire de la commune sur la liste électorale de laquelle l’électeur est inscrit, et un second exemplaire à la commission de vote par correspondance prévue au II du présent article.
V. – Dès réception de la demande, la commission de vote par correspondance l’enregistre et vérifie à son tour que l’électeur est en capacité de voter et que sa demande comporte les indications et est accompagnée des pièces prévues au III.
Dans l’affirmative, la commission de vote par correspondance fait adresser sans délai, à l’électeur sous pli recommandé, par la commission de propagande prévue aux articles L. 166, L. 212, L. 224-23, L. 241, L. 354, L. 376, L. 413, L. 491, L. 518, L. 546 et L. 558-26 du code électoral et à l’article 17 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, le matériel de vote, au plus tard le lundi qui précède le scrutin. Dans l’hypothèse où plusieurs élections ont lieu le même jour, chaque élection concernée fait l’objet d’un envoi distinct.
Dans la négative, la commission de vote par correspondance indique à l’électeur les raisons pour lesquelles sa demande ne peut être acceptée.
En l’absence de réception du matériel de vote dans le délai imparti ou en cas de réponse négative, l’électeur peut saisir le ministère de l’Intérieur, le cas échéant par voie électronique.
Chaque électeur n’est destinataire que d’un unique pli de matériel de vote.
VI. – Le matériel de vote par correspondance sous pli fermé comprend :
1° Une enveloppe d’identification d’une couleur déterminée par voie réglementaire, sur laquelle est imprimé un certificat de vote signé par le président de la commission de vote par correspondance ou par son délégué, revêtu du cachet officiel, et comportant un code barre, un numéro identique à celui de la demande de l’électeur, ses nom, prénoms, date et lieu de naissance, nom de la commune de la liste électorale sur laquelle il figure, le numéro d’identifiant national et le numéro d’ordre dans le bureau de vote de l’électeur, ainsi qu’une déclaration sous serment à signer ;
Lorsque plusieurs élections ont lieu le même jour, chaque élection se voit attribuer une nuance de cette couleur différente.
2° Une enveloppe d’expédition préaffranchie, portant la mention « Élections – Vote par correspondance – le scrutin concerné », d’une couleur déterminée par voie réglementaire, sur laquelle est imprimée l’adresse du tribunal judicaire compétent, le nom et le code de la commune de la liste électorale sur laquelle l’électeur est inscrit. Lorsque plusieurs élections ont lieu le même jour, chaque élection se voit attribuer une nuance de cette couleur différente ;
3° Une enveloppe électorale d’une couleur déterminée par voie réglementaire et distincte de la couleur de l’enveloppe utilisée pour le vote à l’urne. Lorsque plusieurs élections ont lieu le même jour, chaque élection se voit attribuer une nuance de cette couleur différente ;
4° Les bulletins de vote et circulaires des candidats ;
5° Une notice d’utilisation.
VII. – Au fur et à mesure de la réception des demandes de vote par correspondance, le président de la commission de vote par correspondance, ou son délégué, inscrit sur un registre composé de pages numérotées, ouvert à cet effet, les noms et prénoms du demandeur, le numéro de la demande mentionné au IV, le numéro d’identifiant national et le numéro d’ordre dans le bureau de vote de l’électeur, ainsi que le nom et la qualité de l’autorité qui a réceptionné la demande et la date de son établissement. Le registre est tenu à la disposition de tout électeur, y compris le jour du scrutin.
Mention de la suite donnée à chaque demande par la commission de vote par correspondance est faite en face du nom de l’électeur.
VIII. – La liste des électeurs admis à voter par correspondance est envoyée par le président de la commission de vote par correspondance au maire, au plus tard avant l’expiration du délai fixé pour l’envoi des documents de propagande électorale.
IX. – L’enveloppe d’identification scellée, revêtue de la signature de l’électeur et de sa déclaration sous serment et renfermant l’enveloppe électorale contenant le bulletin de vote scellée, adressée au président de la commission de vote par correspondance prévue au II doit parvenir au tribunal judiciaire par voie postale ou par les autorités compétentes pour établir les procurations, ou être déposée en personne, au plus tard le vendredi précédant le jour du scrutin, à 17 heures.
Tout dépôt par une même personne de plusieurs enveloppes est interdit.
L’envoi du vote par correspondance sous pli fermé ne prive pas l’électeur de son droit de vote à l’urne. S’il vote à l’urne le jour du scrutin, son vote par correspondance est annulé.
X.- Chaque greffier en chef du tribunal judiciaire compétent tient un registre du vote par correspondance sous pli fermé, composé de pages numérotées. Il est fait mention au registre des enveloppes d’identification reçues au fur et à mesure de leur arrivée et du numéro du certificat mentionné au VI. Sur chaque enveloppe est aussitôt apposé un numéro d’ordre.
Tout électeur et tout candidat, ou son représentant, peuvent consulter le registre et y consigner leurs observations relatives aux opérations du vote par correspondance.
Chaque pli de vote par correspondance fait l’objet d’un accusé de réception auprès de l’électeur.
XI. – Les enveloppes d’identification sont conservées dans un lieu sécurisé, sous la responsabilité du greffier en chef du tribunal judiciaire compétent.
À l’échéance du délai prévu au IX, les enveloppes d’identification sont remises avec le registre prévu au X à la commission de vote par correspondance.
La commission vérifie la conformité du nombre de plis remis et le nombre figurant au registre prévu au X, puis l’identité de chaque électeur au moyen de son certificat et de la concordance de ses signatures.
La commission de vote par correspondance, transmet au maire la liste des électeurs ayant pris part au vote par correspondance. Le maire inscrit sur la liste électorale et la liste d’émargement la mention du vote par correspondance sous pli fermé en face du nom de chaque électeur.
La commission de vote par correspondance informe chaque électeur de la transmission ou non de son pli de vote par correspondance au bureau de vote auquel il est inscrit. Un site internet dédié permet à chaque électeur de vérifier la réception et la validité de son vote par correspondance.
À l’issue de ces opérations, les enveloppes d’identification, demeurées scellées, et le registre du vote par correspondance sous pli fermé sont restitués au greffier en chef pour être conservés dans les conditions prévues au premier alinéa du présent XI.
XII. – Ne donnent pas lieu à émargement les enveloppes d’identification :
1° Reçues en plus d’un exemplaire au nom d’un même électeur ;
2° Parvenues hors du délai prévu au IX ;
3° Pour lesquelles la commission de vote par correspondance n’a pas authentifié l’identité de l’électeur ;
4° Pour lesquelles le certificat est non valide ;
5° Pour lesquelles la déclaration de serment n’est pas signée ;
6° Qui ne sont pas scellées.
Ces enveloppes sont contresignées par les membres de la commission de vote par correspondance et sont annexées au procès-verbal selon les modalités prévues à l’article L. 66 du code électoral.
Les enveloppes parvenues après 17 heures le vendredi précédant le scrutin ne sont pas ouvertes et sont conservées par le greffier en chef qui en dresse procès-verbal. Les enveloppes sont détruites à l’expiration du délai de recours contentieux.
XIII. – Le jour du scrutin, les documents et le registre mentionnés aux premier et deuxième alinéas du XI sont acheminés jusqu’au bureau de vote par les autorités compétentes pour établir les procurations.
À la clôture du scrutin, son président et ses assesseurs indiquent le numéro du certificat sur la liste d’émargement, procèdent à l’ouverture des enveloppes d’identification et insèrent l’enveloppe électorale dans l’urne fermée, après s’être assurés que l’électeur concerné n’a pas déjà voté à l’urne.
Les émargements de vote par correspondance et de vote à l’urne sont comptabilisés distinctement. Leur nombre est consigné au procès-verbal avant toute ouverture de l’urne. Il est vérifié, avant l’ouverture de l’urne, qu’aucun bulletin n’est en circulation dans le bureau de vote. Ensuite, le dépouillement se déroule de la manière suivante : l’urne est ouverte et le nombre des enveloppes est vérifié. Si le nombre de bulletins de vote par correspondance est plus grand ou moindre que celui des émargements, il en est fait mention au procès-verbal.
Les enveloppes de vote par correspondance non réglementaires sont contresignés par les membres du bureau et annexées au procès-verbal selon les modalités prévues à l’article L. 66 du code électoral.
À l’issue du dépouillement, les enveloppes d’identification sont restituées au greffier en chef du tribunal judiciaire compétent et conservées dans les conditions prévues au premier alinéa du XI, jusqu’à l’expiration du délai de recours contentieux.
XIV. – Ne sont pas recevables :
1° Une enveloppe d’identification non-scellée ou qui contient plusieurs enveloppes électorales ;
2° Un bulletin qui n’a pas été inséré dans une enveloppe électorale officielle ;
3° Une enveloppe électorale non-scellée.
XV. – Tout électeur conserve la possibilité de voter personnellement à l’urne. Les dispositions du deuxième alinéa du XIII sont alors applicables.
XVI.- En cas de décès ou de privation des droits civiques de l’électeur ayant exercé son droit de vote par correspondance, son vote est annulé de plein droit.
XVII. – Un membre de la commission de vote par correspondance assiste à sa demande aux travaux de la commission de recensement prévue aux articles L. 175, L. 224-28, L. 359, L. 396, L. 416, L. 558-30 et L. 558-47 du code électoral et à l’article 21 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen.
XVIII. – En cas de deuxième tour de scrutin, il y est procédé le deuxième dimanche suivant le premier tour.
XIX. – Les sanctions prévues à l’article L. 111 du code électoral s’appliquent aux I à XVII.
XX. – Les dépenses résultant de l’organisation des opérations de vote par correspondance sous pli fermé prévues à la présente section sont à la charge de l’État.
XXI. – Des décrets d’application pris en Conseil d’État déterminent les conditions d’application du présent article.
L’amendement n° 45, présenté par M. Kerrouche, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey et MM. Leconte, Marie et Sueur, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Pour les élections mentionnées au I de l’article 1er de la présente loi, une expérimentation visant à offrir une modalité de vote complémentaire aux électeurs est mise en œuvre dans les communes volontaires.
II. – Par dérogation à l’article L. 54 du code électoral, tout électeur peut, sur sa demande, exercer son droit de vote par correspondance sous pli fermé, dans des conditions permettant d’assurer le secret du vote et la sincérité du scrutin et définies par décret pris en Conseil d’État.
III. – Le maire adresse sa candidature au représentant de l’État dans le département, par une délibération motivée de son conseil municipal. Un arrêté du ministre de l’intérieur dresse la liste des communes volontaires retenues pour mener l’expérimentation, au plus tard le 1er avril 2021.
IV. – L’expérimentation est mise en place avec le concours financier de l’État.
V. – Le Gouvernement présente au Parlement avant le 1er septembre 2021 un rapport faisant le bilan de l’expérimentation et visant à analyser l’opportunité et les modalités du vote par correspondance.
La parole est à M. Éric Kerrouche, pour présenter ces deux amendements.
M. Éric Kerrouche. Encore une fois, je ne comprends pas cette obsession à précipiter notre propre perte. À force d’avoir repoussé sans cesse le vote par correspondance, le report devient autoréalisateur et nous nous trouvons dans une situation où cette modalité de vote finit bel et bien par être hors de portée, puisque ce n’est jamais le bon moment…
Nous sommes peut-être les plus intelligents du monde ; la question se pose néanmoins de savoir pourquoi, si les arguments qui nous sont opposés sont recevables, le vote par correspondance a été adopté aussi vite dans d’autres pays que le nôtre.
Il y a, de fait, au moment où nous parlons, une difficulté à mettre en place ce vote par correspondance dans les délais qui nous sont impartis.
Pour autant, pourquoi ne pas le proposer dans quelques communes volontaires, de telle façon que nous puissions disposer au moins d’un peu de recul sur sa faisabilité et sur les voies d’une éventuelle amélioration ? Nous pourrions ainsi le mettre enfin en place pour les élections à venir, sachant que – nous l’avons presque tous dit à l’occasion de la discussion générale – nous n’avons aucune certitude quant aux développements ultérieurs de cette pandémie que nous croyions maîtriser, donc quant à ses conséquences sur les élections départementales et régionales, voire sur un improbable référendum, voire, éventuellement, sur la prochaine élection présidentielle.
Il aurait été intéressant de mettre en place ce type de votation avant l’élection présidentielle, et sans doute même est-il urgent de le faire.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis défavorable, madame la présidente, pour des raisons déjà exposées.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Avis défavorable également, notamment, mais pas uniquement, pour les raisons qui ont déjà été exposées.
Vous avez invoqué à plusieurs reprises, monsieur le sénateur, le fait que le vote par correspondance a déjà été mis en place dans d’autres démocraties du monde. Pardon de le dire très simplement, mais ce n’est pas parce que cela se fait ailleurs que c’est forcément bien et que c’est forcément mieux…
Si, d’ailleurs, les résultats de l’élection présidentielle aux États-Unis ont été contestés, c’est notamment sur le fondement d’un certain nombre de votes par correspondance eux-mêmes contestés. Nous parlions de la date de l’élection. Sa détermination n’exige pas seulement de répondre à la question de savoir à quel moment on est disponible ou à quel moment on n’a pas prévu de partir en vacances ; il faut aussi assurer la concordance de la date sur tout le territoire – autrement dit : que chacun vote à la même date – pour garantir la sincérité du scrutin.
Pour toutes les raisons déjà invoquées et pour celle que je viens d’exposer, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Madame la ministre, je vous invite à lire les amendements dont nous discutons – cela peut avoir un certain intérêt.
Sur le fond, concernant les États-Unis, la politisation de la situation par l’un de ses protagonistes essentiels ne doit pas empêcher de voir ce qui s’est passé : c’est justement le vote par correspondance qui a autorisé une participation inédite depuis des dizaines d’années.
Ce n’est pas forcément parce que les autres le font que c’est bien, dites-vous ; mais ce n’est pas forcément non plus parce que nous ne le faisons pas que ce n’est pas bien. Ou bien on regarde en face l’évidence – nous devons adapter notre droit électoral à la situation, mais aussi, éventuellement, conserver ces adaptations pour l’ensemble des élections –, ou bien on se contente du seul vote à l’urne.
Ce dernier est fondamental, c’est vrai – M. le rapporteur le rappelle souvent, et je partage complètement cette position. Mais, sans remettre en cause le vote à l’urne, le compléter n’est en rien une difficulté. Se priver de ces voix, c’est se mettre soi-même dans une position autopunitive.
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 44 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 45.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 2
Au plus tard le 1er avril 2021, le Gouvernement remet au Parlement, au vu d’une analyse du comité de scientifiques mentionné par l’article L. 3131-19 du code de la santé publique, un rapport sur l’état de l’épidémie de covid-19 et sur les mesures particulières d’organisation qui sont nécessaires pour garantir la sécurité sanitaire des élections régionales et départementales de juin 2021 et de la campagne électorale.
Ce rapport et l’analyse du comité de scientifiques sont rendus publics sans délai.
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l’article.
M. Jean Louis Masson. Cet article est un peu inquiétant, car il est la porte ouverte à une remise en cause de la date des élections fixée au mois de juin. Si nous prévoyons de nous revoir au mois d’avril, cela veut bien dire que nous n’excluons pas la possibilité de reporter une nouvelle fois les élections.
S’il y a vraiment un problème catastrophique, il sera toujours temps de décider d’un tel report. Mais il faut nous garder d’ouvrir dès maintenant la porte qui nous conduirait finalement, au mois d’avril, à considérer qu’il vaut peut-être mieux ne pas faire les élections au mois de juin.
Rejeter cet article, c’est marquer notre volonté forte que la date du mois de juin soit ferme et intangible. Si la date du mois de juin est considérée comme ferme et intangible, l’article ne sert plus à rien.
Mme le président. L’amendement n° 19, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean Louis Masson.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission a profondément modifié l’article 2 du texte du Gouvernement. Cet article prévoyait une sorte de clause de revoyure via la demande, adressée au comité de scientifiques, d’une appréciation sur l’opportunité d’une tenue des élections au mois de juin.
Nous disons, nous, la chose suivante : non, une telle appréciation n’est pas ce que nous attendons du conseil scientifique. C’est nous qui avons pris la décision – les élections auront lieu en juin. Le Gouvernement nous a confirmé tout à l’heure qu’il n’avait à cet égard aucune espèce d’arrière-pensée, que lui aussi souhaitait qu’elles se tiennent en juin.
Par conséquent, ce que nous demandons au conseil scientifique, c’est de donner de bons conseils au Gouvernement et aux maires pour l’organisation du scrutin, afin que sa sécurité soit encore renforcée du point de vue sanitaire. C’est ce que nous disons à l’article 2.
Par ailleurs, le Gouvernement avait souhaité que ce rapport du conseil scientifique soit adressé directement au Parlement. Nous lui répondons : non ; les mesures qui sont en cause sont surtout des mesures d’organisation qu’il appartient à l’État de prendre. Cela nous intéresse bien sûr de connaître le contenu du rapport, mais nous avons de toute façon fait adopter des dispositions pour que tous les rapports soient rendus publics immédiatement après leur adoption.
Nous demandons donc que ledit rapport soit un rapport du Gouvernement au Parlement fondé sur l’avis du comité de scientifiques, et que cet avis porte non pas sur l’opportunité de la tenue des élections, mais sur leur bon déroulement du point de vue de la sécurité sanitaire.
La commission est donc défavorable à la suppression et à toute modification de l’article 2, y compris à celles qui seront proposées par les auteurs des amendements suivants.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Pour toutes les raisons qui ont été invoquées précédemment – je pense notamment aux questions de confiance, qui sont revenues à plusieurs reprises –, le Gouvernement est très attaché à la transparence : transparence à l’égard des citoyens, transparence à l’égard du Parlement. Je le disais : rien ne doit se faire sans le Parlement.
Avis défavorable, donc : nous tenons au maintien de ce rapport.
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je fais une suggestion à Mme la ministre : si ce que nous avons décidé est suivi, nous voterons au mois de juin. Il faut donc dès maintenant nous dire – je suis intéressé, en tout cas… – les dispositions que vous prenez dans cette perspective, en y associant les associations d’élus, à commencer par les maires, évidemment, qui vont quand même être au cœur de l’organisation d’un double scrutin. Pour ceux, de sensibilités différentes, que j’ai pu consulter et avec qui j’ai pu discuter, je peux vous dire que c’est source d’inquiétude.
Si les élections se tiennent au mois de juin, il ne faut pas attendre de pouvoir prendre en compte les conditions de la campagne, c’est-à-dire les conditions démocratiques du débat politique avec nos concitoyens : il faut dès maintenant mettre en place une structure réunissant les maires, via l’Association des maires de France, ainsi que l’Assemblée des départements de France et Régions de France. Libre à eux de consulter, pas forcément à la date exacte du 1er avril, d’ailleurs, mais à tout moment, une expertise et des savoirs médicaux, afin de prendre des dispositions en vue de l’organisation des scrutins. C’est ça, créer de la confiance ! Et ce sera peut-être plus efficace que d’autres mesures parallèles…
Si l’on veut vraiment organiser ces élections et si l’on veut que les Françaises et les Français nous fassent confiance, il faut mettre toutes les compétences et tout notre esprit de responsabilité au service de l’acte électoral et de la démocratie.
Mme le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je suis tout à fait d’accord avec notre rapporteur, dont je suivrai l’avis. J’ai juste une observation. À la lecture du texte initial, en notant la présence d’une clause de revoyure, je n’ai pu m’empêcher d’y voir un prétexte pour rendre possible un nouveau report du vote : ce n’était pas gagné…
La rédaction de la commission me va très bien. Mais, madame la ministre, vous venez de parler de confiance et, comme M. le rapporteur, de dire non aux amendements de suppression de l’article 2. Si je suivrai naturellement l’avis de la commission, il ne faudrait pas néanmoins que ce texte, une fois passé par l’Assemblée nationale, se retrouve avec son article 2 initial, revenant à la clause de revoyure, et donc différent de l’article 2 que nous votons avec vous, lequel porte non pas sur l’opportunité du vote, mais sur son encadrement sanitaire.
M. Philippe Bas, rapporteur. Très bien !
M. Roger Karoutchi. C’est une question de confiance entre nous et le Gouvernement ; nous suivons l’avis de M. le rapporteur et celui de Mme la ministre, qui sont identiques, sur cet amendement de suppression de l’article 2, mais attention : pas de mauvaise surprise ! Ne revenez pas, à l’Assemblée nationale, sur les engagements qui sont pris ici ! Il n’y a pas, dans l’article que nous votons, de clause de revoyure sur l’opportunité du vote ; il y a une clause concernant la mise en place de mesures sanitaires particulières, ce qui n’est pas du tout la même chose.
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 34 rectifié bis, présenté par Mme de Cidrac, MM. Cambon et Houpert, Mme Joseph, MM. Cadec et Panunzi, Mmes Raimond-Pavero et Dumont, M. Belin, Mme Drexler, M. Bazin, Mmes Gruny et Puissat, M. Klinger, Mme M. Mercier, MM. Burgoa, Laménie et Genet et Mme F. Gerbaud, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer la date :
1er avril 2021
par la date :
12 mars 2021
La parole est à M. Bruno Belin.
M. Bruno Belin. Je voudrais tout d’abord saluer notre rapporteur, M. Philippe Bas, pour son travail et pour la clarté du débat qu’il conduit cet après-midi.
Cet amendement a pour objet de fixer au 12 mars la date butoir pour la présentation d’un rapport sur l’état de la pandémie. Vous me direz qu’il s’agit d’une pirouette visant à respecter un délai de trois mois avant la date du premier tour. Mais cette date, il faut que nous la connaissions !
Je n’ai pas voulu intervenir dans le débat d’explications de vote sur cette question des dates, mais il est évident qu’un deuxième tour ne saurait avoir lieu le 27 juin, compte tenu des questions telles que celles des emplois saisonniers et des moissons qui se posent dans certains territoires. Il faut, une bonne fois pour toutes, que l’on sache que les élections se tiendront les 13 et 20 juin 2021.
On a parlé d’organisation des bureaux de vote. La France, ce n’est pas Le Mans ! Ce sont plus de 30 000 communes de moins de 1 000 habitants dont les élus, qui vont être mobilisés deux dimanches pour deux élections chaque fois, départementales et régionales, vont devoir s’organiser, parfois longtemps à l’avance, pour les préparer, parce qu’il faut tenir compte des conditions sanitaires.
La moindre des corrections que l’on doit aux 500 000 élus locaux qui seront mobilisés ces deux dimanches-là est de commencer par leur dire quelles sont les dates de ces élections. Et le 13 juin me semble incontournable. Ce n’est pas une question de droite ou de gauche ; c’est une question de crédibilité ! Nous venons de passer beaucoup de temps sur les procurations ; l’enjeu est de donner envie d’aller voter pour les départements et pour les régions, parce qu’il s’agit de collectivités utiles et indispensables. Il faut convaincre nos concitoyens d’aller voter ; mais pour cela il faut déjà qu’ils connaissent les bons dimanches.
Nous attendons, madame la ministre, que vous fixiez les dates et que vous nous les annonciez ; c’est une question de clarté, de transparence et de démocratie – c’est ça, la France.
Mme le président. L’amendement n° 17, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer la date :
1er avril 2021
par la date :
15 mars 2021
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. J’ai déposé cet amendement pour que nous ne soyons pas pris au dépourvu par le calendrier de cette concertation et de la remise de ce rapport : le mois d’avril, c’est beaucoup trop tard.
Je proposais la date « taquet » du 15 mars ; je constate que les auteurs de l’amendement n° 34 rectifié bis proposent quasiment la même chose : le 12 mars. Dans un souci de conciliation, je voudrais faire à mes collègues une proposition sympathique : nous pourrions, s’ils le souhaitent – j’y suis prêt –, faire la moyenne entre le 12 et le 15 mars,…
M. Roger Karoutchi. Mettons le 13,5 mars ! (Sourires.)
M. Jean Louis Masson. … sachant que, si nous nous étions consultés, j’aurais pu avancer un petit peu ma date et eux reculer la leur.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Nous n’allons pas nous quereller pour quinze jours… Il nous semble que la date que nous avons retenue se situe suffisamment en amont des élections départementales et régionales pour que le Gouvernement ait le temps de mettre en œuvre les conclusions du rapport afin d’améliorer la sécurité sanitaire tant de la campagne que du vote.
On pourrait envisager de fixer cette date plus tôt, mais le paysage sera mieux dégagé si nous maintenons la date que nous avons retenue.
Sans en faire un sujet de discorde, nous avons donc décidé d’émettre un avis défavorable sur ces amendements.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. On le voit bien à l’heure actuelle : la situation sanitaire peut évoluer considérablement en l’espace de quinze jours.
La date retenue correspondait à une ligne de crête : le rapport devait être remis suffisamment en amont de l’élection pour permettre à chacun d’en tirer les conséquences et d’accélérer sur l’organisation du scrutin, et, en même temps, à une date assez proche de celle de l’élection, afin qu’il puisse être le plus précis et le plus complet possible, et qu’il coïncide autant que faire se peut avec la réalité de la situation sanitaire au moment du vote.
Avis défavorable.
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 34 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article additionnel après l’article 2
Mme le président. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 13, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code électoral est ainsi modifié :
1° L’article L. 47 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’État assure le service public national de l’organisation matérielle des opérations effectuées par les commissions instituées par les articles L. 166, L. 212 et L. 241. » ;
2° Le deuxième alinéa de l’article L. 308 est ainsi rédigé :
« L’État assure le service public national de l’expédition de ces circulaires et bulletins ; il ne peut pas le sous-traiter. » ;
3° Le premier alinéa de l’article L. 355 est ainsi rédigé :
« L’État assure le service public national de l’organisation matérielle des opérations effectuées par les commissions instituées par l’article L. 354. »
L’amendement n° 14, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code électoral est ainsi modifié :
1° L’article L. 47 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’État assure le service public national de l’organisation matérielle des opérations effectuées par les commissions instituées par les articles L. 166, L. 212 et L. 241. » ;
2° Le deuxième alinéa de l’article L. 308 est ainsi rédigé :
« L’État assure le service public national de l’expédition de ces circulaires et bulletins ; il ne peut pas le sous-traiter. » ;
3° Le premier alinéa de l’article L. 355 est ainsi rédigé :
« L’État assure le service public national de l’organisation matérielle des opérations effectuées par les commissions instituées à l’article L. 354. »
II. – Le I s’applique jusqu’au 31 décembre 2021.
L’amendement n° 15, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code électoral est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l’article L. 166, les articles L. 212 et L. 354, le premier alinéa de l’article L. 376, les articles L. 403, L. 413 et L. 424, le premier alinéa des articles L. 491, L. 518 et L. 546 et l’article L. 558-26 sont complétés par une phrase ainsi rédigée : « Ces opérations sont effectuées par des agents relevant des services de l’État, mis à sa disposition en tant que de besoin et, le cas échéant, par du personnel vacataire. » ;
2° L’article L. 241 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ces opérations sont effectuées par des agents relevant des services de l’État, mis à leur disposition en tant que de besoin, et, le cas échéant, par du personnel vacataire. » ;
3° Le deuxième alinéa de l’article L. 308 est ainsi rédigé :
« L’État assure lui-même l’envoi de ces circulaires et bulletins. »
L’amendement n° 16, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code électoral est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l’article L. 166, les articles L. 212 et L. 354, le premier alinéa de l’article L. 376, les articles L. 403, L. 413 et L. 424, le premier alinéa des articles L. 491, L. 518 et L. 546 et l’article L. 558-26 sont complétés par une phrase ainsi rédigée : « Ces opérations sont effectuées par des agents relevant des services de l’État, mis à sa disposition en tant que de besoin, et, le cas échéant, par du personnel vacataire. » ;
2° L’article L. 241 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ces opérations sont effectuées par des agents relevant des services de l’État, mis à leur disposition en tant que de besoin, et, le cas échéant, par du personnel vacataire. » ;
3° Le deuxième alinéa de l’article L. 308 est ainsi rédigé :
« L’État assure lui-même l’envoi de ces circulaires et bulletins. »
II. – Le I s’applique jusqu’au 31 décembre 2021.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour présenter ces quatre amendements.
M. Jean Louis Masson. La profession de foi, dans une élection, c’est quelque chose de très important, surtout actuellement, dans le cadre d’une pandémie qui va empêcher la campagne électorale de se dérouler dans de bonnes conditions. Il est donc fondamental qu’au moins ces professions de foi soient envoyées aux électeurs dans de bonnes conditions.
Or, malheureusement, depuis quelques années, on assiste à une dégradation considérable de ces conditions, depuis que l’État, au lieu de se charger lui-même des envois via le personnel des préfectures payé en heures supplémentaires, passe par des sous-traitants en pratiquant une course au prix le plus bas. Comme me le disait le responsable de la préfecture de mon département, à essayer d’obtenir le prix le plus bas, on finit par en avoir pour son argent, c’est-à-dire par confier la tâche à des routeurs, qui, bien souvent, se révèlent des bras cassés. Les résultats peuvent être absolument invraisemblables, au détriment de ceux des candidats dont la profession de foi pâtit de cette situation.
L’envoi de ces documents par La Poste permet aux candidats ayant peu de ressources financières – c’est très important – de se faire connaître auprès des électeurs. C’est donc un élément fondamental de la démocratie.
Les gouvernements successifs ont essayé de supprimer ces professions de foi, en arguant qu’internet pourrait régler le problème, ce qui est faux. Il est important de maintenir, en la matière, un certain niveau de qualité, et le Parlement s’est toujours opposé à toute régression sur le sujet.
Or, à l’occasion de l’élection présidentielle et des élections législatives de 2017, l’envoi des professions de foi a pour la première fois été presque systématiquement effectué par des routeurs privés, et non par l’administration. Il s’agit pourtant d’un service public ; en l’espèce, ce service public n’a pas été assumé.
De nombreux candidats ont fait part des difficultés rencontrées en 2017, qui ont été relayées par les médias : non-acheminement ou acheminement très tardif des professions de foi, erreurs dans l’envoi, envoi en double dans tel endroit et, corrélativement, défaut d’envoi dans tel autre, envois dans la mauvaise circonscription… Il est arrivé dans plusieurs endroits que les routeurs, qui s’occupent chacun de trois ou quatre départements, mélangent les professions de foi, et que les professions de foi du député Dupont arrivent dans une circonscription où il n’est pas candidat. Imaginez le préjudice pour le député Dupont !
L’absence des professions de foi de certains candidats dans l’enveloppe distribuée a été constatée dans les Pyrénées-Orientales et dans l’Aude. Les professions de foi de plusieurs candidats de Haute-Savoie se sont retrouvées dans le département de la Loire – la presse en a fait état, et les intéressés ont protesté. De même en Seine-et-Marne, où la profession de foi du candidat d’un parti a été remplacée par celle d’un autre candidat du même parti, mais d’un département voisin – vous me direz qu’au moins le parti était le bon ; mais, tout de même, cette substitution ne faisait pas l’affaire du candidat qui en était victime…
Ces quatre amendements tendent à conforter le principe de l’envoi et du financement des professions de foi et des bulletins de vote par l’État, et surtout à garantir la qualité du service rendu. Le but est que l’envoi soit réalisé par l’État lui-même, dans de bonnes conditions, comme c’était le cas avant 2017, et non par le biais de prestataires privés dont personne ne contrôle la qualité du travail, et qui se moquent un peu de cette qualité.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je suis évidemment sensible à l’évocation de la grand-mère de notre collègue Jean Louis Masson. J’ai moi aussi beaucoup appris de la mienne, et d’ailleurs des deux miennes ; quel dommage qu’elles n’aient pas été sénatrices : leur voix porte dans notre assemblée ! (Sourires.)
Néanmoins, mon cher collègue, la commission des lois a émis un avis défavorable sur vos amendements. Si l’on demande à l’État d’organiser l’acheminement des professions de foi, dont vous dites à juste titre qu’il est essentiel, compte tenu de la situation des services territoriaux de l’État aujourd’hui, je ne suis pas sûr que le travail soit bien mieux fait que lorsque c’est La Poste qui s’en charge.
Il faut donc être très prudent ; bien sûr, nous devons alerter le Gouvernement sur toutes les difficultés rencontrées dans l’acheminement de ces documents électoraux, mais il faut lui laisser un minimum de liberté, à condition qu’il en fasse bon usage…
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. En politique, la sincérité et la constance des engagements sont importantes. À la lecture de vos quatre amendements, monsieur Masson, j’aurais pu, comme tous les membres de mon groupe, me laisser séduire par l’idée d’un vote favorable, l’enjeu ici soulevé étant celui du besoin d’un service public et de fonctions publiques au service de la démocratie, destinés à la faire vivre.
Je mesure donc aujourd’hui combien, depuis quelques années, votre voix a parfois manqué pour la défense des grandes entreprises publiques cassées par les gouvernements successifs, et combien votre voix a parfois manqué lorsqu’il s’est agi de défendre la fonction publique, territoriale, hospitalière et d’État, ici même, dans l’hémicycle, à l’occasion de débats budgétaires ou de l’examen d’autres textes de loi.
Comme notre collègue Muriel Jourda le disait plus tôt, la démocratie est parfois minée par un germe terrible : celui de la démagogie. Nous ne prendrons pas part au vote sur ces amendements, qui, me semble-t-il, relèvent bel et bien de la démagogie.
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Je suis quand même un peu interloqué qu’on m’accuse de ne pas avoir fait telle ou telle chose ! Avez-vous regardé, ma chère collègue, les interventions que, précisément, j’ai faites sur ce sujet ?
Je suis intervenu régulièrement, depuis trois ou quatre ans, sur un problème relatif à la fonction publique hospitalière, dont les agents, dans mon département, ont des difficultés considérables concernant le calcul de leur indemnité de résidence. Même vos amis de la CGT ont dit publiquement que j’étais le parlementaire qui les avait le mieux défendus !
Mme Cécile Cukierman. Je suis élue par les maires et pas par les syndicalistes, monsieur Masson !
M. Jean Louis Masson. Je ne comprends donc pas quelles sont les sources qui vous autorisent à me faire, à moi, personnellement – je ne suis pas responsable de ce que font nos collègues –, un tel procès d’intention.
Cet aparté étant fait, je voudrais dire à notre rapporteur que sa réponse – en substance : « vous avez raison, mais on ne peut pas faire mieux » – n’est pas satisfaisante. Mettez-vous à la place d’un candidat aux élections législatives ou d’une liste aux élections régionales qui voient leur profession de foi et leurs bulletins de vote arriver dans une autre circonscription ou dans une autre région – cela s’est déjà produit ; c’est une catastrophe pour le candidat !
Dire après coup qu’on va voir ce qu’on peut faire, c’est bien ; mais une fois que la personne a subi le préjudice, elle aura beau faire tout ce qu’elle veut, cela n’empêchera pas que les carottes sont cuites !
Il y a donc véritablement un problème. Avant 2017, quand l’État s’en occupait, ça se passait bien ; il n’y a pas de raison que, si l’État s’en charge de nouveau, ça ne se passe pas de nouveau bien, et certainement mieux qu’avec des adjudications au secteur privé.
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 16.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 3
L’ordonnance n° 2020-1304 du 28 octobre 2020 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la création de la Collectivité européenne d’Alsace est ainsi modifiée :
1° À la fin du dernier alinéa de l’article 3, les mots : « au plus tard le 30 juin 2021 » sont remplacés par les mots : « dans un délai de trois mois à compter du renouvellement général des conseils départementaux de 2021 » ;
2° À la première phrase du II de l’article 11, les mots : « de la date de sa première installation » sont remplacés par les mots : « du renouvellement général des conseils départementaux de 2021 ».
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l’article.
M. Jean Louis Masson. Cet article a pour objet la Collectivité européenne d’Alsace. Je reviens à ce que je disais précédemment : si l’on est obligé d’y consacrer un article, c’est justement parce que cette aberration qu’est la loi de 2015 a créé cette grande région qui n’a aucun sens et est démesurément étendue.
Je voudrais intervenir à nouveau sur ce sujet, parce que la problématique est bien réelle. Je voulais tout à l’heure – je n’ai pas pu car, ne disposant que de trois minutes, mon temps de parole était épuisé –, rappeler les propos très pertinents tenus par M. Bierry, président de la Collectivité européenne d’Alsace, lundi matin sur Public Sénat : « Bien évidemment, nous appelons de notre vœu le démembrement de la région Grand Est. Si nous pouvions reconstituer l’Alsace – nous l’avons fait institutionnellement avec la Collectivité européenne d’Alsace –, il suffirait de transférer toutes les compétences de la région et on aurait une collectivité d’un nouveau genre, mais qui serait beaucoup plus efficace et beaucoup plus lisible pour nos concitoyens. »
Je voudrais qu’à terme on ne soit plus obligé de faire des articles en plus pour la Collectivité européenne d’Alsace, qu’elle devienne une région de plein exercice et que les choses puissent fonctionner normalement et de façon satisfaisante aussi bien pour les Alsaciens que pour les Lorrains et les Champardennais, qui sont victimes des dimensions démesurées de cette région.
La discussion de cet article est l’occasion pour moi de souligner le caractère aberrant – c’est flagrant – de cette région Grand Est.
Mme le président. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 est adopté.)
Article additionnel après l’article 3
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 46 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À titre dérogatoire, les élections régionales de 2021 dans les régions créées par la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral et dont la superficie est de plus de 30 000 km², sont organisées séparément dans le cadre de circonscriptions correspondant aux anciennes régions qui existaient jusqu’en 2015.
Le nombre total de conseillers régionaux de chaque région reste inchangé, chacune des circonscriptions élisant un nombre de conseillers régionaux proportionnel à sa population. Le nombre de candidats prévu par section départementale est modifié en conséquence.
Pour l’attribution des sièges entre les listes, la prime majoritaire prévue à l’article L. 338 du code électoral est appliquée séparément pour chacune de ces trois circonscriptions.
L’amendement n° 42 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À titre dérogatoire, les élections régionales de 2021 dans la région Grand Est, sont organisées séparément dans le cadre de trois circonscriptions correspondant aux trois anciennes régions qui existaient jusqu’en 2015.
Le nombre total de conseillers régionaux de la région Grand Est reste inchangé, chacune des trois circonscriptions élisant un nombre de conseillers régionaux proportionnel à sa population. Le nombre de candidats prévu par section départementale est modifié en conséquence.
Pour l’attribution des sièges entre les listes, la prime majoritaire prévue à l’article L 338 du code électoral est appliquée séparément pour chacune de ces trois circonscriptions.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour présenter ces deux amendements.
M. Jean Louis Masson. Ces deux amendements relèvent de la même logique, l’un concernant plus particulièrement la région Grand Est.
L’épidémie va perturber le déroulement des campagnes électorales. Cette perturbation sera d’autant plus forte que la circonscription électorale concernée est plus étendue. Ce sera tout particulièrement le cas des grandes régions fusionnées en 2015. Certaines, notamment la région Grand Est, sont de véritables monstres administratifs, dont l’étendue tentaculaire est totalement incompatible avec le déroulement normal d’une élection déjà perturbée par l’épidémie.
Dans son discours du samedi 23 janvier, le Premier ministre Jean Castex a reconnu cette problématique : « Au-delà de l’Alsace, je voudrais vous faire une confidence personnelle : je n’ai jamais été convaincu par la création de ces immenses régions, dont certaines ne répondent à aucune légitimité historique et surtout ne me paraissent pas répondre aux besoins grandissants de nos concitoyens pour une action publique de proximité. Le désir de retrouver une Alsace reconnue, que vous avez unanimement et continument exprimé depuis 2015, ne constitue ni une lubie folklorique ni une menace à l’unité de la République comme on l’a parfois, malheureusement, entendu. »
L’augmentation de la taille des régions repose en fait sur une erreur fondamentale, qui consiste à croire que, plus on fait grand, plus il y a d’économies d’échelle. Or une taille optimale correspond à chaque type d’organisation territoriale. Au-delà de cet optimum, les pesanteurs administratives et le manque de proximité de la gestion entraînent des surcoûts et des dysfonctionnements.
Compte tenu des frais de déplacement et de l’éloignement des centres de décision, les grandes régions n’ont permis aucune économie réelle de gestion. C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé en 2017 la Cour des comptes, qui, dans un rapport, évoquait une augmentation, dans le Grand Est, de 51 % des frais de déplacement et de représentation.
La création de cette région a donc bien entraîné des gaspillages. Son cas est en fait emblématique. D’une part, son étendue territoriale est démesurée, en l’espèce 57 433 kilomètres carrés, soit presque le double de celle de la Belgique, qui n’a que 30 689 kilomètres carrés, alors qu’elle est divisée en trois régions – la Flandre, la Wallonie et Bruxelles. D’autre part, les anciennes régions fusionnées autoritairement dans le Grand Est ont une identité forte, notamment l’Alsace. Il est donc important que, dans le cadre des élections régionales, ces trois anciennes régions puissent exprimer leur sensibilité propre dans trois scrutins séparés.
Tel est le sens de ces deux amendements. L’amendement n° 42 rectifié concerne le Grand Est, tandis que l’amendement n° 46 rectifié vise toutes les régions fusionnées, dont la population est supérieure ou égale à celle de la Belgique.
Mme Cécile Cukierman. Et pourquoi pas les autres ?
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’avis est défavorable, madame la présidente.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 42 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 4
Pour les élections mentionnées au I de l’article 1er de la présente loi :
1° La période pendant laquelle s’appliquent les interdictions prévues à l’article L. 50-1, au troisième alinéa de l’article L. 51 et aux premier et second alinéas de l’article L. 52-1 du code électoral, qui a commencé à courir le 1er septembre 2020, est prorogée jusqu’à la date du tour de scrutin où chaque élection est acquise ;
2° La période prévue à l’article L. 52-4 du même code pendant laquelle le mandataire recueille les fonds destinés au financement de la campagne et règle les dépenses en vue de l’élection, qui a commencé à courir le 1er septembre 2020, est prorogée jusqu’au dépôt du compte de campagne du scrutin concerné ;
3° Les plafonds de dépenses prévus à l’article L. 52-11 dudit code sont majorés de 20 %.
Mme le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, sur l’article.
M. Vincent Delahaye. Je voudrais attirer l’attention du Gouvernement et de la commission sur les conséquences du report de trois mois des élections départementales et régionales sur les comptes de campagne – j’espère que ces élections ne seront pas décalées davantage, mais je partage les craintes d’un certain nombre de collègues à ce sujet…
Normalement, les comptes de campagne démarrent six mois avant ce type d’élection. Pour les prochaines, l’option retenue jusqu’à maintenant est de proroger les délais et d’augmenter le plafond de dépenses.
Pour ma part, je ne suis pas très favorable à cette option. C’est pourquoi j’ai cosigné l’amendement n° 40 rectifié qui sera défendu par mon collègue Pierre Louault dans un instant. Il prévoit que les comptes de campagne commencent le 1er janvier 2021.
En fait, je m’inquiète des éventuelles mises en cause, si l’on ne change rien au droit actuel, d’élus locaux qui appartiennent à des exécutifs de collectivités ayant décidé d’apporter un soutien à des entreprises, à des commerçants, voire à des particuliers dans le cadre de la crise sanitaire. Ces soutiens pourraient en effet être mis sur le dos du président ou du maire, mais aussi des membres de l’exécutif qui seraient candidats aux élections départementales ou régionales.
Je ne sais pas, si la réponse apportée par l’amendement de mon collègue Pierre Louault est correcte. Je demande en tout cas au Gouvernement et à notre excellent rapporteur Philippe Bas d’avoir cette question en tête et d’essayer de rédiger une disposition qui permette d’éviter l’important risque contentieux lié à l’éventuelle intégration, dans les comptes de campagne, des différents soutiens apportés par les collectivités pendant la crise.
Mme le président. L’amendement n° 40 rectifié, présenté par MM. Louault, Folliot et Kern, Mmes Sollogoub et Férat, MM. Delahaye et Canevet, Mme Perrot, M. Le Nay, Mmes Loisier et Létard et M. Moga, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Pour les élections mentionnées au I de l’article 1er de la présente loi :
1° La date à partir de laquelle s’appliquent les interdictions prévues à l’article L. 50-1, au troisième alinéa de l’article L. 51 et aux premier et second alinéas de l’article L. 52-1 du code électoral, est fixée au 1er janvier 2021 ;
2° La date à partir de laquelle le mandataire recueille les fonds destinés au financement de la campagne et règle les dépenses en vue de l’élection est fixée, par dérogation à l’article L. 52-4 du même code, au 1er janvier 2021.
La parole est à M. Pierre Louault.
M. Pierre Louault. Le projet de loi entend proroger certaines périodes prévues par le code électoral jusqu’à la date du tour de scrutin où l’élection est acquise ou jusqu’au dépôt du compte de campagne du scrutin concerné, ce qui est tout à fait justifié.
Cependant, la rédaction maintient un délai de six mois précédant le scrutin pour un certain nombre de dispositions et règles applicables, tout en faisant courir le délai à compter du 1er septembre 2020. De ce fait, les interdictions qui sont prévues dureront non pas six, mais dix mois.
Nous proposons de modifier le texte pour apporter une précision quant à la date de départ des délais, ce qui évitera, à mon avis, une inflation des recours. Il s’agit bien d’une précision ; elle n’est peut-être pas fondamentale, mais elle me semble nécessaire.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission a besoin d’entendre la position du Gouvernement sur ce sujet.
Cette matière est déjà très réglementée, la commission chargée du contrôle et de la vérification des comptes de campagne ayant développé une large jurisprudence ; en général, les collectivités savent bien ce qui se passe quand on approche d’élections : il est possible de continuer à faire une communication officielle au nom de sa collectivité, mais il ne faut pas franchir la ligne rouge – cette communication officielle ne doit pas avoir les caractéristiques d’une communication de campagne.
Beaucoup d’élus tout à fait de bonne foi s’inquiètent et se demandent si le bulletin municipal qui contient leur photo leur sera reproché en cas de candidature aux élections départementales ou régionales. Dans ce cas, on ne peut pas répondre de manière générale et absolue ; il faut regarder précisément le bulletin municipal en question pour savoir s’il a le caractère d’un document de campagne électorale.
Il est vrai que, à partir du moment où l’on reporte de trois mois les élections, la question se pose de manière rétrospective pour des documents qui auraient été publiés par les collectivités à une période où le report avait déjà été annoncé publiquement, mais pas encore voté. Cette période a pu entraîner une certaine confusion dans l’esprit des responsables territoriaux, qu’ils soient élus ou fonctionnaires.
Mais il faut aussi faire attention à un point, auquel le Gouvernement a été, me semble-t-il, attentif : certains candidats ont, de bonne foi, ouvert un compte de campagne dès le mois d’octobre et ont déjà réalisé des dépenses – l’achat d’une photocopieuse, la location d’un local, que sais-je encore… Si le début de la campagne est reporté au mois de janvier, comment va-t-on faire pour prendre en compte ce type de frais de campagne, c’est-à-dire des dépenses exposées au cours du dernier trimestre de l’année 2020, en vue de leur remboursement ?
Tout cela est en réalité assez complexe. C’est pourquoi j’aimerais connaître l’analyse du Gouvernement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. C’est effectivement une matière complexe qui doit répondre à des questions très concrètes, comme celles qu’a évoquées M. le rapporteur.
C’est justement pour ne pas créer d’incertitudes que le Gouvernement a proposé de proroger la période initialement ouverte le 1er septembre, plutôt que de l’interrompre pour la reprendre six mois avant le scrutin, soit au 1er décembre ou au 1er janvier comme cela est proposé dans l’amendement.
Les interdictions dont il est question ont trait à la communication préélectorale ; elles s’appliqueront sans discontinuer depuis le 1er septembre afin de garantir l’égalité de moyens entre les candidats. De même, les candidats sont tenus de tracer dans leurs comptes de campagne les recettes et les dépenses exposées depuis le 1er septembre.
Si nous créions une période interstitielle, il existerait un flou sur les règles applicables au financement de cette campagne.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement. J’espère avoir répondu, monsieur le rapporteur, à votre question.
Mme le président. Quel est donc l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Mes chers collègues, je me demande si la sagesse ne voudrait pas que nous prenions un peu plus de temps pour examiner cette question, ce que nous pourrons faire à la faveur de la prochaine réunion de la commission mixte paritaire.
Si nous adoptons cet amendement, les dépenses faites au dernier trimestre de l’année dernière par les candidats ne pourront plus être remboursées. En revanche, les candidats seront mieux protégés contre le risque de requalifier rétrospectivement un document à finalité institutionnelle en document de campagne.
Certes, le texte de la commission comme celui du Gouvernement ne règlent pas parfaitement la question soulevée par cet amendement, mais celui-ci ne le fait pas non plus, puisqu’il ne traite pas le problème du remboursement des dépenses déjà effectuées par les candidats.
C’est pourquoi l’avis de la commission est défavorable à ce stade, mais je m’engage à ce que nous en discutions en commission mixte paritaire.
Mme le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour explication de vote.
Mme Laure Darcos. J’avais déposé un amendement qui allait dans le même sens, mais les échanges que j’ai eus avec le rapporteur, notamment l’argument selon lequel des candidats avaient déjà ouvert des comptes de campagne et que l’adoption de cet amendement les aurait mis dans des difficultés importantes, m’ont convaincue de le retirer.
Pourquoi sommes-nous si nombreux à nous exprimer sur ce sujet, comme Vincent Delahaye l’a fait tout à l’heure ? Parce que la candidature d’un certain nombre de maires aux élections départementales ou régionales, qui, en fin d’année dernière, ont fait voter en toute bonne foi des aides aux commerces de centre-ville, aux associations ou à d’autres acteurs touchés par la crise du covid pourrait faire l’objet de recours. Malheureusement, certains pourraient dire, de mauvaise foi cette fois, que ces maires candidats ont utilisé leur notoriété et leur fonction en vue de ces élections.
Je dis cela, parce que nous avons connu l’inverse au moment des élections municipales de l’année dernière : des recours ont été déposés contre des candidats, parce qu’ils étaient conseillers départementaux ou régionaux et qu’ils avaient en toute bonne foi distribué des masques durant le printemps, ce qui n’avait évidemment rien à voir avec la campagne des municipales. Pourtant, heureusement que les élus locaux étaient là pour pallier l’absence de l’État !
Monsieur le rapporteur, vos prochaines discussions en commission mixte paritaire pourront-elles intégrer ce problème ? Est-il possible de prévoir un dispositif juridique robuste pour exclure des dépenses de campagne ce qui a trait à la crise sanitaire ? Nous devons faire en sorte de limiter au maximum le risque de recours sur ce sujet. Nous devons éviter les faux procès qui seraient faits aux candidats aux élections départementales et régionales.
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je comprends l’objectif de cet amendement, mais son adoption pourrait effectivement gêner celles et ceux qui ont déjà engagé des dépenses. Il n’y a aucun secret, chacun sait que certains candidats ont déjà embauché depuis un certain temps des salariés et engagé des dépenses, que ce soit pour les élections départementales ou régionales – c’est le cas dans ma région.
Cet amendement viendrait fragiliser ces candidats, sans pour autant lever les inquiétudes évoquées par Laure Darcos à l’instant, ou par ma collègue Céline Brulin à l’occasion de l’examen d’un précédent texte, ni régler le problème : comment prendre en compte, dans le cadre d’une campagne électorale, de nouvelles politiques décidées durant la période de réserve institutionnelle – disons-le ainsi – pour répondre à des problématiques sanitaires ou économiques et aux besoins de la population par des élus qui se représentent ?
L’amendement ne règle pas une autre problématique qui pourrait aussi être une source de contentieux : la crise a obligé les élus à adapter les modalités de leur communication officielle – typiquement, aucun élu n’a présenté ses vœux pour 2021 de la même manière que les années précédentes… Ces évolutions peuvent prêter à interprétation et être source de contentieux.
Les auteurs de cet amendement soulèvent donc un véritable problème, mais leur proposition ne le règle pas. C’est pourquoi nous avons certainement besoin de ce temps supplémentaire évoqué par le rapporteur.
J’ajoute qu’il restera un point non résolu : le fait que certains collaborateurs ont dû démissionner de leur poste, ce qui est nécessaire pour pouvoir se présenter aux élections quand vous exercez certaines fonctions, bien avant le délai habituel en de telles circonstances et pour une durée plus longue que ce qu’ils avaient prévu à l’origine. Nous ne réglerons donc pas tout !
Mme le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Nous devons tout de même veiller à conserver les conditions d’une compétition électorale loyale.
Le candidat ou le futur candidat qui a choisi, par exemple en octobre dernier, d’utiliser les moyens de sa collectivité pour promouvoir son action connaissait la loi en vigueur à cet instant et il savait que les élections départementales et régionales devaient avoir lieu en mars et qu’il prenait ainsi un risque.
Il ne découvre pas cette règle, qui permet d’assurer une égalité des armes entre les candidats déjà détenteurs d’un mandat et les autres. D’ailleurs, cette règle est claire et elle est appliquée avec rigueur, mais aussi compréhension, par la commission nationale des comptes de campagne.
Il existe finalement deux arguments pour s’opposer à cet amendement.
D’une part, les candidats qui, prévoyants, ont commencé à réaliser des dépenses en vue des élections doivent pouvoir les inscrire sur leur compte de campagne et être remboursés.
D’autre part, les candidats qui ont manqué à la réserve, dont ils doivent faire preuve pendant la période de préparation des élections, doivent bien être soumis à l’appréciation de la commission nationale des comptes de campagne et, le cas échéant, du tribunal dans les conditions prévues par la loi.
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Nous ne voterons pas cet amendement pour deux raisons.
Tout d’abord, chacun d’entre nous connaît des candidats qui ont déjà engagé des frais de campagne et parfois recruté des salariés – certains d’entre eux ont même dû démissionner de leur précédent poste pour cela. Cet argument me semble rédhibitoire.
Ensuite, nous ne devons pas être naïfs ! Il ne s’agit pas de remettre en cause le fait que de nouvelles politiques doivent être lancées en lien avec la crise sanitaire – M. Alain Richard l’a très bien rappelé. Il s’agit juste de dire qu’à l’automne dernier chacun savait déjà très bien, puisque les élections étaient prévues pour le mois de mars, qu’il ne fallait pas engager des frais qui pouvaient être reliés à une campagne électorale.
Cette règle existe et il faut l’appliquer. Il est vrai que cela peut être difficile, parce que la limite est parfois ténue et que la façon de qualifier certaines dépenses peut varier en fonction de la jurisprudence. Pour autant, la règle est absolue.
Je le redis, ne soyons pas naïfs ! Certains élus essayent de tirer profit des nouvelles actions décidées par leur collectivité pour répondre à la crise du covid dans le cadre de la campagne des prochaines élections départementales et régionales. Nous devons évidemment être vigilants sur ce point.
Mme le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.
M. Vincent Delahaye. Nous avons bien conscience que l’amendement de notre collègue Pierre Louault ne répond pas pleinement à nos inquiétudes. Nous ne souhaitons évidemment pas empêcher le remboursement de dépenses engagées avant le 1er janvier 2021, mais nous nous préoccupons de la manière dont les actions nouvelles, lancées par les collectivités pour répondre à la crise sanitaire, seront considérées au titre des comptes de campagne.
M. le rapporteur a insisté sur les dépenses liées à la communication. Ce sont effectivement des dépenses qui sont regardées avec une grande attention au moment d’une élection, en particulier celles qui sont réalisées dans la période qu’on pourrait qualifier de suspecte.
Mais il ne s’agit pas seulement de ce type de dépenses. Il peut aussi être question de dépenses liées à des actions nouvelles, parfois pour des montants non négligeables, par exemple pour soutenir certaines activités. Je le répète, ces actions n’existaient pas auparavant, par définition !
J’ai bien entendu, monsieur le rapporteur, que vous preniez acte de ces inquiétudes et que vous alliez approfondir la question.
Vous avez dit fort justement qu’on pouvait parfois être inquiet des propos du Gouvernement et même de son silence. En l’espèce, c’est bien le silence de Mme la ministre qui m’inquiète ! Malgré les différentes interventions que mes collègues ou moi-même avons pu faire, je ne l’ai pas entendue dire qu’elle allait prendre en compte les inquiétudes que nous relayons.
Or il faut vraiment faire attention, parce que beaucoup de collectivités ont fourni des efforts exceptionnels pour faire face à la crise et il ne faudrait pas que les exécutifs de ces collectivités soient mis en cause pour cela, s’ils sont candidats aux prochaines élections départementales ou régionales.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Grand. Nous sommes dans une situation exceptionnelle, dont le cadre a d’ailleurs été fixé par le Parlement.
Ne serait-il pas possible, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame la ministre, de sous-amender dès maintenant l’amendement de notre collègue Pierre Louault pour préciser clairement que les actions nouvelles décidées par les collectivités durant cette période d’exception ne sont pas prises en compte dans les comptes de campagne ? Nous éviterions ainsi de nombreux contentieux.
Si nous votions une telle disposition, qu’il faut bien sûr formuler de manière plus juridique que je ne le fais, nous faciliterions la tâche du rapporteur au moment de la commission mixte paritaire.
Il me semble que nous devrions dès à présent acter l’inquiétude de notre assemblée sur le risque de contentieux liés à ce sujet. En tout cas, c’est ce que je souhaite !
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. M. Alain Richard a très bien posé le problème. Nous devons quand même être réalistes et ne pas tomber dans l’hypocrisie. Tout le monde se rend bien compte que l’épidémie est une fabuleuse occasion pour les présidents d’exécutifs de se mettre en valeur, d’expliquer ce qu’ils font. (Murmures prononcés sur plusieurs travées.)
Il ne faudrait pas ouvrir complètement les vannes, en leur permettant de faire n’importe quoi pour se mettre en évidence. Il doit bien y avoir des limites ! Chacun reconnaît aisément que l’épidémie crée une dynamique favorable considérable pour les présidents sortants, notamment dans les conseils régionaux.
Si nous assouplissons les règles en vigueur, si nous supprimons les garde-fous, plus la peine d’organiser des élections ! Nous ressemblerions un petit peu à une République bananière ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est la vérité !
Chacun a le droit d’avoir ses idées, j’ai les miennes, mais il est hypocrite de faire semblant de croire que des présidents de conseils régionaux ne profitent pas de l’occasion pour se mettre en valeur ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Mme Laure Darcos. Ils sont tout simplement responsables !
Mme Cécile Cukierman. Vous découvrez la politique ?
Mme le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour explication de vote.
Mme Anne Chain-Larché. J’ai franchement du mal à entendre de tels propos, cher collègue !
Dans une crise comme celle que nous vivons, en quoi un maire ou un président de département ou de région n’est-il pas dans son rôle quand il accompagne les habitants (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.), quand il distribue des masques, quand il soutient les Ehpad ou les entreprises, quand il est au chevet des jeunes et de tous les Français qui sont dans le besoin ? (M. Jean Louis Masson proteste.)
M. Laurent Duplomb. Bien sûr !
Mme Anne Chain-Larché. Je ne crois pas, mon cher collègue, que vous soyez digne de vos électeurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Après les propos d’Anne Chain-Larché, je n’aurai pas besoin d’être long…
En ce qui me concerne, j’écoute toujours tout le monde, ce qui me semble normal en démocratie, mais reconnaissez, monsieur Masson, qu’il est un peu fort de dire qu’un président de département, un président de région ou un maire, qui ouvre un centre de vaccination, distribue des masques, rencontre les chefs d’entreprise de son territoire ou prend des mesures pour des habitants et des entreprises découragés et exténués profite royalement de l’occasion, comme vous le dites !
Franchement, si tout cela n’avait pas été fait, qu’aurions-nous entendu ! Que les élus ne servent à rien, que ce sont des privilégiés qui vivent dans leur monde, qu’ils ne s’intéressent pas au quotidien des citoyens !
On ne peut vraiment pas reprocher à des élus de s’occuper de leur population. Sinon, même ce que dit le Gouvernement n’aurait plus de sens, puisqu’il demande lui-même aux communes, aux départements et aux régions de relayer son message et d’agir avec lui pour gérer la crise sanitaire.
Croyez-vous sincèrement que les élus profitent de l’occasion ? Ne font-ils pas tout simplement leur job, c’est-à-dire être au service de la population ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre Louault, pour explication de vote.
M. Pierre Louault. Madame la présidente, je vais retirer mon amendement, mais je demande à Mme la ministre et à M. le rapporteur d’être vigilants. Je ne suis pas un spécialiste du droit public, mais la rédaction de cet article 4 du projet de loi me semble équivoque, ce qui n’est pas satisfaisant. Je vous fais confiance pour lui apporter un peu plus de clarté.
M. Philippe Bas, rapporteur. Je vous remercie, mon cher collègue, d’avoir retiré votre amendement, mais je tiens, pour rassurer les élus qui s’inquiètent et parce que nos travaux font foi pour interpréter la loi, vous dire la manière dont je vois les choses.
Plusieurs de nos collègues ont dit que les collectivités n’avaient pas le droit de communiquer sur des actions nouvelles à l’approche d’une campagne électorale. Je réponds qu’elles en ont le droit.
C’est d’ailleurs heureux ! Imaginez, à l’échelle de la Nation, un Président de la République qui n’aurait plus le droit de ne rien faire ou dire dans les quelques mois qui précèdent une élection présidentielle : allons, nous ne serions plus en démocratie !
C’est la même chose dans une commune, un département ou une région. Une décision votée par une assemblée – je note d’ailleurs que celle-ci détient en fin de mandat les mêmes pouvoirs qu’à son début – peut faire l’objet d’une communication.
En revanche, cette communication ne doit pas, par son caractère même, faire la promotion personnelle d’un candidat. C’est interdit, sous peine de tomber sous le coup de la loi.
En effet, une collectivité n’a pas le droit de financer la campagne d’un candidat, en mettant des moyens à sa disposition. En outre, de telles dépenses ne seraient pas inscrites sur le compte de campagne du candidat. Pour ces deux raisons, une telle communication serait illégale.
Nous devons donc rassurer les élus qui s’inquiètent et qui sont de bonne foi : ils peuvent communiquer sur leur action.
J’ajoute qu’il est indispensable, en cette période, que les collectivités continuent à prendre des initiatives. Or ces initiatives ne peuvent être efficaces que si la population en est informée. Si une collectivité ouvre un centre de vaccination, mais ne le dit pas, personne ne viendra se faire vacciner !
Mettons du bon sens dans ce débat et rappelons qu’en règle générale le droit n’est pas contraire au bon sens ! Il le reflète même souvent ; il nous revient même de nous en assurer…
Madame la ministre, êtes-vous d’accord avec mon interprétation ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Oui, monsieur le rapporteur.
Après vérification auprès des services du ministère, je peux vous confirmer que les sortants peuvent présenter, par exemple, un bilan de mandat et communiquer ou mettre en valeur des actions menées par leur collectivité, notamment dans le cadre de la lutte contre l’épidémie – vous l’avez très bien rappelé –, à condition de ne pas en faire une tribune électorale.
En résumé, le ton doit rester neutre et informatif, mais la communication sur les actions menées est tout à fait possible. D’ailleurs, on ne nous a pas signalé de contentieux sur ce sujet à l’occasion de l’examen des comptes de campagne des dernières élections municipales.
Je confirme donc pleinement ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Je vous en remercie !
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote sur l’article.
M. Jean Louis Masson. Je regrette l’interprétation caricaturale qui a été faite de mon intervention. Je n’ai jamais dit qu’il fallait interdire à un président de région ou à un maire d’organiser des centres de vaccination. J’ai juste dit qu’il ne fallait pas assouplir les règles actuelles, sinon, comme l’a très bien dit le rapporteur, c’est la porte ouverte à tous les abus. Cet amendement était très dangereux : il aurait pu facilement permettre une instrumentalisation par les exécutifs des départements et des régions à leur profit de la politique qu’ils conduisent. S’ils font leur travail, personne ne leur reprochera !
Je le répète, je ne m’oppose absolument pas à ce que ces élus prennent des mesures pour aider les pensionnaires des Ehpad ou créer des centres de vaccination. Certains ont fait semblant de croire que j’avais dit le contraire, c’est ridicule ! Or je pense que tout le monde avait bien compris ce que je voulais dire. Il y a donc une part d’hypocrisie dans les propos qui ont été tenus contre moi. C’est très regrettable !
Mme le président. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 4
Mme le président. L’amendement n° 47, présenté par MM. Richard, Patriat, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand, Mohamed Soilihi et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 10 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lors d’un changement de domicile ou de résidence dont il est avisé, le prestataire du service postal universel mentionné à l’article L. 2 du code des postes et télécommunications électroniques communique au bénéficiaire les indications nécessaires pour lui permettre de demander son inscription conformément aux dispositions du présent chapitre. La même obligation est applicable aux exploitants chargés de la mission de raccordement au réseau public d’électricité définie à l’article L. 121-4 du code de l’énergie. »
La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Cet amendement trouve difficilement sa place dans le débat sur ce projet de loi. Pourtant, si l’on cherche à rendre l’acte électoral plus facile pour l’électeur, il y a aujourd’hui quelque chose qui manque.
Je le rappelle, aux termes du code électoral, l’inscription sur les listes électorales est obligatoire. Elle est à la charge de l’électeur, sauf au moment de sa majorité, où il est inscrit d’office. En cas de changement de résidence, c’est à l’électeur de faire diligence pour se réinscrire. Or une partie significative de nos concitoyens l’ignorent ou, en tout cas, n’ont pas ce premier souci lorsqu’ils déménagent, parfois dans des conditions qu’ils ne maîtrisent pas entièrement. En conséquence de ce déficit d’information, nous le savons, une proportion significative d’électeurs – elle est parfois exagérée – restent inscrits dans un endroit où ils ne résident plus et peuvent, de ce fait, être radiés ultérieurement.
Par cet amendement, qui, je le reconnais, est à la frange des domaines législatif et réglementaire, je souhaite faire en sorte que les deux opérateurs de service public qui sont sûrs d’être informés d’un déménagement, à savoir La Poste et Enedis, qui assure le branchement des particuliers, aient l’obligation de communiquer aux personnes qui s’adressent à eux un rappel des possibilités d’inscription sur les listes électorales, y compris les conditions pratiques – cette inscription est aujourd’hui possible par voie dématérialisée.
Je souhaite ainsi appeler l’attention du Gouvernement sur le point un peu manquant, à l’heure actuelle, de la praticité du changement d’inscription électorale. Beaucoup d’électeurs n’ont pas conscience que c’est le moment de se réinscrire, alors que, avec le répertoire unique, on peut désormais s’inscrire à tout moment, sauf quelques semaines avant les élections. Il me semble que cette obligation faite à nos deux principaux opérateurs chargés de la gestion des changements de résidence serait un progrès utile pour la bonne inscription des électeurs.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Je trouve la position de la commission et du Gouvernement regrettable, parce que c’est une très bonne proposition.
La question de la non-inscription et de la mal-inscription conditionne aussi en partie la possibilité de participer à un vote. Tout ce qui peut favoriser l’inscription sur les listes électorales est une bonne chose.
Quand on voit comment tombe le taux d’inscription des plus de 18 ans après qu’ils ont été automatiquement inscrits sur les listes, on prend la mesure du problème. Que l’ensemble des opérateurs puissent aider à le résoudre serait vraiment positif. C’est pourquoi nous voterons cet amendement.
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. La mission d’information sur le vote à distance nous a appris, ou plutôt m’a appris, mais je suppose que certains de mes collègues ne le savaient pas non plus, qu’il y a 7 millions de mal-inscrits en France. C’est considérable ! Si l’on veut faire progresser la participation aux élections, il est évident qu’il faut aussi s’occuper de ce problème-là. L’amendement d’Alain Richard, même s’il ne va pas résoudre le problème, constitue un petit pas. Nous le voterons.
Cela étant, j’aurais aimé une explication plus détaillée de M. le rapporteur ou de Mme la ministre sur les raisons qui les ont poussés à émettre un avis défavorable.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Nous avons considéré que la notion d’obligation posait problème. En effet, le changement de domicile ou de résidence principale n’implique pas nécessairement le souhait de modifier sa situation électorale.
Pour être inscrit sur une liste électorale, un électeur doit prouver son rattachement à la commune. Cela englobe, certes, la commune dans laquelle il vit, mais également la commune dans laquelle, par exemple, il est redevable de l’une des contributions directes communales. Il peut aussi s’agir de la commune d’inscription de ses parents pour le jeune majeur de moins de 26 ans ou encore de la commune du siège social de son entreprise pour un gérant ou pour un associé.
Il y a beaucoup de manières d’être rattaché à une commune et de souhaiter y voter sans forcément y avoir sa résidence principale. Telle est la raison de notre avis défavorable.
Mme le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je retire mon amendement, madame la présidente. La commission m’a fait la bonne grâce de faciliter sa discussion en séance, alors que, à mon avis, du point de vue de l’article 45 pris dans toute sa rectitude, elle aurait pu avoir une autre interprétation. Je pense de surcroît qu’il ne servirait pas en l’occurrence. Je voulais simplement faire état du problème à Mme la ministre et, surtout, adresser un message à ses collaborateurs.
Ce que je suggère – cette idée ne m’est pas purement personnelle – n’influencerait pas l’électeur ; cela lui permettrait de bénéficier d’une information que beaucoup ne connaissent pas : lors d’un changement de résidence, qui a également le caractère d’un domicile, ce qui est quand même le cas pour une grande majorité de nos concitoyens, il est obligatoire de se réinscrire sur la liste électorale de la commune de son nouveau domicile. Il me semble que cela ne nuirait absolument à personne que les opérateurs soient tenus de pourvoir à cette information, puisqu’ils sont les seuls au courant. En effet, je rappelle qu’il n’existe pas de fichier de population avec domicile dans ce pays. L’État n’a donc pas la possibilité de s’en charger.
À mes yeux, cette technique dérivée, via les concessionnaires de service public, répond à une nécessité et ne réduit en rien le libre choix des électeurs de s’inscrire là où c’est légal qu’ils le fassent. Je constate que, pour l’instant, le Gouvernement n’a pas encore entendu ce message. Je le ferai donc passer par d’autres moyens…
Mme le président. L’amendement n° 47 est retiré.
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mme Canayer, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Pour les élections mentionnées au I de l’article 1er de la présente loi, une même machine à voter peut être utilisée pour les élections régionales et les élections départementales.
Dans ce cas, le bureau de vote est commun aux deux scrutins. Il s’assure publiquement, avant le commencement des scrutins, que la machine à voter fonctionne normalement et que tous les compteurs sont à la graduation zéro pour chacun des scrutins.
La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Cet amendement a pour objet l’utilisation des machines à voter, sujet sur lequel Mme la ministre a déjà proposé des avancées précédemment.
Dans les villes qui utilisent les machines à voter, comme c’est le cas au Havre depuis plus de quinze ans, on a l’habitude de procéder à un double scrutin sur une même machine à voter et, donc, dans un même bureau de vote. Si nous maintenons l’obligation d’avoir deux bureaux de vote, cela entraînera l’obligation d’avoir deux machines à voter, ce qui n’est pas possible aujourd’hui puisqu’un moratoire nous empêche d’en acheter de nouvelles. En conséquence, nous serons dans une situation ubuesque : il y aura un vote sur machine et un vote papier pour distinguer les élections régionales et les élections départementales.
Cet amendement a donc un enjeu fort pour nous. Il s’agit d’avoir un seul et unique bureau de vote et, donc, une seule et unique machine à voter sur laquelle se dérouleront les deux scrutins, avec deux listes d’émargement, comme on l’a déjà fait en 2008. Ce système fonctionne très bien.
Il y a souvent des appréhensions autour de l’utilisation des machines à voter. C’est lié à une méconnaissance de ce dispositif, qui, je le rappelle, propose un vote électronique et en aucun cas un vote par internet ou numérique. Chaque machine est isolée, autonome. C’est juste une grosse machine à calculer qui facilite, notamment, les opérations de dépouillement, puisque nous pouvons avoir les résultats instantanément.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’avis est favorable, même si je sais que le Gouvernement est en train de préparer un décret. Cependant, tant qu’il n’est pas sorti, je préfère sécuriser la situation. Cette mesure est importante pour les communes qui pratiquent le vote électronique. Elles doivent pouvoir moderniser leur système, qui, parfois, est déjà un petit peu ancien, pour assurer le bon fonctionnement de ce dispositif.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. M. le rapporteur est bien informé. En effet, un projet de décret, actuellement examiné par le Conseil d’État, prévoit que l’ensemble des membres des bureaux de vote, c’est-à-dire le président, le secrétaire et les assesseurs, pourront être communs aux deux scrutins pour les bureaux équipés de machines à voter. Ces dernières pourront être utilisées, dans les communes qui en sont équipées, pour les deux scrutins, départementaux et régionaux. C’est déjà prévu, nous semble-t-il, dans le code électoral. Aussi, nous considérons que cet amendement est satisfait.
Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 4.
L’amendement n° 3, présenté par Mme Canayer, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 62 du code électoral est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Dans une situation de double scrutin, à son entrée dans la salle, l’électeur, après avoir fait constater son identité suivant les règles et usages établis ou après avoir fait la preuve de son droit de voter par la production d’une décision du juge du tribunal d’instance ordonnant son inscription ou d’un arrêt de la Cour de cassation annulant un jugement qui aurait prononcé sa radiation, prend, lui-même, deux enveloppes. Sans quitter la salle du scrutin, il se rend isolément dans la partie de la salle aménagée pour le soustraire aux regards pendant qu’il met ses bulletins dans les enveloppes distinctes ; il fait ensuite constater au président qu’il n’est porteur que de deux enveloppes ; le président le constate sans toucher les enveloppes, que l’électeur introduit lui-même dans les deux urnes disposées avant d’effectuer un double émargement pour les scrutins concernés.
« Toujours lors d’un double scrutin, dans les bureaux de vote dotés d’une machine à voter, l’électeur fait constater son identité ou fait la preuve de son droit de voter dans les conditions prévues à l’avant-dernier alinéa du présent article et fait enregistrer ses suffrages par la machine à voter qui a été préalablement configurée pour le double scrutin selon les modalités fixées par le ministère de l’intérieur. »
La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Cet amendement, qui vise à faciliter l’utilisation des machines à voter, a été satisfait par l’adoption de l’amendement n° 2 rectifié. En conséquence, je le retire.
Mme le président. L’amendement n° 3 est retiré.
L’amendement n° 48, présenté par MM. Richard, Patriat, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand, Mohamed Soilihi et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 353 du code électoral est ainsi modifié :
1° Au début, sont ajoutés les mots : « Par dérogation aux dispositions de l’article L. 47 A, » ;
2° Le mot : « deuxième » est remplacé par le mot : « troisième ».
La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Lorsque nous avons présenté, voilà deux ans, une proposition de loi pour tenir compte d’un certain nombre de petites anomalies qui subsistaient dans le code électoral – elle a été très largement adoptée en commission et par le Sénat –, nous avons choisi d’unifier la durée des campagnes officielles aux douze derniers jours avant l’élection, c’est-à-dire entre le lundi de l’avant-dernière semaine et le vendredi qui précède l’élection. C’est une durée très courte.
J’observe que, dans le cas des régionales, nous avons laissé une date de dépôt des candidatures qui est très anticipée, puisqu’il faut déposer sa liste au plus tard le quatrième lundi qui précède le premier tour, ce qui permet d’avoir une campagne officielle plus longue. Je ne reviens pas sur la question de la campagne radiotélévisée, mais il est clair, me semble-t-il, qu’il vaudrait mieux qu’elle puisse s’étaler sur un peu plus de deux semaines plutôt que sur une semaine et demie. Cela vaut aussi pour l’affichage, par exemple, puisque le début de campagne officielle est le jour où l’on sort les panneaux électoraux publics, mais cela permettrait également aux citoyens d’avoir plus de temps pour prendre connaissance de la propagande officielle.
Le délai prévu aujourd’hui pour le dépôt des candidatures permet d’assouplir et d’allonger la durée de la campagne pour les régionales. Aussi, je préconise qu’elle commence non pas le deuxième lundi qui précède les élections, mais le troisième, de sorte que l’on ait une campagne de dix-neuf jours au lieu de douze. Il me semble que ce ne serait pas du luxe.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, considérant que l’ouverture d’une campagne officielle radiotélévisée répondait déjà à une partie des préoccupations de son auteur, M. Alain Richard.
S’agissant des autres moyens de propagande électorale, notamment de l’affichage, il nous a semblé que c’était une contrainte supplémentaire pour les communes que de devoir installer par anticipation ces panneaux d’affichage, une contrainte d’autant plus lourde qu’il y a de plus en plus de listes qui se présentent. Au fond, l’affichage n’étant quand même pas le principal moyen de propagande, il n’y a peut-être pas tant d’inconvénients que cela à commencer l’affichage seulement quinze jours avant le premier tour.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Nous partageons l’objectif de faciliter l’accès des électeurs aux messages des candidats. Toutefois, je me permets une petite remarque : il est regrettable que l’amendement ne couvre pas également les élections départementales pour que les deux périodes de campagne officielle soient alignées, par souci de cohérence. L’avis est néanmoins favorable.
Mme le président. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 9, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Tout organisme bancaire qui accorde un crédit à un candidat ou à une liste de candidats à une élection est tenu de consentir les mêmes conditions de crédit à tout autre candidat ou liste de candidats à la même élection. À défaut, le candidat ou la liste de candidats ayant obtenu le crédit est considéré comme ayant bénéficié d’un avantage constituant un don en nature de la part d’une personne morale. Le candidat ou la liste de candidats et l’organisme bancaire sont alors passibles des sanctions électorales et des sanctions pénales correspondantes.
L’amendement n° 7, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 52-8 du code électoral, il est inséré un article L. 52-… ainsi rédigé :
« Art. L. 52-…. – Les établissements de crédit ou sociétés de financement mentionnés à l’article L. 52-8 sont tenus de consentir des conditions de crédit identiques à tout candidat, binôme de candidats ou liste de candidats à la même élection. À défaut, l’octroi d’un crédit dans des conditions plus favorables est considéré comme un don en nature de la part d’une personne morale. »
L’amendement n° 10, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Compte tenu des aléas de l’épidémie de coronavirus, le présent article est applicable au financement des campagnes électorales organisées en 2021.
Tout organisme bancaire qui accorde un crédit à un candidat ou à une liste de candidats à une élection est tenu de consentir les mêmes conditions de crédit à tout autre candidat ou liste de candidats à la même élection. À défaut, le candidat ou la liste de candidats ayant obtenu le crédit est considéré comme ayant bénéficié d’un avantage constituant un don en nature de la part d’une personne morale. Le candidat ou la liste de candidats et l’organisme bancaire sont alors passibles des sanctions électorales et des sanctions pénales correspondantes.
L’amendement n° 8, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Compte tenu des aléas de l’épidémie de coronavirus, le présent article est applicable au financement des campagnes électorales organisées en 2021.
Les établissements de crédit ou sociétés de financement mentionnés à l’article L. 52-8 du code électoral sont tenus de consentir des conditions de crédit identiques à tout candidat, binôme de candidats ou liste de candidats à la même élection. À défaut, l’octroi d’un crédit dans des conditions plus favorables est considéré comme un don en nature de la part d’une personne morale.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour présenter ces quatre amendements.
M. Jean Louis Masson. Ces amendements, je n’aurais pas eu besoin de les déposer si le programme présidentiel, comportant notamment la création d’une banque de la démocratie, avait été respecté.
Dans une grande campagne électorale, comme pour les élections européennes ou les élections régionales, la dimension financière est très importante. Les candidats ont besoin d’argent. Même s’il y a le remboursement de l’État, il faut pouvoir avancer les sommes, car, actuellement, la commission des comptes de campagne oblige les candidats à avoir payé les factures. Dans certains cas, on a pu voir des candidats qui, à l’évidence, pourraient arriver premiers ou deuxièmes – ils sont donc assurés d’être remboursés par l’État – ne pas trouver à emprunter, parce que, pour des raisons politiques ou autres, les banques font des discriminations.
Avec ces amendements, mon idée est la suivante : si une banque prête de l’argent pour une élection, il faut qu’elle propose les mêmes conditions à tous les candidats qui, d’après les sondages, ont à peu près les mêmes chances de réussite.
Je comprends que, face à un Marcel Barbu – ce candidat qui s’était présenté face au général de Gaulle –, la banque, sûre qu’il ne fera pas 5 % et qu’il ne sera pas remboursé par l’État, rechigne à prêter de l’argent. En revanche, face à un candidat que les sondages placent en tête ou en deuxième position, et qui est donc sûr d’être remboursé, la banque n’a pas de raison de choisir, selon son bon vouloir, de prêter plutôt à son adversaire, qui, parfois, est moins bien placé dans les sondages. Une discrimination de ce type, c’est ce que la commission des comptes de campagne appelle un avantage en nature.
Il n’est pas normal qu’une banque, qui est une personne morale, apporte un avantage indu à telle ou telle liste, parce qu’elle a des rapports privilégiés avec ses membres ou pour des raisons politiques ou autres. On l’a vu aux élections européennes : j’y ai été candidat, et j’ai pu le constater. Je parle non pas de ma liste, qui a fait un petit résultat – je précise qu’elle a quand même été remboursée –, mais d’autres listes, lesquelles étaient très bien placées, mais qui n’ont pu faire de campagne normale faute de trouver suffisamment d’argent.
Le système doit obéir à une autre logique : si M. Dupont a 25 % dans les sondages, manifestement, il fera plus de 5 % ; par conséquent, si la banque prête à M. Durand, qui, dans les sondages, est à 15 %, mais refuse de prêter à M. Dupont, cela doit être considéré comme un avantage en nature. C’est pour empêcher ces discriminations et que tout le monde soit sur un pied d’égalité que je vous propose de voter ces quatre amendements.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je comprends très bien que M. Masson soit déçu que les engagements du Président de la République pendant sa campagne électorale n’aient pas été tenus : il n’y a pas de banque de la démocratie. Nous le savons bien, certains candidats ont du mal à trouver une banque qui leur fasse crédit pour leur campagne électorale, mais la solution n’est pas si facile que cela à trouver. C’est très problématique d’imposer à une entreprise, en l’occurrence une entreprise bancaire, de prêter aveuglément à des candidats dont ils ne sont absolument pas certains qu’ils seront en mesure de rembourser le prêt qui leur aura été fait.
Je crois qu’il n’y a pas de solution simple à ce problème et qu’il faut remettre l’ouvrage sur le métier. En tous les cas, la contrainte que prévoit M. Masson me paraît tout à fait excessive. L’avis est donc défavorable sur les quatre amendements.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Un petit point d’histoire : il s’agissait non pas d’un engagement du candidat Emmanuel Macron, mais d’une proposition de M. Bayrou, garde des sceaux, après l’élection de 2017.
M. Michel Savin. Ça change tout ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. M. le rapporteur a raison : on ne peut pas obliger une banque à prêter à quelqu’un. En revanche, on peut lui interdire de prêter à un candidat qui est à 10 % ou 12 % dans les sondages si elle refuse de le faire pour des considérations d’ordre politique ou pour d’autres raisons pour quelqu’un qui est à 25 %, car, alors, on est en présence d’un avantage d’une personne morale.
Il n’a jamais été question pour moi d’obliger une banque à garantir, mais, je le répète, si elle ne garantit pas pour Dupont, qui est à 25 % dans les sondages, elle ne doit pas non plus prêter à Durand, qui est à 15 %. C’est l’objet de mes amendements.
Monsieur le rapporteur, il ne faut pas dénaturer mes intentions, ce que l’on a tendance à faire ici chaque fois que je présente un amendement. Je prône l’égalité de traitement par la banque. Pour tout le reste, on applique déjà cette règle. Si un imprimeur imprime deux fois moins cher pour un candidat que pour un autre, la commission des comptes de campagne le prend en compte, alors qu’on laisse faire ce qu’elles veulent aux banques. C’est le pouvoir de l’argent qui joue à plein dans ce système, et je trouve que c’est anormal !
Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Même si on ne partage pas la façon dont ces amendements ont été rédigés, on ne peut pas considérer non plus qu’il n’y a pas de problème. La question du financement de la campagne n’est pas quelque chose d’anecdotique. Cela peut empêcher certains de se présenter, tout comme, d’ailleurs, l’implication d’un mandataire financier de manière automatique dans les communes de plus de 9 000 habitants peut empêcher de mettre des listes sur pied. Ne faisons pas comme si cette difficulté n’existait pas. Cependant, la réponse de M. Masson n’est effectivement pas la bonne.
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 5 (nouveau)
Pour les élections mentionnées au I de l’article 1er de la présente loi, la date limite mentionnée au II de l’article L. 52-12 du code électoral est fixée au 10 septembre 2021 à 18 heures. – (Adopté.)
Article 6 (nouveau)
I. – Pour les élections régionales mentionnées au I de l’article 1er de la présente loi, les émissions du service public de la communication audiovisuelle sont mises à la disposition des listes dont la candidature a été régulièrement enregistrée.
La durée d’émission est répartie de manière égale entre les listes de candidats à chaque tour de scrutin.
II. – Au premier tour, les émissions peuvent être diffusées à partir du troisième lundi qui précède le scrutin, jusqu’à la veille du scrutin à zéro heure.
La durée d’émission est fixée à :
1° Deux heures lorsque le nombre de listes de candidats est inférieur ou égal à neuf ;
2° Trois heures lorsque le nombre de listes de candidats est supérieur à neuf.
III. – Au second tour, les émissions peuvent être diffusées à partir du mercredi suivant le premier tour, jusqu’à la veille du scrutin à zéro heure.
La durée d’émission est fixée à une heure.
IV. – Les durées d’émission prévues aux II et III du présent article s’entendent pour tout service diffusant des programmes régionaux ou locaux des sociétés nationales de programme mentionnées aux I et III de l’article 44 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
V. – Le Conseil supérieur de l’audiovisuel fixe les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions, après consultation des présidents des sociétés nationales de programme mentionnées au IV du présent article.
VI. – Les dépenses liées à la campagne audiovisuelle officielle sont à la charge de l’État.
VII. – Le présent article ne s’applique pas aux circonscriptions dont la campagne audiovisuelle officielle est régie par les articles L. 375 et L. 558-25 du code électoral. – (Adopté.)
Articles additionnels après l’article 6
Mme le président. L’amendement n° 35 rectifié bis, présenté par Mme M. Carrère, MM. Artano, Bilhac, Cabanel et Corbisez, Mme N. Delattre, MM. Fialaire, Roux, Requier, Guérini, Gold et Guiol et Mmes Pantel et Guillotin, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Pour les élections départementales mentionnées au I de l’article 1er de la présente loi, des programmes du service public de la communication audiovisuelle sont consacrés à expliquer le rôle et le fonctionnement des conseils départementaux.
II. – Au premier tour, les programmes doivent être diffusés à partir du troisième lundi qui précède le scrutin, jusqu’à la veille du scrutin à zéro heure.
III. – Au second tour, les programmes doivent être diffusés à partir du lundi suivant le premier tour, jusqu’à la veille du scrutin à zéro heure.
IV. – Le Conseil supérieur de l’audiovisuel fixe les conditions de production, de programmation et de diffusion des programmes, après consultation des présidents des sociétés nationales de programme.
La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Nous nous accordons tous à dire que la crise actuelle pose des difficultés au-delà de la seule organisation du scrutin, notamment en ce qui concerne le déroulement de la campagne électorale. En plus de faire connaître les candidats et leurs programmes, ces campagnes doivent permettre de mobiliser le corps électoral et de le sensibiliser à l’importance des institutions pour lesquelles il est appelé à désigner des élus.
En l’état, l’article 6 du projet de loi prévoit la mise en place d’une campagne audiovisuelle pour les élections régionales afin de pallier les restrictions sanitaires qui empêcheront que la campagne puisse se dérouler normalement. Seulement, aucun dispositif ne prévoit de sensibiliser médiatiquement les électeurs sur le scrutin départemental. S’il n’est pas, bien sûr, envisageable de procéder comme pour le scrutin régional, en diffusant localement des clips de campagne pour les candidats, il est en revanche possible de prévoir la diffusion de programmes expliquant le rôle des conseils départementaux, afin que les électeurs soient mieux informés de l’intérêt de leur vote.
L’objet de cet amendement est donc de prévoir la mise en place d’une campagne audiovisuelle en amont des scrutins afin d’expliquer le rôle et le fonctionnement des conseils départementaux.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement a fait l’objet d’une attention toute particulière de la commission des lois, qui a estimé qu’il comblait un manque dans le texte que nous avions adopté la semaine dernière. C’est la raison pour laquelle elle a émis un avis favorable ce matin.
En effet, il n’était pas souhaitable de prévoir une campagne radiotélévisée officielle pour des élections cantonales qui sont organisées non pas sur la base de listes de candidats au plan départemental mais simplement dans chaque canton. Vous connaissez bien cela, du fait de votre enracinement local. Pour autant, ce n’est pas une raison suffisante pour que l’on ne profite pas de cette période d’élections cantonales pour mieux faire connaître à nos concitoyens le rôle et les missions des départements.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Nous sommes évidemment sensibles aux arguments soulevés. C’est pourquoi, comme l’a noté le rapporteur dans la discussion générale, j’ai proposé au Premier ministre que le Gouvernement retire l’amendement qu’il avait déposé dans un premier temps visant à supprimer l’article relatif à la campagne des régionales sur France Télévisions.
J’ai été sensible aux arguments apportés par le Sénat, notamment lors des discussions en commission. J’ai donc considéré qu’il était important de se caler sur sa position en demandant à France Télévisions et aux différents acteurs de prendre toutes les dispositions pour mettre en place cette campagne, et ce en passant outre les remarques faites à la fois par France Télévisions, Radio France et le CSA, qui nous ont tous expliqué qu’il était difficile, voire impossible pour eux de mettre en œuvre de telles campagnes. À mes yeux, en tant que radio et télévision chargées d’une mission de service public, ces médias se doivent de respecter la volonté parlementaire.
Pour ce qui concerne cet amendement, j’observe que vous proposez, madame la sénatrice, d’imposer à France Télévisions de diffuser des programmes pour expliquer le rôle du conseil départemental. Vous le savez, le contenu des programmes diffusés par France Télévisions ne se fixe pas au niveau de la loi – nous avons fait une exception, si je puis dire, en retirant précédemment l’amendement de suppression concernant les régionales. Plus précisément, c’est le décret n° 2009-796 du 23 juin 2009 qui fixe le cahier des charges de France Télévisions, lequel prévoit notamment que la télévision est une télévision de service public, au cœur de la cité, avec un volet consacré à la citoyenneté.
Le Gouvernement ne croit pas qu’il soit nécessaire de fixer dans la loi le contenu exact et précis, y compris au niveau départemental, des programmes de France Télévisions. Voilà pourquoi nous émettons un avis défavorable sur cet amendement. Reste que, je veux le redire, ce n’est pas un avis de principe, comme le montre la décision que nous avons prise sur l’autre amendement.
Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Cela fait tout de même partie des missions de service public. Tous les matins, on entend des messages pour l’application TousAntiCovid : c’est une autre manière encore de faire de l’information citoyenne. On imagine mal que cela ne puisse pas être étendu aux élections départementales, d’autant que Mme Carrère a rédigé son amendement sous une forme assez générale. Je pense donc que ce serait une bonne chose que de l’adopter.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Peut-être n’ai-je pas été assez claire : je ne dis pas que le Gouvernement est opposé à la diffusion par France Télévisions de campagnes visant à expliquer ce qu’est un conseiller départemental. Simplement, cela ne relève pas de la loi ; la liberté des programmes s’applique. Pour autant, de tels messages sont bien sûr souhaitables et importants, pour toutes les raisons qui ont été évoquées dans ce débat depuis plusieurs heures. Nous ne sommes en rien opposés au fond de cette mesure ; seulement, la liberté des programmes de France Télévisions fait, à notre humble avis, qu’elle ne relève pas de la loi.
Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 6.
L’amendement n° 36 rectifié, présenté par Mme M. Carrère, MM. Artano, Bilhac, Cabanel et Corbisez, Mme N. Delattre, MM. Fialaire, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier et Roux, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 48 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Il prévoit également des dispositions pour la promotion de l’information relative au fonctionnement et au rôle des collectivités territoriales et de leurs conseils. »
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Comme chacun le sait, les scrutins locaux souffrent ces dernières années de taux d’abstention très élevés. Cela est notamment le fait d’un certain désintérêt, de la part des administrés, pour les questions d’administration locale. La crise actuelle risque, hélas, de confirmer cette tendance : chacun est davantage préoccupé par l’épidémie et ses conséquences que par le choix qu’il doit faire en vue du renouvellement des conseils départementaux et régionaux.
Aussi, outre la mise en place d’une campagne audiovisuelle pour le prochain scrutin, il est nécessaire d’avoir comme objectif d’accroître sur le long terme la participation des citoyens à ces élections. Dans cette perspective, cet amendement d’appel vise à renforcer les obligations du service public de la communication audiovisuelle – radio et télévision – afin qu’il participe à la sensibilisation des citoyens au rôle et au fonctionnement des collectivités territoriales et de leurs conseils.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Modifier le cahier des charges de ces opérateurs exigerait une consultation préalable. Aujourd’hui, la loi se contente de définir certains thèmes, comme la mission éducative du service public ou la lutte contre les discriminations. Il nous faut faire très attention aux listes à la Prévert ! C’est pourquoi, mon cher collègue, je vous demande avec le plus grand respect de bien vouloir retirer cet amendement.
M. Jean-Claude Requier. C’était un amendement d’appel : je le retire !
Mme le président. L’amendement n° 36 rectifié est retiré.
Article 7 (nouveau)
Pour les élections mentionnées au I de l’article 1er de la présente loi, toute publication ou diffusion de sondage, tel que défini à l’article 1er de loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion, est accompagnée des marges d’erreur des résultats publiés ou diffusés, le cas échéant par référence à la méthode aléatoire, établies sous la responsabilité de l’organisme qui l’a réalisé.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Je tiens à remercier notre commission des lois et son rapporteur, Philippe Bas, d’avoir bien voulu introduire dans le texte cet article, qui permettra une plus juste application de la législation relative aux sondages électoraux.
En effet, mes chers collègues, vous le savez, diffuser un chiffre sans mentionner la marge d’erreur, qui peut être de 2 ou 3 points, dans un sens ou dans l’autre, n’a pas beaucoup de sens. La loi a prévu que cette marge fût publiée. Toutefois, une imprécision de rédaction a eu pour effet que, dans beaucoup de cas, les responsables des instituts de sondages se sont exonérés de cette obligation. Il s’agit donc, par cet article, de faire en sorte que la publication des résultats des sondages électoraux soit la plus juste possible et soit conforme à la loi.
Mme le président. Je mets aux voix l’article 7.
(L’article 7 est adopté.)
Article 8 (nouveau)
I. – Au titre de l’exercice 2021, par dérogation à la première phrase du premier alinéa de l’article L. 1612-2 du code général des collectivités territoriales, le budget de la région ou du département est adopté au plus tard le 31 juillet 2021. Toutefois, lorsque les informations indispensables à l’établissement du budget ne lui ont pas été communiquées avant le 15 juillet 2021, l’organe délibérant dispose de quinze jours à compter de la date de communication pour l’arrêter.
II. – Par dérogation aux troisième et quatrième alinéas de l’article L. 1612-1 du code général des collectivités territoriales, jusqu’à l’adoption du budget pour l’exercice 2021, le président de la région ou du département peut, sur autorisation de l’organe délibérant, engager, liquider et mandater les dépenses d’investissement, dans la limite des sept douzièmes des crédits ouverts au budget de l’exercice précédent, non compris les crédits afférents au remboursement de la dette.
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 22 est présenté par M. Masson.
L’amendement n° 39 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour présenter l’amendement n° 22.
M. Jean Louis Masson. Je crois qu’il n’y a pas de raison de décaler les décisions budgétaires des conseils régionaux et des conseils départementaux, ou leurs votes en la matière. Les élus le sont jusqu’aux élections ; ils n’ont qu’à assumer leurs responsabilités ! Si, demain, on reporte encore les élections en septembre, on devra encore repousser ces délais. On n’a jamais agi ainsi ! Chaque fois qu’il y a eu des élections en septembre, les délais obligatoires de communication des budgets ou de comptes administratifs n’ont pas été décalés pour autant. Il ne faut quand même pas en rajouter : les présidents de conseil départemental ou régional ont des services très complets ; ils peuvent tout de même faire le travail !
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée, pour présenter l’amendement n° 39.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. L’article 8 reporte au 31 juillet la date limite d’adoption du budget primitif des conseils départementaux et régionaux, ainsi que des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique. Le Gouvernement y est défavorable ; nous proposons donc sa suppression.
Tout d’abord, il nous semble nécessaire que les assemblées délibérantes actuelles puissent assurer la continuité institutionnelle et budgétaire de leurs collectivités et adoptent un budget primitif pour l’année 2021. Cela nous semble fondamental. D’ailleurs, bon nombre de régions et de départements l’ont déjà fait ou ont entamé des discussions et s’apprêtent à le faire.
Ensuite, la portée d’un budget primitif adopté le 31 juillet nous semblerait réduite. Il porterait sur moins de la moitié de l’exercice, ce qui imposerait à l’assemblée d’autoriser le président du conseil départemental ou régional à engager des dépenses à hauteur des sept douzièmes des crédits ouverts en 2020. Au demeurant, il nous semble que laisser sept mois un département ou une région sans budget pourrait générer, localement, des blocages ponctuels.
Enfin, supprimer cet article éviterait d’imposer à la nouvelle assemblée et à ses services de cumuler la préparation du compte administratif pour 2020, dont la date limite d’adoption mérite d’être repoussée au 31 juillet, avec la préparation d’un budget primitif pour 2021, exercice bien plus exigeant pour les collectivités que la simple préparation du budget supplémentaire, qui permet au nouvel exécutif de soumettre à l’assemblée ses premières orientations budgétaires.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’avis est défavorable.
Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 22 et 39.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme le président. Je mets aux voix l’article 8.
(L’article 8 est adopté.)
Article 9 (nouveau)
Par dérogation à la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 1612-12 du code général des collectivités territoriales, le vote de l’organe délibérant de la région ou du département sur l’arrêté des comptes au titre de l’année 2020 peut intervenir jusqu’au 31 juillet 2021.
Mme le président. L’amendement n° 23, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Je ferai à peu près la même remarque que pour mon précédent amendement : il est un peu ridicule de reporter toutes les décisions, budgétaires ou autres, au-delà du mois de juillet. Ce n’est plus un budget annuel ; c’est un budget semi-annuel ! Il serait au contraire bien meilleur que les exécutifs départementaux et régionaux assument leurs responsabilités vis-à-vis des électeurs et que ces responsabilités ne soient pas reportées sur d’autres.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique.
(Le projet de loi est adopté.)
Mme le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à dix-neuf heures quinze.)
Mme le président. La séance est reprise.
5
Code de la justice pénale des mineurs
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs (projet n° 228, texte de la commission n° 292, rapport n° 291).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux, dans le prolongement des échanges très riches que nous avons eus en commission, de présenter à la Haute Assemblée le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs.
La loi pénale, tout particulièrement lorsqu’elle concerne les mineurs, suscite souvent des débats, parfois excessifs, mais toujours légitimes, surtout lorsqu’ils permettent de construire un consensus dans notre société, pour améliorer le sort de nos enfants et mieux protéger la société dans son ensemble.
Cette réforme est particulièrement attendue ; je suis fier de débattre avec vous d’un texte qui a fait l’objet d’une aussi large concertation avec tous les acteurs de la justice des mineurs. En outre, comme vous le savez, il a été enrichi par l’Assemblée nationale en première lecture et, désormais, par votre commission des lois. Je tiens d’ailleurs ici à saluer le travail constructif de votre rapporteure, Mme Canayer, qui a pointé très justement un certain nombre d’enjeux sur lesquels je reviendrai.
Comme je l’ai déjà dit lors de mon audition – je voudrais insister sur ce point –, cette réforme n’est en rien une construction hâtive, mais le fruit de plus de dix ans de consultations : ce sont quatre gardes des sceaux et presque autant de majorités qui ont préparé ce travail de codification et de clarification de notre droit. Le Sénat y a d’ailleurs largement contribué ; je pense, par exemple, au rapport que le sénateur Michel Amiel a rendu en 2018 sur les mineurs enfermés.
Longuement mûrie, cette réforme en est d’autant plus équilibrée. J’ai la certitude qu’elle parvient à répondre aux attentes des Français. Ainsi, elle améliore la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants tout en renforçant les principes fondamentaux de l’ordonnance de 1945 : la primauté de l’éducatif, l’atténuation de la peine et la spécialisation des acteurs.
Permettez-moi de revenir en quelques mots sur les grands apports de ce texte.
Il consacre tout d’abord une justice des mineurs plus efficace et plus lisible, parce que désormais prévisible pour tous. La phase judiciaire éducative interviendra plus vite, dans un cadre procédural clarifié et simplifié.
La suppression de la phase de mise en examen devant le juge des enfants, associée à la généralisation de la procédure de césure, assure enfin une réponse éducative rapide, au plus près du passage à l’acte ; une telle réponse est un gage essentiel de la réactivité et de l’efficacité de la justice des mineurs, car une justice trop longue perd toutes ses vertus pédagogiques.
Rappelons la procédure : le mineur est convoqué à une première audience de culpabilité, dans un délai compris entre dix jours et trois mois. Cette première audience est cruciale, car elle permet de statuer sur la culpabilité du mineur dans un délai raisonnable et adapté à la particularité de son âge, alors qu’aujourd’hui ce délai est de dix-huit mois en moyenne. La seconde audience, qui vise au prononcé de la sanction, mesure éducative ou peine, intervient dans un délai compris entre six et neuf mois. Elle clôture une période de mise à l’épreuve éducative.
Le temps éducatif n’est pas raccourci ; c’est le temps judiciaire qui est encadré. La mesure éducative unique s’inscrit dans un continuum ; elle peut d’ailleurs se poursuivre au-delà de la majorité, jusqu’aux 21 ans du jeune.
La mise à l’épreuve éducative peut être adaptée selon la situation du mineur et son évolution ; elle comprend des modules d’insertion, de réparation, de placement et de santé. Vous retrouvez ici toutes les composantes de la mission menée par les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, qui disposent désormais d’un cadre d’intervention clarifié et flexible.
La primauté de l’éducatif est ainsi garantie, grâce à une réponse éducative cohérente et encadrée par des délais de procédure.
L’effectivité de la réponse éducative permet de réduire le recours à la détention provisoire, qui concerne actuellement environ 80 % des mineurs détenus.
Les jugements rapides en audience unique restent exceptionnels et sont soumis à une appréciation individualisée des procureurs spécialisés, qui doivent concilier la gravité des faits reprochés et, bien sûr, la personnalité du mineur. Ces garde-fous sont nombreux, et le juge saisi garde la possibilité de revenir au principe de la césure.
Ainsi, les grands équilibres sont non seulement maintenus, mais même renforcés.
Je tiens également à mettre ici en valeur une conséquence essentielle et primordiale de la réforme : la meilleure prise en charge des victimes, qui seront mieux informées et mieux associées à toutes les étapes de la procédure.
Je souhaiterais ensuite revenir sur certaines des modifications apportées par votre commission, en commençant par celles qui touchent au fond du droit, avant d’en venir à la question indissociable de l’entrée en vigueur de la réforme. À ce titre, trois points me semblent devoir être évoqués. Certains appellent une convergence ; d’autres, la prolongation des débats.
La suppression par votre commission de l’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD), intervention introduite à juste titre lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, ne peut qu’affaiblir l’exigence d’impartialité qui doit trouver à s’appliquer également aux mineurs et, comme c’est déjà le cas, aux majeurs. J’appelle votre attention sur les difficultés soulevées en pratique par l’intervention de plusieurs juges des enfants prévue par votre commission, notamment au sein des petites juridictions, où il n’y a souvent qu’un seul juge des enfants.
C’est pour ces raisons, tant juridiques que pratiques, que le Gouvernement vous proposera par amendement de garantir l’impartialité de la justice des mineurs, au stade de la mise en examen, en prévoyant l’intervention du juge des libertés et de la détention, sans que cela remette en cause d’une quelconque manière la continuité du suivi des mineurs par le juge des enfants.
Votre commission des lois est par ailleurs revenue sur les compétences du tribunal de police, pourtant bien établies et ne soulevant aucune difficulté juridique, pour les contraventions de faible intensité des quatre premières classes. Or l’ensemble des acteurs de terrain sont unanimes pour estimer que l’intervention d’un juge des enfants spécialisé doit rester dédiée au seul suivi éducatif de long terme. La confusion des procédures ne peut que nuire à la lisibilité de la justice des mineurs et, par conséquent, à son efficacité.
J’ai en revanche été convaincu par la proposition de votre commission visant à renforcer la force normative de la définition du discernement, désormais insérée dans la partie législative du code de la justice pénale des mineurs. Je souscris à cet objectif, tout en suggérant d’intégrer dans la rédaction les notions de « compréhension » et de « volonté », qui sont plus objectivables que celle de « maturité ». Nous pouvons ici nous référer à la définition adoptée par la Cour de cassation, qui a fait référence à la compréhension de la procédure pénale par le mineur.
Il nous faut enfin évoquer la question de l’entrée en vigueur de la réforme, qui est tout à la fois liée à la question des moyens et à l’importance des modifications apportées au texte lors des débats parlementaires.
Pour ce qui est des moyens, je veux souligner une fois de plus que le Gouvernement s’est employé, depuis de nombreux mois, à donner à toutes les parties prenantes les moyens indispensables à la bonne mise en œuvre de la réforme. C’est ainsi que des moyens humains supplémentaires importants ont été attribués aux juridictions et aux services de la protection judiciaire de la jeunesse : 252 emplois nouveaux seront créés d’ici à 2022 et 86 éducateurs recrutés dans le cadre des budgets alloués à la justice de proximité ; près de 72 magistrats ont été recrutés en 2020, dont 24 juges des enfants. L’inspection générale de la justice a également été missionnée pour favoriser l’adaptation des pratiques professionnelles et apporter un appui déterminant aux juridictions les plus en difficulté.
Je tiens à saluer ici la mobilisation exceptionnelle des acteurs de terrain pour s’approprier cette réforme au plus vite. En effet, de très nombreuses concertations locales ont été menées afin de parvenir à une appropriation de la réforme dans les meilleurs délais.
Enfin, les efforts conjugués des juridictions malgré la crise sanitaire ont permis l’apurement d’une partie des stocks – pardon pour ce terme néocapitalistique, mais c’est celui qui est utilisé –, grâce à la création d’audiences supplémentaires et à la réorientation des dossiers les plus anciens.
Aujourd’hui, la grande majorité des juridictions est désormais prête à intégrer la nouvelle procédure. Je vous l’ai dit en commission, seulement une dizaine d’entre elles se trouve en difficulté et bénéficie à ce titre d’un appui renforcé.
Toutefois, l’entrée en vigueur dépend aussi de la nature et de l’importance des modifications introduites par le législateur au texte de l’ordonnance, comme aux aléas liés au contexte de la crise sanitaire.
Quel est le dernier état de la situation ? À contexte sanitaire inchangé – vous savez à quel point il peut encore évoluer dans les semaines à venir – et au regard des derniers éléments communiqués par mes services, seule la modification substantielle liée à l’intervention du JLD dans la procédure conduit à des adaptations informatiques et opérationnelles telles qu’un temps supplémentaire de préparation peut être nécessaire.
Comme j’ai bon espoir que nos discussions permettent la réintroduction des dispositions relatives au JLD et, dans un esprit de dialogue constructif et de cohérence, le Gouvernement prend acte du report de la date de l’entrée en vigueur voté par votre commission. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Pour conclure mon propos, je souhaiterais me réjouir des conditions dans lesquelles nous nous apprêtons à débattre. Je nourris l’espoir que nous convergerons sur un certain nombre de sujets, pour ne pas dire sur la quasi-totalité d’entre eux.
Vous l’aurez compris, cette réforme représente aujourd’hui une formidable occasion de démontrer notre capacité à mieux protéger la société dans son ensemble tout en améliorant l’adéquation de la réponse pénale à la situation si particulière des mineurs.
C’est cet espoir que je souhaite aujourd’hui partager avec vous. La justice n’est jamais aussi grande que lorsqu’elle se préoccupe du sort des plus petits. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
Mme le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la modernisation de la justice pénale des mineurs est une réforme attendue. Ce constat est partagé. L’ordonnance du 2 février 1945, trente-neuf fois modifiée, a perdu de sa cohérence et de son efficacité. La sédimentation des réformes législatives a rendu ce texte peu lisible pour les juristes et peu compréhensible par les mineurs. Plus encore, l’ordonnance de 1945 ne permet plus de répondre aux exigences du respect des droits de l’enfant et de l’efficacité de la lutte contre la délinquance des mineurs.
Deux chiffres traduisent l’épuisement de l’ordonnance de 1945.
D’une part, il faut en moyenne dix-huit mois à la justice pénale des mineurs pour juger un mineur. Or, comme 60 % des auteurs ont entre 16 et 18 ans, la sanction arrive souvent après la majorité.
D’autre part, 80 % des mineurs emprisonnés sont en détention provisoire – vous l’avez souligné, monsieur le garde des sceaux. Ce chiffre parle de lui-même
L’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs, dont nous examinons aujourd’hui le projet de loi de ratification, répond clairement à cet ambitieux objectif de modernisation de la justice pénale des mineurs, mais elle a malheureusement pris une route sinueuse, qui impose l’allongement du chemin pour atteindre le but.
Les innovations apportées par le nouveau code de justice pénale des mineurs sont avant tout procédurales et appellent, mes chers collègues, plusieurs appréciations.
À ce stade, nous pouvons regretter le manque d’ambition de la réforme, l’acte manqué d’un véritable « code des mineurs » réformant à la fois l’enfance délinquante et l’enfance en danger. Malheureusement, l’enfant délinquant est trop souvent un enfant victime de carences éducatives, de parents absents, d’un manque de repères éducatifs. Je me félicite des amendements de ma collègue Valérie Boyer, qui tendent à mieux responsabiliser les parents.
Reste que nous pouvons aussi nous satisfaire que le projet reprenne les grands principes de l’ordonnance de 1945 : l’atténuation de la responsabilité en fonction de l’âge, la primauté de l’éducatif sur le répressif et la spécialisation des juridictions. Principes fondamentaux, ils constituent le socle de la justice pénale des mineurs, une justice adaptée à un public plus vulnérable.
La spécialisation de l’ensemble des magistrats qui interviennent auprès des mineurs est la base d’une justice familiarisée aux questions éducatives, indissociables de la répression des mineurs. C’est pourquoi la commission des lois du Sénat a souhaité appliquer ce principe dans son intégralité. Elle a décidé de supprimer le recours au tribunal de police pour les contraventions des quatre premières classes. Le juge des enfants, en tant que magistrat spécialisé, doit avoir une vision globale de l’ensemble des infractions commises par le mineur, même les plus modestes, pour agir le plus tôt possible. C’est l’esprit même du code de la justice pénale des mineurs.
De même, l’introduction du juge des libertés et de la détention par les députés pour statuer sur la détention provisoire des mineurs incarcérés avant l’audience de culpabilité nous paraît une atteinte inutile au principe de spécialisation des juridictions pour les mineurs. Certes, ce dispositif vise à mieux répondre à l’injonction du Conseil constitutionnel relative à l’impartialité du juge. Cependant, nous considérons que la conciliation des principes d’impartialité et de spécialisation sera plus équilibrée si le contentieux de la liberté et de la détention est confié à un juge des enfants autre que celui qui statuera sur la culpabilité ou, à défaut, à « un magistrat désigné par le président du tribunal judiciaire en raison de son expérience sur les questions de l’enfance ». C’est le sens de l’amendement adopté en commission.
Dans les faits, la spécialisation des JLD ne sera que de façade. Ils sont moins nombreux que les juges des enfants et, dans les petites juridictions, l’habilitation de tous les JLD reviendra à effacer le principe de spécialisation. Par ailleurs, les juges des libertés et de la détention seront accaparés par le contentieux de la dignité en prison au détriment du contentieux des mineurs délinquants.
Enfin, concernant les principes cardinaux, l’ordonnance de 2019 fixe l’âge pivot de la présomption de discernement à 13 ans. Tout mineur de moins de 13 ans est présumé ne pas être capable de discernement et ceux d’au moins 13 ans le sont. Ce principe nouveau appelle trois remarques.
Premièrement, l’âge de 13 ans répond aux attentes de l’article 40 de la convention internationale des droits de l’enfant ratifiée par la France. Il n’existe pas aujourd’hui de consensus sur l’âge pivot applicable au discernement du mineur. En revanche, l’âge de 13 ans est reconnu dans le droit positif français.
Deuxièmement, l’introduction de la présomption simple est plus protectrice du mineur et de sa victime. Elle oblige le juge à se poser la question de la capacité de discernement de l’auteur. Si celui-ci a moins de 13 ans et que le juge prouve qu’il est capable de discernement, les poursuites pourront être engagées, comme dans la triste affaire de la petite Évaëlle, et a contrario. La présomption simple permet la souplesse de l’adaptation à la maturité du mineur, ce que ne permet pas de déceler la date d’anniversaire.
Troisièmement, le discernement est défini dans le code pénal, mais les critères retenus sont avant tout l’atteinte par des troubles psychiques ou neuropsychiques, insuffisants pour les mineurs. En la matière, la jurisprudence de la Cour de cassation est constante. C’est pourquoi il nous a paru important que cette définition puisse s’intégrer dans la partie législative de ce nouveau code de la justice pénale des mineurs et de rendre ce dernier plus moderne. Cette définition est attendue par les magistrats. Il appartiendra au pouvoir réglementaire de fixer les critères d’appréciation, et non l’inverse.
Enfin, nous pouvons nous féliciter de la simplification de la procédure et de la rationalisation de la gamme des sanctions applicables au mineur. La principale innovation de cette réforme procédurale consiste à ancrer la césure de la procédure comme principe et l’audience unique comme exception. Le mineur sera jugé selon la procédure de mise à l’épreuve éducative, qui se déroulera en trois phases : une audience de culpabilité, une période de mise à l’épreuve éducative et une audience de sanction.
Encadrée dans des délais courts – dix jours à trois mois pour l’audience de culpabilité, de six à neuf mois pour l’audience de sanction –, cette procédure a le mérite de fixer rapidement le mineur sur son sort et de permettre à la victime d’être indemnisée dans les meilleurs délais. Néanmoins, son efficacité dépendra non seulement des moyens dont disposera la justice des mineurs pour respecter les délais non contraignants, mais aussi de la capacité qu’auront les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) à mettre en œuvre de manière instantanée les mesures éducatives. À cette fin, la commission des lois du Sénat a adopté un amendement obligeant la PJJ à fixer la date de mise en œuvre des mesures éducatives provisoires à l’audience de culpabilité. La continuité et la cohérence éducatives sont au cœur de la réforme.
Les mineurs déjà fortement connus ou pour lesquels il existe un risque de non-représentation peuvent être jugés au cours d’une audience unique, qui doit rester l’exception.
La rationalisation de la gamme des sanctions constitue un enjeu d’efficacité dans la politique de lutte contre la délinquance des mineurs, afin que la mesure soit, d’une part, mieux adaptée à la situation du mineur et, d’autre part, mieux comprise par le jeune.
Mes chers collègues, vous le comprenez, cette modernisation du code de la justice pénale des mineurs est une bonne réforme, voulue et attendue. C’est la raison pour laquelle, monsieur le garde des sceaux, nous ne comprenons pas la méthode employée, peu respectueuse du travail parlementaire et à marche forcée. Nous ne nous appesantirons pas sur le recours aux ordonnances : le parallélisme des formes ne s’imposait pas. Le contexte de 1945 n’est pas celui de 2019.
Mme Éliane Assassi. Voilà !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Un sujet d’ampleur, tel que le nouveau code de la justice pénale des mineurs, aurait justifié un véritable débat parlementaire, pas uniquement au détour d’une loi de ratification.
Nous ne nous appesantirons pas sur le calendrier parlementaire contraint. La crise de la covid a naturellement bousculé les priorités législatives. Alors que l’Assemblée nationale a adopté cette ordonnance de près de 250 articles entre deux votes budgétaires, le Sénat a trois jours pour l’examiner, alors qu’il y a tant d’ordonnances qui attendent leur ratification.
Monsieur le garde des sceaux, pourquoi tant de précipitation ? Pourquoi vouloir faire adopter à marche forcée cette réforme d’ampleur, attendue, au point de ne pas respecter le travail parlementaire, en rédigeant la partie réglementaire avant les débats au Sénat et en donnant des instructions aux juridictions sur l’application de la réforme juste après l’adoption de la « petite loi » par l’Assemblée nationale ? Après dix ans de gestation, la réforme de la justice pénale des mineurs n’est plus à quelques mois près.
M. François Patriat. Si !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission des lois du Sénat a, à l’unanimité, considéré que le report de l’entrée en vigueur de la réforme au 30 septembre 2021 était sage, non pas, comme nous pouvons l’entendre, pour enterrer la réforme, mais, bien au contraire, justement parce que nous croyons au bien-fondé de ce nouveau code de la justice pénale des mineurs, pour lui donner toutes les chances d’atteindre son objectif de réduction de la délinquance. En effet, même avec tous les efforts d’anticipation, les juridictions des mineurs ne sont pas prêtes.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La crise de la covid et la grève des avocats n’ont pas permis d’écouler tous les stocks possibles. Certes, des moyens humains ont été affectés, mais en nombre insuffisant pour réduire les stocks dans des délais aussi contraints et permettre un double audiencement maîtrisé. Si les magistrats spécialisés ont absorbé les enjeux de la réforme, c’est loin d’être le cas des greffiers, toujours en nombre insuffisant, et des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, dont le rôle est crucial dans la réussite de la réforme. La baisse du budget de la formation de la PJJ pour 2021 est un facteur d’inquiétude supplémentaire.
Surtout, les outils informatiques à la disposition des magistrats et de la PJJ ne seront pas prêts dans deux mois. Le logiciel Cassiopée, qui permet le suivi par les tribunaux judiciaires des affaires pénales, ne sera pas opérationnel. Il faut dire que les informaticiens du ministère ont d’autres priorités, puisque Cassiopée n’a toujours pas intégré la réforme du « bloc peines ». De même, le logiciel Parcours de la PJJ, essentiel pour la continuité éducative, cœur de la réforme, ne sera totalement déployé qu’au mois de décembre 2021.
« Ta direction est plus importante que ta vitesse. Beaucoup vont très vite nulle part… » Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce sage proverbe doit nous guider pour faire en sorte que la réforme du code de la justice pénale des mineurs, qui va dans la bonne direction, aille au bout de ses objectifs. C’est pourquoi nous proposons de ratifier cette ordonnance et d’en reporter, avec sagesse, l’entrée en vigueur au 30 septembre 2021. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Question préalable
Mme le président. Je suis saisie, par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 1 rectifiée.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs (n° 292, 2020-2021).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi de ratification nous interroge, tant sur la forme que sur le fond.
Si l’examen d’un tel texte a été perturbé, c’est en raison non du contexte sanitaire, mais bien de la méthode choisie par le Gouvernement : réformer une fois encore par voie d’ordonnance. La précipitation dans laquelle cette réforme a été présentée – un amendement au détour d’une séance publique pour habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance –, puis discutée deux jours à l’Assemblée nationale et quelques demi-journées à venir au Sénat, après engagement de la procédure accélérée, témoigne d’un certain irrespect pour les travaux du Parlement, notamment de la chambre haute. En attestent, monsieur le garde des sceaux, la diffusion de votre circulaire, le 18 décembre dernier, ou encore la publication de la partie réglementaire de ce code avant l’examen complet de sa partie législative.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez fait valoir que cette réforme était le fruit « de plus de dix ans de consultations », quatre gardes des sceaux et presque autant de majorités l’auraient préparée. Pourquoi donc, en bout de course, ne laisser au Parlement qu’un article de ratification et quatre jours de débat, pour passer en revue les 277 articles que contient ce nouveau code de la justice pénale des mineurs, sans l’étude d’impact que permet un projet de loi ordinaire, puisqu’il s’agit d’un projet de loi de ratification, sans base de comparaison claire et solide des deux ordonnances, si ce n’est le rapport rapide de notre commission et celui, plus que rapide, de la commission des lois de l’Assemblée nationale ?
Avec cette approche, le Gouvernement place le Parlement dans une nasse, faisant usage, point par point, de tous les mécanismes permettant de faire passer au plus vite un maximum de mesures. Finalement, ce que ce texte prône sur le fond dans le cadre de la justice rendue aux mineurs, à savoir traiter le maximum d’affaires, le plus rapidement possible et en sollicitant le moins de professionnels possible – la collégialité est ainsi mise à mal dans certains cas –, processus déjà engagés pour la justice dans son ensemble avec la réforme Belloubet, se retrouve dans la manière de faire.
Comment voir les choses autrement, lorsque l’unique article du projet de loi initial ne comportait qu’un seul article demandant au Parlement un blanc-seing pour la rédaction de l’ensemble d’un nouveau code de la justice pénale des mineurs, issu d’un héritage historique qui n’est pas des moindres, l’ordonnance de 1945, laquelle véhicule avec elle toute l’appréhension nouvelle de la justice qui devait être rendue aux mineurs dans un contexte de reconstruction du pays ?
On aurait pu s’imaginer que le contexte inédit dans lequel s’inscrit ce débat eût fait réfléchir le Gouvernement autrement : considérer, comme en 1945, la jeunesse comme un atout fort pour surmonter la crise sanitaire et économique que nous traversons, qui mériterait une attention plus particulière et attentive que celle qui est proposée aujourd’hui. Une ellipse temporelle semble être passée par là… L’héritage historique de 1945 a été troqué, pas sur la forme bien sûr – il est rappelé et encensé à plusieurs reprises –, mais sur le fond, contre celui des tristes années 2000 en matière de réformes pour la justice des mineurs.
Dans sa célèbre décision du 29 août 2002 relative à la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, dite loi Perben I, le Conseil constitutionnel a érigé le principe de spécificité de la justice pénale des mineurs au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République. Face à la délinquance des mineurs, le choix de faire primer la réponse éducative sur la réponse répressive paraît donc nettement établi par le juge constitutionnel. Or, comme l’explique l’enseignante-chercheuse en droit public à l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse Nadia Beddiar, « soucieux de lutter contre l’insécurité que générerait la délinquance juvénile – problématique qui a trouvé une place solide dans les débats publics –, le législateur français a cédé, à l’instar de nombreux pays, au réflexe sécuritaire ». Ainsi, l’arsenal pénal tend à se diversifier et à se durcir depuis la loi Perben I de 2002 pour apporter des réponses à un phénomène de délinquance juvénile, jugé en forte croissance.
Les précisions apportées par les réformes successives du droit pénal sont traduites par le développement d’un mouvement visant une forte responsabilisation des mineurs. Cette dynamique a produit la mise en place d’un dispositif pénal de plus en plus coercitif et l’idée d’un droit pénal des mineurs de plus en plus proche du droit général ainsi que le recours à un schéma répressif destiné à permettre la rééducation des mineurs délinquants : exception de minorité pour les plus de 16 ans, droits de la défense pas toujours garantis, etc.
Si la loi Perben I, en parallèle au contrôle judiciaire pour les mineurs et au sursis avec mise à l’épreuve, a créé les centres éducatifs fermés, la loi Sarkozy en 2003 a quant à elle créé de nouveaux types d’infractions venant stigmatiser davantage une jeunesse des quartiers, comme l’entrave à la circulation dans les halls d’immeuble, la participation à un groupement en vue de commettre un délit ou encore le fichage des mineurs auteurs d’infractions pénales, pour ne citer que ces lois.
Dans leur sillage, le Gouvernement crée aujourd’hui vingt nouveaux centres éducatifs fermés. Il brouille le temps éducatif et le temps judiciaire en les enserrant dans des délais intenables avec la procédure de césure et avec la possibilité de balayer les jugements en une audience unique, ainsi que celle d’un jugement sur sanction sans collégialité.
Selon nous, ce bref retour en arrière est important pour comprendre la lente mais sûre entreprise de démolition des grands principes de l’ordonnance de 1945, qui, ne soyons pas naïfs, si elle était révolutionnaire en son temps, n’était pas magique non plus, faisant passer les établissements publics qualifiés avant-guerre de « bagnes d’enfants » à l’éducation surveillée. Il s’agissait finalement avant tout d’une prise de conscience collective de l’importance d’éduquer les mineurs, de prendre soin de l’enfance.
En effet, cela a été dit, le mineur est souvent un être en souffrance, mais surtout – j’y insiste – le mineur n’est pas un adulte : c’est un enfant, un jeune en construction, en devenir. C’est pourquoi traiter de la justice des mineurs n’est pas une simple question juridique : cette matière sensible qu’est la rééducation de la jeunesse en difficulté amène à une réflexion au sein de laquelle s’entremêlent et se confondent le philosophique, le juridique, le judiciaire et l’éducatif et même l’historique et le sociologique.
Les mineurs – enfants et adolescents – sont aussi le reflet du monde qui les entoure : leur environnement social et familial bien sûr, mais aussi la société dans son ensemble, marquée également ces vingt dernières années par l’avènement d’internet et du monde numérique avec lequel la jeunesse a évolué. Certes, l’ensemble des professionnels de justice – magistrats, procureurs – ont assisté à un glissement vers une aggravation des actes commis par des mineurs primo-délinquants, mais, comme l’expliquait Martin Levrel, commissaire divisionnaire à Roubaix, lors d’un colloque à l’Assemblée nationale sur les soixante-dix ans de l’ordonnance de 1945, cela n’est pas sans cause.
Avec l’explosion d’internet, nous sommes pour ainsi dire passés des dégradations de voitures pour y dérober des autoradios à des jeunes de certains quartiers difficiles affirmant vouloir former des bandes comme au Mexique ou en Amérique latine, s’autoalimentant de leurs fantasmes de criminalité organisée que les médias de masse et internet véhiculent volontiers.
Tout cela est à prendre en compte, et cette réforme n’est pas non plus née de rien : elle s’ancre dans cette dérive répressive qui se contente de soigner des maux profonds en s’attaquant uniquement aux symptômes.
Cette réforme entérine un profond changement de paradigme : avec ce texte, le principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif est largement atténué, si ce n’est inversé. Sous couvert d’une délinquance juvénile qui aurait muté et serait devenue davantage violente, on supplante l’éducatif pour le répressif. C’est un cercle vicieux.
Ainsi, des enfants d’« apaches », c’est-à-dire des enfants d’ouvriers sous la monarchie de Juillet, aux enfants des quartiers populaires à « nettoyer au Kärcher » dans les années Sarkozy, on en arrive aujourd’hui, sous des termes plus feutrés, mais aussi plus hypocrites, à viser les « mineurs non accompagnés », les MNA, c’est-à-dire les mineurs isolés étrangers, que certains souhaiteraient voir expulsés de notre pays à la moindre petite infraction, mesure « malheureusement inconstitutionnelle », pour reprendre les termes de la rapporteure en commission. Laissez-moi vous rappeler que, quand bien même ces mineurs sont venus d’ailleurs, ils n’en sont pas moins des enfants comme les nôtres, et nous leur devons, en plus de la protection et l’asile, la même application de notre justice, que cela plaise ou non.
Mes chers collègues, la philosophie avec laquelle ce texte est abordé reflète, vous l’aurez compris, et nous en sommes pour notre part convaincus, toute une vision de la société. Celle qui a été adoptée de concert par la majorité gouvernementale à l’Assemblée nationale et la majorité sénatoriale de droite ne vise pas uniquement à simplifier sur la forme l’ordonnance de 1945 : elle tend bien à la réformer au fond, pour la marquer du sceau des dispositifs répressifs qui l’ont ternie ces dernières années.
Au sein du modèle socio-économique libéral bien établi dans lequel évolue notre pays, l’approche répressive des dérives, quelles qu’elles soient, et dès le plus jeune âge a, hélas, de nombreux tristes jours devant elle.
« Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et, parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. » Ces premières phrases de l’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945, héritage du Conseil national de la Résistance, continueront à être pour nous une boussole dans tous nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, contre la motion.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je n’allongerai pas à l’excès nos débats qui débutent à peine. Toutefois, justement parce que la motion qui nous est présentée vise à les interrompre sans délai, je tiens à expliquer les raisons qui nous conduiront à voter contre.
L’exposé des motifs de la motion tendant à opposer la question préalable souligne que le projet de loi qui est inscrit à notre ordre du jour ne serait acceptable ni sur la forme ni sur le fond. Permettez-moi de vous dire, ma chère collègue, que la présente motion nous semble présenter elle-même cette double carence du fond et de la forme. Pour ne pas anticiper les éléments qui interviendront dans la suite de la discussion générale, je m’en tiendrai ici à la forme.
Il nous paraît tout à fait singulier et contradictoire d’écarter d’un revers de la main un débat que nous avons sollicité à plusieurs reprises et à juste titre auprès de vous, monsieur le garde des sceaux, et de votre prédécesseur, qui intervient ce soir, conformément aux engagements pris et dans le cadre duquel nous sont soumis l’ensemble des articles du code de la justice pénale des mineurs. Il nous semble indispensable que le débat sur cette codification attendue par les acteurs du terrain puisse se tenir. C’est pourquoi nous voterons contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Le Sénat a suffisamment relevé la problématique de la méthode et de l’absence de débat pour se priver ce soir d’un débat…
Mme Éliane Assassi. C’est quand ça l’arrange !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. … autour de ce texte fondamental qu’est le code de la justice pénale des mineurs. Le projet de loi met en place une réforme modernisant la justice pénale dans le but de mieux répondre à ses besoins et aux enjeux de la délinquance dans notre pays, laquelle occupe régulièrement l’actualité. C’est pourquoi la commission est défavorable à la motion tendant à opposer la question préalable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Sans surprise, vous l’imaginez bien, le Gouvernement est défavorable à la motion tendant à opposer la question préalable.
Madame la sénatrice, permettez-moi de corriger très rapidement quelques inexactitudes.
Mme Éliane Assassi. Ah ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le budget de la formation de la DPJJ, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, n’a pas diminué, contrairement à ce que vous soutenez. Vous l’avez affirmé péremptoirement. C’est une petite erreur, et nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir.
Mme Éliane Assassi. Je n’ai pas parlé de la PJJ !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J’en viens aux MNA.
Ne vous en déplaise, dites-vous, ce sont des mineurs comme les autres.
Mme Éliane Assassi. Isolés !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce sont en effet des mineurs qui seront évidemment pris en charge par ce texte quand il entrera en vigueur.
Je conteste avec la plus farouche détermination l’argument selon lequel on n’aurait pas discuté de ce texte. Je rappelle tout de même que les discussions ont démarré en 2008 avec la commission Varinard, composée de trente-deux parlementaires et de spécialistes du droit des mineurs. En 2009, un avant-projet de loi portant code de justice pénale des mineurs a été rédigé et soumis à de très nombreuses consultations, des questionnaires ayant été adressés à tous les intervenants de la justice des mineurs. En 2010, une proposition de réforme a été défendue par l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille. Je ne prolonge pas cette liste, j’ai promis que je serai bref et je tiendrai ma parole sur ce point. Reste qu’il n’est pas vrai de dire qu’il n’y a pas eu de concertation.
Il y a enfin eu le travail de l’Assemblée nationale et celui de la commission des lois du Sénat ; Dieu sait que ce travail a été riche et constructif. J’ai souligné les convergences que nous avions, sans omettre les divergences qui subsistaient.
Je le dis sans aucune acrimonie : affirmer que ce texte a vocation à détruire l’ordonnance de 1945 relève pour moi de la posture.
Mme Éliane Assassi. Oh !
Mme Éliane Assassi. Si !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est tout le contraire ! C’est la primauté de l’éducatif.
Voici deux raisons d’aimer ce texte, dont je rappelle qu’il n’est pas le mien, comme vous le savez.
Tout commence en 2008 ; je n’étais pas alors garde des sceaux. Quatre gardes des sceaux se sont succédé.
Aucun délai dans la procédure actuelle ne vient enserrer la mise en examen. Or c’est générateur de stock. En effet, quand un gamin est en liberté et qu’il n’y a aucun délai, les dossiers s’empilent. C’est une certitude, une réalité.
Mme Éliane Assassi. C’est déjà le cas !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Un deuxième argument devrait emporter votre conviction, mais peut-être est-elle définitivement arrêtée…
Aujourd’hui, des gamins qui ont commis des infractions à 16 ans sont jugés à 22 ans. Posons-nous la question : est-ce que cela a un sens et, d’abord, est-ce que cela a un sens pour eux ?
Avant d’être sénateur, député, magistrat ou garde des sceaux, nous sommes père ou mère : si je veux faire de l’éducatif ou du punitif auprès de mes enfants – certes, ils sont grands aujourd’hui –, je n’attends pas six mois ; je le fais tout de suite !
Quand un gamin ayant commis une infraction à 16 ans est jugé à 22 ans, après avoir changé de vie ou s’être marié, cela n’a strictement aucun sens !
La justice ne tourne pas à vide pour elle-même. Elle a un sens pédagogique, surtout pour les gamins. La sanction doit intervenir tout de suite.
J’ai rappelé les délais : d’abord, une décision sur la culpabilité ; ensuite, une première mise à l’épreuve ; puis un jugement sur le quantum ; et l’éducatif peut se prolonger au-delà de cette décision. Je suis désolé, mais ce n’est pas le système actuel. Aujourd’hui, les procédures trouvent leur épilogue au bout de dix-huit mois en moyenne, sachant que cela va bien au-delà pour les plus longues. Ça n’a aucun sens ! C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il y a eu, à quelques exceptions près, une forme de consensus sur ce texte lors de son passage à l’Assemblée nationale.
J’espère vous avoir convaincue, madame la sénatrice, mais je n’en suis pas certain… Or comme je n’ai pas le goût de l’effort inutile, je retourne tout de suite m’asseoir. (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° 1 rectifié, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Mme le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.)
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le contexte dans lequel s’inscrit cette discussion et sur le profond mépris dont fait preuve le Gouvernement à l’égard du Parlement s’agissant de la méthode. Je voudrais tout de même souligner que ce mépris s’étend aussi à l’ensemble des professionnels de la justice. Ces derniers ne s’estiment pas prêts matériellement à travailler sous l’empire de ce nouveau code, pour l’élaboration duquel ils n’ont obtenu qu’un semblant de concertation.
Nous reviendrons lors de l’examen des amendements sur la question des délais intenables. Nous proposerons un délai d’un an – c’est plus que ce qui est envisagé par la commission –, pour l’entrée en vigueur effective de la réforme, qui est actuellement prévue par le Gouvernement au 31 mars prochain, c’est-à-dire « demain » !
Sur le fond, en présentant ce texte, monsieur le garde des sceaux, vous avez expliqué : « Le répressif avec les gamins, ça ne marche pas. » J’aurais envie de vous répondre que cela ne marche avec personne ! Vous avez ajouté qu’il fallait « d’abord l’éducatif » et une « réponse rapide ». Permettez-moi de vous dire que cela ne marche pas non plus : l’éducatif ne peut pas être une réponse rapide !
La question n’est pas de se satisfaire des délais de plus en plus longs qui existent aujourd’hui. Ces délais sont aussi le fruit d’une situation d’engorgement des différentes procédures et du manque de moyens, notamment pour la construction du temps éducatif. S’il ne faut bien évidemment pas les allonger davantage, il ne faudrait pas les raccourcir à l’excès, sous peine de fragiliser ce temps éducatif.
Le temps est aussi une composante essentielle de la personnalité des mineurs. Or ce que ce texte propose est, par exemple, de pouvoir juger en audience unique – c’est le « tout en un » – les mineurs récidivistes alors que ce sont eux qui justifient à nos yeux le plus une intervention éducative lourde et inscrite dans la durée. Il semblerait que le pari soit fait de leur échec futur au regard de leur échec passé…
C’est un exemple, mais il est révélateur de la philosophie globale de cette réforme, qui, au lieu de s’orienter vers un code général de la protection de l’enfance, s’emploie à rapprocher la justice des enfants de celle des adultes. Malgré la couche de vernis qui est bien appliquée ici et là pour faire coller cette réforme point par point à nos principes constitutionnels, à la primauté de l’éducatif et à l’intérêt supérieur de l’enfant, plusieurs mesures illustrent un tel rapprochement.
Aucune avancée effective n’est notable sur la présomption d’irresponsabilité pénale, puisque le seuil d’âge de 13 ans est associé à une présomption simple, donc susceptible d’être renversée. Cela n’est pas conforme aux textes internationaux, notamment à l’article 40 de la convention internationale des droits de l’enfant.
Ce nouveau code rend possible le prononcé de peines en cabinet à juge unique et insuffisantes les garanties procédurales offertes aux droits de la défense.
En parallèle est instaurée une procédure de césure qui, à moyens constants, n’est simplement pas tenable quant aux délais et portera atteinte au principe éducatif.
Quelques amendements de Mme la rapporteure vont dans le bon sens, en tout cas de notre point de vue. Je pense notamment à celui qui tend à supprimer la compétence en matière de justice des mineurs du tribunal de police, ou encore à celui qui vise au report du délai d’entrée en vigueur de l’ordonnance. Cependant, sur le fond, le texte reste inchangé, et l’économie générale est pour le moins partagée par la majorité sénatoriale : aller plus vite et à moindre coût, même pour la justice des mineurs.
Cela n’est pas la vision de la société que nous défendons. Alors que la priorité devrait être accordée à la lutte contre la pauvreté et à la protection de l’enfance en danger, un glissement inquiétant s’opère avec ce texte : celui de l’abaissement des garanties éducatives pour toute une partie de notre jeunesse qui – je le dis sans angélisme – est bien souvent en proie à d’autres difficultés que celles purement judiciaires ici considérées et auxquelles on voudrait répondre sans ambages.
En matière d’éducation de jeunes mineurs en difficulté, et donc pour ce qui concerne cette réforme de la justice pénale des mineurs, le plus important, selon nous, ce n’est pas la peine et la sentence finale, qui n’ont que peu de sens pour des êtres en construction ; c’est bien le chemin parcouru à leurs côtés et le « pouvoir » et l’aura qu’auront sur eux les explications des magistrats, des avocats, des éducateurs qui les accompagneront dans la compréhension du système judiciaire qui est le nôtre, celui qui permet de vivre en société, de faire du commun, dans un État de droit.
Le cadre que leur offre cette réforme n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Le Sénat s’honorerait à modifier le texte en profondeur, même si sa marge de manœuvre est, nous le savons, parfois infime. Pour notre part, nous serons évidemment attentifs au sort qui sera réservé à nos amendements. Mais, pour l’heure, nous ne pouvons pas soutenir une telle réforme. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Monsieur le garde des sceaux, permettez-moi de commencer par ces quelques mots de votre illustre prédécesseur Robert Badinter : « Un mineur, c’est un être en devenir. […] L’objectif premier de la justice des mineurs, c’est de les intégrer ou de les réinsérer dans la société. » Alors, oui, au nom de ce noble objectif, l’ordonnance de 1945 se devait d’être remise à plat, réécrite, enrichie et, enfin, codifiée !
En effet, comme l’a précisé Mme la rapporteure, une quarantaine de réformes depuis 1945 ont rendu ce texte fondateur bien complexe, difficile à appréhender, y compris pour les professionnels, et parfois en incohérence avec le code pénal. Sur un aspect purement formel, le présent projet de loi est donc tout à fait bienvenu.
L’ordonnance de 1945 nous donne en héritage un socle de principes : la primauté de l’éducatif sur le répressif, la spécialisation des juridictions pour mineurs et l’atténuation de leur responsabilité pénale. Ce sont des principes fondamentaux qu’il était indispensable de ne pas perdre de vue : juger les mineurs, c’est avant tout trouver un équilibre délicat entre la nécessaire protection de la société et l’indispensable prise en compte de l’intérêt de l’enfant, ce citoyen en devenir. Un enfant est un enfant, et on ne peut pas lui prêter la même compréhension du monde qui l’entoure et de ses actes qu’un adulte. Ainsi, en cette matière, et peut-être plus que dans d’autres, gardons-nous des raisonnements simplistes et des jugements hâtifs.
Si l’enfant n’a pas la même compréhension du monde, il n’a pas non plus la même temporalité qu’un adulte. Lorsque l’on a cinquante ans, un an, c’est un cinquantième de sa vie ; lorsque l’on a dix ans, c’est un dixième, soit beaucoup plus. Six mois, douze mois, deux ans pour un adulte peuvent équivaloir à trois ans, cinq ans, dix ans pour un enfant. Bref, c’est long… C’est pourquoi le raccourcissement des délais et la création d’une césure avec une première audience sur la culpabilité dans les trois mois qui suivent le début de la procédure devraient apporter une véritable amélioration pour l’enfant jugé, mais aussi pour la victime, qui pourra ainsi voir sa demande prise en compte rapidement.
Mme Dominique Vérien. Ce temps judiciaire long, c’est aussi un grand nombre de mineurs en détention provisoire. À la fin de l’année 2020, 80 % des mineurs détenus l’étaient en détention provisoire. Pour les majeurs, c’est de l’ordre d’un tiers. Cela pourrait laisser entendre que beaucoup de ces mineurs n’auraient pas dû passer par la case prison, ladite case n’étant pas, on le sait, le meilleur lieu d’éducation et de réinsertion.
Après cette première audience, si le mineur est déclaré coupable, viennent six à neuf mois de suivi éducatif devant lui permettre d’intégrer sa culpabilité et de comprendre la portée de ses actes et devant surtout permettre de prendre des mesures évitant toute réitération. C’est alors qu’interviendra une seconde audience, qui décidera de la sanction, en tenant compte du comportement et de l’implication de l’adolescent durant son parcours éducatif.
Nous ne pouvons que saluer cette volonté d’aller plus vite, monsieur le garde des sceaux. J’appelle cependant votre attention sur l’importance de donner à notre justice les moyens de vos ambitions ; je dirais même de nos ambitions ! En l’état actuel, il est à craindre que ces délais ne puissent pas être respectés, tout comme ils ont du mal à être tenus aujourd’hui.
Permettez-moi de prendre ici un exemple très concret : en vertu du troisième alinéa de l’article 12 de la loi du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines, les services de la protection judiciaire de la jeunesse sont tenus de prendre en charge le mineur ayant fait l’objet d’une décision judiciaire au plus tard cinq jours après. L’intention est louable. En pratique, les services convoquent bien les mineurs dans ce délai, afin d’être en conformité avec la loi, mais c’est seulement pour lui fixer un rendez-vous ultérieur, souvent un mois après, faute de moyens. La réalité des cinq jours, c’est trente-cinq jours ! Là encore, il y a un problème de temporalité. Simplement, il est lié non pas à l’âge des protagonistes, mais plus sûrement, à mon avis, à leur nombre, que ce soit coté mineurs ou côté PJJ.
Lors d’une audition, notre collègue Maryse Carrère vous a interrogé sur les moyens de la PJJ et le besoin de renforcement par rapport à la réforme. Vous lui avez répondu qu’il n’y aurait pas plus de mineurs et que le travail de la PJJ ne serait pas très différent. C’est juste ! Mais les difficultés de la PJJ resteront également les mêmes, et ce sera tout aussi compliqué pour eux d’accompagner les mineurs et de les prendre en charge dans un temps court, chose qu’ils ont du mal à faire aujourd’hui, si vous ne les aidez pas.
Alors, monsieur le garde des sceaux, au regard de l’ambition de ce texte, ne partons pas du principe qu’une fois de plus « l’intendance suivra » ! Donnons à notre justice les moyens humains et matériels – je pense ici, vous vous en doutez bien, à l’informatique – pour s’assurer du succès de cette réforme.
Je ne reviendrai pas sur la présomption simple de non-discernement pour les mineurs de moins de 13 ans. Voilà qui nous met en conformité avec le droit international. Je salue tout de même à ce sujet le travail de notre rapporteure – vous l’avez fait vous-même, monsieur le garde des sceaux –, qui apporte quelques pistes permettant de définir le discernement, afin d’éviter que, selon la juridiction dont dépend le mineur, voire selon le juge auquel il est affecté, la disparité du concept ne soit trop forte.
Je voudrais en revanche revenir sur le juge des libertés et de la détention. Paris n’est pas la France. La France est maillée – pourvu que ça dure ! – de petits tribunaux ne disposant pas de pléthore de juges des libertés et de la détention. Vous indiquez que nous n’avons pas beaucoup de juges des enfants non plus ; je pense que nous en avons tout de même un peu plus que de juges des libertés et de la détention. (M. le garde des sceaux le conteste.) Spécialiser un JLD en justice des mineurs risque de ne consister qu’à estampiller chaque JLD de cette qualification, au prix peut-être d’une ou de deux heures de formation, sans véritablement créer une spécialisation.
Les juges des enfants que nous avons rencontrés, comprenant parfaitement qu’il fallait dissocier les deux fonctions, ont plutôt proposé que ce soit un autre juge des enfants qui statue de la liberté et de la détention. Nous aurions alors bien une dissociation, doublée d’une vraie spécialisation.
Enfin, je ne peux également que souscrire à la proposition de la commission de repousser l’entrée en application de ce texte au mois de septembre 2021. J’ai bien entendu les discours sur le thème : « Rendez-nous le JLD, et peut-être qu’on vous donnera du temps.. » (M. le garde des sceaux sourit.) Tous les intervenants, y compris ceux qui sont favorables et attendent cette réforme, s’accordent pour demander quelques mois.
Monsieur le garde des sceaux, vous qui nous dites régulièrement de faire confiance aux juges, à votre tour, faites-leur confiance ; donnez-leur pleinement le temps de se préparer à cette réforme, qui le mérite !
Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera ce texte, mais restera vigilant sur son application concrète. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Harribey. Monsieur le garde des sceaux, lors de votre audition, vous déclariez : « Je ne connais pas de réforme qui ne suscite pas de larges oppositions. » Pour qui s’amuse des joutes oratoires, nous pourrions répondre que c’est logique au regard du proverbe chinois : « Qui réforme souvent déforme. »
Plutôt que de balayer d’un revers de main les oppositions, nous nous sommes attachés à déterminer qui dit quoi, pourquoi, comment, à quel moment et au nom de quelles réalités ou de quels principes. Nous l’avons fait pour répondre à une question simple : « Pourquoi une réforme ? » Nous avons tenté d’y trouver le sens et la légitimité. Prendre une réforme comme seule réponse à un problème posé, c’est se réformer de toute autre action possible.
Nous retenons de ce travail une certaine unanimité sur la nécessité d’une réforme et, pourtant, des blocages importants.
Pour notre part, nous souscrivons au principe de la réforme. Il s’agit de permettre – plusieurs orateurs l’ont indiqué – une meilleure lisibilité d’un corpus législatif amendé près de quarante fois depuis 1945, avec des modifications qui, au fil des années, ont fait perdre en cohérence et en clarté le texte d’origine.
Nous sommes également favorables à une réaffirmation des trois principes de l’ordonnance de 1945 : primauté de l’éducatif sur le répressif, ce qui ne signifie pas pour autant absence de sanction ; spécialisation de la justice des mineurs ; atténuation de la responsabilité en fonction de l’âge.
De même, nous souscrivons aux trois attendus de la réforme : instauration d’une présomption d’irresponsabilité avant 13 ans, qui permet au droit français de se mettre en conformité avec les conventions internationales ; accélération du jugement via une procédure en deux temps, audience de culpabilité, puis audience de sanction avec mise à l’épreuve entre les deux ; volonté de remettre la victime au centre.
Au-delà de ces attendus louables, une analyse plus fine montre que la réforme acte en fait la remise en cause progressive de la philosophie de l’ordonnance de 1945. En effet, peu à peu, du fait des mutations sociales et de la perception du jeune dans la société, l’impératif de la prise en compte de la personnalité des auteurs d’infractions et de leur contexte de vie a été abandonné, en particulier pour les mineurs les plus âgés, et ce au profit de la notion de « trouble de l’ordre public », qui, lui, doit être rétribué par une sanction pénale, avec un abandon progressif de la référence à l’enfant et à son intérêt. La question était à l’origine : « Pourquoi punir ? » Elle devient : « Comment punir ? » La perception est importante sur ce plan.
Cette évolution est particulièrement marquée dans les années 2000. Entre 2001 et 2008, pas moins de huit textes, dont sept de nature législative, se sont traduits par trois tendances lourdes, que l’on retrouve dans votre texte : un renforcement du volet répression ; un alignement progressif sur les textes concernant les adultes ; un renforcement du pouvoir du parquet et de la police en liaison directe avec les autorités politiques locales.
Cette évolution est interrogée par les chiffres. En effet, 93 % des affaires connaissent une réponse pénale s’agissant des mineurs, contre 88 % pour les majeurs. En revanche, 82 % des mineurs incarcérés ne sont pas jugés et relèvent de la détention provisoire. D’où une interrogation sur le renforcement du volet pénal : ne fallait-il pas plutôt se poser la question des moyens consacrés à la justice des mineurs et éviter ces fameux 82 % ?
Cette analyse nous conduit à mettre l’accent sur trois divergences de fond qui justifient nos amendements.
La première est sur la méthode, mais c’est bien une divergence de fond. Ainsi que Mme la rapporteure l’a rappelé, avoir procédé par ordonnance pour un texte aussi important est largement contestable. Si l’on peut comprendre le recours à l’ordonnance dans le contexte de 1945, l’enjeu de ce code pouvait mériter mieux, avec une réflexion beaucoup plus large.
La deuxième divergence tient au fait que, contrairement à ce que vous affirmez, ce texte privilégie – ce n’est peut-être pas le cas dans les attendus, mais cela le sera en pratique – la répression au détriment du temps éducatif, du fait de trois insuffisances. D’abord, si l’objectif est, certes, de raccourcir les délais, ceux qui sont inscrits dans le texte sont des délais indicatifs qui ne sont pas encadrés. Faut-il rappeler que, dans l’ordonnance de 1945, il y avait une obligation que les mesures éducatives soient mises en œuvre dans les cinq jours ? Par conséquent, si le délai n’est pas respecté, c’est qu’il y a des problèmes ailleurs. Ensuite, une place trop large est laissée aux procédures d’exception ne respectant pas la phase éducative, ce qui conduira immanquablement à un durcissement des mesures prononcées et, de fait, à un rapprochement de la justice des mineurs avec celle des majeurs. Enfin, la question des moyens est une vraie question de fond, car elle détermine la crédibilité même de la réforme.
La troisième divergence – elle a été largement soulignée par Mme la rapporteure – concerne la faisabilité matérielle en amont et en aval d’une crise sanitaire qui est venue aggraver les difficultés de la justice des mineurs. Sur ce point, la quasi-totalité des acteurs soulignent les difficultés. Quand la quasi-totalité des acteurs soulignent des difficultés, c’est bien qu’il y a un problème ! Dire que tout sera prêt relève pour nous de la méthode Coué.
Mme Laurence Harribey. Ces divergences fondent nos propositions d’amendements, qui reposent sur trois points de vigilance.
Le premier est le report de l’entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs. Mme la rapporteure a fait des propositions à cet égard.
Le deuxième point de vigilance concerne la question de la responsabilité atténuée en fonction de l’âge, notamment le caractère irréfragable de l’irresponsabilité pénale des mineurs de moins de 13 ans. Nous considérons que seule une présomption irréfragable aurait permis de répondre aux engagements internationaux de la France et d’assurer aux mineurs en conflit avec la loi une égalité de traitement. Cette question est liée à celle de la définition du discernement, qui ne nous semble pas satisfaisante dans le texte. En l’occurrence, monsieur le garde des sceaux, nous vous rejoignons, puisque nous avons présenté un amendement qui va dans le même sens que vos propositions.
Le troisième point de vigilance est lié à la question de l’audience unique pour les réitérants, qui, pour nous, reste problématique, car elle tend à se confondre avec une comparution immédiate. Cela porte atteinte à la fois au principe de spécialisation des juridictions et à celui de la primauté de l’éducatif.
Les divergences sont donc non pas sur les attendus, mais bien sur la situation actuelle de la justice des mineurs et sur ce qui risque de se passer.
Pour conclure, je dirai que l’on peut regretter que cette réforme ne soit essentiellement que procédurale et concentrée sur le volet pénal. Il est permis de se demander en quoi cette réforme s’attaque plus qu’hier aux carences éducatives que l’on prétend combattre. Une piste n’a malheureusement pas été suivie : la déjudiciarisation de nombre de procédures au profit de systèmes civils construits pour distraire du judiciaire les infractions se rapprochant des incivilités. Je pourrais également évoquer les autorités politiques locales, qui jouent un rôle particulier dans la réinsertion et dans la prise en compte de la délinquance des mineurs. Un code de l’enfance incluant les dispositions civiles et pénales aurait ainsi permis de mieux prendre en compte la volonté, si toutefois elle existe toujours, de considérer le mineur en conflit avec la loi comme un enfant à protéger.
Vous l’aurez compris, notre position sur ce texte est, pour l’instant, relativement distante. C’est pourquoi nous avons déposé des amendements : nous espérons que la rédaction du projet de loi pourra évoluer. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’ordonnance de 1945 sur la justice pénale applicable aux mineurs a fait l’objet de près de quarante modifications au cours de son histoire. Au fondement du droit pénal spécifique aux mineurs se trouve l’idée centrale de discernement, de même que l’importance de travailler à remettre le mineur dans le droit chemin.
Malgré les nombreuses modifications que j’ai évoquées, un principe a toujours guidé la réponse pénale que notre pays applique aux mineurs délinquants : favoriser les mesures éducatives lorsqu’il est possible d’éviter le recours à des mesures répressives. Il me semble que nous nous retrouvons tous autour de cette philosophie, centrée sur la nécessité d’assurer l’insertion ou la réinsertion de ces jeunes.
La réforme que nous examinons aujourd’hui est nécessaire. Nous aurions néanmoins souhaité qu’elle soit menée dans un contexte plus apaisé. Le recours à une ordonnance, qui plus est en procédure accélérée, contraint légèrement le débat parlementaire. Cette réforme doit néanmoins se faire, non seulement pour permettre à la France de respecter ses engagements internationaux, mais aussi pour rendre cette justice plus efficace et plus juste.
Notre groupe soutient l’extension de la spécialisation des juridictions pour mineurs. Ces derniers ne sont pas des justiciables comme les autres, et les magistrats en charge doivent donc avoir une connaissance fine et spécifique de ces affaires. La commission des lois a encore accru cette spécialisation en renforçant la compétence du juge des enfants.
Cette spécialisation ne dispense pas du respect des conditions du procès équitable. Nous nous réjouissons que la phase de mise en examen soit supprimée et que la procédure satisfasse maintenant pleinement au principe d’impartialité. C’était indispensable.
Nous nous félicitons aussi que les mineurs entendus dans le cadre de l’audition libre soient désormais accompagnés d’un avocat, comme c’est le cas pour les majeurs.
Les mineurs doivent bénéficier d’une protection renforcée. C’est pourquoi nous soutenons également l’interdiction de principe du recours à la visioconférence pour les audiences concernant leur détention provisoire.
En plus d’une justice équitable, les mineurs ont besoin d’une justice rapide. C’est un point crucial pour l’ensemble des justiciables français, mais il l’est encore plus pour nos jeunes. Nous saluons donc l’objectif de réduction des délais de la justice pénale des mineurs. Il est important que le jugement d’un mineur puisse intervenir rapidement et, si possible, évidemment, avant sa majorité.
Au-delà de l’amélioration de la célérité de la procédure, nous saluons aussi sa simplification. La décomposition en quatre modules de la mesure éducative judiciaire provisoire apporte une utile clarté et permet de prononcer la mesure la plus adaptée possible à la personnalité du mineur.
Se pose néanmoins la question de l’entrée en vigueur de cette réforme nécessaire et attendue. Suivant l’excellent travail de notre rapporteur Agnès Canayer, la commission des lois a reporté la date de son application du 31 mars au 30 septembre 2021. L’objectif de ce report est de permettre aux services de finaliser les préparatifs en vue d’une application de la réforme dans les meilleures conditions possible.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, notre groupe Les Indépendants soutiendra l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, songeons un instant à cette phrase écrite dans le préambule de l’ordonnance du 2 février 1945 : « La France n’est pas assez riche de ses enfants pour en négliger un seul. » Gardons-la à l’esprit alors que nous débattons aujourd’hui de ce projet de réforme. À la lecture de ces mots, il est difficile de douter de la philosophie initiale, claire, qui présidait au texte fondateur de la justice pénale des mineurs.
Au-delà de la sanction, cette justice spécifique vient protéger les mineurs d’eux-mêmes, de leur immaturité et de leur méconnaissance des nombreux pièges et embûches de nos sociétés modernes, des maux contre lesquels leur jeune âge ne les prémunit pas toujours, mais auxquels il tend au contraire plutôt à les exposer.
Il s’agit aussi d’une justice bâtisseuse et non punitive, qui, parce qu’elle prend en charge des personnes naturellement en pleine construction, repose sur le principe fondateur de la primauté de l’éducatif sur le répressif.
Ce projet de réforme par ordonnance, quarantième modification législative en la matière, a été engagé par le Gouvernement en mars 2019. Il se donnait pour objectif de construire « une justice pénale des mineurs plus lisible et efficace ». Cet objectif n’est apparemment pas atteint.
Les syndicats de magistrats et les chefs de juridiction vous avaient alerté, monsieur le garde des sceaux : le délai prévu avant l’entrée en vigueur de la loi, fin mars au mieux, était bien trop court pour permettre la mise en place de la réforme dans de bonnes conditions. Vous vous êtes prononcé en faveur du report du délai d’application au 30 septembre 2021, introduit par la commission des lois. Dont acte !
Ce projet de loi met non seulement l’accent sur le répressif, mais il s’engouffre aussi dans le rapprochement problématique entre la justice des mineurs et celle des majeurs. À cet égard, certaines dispositions nous interpellent.
Nous demandons la suppression de l’article L. 121-7 du code de la justice pénale des mineurs, qui prévoit une exception à l’excuse de minorité, ainsi que celle de l’article L. 413-1, qui prévoit la retenue par un officier de police judiciaire, pour une durée allant jusqu’à douze heures, d’un mineur âgé de 10 à 13 ans.
Le texte gouvernemental ne prévoit qu’une présomption simple, à savoir que le juge des enfants pourra, à l’issue d’un débat contradictoire, déclarer un mineur de moins de 13 ans responsable s’il a fait preuve de discernement au moment des faits. C’est inacceptable, juridiquement et moralement.
Nous proposons que la présomption d’irresponsabilité s’appliquant à ces enfants soit irréfragable et que le seuil de 14 ans, déjà appliqué dans plusieurs pays européens, soit retenu en France. Ajoutons que la convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU prévoit un seuil d’irresponsabilité pénale, qui n’a jamais été mis en place en France.
Enfin, nous refusons l’application du principe de la surveillance électronique, ou bracelet électronique, au mineur.
Plutôt que d’être coercitive, la justice des mineurs a surtout besoin de moyens.
Ce texte est loin de nous satisfaire. Nous tenterons de l’amender, espérant qu’une bonne réforme de la justice pénale des mineurs soit encore possible. Si nous n’y parvenons pas, nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’exposé des motifs de l’ordonnance du 2 février 1945, à laquelle se substitue le code dont nous examinons le projet aujourd’hui, énonçait que « la question de l’enfance coupable est l’une des plus urgentes de l’époque ». Bien sûr, ces mots sont l’expression d’un contexte particulier, que nous avons encore tous à l’esprit. Il me semble toutefois qu’ils conservent leur plein sens aujourd’hui.
À leur lecture m’arrive avec gravité l’image de mon département, marqué depuis plusieurs mois par des attaques de groupes de jeunes armés. Mayotte a de nouveau été ébranlée ce week-end par le meurtre de trois personnes, dont deux enfants âgés de 14 et 16 ans, paroxysme d’affrontements tristement répétés qui concernent des mineurs et qui ne cessent de rappeler l’impérieuse nécessité d’une célérité de la réponse pénale, laquelle motive également la création du présent code.
L’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945 affirmait également la gravité des problèmes relatifs à « l’enfance traduite en justice ». Je crois que cette formule donne bien à voir le cœur des débats qui nous réunissent aujourd’hui. Elle peut tout autant renvoyer, dans son sens littéral, à une justice qui s’adapte à l’enfant justiciable en se spécialisant qu’au relèvement et à l’évolution possible de l’enfant dans et par la procédure judiciaire. Cette formule condense bien, finalement, les principaux axes de la réforme, fruit de plus de dix années de travaux et de concertations.
La réaffirmation des grands principes de la justice pénale des mineurs, énoncés en 1945 et consacrés par le Conseil constitutionnel, nous semble bienvenue. Fragilisés par près de quarante réformes successives, qui ont rendu la législation peu lisible, ces principes sont déclinés au sein d’un article et d’un titre préliminaires.
Afin de se conformer aux engagements internationaux, le code introduit en outre utilement une présomption simple de non-discernement au-dessous de 13 ans. Cette disposition permettra que le débat sur le discernement du mineur puisse se tenir effectivement.
Je pense également à la simplification de la procédure par la suppression de la phase d’instruction préalable par le juge des enfants, qui n’était pas limitée dans le temps.
La nouvelle procédure de mise à l’épreuve éducative, au terme de laquelle la césure du procès deviendra le principe, permettra d’accélérer la réponse pénale, dont la durée moyenne – dix-huit mois – est actuellement trop longue. Elle permettra également de renforcer le « sens » de cette réponse pour tous les acteurs en présence. Ce terme, marqueur important de la réforme, n’est pas un vain mot ni une incantation teintée d’idéalisme ou de laxisme. Il constitue au contraire le vecteur des perspectives de réinsertion du mineur, qui saisira mieux la portée de mesures éducatives fondées sur une déclaration de culpabilité et intervenant avant le prononcé d’une sanction. De son côté, la victime sera désormais convoquée dès la première audience, pour qu’il soit statué plus rapidement sur son indemnisation.
Je pense enfin à l’encadrement du recours à la détention provisoire du mineur et à la rationalisation des mesures éducatives, rassemblées en une mesure éducative judiciaire unique qui pourra être prononcée aux différents stades de la procédure.
Ces deux apports marquent bien la nécessité de la réponse pénale et du relèvement éducatif du mineur, qui constituent un défi pour l’ensemble de notre société.
Madame la rapporteure, je veux saluer votre travail et votre approche de ce texte.
Sur le fond, vos propositions s’inscrivent pleinement dans l’esprit précité et prolongent les travaux entrepris depuis la commission Varinard jusqu’à l’ordonnance présentée le 11 septembre 2019 par Mme Nicole Belloubet.
Vous avez ainsi maintenu la majorité des apports de l’Assemblée nationale, tels que la référence à l’intérêt du mineur dans l’article préliminaire, le renforcement des garanties dans le cadre de l’audition libre, l’interdiction du recours à la visioconférence pour statuer sur le placement en détention provisoire ou encore la simplification du cumul des mesures éducatives et des peines pour garantir leur adaptation. Certaines de ces modifications bienvenues sont également portées par M. le garde des sceaux, ce que je veux également saluer.
Vous avez en outre enrichi le texte, en précisant notamment qu’une date de mise en place des mesures éducatives devrait être communiquée à l’issue de l’audience de culpabilité, ou encore en proposant une définition de la notion de discernement.
Bien sûr, certains points de discussion demeurent. Je pense notamment à la compétence du tribunal de police pour les contraventions des quatre premières classes ou à celle du juge des libertés et de la détention pour le placement en détention provisoire avant l’audience de culpabilité.
Ces discussions vont se poursuivre ce soir, mais force est de constater que les principaux apports de la réforme, qui ont été largement approuvés par l’autre chambre, sont bien présents dans le texte que nous examinons. Le groupe RDPI, saluant à nouveau l’approche retenue et espérant vivement qu’un accord sera trouvé entre les deux assemblées sur cette réforme attendue, votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaite pour commencer apporter tout le soutien du groupe du RDSE à notre collègue Annick Billon, qui a fait l’objet ces derniers jours d’un traitement absolument injustifié et injustifiable dans les médias et sur les réseaux sociaux. (Applaudissements.) Le texte dont elle est l’auteure marque une avancée juridique incontestable ; nous l’avons tous voté, et les polémiques regrettables ne nous empêcheront pas de poursuivre avec elle notre travail pour la protection des enfants.
La tragédie de la petite Évaëlle, qui avait 10 ans lorsqu’elle a mis fin à ses jours après avoir été harcelée par ses camarades, ou le lynchage du jeune Yuriy, qui nous a tous émus ces derniers jours, résonnent en nous au moment de l’examen de ce projet de loi. Ces actes viennent nous rappeler que l’enfance n’est pas toujours synonyme d’insouciance et que les victimes, même si les coupables sont mineurs, ont droit à une réparation. À cette nécessaire réparation font écho nombre d’interrogations sur le chemin que nous voulons pour nos enfants, les sanctions que nous devons apporter à leurs fautes, mais également la manière d’éviter que certains ne récidivent et ne plongent dans la délinquance.
Ces nombreuses questions auraient mérité que nous en débattions plus longuement et plus largement que dans le cadre permis par la législation par ordonnance.
L’ordonnance du 2 février 1945 a longtemps répondu aux interrogations que je partageais à l’instant. Les principes cardinaux qu’elle pose – spécialisation des juridictions, recours a minima à la privation de liberté, atténuation de responsabilité par rapport aux majeurs – ne sauraient être contestés. Toutefois, au gré des réformes, mais aussi de l’évolution de la société, elle devait être modifiée et clarifiée. À ce titre, l’instauration d’une césure, dont l’objectif est de raccourcir les délais entre le prononcé d’une peine et son application, est bienvenue. Combien d’exemples avons-nous de jeunes sanctionnés après leur majorité ? Au mieux, certains sont déjà sortis de la délinquance ; au pire, ils y ont sombré faute de mesures éducatives prises assez tôt. Pour être efficace, ce système de double audience, l’une d’examen de culpabilité, l’autre de sanction, devra s’accompagner de moyens. J’aurai l’occasion d’y revenir.
Je suis en revanche plus partagée sur l’audience unique. Bien qu’elle soit très encadrée, ma crainte est de voir cette procédure, censée être un outil d’exception, se généraliser. Selon la directrice de la PJJ, ce sont près de 20 % des dossiers qui pourraient être traités en audience unique, ce qui viendrait mettre à mal le principe de spécialisation des juridictions.
Pour en venir à la sanction et à la notion de discernement, la fixation d’un seuil s’apparente toujours à un jeu d’équilibriste, tant un même âge peut recouvrir des réalités et une maturité différentes.
La fixation à 13 ans de l’âge de discernement nous permettra de remplir nos obligations à l’égard de la convention internationale des droits de l’enfant. Le fait que les présomptions de discernement comme de non-discernement ne soient pas irréfragables permet d’éviter les effets de seuil et laisse toute latitude au juge de les renverser si la situation l’exige.
S’agissant des sanctions prévues par ce code de la justice pénale des mineurs, je regrette que l’accent soit davantage mis sur la privation de liberté que sur les mesures éducatives. Les centres éducatifs fermés sont une solution, mais ils ne peuvent être l’alpha et l’oméga de la réponse juridique que nous apportons à nos jeunes délinquants. Si beaucoup d’entre eux sont très mobilisés sur les mesures éducatives, ce n’est pas le cas partout, monsieur le garde des sceaux, et il nous faut garder à l’esprit le principe du recours a minima à la privation de liberté.
Pour conclure, je dirai que l’on peut écrire de bonnes lois, mais, si la pratique est défaillante, l’effort sera vain. C’est pourquoi nous sommes favorables à un report de l’entrée en vigueur de ce texte au 30 septembre 2021, comme le propose Mme la rapporteure, ce qui semble beaucoup plus réaliste.
Pour que ce texte soit bien appliqué, il faudra inévitablement davantage de greffiers, de magistrats et, donc, davantage de moyens pour la justice de notre pays. La récente hausse de 8 % du budget global semble aller en ce sens. Toutefois, en ma qualité de rapporteure pour avis du budget de la PJJ, je rappellerai que les budgets consacrés à la formation y sont en baisse, ce qui suscite des interrogations sur la mise en place de la réforme.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, malgré toutes ces réserves, la majorité du groupe du RDSE votera ce texte, tout en gardant un œil très attentif sur sa mise en œuvre à l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en reprenant le texte original de l’ordonnance de 1945 pour préparer cette intervention, je lisais, dans le rapport de présentation signé du général de Gaulle, la phrase suivante : « La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’on en perde un seul. » Il est bon de garder cette inspiration des auteurs de l’ordonnance de 1945 dans une période si difficile.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Philippe Bas. La situation de la délinquance des mineurs reste inquiétante. En 2018, on a dénombré 9 200 condamnations pour agression, dont 110 homicides ou blessures involontaires, 200 viols, 6 400 coups et violences volontaires. On a enregistré par ailleurs 23 000 condamnations pour atteintes aux biens et 5 600 condamnations pour trafic de stupéfiants.
La part des mineurs dans la délinquance semble pourtant avoir diminué au cours des vingt dernières années, passant de 22 % à 18 % des mis en cause. Elle demeure toutefois à un niveau beaucoup trop élevé, comme les chiffres que je viens de citer en attestent.
Les principes de l’ordonnance de 1945, notamment la primauté de l’éducation sur la répression, demeurent pertinents. Mais la pratique de la justice des mineurs révèle des dysfonctionnements importants ; elle n’est pas à la hauteur des ambitions de 1945.
Certes, au fil des années, de nouveaux outils ont fait la preuve de leur efficacité. C’est le cas par exemple des centres éducatifs fermés, créés par le Président Jacques Chirac et son garde des sceaux de l’époque, Dominique Perben, qui sont un réel succès : seuls 10 % des mineurs qui y sont affectés sont finalement incarcérés, ce qui veut dire que 90 % des autres sont remis, cahin-caha, sur un meilleur chemin.
Cependant, l’insuffisance des places d’accueil est réelle. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a prévu l’ouverture de vingt centres, la Chancellerie a engagé un travail important pour permettre leur construction… Malheureusement, seuls quatre d’entre eux ouvriront d’ici à la fin du quinquennat.
Les travaux d’intérêt général sont également un instrument qui n’existait pas en 1945. Ils ont été introduits dans notre droit en 1983, se sont développés seulement au cours des années 1990 et ont été réformés en 2014. Ils n’apportent toutefois pas les résultats escomptés.
En 2019, 4 300 travaux d’intérêt général ont été prononcés, mais 3 200 seulement ont fait l’objet d’un suivi par la protection judiciaire de la jeunesse. Actuellement, un jeune doit attendre treize mois lorsqu’il est orienté vers un travail d’intérêt général. C’est beaucoup trop long !
M. Philippe Bas. Tous gouvernements confondus, nous ne nous sommes pas donné jusqu’à présent les moyens de nos ambitions.
Les jugements sont tardifs en cas de poursuites. Savez-vous, mes chers collègues, qu’il faut en moyenne dix-neuf mois pour qu’une condamnation soit prononcée ? Comme les mineurs délinquants ont souvent entre 16 et 18 ans, il arrive fréquemment que les condamnations soient prononcées quand les auteurs sont devenus majeurs.
Certains sont sortis de la délinquance depuis longtemps quand ils doivent purger leur peine, d’autres au contraire ont eu le temps de commettre de nombreuses récidives sans avoir été arrêtés par la moindre sanction, les derniers enfin font l’école de la délinquance dans des détentions provisoires qui portent mal leur nom, puisqu’elles deviennent interminables. Ces détentions provisoires ont augmenté de 40 % entre 2015 et 2019, ce qui donne une idée de la gravité de la situation et du scandale de la situation de la justice des mineurs dans la période actuelle.
Révisée trente-neuf fois, l’ordonnance de 1945 est par ailleurs devenue inaccessible aux magistrats et aux avocats – sauf aux meilleurs d’entre eux, monsieur le garde des sceaux, bien entendu (Sourires.) –, et encore plus aux délinquants et à leurs victimes. Cette situation ne pouvait pas s’éterniser. C’est pourquoi une réforme était devenue indispensable.
Convenons tout d’abord, mes chers collègues, que notre valeur ajoutée en matière de codification n’est pas aussi grande que nous pourrions l’espérer. Il faut le reconnaître : le travail de codification est tout destiné aux ordonnances. Si nous nous sommes opposés à celles-ci, c’est parce que, au-delà de la nécessaire codification, nous avions à réformer le régime de la justice des mineurs, ce qu’a fait d’ailleurs l’ordonnance qui nous est soumise.
Cette réforme des règles de la justice des mineurs est, me semble-t-il, présentée à la représentation nationale dans le respect des principes de 1945 et avec des innovations que nous pourrons approuver moyennant l’adoption des amendements qui ont été approuvés par la commission des lois, sur la proposition de notre excellente rapporteure. Ce sont des choix politiques essentiels, que l’on peut approuver ou rejeter, mais dont la représentation nationale doit délibérer. C’est pourquoi nous étions opposés à l’habilitation.
Nous sommes d’accord avec le principe de la césure, qui permettra d’avoir un jugement sur la culpabilité dans le respect – je l’espère – du délai de trois mois inscrit dans le texte.
Nous sommes d’accord sur la mise à l’épreuve éducative dans un délai de six à neuf mois et sur le fait que le jugement de sanction, quand il est nécessaire, intervienne au plus tard neuf mois après le début de la procédure.
Nous sommes d’accord avec la simplification des sanctions autour de l’insertion, de la réparation, de la santé du mineur et, en dernier recours, du placement.
Nous sommes d’accord avec la simplification de l’organisation, renforçant le rôle du juge des enfants.
Nous ne pouvons également qu’être d’accord avec la prévention de la détention provisoire, qui ne doit être décidée qu’en cas de violations répétées ou d’une particulière gravité des obligations mises à la charge du mineur.
Notre commission des lois a cependant souhaité trois types d’améliorations, qui ont été parfaitement présentées par notre rapporteure : la précision de la notion de discernement du mineur, qui ne se réduit pas à la constatation de son âge ; la spécialisation des acteurs, en renforçant encore le rôle du juge des enfants – c’est à lui, et à nul autre, de prononcer la détention provisoire avant l’audience de culpabilité – ; la prolongation du délai, car nous considérons, monsieur le garde des sceaux, que vous aurez trop de mal à tenir le délai que vous vous êtes vous-même assigné.
La commission des lois vous a proposé d’allonger le délai, et je constate que vous êtes d’accord sur le principe de prendre un peu plus de temps. En effet, dans la période que nous venons de vivre, de nombreuses instances n’ont pas été traitées. Par ailleurs, vous avez des problèmes matériels, de procédures et informatiques, à résoudre. Je vois bien qu’un effort est fait pour recruter des magistrats, des greffiers, des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, mais tout cela ne peut pas donner son plein effet en quelques semaines. Si la réforme est mise en œuvre alors que les conditions matérielles de son application ne sont pas réunies, elle risque fort d’échouer. C’est la raison pour laquelle notre commission a insisté sur la nécessité de se donner un peu de marge.
Voilà, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce que je souhaitais vous dire en apportant le soutien de mon groupe au travail accompli par la commission des lois pour améliorer une réforme dont les principes nous paraissent conformes à ce que nous pouvons attendre de la justice des mineurs. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs
Article 1er
(Non modifié)
L’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs est ratifiée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. L’article L. 311-2 du nouveau code de la justice pénale des mineurs prévoit l’accompagnement des mineurs aux auditions et interrogatoires. Ceux-ci doivent toujours être accompagnés par un adulte au cours d’une procédure afin de leur permettre de recevoir toutes les informations nécessaires sur les décisions les concernant. Lorsque le mineur ne peut être accompagné par ses représentants légaux, ce qui est en grande majorité le cas pour les mineurs isolés étrangers, le procureur de la République ou le juge des enfants devrait désigner un adulte approprié afin d’assister l’enfant dans ses nombreuses auditions.
Je souhaiterais, mes chers collègues, appeler votre attention sur les difficultés que rencontrent les magistrats pour désigner cet adulte approprié. Ni les administrateurs ad hoc, ni les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, ni les avocats n’acceptent de tenir ce rôle, qui ne leur paraît pas compatible avec leurs fonctions. Les mineurs se retrouvent ainsi privés du droit d’être accompagnés, et rassurés, par un adulte lors des audiences.
Aujourd’hui stigmatisés, les mineurs isolés ont subi pendant leur parcours migratoire de nombreux traumatismes et sont très souvent les victimes de réseaux et du trafic d’êtres humains. Ils devraient, à ce titre, être davantage protégés. Une clarification sur la qualité de l’adulte approprié nous semble donc nécessaire dans le nouveau code, afin de préserver l’accès de ces mineurs à leurs droits. Cette demande va dans le sens du rapport du député Jean Terlier sur la ratification de l’ordonnance sur la justice des mineurs.
Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Nous ne sommes pas favorables au recours aux ordonnances, à plus forte raison sur un sujet de cette ampleur. Cela prive le Parlement d’un véritable débat de fond sur un pan essentiel de notre droit, celui qui sera applicable demain aux mineurs de notre pays. Nous avons eu en outre toutes les difficultés, ici comme à l’Assemblée nationale, à dégager des parties de l’ordonnance pour les amender.
Nous ne sommes pas les seuls à être privés de ce débat puisque, comme je l’ai dit dans la discussion générale, l’ensemble des professionnels de la justice des mineurs en ont, eux aussi, été privés. Ces derniers le rappelaient dans une tribune au Monde en décembre dernier : l’enjeu était non pas de modifier la loi, mais plutôt de la faire appliquer.
Le recours à l’ordonnance permet de prendre des décisions rapidement, mais, je le répète, cela nous prive d’un débat. Certes, j’entends vos arguments, monsieur le garde des sceaux – vous les aviez déjà avancés lors de votre audition et vous les avez repris dans votre intervention liminaire – : cela fait maintenant plusieurs années que le texte est en débat. Mais entre un texte attendu de tous qui ne fait pas l’objet d’un débat et un texte qui ferait l’objet d’une réelle concertation pour engager véritablement la réforme de l’ordonnance de 1945, qui nécessitait d’être retravaillée, il y a un large fossé ! C’est ce que nous dénonçons ce soir.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Ainsi que je l’ai dit précédemment, nous regrettons comme vous, madame Cukierman, d’avoir à travailler sur un code de la justice pénale des mineurs et non pas sur un code de l’enfance. Comme vous également, nous regrettons que ce soit une loi de ratification qui nous soit soumise ce soir, car cela veut dire que le travail parlementaire a été court-circuité.
Maintenant la loi de ratification est là. Nous pourrions certes défendre une position jusqu’au-boutiste et nous y opposer, mais, au fond, nous pensons vraiment, comme nous l’avons dit, que ce projet de loi est un bon texte. Les avancées qu’il contient permettront à la justice pénale de répondre plus vite à la problématique des mineurs délinquants, qui, aujourd’hui, faute de réponse rapide, sont entraînés dans une spirale de la délinquance.
Je le répète, nous pensons que c’est un bon texte et que, grâce aux améliorations apportées par le débat parlementaire, ce projet de loi peut devenir un très bon texte. C’est la raison pour laquelle notre avis est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je me suis déjà longuement expliqué sur ce point. Sans surprise, le Gouvernement est défavorable à l’amendement que vous avez présenté, madame la sénatrice.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour explication de vote.
Mme Laurence Harribey. Nous ne voterons pas cet amendement, parce que nous pensons que le débat est nécessaire. Cela ne signifie pas que, pour nous, ce soit un bon ou un très bon texte, au contraire ! Nous estimons que le débat peut apporter un certain nombre de clarifications.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article préliminaire du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Un enfant ou un adolescent s’entend de tout être humain, âgé de moins de dix-huit ans. »
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Au-delà de la symbolique – cet amendement fait également suite à votre réponse à l’Assemblée nationale, monsieur le garde des sceaux –, nous voulons choisir le terme le plus adapté. Nous préférons donc celui d’enfant à celui de mineur.
Nous ne souhaitons pas tout réécrire, mais rappeler, par notre définition, qu’une personne de moins de 18 ans est un enfant à part entière. Nous pensons que le choix des mots est important : un mineur n’est pas une sorte de mini-majeur, mais d’abord un enfant auquel sont attachés des droits particuliers et qui doit donc faire l’objet d’une protection particulière. C’est d’ailleurs le sens de nombreux textes fondateurs qui consacrent les droits de l’enfant.
Tout enfant en conflit avec la loi est un enfant en danger. La justice pénale des mineurs ne devrait être considérée que comme une modalité de la protection de l’enfance. Tel est le sens de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous adhérons à l’idée que la justice pénale des mineurs doit être une justice humaine. Néanmoins, la notion de minorité, et en creux celle de la majorité à l’âge de 18 ans, est clairement définie à l’article 388 du code civil. Ajouter une définition différente viendrait complexifier les choses et serait redondant. Nous demandons donc le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice, nous écrivons la loi. Nous savons ce qu’est un mineur ; en revanche, il n’y a pas de définition précise, juridique, des termes « enfant » et « adolescent ». Vous préférez ces deux derniers termes ; quant à nous, nous préférons celui de « mineur », qui est plus clair. L’avis est défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er bis A (nouveau)
À la fin de l’article 9 de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs, la date : « 31 mars 2021 » est remplacée par la date : « 30 septembre 2021 ».
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 5 est présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 49 est présenté par M. Sueur, Mme Harribey, M. Bourgi, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Antiste et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Remplacer la date :
30 septembre 2021
par la date :
31 mars 2022
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 5.
Mme Cécile Cukierman. Je ne vais pas allonger le débat, car j’ai déjà évoqué la question du délai dans la discussion générale.
Monsieur le garde des sceaux, les parlementaires ne sont pas les seuls à vous le dire : l’ensemble du système judiciaire – vous le savez mieux que nous – se dit aujourd’hui dans l’incapacité de mettre en œuvre concrètement la réforme le 31 mars prochain. Mme la rapporteure a proposé de la reporter de six mois. Nous nous en contenterons comme solution de repli, mais nous pensons qu’un report d’un an ne serait pas de trop, ne serait-ce que pour éviter – parce que nous sommes dans une situation particulière – la superposition d’instructions version « ordonnance de 1945 » et version « texte dont nous débattons ».
Rappelons que l’année 2020 a été marquée par l’engorgement de nombreuses juridictions, en raison notamment d’un début de l’année ralenti par la mobilisation d’un nombre non négligeable d’avocats dénonçant la réforme des retraites, puis par le confinement et les conséquences de la crise sanitaire que nous traversons. Nous pensons donc qu’un délai d’un an permettrait a minima un premier désengorgement, avant un retour à la normale, même si toute réforme doit être mise en œuvre à une certaine date et qu’il existe toujours un temps de chevauchement entre un ancien système et un nouveau système.
Pour une plus grande clarté de la justice des mineurs qui sera rendue demain, nous estimons nécessaire – j’y insiste – de prévoir un délai supplémentaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 49.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est parce que nous voulons que la réforme réussisse, même si nous avons des critiques, parfois lourdes, sur le texte qui nous est présenté, que nous demandons, comme l’a fait Mme Cukierman, que l’application du texte soit reportée d’un an.
Mme Maryse Carrère, que nous avons écoutée avec attention précédemment, écrivait dans son avis relatif à la protection judiciaire de la jeunesse, établi au nom de la commission des lois, sur la loi de finances pour 2021 : « La commission des lois avait constaté […] que tant les juridictions pour mineurs que les services de la protection judiciaire de la jeunesse ne seraient pas prêts à mettre en œuvre la réforme à la date initialement prévue. Les développements informatiques ont également pris du retard, de même que le travail de formation des personnels qui doit précéder l’application de la réforme. […] Le risque d’une mise en œuvre plus formelle que pratique de la réforme et d’importants temps de transition au cours de l’année 2021 paraît donc réel. » Je cite simplement le rapport de notre collègue, qui a été adopté par l’ensemble de la commission.
J’ajoute, monsieur le garde des sceaux, que nous avons reçu les représentants des magistrats, des avocats, des éducateurs spécialisés, des SPIP et de la PJJ : ils nous disent tous qu’il faut du temps pour mettre en œuvre cette réforme.
Nous voyons ce qui se passe : le recours à l’ordonnance, la procédure accélérée – plus aucun texte, mis à part celui sur la bioéthique, n’a droit à la procédure normale, qui devrait pourtant être en vigueur pour un texte comme celui-là –, la précipitation avec laquelle les textes d’application sont parus avant même le vote du projet de loi… Si nous défendons cet amendement, ce n’est pas du tout contre la réforme : c’est pour que celle-ci soit efficace.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous avons émis des réserves sur une entrée en vigueur de la réforme le 31 mars prochain. C’est pourquoi nous l’avons reportée de six mois. Prévoir un report d’un an ne servirait pas la réforme : au contraire, cela démobiliserait les acteurs, ce qui n’est pas le but. L’avis est donc défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice Cukierman, vous avez essayé de supprimer l’article. N’y étant pas parvenue, vous essayez le dilatoire…
Mme Cécile Cukierman. Pfft !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J’ai déjà dit dans mon discours liminaire que je n’étais pas insensible au délai envisagé par la commission des lois, mais, à la vérité, pour des raisons différentes. Je vais m’expliquer une fois pour toutes sur cette question, ce qui me permettra également de vous répondre, monsieur le sénateur Sueur.
Vous ne pensez tout de même pas que nous avons préparé cette réforme dans le but qu’elle ne fonctionne pas. Accordez-nous au moins cela au nom d’un minimum de cohérence !
Je veux également dire ici que c’est non pas la DACG (direction des affaires criminelles et des grâces) qui porte ce texte, mais la DPJJ, qui est composée de professionnels de la justice pour mineurs impliqués, comme ils le démontrent chaque jour – qu’il me soit permis de leur rendre ici hommage.
Nous avons fait expertiser par les services – l’inspection générale de la justice –, à ma demande, le niveau de préparation des juridictions pour mettre en œuvre cette réforme, dont on peut s’accorder à dire que c’est une bonne réforme. Les services nous ont répondu que dix juridictions connaissaient des fragilités. Nous les avons traitées. Je ne vais pas répéter ici quels moyens humains nous avons déployés pour régler ces questions, mais nous l’avons fait.
J’avais la certitude que cette réforme pourrait entrer en application à la date que nous avions envisagée. Seulement, voilà, la réalité, c’est que le texte a été, comme vous le savez, modifié pour faire intervenir le JLD. J’ai consenti à cela pour des raisons qui tiennent à l’impartialité. Nous avons eu cette discussion devant la Haute Assemblée, et j’y reviendrai le moment venu. Nous nous sommes rendu compte le 15 janvier dernier, et pas avant, qu’il y aurait une difficulté dans les applicatifs, en raison de « l’intrusion » – pardonnez-moi ce terme – du JLD dans la procédure.
J’ai déjà eu l’honneur de le dire à Mme la rapporteure : effectivement, nous faisons une concession en reportant la date, et ce n’est pas, comme vous le dites, madame Cukierman, en raison de l’impréparation des juridictions. M. Sueur a évoqué les représentants des magistrats ; un certain nombre de magistrats m’ont dit qu’ils étaient parfaitement prêts. Je le répète, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse m’a dit la même chose. J’ai tendance à croire mes services !
En revanche, s’agissant de cette difficulté inhérente à l’introduction du JLD dans la procédure, nous nous sommes retrouvés confrontés à une réalité. J’ai dit et redit dans mon discours que nous étions d’accord pour un report, mais pour un report qui ne nous amène pas aux calendes grecques. Il faut que la réforme prenne corps et qu’elle soit applicable.
Nous sommes en train de régler la question du JLD, et je retiens la date qui a été proposée comme tout à fait réaliste. Voilà pour quelles raisons je suis totalement défavorable aux deux amendements qui ont été présentés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le garde des sceaux, nous allons passer au minimum deux soirées à débattre de ce projet de loi. Pour éviter une certaine méconnaissance l’un de l’autre, je préfère tout de suite vous prévenir : je ne suis pas marchande de tapis, mais sénatrice. Je ne cherche pas à faire passer un amendement à un article parce que je n’aurais pas eu satisfaction à l’article précédent. J’ai un engagement politique et je suis constante – c’est cela la démocratie !
Je l’ai déjà dit, notre groupe est opposé, pas plus sur votre texte que sur un autre, au recours aux ordonnances, qui est de plus en plus systématique, non seulement par votre gouvernement, mais aussi par tous les gouvernements successifs, d’où notre amendement de suppression de l’article 1er.
Si nous proposons, avec l’amendement n° 5, un report de la réforme, ce n’est pas parce que nous n’avons pas eu satisfaction précédemment. Être élu, c’est représenter. Quand un projet de loi comme celui dont nous discutons aujourd’hui arrive avec toute l’ambition qui lui est donnée, les uns et les autres, nous auditionnons, rencontrons, échangeons, téléphonons, recevons des courriers… Pour défendre nos projets de société, qui ne sont pas les mêmes que les vôtres – il en va ainsi en démocratie –, nous nous appuyons sur tel ou tel organisme, collectif d’associations, groupement professionnel, organisation syndicale, etc. Nous ne nous appuyons évidemment pas toutes et tous sur les mêmes.
Vous savez tout aussi bien que moi, et même mieux, qu’il y a aujourd’hui un débat chez un certain nombre de professionnels de la justice quant à la faisabilité de l’application de la réforme. Par ailleurs, nous savons – en tant que parlementaires, nous n’avons pas découvert la problématique de la justice ce matin – qu’il y a des retards, notamment dans le domaine informatique, et des engorgements. Je ne jette la pierre à personne, l’année 2020 a été ce qu’elle a été. Il y a eu aussi, pendant des années, des retards en termes de personnels et de moyens, ce qui a alourdi les procédures, qui prennent aujourd’hui plus de temps que nécessaire.
Je le redis, si nous avons déposé cet amendement, ce n’est pas parce que nous n’avons pas eu satisfaction sur le précédent. Même si vous refusez celui-ci, nous en avons encore une vingtaine dont nous débattrons pour continuer le débat, car le texte le mérite.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 et 49.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er bis A.
(L’article 1er bis A est adopté.)
Article 1er bis
(Non modifié)
À l’article préliminaire du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, après le mot : « compte », sont insérés les mots : « , dans leur intérêt supérieur, ». – (Adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er bis
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 24 rectifié, présenté par Mme Harribey, MM. Sueur et Durain, Mme de La Gontrie, MM. Kanner, Bourgi, Marie, Leconte, Kerrouche, Antiste et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article préliminaire du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, les mots : « rechercher leur relèvement éducatif et moral » sont remplacés par les mots : « garantir le droit à l’éducation ».
La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Le principe fondamental de l’ordonnance de 1945 – la primauté de l’éducatif – est réaffirmé dans ce texte. Reste qu’il est surprenant d’y maintenir l’expression « rechercher leur relèvement éducatif et moral ».
On fait le reproche à l’ordonnance de 1945 d’être quelque peu obsolète – le mot « admonestation », par exemple, a été remplacé par « avertissement solennel ». Or le terme « relèvement » renvoie à une conception du redressement qui est, elle aussi, quelque peu obsolète. C’est la raison pour laquelle nous proposons cette modification rédactionnelle.
Mme la présidente. L’amendement n° 63 rectifié, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article préliminaire du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, les mots : « rechercher leur relèvement éducatif et moral par des mesures » sont remplacés par les mots : « recourir prioritairement à des mesures éducatives ».
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Selon des études scientifiques, la délinquance juvénile n’a pas augmenté depuis quinze ans. Pourtant, le nombre d’enfants privés de liberté n’a jamais été aussi élevé en France que depuis ces deux dernières années.
Plutôt que d’être révisée dans un sens plus coercitif, la justice des mineurs mériterait surtout, au-delà de moyens supplémentaires, de revenir à son sens initial : une justice spécifique qui comprend et traite des situations particulières de délinquance juvénile plutôt que de chercher systématiquement à réprimer.
Le présent amendement vise ainsi à consacrer dans l’article préliminaire la primauté du recours aux mesures éducatives. La rédaction actuelle de cet article n’est pas suffisamment explicite à ce sujet. L’ordonnance de 1945 ne doit pas être réformée sans retour à une philosophie bienveillante, comme l’ont affirmé une cinquantaine de spécialistes dans une tribune parue dans Le Monde le 12 février 2019.
Voilà pourquoi il nous paraît primordial que la primauté des mesures éducatives soit inscrite dans cet article préliminaire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. On pourrait penser que la formule « relèvement éducatif et moral » est un peu désuète. Je pense, au contraire, qu’elle est porteuse d’avenir. Le jeune qui est un mineur délinquant a toute la vie devant lui. C’est pourquoi on lui fixe des objectifs : apprendre les règles individuelles et collectives de la vie en société, ce à quoi renvoie cette notion, peut-être ancienne mais toujours utile, de relèvement moral.
« Garantir le droit à l’éducation » me paraît quelque peu réducteur. Certes, la notion de droit à l’éducation est consacrée dans les conventions internationales, mais elle concerne avant tout l’enseignement. L’objectif d’une justice pénale des mineurs et de l’accompagnement éducatif des jeunes est plutôt de leur donner, au-delà de l’éducation, la capacité d’intégration et de respect des règles de la vie en société. J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement n° 24 rectifié.
Avec votre amendement n° 63 rectifié, il me semble, madame Benbassa, que vous confondez les moyens et le but. Le relèvement éducatif et moral, c’est le but, ce vers quoi il faut tendre pour une justice pénale des mineurs adaptée ; les mesures éducatives, ce sont les moyens pour atteindre ce but. L’avis est donc également défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Même avis que ceux exprimés par Mme la rapporteure, pour les mêmes raisons.
« Garantir le droit à l’éducation » est une expression redondante, car ce droit est déjà garanti aux enfants.
On peut considérer que la formule « relèvement éducatif et moral » est un peu obsolète, mais c’est le but des mesures éducatives et parfois des mesures punitives. Quand un gamin est délinquant, cela signifie qu’il y a un certain nombre de failles auxquelles il est de notre devoir de remédier.
Mme la présidente. L’amendement n° 47 rectifié, présenté par M. Sueur, Mme Harribey, M. Bourgi, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Antiste et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le parquet, eu égard aux faits et à la personnalité du jeune, prend les mesures d’assistance éducative qui s’imposent ou s’assure auprès des autorités territoriales qu’un suivi social est mis en place. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise à s’inscrire pleinement dans l’esprit, la lettre et le fond de l’article 40 de la convention internationale des droits de l’enfant, dont la France est signataire, qui déjudiciarise autant que faire se peut les réponses apportées à l’enfant en conflit avec la loi.
On le sait, la convention internationale des droits de l’enfant exige que les États adoptent un seuil d’âge en dessous duquel un enfant ne peut pas être tenu pour délinquant. Jusqu’ici, le droit français ne s’est pas engagé dans cette voie ; de ce fait, on renvoie aux grands principes du droit pénal, selon lesquels, pour que la responsabilité d’un enfant soit engagée, celui-ci doit jouir du discernement au moment des faits, ce qui était habituellement estimé à 7 ou 8 ans ; un enfant de cet âge-là peut donc se voir imputer une infraction.
Selon l’ordonnance du 19 septembre 2019, un enfant ne peut pas, avant 13 ans, être tenu pour délinquant, faute de jouir de son discernement – c’est un changement réel –, mais cette ordonnance ouvre la possibilité, pour le parquet, d’apporter la preuve contraire, sous le contrôle du juge. C’est un point important de désaccord entre nous, par rapport au texte qui nous est proposé.
Cette disposition introduit indéniablement une avancée, puisqu’il reviendra au parquet de tenter d’apporter cette preuve alors que, aujourd’hui, la question n’est qu’exceptionnellement posée ; pour autant, il ne s’agit que d’une présomption relative. Par conséquent, la France ne répond toujours pas aux attentes du comité des experts de l’ONU, non plus qu’aux termes ni à l’esprit de la convention internationale des droits de l’enfant.
Je pense que nous aurons l’occasion de revenir, à la faveur d’autres amendements, sur ce point central pour nous.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La primauté de l’éducatif sur le répressif est un principe fondamental, cardinal, de la justice pénale des mineurs. L’inscrire dans les premiers articles du code serait redondant ; nous n’en voyons donc pas l’utilité.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 25 rectifié, présenté par Mme Harribey, M. Sueur, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner, Bourgi, Marie, Leconte, Kerrouche, Antiste et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article L. 11-2 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, les mots : « relèvement éducatif et moral » sont remplacés par les mots : « garantir le droit à l’éducation ».
La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Dans la mesure où mon amendement précédent n’a pas été adopté, celui-ci n’a plus d’objet. En conséquence, je le retire.
Mme la présidente. L’amendement n° 25 rectifié est retiré.
Article 1er ter A (nouveau)
L’article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Est capable de discernement le mineur dont la maturité lui permet de comprendre l’acte qui lui est reproché et sa portée. »
Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 62 rectifié, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Au début
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le second alinéa de l’article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est ainsi rédigé :
« Les mineurs de moins de quatorze ans ne sont pas responsables pénalement des actes qu’ils ont pu commettre. Ils ne peuvent faire l’objet que de mesures d’assistance éducative. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le présent amendement a pour objet d’instaurer une présomption irréfragable d’irresponsabilité pénale pour les mineurs de moins de 14 ans.
Dans sa rédaction actuelle, le code de la justice pénale des mineurs pose le principe d’une présomption simple de non-discernement pour les enfants de moins de 13 ans, que le magistrat peut facilement écarter. Or, avec une telle rédaction, la France demeure en contradiction avec la convention internationale des droits de l’enfant, qui recommande aux États de fixer un seuil clair d’accessibilité à la sanction pénale. Il convient de tenir compte de la maturité émotionnelle, mentale et intellectuelle de l’enfant, dont la personnalité est en construction.
Ainsi, au travers de cet amendement, nous proposons de retenir le seuil de 14 ans, déjà appliqué dans plusieurs pays européens, comme l’Espagne, l’Allemagne ou l’Italie.
Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Au début
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – La première phrase du second alinéa de l’article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est supprimée.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Cet amendement va dans le même sens.
Nous proposons de remplacer la présomption simple, selon laquelle l’enfant de moins de 13 ans ne dispose pas du discernement suffisant pour voir sa responsabilité pénale engagée, par une présomption irréfragable. Cette disposition répond à une exigence essentielle à nos yeux : le droit pénal des mineurs doit respecter le principe selon lequel chacun a le droit de bénéficier d’un procès équitable.
Pour exercer ce droit, l’enfant doit avoir pleinement la capacité de participer à son procès ; cette compréhension constitue un aspect fondamental du discernement. Cela a d’ailleurs été rappelé, en 2018, par Jacques Toubon, alors Défenseur des droits ; ce dernier expliquait que, « pour que l’enfant bénéficie d’un procès équitable, il doit avoir pleinement la capacité de participer à son procès, il doit comprendre pourquoi il est là, les sanctions pénales susceptibles d’être prononcées contre lui, mais aussi les mécanismes des recours judiciaires ». Or, au-dessous d’un certain âge, un enfant, s’il peut avoir compris et même voulu son acte, peut en revanche difficilement comprendre la procédure pénale dans laquelle il se trouve impliqué.
En outre, l’actuelle Défenseure des droits, Claire Hédon, souligne que la responsabilité pénale continue de reposer sur la notion de discernement sans que celle-ci soit pour autant définie. Cela implique que des enfants de moins de 13 ans pourront toujours faire l’objet d’une procédure pénale. Ainsi, il n’y aura pas de réel changement par rapport au régime applicable aujourd’hui ; des enfants de 7 ou 8 ans pourront encore, comme cela existe actuellement, faire l’objet de poursuites pénales.
Pis – cela est rappelé par de nombreux acteurs –, cette notion de discernement laisse place à une grande diversité de pratiques selon les magistrats et rompt donc le principe d’égalité devant la loi et devant la justice. Bien que Mme la rapporteure ait tenté, en commission, de définir cette notion, celle-ci demeure encore assez floue à nos yeux, alors que son appréhension est centrale pour définir la culpabilité d’un mineur. Les voies de recours contre une telle appréciation ne sont pas précisées.
Mme la présidente. L’amendement n° 50 rectifié, présenté par M. Sueur, Mme Harribey, M. Bourgi, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Antiste et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Au début
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
….- La première phrase du second alinéa de l’article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est ainsi rédigée : « Les mineurs de moins de treize ans ne sont pas responsables pénalement des actes qu’ils ont pu commettre. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. L’amendement que je présente va dans le même sens que les précédents.
Selon la convention internationale des droits de l’enfant, chaque État partie doit fixer « un âge minimum au-dessous duquel » un mineur ne peut être poursuivi pénalement. Or la rédaction actuelle de l’article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs, résultant de l’ordonnance du 11 septembre 2019, ne permet pas de répondre à cette exigence, dans la mesure où, pour les enfants de moins de 13 ans, la présomption d’irresponsabilité pénale est simple et non pas irréfragable.
Le Comité des droits de l’enfant, à Genève, a été très clair à ce sujet ; il s’est exprimé à de nombreuses reprises. Il indique que, pour ces enfants, il ne peut pas y avoir de poursuites pénales, il ne peut y avoir que des mesures éducatives. Or ces mesures, tout le monde en conviendra, ne sont pas purement cosmétiques, elles sont très réelles, très fortes, et l’objectif du texte est de leur donner le primat.
Par ailleurs, prévoir l’irresponsabilité pénale des mineurs de moins de 13 ans ne signifie pas une absence de réponse.
Enfin, pour ce qui concerne les jeunes de plus de 13 ans, la responsabilité pénale doit être présumée mais liée à la capacité de discernement, qu’il appartient au magistrat de déterminer.
Les choses me semblent donc très claires quant à notre point de désaccord sur ce sujet.
Mme la présidente. L’amendement n° 51 rectifié ter, présenté par Mmes V. Boyer, Deroche et Belrhiti, M. Bouchet, Mme Dumont, MM. Cadec et Panunzi, Mme Dumas, M. Bascher, Mme Garnier, M. B. Fournier, Mme F. Gerbaud, M. Klinger, Mme de Cidrac et MM. Belin, Brisson, Bonhomme, Le Rudulier et Boré, est ainsi libellé :
Au début
Insérer deux paragraphes ainsi rédigés :
…. – Le second alinéa de l’article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est ainsi modifié :
1° À la seconde phrase, les mots : « d’au moins treize » sont remplacés par les mots : « de treize à seize » ;
2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Les mineurs de seize à dix-huit ans sont pénalement responsables. »
…. – Au premier alinéa de l’article 122-8 du code pénal, les mots : « capables de discernement » sont remplacés par les mots : « âgés de dix à seize ans capables de discernement et ceux âgés de seize à dix-huit ans ».
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Cet amendement vise à répondre en partie aux difficultés auxquelles nous sommes confrontés, en particulier celles qui sont liées aux mineurs ultraviolents et à ce que le ministre de l’intérieur appelle « l’ensauvagement de la société ». Ces termes ont peut-être été contestés lorsqu’ils ont été prononcés, mais, malheureusement, du fait de l’actualité, ils sont aujourd’hui partagés par tous.
Je veux rappeler une affaire sordide et particulièrement triste : les mineurs qui ont frappé Marin – ce courageux jeune qui était venu au secours d’un couple s’embrassant et qui a été tabassé jusqu’à être handicapé à vie – avaient été interpellés dix-huit fois, si ma mémoire est bonne, monsieur le garde des sceaux.
Cet amendement tend donc à instaurer un âge minimal de responsabilité pénale des mineurs à 16 ans, tout en conservant l’exigence morale du discernement en deçà de cet âge.
L’article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs, relatif à la responsabilité pénale des mineurs, prévoit une présomption de responsabilité pénale à partir de 13 ans et une présomption d’irresponsabilité en deçà, afin de rapprocher le droit français des règles de droit international, notamment de la convention internationale des droits de l’enfant, laquelle exige un « un âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés n’avoir pas la capacité d’enfreindre la loi pénale ».
Ainsi, dans le respect de ces fondamentaux, je vous propose de compléter ce dispositif en rendant responsables les mineurs de 16 à 18 ans, tout en maintenant une présomption de responsabilité pour les mineurs de 13 à 16 ans.
Mme la présidente. L’amendement n° 52 rectifié ter, présenté par Mmes V. Boyer, Deroche et Belrhiti, M. Bouchet, Mme Dumont, MM. Cadec et Panunzi, Mme Dumas, MM. Bascher et B. Fournier, Mme F. Gerbaud, M. Klinger, Mme de Cidrac et MM. Belin, Brisson, Bonhomme, Le Rudulier et Boré, est ainsi libellé :
Au début
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
….- Le second alinéa de l’article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est ainsi modifié :
1° À la seconde phrase, les mots : « d’au moins treize » sont remplacés par les mots : « de treize à seize » ;
2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Les mineurs âgés de seize à dix-huit ans sont capables de discernement et pénalement responsables. »
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Il s’agit d’un amendement de repli.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Ces amendements en discussion commune posent plusieurs questions.
La première est celle de l’âge pivot. J’ai eu l’occasion de le dire dans la discussion générale, il n’y a pas de consensus à ce sujet. Si l’on considère l’ensemble des pays de l’Union européenne, on constate que certains ont choisi 8 ans quand d’autres vont jusqu’à 18 ans. Même parmi ceux que nous avons entendus en audition, l’âge proposé varie.
Dans le droit positif français, l’âge de 13 ans est reconnu, et ce seuil nous paraît bon ; il semble correspondre à l’état de développement des enfants. Nous sommes donc favorables plutôt à l’âge de 13 ans qu’à celui de 14 ans.
En ce qui concerne la présomption irréfragable de non-discernement ou l’irresponsabilité pénale, c’est le même raisonnement. Nous considérons que le dispositif de la présomption simple, tel qu’il figure aujourd’hui dans le texte, permet de faire confiance au juge. Dans le cadre de la justice pénale des mineurs, il nous paraît important que les juges des enfants, qui sont des juges spécialisés et qui connaissent bien – c’est un principe de base – le développement des enfants, puissent adapter la réponse pénale en fonction du développement de l’enfant.
La présomption simple de non-discernement avant 13 ans et de discernement après cet âge permet de faire glisser la réponse pénale en fonction des situations. Il ne faut pas légiférer par rapport à des situations précises, et le droit ne doit pas répondre à telle ou telle situation, mais certaines situations permettent d’expliquer, d’éclairer nos débats. Ainsi, si l’on considère l’affaire de la jeune Évaëlle, on voit bien que les auteurs avaient moins de 13 ans et que la question du discernement se pose très clairement pour eux.
Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable sur les amendements nos 62 rectifié et 6. Elle a également émis un avis défavorable sur l’amendement n° 50 rectifié, qui concerne l’irresponsabilité pénale, car ses effets sont les mêmes que pour la présomption irréfragable de non-discernement.
En ce qui concerne l’amendement n° 51 rectifié ter de Mme Boyer, je ne suis pas sûre que la création de trois seuils simplifierait les choses et apporterait véritablement une solution, notamment pour la responsabilité pleine et entière de 16 à 18 ans, même quand il s’agit d’un groupe important de jeunes mineurs délinquants, souvent enfermés dans cette spirale. Aujourd’hui, le juge peut renverser l’excuse de minorité, et, là encore, je pense qu’il faut lui faire confiance. Ce n’est pas la peine de complexifier les choses en créant des strates supplémentaires.
La commission a donc également émis un avis défavorable sur cet amendement, de même que sur l’amendement de repli n° 52 rectifié ter.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est le même avis.
Tout d’abord, le mineur de 13 ans ne peut pas faire l’objet d’une mesure coercitive. Il faut le rappeler, pour qu’il n’y ait pas de confusion.
Ensuite, nous partons du principe qu’il faut faire confiance au juge des enfants, qui fait face à des gamins de 12 ans ayant davantage de discernement que certains gamins de 14 ans.
Nous souhaitons également qu’il y ait une réponse judiciaire adaptée à l’âge mais encore au discernement du mineur.
Je pense avoir tout dit, et je me joins aux explications de Mme la rapporteure. J’ajoute toutefois que, dans quelques instants, le Gouvernement proposera un amendement visant à mieux définir le discernement, afin de donner un certain nombre d’assurances, car la loi pénale doit être strictement encadrée. Vous le verrez, nous nous servirons de la définition proposée par la Cour de cassation.
Mme Valérie Boyer. Je retire mes amendements, madame la présidente !
Mme la présidente. Les amendements nos 51 rectifié ter et 52 rectifié ter sont retirés.
Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 27, présenté par M. Sueur, Mmes Harribey et de La Gontrie, MM. Durain, Kanner, Bourgi, Leconte, Kerrouche, Marie, Antiste et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Les mineurs sont capables de discernement lorsqu’ils ont voulu et compris l’acte. »
La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Il s’agit de définir le discernement ; j’en ai parlé dans de mon propos lors de la discussion générale.
Selon nous, le mineur est capable de discernement lorsqu’il a voulu et compris l’acte qu’il a commis. Nous reprenons ainsi la jurisprudence de la Cour de cassation, à savoir l’arrêt Laboube de 1956, qui a été confirmé plusieurs fois.
Nous irions même plus loin ; selon nous, les mineurs devraient également être en mesure de comprendre la procédure applicable et ses enjeux.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 71 rectifié est présenté par MM. Mohamed Soilihi, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Richard et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
L’amendement n° 75 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
dont la maturité lui permet de comprendre l’acte qui lui est reproché et sa portée
par les mots :
qui a compris et voulu son acte et qui est apte à comprendre le sens de la procédure pénale dont il fait l’objet
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour présenter l’amendement n° 71 rectifié.
M. Thani Mohamed Soilihi. La rapporteure a utilement introduit dans le texte une définition du discernement ayant vocation à figurer dans le code de la justice pénale des mineurs. Cette définition procède d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation, remontant à 1956. Elle repose sur la compréhension qu’a le mineur de son acte, mais également sur sa volonté de commettre celui-ci. Afin de ne pas affaiblir, dans la définition qui sera inscrite dans la loi, la portée de cette jurisprudence, le présent amendement vise à y intégrer une référence expresse à la volonté du mineur et à sa compréhension de la procédure pénale.
Mon amendement n° 70, qui viendra ultérieurement, est un amendement de repli, que l’on peut considérer comme défendu.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 75.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement présente cet amendement, identique à celui de M. Thani Mohamed Soilihi, de précision sur la notion de discernement ; je l’ai évoqué précédemment.
Nous avons choisi de recopier servilement – les adverbes sont utiles – la définition du discernement donnée par la Cour de cassation – belle référence s’il en est, vous me l’accorderez – dans un vieil arrêt, datant du 13 décembre 1956, et qui a fait consensus depuis lors : le discernement implique que le gamin ait compris et voulu son acte et qu’il soit apte à comprendre le sens de la procédure pénale dont il fait l’objet.
Le dernier volet de la définition est extrêmement important, parce qu’il faut évidemment que la réponse pédagogique apportée par la justice puisse être comprise ; sinon, ça n’a strictement aucun sens et la justice tourne à vide pour elle-même ; ce n’est quand même pas le but…
Voilà la définition du discernement que nous proposons. C’est plus précis que la notion de maturité, par exemple. C’est un mot qu’on a beaucoup utilisé, ici, il y a quelques jours, et sur lequel nous avons déjà disserté.
Le Gouvernement se réfère donc à cette définition, qui fait aujourd’hui référence pour définir le discernement.
Mme la présidente. L’amendement n° 70, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 2
1° Après les mots :
lui permet de
insérer les mots :
vouloir et
2° Supprimer les mots :
et sa portée
Cet amendement a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Vous l’aurez compris, nous sommes tous attentifs à ce qu’il y ait, dans le code de la justice pénale des mineurs, une définition de la notion de discernement, pierre angulaire de la responsabilité pénale du mineur. Celle que nous avons proposée s’articule autour du concept, certes peu juridique – nous en avons bien conscience –, de maturité. En effet, il nous paraissait important que les sanctions prononcées à l’égard des mineurs délinquants prennent véritablement en compte l’état d’évolution et de compréhension des mineurs, notamment de leur aptitude à comprendre.
Vous l’avez dit, monsieur le garde des sceaux, il y a clairement une base – la jurisprudence constante fondée sur l’arrêt de principe Laboube, que tout le monde a cité –, à laquelle il est nécessaire de se référer. Néanmoins, nous sommes aussi très ouverts – c’est l’intérêt des débats parlementaires, qui permet l’enrichissement mutuel – à l’ajout relatif à l’aptitude à comprendre le sens de la procédure. Il nous paraît important que le jeune puisse s’inscrire dans la procédure et puisse en comprendre les enjeux, même si, selon nous, ce n’est pas tant la procédure qu’il doit comprendre que la sanction qui va être prononcée à son encontre. Nous craignons en effet que la notion de procédure soit un peu plus absconse que celle de sanction, qui parlera peut-être plus aux jeunes.
La commission a donc émis un avis défavorable sur l’amendement n° 27, dans lequel manque la précision relative à l’aptitude à comprendre la procédure, et un avis favorable sur les amendements identiques nos 71 rectifié et 75 ; par conséquent, elle a émis un avis défavorable sur l’amendement de repli n° 70.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable aux amendements nos 27 et 70.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour explication de vote.
Mme Laurence Harribey. Je veux bien que l’on s’amuse à émettre des avis favorables ou défavorables à tel ou tel amendement, mais je ne peux pas vous laisser dire, madame la rapporteure, que notre amendement serait incomplet parce qu’il ne comporterait pas la notion de compréhension ; nous avons bien précisé qu’il y a discernement lorsque l’acte est voulu et compris. Vous vous êtes peut-être mal exprimée ; nous voulons bien admettre que notre amendement n’est pas complet et que les amendements nos 71 rectifié et 75 le sont un peu plus, et nous acceptons de les soutenir, mais ne dites pas que le nôtre ne parle pas de compréhension.
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Je me suis peut-être mal exprimée ou vous m’avez mal comprise ; je parlais de l’aptitude à comprendre le sens de la procédure. Les amendements identiques de M. Mohamed Soilihi et du Gouvernement nous semblent plus complets, puisqu’ils intègrent cette aptitude à comprendre la procédure. Le jeune ne doit pas simplement comprendre ce qu’il a fait ; il doit également comprendre ce qu’il encourt et ce qu’il se passe.
Cela nous paraît important et nous semble se rapporter à la notion de maturité. C’est pour cette raison que la commission préfère ces amendements identiques, le vôtre étant une bonne base, puisqu’il reprend la définition jurisprudentielle issue du socle, l’arrêt de principe Laboube.
Mme Laurence Harribey. Je retire mon amendement au profit des deux suivants !
Mme la présidente. L’amendement n° 27 est retiré.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 71 rectifié et 75.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, l’amendement n° 70 n’a plus d’objet.
Je mets aux voix l’article 1er ter A, modifié.
(L’article 1er ter A est adopté.)
Article 1er ter B (nouveau)
Le code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa des articles L. 12-1 et L. 12-2, les mots : « de la cinquième classe » sont supprimés ;
2° Au début du second alinéa de l’article L. 111-2, les mots : « Le tribunal de police » sont remplacés par les mots : « Pour les contraventions de la première à la quatrième classe, le juge des enfants » ;
3° Au premier alinéa de l’article L. 121-3, les mots : « tribunal de police » sont remplacés par les mots : « juge pour enfants » ;
4° Au premier alinéa de l’article L. 121-7, les mots : « tribunal de police » sont remplacés par les mots : « juge des enfants appelé à statuer sur une contravention de la première à la quatrième classe » ;
5° L’article L. 231-2 est ainsi rédigé :
« Art. L. 231-2. – Le juge des enfants connaît des contraventions et des délits commis par les mineurs. » ;
6° L’article L. 231-6 est ainsi rédigé :
« Art. L. 231-6. – La chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel mentionnée à l’article L. 312-6 du code de l’organisation judiciaire connaît des appels formés contre les décisions du juge des enfants et du tribunal pour enfants. » ;
7° Au cinquième alinéa de l’article L. 422-4, les mots : « ou, pour les contraventions des quatre premières classes, par le juge compétent du tribunal de police » sont supprimés ;
8° L’article L. 423-1 est abrogé ;
9° À l’article L. 511-2, les mots : « et le président du tribunal de police » sont supprimés et la première occurrence du signe « , » est remplacée par le mot : « et » ;
10° L’article L. 513-2 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « et le président du tribunal de police » sont supprimés ;
b) Au deuxième alinéa, les mots : « du tribunal de police » sont supprimés ;
11° Au premier alinéa de l’article L. 513-3, les mots : « le tribunal de police ou » sont supprimés ;
12° À l’article L. 531-1, les mots : « du tribunal de police prononcés à l’égard d’un mineur, » sont supprimés ;
13° Au premier alinéa de l’article L. 532-1, les mots : « mentionnées à l’article 545 du code de procédure pénale sont applicables aux jugements du tribunal de police prononcés à l’égard d’un mineur. Celles » sont supprimés et les mots : « même code » sont remplacés par les mots : « code de procédure pénale ».
Mme la présidente. L’amendement n° 74, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il s’agit de rétablir la compétence du tribunal de police pour les contraventions des quatre premières classes s’agissant des mineurs. Je connais la position de la commission des lois et la vôtre, madame la rapporteure. Pourtant, je ne désespère pas de vous convaincre, pour différentes raisons.
Ces contraventions de faible gravité ne nécessitent ni l’intervention d’un magistrat spécialisé ni la mise en place d’un suivi éducatif prolongé. Il s’agit, le plus souvent, de l’absence du port du casque, d’un refus de priorité, de la circulation à scooter dans une voie de bus ou encore d’un défaut d’assurance. Ce n’est pas le signe d’une délinquance naissante ! C’est pourquoi il peut y avoir une rupture entre le tribunal pour enfants et le tribunal de police.
Puisque l’une des préoccupations de la commission est l’engorgement des tribunaux pour enfants, au point que vous demandiez le report de l’application du texte, contrairement à mon avis sur cette question – je suis d’accord avec vous, mais pour d’autres raisons –, je tiens quand même à vous indiquer que les mineurs représentent 2,5 % des personnes jugées devant le tribunal de police. Cela peut paraître peu au regard de la totalité des justiciables, mais considérons le nombre que cela représente : ce sont 5 000 mineurs qui devront être jugés non plus, si le Sénat vous suit, par le tribunal de police mais par les juges des enfants. Il y a alors un risque d’engorgement.
Vous ne pouvez pas, d’un côté, affirmer que les juridictions ne sont pas prêtes et qu’il faut renvoyer l’application à une date ultérieure et, de l’autre, ne pas prendre en considération les 5 000 mineurs qui seraient désormais jugés par le juge des enfants pour les infractions que je viens de rappeler. Il y a là une petite contradiction.
En outre, je le répète, on ne se situe pas sur les premiers barreaux de l’échelle de la délinquance ; il s’agit d’infractions routières ou de cette nature.
Je vous demande donc respectueusement, mais avec insistance, de réfléchir à deux fois avant d’attribuer tout ce contentieux aux juges des enfants qui – pardon de vous le dire – n’en ont pas besoin.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Votre plaidoirie pour le maintien du tribunal de police repose, monsieur le garde des sceaux, sur des arguments qui peuvent être contestés.
Au Sénat, nous tenons à la cohérence en matière de spécialisation des juridictions pour mineurs. Vous nous indiquez que les contraventions des quatre premières classes sont avant tout des contraventions routières. Certes, c’est le gros du contentieux, mais ce n’est pas seulement cela ; il y a aussi les violences volontaires, les injures publiques, les messages injurieux appelant à la violence ou les menaces de violence. On trouve donc, dans ces infractions, les prémices de la montée en puissance d’une délinquance malheureusement probable.
Il nous paraît important que le juge des enfants puisse, le plus tôt possible, dès la plus petite infraction, mettre en place les mesures éducatives, les actions visant à éviter cette spirale en ayant une vision large du comportement du jeune. C’est pour cela que nous sommes favorables à la suppression du tribunal de police.
Vous nous dites aussi que cela représente 5 000 affaires, soit 2,5 % des dossiers ; c’est vrai que, même si c’est peu, cela peut déstabiliser les juridictions pour mineurs. Toutefois, si nous pensons qu’il est nécessaire de reporter la réforme, c’est parce que ces juridictions ne sont pas prêtes, ce n’est pas uniquement parce qu’elles sont en nombre insuffisant. Selon nous, il y a encore besoin de temps pour assimiler la réforme et pour mettre en place les outils permettant d’arriver à une réforme performante, qui atteigne ses buts.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je me suis, à l’évidence, mal exprimé parce que ma plaidoirie était non pour le tribunal de police, mais pour le juge des enfants. Je ne souhaite pas que celui-ci ait à connaître d’un contentieux dont la plupart des contraventions – je tiens à le rappeler, ce n’est pas rien – sont forfaitisées, délivrées par la police et payées par les parents. Si vous pensez qu’il est utile de charger, voire de surcharger, le tribunal pour enfants de ce genre d’infractions et du traitement qu’il connaît dans la réalité, cela me semble, pour ma part, inutile.
En outre, je me permets d’y insister, l’un de vos souhaits était que la justice des enfants fonctionne bien ; c’est l’une des raisons pour lesquelles vous souhaitez le report de la réforme. Est-il utile de leur donner 5 000 dossiers de plus ? Non, d’autant que – j’ouvre une dernière petite parenthèse – la protection du mineur est également assurée devant le tribunal de police, avec, notamment, l’intervention de l’avocat. Il y a donc une véritable garantie des droits des mineurs.
Pour moi, il y a une différence entre la délinquance traitée par le juge des enfants et celle dont connaît le tribunal de police.
Mme la présidente. L’amendement n° 68 rectifié, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Richard et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 121-7 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, les mots : « , le tribunal de police » sont supprimés.
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Je suis conscient que notre commission a tranché cette question. Néanmoins, si j’insiste, c’est pour qu’un débat se tienne en séance sur la compétence du tribunal de police pour les contraventions des quatre premières classes s’agissant des mineurs et sur la charge de travail du juge des enfants. Ce débat a d’ailleurs commencé.
Le présent amendement peut être vu comme un amendement de repli par rapport à la suppression pure et simple de la compétence du tribunal de police. Il vise à rétablir cette compétence en se limitant, toutefois, au cadre de l’ordonnance du 2 février 1945. C’est la différence avec l’amendement du Gouvernement, qui ne fait pas référence à la faculté pour le tribunal de police d’écarter l’atténuation de responsabilité.
Voilà ce que mon amendement propose de plus par rapport à celui du Gouvernement. J’espère que vous serez sensibles, chers collègues, à cette argumentation, car la charge de travail du juge des enfants reste un sujet de préoccupation.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Par cohérence, l’avis est défavorable. À ce stade, nous sommes en effet favorables à la suppression de la compétence du tribunal de police, même si nous avons conscience que la faculté d’écarter l’excuse de minorité doit être aussi possible devant le tribunal de police.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous allez me dire, madame la rapporteure, que cette intervention a quelque chose d’un peu revanchard – je vous le concède. Vous avez dit que les violences traitées devant le tribunal de police étaient les prémices de la délinquance… Pourquoi pas ? Sachez cependant que les parquets les gèrent en alternative aux poursuites. C’est un peu tard pour vous le dire, mais je vous le dis quand même. Cela vaudra pour la suite de nos débats… (Sourires.)
Par cohérence également, je demande le retrait de l’amendement.
Mme la présidente. Monsieur Mohamed Soilihi, l’amendement n° 68 rectifié est-il maintenu ?
M. Thani Mohamed Soilihi. Oui, je le maintiens.
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L’amendement n° 10 est présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 33 est présenté par M. Sueur, Mme Harribey, M. Durain, Mme de La Gontrie, MM. Bourgi, Marie, Leconte, Kerrouche, Kanner, Antiste et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 61 rectifié est présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
4° L’article L. 121-7 est abrogé ;
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n °10.
Mme Cécile Cukierman. En droit, il y a des règles qui fixent des repères et des seuils qui, parce qu’ils sont respectés et non négociables, donnent toute leur force aux procédures. Ainsi, avant 18 ans, on est mineur et, après 18 ans, on est majeur.
L’histoire de notre droit a été de faire une justice spécifique pour les mineurs. Vous allez me répondre, monsieur le garde des sceaux, et peut-être n’avez-vous pas tort, que certains jeunes de 17 ans ont beaucoup plus de discernement que certains jeunes majeurs de 21 ans. Néanmoins, soit on fixe des règles, soit on n’en fixe pas.
Nous sommes attachés au fait que la justice des mineurs s’applique jusqu’à 18 ans. Aussi, nous n’acceptons pas l’exception à l’excuse de minorité pour les plus de 16 ans.
Nous observons depuis plus d’une décennie un durcissement de la réponse pénale. Nous pensons que l’exception à l’excuse de minorité participe pleinement à ce durcissement, qui ne fait pas toujours ses preuves. Bien au contraire, ce durcissement peut même parfois aggraver la situation des jeunes en perdition. Rappelons-le, les jeunes mineurs qui ont été incarcérés éprouvent les plus grandes difficultés à reprendre des études ou à exercer tout simplement leurs droits civiques et citoyens, tant l’enfermement les a fait décrocher de la vie en société. Or la justice des mineurs est précisément fondée sur le principe qu’ils ne sont pas perdus et qu’il faut, par les mesures éducatives et parfois pénales, les accompagner pour leur permettre d’être les citoyens de demain. C’est ce pari qu’a besoin de faire la société pour que nous puissions réussir tous ensemble.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 33.
M. Jérôme Durain. Cet amendement vise à supprimer l’article permettant d’écarter l’excuse de minorité et la diminution de moitié de la peine encourue. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec une présomption irréfragable de non-discernement au-dessous de 13 ans.
L’article L. 121-7 du code de la justice pénale des mineurs prévoit que « le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs peuvent, à titre exceptionnel et compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur ainsi que de sa situation, décider qu’il n’y a pas lieu de faire application des règles d’atténuation des peines ». Cet amendement vise donc à supprimer cet article au motif qu’il ne saurait y avoir d’exception à l’excuse de minorité.
Si le quantum des peines est divisé par deux, les sanctions demeurent très sévères. Comment justifier qu’un jeune puisse être tenu psychologiquement pour majeur avant ses 18 ans pour être condamné à trente ans d’emprisonnement, mais soit incapable de demander son émancipation ? Cette mesure revient à traiter des enfants de plus de 16 ans comme des adultes, ce qui n’est pas acceptable.
Rappelons que le Défenseur des droits recommande que l’excuse de minorité s’applique à tout mineur de 13 à 18 ans, sans aucune exception. La CIDE établit clairement, dans son premier article, qu’un enfant est une personne de moins de 18 ans et que, en vertu de l’article 40, un enfant a droit à une justice spécifique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 61 rectifié.
Mme Esther Benbassa. Il est défendu.
Mme la présidente. L’amendement n° 58 rectifié ter, présenté par Mmes V. Boyer, Deroche et Belrhiti, M. Bouchet, Mme Dumont, MM. Cadec et Panunzi, Mme Dumas, M. Bascher, Mme Garnier, M. B. Fournier, Mme F. Gerbaud, M. Klinger, Mme de Cidrac et MM. Belin, Brisson, Bonhomme, Le Rudulier et Boré, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
… Le même premier alinéa de l’article L. 121-7 est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « peuvent, à titre exceptionnel et compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur ainsi que de sa situation, décider qu’il n’y a pas lieu de faire » sont remplacés par les mots : « ne font pas » ;
b) La seconde phrase est ainsi rédigée : « Toutefois, la juridiction peut ne pas faire application de cette disposition en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d’insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci. »
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Toujours dans l’esprit des amendements que j’ai défendus précédemment, il s’agit des mineurs très violents récidivistes.
L’un des rôles de la justice est de protéger la société. Je voudrais donc, à la lumière de l’actualité, poser une question : une fois qu’elle aura été arrêtée par la police, comment fera-t-on pour réinsérer la personne qui a donné des coups de marteau sur le crâne du petit Yuriy ? Cette question de l’hyperviolence à laquelle nous sommes confrontés nous taraude, et il nous faut y répondre.
L’ordonnance prévoit que, si le mineur est âgé de plus de 16 ans, « le tribunal de police, le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs peuvent, à titre exceptionnel et compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur ainsi que de sa situation, décider qu’il n’y a pas lieu de faire application des règles d’atténuation des peines ». Cette décision ne peut être prise que par une disposition spécialement motivée.
Je propose d’inverser cette logique et de dire que, si le mineur est âgé de plus de 16 ans, le tribunal de police, le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs ne font pas application des règles d’atténuation des peines. Toutefois, la juridiction peut ne pas faire application de cette disposition en considérant les circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur et les garanties d’insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Les trois amendements identiques visent à supprimer la possibilité donnée au tribunal d’écarter l’excuse de minorité.
Il nous paraît opportun de laisser le juge apprécier s’il doit ou non lever l’excuse de minorité et, donc, prononcer des peines plus sévères pour des actes particulièrement violents ou sordides. Nous pensons, là encore, qu’il faut faire confiance au juge des enfants. L’avis est donc défavorable.
L’avis sur l’amendement n° 58 rectifié ter est également défavorable, parce que nous pensons qu’il n’est pas utile d’aligner le droit des mineurs de 16 à 18 ans, qui est plus protecteur, sur le droit des majeurs. Le principe est que l’excuse de minorité peut être levée. Néanmoins, le mineur reste mineur jusqu’à ses 18 ans.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. L’exception à l’excuse de minorité est utilisée dans les cours d’assises de notre pays entre neuf et dix-sept fois par an. Entre neuf et dix-sept mineurs sont donc concernés : voilà les statistiques ! Par conséquent, il est rare que cette exception soit appliquée.
L’un de nos grands principes fondamentaux est de distinguer entre mineurs et majeurs.
Madame la sénatrice Boyer, utiliser une affaire en cours pour en tirer un certain nombre de généralités est toujours extraordinairement dangereux. Vous ne savez pas ce qui s’est passé ; la justice est saisie et fera son travail.
Je n’entends pas commenter cette affaire, parce que je ne le peux pas. Vous ne devriez pas le faire non plus, parce que vous ne savez pas un certain nombre de choses que seuls, à cet instant, connaissent les enquêteurs et la justice.
Permettez-moi de vous dire qu’on ne peut pas se servir d’un fait, qui nous émeut forcément, pour écarter les grands principes fondamentaux qui sont les nôtres. Un mineur de 16 ans, même quand il commet un acte grave, reste un mineur de 16 ans, que vous le vouliez ou non, d’où le distinguo entre les peines que l’on peut lui appliquer et les peines que l’on applique à un majeur. Un acte grave commis par un mineur est un acte commis par un mineur !
L’avis est défavorable sur tous les amendements.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 10, 33 et 61 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 58 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 76, présenté par Mme Canayer, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéas 14 et 15
Rédiger ainsi ces alinéas :
a) Au premier alinéa, les mots : « le tribunal de police, » sont supprimés ;
b) Au deuxième alinéa, les mots : « du tribunal de police ou » sont supprimés ;
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er ter B, modifié.
(L’article 1er ter B est adopté.)
Article 1er ter
(Supprimé)
Mme la présidente. L’amendement n° 72, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est ainsi modifié :
1° Après le 3° de l’article L. 12-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 3° bis Le juge des libertés et de la détention chargé spécialement des affaires concernant les mineurs ; »
2° L’article L. 423-9 est ainsi modifié :
a) À la fin du premier alinéa, les mots : « le juge des enfants afin qu’il soit statué sur ses réquisitions tendant » sont supprimés ;
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 1° Le juge des enfants afin qu’il soit statué sur ses réquisitions tendant : » ;
c) Au début du 1°, la mention : « 1° » est remplacée par la mention : « a) » ;
d) Au début du 2°, la mention : « 2° » est remplacée par la mention : « b) » ;
e) Au début du 3°, la mention : « 3° » est remplacée par la mention : « c) » ;
f) Le 4° est ainsi modifié :
- au début, la mention : « 4° » est remplacée par la mention : « 2° » ;
- la première phrase est ainsi rédigée : « Le juge des libertés et de la détention, pour le mineur âgé d’au moins seize ans et lorsque le tribunal pour enfants est saisi aux fins d’audience unique en application du troisième alinéa de l’article L. 423-4, afin qu’il soit statué sur ses réquisitions tendant au placement en détention provisoire du mineur jusqu’à l’audience, dans les conditions prévues aux articles L. 334-1 à L. 334-5. » ;
g) Après le même 4°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le procureur de la République avise sans délai le juge des enfants afin qu’il puisse communiquer au juge des libertés et de la détention tout élément utile sur la personnalité du mineur et, le cas échéant, accomplir les diligences prévues à l’article L. 423-10. » ;
h) Le sixième alinéa est ainsi modifié :
- à la première phrase, après les mots : « juge des enfants », sont insérés les mots : « ou le juge des libertés et de la détention » ;
- à la dernière phrase, les mots : « Le juge des enfants » sont remplacés par le mot : « Il » et les mots : « parents du mineur, ses » sont supprimés ;
i) À l’avant-dernier alinéa, les références : « 1° et 2° » sont remplacées par les références : « a) et b) du 1° » ;
j) Le dernier alinéa est complété par les mots : « et du juge des libertés et de la détention » ;
3° À l’article L. 423-10, après la référence : « L. 423-9 », sont insérés les mots : « ou avisé de la saisine du juge des libertés et de la détention aux mêmes fins » ;
4° L’article L. 423-11 est ainsi rédigé :
« Art. L. 423-11. – Le juge des enfants est compétent, jusqu’à la comparution du mineur devant la juridiction, pour statuer sur la mainlevée ou la modification des mesures d’investigation, éducative judiciaire provisoire et de sûreté, d’office, à la demande du mineur ou de son avocat, ou sur réquisitions du procureur de la République conformément aux dispositions des titres II et III du livre III.
« Lorsqu’il constate que le mineur n’a pas respecté les obligations du contrôle judiciaire ou de l’assignation à résidence avec surveillance électronique, le juge des enfants peut, si les conditions prévues aux articles L. 334-4 ou L. 334-5 sont réunies, communiquer le dossier au procureur de la République aux fins de réquisitions et saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de révocation de la mesure de contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec surveillance électronique et de placement du mineur en détention provisoire.
« Le mineur placé en détention provisoire ou son avocat peut, à tout moment, demander sa mise en liberté. La demande est adressée au juge des libertés et de la détention, qui communique immédiatement le dossier au procureur de la République aux fins de réquisitions et demande au juge des enfants tout élément utile sur la personnalité et l’évolution de la situation du mineur. Le juge des libertés et de la détention statue dans les cinq jours suivant la communication au procureur de la République dans les conditions prévues par aux troisième et avant dernier alinéas de l’article 148 du code de procédure pénale. »
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Votre commission a adopté l’amendement déposé par Mme la rapporteure visant à supprimer l’intervention du juge des libertés et de la détention avant l’audience de culpabilité, contrairement à ce qui avait été voté par les députés.
La modification apportée par la commission des lois du Sénat vise à ménager la spécialisation du juge des enfants en supprimant le JLD, tout en garantissant l’impartialité au moment du jugement, puisqu’elle prévoit que le juge des enfants qui aura mis le mineur en détention ne pourra pas le juger par la suite. C’est une fausse bonne idée, parce que cette solution revient, en réalité, à méconnaître le principe de spécialisation dans la mesure où ce n’est pas le juge qui connaît le mineur qui statuera sur sa détention ou qui le jugera. De surcroît, dans les petites juridictions, où un seul juge des enfants est affecté, la mise en œuvre de cette disposition sera purement et simplement inapplicable.
L’amendement que je présente vise à rétablir l’intervention du juge des libertés de la détention, qui, je vous le rappelle, devient un juge spécialisé pour le placement ou le maintien en détention provisoire des mineurs avant l’audience de culpabilité. Cette disposition avait été introduite à l’Assemblée nationale, afin de garantir l’impartialité du juge des enfants qui aura à juger le mineur, tout en sauvegardant le principe de spécialisation et de continuité de l’intervention du juge des enfants auprès du mineur.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La suppression de la place du JLD n’a pas été décidée par le Sénat par simple opposition à l’Assemblée nationale, mais parce que, lors de nos visites de juridictions, plusieurs magistrats ont soulevé devant nous les difficultés du recours au juge des libertés et de la détention ainsi que l’atteinte que cela constituait au principe de spécialisation des juridictions des mineurs. On le voit bien, il y a, d’un côté, le principe d’impartialité et, de l’autre, celui de spécialisation des juridictions. Comme souvent en droit, il faut arriver à les concilier et à faire jouer la balance.
Je rappelle à mes collègues que l’intervention du JLD se fait avant l’audience de culpabilité ; pour les mineurs qui sont emprisonnés, le suivi de leur détention est fait par le juge des enfants. Il s’agit donc uniquement de la phase première, avant l’audience de culpabilité.
Monsieur le garde des sceaux, quand il y a peu de juges des enfants, notamment dans les petites juridictions, il y a aussi peu de JLD. Il faudra donc habiliter ou spécialiser tous les JLD, ce qui va faire perdre de la puissance à cette notion d’habilitation et de spécialisation du JLD. C’est pour cette raison que nous avons prévu que, s’il n’y a pas suffisamment de juges des enfants, le président du tribunal judiciaire puisse désigner un autre magistrat qui a une appétence particulière pour les questions éducatives. Cela nous paraît mieux concilier le principe de spécialisation et celui d’impartialité. Notre avis sur cet amendement est donc défavorable.
Mme la présidente. En conséquence, l’article 1er ter demeure supprimé.
Article 2
Le titre préliminaire du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa de l’article L. 12-4, les mots : « l’effectue » sont remplacés par les mots : « effectue ce choix » ;
2° Au premier alinéa de l’article L. 13-1, après le mot : « réglementaires », sont insérés les mots : « en matière ». – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 2
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 7, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre II du titre préliminaire du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est complété par un article L. 12-… ainsi rédigé :
« Art. L. 12-…. – Par dérogation à l’article 706-71 du code de procédure pénale, les mineurs ne peuvent pas faire l’objet de l’utilisation de moyens de télécommunication audiovisuelle tout au long de la procédure. »
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Nous sommes opposés à ce que l’outil numérique devienne la norme pour la justice des majeurs. Nous ne souhaitons donc pas, bien évidemment, qu’il se généralise pour la justice des mineurs.
Même si nous comprenons qu’il est compliqué de déplacer des jeunes placés en centre fermé ou en établissement pénitentiaire pour mineurs, nous pensons que le caractère éducatif réside également dans la fréquentation des lieux, dans la rencontre des différents acteurs, comme les magistrats.
À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles : c’est bien pour cela que, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures sont dérogatoires. Dès lors que nous sortirons de cette situation sanitaire, nous ne pensons pas que l’outil numérique doive devenir la norme.
Mme la présidente. L’amendement n° 60 rectifié, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre II du titre préliminaire du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est complété par un article L. 12-… ainsi rédigé :
« Art. L. 12-…. – Par dérogation à l’article 706-71 du code de procédure pénale, les enfants ne peuvent pas faire l’objet de l’utilisation de moyens de télécommunication audiovisuelle tout au long de la procédure. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Par cet amendement, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires souhaite inscrire l’interdiction de l’utilisation de moyens de télécommunication audiovisuelle, c’est-à-dire la visioconférence, tout au long de la procédure lorsqu’un mineur est en cause. Nous formulons nos craintes quant au déploiement massif d’un mode de gestion dématérialisé des auditions impliquant des enfants.
En premier lieu, des dysfonctionnements informatiques peuvent nuire à la qualité des débats.
En second lieu, la dématérialisation ne permet pas d’assurer pleinement la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats. La solennité des audiences est fortement réduite lors des procédures par écrans interposés.
Pour l’ensemble de ces raisons, l’utilisation de ces moyens de télécommunication audiovisuelle va à l’encontre des principes cardinaux de la justice des mineurs et de l’intérêt supérieur des enfants. Nous nous opposons donc au maintien de l’utilisation de la visioconférence au cours d’une procédure concernant un mineur.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Il faut bien avouer que nous faisons tous aujourd’hui une overdose de visioconférences. Néanmoins, on le voit bien, ce moyen peut parfois être utile, et pas simplement dans le cas d’une crise sanitaire. En effet, il peut permettre de simplifier des procédures et d’améliorer leur rapidité, à condition que ce ne soit pas un moyen exclusif.
Il me semble donc que ce peut être utile, dans certains cas, d’avoir recours à ces moyens de communication audiovisuelle, qui permettent de ne pas forcément extraire le jeune et de simplifier la procédure.
Nous émettons donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 60 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 3
(Non modifié)
Le titre Ier du livre Ier du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est ainsi modifié :
1° L’article L. 111-3 est ainsi modifié :
a) Après la seconde occurrence du mot : « une », la fin du premier alinéa est ainsi rédigée : « peine. » ;
b) Les 1° et 2° sont abrogés ;
2° L’article L. 112-2 est ainsi modifié :
a) À la seconde phrase du premier alinéa, le mot : « l’ » est supprimé ;
b) Le 7° est ainsi modifié :
– le mot : « vingt-trois » est remplacé par le nombre : « 22 » ;
– la première occurrence du mot : « six » est remplacée par le nombre : « 6 » ;
3° L’article L. 112-3 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi modifié :
– à la première phrase, après la référence : « L. 112-2 », sont insérés les mots : « et les obligations et interdictions mentionnées aux 5° à 9° du même article L. 112-2 » ;
– la seconde phrase est supprimée ;
b) Le deuxième alinéa est supprimé ;
4° Au premier alinéa de l’article L. 112-10, le mot : « conseil » est remplacé par le mot : « Conseil » ;
5° À la fin du 1° de l’article L. 112-14, les mots : « ainsi qu’au service de l’aide sociale à l’enfance » sont supprimés ;
6° Le troisième alinéa de l’article L. 112-15 est ainsi modifié :
a) Le signe : « , » est remplacé par le mot : « et » ;
b) Après le mot : « durée », il est inséré le signe : « , » ;
c) Après le mot : « an », il est inséré le signe : « , » ;
d) La première occurrence du mot : « et » est remplacée par les mots : « ainsi que » ;
7° L’article L. 113-2 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « qui en avait la garde » sont remplacés par les mots : « à laquelle il était confié » ;
b) Le dernier alinéa est complété par le mot : « public » ;
8° La section 2 du chapitre III est complétée par un article L. 113-8 ainsi rédigé :
« Art. L. 113-8. – À chaque entrée d’un mineur dans un établissement relevant du secteur public ou habilité de la protection judiciaire de la jeunesse, le directeur de l’établissement ou les membres du personnel de l’établissement spécialement désignés par lui peuvent procéder au contrôle visuel des effets personnels du mineur, aux fins de prévenir l’introduction au sein de l’établissement d’objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens. Au sein de ces établissements, ces mêmes personnels peuvent, aux mêmes fins, procéder à l’inspection des chambres où séjournent ces mineurs. Cette inspection se fait en présence du mineur sauf impossibilité pour celui-ci de se trouver dans l’établissement. Le déroulé de cette inspection doit être consigné dans un registre tenu par l’établissement à cet effet. Ces mesures s’effectuent dans le respect de la dignité des personnes et selon les principes de nécessité et de proportionnalité. »
Mme la présidente. L’amendement n° 8, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
… L’article L. 111-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, le mot : « mineur » est remplacé par les mots : « enfant ou un adolescent » ;
b) Avant le 1°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« … La remise à parents ; »
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Nous proposons de réintroduire la mesure de remise aux parents. Nous considérons que les parents sont des acteurs fondamentaux de la justice des mineurs et qu’il est nécessaire de les intégrer dans le processus de sanction et dans l’échelle des peines.
La remise aux parents est bien évidemment la mesure la plus clémente que peut prononcer le juge des enfants. Elle apparaît parfois hautement symbolique, puisqu’elle a vocation à rappeler aux parents leurs responsabilités. Elle vise aussi et surtout à réhabiliter la place des pères et mères auprès du mineur et de la justice. Elle permet également, parfois, de faire un état des lieux, de pointer des difficultés et d’apporter des premières réponses. On voit bien là que l’on change de paradigme : une mesure qui peut apparaître comme hautement symbolique devient l’une des réponses éducatives.
La place des parents ainsi que leurs responsabilités est un débat que nous avons depuis plusieurs années, plus encore ces derniers temps. L’objectif est non pas de leur faire payer les actes du mineur, mais de les réintégrer dans l’ensemble du processus, afin qu’ils y prennent toute leur place.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Il est vrai que le rôle éducatif des parents et la place qu’ils ont à tenir dans la justice pénale des mineurs sont essentiels. De la même manière, la responsabilisation des parents est un enjeu important.
Nous nous étions posé la question de la suppression de cette notion de remise à parents, qui peut parfois paraître inutile. Je pense qu’elle est très accessoire. Néanmoins, cela peut être un signal symbolique envoyé aux parents pour souligner leur rôle éducatif. C’est pour cette raison que nous donnons un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous savez ce que je pense du fait de remplacer le terme « mineur » par le terme « enfant » ; je me suis déjà exprimé à ce sujet.
Le code de la justice pénale des mineurs vise un objectif de simplification et de lisibilité pour tous les mineurs. C’est pourquoi nous avons supprimé cette mesure de remise à parents. Allez expliquer à un gamin que le juge le remet à ses parents… Vous trouvez peut-être cela clair, moi, pas du tout. On ne peut pas considérer qu’il s’agisse là d’une sanction. Vous me direz que cela dépend des parents, mais ce serait de l’humour de mauvais aloi. S’il s’agit d’une mesure éducative, alors elle est totalement redondante dans sa sémantique : « Je te remets à tes parents »… En ce qui nous concerne, nous voulons simplifier les choses.
Nous évoquions, à propos d’autres mots, le fait qu’ils étaient obsolètes. En l’occurrence, la formule l’est totalement. Dans ces conditions, le Gouvernement est défavorable à cet amendement. Cela ne simplifie rien, au contraire. D’ailleurs, regardez comme les choses sont cohérentes : nous évoquions précédemment le discernement – dispositif que vous avez voté – en disant qu’il fallait que l’on soit en mesure de comprendre ce qui se passe sur le terrain procédural.
Je le répète, parce que cela me paraît frappé au coin du bon sens, allez dire à un gamin qu’on le remet à ses parents, vous verrez si ses yeux ne vont pas totalement s’écarquiller d’incompréhension.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. J’entends ce que vous dites, monsieur le garde des sceaux, mais je ne fais pas partie de ceux qui cherchent à simplifier la justice des mineurs, mais à la rendre plus efficace.
Par ailleurs, je ne sais pas si cela est obsolète ou pas, mais, si cela répond à des besoins, la question de l’obsolescence ne se pose pas. L’exemple que vous avez pris est réel, mais je crois qu’il y a de nombreuses mesures que le mineur ne comprend pas forcément. Si, dans la réponse pénale, il fallait uniquement en rester à des mesures que comprend le jeune, on pourrait tout arrêter et, au moins, on n’aurait plus de problème d’engorgement des tribunaux.
Plus sérieusement, l’argument que je partage, c’est que ce n’est pas que du symbole. Parce que, oui, il s’agit peut-être de simplification pour vous, mais, supprimer la remise à parents, c’est aussi sortir les parents de tout un système.
Bien évidemment, la question n’est pas de faire de la remise à parents une torture qui serait imposée. Vous le savez mieux que moi par votre pratique professionnelle, la remise à parents permet parfois de déceler un certain nombre de choses dans les comportements et d’identifier les difficultés. Je ne dis pas que c’est la réponse magique. Je dis simplement que ce serait envoyer un mauvais signal que de supprimer cette mesure-là, fût-elle désuète, obsolète ou réac. En tout cas, je pense qu’elle a encore son efficacité dans la justice des mineurs.
Mme la présidente. L’amendement n° 26 rectifié, présenté par M. Sueur, Mme Harribey, M. Bourgi, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Antiste et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. - Alinéas 7 à 9
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
b) Les 5° à 9° sont abrogés ;
II. - Alinéa 12
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Thierry Cozic.
M. Thierry Cozic. Cet amendement vise à maintenir la distinction entre éducatif et répressif en supprimant les modules coercitifs de la mesure éducative.
Les mesures éducatives doivent impérativement se distinguer des mesures répressives : il y va de leur efficacité. En effet, l’essence même de la relation éducative est de se fonder sur un lien de confiance, lien qui est, par principe, distendu dans le cadre d’une mesure coercitive. A contrario, les mesures coercitives perdront de leur solennité et seront totalement banalisées, et donc peu respectées, si leur contenu peut être prononcé à l’identique, sans sanction, dans le cadre d’une mesure éducative.
Aussi, quel que soit le point de vue duquel on se place, la confusion sur le contenu de la mesure a des effets pervers. C’est pourquoi le présent amendement vise à supprimer purement et simplement l’ensemble des interdictions et obligations qui ont été prévues dans le cadre de ces mesures – article L. 112-2, 5° à 9° – afin de privilégier un véritable accompagnement éducatif.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Plusieurs interdictions existent dans le cadre des mesures éducatives : l’interdiction de paraître dans certains lieux, l’interdiction d’entrer en contact avec la victime, la confiscation de l’objet qui a servi à commettre l’infraction ou encore l’obligation de suivre un stage de citoyenneté. Je pense que ces interdictions peuvent jouer un vrai rôle éducatif. Il n’y a donc pas lieu de les exclure de la mesure éducative.
Par conséquent, l’avis est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je veux ajouter un autre exemple de mesure tout à fait utile pour l’éducation d’un adolescent : l’interdiction d’aller et venir sur la voie publique entre 22 heures et 6 heures du matin.
L’avis du Gouvernement est défavorable.
Mme la présidente. Monsieur le ministre, mes chers collègues, il est minuit. Je vous propose de prolonger notre séance jusqu’à minuit et demi afin d’aller plus avant dans l’examen de ce texte.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
L’amendement n° 54 rectifié bis, présenté par Mmes V. Boyer, Deroche et Belrhiti, M. Bouchet, Mme Dumont, MM. Cadec et Panunzi, Mme Dumas, MM. Bascher et B. Fournier, Mme F. Gerbaud, M. Klinger, Mme de Cidrac et MM. Belin, Brisson, Bonhomme, Le Rudulier et Boré, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 14
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Au premier alinéa de l’article L. 112-4, la référence : « L. 112-9 » est remplacée par la référence : « L. 112-8 » ;
…° L’article L. 112-8 devient l’article L. 112-9 et l’article L. 112-9 devient l’article L. 112-8 ;
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Ce n’est pas tout à fait un amendement rédactionnel : il inverse, dans le code, la définition du module de réparation et la possibilité pour le juge de le prononcer.
Nous considérons qu’il vaut mieux, en droit, définir avant d’envisager l’application.
Par conséquent, nous sollicitons le retrait de cet amendement.
Mme Valérie Boyer. Je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 54 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 23, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 18 et 19
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
a) Les mots : « en fixe la durée qui ne peut excéder un an » sont remplacés par les mots : « pour une durée de six mois renouvelable » ;
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas qu’un amendement de sémantique. En effet, si nous ne sommes pas opposés à la possibilité d’un placement pénal d’un an, nous souhaitons qu’un bilan intermédiaire soit obligatoirement réalisé à l’issue d’une période de six mois.
Certes, la réalisation d’un tel bilan avant une éventuelle prolongation conduira à accroître la charge de travail et à alourdir les procédures. Elle nous semble toutefois impérative, parce que c’est l’avenir du mineur qui est en jeu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Une durée de placement de six mois ne nous paraît pas pertinente : nous pensons qu’il faut de la durée pour mettre en place une mesure éducative de long terme. Le jeune a besoin que le travail éducatif soit marqué par la stabilité.
Pour cette raison, nous émettons un avis défavorable sur l’amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 25 et 26
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Nous nous opposons au dispositif qui vise à confier un pouvoir de police jusqu’à présent uniquement détenu par les forces de police ou de gendarmerie aux professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et au secteur associatif habilité.
Les fonctionnaires de la PJJ ne sont nullement habilités à exercer ces prérogatives. Les salariés du secteur privé, dont le niveau de formation en matière éducative est parfois faible, le sont encore moins.
Les agents de la PJJ ont une mission éducative. Pour l’exercer, il leur appartient d’instaurer un climat de confiance et de créer une relation humaine entre l’enfant confié et l’ensemble de l’équipe professionnelle, ce qui peut parfois prendre du temps.
Nous pensons, à l’instar d’organisations syndicales de ce secteur, que l’extension de ce pouvoir de police pourrait remettre en cause ce lien de confiance.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La possibilité de contrôler que l’amendement tend à supprimer consiste en un simple contrôle visuel. Ce dernier est nécessaire dans certains centres éducatifs fermés (CEF).
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est une posture dogmatique que de considérer que les éducateurs ne pourraient pas surveiller les gamins qui entrent dans les CEF, alors que certains y introduisent des couteaux !
Ce pouvoir de police est une demande des éducateurs eux-mêmes, pour leur propre sécurité et pour celle des autres mineurs. Ils ont tout de même le droit de se protéger !
Je suis totalement défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je ne retirerai pas l’amendement.
Monsieur le garde des sceaux, peut-on débattre de manière respectueuse ? Je ne pense pas que ma posture soit dogmatique.
J’entends que vous n’êtes pas d’accord. Cependant, je pense qu’un véritable débat existe sur l’extension du pouvoir de police, y compris, comme je l’ai dit, au sein des personnels.
On ne saurait balayer d’un revers de manche ce que peuvent exprimer des organisations syndicales ou caricaturer les propos en ramenant l’éducatif à un laxisme débridé. Bien évidemment, un éducateur se doit de rappeler les règles et les interdits.
Toutefois, monsieur le garde des sceaux, le dispositif qui a été ajouté à l’Assemblée nationale va bien plus loin qu’un simple rappel du cadre : il élargit une mesure existante.
Pour terminer, permettez-moi de vous faire remarquer que je ne vous accuse pas de dogmatisme quand vous vous opposez systématiquement à tous nos amendements… Nous avons un débat. Nous avons des désaccords. C’est ainsi que fonctionne la démocratie !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 3
Mme la présidente. L’amendement n° 53 rectifié bis, présenté par Mmes V. Boyer, Deroche et Belrhiti, M. Bouchet, Mme Dumont, MM. Cadec et Panunzi, Mme Dumas, M. Bascher, Mme Garnier, M. B. Fournier, Mme F. Gerbaud, M. Klinger, Mme de Cidrac et MM. Belin, Brisson, Bonhomme, Le Rudulier et Boré, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La première phrase du premier alinéa de l’article L. 112-2 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est complétée par les mots : « mais également de la gravité des faits qui lui sont reprochés et du trouble à l’ordre public qui en est résulté ».
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Le code de la justice pénale des mineurs définit la mesure éducative judiciaire comme « un accompagnement individualisé construit à partir d’une évaluation » de la « situation personnelle, familiale, sanitaire et sociale » du mineur.
Pour autant, nous ne devons pas oublier les faits reprochés au mineur. Les mesures éducatives prévues doivent également en tenir compte.
C’est pourquoi il me semble nécessaire d’évaluer de la manière la plus proportionnée possible la mesure éducative à prendre. Il convient également de prendre en compte la gravité des faits reprochés au mineur et du trouble à l’ordre public qui en résulte.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Les mesures éducatives sont les moyens qui doivent permettre d’accéder au « relèvement éducatif et moral » des jeunes. Nous avons déjà eu l’occasion d’en débattre précédemment.
Ces mesures éducatives sont centrées autour du jeune, de sa personnalité et de son environnement. En revanche, les sanctions prennent en compte la gravité des faits.
Nous pensons que cibler les mesures éducatives sur la gravité des faits apporterait une confusion, alors que le code de la justice pénale des mineurs a pour objectif de simplifier les sanctions et les mesures prononcées.
La commission sollicite donc le retrait de l’amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Comme la commission, le Gouvernement sollicite le retrait de l’amendement, faute de quoi il émettra un avis défavorable.
En effet, il est extrêmement important de distinguer l’éducatif du reste.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 53 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 28, présenté par Mme Harribey, MM. Sueur et Durain, Mme de La Gontrie, MM. Kanner, Bourgi, Kerrouche, Marie, Leconte, Antiste et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 113-8 du code la justice des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est insérée une section ainsi rédigée :
« Section…
« Des centres éducatifs renforcés
« Art. L. 113-9. – Les centres éducatifs renforcés sont des établissements publics ou des établissements privés habilités dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État. Ils ont vocation à prendre en charge des mineurs délinquants multirécidivistes en grande difficulté ou en voie de marginalisation ayant souvent derrière eux un passé institutionnel déjà lourd. Ils se caractérisent par des programmes d’activités intensifs pendant des sessions de trois à six mois selon les projets et un encadrement éducatif permanent. Ils visent à créer une rupture dans les conditions de vie du mineur et à préparer les conditions de sa réinsertion. »
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Le chapitre III du code de la justice pénale des mineurs concerne le régime du placement.
Nous devons constater que les seuls lieux de placement mentionnés sont les centres éducatifs fermés. Les centres éducatifs renforcés (CER) ne figurent pas du tout dans le code, alors qu’ils s’inscrivent dans un dispositif global de réponse pénale graduée. Ils participent à la nécessité de gradation et de diversification des réponses éducatives. Ils sont reconnus pour offrir un encadrement éducatif renforcé par la mise en place d’un accompagnement permanent dans les actes de la vie quotidienne comme dans les démarches de remobilisation des mineurs.
Par ailleurs, inscrire les CER dans le code permettrait de lutter contre d’éventuels placements décidés indifféremment en CER ou CEF.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement vise à définir le rôle des centres éducatifs fermés.
Il pose tout d’abord un petit problème d’imputation : « après l’article L. 113-8 » ne nous paraît pas le bon endroit pour insérer ses dispositions.
Cet amendement, déposé à la demande de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (Cnape), fait référence aux centres éducatifs renforcés, qui sont à la fois différents et complémentaires des centres éducatifs fermés. Il existe, en effet, une gamme dans le placement, le centre éducatif renforcé intervenant souvent en amont ou en aval du placement en CEF.
Néanmoins, les contraintes ne sont pas les mêmes : un jeune qui ne respecterait pas son placement en centre éducatif fermé serait probablement mis en détention. Il serait donc compliqué d’intégrer les centres éducatifs renforcés dans le code de la justice pénale des mineurs au même titre que les centres éducatifs fermés.
L’avis de la commission est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 31, présenté par Mme Harribey, MM. Sueur et Durain, Mme de La Gontrie, MM. Bourgi, Marie, Leconte, Kerrouche, Kanner, Antiste et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l’article L. 241-1 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est complété par les mots : « et aux établissements du secteur associatif habilité ».
La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Cet amendement vise à intégrer la référence aux établissements du secteur associatif habilité, qui ne sont pas cités dans le texte.
Il ne faut pas oublier que le secteur associatif habilité est chargé, aux côtés des établissements de la protection judiciaire de la jeunesse, de mettre en œuvre un grand nombre de décisions prises par les magistrats.
Or l’article L. 241-1 ne mentionne que les établissements de la protection judiciaire, alors que, sur les 52 centres éducatifs fermés existant actuellement, 34 ont un statut associatif et que, dans le projet d’ouverture de 20 CEF supplémentaires, 15 seraient associatifs.
Il s’agit véritablement de reconnaître la participation du secteur associatif habilité au dispositif.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Comme le souligne Mme Harribey, auteur de cet amendement, la mise en œuvre des décisions prises en application du code de la justice pénale des mineurs est confiée avant tout « aux services et établissements de la protection judiciaire de la jeunesse », mais en lien avec les établissements du secteur associatif habilité.
Il ne nous paraît donc pas complètement inopportun de citer ces derniers dans le texte du code. La commission émet un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice, vous avez raison, le secteur associatif habilité n’est pas visé dans l’article. Cependant, les dispositions du code de la justice pénale des mineurs qui sont consacrées aux mesures éducatives, au sein du livre Ier, mentionnent les établissements ou services de ce secteur.
Le secteur associatif habilité continuera bien évidemment à intervenir pour prendre en charge les jeunes, notamment dans le cadre des mesures de réparation et des placements, y compris en centres éducatifs renforcés et en centres éducatifs fermés.
Dans ces conditions, nous estimons que l’ajout proposé n’est pas nécessaire. L’avis du Gouvernement est défavorable.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 3.
Article 3 bis
(Non modifié)
L’article L. 113-7 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque la place occupée par un mineur suite à une décision de placement reste vacante pendant une durée excédant sept jours, l’établissement accueillant le mineur concerné saisit d’une demande de mainlevée spécialement motivée le magistrat chargé de l’exécution de cette décision, qui statue sans délai.
« Des activités culturelles et socioculturelles sont organisées dans les établissements mentionnés au premier alinéa. Elles ont notamment pour objet de développer les moyens d’expression, les connaissances et les aptitudes des mineurs placés dans des centres éducatifs fermés. Les modalités d’application du présent alinéa sont définies par décret. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Voilà une semaine, j’ai effectué une visite du centre éducatif fermé de Savigny-sur-Orge. Je crois que M. le garde des sceaux l’a lui aussi visité récemment.
Ce centre est l’un des 51 CEF de France. Les jeunes placés y pratiquent des activités éducatives et sportives et bénéficient d’un accompagnement privilégié.
En outre, à Savigny-sur-Orge, des programmes novateurs ont été mis en place. Cela mérite d’être salué.
Il est indéniable que ces centres marquent une volonté positive d’alternative aux établissements pénitentiaires pour mineurs, à l’image de ces femmes, très nombreuses, mais aussi de ces hommes qui sont investis et dont le dévouement envers ces jeunes est incontestable.
Cependant, nous ne pouvons ignorer que certains dysfonctionnements peuvent parfois exister dans les CEF – ce n’est pas du tout le cas du centre de Savigny-sur-Orge. Abus, mauvais traitements, violences sont quelques-unes des dénonciations les plus graves provenant de ces centres. Par exemple, l’année dernière, à Marseille, le centre éducatif des Chutes-Lavie a été fermé par le préfet des Bouches-du-Rhône, car celui-ci s’est retrouvé visé par une enquête judiciaire après une agression sexuelle sur mineur.
Par ailleurs, l’efficacité des CEF est loin d’être démontrée par rapport au coût qu’ils représentent. La documentation et les données sur les centres d’éducation fermés sont extrêmement faibles. Cette opacité est problématique pour leur évaluation, alors même que de nombreuses difficultés de gouvernance sont à relever et que la gestion de la sortie des jeunes qui y sont placés est parfois critiquable.
Sur la survalorisation annoncée des centres éducatifs fermés dans le budget de la PJJ, alors qu’ils y occupent déjà une place importante, au regard du nombre de jeunes placés en leur sein, la sénatrice Maryse Carrère écrivait, dans son avis du 19 novembre 2020 : « Les frais de gestion et d’entretien de ces structures, qui font d’elles la plus coûteuse des formes d’hébergement, ne doivent pas obérer le développement des autres types d’accueil et du secteur ouvert ».
Nous regrettons également que les seuls lieux de placement sur lesquels le Gouvernement ait misé soient les centres fermés.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3 bis.
(L’article 3 bis est adopté.)
Article 4
Le titre II du livre Ier du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est ainsi modifié :
1° À la fin du 2° de l’article L. 121-1, les mots : « jour amende » sont remplacés par le mot : « jours-amende » ;
2° À l’article L. 121-2, la référence : « 132-65 » est remplacée par la référence : « 132-62 » ;
3° (Supprimé)
4° L’article L. 122-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « de seize à dix-huit » sont remplacés par les mots : « d’au moins seize » ;
b) Au deuxième alinéa, le mot : « quatrième » est remplacé par le mot : « dernier » ;
c) Au dernier alinéa, les mots : « de ces dispositions » sont remplacés par les mots : « du présent article » ;
5° L’article L. 122-2 est ainsi modifié :
a) Au 3°, après le mot : « Respecter », il est inséré le signe : « , » ;
a bis) (nouveau) À la première phrase du dernier alinéa, après la référence : « 3° », sont insérés les mots : « du présent article » ;
b) La seconde phrase du même dernier alinéa est ainsi modifiée :
– au début, le mot : « Lorsque » est supprimé ;
– les mots : « a été prononcée à l’égard d’un mineur, ce placement » sont supprimés ;
5° bis (nouveau) Le premier alinéa de l’article L.122-3 est complété par les mots : « , à l’exception du 3° » ;
6° Au deuxième alinéa de l’article L. 122-6, les mots : « s’ils exercent la garde du mineur » sont remplacés par les mots : « chez lesquels le mineur réside » ;
7° L’article L. 123-2 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, le mot : « font » est remplacé par le mot : « fait » ;
b) Au dernier alinéa, la référence : « de l’article L. 521-26 » est remplacée par les mots : « prévues au troisième alinéa de l’article L. 423-4 » ;
8° À l’article L. 124-1, la troisième occurrence du mot : « mineurs » est remplacée par le mot : « mineures ».
Mme la présidente. L’amendement n° 69 rectifié, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Richard et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rétablir le 3° dans la rédaction suivante.
3° L’article L. 121-3 est ainsi modifié :
a) Après le 2°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Les peines complémentaires mentionnées au 7° de l’article 131-16 du code pénal. » ;
b) Le dernier alinéa est supprimé ;
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Je retire l’amendement, compte tenu des votes intervenus à l’article 1er ter B.
Mme la présidente. L’amendement n° 69 rectifié est retiré.
Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 9 est présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 32 est présenté par Mme Harribey, MM. Sueur et Durain, Mme de La Gontrie, MM. Kanner, Kerrouche, Bourgi, Marie, Leconte, Antiste et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
… ° L’article L. 121-4 est abrogé ;
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 9.
Mme Cécile Cukierman. Nous nous opposons à la suppression de la collégialité pour la justice des mineurs. Nous pensons en effet qu’un enfant ne doit pouvoir être condamné à une peine que par une juridiction collégiale, et non par le juge des enfants statuant en chambre du conseil, seul.
Le présent amendement traduit cette opposition, qui n’est pas que de principe.
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic, pour présenter l’amendement n° 32.
M. Thierry Cozic. Cet amendement vise à supprimer la possibilité d’une audience en cabinet.
L’article 4 permet au juge des enfants statuant seul sur la sanction de prononcer certaines peines. Ce recul de la collégialité nous semble dangereux.
Cette disposition s’écarte même des règles en vigueur pour les majeurs, posant ainsi des règles moins favorables pour les mineurs, ce qui n’est pas acceptable.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La possibilité pour le juge des enfants de prononcer des peines en chambre du conseil, c’est-à-dire seul, est une innovation du code de la justice pénale des mineurs.
Cela nous paraît une bonne mesure. Il s’agit, en effet, de répondre à un souci d’efficacité : nous avons vu que le prononcé de sanctions rapides était l’un des enjeux majeurs de l’efficacité de la réforme visant à lutter contre la délinquance.
Enfin, les peines concernées sont très limitées : confiscation de l’objet ayant servi à commettre l’infraction, stage ou travail d’intérêt général (TIG) pour les mineurs âgés de plus de 16 ans au moment du prononcé de la peine.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement est lui aussi défavorable à ces amendements. J’ajoute que le juge des enfants a toujours la possibilité de renvoyer les situations les plus complexes au tribunal.
Au reste, le fait que le juge statue seul n’est pas forcément inquiétant a priori : cela peut, au contraire, favoriser une relation privilégiée avec le mineur.
Je ne reviens pas sur les mesures que le juge peut prendre seul, en chambre du conseil, car Mme la rapporteure les a rappelées.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 9 et 32.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 11, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Rédiger ainsi cet alinéa :
a) Après les mots : « mineurs âgés », la fin du premier alinéa est ainsi rédigée : « d’au moins seize ans au moment de la date de commission de l’infraction. » ;
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Si les TIG ne peuvent pas être réalisés par des jeunes de moins de 16 ans, l’article 4 institue la possibilité de condamner à un TIG un mineur ayant commis une infraction avant cet âge, dès lors qu’il est âgé d’au moins 16 ans au moment du jugement.
Nous pensons que cette faculté remet en cause le principe de la légalité des peines et l’égalité entre jeunes. En effet, selon l’importance de la juridiction, un jeune pourra, pour une même infraction et dans une même situation, être jugé soit avant soit après ses 16 ans, donc être ou non condamné à un TIG.
Je le dis sans porter de jugement sur l’opportunité de la condamnation à un TIG. C’est une question d’égalité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Considérant que son adoption reviendrait à réduire la possibilité de recourir au TIG, qui est une bonne mesure, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je rappelle simplement que l’objectif est de favoriser les TIG, qui constituent une alternative à l’incarcération.
Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. J’ai peut-être présenté cet amendement rapidement. Je veux répéter qu’il ne s’agit pas de s’opposer aux TIG.
Monsieur le garde des sceaux, je vous invite à vous rendre dans deux communes de mon département, notamment en milieu rural, qui ont signé des conventions pour accueillir des personnes condamnées à des TIG. Aujourd’hui, elles n’en accueillent pas, pour de nombreuses raisons : éloignement trop important, capacités d’encadrement trop faibles…
Ce n’est pas le principe du TIG qui nous pose problème. Nous nous interrogeons simplement sur le fait que, à âge égal, un jeune pourra être condamné à un TIG et un autre non. J’aurais souhaité obtenir une réponse à cette question de l’égalité entre les juridictions. Permettez-moi d’y insister de nouveau.
Je ne doute pas que votre désaccord avec notre amendement n’a rien à voir avec un quelconque dogmatisme. Au reste, excusez-moi si je n’ai pas été suffisamment claire… peut-être est-ce lié à l’heure avancée de la soirée !
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Chère collègue, je vais moi aussi développer plus longuement ma position.
Le recours au TIG pose problème aujourd’hui. En effet, les magistrats et les avocats ont une mauvaise connaissance des possibilités de TIG offertes dans le ressort de leur tribunal, ce qui ne facilite pas le prononcé de cette sanction.
Il y a également une difficulté dans la mise en œuvre des TIG. Nous l’avons déjà évoquée : les délais entre le prononcé de la mesure et sa réalisation véritable sont souvent trop longs. Or on sait que l’efficacité de la réponse dépend de son instantanéité. Comme nous l’avons dit, le délai doit être le plus court possible pour que la mesure ait du sens.
Néanmoins, je ne pense pas que prévoir qu’il faut avoir 16 ans au moment de la commission des faits, et pas seulement lors du prononcé de la sanction, permettra le développement de cette bonne réponse qu’est le TIG, véritable alternative à l’incarcération.
Mme la présidente. L’amendement n° 64 rectifié, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Alinéa 16
Rédiger ainsi cet alinéa :
6° L’article L. 122-6 est abrogé ;
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Par cet amendement, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande la suppression de l’article L. 122-6 du code de la justice des mineurs, lequel fixe les conditions de mise en œuvre de la peine de détention à domicile avec surveillance électronique.
La normalisation de cette peine de détention à domicile avec surveillance électronique est une violation du principe de primauté de l’éducatif dans la réponse pénale à la délinquance des enfants, principe que nous souhaitons par ailleurs réaffirmer dans l’article préliminaire de ce code.
De surcroît, cette mesure n’est pas adaptée aux enfants et adolescents, quel que soit leur âge. Ce sont les professionnels du droit qui le disent, notamment le Conseil national des barreaux et le Syndicat de la magistrature.
Enfin, elle fait craindre un alignement de la justice des mineurs sur celle des majeurs. N’oublions pas, encore une fois, le sens initial de la justice des mineurs, qui est celui d’une justice spécifique.
Ainsi, une réforme de la justice des mineurs bien conçue ne peut avoir pour unique but d’accélérer les procédures, en traitant, au passage, des mineurs comme des délinquants majeurs.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous avons vu que l’un des enjeux de la réforme du code de la justice pénale des mineurs était de lutter contre la détention provisoire et contre la détention plus globalement.
La détention à domicile sous surveillance électronique est une alternative à l’enfermement des jeunes dans des lieux qui, généralement, ne leur sont pas forcément adaptés et ne sont guère protecteurs.
Je pense ainsi qu’une restriction de sa liberté à domicile est beaucoup plus protectrice pour un jeune qu’un enfermement dans une prison, un centre de détention, voire dans un CEF, d’autant plus que cette mesure de détention à domicile sous surveillance électronique est particulièrement encadrée, notamment avec l’accord des représentants légaux, et qu’elle doit être assortie d’une mesure éducative.
Par conséquent, la commission est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je ne vois pas comment on peut être opposé à cette peine alternative à l’emprisonnement quand on veut privilégier l’éducatif.
Comme vient de le rappeler Mme la rapporteure, la peine de détention à domicile sous surveillance électronique permet au jeune condamné de demeurer auprès de ses proches, autrement dit à la maison, de maintenir sa scolarité, sa formation ou son suivi éducatif.
Je suis défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je comprends bien les arguments de notre rapporteur et de M. le ministre, mais je rappelle que les mineurs concernés sont encore des enfants et que, quelles qu’aient été ses défaillances préalables, l’autorité parentale s’exerce encore.
Or la mesure que l’amendement tend à supprimer est clairement susceptible de remettre en cause la crédibilité et l’autorité parentales. À cet égard, sauf à renier l’autorité parentale en matière d’éducation, l’amendement défendu par notre collègue me semble tout à fait correct.
Surveiller un enfant chez lui, c’est nier l’autorité parentale.
Mme la présidente. L’amendement n° 12, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 16
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° L’article L. 123-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Cette peine d’emprisonnement ne peut être prononcée à l’unique condition que celle-ci soit assortie d’une mesure éducative confiée à la protection judiciaire de la jeunesse. » ;
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Loin de tout angélisme, force est de constater que, parfois, une peine d’emprisonnement doit être prononcée à l’égard d’un mineur. Bien évidemment, nous ne pouvons que souhaiter que cette situation se produise le moins souvent possible.
Pour autant, nous pensons que, dès lors que cette peine est prononcée, elle doit être assortie d’une mesure éducative qui inscrit le jeune, dès le premier jour de son emprisonnement, dans un « parcours éducatif » – pardonnez-moi, mes chers collègues, si la formule vous semble inappropriée.
La privation de liberté doit être une parenthèse dans la vie du mineur. La mesure éducative doit lui apporter d’emblée une perspective de sortie, lui permettre de repenser sa place et d’envisager une réinsertion pleine et entière. On peut espérer qu’elle aidera le jeune à construire et réussir sa vie et l’éloignera du camp des récidivistes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement nous paraît superfétatoire dans la mesure où l’article L. 121-4 du code de la justice pénale des mineurs prévoit déjà que les mineurs détenus, soit dans les quartiers pour mineurs, soit dans des établissements pénitentiaires pour mineurs, bénéficient de l’intervention continue des services de la protection judiciaire de la jeunesse.
Outre la PJJ, l’éducation nationale est également présente dans ces établissements, la scolarité étant obligatoire jusqu’à 16 ans.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Cécile Cukierman. Nous retirons l’amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L’amendement n° 12 est retiré.
Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
6
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 27 janvier 2021 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente et le soir :
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, prorogeant l’état d’urgence sanitaire (texte de la commission n° 300, 2020-2021) ;
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs (texte de la commission n° 292, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 27 janvier 2021, à zéro heure trente.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER