4
Protection patrimoniale et promotion des langues régionales
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion (proposition n° 321 [2019-2020], texte de la commission n° 177, rapport n° 176).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Madame la présidente, madame le rapporteur, chère Monique de Marco, mesdames, messieurs les sénateurs, après son examen en première lecture à l’Assemblée nationale le 14 février dernier, la proposition de loi du député Paul Molac relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion est aujourd’hui discutée par votre Haute Assemblée.
Cette proposition de loi nourrit une ambition que nous avons tous en partage et qui figure depuis 2008 en toutes lettres dans notre Constitution, à l’article 75-1 qui dispose : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »
Par ces mots, ce sont les attaches et les cultures de nos concitoyens qui sont reconnues. Par ces mots, ce sont les richesses des pays et des langues qui ont été et sont pleinement considérées comme parties prenantes de l’identité de chacun d’entre nous.
Comme la philosophe Simone Weil l’écrivait, nous savons que « l’enracinement est peut-être [notre] besoin le plus important et le plus méconnu. Chaque être humain a besoin d’avoir de multiples racines. »
Très souvent, dans mes fonctions de ministre de l’éducation nationale, je suis amené à dire que nous devons donner « des racines et des ailes » à nos enfants, et que la question de leur ancrage dans la nation française est fondamentale. Nous devons d’abord et avant tout dire à nos enfants qu’ils sont les enfants de la République : ce message n’est non seulement pas incompatible, mais se nourrit des appartenances locales qui sont évidemment aussi la sève de notre beau pays.
Aucune société ne se projette avec confiance dans l’avenir sans de tels attachements. Tel est d’ailleurs le projet même de notre école : donner à chaque enfant des racines, par la transmission des savoirs des siècles passés, et lui donner des ailes, par l’accès aux connaissances les plus modernes.
C’est bien pourquoi, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, je suis un partisan de l’enseignement des langues régionales : il est pour moi évident que les langues de nos régions figurent parmi les trésors culturels que compte notre pays ; j’ai également la conviction qu’elles contribuent à l’accomplissement intellectuel et sensible d’un être humain.
Dans mes différentes fonctions, j’ai eu à promouvoir les langues régionales, notamment comme recteur de Guyane. Je considère en effet que la diversité linguistique est de la plus haute importance : elle fait partie, d’une certaine façon, de ce que l’on appelle parfois la biodiversité de la vie humaine.
L’éducation nationale s’est pleinement saisie de cette richesse pour la proposer à nos élèves et la faire vivre. C’est pourquoi l’on ne doit jamais caricaturer ni notre pays ni notre système éducatif comme étant hostile aux langues régionales : ce n’est pas vrai !
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 514 professeurs sont aujourd’hui titulaires du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (Capes) section langues régionales : basque, breton, catalan, corse, créole ou occitan-langue d’oc. Rappelons à cet égard qu’une agrégation des « langues de France » est ouverte depuis la session 2018, et que sept enseignants étaient agrégés de cette discipline en 2019.
Tous ces professeurs permettent aujourd’hui à 170 000 de nos élèves d’apprendre une langue vivante régionale. Chaque jour, nous nous attachons à faire progresser ce chiffre en proposant un parcours cohérent depuis l’école jusqu’au lycée.
J’en veux pour preuve la place ménagée aux langues régionales dans la réforme du lycée général et technologique.
Aujourd’hui, avec le nouveau lycée, un élève peut choisir de suivre un enseignement de langue et de culture régionales : tout d’abord, comme langue vivante B, avec un coefficient plus important qu’avant notre réforme – 6 sur 100 contre 2 sur 40 auparavant –, ce qui est le cas pour 4 367 élèves ; mais aussi comme langue vivante C, dans le cadre d’un enseignement optionnel, ce qui est le cas pour 3 389 élèves ; et, enfin, comme enseignement de spécialité sur le cycle terminal, avec des programmes riches et ambitieux adossés à des coefficients importants – 16 sur 100 au baccalauréat : 134 élèves de première sont concernés, et nous attendons les chiffres pour la terminale.
Nous avons donc démultiplié les possibilités d’apprendre une langue régionale au lycée, en maintenant les mêmes volumes horaires pour l’offre déjà existante et, surtout, en proposant, avec les nouveaux enseignements de spécialité, des horaires importants qui permettent aux élèves de découvrir de manière approfondie les caractéristiques, tant des langues que des cultures régionales.
J’ai entendu les critiques sur les difficultés que rencontreraient certains lycéens pour suivre un enseignement en langue régionale. Assurément, nous pouvons çà et là améliorer l’offre et le maillage, et je continuerai à m’y employer.
Pour autant, sachons tirer le bon diagnostic de la situation actuelle : les demandes des élèves et des familles sont en constante baisse, et ce indépendamment du nouveau lycée. Nous le savons tous, il n’est pas possible d’envisager des classes à un, deux ou trois élèves. Il faut donc agir pour susciter et stimuler la demande.
Le numérique nous donne aujourd’hui la capacité de répondre à ce défi, en endiguant la baisse constatée, voire – j’en suis convaincu – en encourageant une nouvelle dynamique.
J’ai donc demandé au Centre national d’enseignement à distance (CNED) de concevoir, pour la rentrée 2021, des parcours pour les élèves intéressés par le basque, le breton, le corse et l’occitan. Ils disposeront ainsi d’une offre de formation de qualité, qui pourra s’appuyer sur un accompagnement dans leur établissement par un professeur aux compétences reconnues.
Nous pouvons également progresser dans d’autres domaines. Je pense à la formation initiale, et en particulier à des modules spécifiques pour l’enseignement du bilinguisme.
Notre action n’est pas isolée : elle est pleinement concertée avec les acteurs et les défenseurs des langues régionales, qui siègent dans les conseils académiques des langues régionales, et qui font vivre ces langues au sein des offices publics de langue régionale.
Ces différents éléments, mesdames, messieurs les sénateurs, n’en sont que quelques-uns parmi d’autres que je pourrai développer tout à l’heure. Ils vous auront cependant permis de mesurer l’engagement de notre ministère pour la promotion des langues régionales.
Alors, pourquoi avoir supprimé les articles 3 à 7 de cette proposition de loi, qui portaient justement sur l’enseignement des langues régionales ?
J’ai eu l’occasion de le dire à l’Assemblée nationale le 14 février dernier, et je le redis aujourd’hui : les différents sujets traités dans ces articles ont déjà été discutés voilà plus d’un an dans le cadre de la loi pour une école de la confiance. Le Parlement a donc déjà tranché.
Sur d’autres aspects, plusieurs articles et amendements étaient de pure forme. Ils étaient la plupart du temps déjà satisfaits.
Aujourd’hui, nous abordons de nouveau un texte sur lequel plusieurs arguments ont été développés. L’un d’entre eux concerne l’enseignement dit « immersif », sur lequel je voudrais revenir un instant.
J’ai souligné tout à l’heure mon attachement à la reconnaissance et au développement de l’enseignement des langues régionales. Mais, en ce domaine, l’exigence d’équilibre s’impose et, en matière d’enseignement, cet équilibre doit se manifester à travers le respect des deux langues enseignées, qui peut aller jusqu’à la parité horaire dans le cadre de l’enseignement bilingue.
L’enseignement des langues régionales est un aboutissement et l’expression de notre idéal français, celui que nous avons construit au travers de notre histoire, et qui consiste précisément en une juste articulation entre la Nation et le pays, entre l’ambition de partager une même langue, de porter un message et des valeurs qui nous élèvent en tant que Français, et la reconnaissance bien légitime de nos attaches.
Le sujet n’est pas nouveau, nous le savons : il a déjà été éclairé par un avis du Conseil d’État en 2002. Je m’y tiendrai scrupuleusement, et je m’y tiendrai d’autant plus que je suis convaincu que les premières années d’apprentissage du français sont absolument fondamentales : c’est cette même conviction qui m’a conduit à défendre l’abaissement de l’instruction obligatoire à trois ans.
Aussi, l’expérimentation d’un enseignement immersif doit rester l’exception, une exception issue d’une demande légitime et soumise à un cadre, un protocole, une régulation et une durée déterminés.
Il ne s’agit donc pas d’une opposition de principe, mais de faire valoir notre grande priorité, qui est aussi un devoir à l’égard des enfants, à savoir la qualité de l’enseignement du français pour tous nos élèves.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, j’aborderai la proposition de loi qui est au centre de nos échanges aujourd’hui avec une ambition et des exigences chevillées au corps : l’ambition de faire mieux pour la promotion et l’enseignement des langues régionales, l’exigence du discernement et de la mesure, afin de garder toujours à l’esprit les efforts déjà déployés et le nécessaire respect de nos différents engagements et, enfin, l’intérêt des élèves et le respect du cadre juridique, qui constituent nos boussoles.
Je ne doute pas que nous partagerons ces exigences dans le cadre des discussions utiles et passionnantes qui vont suivre et qui doivent bien entendu nous unir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Monique de Marco, rapporteure de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Elles constituent une richesse culturelle, patrimoniale et linguistique pour notre pays.
Le ministère de la culture en dénombre une vingtaine en France métropolitaine, et plus d’une cinquantaine dans les territoires d’outre-mer. Toutefois, ces langues sont aujourd’hui menacées. Selon le classement de l’Unesco, les langues de France sont soit vulnérables, soit en danger, soit sérieusement en danger.
Un premier constat peut être dressé : nous connaissons très mal le nombre de locuteurs de langues régionales. La dernière enquête nationale date du recensement de 1999. L’Insee avait alors évalué à 5,5 millions le nombre de personnes déclarant que leurs parents leur parlaient dans une langue régionale. C’était il y a plus de vingt ans, soit une génération. Quelle est la pratique de ces langues aujourd’hui ?
Certes, des collectivités territoriales, comme la région Bretagne, chère à Sylvie Robert, Ronan Dantec et bien d’autres, ou des associations ont pris l’initiative de lancer des études sur le nombre de locuteurs. Par exemple, l’occitan, dans l’ensemble de ses variantes, serait parlé par un million de locuteurs. Mais il nous manque une vision nationale actualisée.
Comment construire une politique ambitieuse de promotion des langues régionales si nous ne disposons pas d’une connaissance précise du nombre de locuteurs et de la situation de chaque langue ? Monsieur le ministre, il me semble important qu’une nouvelle enquête nationale soit lancée.
Cependant, même en l’absence de données précises, chacun s’accorde à dire que la pratique des langues régionales est en baisse.
Si la pratique des langues régionales ultramarines résiste bien, tout comme celle du breton et du basque, la pratique des autres langues connaît une forte diminution. À titre d’exemple, en l’espace de vingt ans, le nombre de locuteurs du flamand occidental a été divisé par deux, en raison du manque de soutien politique. Et encore, cette langue régionale a la chance d’être transfrontalière et de bénéficier du dynamisme linguistique en Belgique.
Mes chers collègues, prenons conscience de la situation d’autres langues régionales qui ne sont pratiquement plus transmises dans le cercle familial, qui ne peuvent pas s’appuyer sur un vivier linguistique transfrontalier et qui ne bénéficient pas d’un volontarisme politique pour les promouvoir et les défendre.
Deuxième constat : la valorisation et la promotion des langues régionales passent par leur utilisation et leur transmission. Le service public via France Télévision et Radio France propose des programmes bilingues ou en langue régionale. Peut-être pourraient-ils être plus nombreux…
Mais surtout, notre commission a souligné l’importance des radios associatives en langue régionale, qui participent activement à leur utilisation et, donc, à leur promotion.
M. Max Brisson. Très bien !
Mme Monique de Marco, rapporteure. Lors de l’examen du projet de loi de finances, le Sénat a adopté un amendement visant à les soutenir, dont le coût est estimé à 3,5 millions d’euros. J’espère que cette disposition sera maintenue dans le texte – au moins en partie – après la réunion de la commission mixte paritaire.
M. André Reichardt. Oui, c’est indispensable !
Mme Monique de Marco, rapporteure. Troisième constat : aujourd’hui, sauf pour quelques langues, la transmission ne se fait plus dans le cercle familial. L’école est le principal vecteur de transmission des langues régionales.
Aussi la commission a-t-elle regretté qu’un texte visant la promotion des langues régionales nous soit transmis amputé de ses principales dispositions relatives à l’enseignement des langues régionales. C’est pourquoi la commission a donné un avis favorable à plusieurs amendements tendant à encourager et à faciliter leur enseignement.
Nous ne pouvions pas laisser passer l’occasion de nous emparer de ce sujet à l’occasion de l’examen de la proposition de loi de Paul Molac. D’ailleurs, la thématique des langues régionales avait animé le Sénat lors de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance. Notre collègue Max Brisson, dont chacun connaît l’attachement à la langue basque, et qui était rapporteur de ce texte, peut en témoigner. (M. Max Brisson acquiesce.)
Monsieur le ministre, plusieurs intervenants nous ont par ailleurs alertés sur les conséquences de la réforme du baccalauréat pour l’enseignement des langues régionales. Les difficultés relèvent principalement de l’échelon infralégislatif. Votre ministère a donc la possibilité d’agir rapidement pour promouvoir les langues régionales.
Je pense tout d’abord à la comptabilisation des notes des épreuves de langue régionale pour le baccalauréat. Serait-il possible que le mode de calcul appliqué au latin et du grec ancien le soit également aux langues régionales ? Ces deux langues anciennes sont les seules options pour lesquelles le bonus des points au-dessus de la moyenne est maintenu. De plus, ces points sont affectés d’un coefficient de 3.
Par ailleurs, je suis avec intérêt la réflexion en cours pour développer, via le CNED, un enseignement à distance des langues régionales. Un tel dispositif permettrait à un élève de présenter cette matière au baccalauréat, même si l’enseignement n’est pas proposé dans son établissement ou s’il n’a pas pu le suivre. Il pourrait également intéresser un public plus large souhaitant se former à une langue régionale. J’espère que cette démarche pourra aboutir.
J’en viens enfin à mon quatrième et dernier constat : par méconnaissance, mais aussi par manque de volontarisme politique, les nombreux outils de promotion et de valorisation des langues régionales ne sont pas suffisamment exploités.
Aussi, ce texte vise à préciser l’articulation entre le français et le recours aux langues régionales. Il a également pour objet de lever les ambiguïtés sur l’utilisation des langues régionales dans l’espace public et pour les actes d’état civil.
Le Conseil constitutionnel l’a clairement indiqué dans sa décision relative à l’emploi de la langue française de 1994 : l’usage des traductions, notamment en langue régionale, est possible dès lors que l’utilisation de la langue française est assurée.
Néanmoins, dans les territoires, on constate de nombreuses interrogations sur la possibilité de recourir à des traductions en langue régionale. Il me paraît important d’apporter une réponse juridique claire à tous les promoteurs de ces langues.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il est désormais urgent d’agir pour promouvoir les langues régionales. Sans volontarisme politique fort, la plupart de ces langues auront disparu dans quelques dizaines d’années ou seront vues comme des curiosités historiques. Cette proposition de loi doit leur permettre de rester un patrimoine vivant de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, INDEP et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. le président de la commission de la culture.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Mes chers collègues, je tiens simplement à vous informer qu’un amendement de suppression de l’article 9 a été déposé très tardivement par le Gouvernement.
N’ayant pas pu réunir la commission avant l’ouverture de la séance publique, je vous propose de nous retrouver après que Mme la présidente aura suspendu la séance – peut-être vers treize heures ou treize heures quinze. Nous n’en aurons vraisemblablement pas pour très longtemps, mais il nous faut tout de même le temps suffisant pour l’examiner.
Mme le président. Monsieur le président, mes chers collègues, pour votre bonne information, je compte suspendre la séance à treize heures.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Lucien Stanzione. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Lucien Stanzione. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est une nouvelle occasion d’opposer les jacobins centralisateurs aux girondins défenseurs de la diversité culturelle et linguistique.
Le principe d’une République une et indivisible s’applique jusque sur le plan linguistique. Pourtant le bilinguisme français-langues régionales est une vraie richesse au niveau intellectuel et éducatif.
Les jeunes Français ne sont pas les plus brillants en langues étrangères, mais un jeune bilingue français–langues régionales aura beaucoup plus de facilité pour apprendre plus vite et mieux une troisième, voire une quatrième langue.
À l’heure de l’Europe des régions et de la mondialisation, le jacobinisme est un réflexe de peur et de repli sur soi. La rupture avec ce jacobinisme a été amorcée à la fin des années 1970, mais c’est surtout l’engagement des socialistes qui a permis de faire entrer cette question dans le débat politique. De nombreuses avancées ont pu voir le jour, notamment sous la présidence de François Mitterrand.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a pu réaffirmer son attachement aux langues régionales, comme en témoignent la reconnaissance de l’enseignement bilingue dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République en 2013, la participation financière dans la loi NOTRe, la proposition de loi des députés socialistes de 2016, cosignée par le député-rapporteur Paul Molac, et la proposition de loi relative à l’installation de panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération en langue régionale, adoptée par le Sénat – et pas par l’Assemblée nationale.
Pourquoi sommes-nous tant attachés aux langues régionales ? Parce qu’une langue qui meurt entraîne la perte irrémédiable de la connaissance et d’une part de notre identité, dans le domaine culturel, historique et environnemental.
Chaque langue témoigne de l’expérience humaine. La maîtrise des langues apporte une réponse aux questions fondamentales de demain.
Or une évolution est en cours, lente et insidieuse. L’anglais et les anglicismes envahissent de plus en plus la langue française. Certains linguistes y voient, au mieux une perte des repères culturels, au pire une rampante victoire idéologique du libéralisme anglo-saxon. Défendre nos langues régionales, c’est donc défendre nos valeurs, comme héritage direct de notre histoire.
Les langues régionales consacrent la pluralité et la diversité de nos territoires.
La proposition de loi soumise à notre examen aujourd’hui est importante : elle institue la reconnaissance de l’intérêt patrimonial des différentes langues régionales, qui bénéficieront désormais d’actions de conservation et de promotion.
Une langue, c’est une perception du monde, une école de pensée, une culture.
Une langue, c’est une façon de vivre, de percevoir et de transmettre le monde. C’est le vecteur d’un héritage, d’une histoire passée, mais aussi celui de la transmission des conditions d’un renouveau dans notre conception de la Nation.
Les langues régionales sont une partie intégrante de notre patrimoine et leur richesse culturelle construit notre identité. Toutes les langues, quelles qu’elles soient, offrent un témoignage unique de notre génie culturel.
Afin de préserver la diversité linguistique de notre pays, l’usage et la présence au quotidien de nos langues régionales sont cruciaux.
Si les domaines de l’état civil et de l’espace public abordés dans cette proposition de loi en sont deux composantes essentielles, le champ de l’éducation ne doit pas être négligé.
Les amendements qui ont pris corps lors de nos échanges en commission, concernant l’extension du dispositif appliqué en Corse et la suppression du caractère volontaire de la contribution financière, ont été repris. Notre groupe les fait siens.
Vous l’aurez bien compris, monsieur le ministre, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain appuie ce texte avec force. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, charmes de la France métropolitaine et de nos outre-mer, nos langues régionales sont les accents variés de notre langue nationale. Elles sont les rivières qui viennent se jeter dans l’océan français.
Les articles 3 et 7, à l’origine de cette proposition de loi en faveur de l’enseignement bilingue, étaient les plus engageants pour l’État. Ils ont disparu depuis. Toutefois, il existe déjà de nombreuses dispositions dans la loi qui vont dans ce sens.
Par ailleurs, nous constatons que le niveau de l’enseignement de la langue française est en baisse constante. Il est urgent que nos enfants apprennent le français autrement que par la méthode globale, qu’ils écrivent autrement que par les SMS et qu’ils ne soient plus soumis au verbiage abrutissant de musiques « urbaines » qui riment avec « haine », haine de tout ce qui fait la France, y compris sa langue. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Faite de subtilités, celle-ci est l’expression de notre culture commune, l’actrice ô combien vivante et vivace de notre histoire.
La langue dit qui l’on est, d’où l’on vient. Elle est un élément essentiel de la cohésion nationale. Clovis, qui étendit ses États de la Loire jusqu’au Rhin, parlait germanique et ce fut la rencontre avec le latin des Gallo-Romains qui donna naissance à la langue francique, jusqu’à l’ordonnance de Villers-Cotterêts d’août 1539, par laquelle le roi François Ier imposa le français pour la rédaction des actes légaux et notariés. Mais il faut attendre la fin du XIXe siècle pour qu’il devienne la langue de tous les Français.
Écouter la langue française, c’est entendre l’histoire de France ! Parler français, c’est rendre hommage et faire honneur à ceux qui ont fait notre pays !
Notre patrimoine linguistique est varié, il faut le valoriser. Il faut que nous soyons capables de valoriser également l’enseignement des langues latines et grecques dans nos écoles, car elles sont le cœur sémantique de notre langue.
Mais c’est la même République qui a fait interdire le provençal dans les cours d’école pour imposer l’unité nationale, qui veut désormais imposer l’enseignement de la langue arabe pour mieux valoriser l’autre. Quand la haine de soi va jusqu’à l’ethno-masochisme… (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. Hussein Bourgi. Menteur !
M. Stéphane Ravier. Le français s’enrichit de la diversité linguistique de ses territoires. Les langues régionales rappellent à chaque région leurs réalités historiques, géographiques et identitaires. Un Provençal n’est pas un Breton, qui n’est pas un Corse, qui lui-même n’est pas un Martiniquais. Si tous sont fiers de leur petite patrie, tous s’unissent en admettant qu’elle ne saurait être au-dessus de la grande.
Félix Gras, disciple de Frédéric Mistral, nous rappelle cette nécessaire hiérarchie du sentiment d’appartenance : « J’aime mon village plus que ton village, j’aime ma Provence plus que ta province, j’aime la France plus que tout ! » Il est là, le génie français !
Accordons dès lors à nos territoires, à nos communes la possibilité de promouvoir nos langues régionales. Dans le fracas de l’uniformisation imposée par la mondialisation et face à la montée du communautarisme sous perfusion migratoire, pour que le français ne soit pas une langue morte, il faut que vivent nos langues régionales ! Il y va de l’intérêt culturel local et de notre patrimoine national ! (Marques d’impatience sur les travées du groupe SER, où l’on fait remarquer à l’orateur qu’il dépasse son temps de parole.)
Pour conclure, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette fin d’année 2020, comme nous le disons encore au Roudelet Felibren et au groupe Saint Éloi de Casteou Gombert : « Vous souvet en tòuti de fruchous fest calendale, un bouan bout d’an, e esper tamben pér dous mille vint un que se sian pas mai, que siguen pas mén. »
Mme le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, chère Monique de Marco – dont je voudrais saluer la qualité du travail –, mes chers collègues, ni la France ni la République n’ont eu de rapports faciles avec les langues de nos territoires qualifiées de « régionales ».
Celles-ci furent longtemps le symbole de la France restée celle du cheval de trait, archaïque, voire réactionnaire. Beaucoup de nos langues, appelées alors avec plus ou moins de mépris « patois », ne résistèrent pas au rouleau compresseur de la modernité.
L’école a contribué à ce recul. Mais l’urbanisation et la télévision jouèrent finalement, à partir des années 1950 et 1960, un rôle au moins tout aussi grand dans la rupture de la transmission familiale.
Pour autant, nous ne sommes plus en 1950. Nos langues, au moins là où elles ont survécu, si elles ne sont pas autant parlées dans les rues de nos villages et encore moins de nos villes, le sont désormais à l’école, où elles furent longtemps interdites : une inversion de situation, caractérisée par un recul de nos langues dans la société, mais par une irruption salvatrice à l’école.
Devons-nous le relever et le saluer ? Oui, monsieur le ministre !
Devons-nous nous en contenter ? Non, monsieur le ministre !
Car c’est sur l’école que reposent, désormais, la préservation et le développement de nos langues. C’est un renversement historique !
Or si l’institution scolaire a fait des efforts, elle n’a jamais intégré la notion de politique linguistique et son objectif final, la production de locuteurs complets, sachant vivre et travailler dans leur langue. Dans nos territoires, l’éducation nationale a trop souvent un train de retard, car elle n’intègre pas le réveil des langues, la demande sociale et l’appétence des jeunes générations pour ce qui est un élément du réveil des territoires.
Au Pays basque par exemple – je le dis sous le contrôle de Frédérique Espagnac –, nous avons compris depuis longtemps que les territoires sans identité étaient des territoires sans projet.
La langue appartient certes au patrimoine, mais elle est d’abord un facteur d’attractivité, et finalement, loin d’une approche muséographique et nostalgique, elle s’inscrit pour nous comme un facteur de modernité. Elle est aussi, loin des fantasmes jacobins, un vecteur d’intégration, de solidarité et de préservation du tissu social, dans un pays où il se délite si souvent.
Dans ces conditions, s’il faut féliciter Paul Molac pour sa proposition de loi – et je tiens à saluer sa présence dans nos tribunes –, il faut regretter que l’Assemblée nationale ait exfiltré tous les articles du texte qui concernaient l’enseignement, comme s’il pouvait y avoir une politique en faveur des langues régionales sans renouveler, fortifier, conforter la transmission via l’école.
Depuis la loi Deixonne, ce n’est en effet que par les marges que l’éducation nationale aborde le sujet, en annexe de lois majeures pour l’école ou les collectivités, comme la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République ou encore la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. Dans toutes ces lois majeures, les langues régionales sont un sujet mineur.
Parallèlement, mes chers collègues, la loi, dite Toubon, du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, pourtant voulue pour lutter contre l’anglomania, fut rarement utilisée face à la percée de l’impérium anglo-américain, mais très souvent contre les langues de France.
Combien de fois ai-je entendu préfets, recteurs, directeurs académiques des services de l’éducation nationale (Dasen) se draper dans cette loi de 1994, trahissant la volonté du législateur à tel point que mon ami Alain Lamassoure m’indiquait un jour que, s’il avait su comment cette loi serait instrumentalisée, il ne s’y serait pas associé.
Je conclurai en disant mon soutien à cette proposition de loi, qui rappelle l’État à ses obligations : préservation de ce patrimoine immatériel, sécurisation juridique de la présence des langues régionales dans les espaces publics, utilisation des signes diacritiques, cadrage de la loi Toubon.
Il faudra aussi parler de l’école, et ce sera l’objet des amendements que nous défendrons.
Nos langues de France sont une richesse. Le pays qui prône, ou du moins prônait, l’exception culturelle ne peut laisser dépérir ce trésor inestimable.
Le développement durable, c’est la transmission aux générations de demain d’un capital naturel et humain. Il est de la responsabilité de notre génération d’assurer cette transmission, pour les générations futures.
Dans certains territoires de France, ce matin, au travers des élèves des réseaux Seaska, Diwan, la Bressola, des calendrettes, d’ABCM, ou ceux des écoles publiques et privées bilingues, en basque, breton, catalan, occitan, alsacien ou dans nos langues ultramarines, les générations futures nous regardent et attendent que nous soyons à la hauteur des générations qui nous ont précédés et qui aimèrent et parlèrent leur langue maternelle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, INDEP, SER et GEST.)