Mme Marie-Noëlle Lienemann. Entre parenthèses – je me permets un petit coup de griffe –, je n’entends pas souvent le Medef, c’est-à-dire le Mouvement des entreprises « de France », parler de projets de recherche et, surtout, des besoins de recherche du pays. Il s’intéresse beaucoup aux baisses de cotisations, mais jamais à la recherche !
Nous avons augmenté massivement l’aide à la recherche privée, mais celle-ci ne s’est pas développée à hauteur de ce que l’on a pu observer dans tous les autres pays développés.
Nous sommes les meilleurs pour financer le privé par le public, et parmi les moins bons pour financer la recherche publique par le privé. Les chiffres sont formels. En France, les entreprises financent 5,2 % de la recherche publique, contre 7 % en moyenne au sein de l’Union européenne et 12,5 % en Allemagne !
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cessez de nous faire passer pour des bolcheviks qui ne voudraient que du public ! Nous voulons une complémentarité positive. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Ces amendements sont nombreux et intéressants. En complément de l’intervention de notre collègue Jérôme Bascher, je centrerai mon propos sur les masses financières. Dans un projet de loi de programmation de la recherche, nous sommes malheureusement bien obligés de parler de chiffres, d’engagements financiers.
Je suis assez d’accord avec ce que M. Ouzoulias, auteur de l’amendement n° 143, a indiqué sur les universités, les doctorants et les chercheurs.
Je ne suis qu’un modeste sénateur des Ardennes. Je n’ai aucune autorité sur l’intitulé du projet de loi. Certes, parmi la trentaine de missions qui figurent dans le budget de l’État, il y a la mission « Enseignement supérieur et recherche ». En la matière, tout est étroitement lié. La recherche est un sujet très compliqué. Les jeunes sont concernés. Les différents orateurs ont rappelé l’immensité de la tâche.
On peut s’interroger sur une telle programmation, dont la commission souhaite ramener la durée à sept ans. Il est effectivement difficile de programmer financièrement la recherche.
Cela étant, je me rallierai à la position de la commission sur les différents amendements.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je me souviens très bien de la période de création de l’ANR.
M. Jérôme Bascher. En 2005 !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avions alors entendu le Président de la République de l’époque et son gouvernement se livrer à de véritables diatribes contre le CNRS, sa bureaucratie et ses multiples laboratoires dont quelques chercheurs décidaient « quelquefois démocratiquement » de la gouvernance.
Il fallait passer un grand coup de balai ! Tout cela n’allait pas. C’était au pouvoir central souverain de faire des choix politiques en faveur de projets qu’il aurait lui-même sélectionnés selon des critères fixés par lui…
Je dois dire qu’il y a dans le présent texte un héritage qui continue, malheureusement, de poser problème. C’est pourquoi je soutiendrai les amendements, dont celui de Sylvie Robert, qui visent à préconiser le développement de la recherche.
Madame la ministre, je reconnais que vous avez fait un pas, tout à l’heure, lorsque vous avez présenté votre amendement. Vous avez senti qu’il était nécessaire de redonner confiance à tous les chercheurs, dans toutes les institutions où ils travaillent, et qu’il fallait revoir le fonctionnement de l’ANR.
En effet, les projets souffrent trop souvent de la dispersion des moyens et d’une part d’arbitraire dans leur attribution, en dépit des procédures que l’on dit « récurrentes ». Les laboratoires et les équipes ont besoin d’inscrire leurs travaux dans un temps long et la recherche scientifique resterait stérile sans une certaine gratuité.
Mes chers collègues, il était nécessaire de rappeler cette dimension philosophique essentielle, au moment de voter ces amendements. Décider d’orienter la recherche vers des alternatives aux pesticides est sans doute très important d’un point de vue politique,…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Sueur. … mais il faut préserver un équilibre en vertu de la recherche fondamentale.
M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de veiller à la concision de vos propos, afin que nous puissions avancer dans l’examen du texte.
La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Je viens de relire les amendements, car le débat s’est envolé, me semble-t-il, très loin de la réalité. Voilà bien longtemps que l’on n’avait pas utilisé le terme de « bolcheviks » dans la Haute Assemblée ! (Sourires.)
Tout d’abord, les dispositions de ces amendements ne font que rappeler que nous tenons à la trajectoire à sept ans.
Ensuite, il est évident, madame la ministre, que vous entendez nos arguments et que vous tentez de vous y rallier, sans le dire, bien entendu, mais en l’admettant parfaitement.
Enfin, malgré les intentions louables qu’a indiquées la rapporteure, il faut tout de même reconnaître les progrès accomplis, sur la durée de la trajectoire, notamment. Les belles déclarations ne doivent pas masquer les vérités.
Les clivages entre la gauche et la droite ont pris toute leur place dans ce débat, ce qui n’est pas pour me déplaire. Cependant, les appels à projets contribuent non seulement à combattre certaines rentes de situation, mais aussi à renouveler et à orienter la recherche.
Je n’irai pas jusqu’à dire « diriger », comme l’a osé Jérôme Bascher, car nous ne sommes plus au temps de « l’ardente obligation » du plan, chère au général de Gaulle – Pierre Ouzoulias finirait presque par le regretter –, et je dirais plutôt « stimuler », « impulser » « orienter », et encore une fois « renouveler » la recherche. En effet, aussi mirifique que soit le tableau dressé par nos collègues, des rentes de situation existent, que les projets contrarient.
M. le président. Madame Guidez, l’amendement n° 59 rectifié terdecies est-il maintenu ?
Mme Jocelyne Guidez. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 59 rectifié terdecies est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 145.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par M. Hingray et les membres du groupe Union Centriste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Les effectifs sous plafond des établissements publics sous tutelle du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (EPSCP, EPST et EPIC) évolueront selon la trajectoire suivante :
En équivalent temps plein travaillés, et en écart par rapport à 2020
|
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
Incidence de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche sur les effectifs sous plafond de l’État et des opérateurs des trois programmes budgétaires P150, P172 et P193 |
+2 757 |
+3 407 |
+4 057 |
+4 707 |
+5 207 |
+5 657 |
+6 057 |
La parole est à M. Jean Hingray.
M. Jean Hingray. L’objet de cet amendement est d’intégrer à la partie normative de la loi de programmation l’évolution planifiée des effectifs en équivalents temps plein travaillé, ou ETP.
En effet, l’une des craintes les plus vives exprimées par le monde de la recherche est que les nouvelles voies de recrutement créées par ce texte, telles que les chaires de professeurs juniors, le contrat doctoral de droit privé ou le CDI de mission, ne viennent purement et simplement se substituer aux emplois traditionnels de la recherche.
Or, dans le rapport annexe, le tableau qui retrace l’évolution des effectifs à la hausse en ETP, tout au long de la période de programmation, fait clairement apparaître une tendance inverse. Cependant, étant donné que ce document a une valeur législative, et non normative, le Gouvernement n’est lié par aucune obligation.
Cet amendement vise donc à intégrer ce tableau dans « le dur de la loi », après l’avoir actualisé pour prendre en compte le raccourcissement de la trajectoire de dix à sept ans. Cela ne devrait pas poser de problème, puisque l’augmentation du nombre d’ETP est fonction de l’évolution des crédits.
Dans la mesure où le tableau consacré à ces crédits est inscrit dans le marbre de l’article 2, on rassurerait l’ensemble de la communauté des chercheurs en y adjoignant celui de l’évolution des ETP.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laure Darcos, rapporteure. Même si l’idée d’intégrer l’évolution des effectifs sous plafond dans la partie normative du texte me semble intéressante, la trajectoire proposée ne me paraît guère crédible.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Hingray, l’amendement n° 9 est-il maintenu ?
M. Jean Hingray. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 9 est retiré.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 75 rectifié bis est présenté par Mme Lepage.
L’amendement n° 167 rectifié est présenté par M. Fialaire.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 4
Insérer deux paragraphes ainsi rédigés :
II bis. – Les bénéficiaires des financements publics destinés à la recherche et au développement, qu’ils soient des personnes morales de droit public ou de droit privé, mettent à la disposition de l’État le montant détaillé par projet des investissements dont ils ont bénéficié pour le développement des connaissances et inventions développées avec l’aide desdits financements publics, pour que ces derniers soient publiés.
II ter. – Le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation met à la disposition du public un répertoire consultable des informations mentionnées au II bis.
Les conditions d’application du présent article sont fixées par décret.
La parole est à Mme Claudine Lepage, pour présenter l’amendement n° 75 rectifié bis.
Mme Claudine Lepage. Cet amendement a pour objet que les bénéficiaires de fonds publics en recherche et développement aient l’obligation de rendre publics les montants reçus pour la mise en œuvre de ces activités.
En effet, le budget de l’État contribue très largement, par des mécanismes de financement directs ou indirects, à la recherche et au développement des médicaments arrivant sur le marché.
L’État finance un système d’enseignement supérieur d’excellence qui forme les scientifiques et les chercheurs. Il octroie des subventions aux entreprises, telles que le CIR et le CICE. Il investit dans la recherche publique, sans hésiter à privilégier les secteurs les plus risqués, comme celui de la recherche fondamentale appliquée dans sa phase initiale. Enfin, il veille à favoriser le partage de la connaissance sur les découvertes scientifiques.
Depuis le début de la pandémie, des États européens, comme l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la France, le Danemark, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne, la Suède et la Grande-Bretagne ont investi plus de 870 millions d’euros dans la recherche sur les vaccins, traitements et diagnostics contre la covid-19, alors que la France a déjà investi plus de 57,25 millions d’euros à ce titre.
Quant à la recherche sur les vaccins candidats, l’Union européenne a déjà contribué à hauteur de 400 millions d’euros pour le Covid-19 Vaccine Global Access, ou Covax. De même, la France a signé des accords bilatéraux de préachat de doses de vaccins candidats, lesquels sont aujourd’hui indisponibles à la consultation du public.
On ne peut nier un grave problème de redevabilité des bénéficiaires de ces incitations publiques, dans la mesure où ils se sont engagés, d’une part, à assurer le transfert de la technologie de développement et de production des vaccins, en France et dans le monde, et, d’autre part, à ce que ces produits, une fois prêts à être commercialisés, soient disponibles à prix coûtant.
L’objectif de cet amendement est d’améliorer la transparence des marchés relatifs aux médicaments, vaccins et autres produits de santé, et de veiller à ce que les informations soient publiées. L’instauration de la transparence permettra d’apprécier la fixation des prix des médicaments à l’aune des fonds publics perçus.
En effet, il est anormal que le prix des médicaments ne tienne pas compte de tous les investissements publics qui ont pu être faits. La transparence ne saurait être garantie sans la mise à disposition de ces informations au public. La création d’un répertoire qui pourra être consulté par tous y pourvoira.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour présenter l’amendement n° 167 rectifié.
M. Bernard Fialaire. Il faut que les bénéficiaires de fonds publics en recherche et développement aient l’obligation de rendre publics les montants reçus pour la mise en œuvre de ces activités. Au travers des établissements d’enseignement supérieur et des organismes nationaux de recherche, l’État porte un effort public dont le montant représente actuellement 0 78 % du PIB et qui profite en bout de chaîne aux entreprises et à l’industrie.
Dans le contexte de la crise de la covid-19, une partie de la recherche publique est fortement mobilisée pour la découverte d’un vaccin. La France a déjà investi plus de 50 millions d’euros. Au sein de l’Inserm, une soixantaine de projets sur la covid-19 mobilisent jusqu’à sept cents personnes. À l’Institut Pasteur, près de vingt et un programmes de recherche scientifique sont en cours de réalisation, occupant près de trois cents personnes. Notre pays participe également à des financements européens.
Compte tenu de l’échelle de la pandémie, les enjeux financiers liés à la fabrication d’un vaccin sont considérables. Il règne pourtant, de manière générale, une certaine opacité sur les négociations entre l’État et les laboratoires, notamment sur la fixation du prix d’un médicament.
Pour des raisons éthiques et pour contribuer à la soutenabilité financière de notre système de santé, il serait souhaitable d’introduire davantage de transparence et de mettre en valeur les bénéfices que la recherche publique garantit à ceux qui sont en charge du transfert de technologies.
M. le président. L’amendement n° 178, présenté par Mme de Marco, MM. Dossus et Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer trois paragraphes ainsi rédigés :
II bis. – Les bénéficiaires des financements publics destinés à la recherche et au développement, qu’ils soient des personnes morales de droit public ou de droit privé, mettent à la disposition de l’État le montant détaillé par projet des investissements dont ils ont bénéficié pour le développement des connaissances et inventions développées avec l’aide desdits financements publics, pour que ces derniers soient publiés.
II ter. – Le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation met à la disposition de la société un répertoire consultable des informations mentionnées au II bis.
II quater. – Les conditions d’application des mesures prévues au I et II bis sont fixées par décret.
La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Le texte que nous examinons affiche l’objectif assez ambitieux de porter progressivement à 1 % du PIB la part du financement du régime public de la recherche.
Nous souhaitons interroger la philosophie d’un tel mode de financement. En effet, une partie non négligeable des subventions publiques est destinée aux entreprises privées. Les principaux outils sont le CIR, qui a pesé sur les finances publiques pour plus de 6 milliards d’euros en 2019, et le CICE, qui a bénéficié à hauteur de 100 milliards d’euros aux entreprises, depuis 2013. De tels montants, issus de l’argent public et distribués à des acteurs dont le but principal est le profit, méritent d’être mieux encadrés.
Dans cet amendement, nous proposons que chaque acteur qui bénéficie de fonds publics en recherche et en développement ait l’obligation de publier les montants reçus, ainsi que la manière dont ils ont été utilisés.
Grâce à cet impératif de transparence et de responsabilisation de tous, nos concitoyens pourront constater par eux-mêmes l’usage qui est fait de leur contribution directe à la recherche, sous la forme de l’impôt. Dans la mesure où ils pourront s’informer sur les projets menés grâce à leur participation financière, ils s’impliqueront davantage dans la manière dont se construit la recherche.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laure Darcos, rapporteure. Une telle mesure serait excessive, car il existe déjà plusieurs canaux de contrôle de l’utilisation des fonds publics, qu’il s’agisse de la Cour des comptes ou du Parlement.
J’émets donc un avis défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 75 rectifié bis et 167 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission de la culture.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 9 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 107 |
Contre | 234 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 178.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 2 bis
La présente programmation fait l’objet d’actualisations, au moins tous les trois ans. Ces actualisations permettent de vérifier la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans la présente loi, les réalisations et les moyens consacrés, notamment financiers.
M. le président. L’amendement n° 89, présenté par MM. Ouzoulias et Bacchi, Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :
Les critères d’évaluation de l’amélioration des performances de la recherche française sont définis après un débat public qui associe les services du ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, le Comité national de la recherche scientifique, les conseils scientifiques des principaux opérateurs de la recherche, le Parlement et notamment en son sein l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Cet amendement tend à préciser les critères d’évaluation qui seront utilisés pour évaluer la réalisation de cette loi de programmation. Nous souhaitons qu’une réflexion s’engage à ce sujet, car l’étude d’impact indique que la définition de ces critères s’inspirera des grands classements internationaux, dont celui de Shanghai, dont vous savez tous, mes chers collègues, que je ne l’apprécie guère.
De plus, le classement de Thomson-Reuters ne figure pas dans l’étude d’impact, alors qu’il classe quatre organismes de recherche français parmi les vingt-cinq plus innovants du monde : le CEA est en troisième position, le CNRS en huitième, l’Inserm en neuvième et l’Inria en vingt-cinquième position. Ce classement, très élogieux pour nos établissements de recherche, aurait mérité d’être cité.
Lors de son audition, le 21 octobre dernier, M. Coulhon, candidat à la présidence du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, le Hcéres, nous disait : « J’ai plaidé pour une démythification : arrêtons de jouer aux petits chevaux avec le classement de Shanghai ! ».
Je vous propose de suivre cette voie et de voter cet amendement, pour que nous puissions engager une réflexion sur les classements internationaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laure Darcos, rapporteure. La démarche est intéressante, mais la question dépasse le cadre d’examen de cette loi. Les acteurs concernés sont en effet très nombreux. De plus, vous remettez en cause l’une des missions du Hcéres, ce qui n’a pas lieu d’être dans ce texte.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Ouzoulias, l’amendement n° 89 est-il maintenu ?
M. Pierre Ouzoulias. Oui, monsieur le président, car la réponse qui m’a été apportée est un peu courte !
L’étude d’impact indique clairement qu’un certain nombre de critères, inspirés des classements internationaux, serviront à évaluer la bonne application de la loi que nous allons voter. Je ne suis donc pas hors sujet, car je conteste la valeur de ces critères.
Sans doute, la liste des organismes qu’il faudrait réunir pour en discuter est-elle, effectivement, trop longue. Cependant, nous pourrions commencer par sortir du fétichisme du classement de Shanghai. J’aurais aimé avoir une réponse de la ministre sur ce point important.
Mes chers collègues, vous vous êtes émus à plusieurs reprises de ce que la loi que nous sommes en train de voter risque de favoriser le recentrage d’un certain nombre de missions de recherche sur des grands pôles. L’enjeu est au cœur de la réflexion sur l’usage des classements internationaux. Le nouveau modèle français que nous souhaitons faire émerger répond à des critères d’aménagement du territoire qui ne correspondent absolument pas à ceux du classement de Shanghai.
Je m’interroge aussi sur la capacité de ce classement à mesurer la liberté d’expression et les libertés académiques que nous avons défendues en préambule.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Le sujet est essentiel. On ne peut pas feindre que ces classements n’entraînent pas d’effets induits, alors qu’ils portent en eux une idéologie et véhiculent une certaine vision du monde.
Le classement de Shanghai, par exemple, était initialement destiné à ce que les universités chinoises puissent se mesurer aux universités américaines. Il a ensuite été complètement dévoyé. Les sciences humaines et sociales, par exemple, n’y sont pas prises en compte. Il répond donc à une certaine vision du monde.
L’accepter sans le remettre en question, c’est se soumettre à une logique universitaire qui n’est pas la nôtre. Loin d’être neutres, ces classements ont un effet de réalité. Si nous adoptons leurs critères, nous renoncerons à notre souveraineté universitaire.
Je voterai donc l’amendement de Pierre Ouzoulias.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2 bis.
(L’article 2 bis est adopté.)
Article additionnel après l’article 2 bis
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 91 rectifié est présenté par MM. Ouzoulias et Bacchi, Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 180 rectifié est présenté par Mme de Marco, MM. Dossus et Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 2 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article L. 123-9 du code de l’éducation, après le mot : « moyens », sont insérés les mots : « , y compris budgétaires, ».
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour présenter l’amendement n° 91 rectifié.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous souhaitons indiquer dans le code de l’éducation que l’État doit mettre à la disposition des agents du service public les moyens pour travailler.
La précision peut paraître incongrue. Pourtant, il arrive que des chercheurs recrutés à un très haut niveau international se retrouvent sans aucun moyen pour accomplir leur tâche. Pour mettre fin à cette situation absurde, il convient de créer une forme d’obligation des opérateurs et des établissements vis-à-vis de ceux qu’ils recrutent.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour présenter l’amendement n° 180 rectifié.
M. Thomas Dossus. Les universités et les établissements d’enseignement supérieur doivent assurer les moyens d’exercer les activités d’enseignement et de recherche, dans les conditions d’indépendance et de sérénité indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle, comme l’indique l’article L. 123-9 du code de l’éducation, instauré par la loi Faure de 1968.
Depuis que le présent texte est débattu, les messages et les témoignages d’enseignants et de chercheurs affluent, et je tiens à relayer leur voix dans cet hémicycle : « Les logiques managériales et les pénuries budgétaires sont désormais la norme » ; « Notre activité de recherche n’est bien souvent réalisée que pendant les congés universitaires » ; « La logique croissante des appels à projets rend cette activité chronophage et met à mal la liberté scientifique et pédagogique » ; « Les efforts à fournir pour espérer un poste, une promotion ou une reconnaissance deviennent démesurés » ; Les burn-out se multiplient » ; « L’espace de l’enseignement supérieur et de la recherche devient une machine à broyer l’humain ».
Ce ne sont que quelques extraits, mais ils montrent clairement que, si l’on veut offrir les conditions d’indépendance et de sérénité nécessaires au service public de la recherche, il faut y mettre les moyens, y compris budgétaires.