M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, sur l’article.

M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai l’avantage d’être vieux !

Bernard Larrouturou s’en souviendra, entre 2002 et 2004, j’étais au cabinet du ministre de la recherche, quand il était à l’Inria en tant que directeur général. Ce débat-là, madame Lienemann, c’était déjà le débat à l’époque : est-ce que la France a chuté gravement depuis lors ?

M. Jérôme Bascher. Non, non, non, cher collègue Pierre Ouzoulias !

Est-ce que la France a fait des progrès avec le modèle mixte ? Guère plus, et je le regrette. Peut-être n’avons-nous pas été assez dirigistes. Peut-être est-ce cela qui a manqué.

Ainsi que cela a été souligné, certains dans l’hémicycle se plaignaient hier soir que l’on n’ait pas fait suffisamment de recherche sur les néonicotinoïdes pour remplacer le glyphosate. Peut-être n’avons-nous pas assez dirigé la recherche, mobilisé de crédits, abondé de postes…

Il faut diriger la recherche. Je suis évidemment attaché à la liberté du chercheur. Mais attention : on ne peut pas regretter de ne pas bénéficier des nouvelles technologies en ayant oublié d’orienter de temps en temps la recherche par des appels à projets et des moyens !

Madame Lienemann, vous êtes effectivement constante dans vos dénonciations. Mais permettez-nous d’explorer toutes les voies de la recherche, y compris en matière d’emploi !

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. Je souhaite répondre aux assertions fausses de M. Bargeton. Cher collègue, non seulement vous ne corrigez pas la trajectoire, mais vous l’aggravez. (M. Julien Bargeton le conteste.) Mais si !

Dans le projet de loi de finances pour 2021, les emplois sous plafond du CNRS baissent de quarante et une unités – il y aura donc moins d’emplois pérennes –, et il n’y a aucune création d’emploi pour les autres opérateurs. Non seulement vous ne corrigez pas à la hausse, mais vous confortez une baisse aujourd’hui systémique et récurrente.

Ne prétendez pas que vous entrez dans une trajectoire vertueuse. Votre projet de budget pour 2021, que nous examinerons bientôt, démontre exactement le contraire !

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, sur l’article.

M. Joël Labbé. Notre collègue Jérôme Bascher a fait la rectification sémantique de lui-même : mieux vaut « orienter » la recherche que la « diriger ». De grâce, préservons une certaine liberté de la recherche.

Madame la ministre, fixez des orientations politiques et mettez en œuvre des moyens pour traduire vos choix dans les faits ! Les néonicotinoïdes ont été évoqués. Voilà deux ans, les crédits dédiés à la recherche sur le bio ne représentaient que 10 % du budget de ce qui s’appelait encore l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA. Pourtant, il y a là un gisement extraordinaire de solutions alternatives !

En revanche, il y a besoin de compléter la recherche. On peut – j’y insiste – l’orienter politiquement, avec force, dans le sens de l’intérêt général.

M. Jérôme Bascher. Très bien !

M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 212, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

1° Remplacer le mot :

paiements

par le mot :

paiement

2° Remplacer les mots :

et « Formations supérieures et recherche universitaire » (programme 150), hors contribution du titre II au compte d’affectation spéciale « Pensions » et déduction faite, pour le programme 193, du remboursement de la dette française à l’Agence spatiale européenne

par les mots :

déduction faite du remboursement de la dette française à l’Agence spatiale européenne et « Formations supérieures et recherche universitaire » (programme 150) hors contribution du titre II au compte d’affectation spéciale « Pensions »

3° Remplacer les mots :

et 2027

par les mots :

et 2030

II. – Alinéa 2, tableau

Rédiger ainsi ce tableau :

(En millions deuros courants)

 

Crédits de paiement

Programme budgétaire

2021

2022

2023

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Programme 172

+224

+559

+785

+1 109

+1 455

+1 816

+2 193

+2 499

+2 805

+3 110

Programme 193

–32

+4

+76

+107

+138

+169

+201

+232

+263

+294

Incidence des mesures de la présente loi sur le programme 150

+165

+302

+445

+589

+713

+820

+911

+1 175

+1 438

+1 701

III. – Alinéa 4

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

(En millions deuros courants)

2021

2022

2023

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Autorisations dengagement de lAgence nationale de la recherche

+403

+403

+403

+509

+646

+859

+1 000

+1 000

+1 000

+1 000

Ces montants incluent, pour les années 2021 et 2022, les crédits du plan de relance.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Frédérique Vidal, ministre. L’objectif de cet amendement est double.

D’une part, nous voulons rétablir la trajectoire de l’article 2 sur dix ans.

D’autre part, nous souhaitons faire figurer dans la trajectoire de l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, l’apport de 428 millions d’euros prévus dans le cadre du plan de relance, en ajoutant 286 millions d’euros en 2021 et 142 millions d’euros en 2022. Il s’agit donc de faire en sorte que le budget de l’ANR soit majoré de 403 millions d’euros dès l’année prochaine. Cela nous permettra de passer de 16 % à 23 % de taux de succès.

M. le président. L’amendement n° 143, présenté par MM. Ouzoulias et Bacchi, Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

Après les mots :

(programme 150),

insérer les mots :

et « Vie étudiante » (programme 231),

II. – Alinéa 2, tableau

Rédiger ainsi ce tableau :

(En millions deuros constants)

Programme budgétaire

Crédits de paiement

2022

2023

2024

2025

2026

Programme 172

+2100

+2700

+3200

+3600

+4055

Programme 193

+150

+280

+350

+400

+442

Incidence des mesures de la présente loi sur le programme 150

+1050

+1750

+1950

+2100

+2159

Vie étudiante 231

+290

+340

+ 370

+410

+445

La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Il y a une grande absente dans cette loi : l’université. Or c’est parmi les étudiants d’aujourd’hui que nous trouverons les chercheurs de demain.

Il est totalement paradoxal de ne pas se préoccuper dans ce texte de certains signes catastrophiques. Je pense notamment à la baisse dramatique du nombre de docteurs.

Selon votre bilan de l’emploi scientifique, qui vient de paraître, en 2006, quelque 11 % des étudiants en master continuaient leurs études en doctorat, contre 4 % aujourd’hui ! Nous sommes en train de perdre un vivier de chercheurs. Quelle sera l’utilité de mobiliser des milliards d’euros s’il n’y a plus personne pour aller au bout du cursus ? Cet argent supplémentaire deviendra inutile. Nous aurons perdu quelque chose d’essentiel : le vivier des étudiants.

Une telle baisse tient tout simplement au fait que les conditions d’études sont de plus en plus dures. Je vous le rappelle, mes chers collègues, 40 % des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté et un étudiant sur deux est obligé de faire un petit boulot à côté pour vivre, sachant qu’il n’a évidemment plus ces ressources en période de covid.

Il est donc absolument nécessaire de renforcer la capacité des universités à former des étudiants par et pour la science, dans le cadre de leur cursus.

Cet amendement vise à ajouter dans votre tableau budgétaire une ligne oubliée – je n’imagine pas qu’un tel oubli puisse être volontaire –, celle de la vie étudiante. Ce n’est pas une utopie. Nous essayons simplement de retrouver le ratio budgétaire par étudiant d’il y a dix ans ; nous sommes aujourd’hui en baisse continue par rapport à cette référence.

M. le président. L’amendement n° 144, présenté par MM. Ouzoulias et Bacchi, Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

Remplacer les mots :

hors contribution

par les mots :

à l’exclusion des dépenses

et les mots :

au compte d’affectation spéciale « Pensions »

par les mots :

, conformément aux engagements prévus à l’alinéa 159 du rapport annexé en matière d’effectifs sous plafonds de l’État et des opérateurs des trois programmes 150, 172 et 193

II. – Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Les crédits supplémentaires inscrits au tableau constituant le deuxième alinéa sont par ailleurs complétés, sur la durée de la programmation, par un financement complémentaire compensant les surcoûts nets mécaniques en matière de masse salariale, notamment le glissement vieillesse technicité.

La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Cet amendement vise le glissement vieillesse technicité, le GVT, c’est-à-dire le surcoût imposé à la masse salariale des emplois, des établissements et des universités. Aujourd’hui, cela représente des montants extrêmement importants.

Dès lors que l’État ne compense plus le GVT, ce sont les universités qui le font, en n’embauchant plus sur certains postes. Il y a donc une perte prodigieuse par rapport aux emplois que nous votons.

Mes chers collègues, il faut bien comprendre une chose : les budgets que nous votons ici avec des emplois sous plafond ne deviennent jamais réalité, car des emplois ne sont jamais créés dans les établissements. Entre 2005 à 2018, cela a représenté 4 161 postes pour l’enseignement supérieur et autour de 4 000 postes pour le CNRS. En d’autres termes, vous avez voté 8 000 postes qui n’ont jamais été créés !

Il faut que cela cesse. Nous ne pouvons pas continuer à voter des budgets qui ne deviennent jamais réalité.

Madame la ministre, nous aimerions avoir des engagements forts de votre part en séance. Il est nécessaire que l’État compense. En effet, le protocole que vous avez signé avec les syndicats augmentera encore le coût lié à la masse salariale, suscitant de nouvelles difficultés.

M. le président. L’amendement n° 33 rectifié bis, présenté par Mmes S. Robert et Monier, MM. Kanner, Antiste et Assouline, Mme Lepage, MM. Lozach, Magner et Stanzione, Mme Van Heghe, M. Montaugé, Mme Artigalas, MM. Devinaz, Gillé, P. Joly et Merillou, Mme Préville, MM. Redon-Sarrazy, Sueur, Kerrouche, Pla, Michau et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

(En millions deuros courants)

En crédits de paiement

2021

2022

2023

2024

2025

2026

2027

Programme 172

+1215

+2201

+3600

+4842

+6077

+7543

+9008

Programme 193

+57

+122

+182

+248

+318

+357

+394

Incidence des mesures de la présente loi sur le programme 150

+360

+931

+1083

+1376

+1660

+1735

+1801

La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.

Mme Marie-Pierre Monier. Cet amendement vise à augmenter le montant global de la programmation. Nous avons été nombreux à défendre des amendements en ce sens dès l’examen du texte en commission.

Certes, avoir resserré la programmation sur sept ans améliore les hausses de crédits destinés aux trois programmes concernés. Néanmoins, nous souhaitons aller plus loin, pour relever le défi des 3 % du PIB consacrés à la recherche, dont 1 % pour la recherche publique.

Notre proposition se fonde sur le constat que le rapporteur pour avis de la commission des finances a effectué : la programmation ne tient pas compte de l’inflation et, compte tenu des aléas politiques et économiques, la hausse des crédits destinés à la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur, la Mires, serait non pas de quelque 26 milliards d’euros, mais de 7 milliards d’euros seulement.

Notre amendement a pour objet de prévoir une programmation digne de ce nom, avec un peu plus de 45 milliards supplémentaires répartis sur sept ans sur les trois programmes.

M. le président. L’amendement n° 59 rectifié terdecies, présenté par Mme Guidez, MM. Guerriau, Bonhomme, Lefèvre et Wattebled, Mme C. Fournier, MM. Henno et Canevet, Mme Billon, M. Kern, Mmes Loisier, Sollogoub et de Cidrac, M. Regnard, Mme Paoli-Gagin, M. Menonville, Mme Bonfanti-Dossat, MM. P. Martin, Pellevat, del Picchia, Cigolotti, Bouchet, Sautarel et Decool, Mmes Saint-Pé, Thomas et N. Delattre et M. Delcros, est ainsi libellé :

Alinéas 2 et 4

Remplacer le mot :

courants

par les mots :

en valeur 2020

La parole est à Mme Jocelyne Guidez.

Mme Jocelyne Guidez. Cet amendement vise à conforter la stabilité financière de la programmation en corrigeant l’effet de l’inflation.

Dans son avis du mois de juin 2020, le Conseil économique, social et environnemental souligne : « [Sous] l’effet de l’augmentation mécanique du PIB en lien avec les cycles économiques de moyen terme et de l’inflation à cet horizon de dix ans, cette hausse de la dépense publique ne permettra pas d’atteindre, malgré la récession prévue en 2021, voire 2022, l’objectif de 3 % que la France s’était fixé il y a vingt ans et qui permettrait de redonner le souffle nécessaire à la recherche française. »

La France s’est engagée à investir 1 % de son PIB dans la recherche publique. Selon le collectif des sociétés savantes académiques de France, dans un scénario de 1 % de croissance annuelle moyenne du PIB et de 1 % d’inflation, le PIB de 2030 atteindra 2 900 milliards d’euros courants.

Dans ce scénario réaliste, ce sont donc près de 12 milliards d’euros courants additionnels, et non 5 milliards d’euros, qu’il faudrait ajouter au budget annuel de la recherche publique à l’horizon de 2030.

M. le président. L’amendement n° 145, présenté par MM. Ouzoulias et Bacchi, Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3

Après le mot :

attribués

insérer les mots :

, notamment au titre des rescrits de crédit d’impôt recherche,

II. – Alinéa 4, tableau

Rédiger ainsi ce tableau :

2022

2023

2024

2025

2026

2027

Crédits de paiement de lAgence nationale de la recherche

+6 793

+ 6 935

+ 7077

+7217

+7359

+7500

La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Cher collègue Jérôme Bascher, j’apprends vite : j’ai compris que les financements sur projets étaient vertueux et permettaient de mieux contrôler l’argent, de stimuler la recherche, etc. (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)

Je vous soumets donc une proposition que vous ne pourrez pas refuser : verser les 6,5 milliards d’euros du crédit impôt recherche, le CIR, à l’ANR, afin qu’elle exerce un contrôle vertueux ! (M. Jérôme Bascher sexclame.)

On m’a expliqué à plusieurs reprises que l’ANR permettait de contrôler l’argent public. Comme j’estime personnellement que l’argent public est mal contrôlé s’agissant du CIR, je vais largement au-delà des demandes de Mme la ministre, en ajoutant 6,5 milliards d’euros !

J’en parle avec humour, mais comprenez que mes collègues chercheurs ressentent une forme de mépris dans la manière dont on compte systématiquement leur budget de fonctionnement et dont on leur demande d’aller chercher de l’argent ailleurs pour travailler dans le cadre de leur mission de service public, quand, dans le même temps, on accorde 6,5 milliards d’euros au titre du CIR sans la moindre évaluation a priori ou a posteriori. (M. Jérôme Bascher le conteste.)

Monsieur Bascher, pourriez-vous me citer un seul article publié en 2019 grâce au CIR ? Voilà trois ans que je demande à Mme la ministre de m’en citer un. Je n’ai toujours pas obtenu de réponse…

Nous pourrions également évoquer les évaluations. Mes collègues scientifiques sont soumis à des évaluations beaucoup plus sévères. Nous aimerions bien que les critères soient à peu près les mêmes pour le CIR.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Laure Darcos, rapporteure. L’amendement n° 212 tend à revenir sur la position que nos trois commissions ont clairement soutenue : ramener la durée de la programmation à sept ans. L’avis de la commission est donc défavorable.

L’intention des auteurs de l’amendement n° 143 est louable, mais la trajectoire budgétaire proposée ne me semble ni raisonnable ni crédible. Mon avis est donc défavorable.

Il me paraît également difficile de retenir la présentation budgétaire envisagée à l’amendement n° 144, mais il est vrai que la prise en charge du GVT n’est pas résolue. Nous vous avions interrogée sur ce point lors de votre audition par la commission, madame la ministre. Nous n’avons pas eu le protocole d’accord ; nous ne savons donc pas ce qui y figure. Nous avons émis un avis défavorable sur cet amendement, mais nous sommes d’accord pour considérer qu’un certain nombre de précisions s’imposent.

La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 33 rectifié bis. La trajectoire budgétaire du Gouvernement a tout de même le mérite de rompre avec des décennies de sous-investissement chronique dans la recherche. Ce changement de cap va enfin donner à ce secteur des marges budgétaires nouvelles et de la visibilité à moyen terme.

Néanmoins, comme je le pointe également, le niveau de réinvestissement proposé sur dix ans ne permettra pas d’atteindre l’objectif de 3 % de dépenses en faveur de la recherche, dont 1 % de dépenses publiques. Avec mes collègues rapporteurs pour avis, nous avons donc fait le choix de ramener à enveloppe constante la programmation à sept ans, afin de permettre une montée en charge plus rapide des moyens nouveaux, en particulier au cours des deux prochaines années.

Nous aurions évidemment aussi pu proposer d’augmenter le montant de l’enveloppe globale, mais nous tenions à présenter une alternative forte et crédible. Le projet des auteurs de l’amendement est généreusement ambitieux. Mais est-il crédible à l’heure où nous traversons une crise sanitaire et économique sans précédent qui exige d’abonder d’autres secteurs ?

L’amendement n° 59 rectifié terdecies vise à présenter la trajectoire budgétaire en euros constants. Comme l’indiquent à juste titre les auteurs, la présentation de cette programmation en euros courants ne permet pas d’intégrer les effets de l’inflation.

Cependant, c’est une règle de présentation classique pour les lois de programmation. En outre, la rédaction proposée n’est pas très claire : « en euros en valeur 2020 ». Il aurait été préférable d’écrire : « en euros constants de 2020 ». La commission demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, son avis serait défavorable.

Les auteurs de l’amendement n° 145 suggèrent un procédé budgétaire pour le moins créatif, afin d’alerter sur le manque de transparence entourant les conditions d’utilisation du CIR par les entreprises.

Nous partageons le diagnostic. Nous avons souvent souligné que le CIR souffrait d’une insuffisante transparence sur ses réelles retombées en faveur de la recherche. Mais le dispositif envisagé ne me semble guère solide juridiquement. Mon avis est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 143. Je le précise, quelque 500 millions d’euros ont été consacrés exclusivement aux universités dans les précédents budgets, afin d’accompagner la montée en puissance du nombre d’étudiants. Au reste, celle-ci était prévisible depuis les années 2000 ; on aurait donc pu s’y préparer un petit peu mieux !

C’est précisément en raison du problème que vous soulevez – nous avons de moins en moins de doctorants – que nous soutenons l’attractivité des contrats doctoraux. La réalité est que les doctorants ne sont pas financés. Notre objectif est que 100 % le soient. Nous voulons augmenter de 30 % le montant des contrats doctoraux.

La vie étudiante est évidemment essentielle. Le Gouvernement y consacrera 134 millions d’euros supplémentaires dans le projet de loi de finances pour 2021, en plus des mesures de soutien diverses et variées à nos étudiants, qui en ont bien besoin. Mon avis est donc également défavorable sur l’amendement n° 144.

Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 33 rectifié bis, pour de multiples raisons, notamment, comme je l’ai évoqué précédemment, la question de la capacité de financer sur le long terme des projets de recherche. Un tel projet ne durant pas qu’un an, il est important de pouvoir le financer pendant plusieurs années.

Je suis également défavorable à l’amendement n° 59 rectifié terdecies. Certes, si nous étions certains d’avoir une augmentation systématique du PIB, je signerais volontiers. Mais, compte tenu de la crise que nous vivons, je pense que nous n’en sommes malheureusement pas là.

Monsieur Ouzoulias, je vous confirme que les demandes de CIR sont validées scientifiquement par la direction générale de la recherche et de l’innovation, la DGRI. C’est la première fois que j’entendais votre demande d’une publication issue d’un financement par le CIR. J’en ai trouvé une en quelques minutes ! La société Diableloop, une start-up qui bénéficie du CIR, a publié un papier dans la revue The Lancet Digital Health en 2019.

M. Pierre Ouzoulias. Le CIR, c’est 6,5 milliards d’euros !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Tout cela pour un seul article ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. Vous m’avez demandé de citer un seul article !

J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement n° 145.

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.

M. Éric Kerrouche. Mon cher collègue Ouzoulias – je reprends exceptionnellement ma casquette de directeur de recherche –, la réalité est bien pire que ce vous pensez ! Ceux qui sont amenés à diriger des thèses dissuadent d’excellents étudiants d’en faire. En effet, nous savons et nous anticipons qu’il n’y aura pas de poste. C’est cela qui est dramatique. Nous sommes en train de nous priver de l’avenir.

Madame la ministre, par votre amendement n° 212, vous signifiez votre volonté de repartir sur une trajectoire de dix ans. Mais vous faites par ailleurs le choix de passer essentiellement par une augmentation de 400 millions d’euros des crédits de l’ANR, dont le budget était de 533 millions d’euros en 2019.

Comme vous le savez sans doute, depuis sa création en 2005, l’ANR a financé quelque 18 000 projets. Puisque vous parlez d’« ambition », voyez la Deutsche Forschungsgemeinschaft, la DFG, équivalent de notre ANR, qui a distribué 3,3 milliards d’euros à ses chercheurs pour 31 000 projets en 2019 ! Si l’on veut avoir de l’ambition, c’est possible ; il y a des exemples.

En outre, le modèle que vous sélectionnez pose problème. Tout d’abord, les financements par le préciput sont une exception en Europe. Ensuite, la concentration territoriale des préciputs favorise certaines équipes au détriment d’autres. Enfin, le préciput ne finance pas toujours l’intégralité des coûts de fonctionnement, et il est assez complexe.

De manière plus fondamentale, on ne peut pas opposer systématiquement projet, conjoncture et structure. Le choix que vous avez retenu se fait clairement au détriment de l’aspect structurel. Les chercheurs et les apprentis chercheurs ne sont pas des hamsters devant tout le temps pédaler à toute vitesse pour faire des projets de recherche !

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Éric Kerrouche. Il eût été préférable de passer par des dotations pérennes.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.

M. Jérôme Bascher. Pour ma part, je ne suis pas un grand scientifique ; je suis un budgétaire. Mais, comme il s’agit d’une loi de programmation, il est de temps en temps souhaitable de parler d’argent, mais si cela peut parfois paraître un peu sale dans le milieu de la recherche.

Tout d’abord, madame la ministre – le sujet a été longuement débattu –, je trouve tout de même un peu fort qu’un membre du Gouvernement aille contre les propositions budgétaires des autres ministères. Toutes les lois de programmation sont à sept ans. Et vous, c’est dix ans ! Il y a là un problème de cohérence gouvernementale et budgétaire. Certes, dix ans, c’est un horizon lointain ; personne ne sera là pour vérifier ou rendre des comptes…

Cher collègue Ouzoulias, il est vrai que le GVT dans la recherche est un vieil oubli. Pour avoir négocié le GVT dans de nombreux ministères, je puis vous certifier que l’on sait en tenir compte. Mais il y a une erreur : le GVT n’est pas toujours positif ; il peut être négatif. Le fameux « effet de noria » fait partie du GVT. Lorsque, du fait de la pyramide des âges, de vieux directeurs de recherche sont remplacés par de jeunes chargés de recherche, le GVT est négatif.

Ayant toujours défendu le CIR, sur lequel vous m’avez interpellé, je vous réponds avec facilité. C’est la loi qui fixe les conditions du CIR. Laissons la liberté au public comme au privé. Le CIR crée sans doute beaucoup plus de brevets. (M. Pierre Ouzoulias le conteste.) Regardez les dépenses de recherche en France, cher collègue ; c’est dans le privé qu’elles croissent le plus. Certes, il s’agit de recherche appliquée, et non de recherche fondamentale.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il est tout de même ennuyeux de débattre de la recherche en segmentant les sujets. Personne ici ne conteste – du moins, j’ose l’espérer – la nécessité d’une bonne collaboration entre recherche publique et recherche privée. En tout cas, ce n’est pas ma conception.

Le coût du CIR est tout de même de 6 milliards d’euros. On explique dans nombre de rapports du Sénat – j’y siège depuis un certain temps maintenant – que le CIR, pour utile qu’il puisse être, n’est pas suffisamment ciblé et qu’il y a beaucoup de pertes en ligne. J’ajoute qu’il n’est pas soumis à conditions.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. C’est hors sujet !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’ai vu beaucoup de laboratoires de Sanofi ou de recherche et développement, ou R&D, recevoir des pelletées de CIR, puis délocaliser hors de France, sans qu’on puisse leur demander de rembourser le moindre euro. C’est logique : comme le crédit d’impôt est automatique, il n’y a aucune conditionnalité ! On pourrait plus facilement revenir sur un crédit d’impôt qui serait adossé à des objectifs, lorsque ceux-ci ne seraient pas atteints.

Cessons de faire croire que la recherche privée est brimée en France ! Notre pays se place au deuxième rang mondial pour le financement de la recherche privée. Celle-ci est financée à hauteur de 30 %, alors qu’elle est déjà faible par rapport à la moyenne des pays développés. Et ce n’est pas parce qu’on la finance plus qu’elle se développe !