M. Laurent Duplomb. Très bien !
M. le président. Monsieur Moga, l’amendement n° 3 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Moga. Madame le rapporteur, je peux effectivement entendre que mon amendement n’est pas dans le périmètre du projet de loi.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez déclaré être prêt à recevoir et entendre la filière. Celle-ci travaille depuis plus d’une décennie à mettre au point des solutions alternatives. Elle n’y est pas encore arrivée. Dans la mesure où vous acceptez de travailler avec elle, je retire mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 2
M. le président. L’amendement n° 22, présenté par Mme Primas, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le deuxième alinéa de l’article L. 1313-1 du code de la santé publique est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lors d’un retrait d’une autorisation préalable à la mise sur le marché, elle tient compte des bénéfices et des risques liés aux usages des produits phytopharmaceutiques concernés avec ceux liés aux usages de produits de substitution ou aux méthodes alternatives disponibles et, le cas échéant, des risques liés à l’absence de produits ou de méthodes alternatifs disponibles. »
II. – Après le premier alinéa du I de l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Sauf urgence, la mesure d’interdiction mentionnée au premier alinéa du premier I est prise sur la base d’un bilan établi par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail qui compare les bénéfices et les risques liés aux usages des produits phytopharmaceutiques concernés par une interdiction avec ceux liés aux usages de produits de substitution ou aux méthodes alternatives disponibles. Ce bilan est rendu public dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article L. 1313-3 du code de la santé publique. »
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Sophie Primas, rapporteur. Nous appelons tous de nos vœux l’application d’un principe : pas d’interdiction sans étude préalable des alternatives. Par cet amendement, nous proposons de le mettre en musique dans la loi. Sauf urgence, bien entendu, le ministre pourra suspendre une autorisation de mise sur le marché ou interdire l’utilisation d’un produit après un bilan de l’Anses mesurant les bénéfices et les risques liés à l’utilisation de produits de substitution ou de méthodes alternatives, qu’elles soient chimiques, de biocontrôle, qu’elles relèvent de la génétique ou de l’agronomie. Si un produit n’a pas d’alternative, le Gouvernement aura ainsi toutes les cartes en main pour décider ou pas une interdiction. De même, l’Anses, comme aujourd’hui, tiendra compte dans ses décisions de retrait d’AMM, des risques liés aux alternatives proposées ou, bien sûr, de l’absence d’alternative.
C’est un amendement de bon sens, qui rappelle qu’il est nécessaire d’étudier l’impact d’une interdiction avant de la décider, sauf, évidemment, en cas d’extrême urgence.
Nous nous battons tous les jours pour demander au Gouvernement une amélioration des études d’impact accompagnant les projets de loi, afin de prendre des décisions plus raisonnées. Je sais que c’est un sujet qui tient à cœur à de nombreux sénateurs ici présents, notamment MM. Montaugé et Cabanel. Par cet amendement, nous proposons, dans le même esprit, d’améliorer l’étude d’impact préalablement établie à l’interdiction d’un produit afin de ne pas laisser des agriculteurs sans solution, car nous avons vu ce que cela peut donner.
M. Laurent Duplomb. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Julien Denormandie, ministre. Je suis assez gêné par cet amendement, même si j’en comprends la philosophie. Je ne voudrais pas paraître à front renversé – vous voyez bien l’approche très pragmatique qui est la mienne et qui consiste à avoir les deux pieds dans le réel –, mais je vois deux difficultés.
Première difficulté : j’ai l’impression que ces dispositions priveraient le pouvoir législatif de décider d’un retrait au cas où il n’y aurait pas d’avis de l’Anses. Je suis certainement le moins bien placé d’entre nous pour avancer un tel argument, mais je le soumets malgré tout à la sagesse de la Haute Assemblée.
Seconde difficulté – ce faisant, je reprends la réponse que j’ai faite précédemment à Joël Labbé – : si l’on reprend l’exemple de la betterave, en 2018, de façon tout à fait paradoxale, l’Anses annonçait qu’il existait une alternative chimique – le Movento et le Teppeki –, mais sans préciser si elle était efficace. Voilà la réalité, et cela rend la décision de terrain et celle du législateur très complexes.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement. Comprenez la gêne qui est la mienne, car j’ai conscience de la finalité qui est ici recherchée.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Le dispositif prévu par cet amendement est particulièrement intéressant, car il allie le principe de précaution et le principe d’innovation.
Quand une innovation existe, on peut tenir compte des précautions à prendre, parce qu’on sait remplacer. Il s’agit alors non pas d’un principe de précaution de type « parapluie », mais d’un principe de précaution qui propose autre chose. C’est donc une alternative qui fonctionne, même si sa mise en œuvre peut demander un délai.
Cet amendement est relativement révolutionnaire par rapport à ce qu’on connaît aujourd’hui. À ce titre, il mériterait qu’on lui accorde une certaine importance et que des clarifications soient apportées à la lumière de l’intervention de M. le ministre. Pour moi, cela constitue une avancée majeure.
Ne pas supprimer quand on ne sait pas remplacer n’est pas dogmatique. Cela relève du bon sens, c’est concret. Une fois que la recherche a permis de trouver un principe de remplacement plus écologique tout en conservant la dimension économique, le Parlement prend ses responsabilités et interdit un certain nombre de pratiques.
On en revient au bon sens, ce qui me paraît une approche beaucoup plus intéressante que des positions dogmatiques. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Je trouve cet amendement excellent. À mon avis, d’ailleurs, il vient de plus loin, et je rejoins la position que vous avez exprimée sur la pratique actuelle au Parlement, monsieur Sueur, à l’occasion d’un autre débat : procédure accélérée, pas d’étude d’impact. Cette diatribe était parfaitement juste : la procédure accélérée est en effet scandaleuse lorsqu’elle est utilisée en permanence. La démonstration était parfaite : on n’a même pas le temps d’examiner des amendements venant de l’autre assemblée.
Quand je suis devenu sénateur voilà une petite vingtaine d’années, tout texte était accompagné d’une étude d’impact épaisse, importante, complète. Aujourd’hui, il n’y a plus d’étude d’impact, la procédure accélérée est enclenchée, le Parlement ne sait plus rien et discute des heures et des heures.
Si les études d’impact étaient sérieusement réalisées et si le Gouvernement respectait la loi, nous n’aurions pas besoin de cet amendement, que j’approuve au demeurant.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Nous ne voterons pas cet amendement, car, comme à M. le ministre, il nous pose problème.
Évidemment, nous préférons qu’il y ait une étude d’impact pour chaque décision que nous prenons. Trop de lois sont adoptées sans étude d’impact.
M. Bruno Sido. Je viens de le dire !
Mme Cécile Cukierman. On a le droit de le redire !
M. Fabien Gay. On a le droit de le redire et de penser la même chose sur cette question !
Par exemple, la réforme des retraites nous a été présentée avec une étude d’impact tronquée. Il ne s’agit pas d’utiliser cet argument seulement quand il nous arrange : restons cohérents.
L’argument qui consiste à soutenir qu’on ne sortira pas un produit sans alternative pose question. Qu’est-ce que cela signifie ? Aujourd’hui, monsieur le ministre, il existe des alternatives aux néonicotinoïdes, par exemple les haies, mais elles sont repoussées, car elles ne sont pas viables économiquement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Des alternatives existent, mais vous demandez qu’elles soient viables économiquement, ce qui est encore autre chose !
Il s’agit là d’un débat de fond que nous avons déjà eu avec Mme la présidente de la commission des affaires économiques. Pour nous, force doit rester à la loi, sinon rien ne se passe. Qui gère les alternatives ? Si c’est le privé, tant que le profit restera le critère déterminant, rien ne changera.
Dans un tout autre registre, je m’intéresse de près à la question des mines industrielles, notamment en Guyane, et à la cyanuration, qui est destructrice pour l’environnement et les peuples autochtones. Aujourd’hui, il existe des alternatives, il en existe même trois, mais les industriels ne les prennent pas en compte, parce qu’elles ne sont pas viables économiquement. Ils ne mettent donc pas un seul euro pour en permettre le développement. Tant que l’usage du cyanure ne sera pas interdit, cela continuera ainsi. Ce cas de figure se pose dans de nombreux endroits.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Tissot. Nous sommes également défavorables à cet amendement, dont nous n’arrivons pas à comprendre l’esprit. Pour nous, il est dangereux, car, sans alternative établie, il sera impossible d’interdire un produit.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué qu’il n’existait aucune alternative aux néonicotinoïdes pour la culture de la betterave, mais, dans trois ans, il n’y en aura guère plus ! En d’autres termes, si cet amendement est adopté, plus jamais nous ne pourrons retirer les néonicotinoïdes. C’est pourquoi je vous rejoins sur cet amendement.
Madame le rapporteur, pourriez-vous nous donner plus de précisions, car, si cet amendement a bien cet objectif, nous aurions sans doute alors débattu pour rien. Il suffisait d’examiner cet amendement en premier. Nous aurions gagné du temps ! Si vous avez déposé cet amendement dans cet esprit, c’est grave !
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Je trouve cet amendement spécieux et dangereux. Pas d’interdiction sans alternative ?
L’un d’entre nous a qualifié cet amendement de révolutionnaire, il restera peut-être comme un amendement d’anthologie de tentative de résister à la nécessité de changement pour préserver l’environnement et la planète. Il ne faut vraiment pas le voter.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Pour ma part, je soutiens pleinement cet amendement.
Lors de son audition, le directeur de l’Anses a précisé que, dès lors qu’il n’y avait plus du tout de possibilités d’intervenir sur un produit ou sur un traitement, il n’y avait plus de recherche. Cet amendement est donc absolument stratégique, car il nous permettra, dans d’autres cas, d’être dans une situation plus favorable.
Aujourd’hui, le sujet que nous examinons provoque un débat profond au sein du Sénat, à l’instar peut-être de ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale. Nous n’y sommes peut-être pas habitués, mais cela se reproduira : nous aurons d’autres situations très particulières à gérer.
Que dit l’Anses ? Si nous empêchons la recherche, les seuls produits de substitution à notre disposition seront les plus anciens et les plus nocifs pour l’environnement. Il s’agit donc, avec cet amendement, de ne pas empêcher la recherche et de ne pas compromettre des alternatives, au-delà du bilan. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Cet amendement révolutionnaire est totalement à contre-courant ! Votre logique consiste à remplacer des substances par d’autres substances, des produits par d’autres produits. Or, nous le savons, il faut une réponse globale à la fois en termes de système et de modèle.
Des taux d’agriculture biologique vont être mis en place à l’échelon européen, il faudra s’y faire. Si l’on maintient l’utilisation de ces produits, on ne pourra pas atteindre ces objectifs. Cet amendement ne peut donc pas tenir.
Entre la grande majorité des pesticides qui sont dits CMR, c’est-à-dire cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, et les autres, qui sont des perturbateurs endocriniens, il ne reste plus grand-chose. La question de la sortie de pesticides aussi toxiques est posée.
Aujourd’hui, nous débattons des néonicotinoïdes, mais vous voulez élargir cette problématique à l’ensemble des produits. C’est tout à fait inacceptable, et l’incompréhension de nos concitoyens sera totale ! Nous voterons donc contre cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Sophie Primas, rapporteur. Monsieur Tissot, ces décisions seront prises sur la base d’un bilan établi par l’Anses : ce ne sera pas un avis conforme. Cet amendement n’a pas pour objectif de priver le Parlement de sa capacité à légiférer : il vise à prévoir que ses décisions, qui resteront souveraines, s’appuient sur des études d’impact. Il s’agit de donner de l’information.
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme Sophie Primas, rapporteur. Pourquoi débattons-nous aujourd’hui ? En 2016, l’interdiction des néonicotinoïdes a été décidée par voie d’amendement sans étude d’impact…
M. Bruno Sido. Voilà !
Mme Sophie Primas, rapporteur. … et sans savoir s’il existait des alternatives efficaces ou si nous allions nous retrouver dans une impasse. Trois ans après, nous sommes obligés de rouvrir ce débat.
Cet amendement vise à donner des informations par le biais de l’Anses, instance qui est reconnue par tous. Il n’y a là ni esprit machiavélique ni esprit révolutionnaire, monsieur Labbé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Bravo !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 2.
L’amendement n° 23, présenté par Mme Primas, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 236-1 A du code rural et de la pêche maritime est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les ministres chargés de l’agriculture et de la consommation peuvent, dans le respect des articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, prendre des mesures conservatoires afin de suspendre ou de fixer des conditions particulières à l’introduction, l’importation et la mise sur le marché en France de denrées alimentaires ou produits agricoles mentionnés au premier alinéa. »
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Sophie Primas, rapporteur. Aux termes de l’article 44 de la loi Égalim, « il est interdit de proposer à la vente ou de distribuer à titre gratuit en vue de la consommation humaine ou animale des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques ou vétérinaires ou d’aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne ou ne respectant pas les exigences d’identification et de traçabilité imposées par cette même réglementation.
« L’autorité administrative prend toutes mesures de nature à faire respecter l’interdiction prévue au premier alinéa. »
Force est de constater que ce n’est pas encore le cas. Comme l’a rappelé Laurent Duplomb dans un rapport d’information, les importations de denrées alimentaires prennent une place de plus en plus importante dans la consommation des Français. Or rien aujourd’hui ne garantit qu’elles respectent les normes de production minimales imposées à nos propres agriculteurs, notamment en matière de produits phytopharmaceutiques. En outre, les accords de libre-échange accentuent ce phénomène, les négociations à l’échelon européen se poursuivant avec de nombreux pays, sans que ces accords prévoient des clauses suffisamment protectrices pour nos agriculteurs et nos consommateurs.
Ce débat essentiel pour nos campagnes a eu lieu à l’Assemblée nationale, mais le Gouvernement en prive le Sénat, notamment sur le CETA. La souveraineté alimentaire passe donc par là. La loi consolidera peut-être l’interdiction des néonicotinoïdes en France, mais rien n’interdit que ces substances soient utilisées dans les produits importés, d’ici à 2023, quand les dérogations prendront fin, d’autant plus si les alternatives ne sont pas suffisamment efficaces. Sera-t-il acceptable de laisser s’installer une concurrence déloyale avec les pays européens et les pays extraeuropéens qui utiliseront ces produits ?
Dès lors, cet amendement vise, dans le strict respect du droit européen, à donner aux ministres de l’agriculture et de la consommation le pouvoir de prendre des mesures conservatoires, lorsqu’il est constaté que cette concurrence déloyale est établie. Cela inclut les concurrences déloyales aux produits phytopharmaceutiques posant un risque pour l’environnement ou la santé, mais aussi les médicaments vétérinaires, les aliments pour animaux non autorisés à l’échelon européen et les produits ne respectant pas les exigences d’identification et de traçabilité nécessaires.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Julien Denormandie, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Aujourd’hui, il faut avancer avec courage et assumer sans l’ombre d’une hésitation que, au sein de l’Union européenne, le sens de l’histoire, c’est la convergence des normes. Or il faut bien reconnaître que ce n’est pas encore le cas.
Il n’y a rien de plus insupportable pour nos agriculteurs et pour nous tous que de découvrir sur nos étals des concombres qui, s’ils ont tous été produits en Europe, ne respectent pas les mêmes normes environnementales. Or, et c’est bien là le drame, rien ne ressemble plus à un concombre qu’un autre concombre ! Peut-être même que, pour le consommateur, le concombre produit avec moins de normes environnementales a une couleur et une forme plus jolies… Tout cela fait que règne une compétition déloyale au sein du marché commun.
C’est pourquoi, comme je l’ai déjà expliqué, la nouvelle politique agricole commune permet pour la première fois de conditionner pour tous les pays européens une partie des paiements directs, c’est-à-dire ce qui relève du premier pilier, à des mesures environnementales, à hauteur soit de 20 % – c’est ce dont les ministres sont convenus au sein du Conseil –, soit de 30 % – ce que les parlementaires européens ont adopté à la fin de la semaine dernière.
Je partage totalement la position de la commission des affaires économiques, et je me bats tous les jours en ce sens : une convergence des normes à l’échelon européen est nécessaire. Plus personne ne peut en effet comprendre que soient produits des fruits et des légumes qui ne respectent pas les mêmes normes. Malgré cette première avancée de la PAC, le chemin sera difficile et de longue haleine, mais nous nous battrons jusqu’au bout, car c’est le sens de l’histoire de la construction européenne.
J’entends bien les reproches de la Haute Assemblée sur l’article 44 de la loi Égalim, vous venez de vous en faire l’écho, madame la présidente-rapporteure : il n’irait pas assez loin, il ne serait pas suffisamment appliqué… Tout cela relève désormais de ma responsabilité. Comme il n’est pas suffisamment appliqué, vous proposez d’aller plus loin en prévoyant que le ministre de l’agriculture et le ministre de la consommation, c’est-à-dire Bercy, puissent prendre la décision d’interdire la vente sur le marché de substances qui ne respectent pas les mêmes règles, et ce au titre de l’article 53 du règlement européen : « Lorsqu’il est évident que des denrées alimentaires ou des aliments pour animaux d’origine communautaire ou importés d’un pays tiers sont susceptibles de constituer un risque sérieux pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement », il est possible de faire en sorte qu’ils ne soient pas sur le marché.
Cet article aurait-il changé quoi que ce soit pour la filière betterave ? Malheureusement, non. En effet, aucune étude, qu’elle provienne de l’Anses ou d’ailleurs, n’aurait permis d’interdire les importations, au nom d’un risque pour la santé humaine. Aucun risque sur la santé animale n’aurait pu être invoqué non plus. Quant à l’enjeu environnemental, il est défini à l’aune des frontières de notre pays : on ne peut pas prendre en compte les conséquences environnementales sur les terres polonaises ou allemandes pour invoquer cet article, seul importe l’environnement du pays qui ferme ses frontières à l’importation de ces denrées.
Par conséquent, l’article 53 aurait été totalement inopérant pour régler le cas qui nous occupe aujourd’hui. Cela étant, je vous laisse imaginer ce que représente une telle décision : cela signifie, au sein du marché commun, la fermeture totale de nos frontières à l’importation d’autres produits, ce qui emporte des conséquences incroyablement fortes en termes de relations commerciales, de contrôle et d’export, puisqu’une partie de notre production est exportée, c’est-à-dire dépend de cours extérieurs au marché intérieur français. Cela n’aurait absolument pas réglé l’équation économique à laquelle nous sommes confrontés, à savoir faire en sorte que les sucreries ne ferment pas dans notre pays.
L’adoption de cet amendement ne permettra pas d’accélérer le sens de l’histoire et d’aller vers une convergence des normes à l’échelon européen. C’est bien la politique agricole commune qui doit en être le réceptacle, le moteur et l’acteur. Je sais que cette réponse n’est pas satisfaisante, car cette voie prend plus de temps, mais c’est seulement ainsi que l’on y arrivera, et c’est pourquoi il ne faut surtout pas l’abandonner.
Enfin, les conseils des ministres européens ont permis de se mettre d’accord sur un socle commun environnemental, qui doit maintenant être retranscrit non pas dans la politique agricole commune, mais dans les politiques commerciales et dans les accords de libre-échange. À partir du moment où l’on se met tous d’accord sur un socle environnemental contraignant à tous les États membres, nos collègues ministres qui gèrent les relations commerciales sont tenus de le respecter, et il ne leur est pas possible d’en faire fi, même au titre de la compétence européenne pour la négociation de ces accords de libre-échange.
Ce qui a été acquis à l’échelon de la politique agricole commune doit absolument être transféré à l’échelon de la politique commerciale. Je le redis, la France s’oppose au Mercosur, qui aurait des conséquences, y compris pour le sujet qui nous occupe aujourd’hui.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Autant nous n’étions pas d’accord avec l’amendement n° 22, autant nous nous réjouissons que celui-ci arrive enfin ! Depuis le temps que l’on dit qu’il faut en finir avec des importations de produits traités avec des substances interdites en France !
Monsieur le ministre, on peut être prudent, excessivement prudent même, mais il faut parfois aussi de l’audace ! Lorsque la France a pris la décision d’interdire les néonicotinoïdes en 2016, c’était scandaleux : on nous a opposé que l’Europe nous en empêcherait, que l’UIPP était au taquet pour nous en empêcher juridiquement. Or l’Europe nous a emboîté le pas !
Il est temps maintenant de prendre des mesures extrêmement fortes et, pour le coup, révolutionnaires. Même si ce dispositif est retoqué, cela vaut le coup de le tenter. C’est pourquoi, madame la rapporteure, chers collègues, nous sommes entièrement d’accord avec cet amendement, et nous espérons qu’il sera voté. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.
M. Franck Montaugé. La loi Égalim n’a pas atteint les objectifs principaux qui lui étaient assignés, tant s’en faut. Elle devait notamment régler la question du revenu du producteur, qui nous préoccupe tous ici, en particulier dans les territoires ruraux en difficulté, qui sont souvent des territoires de polyculture et d’élevage dont le modèle et plus encore l’avenir sont en question aujourd’hui.
L’article 44 est très important, cela a été souligné par de nombreux collègues. En réalité, le périmètre de cet amendement déborde l’objet du projet de loi initial, qui est centré sur la filière sucrière.
Au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous voterons cet amendement malgré les arguments que vous avez développés, monsieur le ministre. Vous me permettrez de faire un parallèle avec une situation que nous avons déjà rencontrée.
Quand le Sénat propose, ce n’est jamais le bon moment : nombre d’arguments sont avancés pour considérer que les décisions doivent se prendre ailleurs, en l’occurrence à l’échelle européenne. Il n’est qu’à rappeler le travail que nous avons mené sur le libre choix du consommateur dans le cyberespace : nous y avons consacré beaucoup de temps pour nous entendre finalement dire que des mesures étaient engagées à l’échelle européenne, qu’il n’était plus nécessaire de nous occuper de rien et que, bientôt, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes !
Nous sommes exactement dans la même configuration aujourd’hui. Or, sur ce sujet extrêmement important, qui nous préoccupe tous en permanence et qu’on rappelle souvent, il faut y aller ! La France doit adresser un message politique à l’ensemble de ses partenaires européens et même au-delà, dans le cadre des grands accords internationaux de libre-échange qui contiennent des volets agroalimentaires.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera sans réserve cet amendement, en espérant qu’il prospérera. En toute responsabilité, nous y contribuerons.
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. L’amendement de Mme le rapporteur est très intéressant. Si l’on n’utilise pas de néonicotinoïdes, on ne produira plus de sucre en France et on importera du sucre d’autres pays d’Europe produit grâce aux néonicotinoïdes.
On pourrait élargir le débat et y passer toute la nuit, voire toute la semaine. La France interdit les OGM, mais personne ne sourcille quand elle importe des millions de tonnes de produits OGM.