Mme le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
Mme le président. Personne ne demande la parole ?…
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
Mme le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
Mme le président. La séance est reprise.
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Mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières (projet n° 7, texte de la commission n° 61, rapport no 60, avis n° 59).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la présidente, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes tous résolument engagés en faveur de l’agroécologie, pour une agriculture moins dépendante à l’égard d’un certain nombre de pesticides.
Toutefois, la filière betterave, une filière d’excellence qui représente près de 46 000 emplois dans notre pays, est aujourd’hui confrontée à une situation exceptionnelle, à laquelle il faut répondre.
Le présent projet de loi ne vise en aucun cas à opposer économie à écologie. C’est d’abord une question de souveraineté : voulons-nous faire la transition agroécologique avec la filière de betterave sucrière française ou acceptons-nous que celle-ci disparaisse ? Car elle est aujourd’hui en danger ! Elle est menacée par un insecte, le puceron vert, que nous ne connaissons pas encore très bien, mais qui est fortement nuisible pour les cultures. Cet insecte prolifère, notamment lorsque les hivers sont doux. En 2020, il a provoqué des dégâts considérables.
Le problème est qu’il n’existe à ce jour aucune alternative d’échelle – j’y reviendrai –, qu’elle soit économique, agronomique ou chimique.
Les betteraviers d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes que ceux d’il y a vingt ans ou vingt-cinq ans. À l’époque, on pratiquait la monoculture et on consacrait 100 % des surfaces aux betteraves, contre 10 %, 15 % ou 20 % actuellement. Que feriez-vous à leur place ? Continueriez-vous de planter des betteraves, avec le risque d’une baisse significative des rendements ? Compte tenu des incertitudes pesant sur cette culture, vous planteriez à l’évidence autre chose, notamment des céréales.
Le problème est que toute la filière est aujourd’hui dépendante en aval des fameuses sucreries – en tant qu’élus des territoires, vous les connaissez bien –, dont la situation économique est extrêmement sensible, avec des bilans économiques très faibles et des risques de fermeture.
Nous sommes donc face un choix de souveraineté. Si nous ne trouvons pas de solution pour accompagner la filière de la betterave, les sucreries fermeront l’année suivante. Et bon courage pour relancer cette filière d’excellence une fois que les sucreries auront fermé ! (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Voilà pourquoi il s’agit, je le répète, d’un problème non pas d’écologie ou d’économie, mais de souveraineté ! Voulons-nous faire la transition agroécologique avec la filière française ou acceptons-nous qu’elle ne se fasse pas en France, moyennant quoi nous serons contraints d’importer du sucre, notamment en provenance de pays européens ?
En effet, sur quatorze pays producteurs de betteraves en Europe, onze ont accepté des dérogations : en l’absence d’autre solution, ils autorisent l’utilisation de ces fameux néonicotinoïdes. Si nous ne soutenons pas notre filière aujourd’hui, nous leur importerons demain du sucre.
Je le dis clairement, le présent projet de loi n’est en aucun cas un texte de renoncement. Depuis l’adoption de la loi de 2016, près de 92 % des usages des néonicotinoïdes ont trouvé une alternative. Mais ayons l’humilité de reconnaître que ce n’est pas le cas dans certains secteurs, singulièrement dans celui de la betterave.
M. François Bonhomme. Et dans celui de la noisette !
M. Julien Denormandie, ministre. Face à une telle impasse, nous devons trouver une solution.
Ce qu’il y a de plus difficile en politique, c’est d’affronter le temps. Or le temps de la nature n’est pas forcément celui de l’émotion sur les réseaux sociaux ou celui de la politique. Oui, la recherche agronomique prend du temps ! Dans une vie d’agriculteur, il y a, dit-on, cinquante tests possibles, c’est-à-dire, au final, cinquante cultures et cinquante années de travail.
Le projet de loi répond avec humilité et courage à cette impasse. Nous proposons de recourir à une option ouverte par l’article 53 du règlement européen, en l’occurrence la possibilité de « mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue d’un usage limité et contrôlé, lorsqu’une telle mesure s’impose en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables ». En d’autres termes, en l’absence d’alternative, utilisons la dérogation !
Car, encore une fois, il n’y a pas aujourd’hui d’alternative crédible ni d’alternative d’échelle.
Vous avez sans doute pris connaissance comme moi des nombreuses propositions qui ont été formulées à propos des méthodes agronomiques. Certes, si nous parvenions à développer les auxiliaires, c’est-à-dire les ravageurs des pucerons, par exemple les coccinelles ou autres, nous pourrions trouver un nouvel équilibre. Mais il y a deux difficultés.
D’une part, le développement des auxiliaires – toutes celles et tous ceux qui connaissent le sujet le savent – est très compliqué ; il suppose une « cinétique » particulière, en fonction de l’arrivée des pucerons. D’autre part, cela implique de donner à ces auxiliaires un toit, par exemple les haies. J’ai ainsi tenu à ce que 50 millions d’euros soient dédiés aux haies dans le plan de relance. Mais faire pousser une haie dans un champ prend bien plus que six mois !
Les alternatives chimiques, qui constituent la deuxième solution, ont été essayées. Depuis 2018, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) permet d’en utiliser deux : le Monsanto et le Teppeki. Mais cela ne marche pas. Tous les élus des territoires concernés ont pu voir le désarroi dans les yeux des agriculteurs ayant eu recours à ces produits. (Marques d’ironie sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – M. François Bonhomme s’exclame.) On a beau les utiliser deux, trois, quatre, cinq ou six fois, cela ne fonctionne pas !
J’invite toutes celles et tous ceux qui veulent faire le bilan écologique des mesures proposées à prendre comme référentiel ce qui se passe aujourd’hui dans nos champs. Les alternatives que d’aucuns mettent en avant existent déjà, mais elles ne marchent pas !
En outre, il y a l’aspect économique. Peut-on mettre le système sous perfusion le temps de trouver une solution ? Il n’y a pas de solution économique, car les règles européennes sont très claires : on ne peut pas indemniser à 100 %.
M. François Bonhomme. Eh oui !
M. Julien Denormandie, ministre. Que feriez-vous à la place des betteraviers, qui, certes, ont le droit de continuer de planter des betteraves, mais qui sont tenus de souscrire une assurance, car ils devront assumer eux-mêmes 35 % des pertes ? Là encore, vous planteriez autre chose que de la betterave, par exemple des céréales, avec pour effets la fermeture des sucreries l’année suivante et l’effondrement de toute la filière de la betterave sucrière française l’année d’après !
M. Bruno Sido. En effet !
M. Julien Denormandie, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pensez bien que, si une alternative sérieuse était sur la table, je ne serais pas devant vous cet après-midi, malgré tout le plaisir que j’ai à m’exprimer devant la Haute Assemblée. Je ne serais pas en train d’invoquer devant vous l’article 53 du règlement européen, qui permet des dérogations « en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables ». D’ailleurs, dans cette hypothèse, le texte même n’aurait plus de sens dans son principe.
Le présent projet de loi s’inscrit dans la perspective d’un plan plus global.
D’abord, nous voulons accélérer la recherche d’alternatives. Nous mobiliserons ainsi 7 millions d’euros en faveur des programmes de recherche, publics ou privés, qu’il s’agisse de recherche variétale, du biocontrôle, des auxiliaires – je les ai évoqués –, des pratiques agronomiques ou de la taille des parcelles. Nous maintiendrons, je vous l’assure, la pression sur l’ensemble des acteurs, afin d’avancer.
Ensuite, nous proposons la mise en place d’un conseil de surveillance avec des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat, afin de pouvoir s’assurer du suivi en toute transparence de l’ensemble des dispositifs.
Enfin, pour limiter au maximum l’effet environnemental, je souhaite restreindre les dérogations à la seule betterave sucrière, et ce pour deux raisons.
Premièrement, la betterave sucrière n’entre pas en floraison avant la récolte. Ce faisant, son effet sur les pollinisateurs, même s’il existe, est moindre que celui d’autres cultures.
Deuxièmement, la betterave est dépendante en aval d’un système de production et de transformation : celui des sucreries. Si ces dernières ferment, toute la filière tombe en l’espace d’un an à deux ans. La politique de souveraineté agroalimentaire que je défends vise à permettre de faire la transition agroécologique avec la filière française. Pour moi, c’est indispensable.
Nous proposerons un plan Pollinisateurs d’ici à la fin de l’année, afin d’accompagner le plus possible l’apiculture, notamment sur une question ô combien difficile. Les abeilles ont, nous le savons, beaucoup de difficultés à se nourrir entre le printemps et le début d’été. Nous devons apporter des réponses agronomiques concrètes à ce problème.
Je sais que d’autres filières sont en difficulté ; M. Bonhomme a par exemple évoqué la noisette. Mais je souhaite limiter les dérogations à la betterave sucrière, pour les raisons que j’ai exposées précédemment : son moindre effet environnemental sur les pollinisateurs et sa dépendance à l’égard d’un système économique qui peut disparaître en un an. Il faut évidemment accompagner les autres secteurs, et je prends l’engagement de le faire, mais par d’autres moyens.
Ayant consulté de multiples études juridiques, j’ai la conviction que nous pouvons justifier de la singularité de la filière betteravière sucrière, y compris au regard du principe d’égalité si cher au Conseil constitutionnel, du fait des deux spécificités que j’ai rappelées.
Je tiens à saluer les travaux du Sénat sur ce texte. Je pense en particulier à la commission des affaires économiques, saisie au fond, et à la commission du développement durable, saisie pour avis. Vous avez adopté trois amendements, sur l’élargissement du conseil de surveillance, sur l’encadrement du délai dans lequel celui-ci doit rendre son avis et sur l’avancée de l’entrée en vigueur de la loi au 15 décembre, qui viennent compléter utilement, me semble-t-il, le dispositif.
Ce texte est effectivement difficile. Loin d’opposer écologie et économie, il vise à garder la souveraineté de notre agriculture et de notre système agroalimentaire. C’est trop facile de dire : « Il n’y a qu’à… » La réalité est que, si des sucreries ferment, s’il n’y a plus de betterave sucrière dans nos champs, c’est, au-delà même des 46 000 emplois, toute une filière d’excellence ayant forgé l’identité de beaucoup de nos territoires qui peut disparaître du jour au lendemain.
En politique, le courage, c’est d’affronter le temps. Le temps en agronomie n’est pas forcément le même que le temps en politique. Mais c’est justement, j’en suis convaincu, toute la force de la Haute Assemblée que de se dire qu’il faut affronter le temps. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, dans le cadre des mesures sanitaires, le masque doit couvrir la bouche et le nez. Je vous remercie de veiller au respect de cette consigne.
La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir connu un long épisode économique difficile en raison de la fin des quotas et dû affronter une période de restructuration industrielle douloureuse, la filière betterave est aujourd’hui confrontée à l’une des plus grandes crises de production depuis des décennies.
À la suite d’un hiver doux, une vague de pucerons a remonté la France du sud au nord, piquant les betteraves, bien avant l’arrivée des auxiliaires, notamment des coccinelles. Cela a entraîné une épidémie de jaunisse qui touche aujourd’hui près de 45 % du territoire productif français, plus particulièrement au sud et à l’est de l’Île-de-France.
Les conséquences économiques pour la filière sont incontestables. Les premiers arrachages font état de baisses de rendement en moyenne en France de 15 % à 20 % – mais la moyenne n’a pas de sens en la matière – et, surtout, de baisses de rendement dans les bassins de production pouvant atteindre 50 % autour de certaines sucreries.
Face au manque d’alternative efficace et au regard d’interdictions prises en 2018, la filière est aujourd’hui dans l’impasse.
Les programmes de recherche ont pourtant été lancés très tôt. Ils avancent, mais n’ont pas encore abouti. Des solutions sont expérimentées, parfois depuis 2012, et sont prometteuses. Elles concernent le biocontrôle, les pratiques culturales, l’agronomie, la génétique, voire la mécanique. Aucune piste n’est écartée. L’alternative viendra vraisemblablement d’une combinaison de ces solutions. C’est ce que nous disent les experts et les scientifiques.
Mais, pour la saison 2021, les producteurs sont pris de court. En attendant les alternatives, seule une dérogation à l’utilisation de semences enrobées de néonicotinoïdes est envisageable. C’est d’ailleurs ce que douze pays européens ont déjà fait. Le présent projet de loi vise précisément à autoriser en France ce qui est autorisé ailleurs en Europe à titre dérogatoire.
Si nous ne le faisons pas, le risque le plus immédiat est de saboter la compétitivité de la filière betteravière française, qui, je le répète, est convalescente. Les pertes de rendement seront cette année proches de 1 000 euros par hectare. Dans ces conditions, sans certitude que les dégâts seront maîtrisés en cas de jaunisse l’année prochaine, les planteurs réduiront légitimement leur surface betteravière. C’est le deuxième risque. Il convient de le conjurer, car cela concerne toute une filière d’excellence pour la France.
La betterave sucrière est une économie de proximité, en raison des difficultés de transport de la betterave. À défaut de semis et de planteurs suffisamment nombreux autour des sites d’implantation des sucreries, et faute de pouvoir faire tourner les usines plus de 100 jours, contre 50 jours attendus cette année, les risques directs de fermeture définitive sont importants. Au total, ce sont 45 000 emplois agricoles et industriels qui sont menacés. Je crois, mes chers collègues, que nous ne pouvons pas menacer de cela les Français.
La fermeture de ces usines nous conduirait à terme à importer du sucre et du gel hydroalcoolique produits dans des conditions que nous refusons à nos propres producteurs au prix d’un bilan carbone nécessairement plus lourd. Je souhaite à cet égard répondre aux voix qui s’opposent à une telle dérogation pour éviter ce qui est qualifié de « retour en arrière sur le plan environnemental ». Je préfère nettement du sucre produit dans nos campagnes que du sucre produit à l’étranger, y compris dans des pays européens voisins.
D’un point de vue environnemental, la production sucrière française a – je veux le rappeler – considérablement évolué ces dernières années. Il y a eu entre 30 % et 70 % de fertilisants, de fongicides et d’insecticides en moins pendant les vingt dernières années. On note également un recul de 40 % en vingt-cinq ans des émissions de gaz à effet de serre pour les sucreries, qui ont investi lourdement et qui ont parié sur le gaz plutôt que sur le charbon comme les sucreries européennes concurrentes et voisines. Et le transport du champ à l’usine s’effectue sur une plus faible distance, avec 32 kilomètres en France en moyenne contre 50 kilomètres en Allemagne ; cela n’est pas rien.
Enfin, loin de ne servir que la filière sucrière, la pulpe de betterave représente également un apport alimentaire majeur pour nos élevages : on est loin du soja OGM importé du Brésil ! C’est, par exemple, 40 % de l’alimentation du bétail dans les Hauts-de-France.
Quel sens y aurait-il à sacrifier ces acquis en menaçant notre filière betteravière ? Ne manquerait-on pas de recul en sacrifiant tous ces acquis environnementaux réels, qui nous différencient, au profit d’importations accrues, y compris celles qui accentuent la déforestation au Brésil ?
Analyser les risques environnementaux, et même les risques sur la santé, sur une seule des étapes de cette filière, c’est méconnaître un écosystème agricole industriel, alimentaire et non alimentaire global beaucoup plus vertueux qu’ailleurs.
Il est caricatural de réduire le débat à un affrontement entre l’intérêt économique des dérogations à court terme et l’intérêt écologique de l’interdiction à long terme. Ce piège politique, très simple à caricaturer sur Twitter, nous le refusons !
Le débat oppose plutôt deux visions politiques de l’écologie. À une écologie de la défiance, qui choisit d’interdire et qui conduit à une déprise de notre agriculture française, clairement observée aujourd’hui, et à une décroissance revendiquée, j’oppose ici une écologie de la confiance, parfaitement consciente de l’urgence, exigeante, mais qui s’appuie sur la réalité de nos territoires, le progrès et la recherche.
Alors oui, pour toutes ces raisons, nous soutenons ce texte.
Monsieur le ministre, vous avez accepté, non sans courage, de vous lancer dans ce combat. Vous aurez notre soutien, d’autant que des garanties ont été apportées par la filière et le Gouvernement. Sont ainsi prévus des financements supplémentaires pour la recherche sur la betterave, un plan de prévention afin de limiter l’exposition des cultures mellifères aux effets des semences utilisées à titre dérogatoire et un comité de surveillance assurant la transparence sur les avancées de la recherche. La filière a de son côté pris un engagement très fort pour s’orienter vers une production labellisée Haute qualité environnementale.
Nous émettons toutefois trois réserves sur la rédaction du projet de loi.
La première porte sur l’horizon de la recherche. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, celle-ci prend du temps, et c’est la leçon, me semble-t-il, que les parlementaires doivent retenir de cette crise. Je comprends que les attentes de la société soient vives. Nous souhaiterions tous que les recherches aillent plus vite. Mais la recherche est confrontée au temps long, la recherche fondamentale comme la recherche appliquée, qui par construction est contrainte par la temporalité des saisons. Si nous sommes sûrs que les recherches avanceront d’ici à 2023, la question est de savoir si elles auront abouti à cette date.
La deuxième porte sur l’article 2, qui recèle à notre sens une fragilité constitutionnelle. En écrivant spécifiquement que les dérogations ne seront réservées qu’à la betterave sucrière, le texte pourrait être jugé inconstitutionnel au regard du principe d’égalité devant la loi. Vous nous avez exprimé, monsieur le ministre, votre confiance dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. Nous nous rangeons à votre appréciation et à celle de vos services. L’important est que nous arrivions à bon port pour sauver à temps la filière.
Enfin, la troisième a trait à la philosophie même de ce texte, qui est une « rustine législative » pour la betterave, alors que de nombreuses autres filières sont dans des impasses techniques.
Malgré ces réserves, l’efficacité a guidé nos travaux. La commission n’a pas voulu rompre l’équilibre de ce texte d’urgence qui doit impérativement entrer en vigueur avant décembre.
Pour les producteurs de betteraves, le chemin ne s’arrête pas à ce projet de loi. À long terme, la question de la gestion des risques sanitaires est posée. À plus court terme, c’est celle, cruciale, de l’indemnisation des planteurs et des industriels. Personne ne peut être oublié, même si cela signifie qu’il faille obtenir de l’Union européenne, à titre exceptionnel, un relèvement du plafond des aides de minimis.
Il faut cependant tirer les leçons de cette crise betteravière.
La première leçon est claire : il ne faut pas abandonner des filières aujourd’hui confrontées à une impasse technique. À défaut, elles disparaîtront, faute de compétitivité. Vous n’aurez pas de gains environnementaux, mais vous constaterez plus d’importations, moins d’emplois et moins de diversité agricole. Pour les citoyens français, il y aurait en outre une incohérence. Si un produit est interdit en France, pourquoi autoriser sa consommation dans des produits importés ? C’est le sens de l’article 44 de la loi Égalim (loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous), voté par le Sénat, et dont le respect n’est pas encore assuré. La souveraineté alimentaire commence par cette mesure !
Le deuxième défi concerne le rôle central de la recherche. La course à la fin des pesticides s’accélère. Tout le monde la souhaite. Mais nous ne gagnerons pas ce combat en abandonnant notre agriculture ! Soyez conscient, monsieur le ministre, de la vive inquiétude du Sénat pour de nombreuses filières, trop petites pour apparaître sur les radars, mais qui meurent à petit feu face à leurs concurrents polonais, allemands, américains ou brésiliens.
Je pense bien sûr à la noisette, à la noix, à la figue, au navet, plus largement à la moutarde – notamment la moutarde de Dijon –, à l’orge ou à la carotte de Créances… Ces produits font partie du patrimoine culinaire français, ils sont des éléments de notre flore et de nos paysages.
La seule voie pour trouver des solutions compatibles avec nos objectifs est d’augmenter les moyens de la recherche. Mais force est de constater que, dans le projet de loi de finances, vous diminuez pour la seconde fois le compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » (Casdar), qui finance pourtant la recherche appliquée.
M. François Bonhomme. Va comprendre !
Mme Sophie Primas, rapporteur. Nous prônons l’inverse.
En conclusion, mes chers collègues, la commission a voté ce texte dans un souci pragmatique d’efficacité et d’urgence. Ce projet de loi est aussi l’occasion pour nous d’en appeler à préférer l’écologie de la recherche, de l’innovation et du projet à celle de l’injonction. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, INDEP et RDPI.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Bruno Belin, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable avait été saisie au fond de la loi de 2016. Nous sommes saisis pour avis du présent texte. Évidemment, à aucun moment la toxicité des pesticides concernés n’a été remise en question dans notre rapport. D’ailleurs, le projet de loi ne remet pas en question l’interdiction généralisée de ces substances, programmée selon un calendrier précis. Il apporte même un certain nombre d’encadrements, comme l’interdiction de replantation de végétaux attractifs pour les insectes pollinisateurs. C’est une bonne chose pour la cause apicole, me semble-t-il.
Mais nous avons aussi entendu, à la suite de nos auditions, la cause agricole. Certains de nos collègues ont démontré la fragilité de cette filière agricole, comme d’ailleurs beaucoup d’autres en France. J’ai en mémoire les interventions de Pierre Cuypers, Pierre-Jean Verzelen, Pierre Médevielle ou encore Laurent Duplomb.
Notre rapport s’articule autour de trois points principaux.
Nous avons tout d’abord besoin d’une volonté, monsieur le ministre, sur la recherche ! Il nous faut absolument un plan de recherche. Vous annoncez 7 millions d’euros supplémentaires consacrés à la betterave sucrière, c’est une bonne chose. On peut toutefois regretter que vous préfériez la réaction à l’anticipation. Il est dommage de réagir dos au mur alors qu’on aurait pu faire des choses depuis 2016 !
M. René-Paul Savary. Ça, c’est sûr !
M. Bruno Belin, rapporteur pour avis. Peu importe, le débat est de savoir ce que l’on va faire maintenant, et selon quel calendrier.
Nous exprimons ensuite un souhait, celui de voir une partie de la taxe sur les pesticides venir aider les producteurs les plus vertueux. Ce sujet relève certes davantage de la loi de finances, mais c’est ainsi que nous parviendrons à apporter une réponse rapide.
Enfin, comme vient de le faire Sophie Primas, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable s’interroge sur le regard que le Conseil constitutionnel portera sur l’angle très fermé du projet de loi. Vous avez apporté un élément de réponse, monsieur le ministre, et cela relève évidemment de votre compétence.
Le débat de cet après-midi est essentiel. Nous réaffirmons la toxicité des néonicotinoïdes ; c’est un fait scientifique acquis. Mais il faut aussi prendre en compte les données de la filière agricole, actuellement engagée dans une transition.
Devant l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, vous avez soutenu les agriculteurs, en rappelant qu’ils étaient évidemment les premiers à prendre soin de la terre qui nous nourrit. Dans notre commission, nous faisons du développement durable, mais aussi de l’aménagement du territoire. Or il n’y a pas d’aménagement du territoire sans cause de la ruralité, et il n’y a pas de cause de la ruralité sans cause de l’agriculture !
En conclusion, j’insisterai encore sur la recherche. Nous sommes le pays d’Emmanuelle Charpentier et de Camille Guérin. Nous devons faire de la recherche un pan fort du plan de relance, une ambition au service de l’écologie, de l’environnement, du développement durable, de l’agriculture et de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, INDEP et RDPI.)
Exception d’irrecevabilité
Mme le président. Je suis saisie, par Mme Assassi, M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières (n° 61, 2020-2021).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.