M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand posera-t-on vraiment la question de l’utilité du CESE et de sa suppression ?
En effet, depuis plusieurs années, cette assemblée n’a pas échappé aux reproches tant le CESE, malgré plusieurs réformes, peine à trouver sa place dans notre système institutionnel.
Créé en 1925 pour constituer un « centre de résonance de l’opinion publique », le CESE a connu de nombreuses évolutions. Ainsi, la Constitution de la IVe République a institué un « Conseil économique », puis celle de la Ve République l’a maintenu en ajoutant à sa dénomination l’adjectif « social ». Ce n’est qu’en 2008, par la loi constitutionnelle du 23 juillet, que la compétence environnementale a été attribuée à cette instance et qu’elle est devenue le Conseil économique, social et environnemental.
Le CESE exerce trois principales missions : conseiller le Gouvernement, favoriser le dialogue entre les forces vives de la Nation, et contribuer à l’information du Parlement.
Le Conseil est composé de 233 membres représentant la société civile organisée. Parmi eux, 193 sont désignés par les corps intermédiaires et 40 sont des personnalités qualifiées nommées par le Gouvernement.
Si le CESE est une institution ancienne, paradoxalement, il demeure une instance consultative méconnue, qui a encore du mal à exister. Il fait l’objet de critiques récurrentes en revenant, de temps en temps, sur le devant de la scène dans le débat public, et ses travaux manquent de visibilité. Il est vrai que l’on n’entend pas assez parler de son rôle et de ses missions, et ses travaux sont trop peu mobilisés.
Faute de sollicitations externes, le CESE s’autosaisit d’ailleurs de la plupart de ses dossiers, ce qui peut poser question pour une assemblée consultative placée auprès des pouvoirs publics. En 2019, l’autosaisine a représenté presque 80 % des travaux du Conseil.
Le CESE est également concurrencé par d’autres instances consultatives, qui disposent d’une capacité d’expertise plus spécifique sur des sujets d’une grande complexité.
Le projet de loi organique que nous examinons a pour objet de permettre au CESE de mieux remplir trois principaux objectifs : institutionnaliser des outils de démocratie participative, inciter les pouvoirs publics à davantage saisir le Conseil, et réduire de 25 % le nombre de ses membres.
Si ce texte n’est pas inintéressant, il démontre toutefois un réel manque d’ambition en consacrant des pratiques déjà mises en œuvre, comme les relations de travail avec les Ceser, la consultation du public, l’avis sur l’application des lois, ou encore la représentation de tous les groupes au sein du bureau de l’institution. Il comporte également des dispositifs inappropriés devant être modifiés ou supprimés.
Aussi, je me réjouis que la commission des lois ait refusé toute légitimation du tirage au sort comme outil de la démocratie. Je me félicite également qu’elle ait supprimé le dispositif permettant au Gouvernement, lorsqu’il consulte le CESE sur un projet de loi, de s’exonérer des autres consultations préalables. En effet, cela reviendrait à se priver d’une expertise spécifique apportée par des organismes thématiques pouvant entraîner un appauvrissement des études d’impact.
Je partage pleinement la position de la commission lorsqu’elle considère que la réduction de 25 % des effectifs du CESE ne repose sur aucun critère objectif, d’autant qu’il paraît paradoxal de réduire le nombre de membres du Conseil alors que la réforme vise à les solliciter davantage.
Je me réjouis que la commission ait adopté une « moindre réduction » de l’effectif du CESE, qui comprendrait désormais 193 membres, soit une diminution de 17 %, qui porterait uniquement sur les 40 personnalités qualifiées.
Enfin, j’approuve la commission des lois lorsqu’elle a rappelé la vocation du CESE, qui représente la « société civile organisée » et non les territoires de la République, et je me félicite que la présence des outre-mer, qui paraît essentielle pour mieux prendre en compte la diversité de ces collectivités, ait été préservée.
La représentation des outre-mer a ainsi été maintenue au sein du troisième pôle, désormais dénommé : « cohésion sociale et territoriale, outre-mer et vie associative ». Historiquement, les outre-mer ont toujours disposé d’une représentation au CESE.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, loin de faire du Conseil une « chambre du futur », ce projet de loi organique est en deçà des attentes que les annonces du Président de la République avaient suscitées. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera néanmoins ce texte amélioré par les modifications apportées en commission.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que ferons-nous du CESE ?
Vous souhaitez, monsieur le garde des sceaux, envoyer un message fort en direction de la jeunesse. Nous pourrions faire de cette institution l’un des multiples outils de la construction du monde d’après. La démocratie est en crise – abstention, mouvement des gilets jaunes, échec du grand débat qui s’est ensuivi, sentiment de colère montante au sein des différents mouvements sociaux, sociétaux et environnementaux – et la confiance envers les responsables politiques continue de s’effriter.
Dans ce contexte, il est louable de reconnaître, comme ce texte doit le faire, la nécessité de s’appuyer davantage sur l’expertise des corps intermédiaires et de renforcer la participation de la société civile et des citoyens ; mais, voilà, il y a loin de la coupe aux lèvres, monsieur le garde des sceaux : le texte dont nous discutons aujourd’hui ne donne pas corps à cette ambition.
En effet, discuter d’un texte sur ce sujet à droit constitutionnel constant est décevant ; cela réduit fortement notre champ des possibles. Des évolutions constitutionnelles seraient nécessaires pour renforcer la participation des citoyens et de la société civile, pour prendre en compte le long terme dans notre démocratie.
Le CESE est une institution essentielle, et nous ne pouvons nous passer de l’expertise des corps intermédiaires, mais il est, aujourd’hui, peu visible, trop peu écouté et rarement pris en compte dans la fabrique de la loi. Or ce projet de loi organique n’est pas suffisant pour lui donner pleinement la place que nous devrions lui permettre d’avoir, en le rénovant et en le renforçant. Nous proposerons donc des amendements pour rendre possible ce renforcement du CESE, tout en étant bien conscients, je le répète, qu’une réforme à droit constitutionnel constant ne nous permettra pas d’aller aussi loin que nécessaire.
La prise en compte du long terme, qui devrait être la marque de fabrique de cette institution et permettre à notre démocratie de donner enfin aux enjeux environnementaux la place qu’ils méritent dans l’agenda politique, doit clairement être le « label » du CESE.
Au-delà même de ce manque d’ambition, ce texte comporte des régressions démocratiques importantes, notamment dans sa version initiale, proposée par le Gouvernement et adoptée par l’Assemblée nationale. Je veux parler de la suppression des consultations obligatoires et du renforcement de la procédure simplifiée.
Sur le premier point, la commission des lois du Sénat a bien identifié le risque, en supprimant l’article 6. Nous nous opposerons bien entendu au rétablissement de celui-ci, sans quoi toute une série d’organismes qui ont apporté leur contribution ou marqué leurs réserves ne pourront plus le faire, puisque, tout simplement, ils ne seront plus consultés.
Sur le second point, la procédure simplifiée, la commission a limité la portée des modifications proposées dans le texte initial, mais nous préconisons de la supprimer totalement ; cette procédure est déjà peu utilisée et sans réelle efficacité.
Ce texte comporte donc, dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale, des reculs dangereux.
Toutefois, il est également porteur d’innovations bienvenues. Je veux parler du tirage au sort, qui est, selon nous, un moyen utile de compléter la démocratie représentative et de revitaliser le débat démocratique. Contrairement à ce qui a pu être avancé dans l’hémicycle et en commission, cette procédure ne nous paraît pas mener à une « démocratie de la courte paille ».
Sans vouloir remettre en cause la légitimité de la Haute Assemblée, il suffit d’un regard pour voir que nous ne sommes pas totalement représentatifs de la société française. S’appuyer, pour mener à bien notre mission de législateur, sur des assemblées de citoyens tirés au sort et représentant une diversité de points de vue enrichirait, selon nous, le processus de concertation et de prise de décision, et renforcerait notre légitimité de parlementaires, par le biais tant d’une amélioration de la qualité des décisions que du renouvellement du lien de confiance avec les citoyens.
La complexité des enjeux de société suppose davantage de démocratie dans l’élaboration des choix. Le citoyen éclairé est un nouvel acteur de la démocratie, la Convention citoyenne pour le climat en est la preuve. Nous défendrons donc des amendements visant à rétablir les processus de consultation par tirage au sort et de participation de personnes tirées au sort aux commissions du CESE. Bien sûr, pour que cet exercice réussisse, il faut des garde-fous : une information éclairée, des processus encadrés. Cela doit s’accompagner de fortes garanties, et nous avons déposé des amendements en ce sens.
Nous soutenons également les dispositions tendant à faciliter la saisine du CESE par voie de pétition, et ce dès 16 ans.
Enfin, nous souhaitons renforcer, au travers de ce texte, la place des enjeux environnementaux au sein du CESE. En effet, vous le savez tous, ces enjeux sont de plus en plus présents dans nos vies. Les effets du changement climatique se font très concrètement ressentir : tensions sur l’utilisation de la ressource en eau, difficultés agricoles et augmentation des catastrophes naturelles – le changement climatique est, selon une alerte de l’ONU datée de ce lundi 12 octobre, le principal responsable du doublement des catastrophes naturelles dans le monde en vingt ans. De même, la perte de biodiversité s’accélère.
M. le président. Il faut conclure.
M. Guy Benarroche. Dans ce contexte d’urgence climatique et écologique, renforcer la place des acteurs de la protection de la nature au CESE nous semble relever du simple bon sens, dont vous ne manquerez pas, mes chers collègues. Le vote du groupe GEST se déterminera en fonction des débats et des amendements adoptés. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le CESE, assemblée consultative régie par la Constitution, a pour missions de favoriser le dialogue entre les forces vives de la Nation et de conseiller le Gouvernement et le Parlement par la publication d’avis.
Nous l’avons tous relevé, la pratique a révélé que cette instance était trop peu sollicitée et que les avis qu’elle rendait, en dépit de leur qualité indéniable, étaient trop peu suivis. Vous excuserez, mes chers collègues, le prisme ultramarin que j’emprunte – régulièrement, j’en conviens –, mais je pense notamment à deux avis de la délégation à l’outre-mer du CESE, rendus respectivement en 2017 et en 2020, relatifs à la lutte contre les violences faites aux femmes et à l’accès aux services publics dans ces territoires.
Devant le Congrès, réuni à Versailles le 3 juillet 2017, le Président de la République avait annoncé une réforme du Conseil économique, social et environnemental, afin de faire de cette institution la grande instance consultative qui fait aujourd’hui défaut.
C’est dans la continuité de cet engagement, renouvelé à l’occasion du grand débat national, qui avait donné lieu à 1,9 million de contributions, et de la Convention citoyenne pour le climat, que ce projet de loi organique nous est aujourd’hui soumis pour examen.
Si la dernière réforme du CESE, en date du 23 juillet 2008, a modernisé cette institution, elle n’a hélas pas permis de renforcer sa légitimité auprès de la société civile et des pouvoirs publics.
En premier lieu, la réforme qui nous est proposée aujourd’hui a pour objet de permettre au CESE de jouer un véritable rôle dans le développement, tant réclamé par nos concitoyens, de la démocratie participative.
Ainsi, afin de faciliter la saisine de cette instance par voie de pétition, la voie dématérialisée est admise, le seuil de recevabilité est abaissé de 500 000 à 150 000 signataires et l’âge minimal des pétitionnaires de 18 à 16 ans. La commission a confirmé la pertinence de ces évolutions, sans les modifier.
Un débat sur l’âge des pétitionnaires se tiendra tout à l’heure, avec la sagesse de la commission, et nous serons défavorables aux amendements qui tendraient à revenir sur la volonté du Gouvernement d’impliquer davantage les jeunes dans le débat public. Alors que certains, sur nos travées, voient dans cette évolution la tyrannie du jeunisme ou de la démagogie, nous considérons, bien au contraire, que cette extension est de nature à préparer ce groupe d’âge au plein exercice de sa citoyenneté.
Initialement, le projet de loi visait également à introduire dans la loi organique la faculté de tirage au sort, afin de nourrir les travaux du CESE, en encadrant ce procédé de garanties solides, pour assurer son caractère impartial et constructif. La commission des lois, considérant qu’une telle disposition affaiblirait les fondements de notre démocratie représentative et l’identité du CESE, a supprimé l’inscription de ce procédé dans la loi organique.
Nous ne partageons pas cette position. En effet, le recours au tirage au sort n’est pas envisagé pour la désignation des membres du CESE. Il constitue simplement un procédé auquel le Conseil aurait la faculté de recourir, parmi d’autres modalités, pour alimenter ses travaux. Il ne s’agit donc en aucun cas d’introduire une confusion des légitimités ni de fragiliser la vocation du CESE de représenter la société civile organisée.
C’est la raison pour laquelle nous proposerons un amendement tendant à réintroduire cette modalité, dans le cadre des procédures de consultation publique, mais également pour ce qui concerne la participation aux travaux des commissions du CESE. Je le sais, notre position sur l’article 4 est partagée par plusieurs collègues et un débat important se tiendra ce soir à ce sujet.
En second lieu, ce texte prévoit de renforcer le rôle consultatif de cette assemblée sur les projets de loi entrant dans son champ de compétences. Nous demanderons, par conséquent, le rétablissement de la dispense accordée au Gouvernement de procéder aux consultations préalables aux projets de loi, lorsqu’il en saisit le CESE.
Enfin, le projet de loi permet une plus grande agilité dans le fonctionnement du CESE et réforme la composition de ce dernier, en réduisant ses effectifs de 25 %. Encore une fois, je ne résiste pas à mon penchant naturel pour souligner que jusqu’alors les outre-mer bénéficiaient de 11 représentants, soit un par collectivité d’outre-mer. Avec cette baisse du nombre des membres du CESE, ils craignent très légitimement de ne plus être tous représentés. Si la vocation du Conseil est, certes, de représenter les forces vives économiques, sociales et associatives du pays et non les territoires de la République, la présence des outre-mer est néanmoins indispensable pour mieux prendre en compte la diversité de ces collectivités.
L’Assemblée nationale avait proposé d’insérer la mention, relativement imprécise à mon sens, selon laquelle le CESE « assure une représentation équilibrée […] des territoires de la République, notamment des outre-mer ».
La commission des lois du Sénat a préféré, quant à elle, intégrer expressément les outre-mer au collège des représentants de la cohésion sociale et territoriale et de la vie associative, ce qui constitue une avancée. Néanmoins, il nous semble important d’aller plus loin dans les garanties de représentation, en précisant ce que recouvre le vocable « outre-mer », afin d’éviter qu’il ne soit appréhendé comme un bloc.
Pour finir, je me réjouis du travail de coconstruction du Gouvernement, de l’Assemblée nationale et du Sénat pour renforcer les obligations déontologiques des membres du CESE ; j’en profite pour saluer la qualité du travail de notre rapporteur. Le groupe RDPI est convaincu que la réforme proposée permettra au CESE de renforcer son rôle et d’occuper la place qui doit lui revenir aujourd’hui, en tant que carrefour des consultations publiques et que chantre de la participation citoyenne.
Aussi, nous conditionnerons notre vote au sort qui sera réservé aux différents amendements dont je viens de faire une présentation non exhaustive. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’imagine qu’un certain nombre de nos concitoyens qui nous regardent examiner, ce soir, sur internet ou sur Public Sénat, ce projet de loi organique visant à réformer le CESE découvriront peut-être par la même occasion que cette instance existe toujours, du moins sur le plan institutionnel. C’est dire la place singulière et, somme toute, relative que le Conseil occupe dans l’esprit de nos concitoyens…
Bien sûr, les plus diplomates évoqueront le CESE comme un lieu d’échange, de consensus. Pourtant, la première question qui me vient à l’esprit est : à quoi sert la troisième assemblée de la République ? La réponse pourrait presque tenir en un mot, mais il serait dommage de le prononcer, ne serait-ce que pour sauvegarder l’intérêt du débat qui nous occupe. En effet, poser la question de la raison d’être d’un tel organe constitutionnel pourrait paraître incongru, sinon inconvenant.
Pour autant, ce n’est pas la première fois – loin de là – qu’elle est posée. Déjà, des membres éminents du Comité consultatif constitutionnel, présidé par Paul Reynaud – cela ne date pas d’hier –, l’avaient fait en 1958. Il s’agissait alors de fixer l’objectif, sans doute utopique, d’un lieu et d’une institution du dialogue social susceptibles d’assurer la paix sociale.
Voilà bien un objectif sur lequel chacun peut s’accorder. Pourtant, des pays comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne n’ont pas cru devoir créer un tel organe. Ce sujet n’a pas manqué de susciter des questionnements, depuis le début, au sein des gouvernements successifs, à commencer par celui de Pierre Mendès France, en 1954, et celui du général de Gaulle, en 1969. Ces gouvernements s’étaient déjà heurtés, peut-être par excès d’ambition, à des résistances fortes.
Il n’empêche, les périphrases plus ou moins inventives au sujet du CESE me semblent symptomatiques : « assemblée consultative », « assemblée du premier mot », « assemblée miroir des mutations citoyennes », « assemblée du consensus » et, de la bouche même du Président de la République, « chambre du futur où circulent les forces vives de la Nation », ou encore « forum de notre République ». Rien que cela…
Sans doute peut-on, dans ce domaine, noter, peut-être pour s’en réjouir, la créativité du langage. Néanmoins, les plus rabat-joie, dont je fais partie, y verront surtout la confirmation que la langue de plomb politico-administrative regorge de ressources insoupçonnées…
Malheureusement, depuis la loi constitutionnelle de 2008, la réalité d’une telle institution se limite, dans notre droit positif, à des modes de saisine du CESE. Cette institution a vocation à émettre des avis sur des projets de texte et à être consultée sur des problèmes relevant de son champ de compétences. Jusqu’à cette révision, le CESE ne pouvait être saisi que par le Gouvernement.
Il est par ailleurs précisé que « par la représentation des principales activités économiques et sociales, le Conseil favorise la collaboration des différentes catégories professionnelles entre elles et assure la participation à la politique économique et sociale du Gouvernement ». Toutefois, les modalités de cette participation sont parfois évasives et, il faut bien l’admettre, cette affirmation relève davantage, au vu de l’histoire, de l’acte de foi que de la réalité.
Comme le notait Dominique-Jean Chertier, dans son rapport de 2009, ce laconisme est la « traduction de l’ambiguïté fondamentale qui a présidé à la destinée de cette institution, jusqu’à aujourd’hui. »
En effet, le CESE n’est pas une assemblée parlementaire ; c’est bien un organe consultatif. Il n’est pas tout à fait inutile ni superflu de rappeler cette évidence, me semble-t-il, car, depuis sa création, cet organe cherche à se doter de certains éléments caractéristiques du Parlement, comme le bénéfice d’immunités pour ses membres, le contrôle du Conseil constitutionnel sur son règlement, l’impossibilité pour le Président de la République de s’y rendre librement, ou encore l’autonomie budgétaire et administrative. Certains y ont vu un mimétisme parlementaire, sans doute guidé par un instinct de survie, qui, au fur et à mesure de son existence relative, n’a fait que croître.
Il est d’ailleurs significatif, au passage, que la saisine parlementaire proposée par le Gouvernement ait été supprimée en 1958.
De même, le rôle de conseil de l’exécutif de cette assemblée consultative reste à démontrer, tant ses avis demeurent obscurs et, parfois, occultes.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’importe quoi !
M. François Bonhomme. Sans doute est-ce en partie la conséquence du fait que le Gouvernement est déjà éclairé par un certain nombre d’organismes dotés d’une capacité d’expertise avec laquelle le CESE ne pourrait rivaliser. Néanmoins, là encore, l’ambiguïté n’est pas levée, car le CESE, qui se veut un lieu de représentation et d’expression des forces économiques et sociales, compte pourtant en son sein des personnalités qualifiées et des membres de section censés conforter l’expertise technique dont disposent, en principe, les autres membres, à des degrés divers.
Au demeurant, cette concurrence institutionnelle n’a fait que renforcer cette ambiguïté initiale. Les organes se comptent par dizaines : conseils supérieurs, hauts conseils, conseils et comités nationaux, ou encore hautes autorités. Certains ont même vu dans la création de ces organismes compétents en matière économique et sociale le signe d’une indifférence, sinon d’une défiance, à l’égard du CESE.
Venons-en à la question centrale : pourquoi le CESE passe-t-il largement inaperçu, non seulement, bien sûr, de l’opinion publique, mais aussi – c’est tout aussi ennuyeux – des pouvoirs publics ? Pourquoi nombre de ses avis et études, qui comportent des analyses stimulantes, demeurent-ils connus de leurs seuls auteurs ? Reste ainsi à savoir à quoi bon réunir et faire travailler régulièrement une assemblée, si plusieurs de ses travaux ne sont ni connus ni reconnus par la société française. C’est une production qui tourne à vide…
D’ailleurs, le diagnostic posé dès 1958 par Maxime Blocq-Mascart, membre du Comité consultatif constitutionnel, conserve toute son actualité : « Les travaux du Conseil économique ont toujours été remarquables depuis une trentaine d’années, mais vains. Ses activités se déploient dans le vide. Nos improvisations constitutionnelles ne remédient pas à un état de fait aussi fâcheux que prolongé. »
Je tiens à préciser que la qualité des membres qui composent le CESE n’est pas en cause ; c’est même un facteur aggravant que de se dire qu’une institution comme le CESE tourne à vide depuis si longtemps, en dépit de la qualité individuelle de ses membres. Cela donne la mesure du problème qui nous occupe…
Notre rapporteur le rappelle opportunément, le Conseil économique, social et environnemental, boudé par les gouvernements successifs, dispose d’un cache-sexe pour masquer son état d’abandon et de déréliction ; en effet, puisque les sollicitations de l’exécutif demeurent anecdotiques – sept en 2018, quatre en 2019 –, il peut s’autoalimenter par le recours quasi providentiel aux autosaisines, qui représentent près de 80 % de son activité. Curieux paradoxe que celui d’un organe consultatif au service des pouvoirs publics et dont la principale activité consiste à s’autoconsulter…
Ainsi, le CESE se retrouve noyé dans un flot incontrôlé d’autosaisines qui lui fait perdre toute visibilité et toute influence. Cela ne change rien ; à l’arrivée, il s’agit toujours du fonctionnement d’une institution en vase clos.
Les ajustements suggérés par le Gouvernement au travers de ce texte traduisent cette situation. Les dispositions proposées sont, le plus souvent, soit superfétatoires, soit contreproductives.
Elles sont superfétatoires quant aux nouvelles règles déontologiques, à la composition du CESE et même à la réduction du nombre de membres ; elles sont contreproductives avec l’introduction du tirage au sort ou avec les critères du droit de pétition.
Je veux dire un mot sur la suppression des personnalités qualifiées. C’est la seule véritable disposition significative de ce texte, après soixante ans de tergiversations et d’atermoiements. Comme d’autres, j’ai déposé, dans le passé, une proposition de loi en ce sens ; je ne peux donc qu’y souscrire.
On retiendra que les personnalités qualifiées sont, selon le Gouvernement, un instrument qui se révèle depuis toujours totalement dévoyé. Chacun se souvient ainsi de la nomination de Georgette Lemaire, ou encore de celle de Jean-Luc Bennahmias, alors secrétaire national du parti écologiste. Cette personnalité s’était vu refuser la troisième place éligible sur la liste de son mouvement aux élections européennes, parce que Mme Voynet tenait à ce qu’il garde la maison écologiste, mais, ne voulant pas « vieillir en apparatchik », avait-il dit, il avait fait comprendre qu’il n’avait pas fait vœu de chasteté institutionnelle, et la ministre de l’environnement de l’époque avait fait remonter le message à Matignon, pour une nomination qui, croyez-moi, n’avait pas traîné… (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.) Quelques années plus tard, il fut renommé au CESE, par un nouveau pouvoir, en remerciement d’une opération de transformisme politique aussi rapide que remarquable.
On retiendra, plus récemment, la nomination de Rost, rappeur de son état et président de l’association Banlieues actives, dont la qualité déterminante, du point de vue du Gouvernement, fut d’avoir composé la chanson L’Avenir, c’est nous, qui faisait l’ouverture des meetings du candidat socialiste, ainsi que, plus généralement, celle d’une flopée d’élus ou d’anciens ministres, courtisans du pouvoir, apparatchiks, hiérarques ou contestataires trop bruyants. (Nouvelles protestations et marques d’impatience sur les mêmes travées.)
M. le président. Veuillez conclure !
M. François Bonhomme. Vous m’aurez compris, les nominations comme personnalité qualifiée font office de lots de consolation. Je laisse le soin aux esprits les plus délicats de lire la liste des autres personnalités qualifiées…
Pour le reste, monsieur le garde des sceaux, vous l’aurez compris, beaucoup d’éléments de ce texte entraînent de fortes réserves de ma part. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Vives protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.