Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. Daniel Gremillet, Loïc Hervé.
2. Rappel des règles sanitaires
3. Questions d’actualité au Gouvernement
rapidité de la mise en œuvre du plan de relance
M. Hervé Marseille ; M. Jean Castex, Premier ministre.
situation critique dans les hôpitaux
Mme Laurence Cohen ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Laurence Cohen.
situation dans le haut-karabakh (i)
M. Bernard Buis ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
situation sociale dans le pays
M. Patrick Kanner ; M. Jean Castex, Premier ministre ; M. Patrick Kanner.
M. Henri Cabanel ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
taxe sur les transactions financières
M. Guillaume Gontard ; M. Jean Castex, Premier ministre ; M. Guillaume Gontard.
Mme Vanina Paoli-Gagin ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
perspectives pour la nouvelle-calédonie
M. Philippe Bas ; M. Jean Castex, Premier ministre ; M. Philippe Bas.
rapprochement entre veolia et suez (i)
M. Serge Babary ; M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises.
rapprochement entre veolia et suez (ii)
M. Thierry Cozic ; M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises.
lutte contre les violences à l’encontre des forces de l’ordre
M. Sébastien Meurant ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Sébastien Meurant.
impacts de l’épidémie de covid-19 sur les métiers du tourisme et des transports
Mme Catherine Morin-Desailly ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; Mme Catherine Morin-Desailly.
situation dans le haut-karabaKh (ii)
Mme Valérie Boyer ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Mme Corinne Féret ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement ; Mme Corinne Féret.
occupation illicite de terrains par des gens du voyage
M. Cyril Pellevat ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
annulation des stages des élèves au collège
Mme Laure Darcos ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports ; Mme Laure Darcos.
4. Modification de l’ordre du jour
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
6. Candidature à une commission spéciale
7. Modification de l’ordre du jour
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur.
9. Code de la sécurité intérieure. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois
M. Christian Cambon, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
Mme Jacqueline Eustache-Brinio
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 13 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 8 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 9 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 6 rectifié de M. Jean-Yves Leconte. – Adoption.
Amendement n° 7 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 14 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 2
Amendement n° 11 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 10 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 12 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 15 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission ; modifié.
10. Communication d’un avis sur un projet de nomination
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Georges Patient
11. Conseil économique, social et environnemental. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 16 rectifié de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 46 rectifié de M. Thani Mohamed Soilihi. – Rejet.
Amendement n° 6 rectifié de Mme Victoire Jasmin. – Rejet.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 1er
Amendement n° 17 rectifié de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 18 rectifié de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 19 rectifié de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 42 du Gouvernement. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 29 rectifié de M. François Bonhomme. – Retrait.
Amendement n° 30 rectifié de M. François Bonhomme. – Rejet.
Amendement n° 31 rectifié de M. François Bonhomme. – Rejet.
Amendement n° 32 rectifié de M. François Bonhomme. – Rejet.
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° 8 rectifié de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 14 rectifié bis de M. Richard Yung. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Renvoi de la suite de la discussion.
12. Ordre du jour
Nomination d’un membre d’une commission spéciale
Nomination de membre d’une éventuelle commission mixte paritaire
COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Daniel Gremillet,
M. Loïc Hervé.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Rappel des règles sanitaires
M. le président. Mes chers collègues, afin de respecter les règles sanitaires, je vous rappelle que le port du masque est obligatoire dans l’enceinte du palais et qu’il vous est demandé de laisser un siège vide entre deux sièges occupés.
L’hémicycle fait bien sûr l’objet d’un nettoyage et d’une désinfection en profondeur chaque semaine, tandis que les micros sont chaque fois désinfectés.
Chacun veillera au respect des distances de sécurité. Les sorties de la salle des séances devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle, à l’exception de celles des membres du Gouvernement, qui sortiront par le devant.
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement – les premières depuis le renouvellement de notre assemblée.
La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif à observer l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse de celui du temps de parole ou de celui des uns et des autres.
rapidité de la mise en œuvre du plan de relance
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à vous, monsieur le Premier ministre.
À l’heure où le Président de la République s’apprête vraisemblablement à durcir les mesures sanitaires pour faire face à la deuxième vague de la covid-19, je voudrais surtout vous parler de leur impact social.
C’est un véritable drame que vivent des centaines de milliers de familles françaises : 715 000 emplois ont été détruits au premier semestre, et, d’ici à la fin de l’année, nous serons vraisemblablement non loin du million.
L’approche que nous avons eue de la pandémie fera sombrer de très nombreux ménages déjà précaires dans l’extrême pauvreté et les classes moyennes dans la précarité.
Le pays est inquiet, vous le savez. Votre tâche n’est pas facile, mais c’est vous qui êtes aux responsabilités. C’est bien pourquoi il ne faut pas seulement recalibrer le volet sanitaire ; nous vous invitons aussi à recalibrer le soutien à l’économie.
La deuxième vague de la pandémie impose d’accélérer en parallèle le plan de relance. Dès le mois de juillet dernier, le Sénat vous avait alerté sur la nécessité d’agir tout de suite, comme l’ont fait nos voisins allemands et anglais, mais le plan de relance n’a cessé d’être différé.
Lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative 2, il avait été annoncé que ces mesures seraient mises en œuvre dès le PLFR 3. À l’occasion de ce PLFR 3, il nous a été annoncé qu’elles le seraient dans un PLFR 4. Or ce PLFR 4 n’est jamais arrivé.
Le plan de relance est finalement porté par le budget pour 2021, donc concrètement différé au début de l’année prochaine. Cela va nous conduire à dégainer avec plusieurs mois de retard… Nos concitoyens ne peuvent pas attendre : de nombreux commerces, de nombreux artisans, des TPE, des PME ne tiendront pas encore trois mois. Des secteurs entiers se trouvent dans une extrême difficulté.
Dans ces conditions, monsieur le Premier ministre, allez-vous accélérer la mise en œuvre du plan de relance, et si oui, comment ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous me permettrez tout d’abord d’adresser, au nom du Gouvernement, mes plus sincères félicitations aux nouvelles sénatrices et aux nouveaux sénateurs qui ont rejoint, à la faveur du dernier scrutin, le Palais du Luxembourg.
Je voudrais également, monsieur le président, vous adresser mes félicitations personnelles pour votre brillante réélection à la tête de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)
Monsieur le président Hervé Marseille, vous l’avez dit, la situation de notre pays est extrêmement difficile. La France, tout comme, vous le voyez bien, l’Europe entière, est confrontée à une deuxième vague de l’épidémie, désormais bien installée et forte.
Vous l’avez également souligné, elle va conduire le Gouvernement, dans la continuité des dispositions qu’il a prises, à adopter des mesures complémentaires pour faire face à cette situation. Vous avez raison, le Président de la République aura l’occasion d’y revenir dès ce soir.
Évidemment, je partage tout à fait votre point de vue selon lequel cette crise sanitaire et sa reprise ont des effets délétères, tant sur l’économie que sur la situation sociale de notre pays.
Vous m’interrogez sur les mesures que le Gouvernement a prises et va prendre sur ce registre.
Je me permets tout d’abord de vous indiquer ou de vous rappeler – la Haute Assemblée le sait bien, car nous avons déjà eu l’occasion d’aborder ce sujet au mois de juillet dernier, et un récent rapport vient de le confirmer – que la France a été l’un des tout premiers pays européens à engager des moyens – 470 milliards d’euros, très précisément – dès le début de la crise, pour faire face à ses conséquences économiques et sociales.
Ces sommes tout à fait considérables, qui n’ont d’ailleurs pas encore été toutes complètement dépensées, sont évidemment très utiles dans la période actuelle, et elles continueront à l’être.
Je me permets d’indiquer à la Haute Assemblée que les secteurs les plus touchés, en particulier – pour faire le lien direct avec les mesures à caractère sanitaire – tous les secteurs professionnels qui sont concernés par la mise en œuvre des mesures administratives qu’appelle la présente situation, font l’objet de mesures extrêmement précises relevant de la solidarité nationale, solidarité qui leur est due, car ils ne sont pour rien dans cette situation.
Ainsi, nous avons décidé non seulement, leur ai-je précisé, de reporter au moins jusqu’à la fin de la présente année civile les dates d’échéance des mesures mises en œuvre dans le cadre du fonds de solidarité – temps partiel, exonérations de charges –, mais encore, je le précise devant le Sénat, de renforcer le contenu et la portée de ces mesures. Et cela ne se limite pas au fonds de solidarité.
À cet égard, j’indique au Sénat que les ministres et moi-même ne cessons de discuter avec les représentants des secteurs professionnels concernés de la nature de ces mesures. Pour être très précis, il reste encore à traiter des sujets relatifs aux loyers et aux assurances, sur lesquels des progrès sont nécessaires.
S’agissant du reste de l’activité économique, je précise à la Haute Assemblée – c’est un élément essentiel de notre stratégie – que nous prenons et allons continuer à prendre les mesures de protection sanitaire que la situation exige. Mais notre objectif est, d’une part, que l’activité économique du pays se poursuive autant que possible – plus de 90 % des entreprises françaises fonctionnent à peu près normalement, monsieur le président, ce qui est heureux –, et, d’autre part, que les activités scolaires et éducatives au sens large se poursuivent, elles aussi, normalement. À l’exception de quelques clusters, c’est encore très largement le cas aujourd’hui.
Néanmoins, vous l’avez rappelé, la crise sanitaire a aussi un impact sur le reste de l’économie. Vous avez à juste titre souligné, d’une part, la montée des chiffres du chômage, et, d’autre part, les situations de pauvreté que cela génère, parce que, classiquement, dans une crise, ce sont toujours les plus vulnérables qui sont les premiers concernés.
Au-delà des mesures que j’ai indiquées et qui ont été prises dans le cadre des PLFR successifs que le Sénat a examinés, le plan de relance est en partie destiné à faire face à cette situation. À cet égard, je précise qu’il y aura bien un PLFR 4 !
Je veux insister sur un point : parmi les victimes de la crise actuelle, il y a les jeunes. J’indique à la Haute Assemblée que le volet « jeunes » du plan de relance – 6 milliards d’euros – est déjà entré en vigueur. En août et en septembre, les chiffres de l’apprentissage et de l’alternance, notamment, ont été très positifs : après un effondrement au premier semestre, ils ont augmenté de plus 9 % en août 2020 par rapport à août 2019. Les dispositifs spécifiques en direction des jeunes fonctionnent donc.
M. François Patriat. Très bien !
M. Jean Castex, Premier ministre. S’agissant des plus démunis, et sans vouloir être trop long, je confirme que la situation est effectivement préoccupante. J’ai reçu personnellement l’ensemble des associations concernées et je leur ai dit que, samedi prochain, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre la misère, après la concertation, j’annoncerai un certain nombre de mesures que les circonstances actuelles exigent. (Murmures sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, croyez bien que, particulièrement dans les difficultés actuelles traversées par notre pays, qui exigent plus que jamais rassemblement et sens des responsabilités, le Gouvernement tout entier, derrière le Président de la République, est mobilisé et déterminé. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
situation critique dans les hôpitaux
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Laurence Cohen. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Monsieur le ministre, en cette période de rebond de pandémie de la covid-19, notre système de santé est de nouveau sous tension. Tous les voyants sont au rouge. Vous assurez maîtriser la situation. Le Président de la République va faire des annonces ce soir, orientées visiblement vers de nouvelles restrictions de libertés, mais ce n’est pas la solution.
Vous n’avez pas tiré les leçons de la première vague, et de nouveau les hôpitaux sont saturés. Les personnels soignants crient leur inquiétude et leur colère. Ils sont épuisés, démunis, sous-payés, avec des directions de plus en plus autoritaires, et on leur demande de faire face de nouveau.
Cette fois, la pandémie se répand partout sur le territoire ; cette fois, il n’y aura pas de renforts de personnels pour aller au secours de telle ou telle région débordée. Et l’hôpital n’a toujours pas les moyens nécessaires pour faire face de nouveau à un manque insupportable de lits et de personnels. Quant à la médecine de ville, elle est aussi en difficulté.
Aussi, ma question est simple, monsieur le ministre : que dites-vous aux personnels hospitaliers qui seront dans la rue demain pour dire que le Ségur ne fait pas le compte ? Que dites-vous à toutes celles et à tous ceux qui démissionnent, des chefs de service – je pense notamment au docteur Maurice Raphaël, chef des urgences de l’hôpital Bicêtre depuis dix ans –, jusqu’aux infirmières et aux aides-soignantes ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, voici ce que je dis, comme ministre des solidarités et de la santé, aux soignants : « Tenez bon, on est avec vous, merci pour votre action, on y arrivera ! » (Protestations sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains.)
Madame la sénatrice, à entendre le début de votre question, je me suis presque demandé si l’on parlait bien d’une épidémie causée par un virus circulant en France, en Europe et dans le reste du monde, qui a mis à plat les trois quarts de la planète pendant des mois durant…
À entendre votre question, je me suis demandé si, finalement, vous ne pointiez pas, dans la situation sanitaire que nous connaissons, une responsabilité qui ne serait pas d’origine virale ou naturelle. Tel n’était évidemment pas le cas, madame la sénatrice, mais je tenais tout de même à vous le faire préciser.
Madame la sénatrice, dans quelques jours, dans quelques semaines, vous voterez – je l’espère – un projet de loi de financement de la sécurité sociale qui porte en lui-même le renouveau de l’hôpital public : création de 4 000 lits – alors que, jusqu’à présent, on en fermait des milliers tous les ans –, embauche de 15 000 soignants à l’hôpital – alors que cela fait des années que la masse salariale n’était plus adaptée à la charge de travail –, sortie de la tarification à l’activité pour aller vers une dotation populationnelle, changements des règles de gouvernance internes aux établissements de santé, pour permettre une meilleure représentativité des professionnels de santé en leur sein, enfin – j’allais oublier, pardon ! – quelque 8,8 milliards d’euros de revalorisation annuelle des salaires pour 1,6 million de salariés du soin à l’hôpital et en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, dont 85 % sont des femmes. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
Madame la sénatrice, vous allez ainsi avoir la possibilité de voter – j’espère que vous le ferez – la plus forte réduction en une seule fois de l’écart salarial entre les hommes et les femmes dans l’histoire de notre pays – 8,8 milliards d’euros !
Madame la sénatrice, tous les personnels soignants de l’hôpital, et même les personnels non soignants, ont déjà touché 90 euros net par mois de plus, ce qui n’est pas rien.
Dans quelques mois, en mars au plus tard, ils percevront 93 euros net de plus par mois. Grâce à un travail sur les grilles salariales, ils toucheront également en moyenne 35 euros de plus par mois. Au travers de l’engagement collectif de ses membres, l’aide-soignante, au sein d’une équipe, bénéficiera d’une revalorisation identique, relativement, à celle du médecin.
Madame la sénatrice, je respecte profondément le dialogue social dans notre pays. Vous avez indiqué que des syndicats appelaient à la grève. Dont acte ! Mais, sans vous faire affront, je vous rappellerai qu’une majorité de ces syndicats a signé les accords du Ségur – je tiens la liste à votre disposition – et en assure la promotion, parce que ces accords sont bons et apportent au problème de l’attractivité de l’hôpital une solution non pas instantanée, mais durable, nécessaire, efficace et qui était devenue urgente.
Encore une fois, je remercie les soignants et je leur dis de tenir bon. Je crois que, de notre part, c’est aussi cela qu’ils ont envie d’entendre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Rassurez-vous, monsieur le ministre, nous n’avons pas oublié qu’il y avait un virus, qui représente un défi important ! Mais vous continuez à ne pas entendre les personnels.
Effectivement, ils se sont battus et ils ont obtenu des augmentations de salaire. Mais ce qu’ils demandent, c’est 300 euros par mois.
Mme Laurence Cohen. Aujourd’hui, des soignants continuent à démissionner parce qu’ils ne sont pas respectés. Il ne suffit pas de leur dire « tenez bon » ; il faut en finir avec les cadences infernales à l’hôpital, avec le travail sans discontinuer. « On manque de personnels, on manque de lits ! » : voilà ce que nous disent les personnels, et vous ne voulez pas les entendre.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 prévoit encore près de 1 milliard d’euros d’économies. Vous continuez à faire des choix qui étranglent l’hôpital et qui mettent à genoux la médecine de ville. Ce n’est pas ce qu’attendent les personnels.
Effectivement, monsieur le ministre, si vous ne voulez pas les entendre dans la rue (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), si vous ne voulez pas nous entendre, nous, membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste,…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Laurence Cohen. … vous vous exposerez à répondre de l’accusation de non-assistance à personnels en danger ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Bernard Buis. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Monsieur le ministre, il n’est pas besoin de rappeler ici la longue histoire d’amitié qui unit la France et l’Arménie et l’affection que nous portons à nos amis arméniens.
De nombreuses villes de mon département, la Drôme, mais aussi du Rhône, de l’Isère et des régions parisienne et marseillaise ont tissé des liens étroits avec le Haut-Karabakh, en raison des liens de fraternité entre Français et Arméniens. Une belle illustration en est la signature d’une charte d’amitié entre le département de la Drôme et le Haut-Karabakh en 2015.
Le 27 septembre 2020, nous avons assisté impuissants à l’entrée en conflit de l’Azerbaïdjan contre les Arméniens du Haut-Karabakh.
Cette offensive militaire est venue brutalement raviver le « conflit gelé » autour de ce territoire, qui bénéficiait, depuis l’accord de cessez-le-feu de 1994, d’une relative stabilité, certes marquée par des épisodes de tension.
Aujourd’hui, avec la nouvelle violation de ce cessez-le-feu, notre inquiétude est grande. Nous constatons des affrontements d’une extraordinaire violence, qui se développent non seulement le long de la ligne de front, mais aussi dans nos villes amies : Stepanakert – amie avec la ville de Valence –, Chouchi, Martuni. Les premières victimes en sont les populations civiles, des familles arméniennes que nous connaissons bien.
Je sais, monsieur le ministre, que, dans le cadre du groupe de Minsk, vous ne ménagez pas vos efforts pour résoudre ce conflit et pour aboutir à une solution garantissant la paix et la sécurité des populations civiles.
Toutefois, notre préoccupation est vive quand nous voyons que le cessez-le-feu humanitaire négocié samedi dernier peine, lui aussi, à être respecté.
Dans de nombreuses villes de France, et hier soir à Paris, nous avons affirmé, nombreux, notre entier soutien au peuple arménien et karabahiote, ainsi que notre indéfectible amitié.
Monsieur le ministre, que peut faire la France pour arrêter cette offensive de l’Azerbaïdjan, qui est meurtrière pour les populations civiles d’Artsakh ? Je vous remercie par avance de votre réponse. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Bernard Buis, dans cette affaire grave, il y a, pour la France, une urgence, un devoir et une exigence.
Une urgence, parce que l’escalade qui se poursuit entraîne de nouvelles victimes, particulièrement des victimes civiles. Cette situation suscite une émotion légitime, en particulier en France, du fait de la proximité des liens humains, des liens culturels, des liens historiques qui nous lient à l’Arménie. Vous avez fait part de cette émotion, que je comprends et que je partage.
Cette émotion, elle justifie que nous accentuions encore nos efforts pour faire accepter l’arrangement qui est intervenu samedi à Moscou, en notre présence, pour aboutir à un cessez-le-feu. Il y a urgence, parce que les ingérences étrangères, en particulier celle de la Turquie, alimentent cette escalade. Elles ne sont pas acceptables.
Il y a aussi un devoir, celui du mandat que nous a confié l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE, dans le cadre du groupe de Minsk, que vous avez cité et que nous coprésidons avec la Russie et les États-Unis. Nos efforts se poursuivent en permanence, y compris, monsieur le sénateur, en ce moment même à Erevan et à Bakou.
Il y a enfin une exigence, mesdames, messieurs les sénateurs, celle de l’impartialité. En effet, c’est la condition de notre crédibilité de médiateur.
M. François Patriat. Très bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Et à ceux qui souhaitent voir la France y renoncer, je dis que l’amitié qui nous lie à l’Arménie, au peuple arménien, serait mal servie si nous renoncions à ce rôle d’équilibre, car perdre notre impartialité, ce serait aussi laisser la porte ouverte à un rôle plus direct de la Turquie dans le règlement de la crise. Or il n’est pas possible qu’un pays puisse être à la fois protagoniste d’un conflit et partie prenante de son règlement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
situation sociale dans le pays
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la crise que nous sommes en train de vivre est grave. Elle sera longue et elle affecte déjà fortement, vous le savez, la vie de nombre de nos concitoyens.
Ce constat, nous le faisons collectivement depuis de nombreux mois, et il vient malheureusement d’être confirmé par ce chiffre dramatique : la crise sanitaire, mes chers collègues, a fait basculer 1 million de Français dans la pauvreté. Ils rejoignent les 9 millions de nos concitoyens qui vivaient déjà sous le seuil de pauvreté.
Dans le même temps, un rapport de France Stratégie nous informe que la suppression de l’impôt sur la fortune et l’instauration de la flat tax au début du quinquennat ont eu pour effet de faire fortement augmenter les revenus des 0,1 % des Français les plus aisés, tandis que la distribution de dividendes, de plus en plus ciblée, a explosé.
Cette concentration du capital n’est pas acceptable. Elle l’est encore moins quand tant de Français sont dans la souffrance.
Votre politique aggrave les inégalités sociales et territoriales. Vous auriez dû agir ; il est trop tard. Je vous demande donc de réagir.
Ainsi, je fais un rêve : celui d’un gouvernement capable de revenir sur ses erreurs, de supprimer son bouclier fiscal, devenu un tremplin fiscal, et de penser à de nouvelles ressources liées à la taxation du capital ; celui d’un gouvernement qui ouvre le revenu minimum aux jeunes pour les empêcher de sombrer ; celui d’un gouvernement qui abroge sa réforme de l’aide personnalisée au logement, l’APL, qui revalorise le point d’indice pour les agents de la fonction publique et qui donne un coup de pouce au SMIC.
En somme, je fais le rêve d’un gouvernement qui lutte enfin contre les inégalités, qui dégrippe l’ascenseur social et qui empêche de nouvelles catégories de la population de tomber dans la précarité.
Monsieur le Premier ministre, la réalité est là, sous vos yeux, sous nos yeux, tragique. Allez-vous la prendre en compte et enfin changer de cap ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Patrick Kanner, je voudrais rappeler à la Haute Assemblée que, contrairement à vos affirmations, avant la survenue de la crise sanitaire, grâce à la politique que nous avons conduite, inverse de celle que vous préconisez, notamment grâce à une baisse des impôts, la croissance en France était l’une des meilleures de l’Union européenne,…
M. François Patriat. C’est vrai !
M. Jean Castex, Premier ministre. … le niveau de chômage était également l’un des plus satisfaisants, tandis que les investissements étrangers n’avaient jamais été aussi nombreux depuis dix ans.
Bref, cher président Kanner, des résultats économiques nettement supérieurs à ceux que vous aviez enregistrés à la fin du précédent quinquennat ! (Vives protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Philippe Dallier. Ce n’était pas difficile ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Castex, Premier ministre. Je le rappelle, depuis la survenue de la crise sanitaire, nous assistons effectivement, et malheureusement, ici comme ailleurs, à une forte dégradation et des chiffres du chômage et, hélas, de ceux de la pauvreté.
Je rappelle au Sénat que notre système de protection sociale présente heureusement des amortisseurs – soyons-en fiers ! –, qui, si nous établissons une comparaison avec des pays étrangers et proches, ont permis de faire face mieux qu’ailleurs à cette dégradation.
Mme Laurence Rossignol. Il faut donc ne rien faire ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Contrairement à ce que vous dites, nous ne sommes pas du tout restés inactifs à l’endroit de ces populations depuis le début de la crise : je vous rappelle que plus de 2 milliards d’euros – vous en avez débattu dans cette assemblée à l’occasion des PLFR successifs – ont été débloqués à destination de ces publics. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Une aide exceptionnelle de solidarité a été versée le 15 mai dernier à 4,1 millions de foyers en difficulté, tandis que, au mois de juin, 200 euros ont été versés à 800 000 jeunes en difficulté, pour un total de 160 millions d’euros.
Mon gouvernement a revalorisé d’un peu plus de 100 euros l’allocation de rentrée scolaire, cependant que le plan de relance comprend des mesures de soutien aux associations de lutte contre la pauvreté et prévoit 100 millions d’euros également pour renforcer l’hébergement des plus démunis.
Comme je l’ai indiqué tout à l’heure au président Marseille, nous ajusterons nos moyens pour tenir compte de la deuxième vague épidémique et de ses conséquences sociales.
Nous menons aussi une politique de fond. Je vous le dis, nous ne souhaitons pas instaurer un revenu de solidarité active, ou RSA, jeune.
L’objectif de fond du Gouvernement, c’est de faire face aux problèmes que rencontrent les plus démunis dans la crise. Cette réponse sera à la hauteur, mais elle n’invalide pas notre politique de fond, qui, plutôt que d’installer des gens dans les allocations, vise à les insérer par le travail, par l’activité économique, par le logement, par la santé. Là encore, les moyens affectés à ces politiques seront augmentés. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.
M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, votre réponse ne définit pas une politique, c’est un slogan ! J’ai le sentiment que, quand les Français tombent, les plus riches de nos concitoyens peuvent dormir tranquillement : le Gouvernement veille sur eux. (Marques de désapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je le regrette. Aujourd’hui, ce qu’il nous faut, ce n’est pas de l’égalité, c’est de l’équité : demander un effort supplémentaire à ceux qui ont tant obtenu depuis le début de ce quinquennat n’aurait pas été scandaleux. Vous vous y refusez : je tiens à vous dire que les Français sauront vous juger. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. Je voudrais saluer nos collègues qui ont accepté de prendre place dans les tribunes du public et les remercier de leur présence.
lutte contre la covid-19
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Henri Cabanel. Ma question s’adresse à M. le ministre de la santé et de la solidarité.
Dès le mois de juillet, tout le monde s’accordait à dire que nous allions vivre une nouvelle vague de l’épidémie. Ça y est, nous y sommes !
La métropole de Montpellier, dans mon département, vient de rejoindre la liste des territoires en alerte maximale Covid. Pour les populations, cela signifie une série de mesures que nombre de nos concitoyens ont du mal à comprendre. Ils se sentent parfois frustrés par des règles difficiles à appliquer et par les volte-face de certaines annonces. Ainsi, pourquoi fermer les bars alors que les restaurants sont ouverts, même lorsqu’ils ne servent pas à manger ?
Pourquoi, surtout, nous trouvons-nous confrontés, huit mois après la première crise, à une pénurie de lits de réanimation, dont le nombre est loin des 12 000 lits prévus ? S’agit-il d’un manque de moyens financiers ou de personnel compétent ? Pourquoi ne pas avoir pensé à une stratégie d’urgence ?
J’ai conscience que la situation n’est pas facile, mais les Français ne comprennent pas. Il faut leur expliquer simplement. À la crise sanitaire, on répond par des mesures liberticides, mais on ne traite pas la problématique des moyens de l’hôpital public. Pour ma part, je suis pragmatique : quand un tuyau a trop de pression et risque de céder, on ne coupe pas l’eau, on installe un tuyau plus gros !
Sur le terrain, certains médecins généralistes se plaignent du manque de communication et de cohérence avec les hôpitaux. Ils craignent des retards dans la prise en charge des autres pathologies. Ils subissent aussi une surcharge de travail administratif pour traiter les arrêts de travail, malgré le contact tracing et le site dédié, dont certains d’entre eux ne savent pas se servir. Qu’avez-vous prévu à ce sujet ?
Tout cela provoque une véritable inquiétude face à l’épuisement, voire au burn-out de certains personnels. Quelles mesures allez-vous prendre pour soulager les soignants, qu’ils soient sur le terrain ou dans les établissements ? Vous avez raison de penser à eux, nous y pensons aussi, mais je crains que cela ne suffise pas. (Applaudissement sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question.
Votre première phrase était : « Dès le mois de juillet, tout le monde s’accordait à dire que nous allions vivre une nouvelle vague de l’épidémie »… Nous n’avons clairement pas vécu le même été !
Lorsque l’alerte a été lancée, parce que le virus recommençait à circuler au mois d’août chez les jeunes dans certaines villes du Sud, je n’ai pas entendu beaucoup de réactions indiquant que l’épidémie risquait de repartir et évoquant le risque d’une deuxième vague.
J’ai entendu de pseudo-experts – je ne parle pas des politiques – se succéder pour affirmer que ce ne serait pas le cas, puisque le virus avait forcément muté pour être moins méchant. Je les ai entendus dire : « Regardez, il n’y a pas encore d’hospitalisations, c’est le signe qu’il n’y a pas de deuxième vague ! » Nous avons eu beau expliquer qu’un décalage d’un mois se produisait entre les contaminations et les hospitalisations, décalage qui s’allongeait quand la population contaminée était jeune, il y a eu, il me semble, un déni ou un refus de voir les choses.
Peut-être n’avons-nous pas été suffisamment convaincants ? Je veux bien en prendre ma part, mais on ne peut certainement pas dire que, dès le mois de juillet, les Français considéraient qu’il y aurait une deuxième vague.
Monsieur le sénateur, vous me demandez pourquoi nous n’avons pas augmenté le nombre de lits de réanimation. Mais cela ne se fait pas tout seul ! Un anesthésiste-réanimateur, cela ne se clone pas ; cela se forme en dix à douze ans, et nous avons supprimé le numerus clausus, il y a deux ans, pour augmenter le nombre de médecins. Vous et moi ne sommes pas responsables de l’état de la démographie médicale, mais c’est un fait.
En revanche, nous avons formé du personnel pour qu’il puisse aider en réanimation. Rien qu’en Île-de-France, ces derniers mois, 750 infirmières sont venues en service de réanimation ou en apprentissage par simulation, pour prêter main-forte à leurs collègues si la situation l’exigeait.
Hélas, on ne trouve pas des aides-soignantes ou des infirmières performantes en réanimation en claquant des doigts !
S’agissant des lits de réanimation, monsieur le sénateur, nous sommes montés au 15 avril dernier à 10 700 lits armés capables d’accueillir des malades du covid, lesquels étaient alors 8 500, les autres souffrant d’autres pathologies. Nous sommes donc capables de mobiliser des lits, de transformer des blocs opératoires, de préparer des soins continus et vigilants, mais cela nécessite de déprogrammer massivement les soins et de recruter tout le personnel disponible, au détriment des autres malades, ce que nous nous refaisons à faire.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Vous parlez de petits ou de gros tuyaux, mais si nous laissions le tuyau grossir pour agir, nous aurions beaucoup plus de morts. Il faut vraiment comprendre cela : notre logique est non pas de remplir les services de réanimation, mais d’empêcher les gens de mourir.
M. le président. Il faut conclure !
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Pour cela, il ne faut pas qu’il y ait de formes graves. Il faut donc lutter avec efficacité contre la diffusion du virus, y compris quand cela va, hélas, à l’encontre de certaines libertés de circulation. C’est vital pour les Français !
M. le président. Maintenant, il faut conclure, s’il vous plaît !
M. le président. Je demande à chacun de respecter son temps de parole !
taxe sur les transactions financières
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Pour faire face à une crise économique, sociale et climatique d’une ampleur sans précédent, l’Union européenne a adopté un plan de relance historique de 750 milliards d’euros. Malheureusement, en contrepartie, le cadre budgétaire 2021-2027 est revu à la baisse. Déshabiller Paul pour habiller Jacques n’a jamais fait une politique ambitieuse !
Pour financer la relance européenne, il faut, au contraire, renforcer les ressources propres de l’Union. Dans sa résolution du 16 septembre dernier, sur l’initiative, notamment, des écologistes, le Parlement européen a proposé des solutions clés en main : une taxe plastique, une taxe carbone aux frontières, une indispensable taxe sur les Gafam – pour Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft – et, surtout, une taxe sur les transactions financières, ou TTF, digne de ce nom, à même de rapporter plus de 50 milliards d’euros par an.
Faire contribuer à l’effort les pollueurs, les multinationales qui se soustraient à l’impôt et la finance débridée, quoi de plus juste ? On se demande vraiment pourquoi rien ne bouge depuis des décennies.
Il faut dire que la France, qui a longtemps porté la TTF, n’a jamais été au rendez-vous de son histoire. En 2014, c’est Pierre Moscovici qui torpillait le projet proposé par une Commission de droite, pour défendre le seul intérêt des grandes banques françaises.
L’actuel président de la République n’a pas fait mieux. Il a d’abord refusé l’élargissement de la TTF française, avant de plaider pour une TTF européenne a minima, en prenant modèle sur celle du Royaume-Uni – un simple impôt boursier. Depuis lors, rien ou presque, si ce n’est ce projet d’une microtaxe de 0,2 % sur le prix d’achat des actions, qui rapporte seulement 3,5 milliards d’euros par an, soit dix fois moins que le projet de 2013.
Monsieur le Premier ministre, lors du Conseil de demain, le Président de la République va-t-il tout faire pour obtenir des ressources propres ambitieuses, dont la TTF, ou va-t-il se contenter de mots, au détriment de l’intérêt général européen ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le sénateur, je vous surprendrais si je vous disais que j’étais d’accord avec vos observations et votre question… Quoique ! En effet, au sein de l’Union européenne, la France, par la voix du Président de la République et du ministre ici présent, plaide inlassablement, j’y insiste, pour une taxe sur les transactions financières décidée au niveau européen, et elle va continuer à le faire.
Ai-je besoin de rappeler au Sénat qu’il en existe déjà une à l’échelon national depuis 2012, mais que, comme chacun le comprendra, compte tenu de l’objet même de ce prélèvement, c’est le niveau européen qui est le plus approprié.
En matière fiscale, toutefois, vous le savez tous également, c’est l’unanimité entre les États membres qui prévaut s’agissant du processus décisionnel. Cette donnée n’a pas découragé la France, qui a été, je vous le rappelle, à l’initiative de la relance des négociations sur la taxe sur les transactions financières européennes, lesquelles négociations avaient effectivement été interrompues sous le précédent quinquennat.
Le Président de la République en a rappelé les principes dans son discours sur l’Europe prononcé le 26 septembre 2017 à la Sorbonne, et, depuis lors, des négociations en ce sens se déroulent au sein de l’Union européenne sur l’initiative de la République française. Elles sont difficiles, pour les raisons que vous avez indiquées, mais la France ne baisse pas la garde et la volonté du Président de la République est toujours pleine et entière.
Il en ira de même sur un autre sujet que vous avez évoqué et qui figure dans les objectifs de transition écologique, portés, notamment, par le plan de relance : la taxation du carbone aux frontières extérieures de l’Europe. Sur ce point également, je vous rappelle que les propositions de la France sont parmi les plus audacieuses.
Enfin, je termine par où vous avez commencé, monsieur le sénateur, en appelant une nouvelle fois l’attention du Sénat sur le fait que, à la différence de la crise de 2008-2010, que j’ai bien connue, l’Europe s’est fortement mobilisée – Dieu sait combien c’est compliqué, on le voit encore aujourd’hui ! –, avec un plan de relance européen et une contribution aux plans de relance nationaux à hauteur de 40 %, ce qui est considérable.
Vous connaissez les difficultés rencontrées parce que l’Europe est une union d’États et que l’on ne peut pas décider unilatéralement. Il faut donc encore plus de force de conviction et de volonté, comme en ont eu le Président de la République et la Chancelière allemande pour aboutir à l’accord historique de cet été.
J’en conviens bien volontiers, il y a encore beaucoup de travail à faire en la matière, mais, là encore, ne doutez ni de notre détermination ni de la volonté de la France à porter dans le concert européen ce qui relève finalement de l’intérêt de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, nous resterons attentifs. Nous espérons que, pour une fois, vos actes rencontreront vos discours ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
calendrier des transferts de compétences entre communes et intercommunalités à l’heure de la crise sanitaire
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, qui s’exprime pour la première fois dans notre assemblée, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Madame la ministre, il est des lois dont les effets indésirables se font sentir régulièrement, voire s’intensifient dans la durée. Le précédent quinquennat en a produit un certain nombre, opérant, notamment, des transferts de compétence entre les collectivités territoriales.
Les élus locaux ne sont pas près de les oublier : en fait, ils peinent encore à s’en remettre. J’ai à l’esprit, en particulier, les élus fraîchement arrivés aux responsabilités, en juillet dernier, qui doivent gérer de front l’application des consignes sanitaires et celle des lois votées lors du précédent quinquennat.
Deux cas de figure ont été très présents au cours de cette campagne sénatoriale.
Le premier résulte de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, laquelle prévoit que les communautés de communes et les intercommunalités non encore compétentes en matière de plan local d’urbanisme intercommunal, ou PLUI, au 31 décembre 2020 le deviendront de plein droit au 1er janvier 2021, sauf à ce qu’un nombre significatif de communes s’y opposent au cours des trois mois précédents. Je vous rassure, nous sommes bien en France ! (Sourires sur les travées du groupe INDEP.)
Le second effet provient de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, qui obligeait à un transfert des compétences eau et assainissement des communes aux agglomérations. Certes, depuis lors, la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite loi Engagement et proximité, a apporté un correctif en permettant aux communautés d’agglomération de déléguer, dans un certain délai, tout ou partie de leurs compétences aux communes ou aux syndicats. Or, là encore, ce délai expire au 31 décembre prochain.
Ce sont deux exemples d’un même problème : les élus locaux n’ont pas eu de temps à consacrer à ces questions, lesquelles concernent pourtant des éléments structurants, dont les implications sont très lourdes pour l’avenir des collectivités et des citoyens.
Madame la ministre, le Gouvernement peut-il permettre aux élus, de l’Aube et d’ailleurs, de prendre leurs décisions de façon libre et éclairée ? Un report de ces deux échéances vous paraît-il envisageable ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, comme vous l’indiquez vous-même, la loi Engagement et proximité a répondu à certaines questions.
Nous avons notamment assoupli et adapté les modalités de transfert en matière d’eau et d’assainissement. Les intercommunalités peuvent désormais déléguer leur compétence aux communes, et cela sans délai : il n’y a pas de date barrière.
Je précise, par ailleurs, que les communes peuvent elles-mêmes faire une demande de délégation. Dans cette hypothèse, l’intercommunalité a trois mois pour se prononcer.
S’agissant du transfert de la compétence PLUI, les établissements publics de coopération intercommunale, ou EPCI, deviennent compétents de plein droit au 1er janvier de l’année suivant le renouvellement des conseils municipaux et communautaires, sauf si une minorité de blocage a été réunie.
Avec la crise sanitaire et le décalage des élections, ce délai a été mécaniquement raccourci, je vous l’accorde. Or je partage l’idée que, pour faire valoir, ou non, son opposition à un transfert, une commune doit disposer de suffisamment de temps pour échanger avec son EPCI.
À titre exceptionnel, du fait de la situation sanitaire, il pourrait être envisagé, en matière de PLUI, d’étudier la faisabilité d’un tel report. Françoise Gatel m’en a d’ailleurs déjà parlé il y a quelques jours. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
perspectives pour la nouvelle-calédonie
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre et porte sur la Nouvelle-Calédonie.
Le 4 octobre dernier, les Calédoniens ont de nouveau rejeté l’indépendance à l’occasion du second référendum ; il va y en avoir un troisième.
Le premier effet de ces référendums est de cristalliser les clivages entre les communautés et les provinces de Nouvelle-Calédonie, alors que, pendant ce temps, aucune perspective n’est ouverte.
Il me semble que le Gouvernement confond trop facilement impartialité et indifférence à l’avenir de ce territoire. Il ne s’engage pas. Il ne joue pas son rôle d’arbitre, ne contribue pas, avec les parties calédoniennes, à définir des perspectives allant au-delà de ces référendums à répétition. Avec les accords de Nouméa, nous avons connu une période de plus de vingt ans durant laquelle on pouvait construire. Que peut-on construire aujourd’hui, alors que chacun retient son souffle ?
La question que je veux vous poser, monsieur le Premier ministre, est la suivante : le Gouvernement va-t-il enfin s’engager à jouer pleinement son rôle pour fédérer les énergies calédoniennes, afin de définir un avenir qui dépasse l’échéance d’un éventuel prochain référendum inscrit dans la loi organique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le questeur Philippe Bas – je vous salue dans vos nouvelles fonctions –, je pourrais me contenter de vous indiquer que la réponse à votre question est clairement positive.
Je ne suis pas responsable des vingt dernières années, mais vous me permettrez de douter que les gouvernements précédents aient jamais renoncé à cette ambition, comme vous le sous-entendez. En tout état de cause, j’atteste devant vous que mon prédécesseur, Édouard Philippe, qui s’est pleinement engagé sur ce sujet, l’avait faite sienne. Croyez-le bien, je vais continuer dans cette voie.
Simplement, pour lever toute ambiguïté – parfois méchamment entretenue –, les accords de Matignon, puis de Nouméa, étaient parfaitement clairs : ils prévoyaient l’organisation de scrutins référendaires. On peut le regretter. Vous indiquez que ces scrutins, comme toute élection, peuvent diviser. Dont acte ! Ils représentent toutefois aussi l’expression de la voix démocratique ; on peut considérer qu’elle divise, mais il ne paraît pas souhaitable pour autant d’y renoncer.
Je rappelle que ces accords prévoyaient que, pour l’organisation de ces scrutins, l’État – ce sont mes prédécesseurs qui ont signé cette clause – s’engageait à une stricte neutralité, tant dans la campagne électorale que dans l’organisation du scrutin. C’était notre première mission dans ce deuxième référendum, et nous y avons veillé scrupuleusement.
D’ailleurs, de l’avis de tous, des électeurs, premiers intéressés, mais aussi des observateurs – partis politiques, pays voisins, ONU… – ou de la commission de contrôle ad hoc constituée, ce scrutin s’est déroulé dans des conditions démocratiques incontestables, avec un taux de participation de 86 % – cela fait rêver ! –, malgré la covid, qui a également touché ce territoire. Il faut nous en féliciter !
Pour la deuxième fois, les électeurs ont répondu non à l’indépendance, certes avec un score un peu plus serré que la fois précédente – très précisément, 53,26 % contre 46,74 % pour le oui –, mais le choix de rester dans la communauté nationale est clair et désormais réitéré.
Je le dis devant le Sénat : le Gouvernement accueille ce choix de nos compatriotes calédoniens, à plus de 16 000 kilomètres, comme une marque de confiance dans la République et comme un motif de fierté pour ce qu’elle représente.
Ce score est néanmoins serré, c’est tout à fait exact, et nous l’envisageons donc également avec beaucoup d’humilité. Le scrutin passé, et avec lui les obligations que celui-ci, au terme des accords, faisait peser sur l’État, nous allons bien entendu reprendre l’initiative.
Cela passe, comme toujours, par le respect de tous et de chacun, ainsi que par le dialogue. Dès cette semaine, à ma demande et en accord avec le Président de la République, le ministre chargé des outre-mer, Sébastien Lecornu, est parti pour le Caillou, où il va rester un certain temps, pour reprendre le fil du dialogue et examiner les voies du développement de la Nouvelle-Calédonie.
Ce n’est, vous le savez, qu’à partir d’avril prochain que le Congrès pourra réclamer officiellement l’organisation d’un troisième référendum. Au retour du ministre, je reprendrai moi-même l’initiative, puisque, comme cette assemblée n’est pas sans le savoir, depuis l’époque où Michel Rocard était Premier ministre, c’est l’hôtel Matignon qui a pour mission d’organiser les discussions sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Nous le ferons sans tabou (M. Mathieu Darnaud s’exclame.), en exposant bien les conséquences réelles de l’indépendance comme du maintien dans la République, ainsi les conditions concrètes de cette dernière issue, qui est, bien entendu, celle que nous souhaitons. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour la réplique.
M. Philippe Bas. Monsieur le Premier ministre, je ne suis pas convaincu que vous soyez actuellement porteur d’une vision d’avenir pour la Nouvelle-Calédonie qui dépasserait l’échéance d’un éventuel troisième référendum… (Sourires.)
M. Mathieu Darnaud. Ça, c’est sûr !
M. Philippe Bas. Ce butoir que nous avons face à nous n’est en effet pas la fin de l’Histoire, et il faut d’ores et déjà que l’État soit capable, comme le demande avec insistance notre collègue Pierre Frogier, que vous gagneriez à écouter davantage et qui est l’un des signataires des accords de Nouméa, de dessiner un avenir et d’ouvrir des perspectives.
M. Philippe Bas. Vous ne pouvez pas rester simple spectateur à l’abri de la neutralité dont vous devez faire preuve dans le processus électoral. Vous êtes responsable, vous ne pouvez pas rester indifférent. Réunissez à Paris les Calédoniens et donnez-leur des perspectives ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
rapprochement entre veolia et suez (i)
M. le président. La parole est à M. Serge Babary, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Serge Babary. Ma question s’adressait à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance. (« Il n’est pas là ! » sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le groupe Veolia, leader mondial des services de gestion de l’eau, des déchets et de l’énergie, s’est lancé dans une opération agressive de rachat de son grand rival français, Suez. Après deux tentatives sans lendemain en 2006 et 2012, le groupe Engie a accepté de vendre à Veolia ses parts de Suez.
Cette initiative hostile interroge, d’abord parce que l’argument qui consiste à vanter la création d’un géant mondial est très relatif : réunies, les deux entreprises représenteront moins de 5 % du marché mondial. La France a deux grands groupes sur ce marché ; demain, elle n’en aura plus qu’un. L’opération pourrait s’apparenter davantage au dépeçage d’une entreprise qu’à l’addition de deux groupes.
Ensuite, le bénéfice en matière d’emplois d’une telle évolution est difficile à percevoir. Quel sort réservera Veolia aux 30 000 collaborateurs de Suez en France ? Si l’on regarde Alcatel Lucent, Lafarge Holcim ou General Electric Alstom, des promesses ont été faites, mais les synergies annoncées se sont traduites par des plans sociaux.
M. Bruno Retailleau. C’est vrai !
M. Serge Babary. Enfin, cette opération va limiter la saine et indispensable concurrence qui existe sur ces marchés au bénéfice des collectivités locales et des citoyens. Veolia et Suez sont deux acteurs importants en concurrence frontale, quoi de plus stimulant ? Ce secteur est connu pour présenter, déjà, des niveaux de concentration élevés. Est-il raisonnable d’aller plus loin ? Est-il raisonnable de faire intervenir un fonds de pension sur un marché où la vision stratégique à long terme est essentielle ?
Face à ces questions, qui concernent l’avenir d’une grande entreprise française et des milliers d’emplois, où est l’État ?
J’ai bien entendu M. Le Maire : il veut des garanties pour l’emploi. Mais comment compte-t-il faire pour que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets délétères sur l’emploi que dans les fusions précédemment évoquées ? Peut-il nous assurer que, contrairement à ce qu’on lit et entend parfois, l’État n’a pas, sur ce dossier, un double langage, hostile au rachat en apparence, mais facilitateur en coulisses ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Serge Babary. La question se pose, dès lors que l’on se souvient que le Premier ministre, le 3 septembre, s’est enthousiasmé pour ce rachat, évoquant un mariage qui « fait sens ».
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Serge Babary. Pourquoi un tel engagement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises.
M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Babary, Veolia et Suez sont deux champions français du traitement des déchets et de la gestion de l’eau, présents partout dans le monde. Les Français connaissent bien ces deux entreprises et leur font confiance au quotidien.
Nous ne pouvons pas accepter que ces deux champions industriels français se livrent une guerre en plein cœur de l’une des crises économiques les plus graves qu’ait traversées le pays. Nous avions besoin, au contraire, que ces deux industriels prennent le temps de se parler et d’échanger sur un projet qui soit accepté par toutes les parties.
Pour être un succès pour Veolia et pour Suez comme pour leurs clients et leurs salariés, cette opération ne devait pas être réalisée en force et dans la précipitation. Le ministre Bruno Le Maire en a appelé au sens des responsabilités des deux parties et leur a demandé de prendre le temps.
L’État a fixé des conditions.
La pérennité de l’emploi, tout d’abord, alors que les salariés de Suez, notamment plus de 30 000 femmes et hommes employés en France, ont été en première ligne durant la crise pour garantir le bon fonctionnement des services publics essentiels, comme le traitement des déchets ou l’accès à l’eau.
La logique industrielle, ensuite, notamment en s’assurant que les acteurs susceptibles de reprendre les activités de Suez en France sont crédibles, robustes et engagés à long terme. Il n’est pas question que cette opération soit le prélude à une perte de souveraineté dans des secteurs sensibles et stratégiques.
La préservation d’une offre concurrentielle et de qualité pour remplir les missions essentielles qui relèvent de la compétence de ces entreprises est également soulignée, ainsi, enfin, que l’intérêt patrimonial de l’État, actionnaire d’Engie.
Tels sont les critères que Bruno Le Maire a posés d’emblée et qui ont guidé le choix de l’État au conseil d’administration d’Engie. Faute d’accord entre Suez et Veolia, l’État ne pouvait pas valider cette session, qui n’était pas acceptée par l’ensemble des parties prenantes, notamment par les salariés de Suez. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Le ton employé est à lui seul une réponse !
rapprochement entre veolia et suez (ii)
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic. Monsieur le ministre de l’économie et des finances, ce qui s’est passé la semaine dernière au conseil d’administration d’Engie à propos de l’acquisition de Suez par Veolia est un camouflet sans précédent sous la Ve République !
À ce titre, votre immobilisme m’interpelle grandement, car, en temps normal, cet événement aurait dû déclencher un séisme et une réaction immédiate de l’État actionnaire.
Mme Laurence Rossignol. Absolument !
M. Thierry Cozic. Je m’interroge : comment l’État peut-il accepter d’être mis en minorité de cette façon sur une question aussi importante ?
De ce point de vue, votre attitude dans ce dossier est, pour le moins, très ambiguë : vous semblez avoir agi, si je puis me permettre, à l’insu de votre plein gré… En effet, non seulement vous n’avez pas fait grand-chose pour empêcher cette OPA, mais, en plus, vous vous êtes empressé de justifier votre impuissance dans la presse. Avec le macronisme, nous vous savions disruptif, mais tout de même ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Quelle étrange situation : le premier actionnaire d’un groupe, qui en nomme le président, n’est pas capable de se faire entendre… Nous pourrions presque en sourire, si la situation que votre immobilisme a créée n’était pas si grave : 10 000 emplois vont être détruits dans le monde à la suite de ce rachat.
À l’heure où la gestion de l’eau et des déchets représente des enjeux capitaux sur les plans économique, social et écologique, comment laisser faire la création d’une entreprise privée, que vous placez, par votre inaction, en position quasi monopolistique, privant ainsi les élus locaux de la possibilité de faire jouer une quelconque concurrence ?
En définitive, cette opération à la hussarde entraînera, de fait, les mêmes résultats que les précédentes : la disparition d’un groupe français et la fragilisation du second.
Monsieur le ministre, pouvez-vous rendre compte à la représentation nationale de votre inaction dans ce dossier ô combien stratégique ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et Les Républicains. – Mme Valérie Létard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises.
M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Monsieur le sénateur Cozic, dans cette opération l’État a visé trois objectifs : la préservation de l’emploi et des implantations, le maintien d’une offre concurrentielle et le souhait qu’un accord soit trouvé entre les entreprises.
Les administrateurs d’Engie n’ont pas suivi la position de l’État, et nous le regrettons. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)
M. David Assouline. Quelle détermination !
M. Patrick Kanner. Vous n’êtes pas convaincant !
M. Alain Griset, ministre délégué. Nous insistons pour que les dirigeants de ces entreprises s’entendent : c’est dans l’intérêt de leur entreprise, des salariés de Suez et des collectivités territoriales, pour lesquelles ces entreprises assurent un service public essentiel.
Nous sommes et resterons vigilants sur la suite des événements. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Ouh là là !
M. David Assouline. Les dirigeants concernés sont terrifiés !
lutte contre les violences à l’encontre des forces de l’ordre
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Sébastien Meurant. Monsieur le Premier ministre, la France subit une vague sans précédent de violences brutales et barbares : un commissariat attaqué à Champigny-sur-Marne, quatre policiers en civil attaqués, hier, en plein jour et à proximité d’une école maternelle, à Montbéliard ; cette nuit, à Savigny-sur-Orge, dans mon département du Val-d’Oise, deux policiers se sont fait tirer dessus par des individus qui, selon des avocats, les auraient « pris pour des gitans déguisés en flics »… Admirable et tragique illustration du fameux vivre-ensemble !
Pendant ce temps, au lieu d’agir, vos ministres s’empêtrent dans des querelles aussi irréelles que celles des théologiens de Byzance quand les Ottomans étaient aux portes de la ville : le ministre de l’intérieur parle d’ensauvagement, tandis que le garde des sceaux dénonce cette rhétorique qui ferait le jeu de l’extrême droite. (Mme Patricia Schillinger s’exclame.)
Le b.a.-ba d’une politique efficace dans tous les domaines, c’est de poser un diagnostic clair et partagé par tous. Nous en sommes très loin… Même vos ministres les plus importants ne sont pas d’accord entre eux !
Ainsi, le garde des sceaux recycle la vieille idée socialiste du sentiment d’insécurité, évoquant même un fantasme : il ne doit pas beaucoup sortir des beaux arrondissements de Paris…
La réalité, monsieur le Premier ministre, c’est que, avec ce jeu de rôle convenu entre justice et intérieur, votre Gouvernement se paie de mots et refuse de regarder la réalité en face, avec courage et bon sens. Vous refusez plus encore d’agir par peur panique de remettre en cause votre idéologie multiculturaliste. Or, en politique, seuls comptent les actes !
Souvenez-vous de Gérard Collomb s’inquiétant de la montée de ce que l’on appelait alors le communautarisme : « Aujourd’hui, disait-il, on vit côte à côte, mais, demain, je crains que l’on ne vive face à face. » Depuis lors, rien n’a changé, ou plutôt, tout s’est aggravé.
Monsieur le Premier ministre, quel diagnostic votre gouvernement porte-t-il sur l’ensauvagement de la France et sur ses causes, et que comptez-vous faire pour rétablir la paix civile et la concorde ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Sébastien Meurant, le ministre de l’intérieur, M. Darmanin, aurait souhaité pouvoir vous répondre, mais il est en ce moment même à Juvisy, dans l’Essonne, pour apporter son plein soutien aux collègues du policier qui a été terriblement renversé et dont l’état est très critique. Je vous répondrai donc au nom du ministère de l’intérieur.
Depuis le début de l’année, 8 724 policiers ont été blessés, une grande partie au cours de leur mission. En zone de gendarmerie, on dénombre une agression toutes les deux heures. Au moment de la rentrée scolaire, nous avons rencontré des enfants qui nous ont expliqué que, à l’école, ils n’osent pas dire que leur père est policier, par peur d’être agressés… Voilà la réalité. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Face à cette réalité, le Gouvernement agit – non pas dans l’idéologie, mais dans le concret.
Ainsi, 325 millions d’euros supplémentaires sont alloués au budget de la police dans le cadre du projet de loi de finances et du plan de relance. Pour le matériel, ce sont 15 millions d’euros supplémentaires et, pour le parc automobile, 125 millions d’euros supplémentaires qu’a obtenus Gérald Darmanin. Par ailleurs, 740 millions d’euros sont mobilisés à travers l’appel à projets du plan de relance pour rénover les commissariats et les gendarmeries.
M. François Bonhomme. Avec quels résultats !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Demain, le Président de la République échangera lui-même avec les syndicats de policiers, que le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a déjà reçus.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Et alors ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Nous ne faisons pas d’idéologie : nous sommes dans l’action, dans l’action concrète et résolue. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Très simplement, au nom du gouvernement de Jean Castex, je souhaite rappeler que les forces de l’ordre sauvent des vies tous les jours : ce sont la police de la République et l’ordre républicain qui nous protègent de la loi des clans.
À tous les policiers, tous les gendarmes et tous les pompiers, je veux dire que le Gouvernement est avec eux ! (M. François Patriat applaudit. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour la réplique.
M. Sébastien Meurant. Madame le ministre, vous parlez budgets, mais c’est d’abord une question d’état d’esprit… Il faut réarmer, dans tous les sens du terme, nos forces de l’ordre !
Nous en avons assez des hommages verbaux, alors que la suspicion pèse en permanence sur les forces de l’ordre ; assez de l’impunité devenue la règle pour les voyous ; assez du relativisme général qui interdirait d’appeler un délinquant un délinquant. La peur doit changer de camp ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
impacts de l’épidémie de covid-19 sur les métiers du tourisme et des transports
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le ministre délégué chargé des transports, le sixième comité interministériel du tourisme, qui s’est tenu le 12 octobre dernier, s’est soldé par quelques avancées en matière d’accès au fonds de solidarité, de recours au chômage partiel et d’extension du plan tourisme aux entreprises de transport touristique, jusqu’alors écartées.
Malgré tout, la situation demeure alarmante : 75 % des agences de voyages pensent déposer le bilan dans les prochains mois et les réservations ont chuté de 50 %, alors que le secteur représente 9 % de notre PIB et 2 millions d’emplois directs et indirects.
Au regard de ces enjeux, le plan de soutien à l’activité du secteur présenté en mai dernier, de 18 milliards d’euros, ainsi que les 50 milliards d’euros alloués au tourisme dans le plan France Relance, ne rassurent pas complètement le secteur, inquiet à l’approche de l’annonce de restrictions supplémentaires sur les déplacements et les rassemblements.
Les incertitudes qui entourent l’exonération des charges sociales et patronales et la perte de chiffre d’affaires de l’ordre de 73 % subie par les entreprises de transport touristique annoncent une fin d’année très difficile.
Face à cette situation, les collectivités territoriales, notamment les régions, se sont mobilisées, tout d’abord aux côtés de l’État, de Bpifrance et de la Banque des territoires dans le cadre du plan de relance, puis en vertu de leurs compétences, afin de soutenir le secteur touristique et les tissus économiques locaux.
Ainsi, les régions Normandie et Bretagne se sont associées à hauteur de 85 millions d’euros au plan de sauvetage de l’entreprise Brittany Ferries, alors que l’État n’a avancé qu’une aide de 15 millions d’euros. Il est inquiétant de constater que le sauvetage de ce fleuron du pavillon national, dont le redémarrage des lignes est menacé, n’est pas une priorité stratégique pour le Gouvernement.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous agir structurellement en faveur de ces secteurs, et, très concrètement, pour sauver Brittany Ferries ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique.
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Madame la sénatrice Morin-Desailly, je vous remercie de cette question, qui retient toute l’attention du Gouvernement, comme d’ailleurs de nombre de vos collègues parlementaires. En particulier, Mme Nadège Havet, alors députée, et Mme Nathalie Goulet, sénatrice, m’ont interpellée sur le même sujet.
La crise sanitaire a durement frappé le secteur des transports et du tourisme – nous en sommes collectivement conscients. À titre d’illustration, durant le confinement, Air France n’a opéré que dix vols quotidiens sur les mille qu’elle assure habituellement ! Pour sa part, Brittany Ferries a dû réduire ses rotations de plus de la moitié.
Le déconfinement progressif visait à permettre, avant tout, la reprise des trajets domicile-travail. L’offre de transport liée au tourisme a repris cet été, dans le strict respect des gestes barrières, afin d’accueillir de potentiels touristes.
Toutefois, le maintien de la fermeture de certaines frontières et les mesures de septaine ou de quatorzaine ont compliqué la reprise du trafic touristique.
S’agissant de Brittany Ferries, la décision unilatérale de quatorzaine des autorités britanniques a contraint la majorité des navires à rester à quai. Je pense aussi aux sociétés de transport de voyageurs, en particulier aux autocaristes et aux croisiéristes, ainsi qu’aux lignes ferroviaires qui devaient desservir la Tarentaise. Tous sont fortement touchés par la persistance de la crise sanitaire.
Pour aider le secteur du tourisme et des transports, nous travaillons autour de deux axes.
Tout d’abord, accompagner les acteurs frappés par la crise : c’était l’objectif des mesures de droit commun prises durant la crise, c’est aussi celui de l’élargissement, annoncé la semaine dernière, de l’accès au plan tourisme à tous les acteurs du transport routier, en plus de ceux du secteur aérien, ainsi que des aides annoncées par le Premier ministre au début du mois de septembre pour Brittany Ferries.
Ensuite, harmoniser les règles sanitaires, la politique de tests et les mesures de quatorzaine au niveau européen.
J’ajoute qu’un nouveau comité interministériel du tourisme s’est tenu lundi dernier, sous l’autorité du Premier ministre. Il a permis de rappeler que nous avions renforcé le fonds de solidarité, prolongé l’activité partielle à 100 %, étendu la durée du prêt garanti par l’État et exonéré de charges les entreprises fermées.
Vous le voyez, nous sommes aux côtés du secteur du tourisme ! (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Sachez, madame la ministre, que les parlementaires normands et bretons, nombreux sur ces travées, restent très mobilisés sur le dossier Brittany Ferries.
Vous m’avez répondu en termes de procédures ; je vous répliquerai en parlant chiffres : très concrètement, les sommes envisagées par le Gouvernement dans le cadre du plan de relance nous semblent nettement insuffisantes !
situation dans le haut-karabakh (ii)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Monsieur le Premier ministre, voilà dix-sept jours que nous sommes les tristes spectateurs de bombardements délibérés des populations civiles d’Artsakh et d’Arménie par l’Azerbaïdjan. Voilà près de trente ans que le Haut-Karabakh tente de protéger ses terres ancestrales, alors que l’Azerbaïdjan s’enfonce dans la dictature – rappelons que le régime d’Aliyev est l’un des plus répressifs de la planète…
Dans ces conditions, on imagine le sort réservé aux Arméniens du Haut-Karabakh, avec la complicité du président Erdogan.
Erdogan qui marchande ses migrants, massacre les Kurdes, que nous avons abandonnés, viole les espaces aérien et maritime grecs, dirige un pays qui occupe depuis 1974 Chypre, État de l’Union européenne, tente de déstabiliser encore plus la Libye et la Syrie, souffre d’amnésie dès que l’on parle du génocide des Arméniens et clame sa volonté de reformer l’Empire ottoman, Erdogan dont le régime va jusqu’à envoyer des djihadistes pour tuer des Arméniens !
On le sait : le président Erdogan cherche, pour masquer ses échecs, à s’offrir comme trophée l’Artsakh, puis l’Arménie, et à poursuivre le génocide culturel et ethnique des Arméniens.
Rester neutre face à l’injustice, c’est choisir son camp ! C’est pourquoi la neutralité et l’impartialité ne sont ni acceptables ni responsables : elles reviendraient à soutenir l’agresseur. Lorsque des innocents sont massacrés par des armes interdites, nous ne pouvons rester neutres.
Non, la France ne peut pas abandonner son allié, sa sœur : l’Arménie. Elle ne peut pas être spectatrice d’un génocide. Abandonner les Arméniens serait nous renier ; les ignorer, nous trahir.
L’indignation est nécessaire, mais ne sauve pas des vies. Il faut agir !
Il est urgent de sanctionner la Turquie et l’Azerbaïdjan, de mettre en place de vraies sanctions économiques, de rappeler nos ambassadeurs à Ankara et à Bakou, de cesser tout processus d’adhésion de l’Union européenne avec la Turquie et de lui dire qu’elle n’a plus sa place dans l’OTAN.
Il faut encore demander aux forces internationales d’intervenir au sol en Artsakh pour garantir la paix et reconnaître enfin l’État indépendant Artsakh, seul à même de protéger sa population.
Un nouveau génocide se met en place, et l’on ne pourra pas dire que l’on ne savait pas. Une partie de l’histoire de l’humanité est en train de s’écrire : faisons en sorte qu’elle ne s’écrive pas sans l’Europe et sans la France ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice Boyer, j’ai déjà répondu sur ce sujet et rappelé, en réponse au sénateur Buis, l’urgence, le devoir et l’exigence qui s’imposaient à la France.
Vous avez parlé de la Turquie : je constate moi aussi que les actions et les provocations de ce pays sont un facteur de déstabilisation de l’ensemble de la région, de la Libye au Haut-Karabakh en passant par la Méditerranée orientale, l’Irak et Varosha. Venant d’un État membre de l’Alliance atlantique, c’est particulièrement grave. Nous n’acceptons pas cette logique globale du fait accompli.
Au Haut-Karabakh, la Turquie a été la seule à ne pas appeler au cessez-le-feu, qui a été conclu, même s’il est difficile à mettre en œuvre. Elle a été la seule à encourager et à soutenir le recours à la force. Le déploiement par Ankara de mercenaires syriens contribue aussi à l’internationalisation du conflit et fait peser une lourde menace sur la région.
Dans cette circonstance, nous devons agir vis-à-vis de la Turquie, en demandant des clarifications et des vérifications. Toutefois, nous devons agir aussi comme membre coprésident du groupe de Minsk pour mettre fin au conflit, par tous les moyens à notre disposition, mais en respectant notre signature.
Je maintiens la position que j’ai affirmée il y a quelques minutes ; nous sommes donc en désaccord, madame Boyer.
Si nous revenions sur nos engagements de responsables des accords de 1994 et du groupe de Minsk, nous créerions les conditions permettant à la Turquie de remettre en cause l’impartialité de ce groupe et de s’insérer dans le règlement diplomatique d’un conflit dont elle est aujourd’hui partie prenante. Il s’agit d’une logique que nous ne souhaitons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Féret. Monsieur le ministre des solidarités et de la santé, à la veille de la journée nationale de mobilisation dans la santé, je veux relayer ici les inquiétudes, le découragement, voire la colère des personnels soignants de l’hôpital public, mais aussi des établissements médico-sociaux.
Avec la progression de l’épidémie de covid et l’arrivée de la deuxième vague, vous avez annoncé l’ouverture possible de 12 000 lits de réanimation. Mais vous n’avez pas précisé quels moyens humains supplémentaires seraient prévus pour prendre en charge les malades.
Les personnels soignants manqueront, car non seulement ils quittent aujourd’hui l’hôpital public, mais les recrutements sont de plus en plus difficiles. Et ce ne sont pas les mesures du Ségur de la santé qui rendront ces métiers attractifs, ni les annonces de renoncement aux congés qui motiveront les personnels.
Je tiens à insister sur la situation particulière des personnels des établissements sociaux et médico-sociaux, exclus des récentes revalorisations salariales. Ce sont près de 40 000 agents de la fonction publique hospitalière qui ne bénéficieront pas du bonus de 183 euros ! Cette différence de traitement suscite un sentiment d’injustice, alors même qu’elles et ils ont été très mobilisés pendant la crise sanitaire.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous répondre aux attentes de ces personnels, de tous ces hommes et de toutes ces femmes dont le dévouement et le grand professionnalisme ne sont plus à démontrer, mais qui sont aujourd’hui épuisés et inquiets ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le porte-parole du Gouvernement.
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice Corinne Féret, je vous prie d’excuser Olivier Véran : après avoir répondu à Mme Cohen sur le même thème, il a dû quitter cette séance de questions.
Comme il l’a souligné, le Ségur de la santé marque un progrès majeur pour notre système de santé et pour nos personnels hospitaliers.
On peut considérer qu’il faudrait faire encore davantage ou qu’il faudrait faire autrement, mais on ne peut pas nier qu’une augmentation de 200 euros net pour tous les agents, et encore plus importante pour certains, soit un progrès majeur et un moyen de renforcer l’attractivité de l’hôpital public. On ne peut pas nier non plus que financer la création de 15 000 postes et de 4 000 lits supplémentaires à l’hôpital soit un progrès.
Vous le savez, sous le précédent gouvernement, j’étais conseiller au ministère de la santé. Ces moyens supplémentaires, nous en aurions rêvé ! (Protestations sur les travées du groupe SER.) Oui, j’assume de le dire : nous aurions rêvé de pouvoir donner ces moyens supplémentaires à l’hôpital public !
Aujourd’hui, nous y arrivons, à la faveur, certes, de cette crise. Sans doute celle-ci a-t-elle permis à la société, au Gouvernement, aux responsables politiques d’ouvrir davantage les yeux sur la situation de l’hôpital. Peut-être est-elle une occasion d’avancer encore plus vite que prévu dans la stratégie Ma santé 2022.
En tout cas, il faut reconnaître le progrès majeur, historique, qui a été accompli. Il n’y a pas eu ces dernières années, ni même ces dernières décennies, un tel progrès, aussi rapide, pour l’hôpital public, ses moyens de fonctionnement et les conditions salariales de ses personnels. Ce sont des raisons d’espérer que notre système hospitalier et notre système de santé avancent avec confiance vers l’avenir. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour la réplique.
Mme Corinne Féret. Monsieur le ministre, je ne voudrais pas vous manquer de respect, mais entendez-vous les alertes des professionnels de santé ? Entendez-vous leur inquiétude, au-delà de leur colère ? Oui, leur inquiétude face à la deuxième vague qui arrive, ainsi que leur questionnement sur les moyens humains qui manquent ? En Île-de-France et partout ailleurs, dans nos départements, ils nous en parlent !
Dans quelques jours, nous aurons à débattre des moyens alloués à la santé publique dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous vous attendons, nous attendons le Gouvernement sur des annonces essentielles pour concrétiser des moyens supplémentaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
occupation illicite de terrains par des gens du voyage
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Madame la ministre, voilà près de deux ans que la loi relative à l’accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites, issue de la proposition de loi de mon collègue Loïc Hervé et de celle du regretté Jean-Claude Carle, a été adoptée. Si ce texte, sur lequel nous avons travaillé avec la ministre Jacqueline Gourault, a marqué une avancée dans la lutte contre les installations illicites, force est de constater qu’il n’a pas été suffisant.
De fait, pas un mois ne passe sans que je sois contacté par des élus désespérés par des installations illicites sur leur commune et hors d’état de lutter contre celles-ci, qui s’accompagnent la plupart du temps de nombreuses incivilités. La situation n’est plus soutenable pour les élus, mais aussi pour les agriculteurs et les chefs d’entreprise qui font face, eux aussi, à ces installations illicites.
L’État a bien évidemment des devoirs envers ces communautés, mais ces dernières en ont aussi envers la société : elles doivent notamment participer au vivre-ensemble et ne pas se prévaloir uniquement de leurs droits. En l’absence de respect de ces règles, des mesures et sanctions efficaces et dissuasives doivent être prises.
Pour améliorer la gestion de ces situations, ce qui est souhaitable pour tous, et atteindre un certain niveau d’apaisement, plusieurs leviers s’offrent au Gouvernement. J’espère, madame la ministre, que vous saurez les saisir.
Tout d’abord, il me paraît important d’organiser une évaluation de l’application de la loi n° 2018-957. Cette démarche permettrait, dans un premier temps, de mieux se rendre compte des faiblesses, mais aussi des forces de ce texte. Avoir ainsi une vision claire de son efficacité ouvrirait la porte, dans un second temps, à un texte complémentaire renforçant les dispositifs en vigueur et en créant de nouveaux, pour combler les lacunes constatées.
À ce sujet, l’expérience du terrain fait apparaître une réactivité variable des services de l’État en matière d’expulsion des gens du voyage en cas d’occupation illicite. De ce fait, il serait opportun d’adresser aux préfets une circulaire leur demandant de répondre à ces situations dans les meilleurs délais.
Par ailleurs, il convient de noter que les schémas départementaux d’accueil sont pour l’essentiel respectés, alors même que les aides de l’État sont en nette diminution.
Madame la ministre, plusieurs dispositions figurant dans le texte initial de notre proposition de loi avaient été refusées par le Gouvernement et supprimées par l’Assemblée nationale, au motif qu’elles étaient trop répressives. Il avait été avancé que les dispositions retenues seraient suffisantes pour lutter contre les installations illicites.
M. le président. Il faudrait en venir à votre question…
M. Cyril Pellevat. Il serait malhonnête de continuer à affirmer que ces mesures sont pleinement satisfaisantes. Madame la ministre, quelle sera la position du Gouvernement pour accompagner les élus confrontés à ces situations qui restent intenables ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Cyril Pellevat, je vous remercie de cette question intéressante, à laquelle je vais répondre au nom du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, qui se trouve en ce moment même auprès des policiers de Juvisy.
Comme vous le savez fort bien, l’expression « gens du voyage » regroupe une multiplicité de populations aux origines culturelles et géographiques diverses, mais dont le point commun est d’avoir un mode de vie originellement fondé sur la mobilité. Un tiers d’entre eux conservent un mode de vie nomade, un tiers d’entre eux sont semi-sédentaires, un tiers d’entre eux vivent de manière totalement sédentaire.
La loi de 2018 dont vous avez été l’un des initiateurs, et qui a été travaillée avec Mme Jacqueline Gourault au nom du ministère de l’intérieur, a permis des avancées fortes, dont vous avez rappelé certaines ; je pense en particulier à la procédure d’information préalable du préfet et du conseil départemental par les groupes de plus de 150 caravanes trois mois avant leur arrivée, destinée à faciliter l’organisation des passages.
Vous avez également assoupli les conditions permettant de saisir le préfet pour mettre en demeure les gens du voyage de quitter les terrains occupés illicitement, avec, bien évidemment, l’emploi de la force si nécessaire. Par ailleurs, si le maire dispose d’une aire d’accueil conforme au schéma départemental d’accueil des gens du voyage, il peut désormais interdire le stationnement en dehors des terrains aménagés sur sa commune, même si elle appartient à une intercommunalité.
Surtout, avec cette loi, vous avez aggravé les sanctions pénales en cas d’occupation d’un terrain en réunion et sans titre.
M. Bruno Retailleau. Nous connaissons la loi !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Monsieur Retailleau, il me paraît important de rappeler les évolutions déjà réalisées, qui appellent celles qui viendront.
S’agissant de vos propositions, monsieur Pellevat, je rappelle que les préfectures établissent déjà chaque année un bilan des grands passages estivaux des gens du voyage, pour faire état des difficultés qu’elles ont pu rencontrer. Par ailleurs, l’État verse chaque année aux collectivités territoriales divers concours financiers, notamment la dotation globale de fonctionnement. (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Loïc Hervé. Ou ce qu’il en reste !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Néanmoins – c’est ici, mesdames, messieurs les sénateurs, que je réponds à l’interpellation qui m’a été adressée –, j’entends votre proposition de circulaire : le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, le garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, et moi-même allons étudier immédiatement cette proposition, pour que les décisions d’expulsion prononcées par la justice soient exécutées dans de meilleurs délais lorsque des gens du voyage occupent un terrain illégalement – en prenant en compte, bien évidemment, tous les enjeux d’humanité, liés notamment à la scolarisation.
Monsieur le sénateur, la réponse à votre demande de circulaire est donc : oui !
annulation des stages des élèves au collège
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, les collégiens en classe de troisième sont tenus d’accomplir, durant leur année scolaire, un stage de découverte du monde économique et professionnel d’une durée d’une semaine. Ce stage obligatoire leur permet de se confronter à la réalité concrète du travail, mais aussi, pour certains, de préparer déjà leur projet d’orientation.
Nous connaissons tous le contexte sanitaire actuel : il est inquiétant. Nous saisissons tous la dimension économique de la crise : elle est catastrophique.
Alors que de nombreuses entreprises luttent pour leur survie et qu’associations comme collectivités territoriales se concentrent sur les actions de solidarité en faveur des plus démunis, elles n’ont pas le temps de se pencher sur des demandes de stages aussi brefs – même si quelques initiatives locales, comme celles du conseil régional d’Île-de-France et de mon département, promettent d’en satisfaire quelques centaines.
Il faut répondre au stress des familles dont les enfants ne trouvent pas de stage – ils sont une majorité à ne pas avoir des parents pour les pistonner –, répondre aussi aux préoccupations des entreprises.
Alors que les dossiers de convention de stage sont distribués en ce moment même dans les établissements scolaires, il sera presque trop tard, au retour des vacances d’automne, pour faire machine arrière.
C’est pourquoi je vous demande, avec l’ensemble de mes collègues signataires de la lettre ouverte que nous vous avons adressée hier soir, d’annuler l’obligation de ce stage incombant aux collégiens de troisième. Seriez-vous prêt à répondre favorablement à notre demande ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Madame la sénatrice Laure Darcos, je vous remercie de cette question importante, qui permet de souligner le rôle désormais joué par le stage de troisième dans notre système éducatif et, plus largement, dans la vie de notre pays.
Voilà encore quelques années, ce stage n’existait pas ; aujourd’hui, tout le monde est habitué à voir de jeunes élèves faire dans ce cadre, dans l’immense majorité des cas, leur première expérience du monde du travail. Nous tenons tous à ce dispositif très positif et nous souhaitons qu’il se consolide et dure.
J’ai bien lu votre lettre et je sais à quel point ce que vous écrivez correspond à la réalité. Nous le voyons tous : les entreprises ont des difficultés dans la situation actuelle. Dans ces conditions, il n’est pas facile de répondre au grand nombre de demandes de stage.
Dans un passé récent, nous avons pris des initiatives, comme monstagedetroisieme.fr, conçu avec Julien Denormandie dans ses précédentes fonctions, qui offre plus de 30 000 stages aux élèves qui n’en trouvent pas par leur propre réseau.
Nous allons continuer à agir avec volontarisme, mais il est vrai que le caractère obligatoire de ce stage peut être gênant cette année, du fait des circonstances économiques. Je vais donc très bientôt répondre favorablement à votre demande, qui correspond à notre propre réflexion.
Nous serons volontaristes pour ces stages, sans les rendre obligatoires cette année. Nous travaillerons aussi à renforcer notre politique d’orientation – une compétence qui relève désormais des régions, en liaison avec l’éducation nationale –, pour que nos élèves de troisième soient bien informés sur les choix possibles, via des modules vidéos et des formations sur le monde du travail.
Bref, nous allons faire de ce problème un levier pour une meilleure orientation et une meilleure information des élèves. Nous le ferons avec pragmatisme, en rendant facultatif, mais tout à fait souhaitable, le stage de troisième et, quand celui-ci n’aura pas lieu, en prenant des initiatives complémentaires en matière d’orientation et d’information.
Mme Marie Mercier. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour la réplique.
Mme Laure Darcos. Je suis très touchée d’avoir été entendue, et je vous en remercie infiniment, monsieur le ministre.
Vous n’imaginez pas le nombre de familles, d’entrepreneurs et de collègues qui ont répondu très rapidement à ma proposition de lettre ouverte. Une même inquiétude remonte de tous les territoires en ce moment.
Sans doute faut-il donner la priorité aux lycéens en voie professionnelle et aux apprentis, qui ont vraiment besoin de ces stages en entreprise pour valider leur cursus. Je suis donc preneuse des « palliatifs » que vous allez leur proposer cette année.
Par ailleurs, pour ne pas frustrer ces élèves de troisième, peut-être faudra-t-il, à titre exceptionnel, leur donner la possibilité de faire un stage en classe de seconde l’année prochaine. Je vous remercie en tout cas, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 21 octobre 2020, à quinze heures.
4
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement retire de l’ordre du jour du Sénat le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire.
Il demande en conséquence que l’ordre du jour de cet après-midi reprenne pour l’examen du projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure et du projet de loi organique relatif au Conseil économique social et environnemental, et que l’examen de ce dernier se poursuive ce soir et, éventuellement, demain matin.
Acte est donné de cette modification.
J’invite tous les présidents de groupe à bien vouloir me rejoindre au cabinet de départ, afin d’évoquer la suite de l’organisation de nos travaux.
5
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour un rappel au règlement.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, hier encore, jusque tard dans la soirée, nous avons discuté, ici même, au Sénat, du texte prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire.
Comment pouvez-vous nous annoncer quelques heures plus tard que vous retirez ce texte de l’ordre du jour ?
Ce retrait brutal et soudain illustre le pilotage à vue du Gouvernement sur la crise sanitaire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à dix-sept heures quinze, sous la présidence de M. Pierre Laurent.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Candidature à une commission spéciale
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
7
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement, à la suite des échanges intervenus en conférence des présidents le 7 octobre dernier, demande l’inscription à l’ordre du jour du jeudi 5 novembre au matin d’une série de questions orales.
En conséquence, les séances de questions orales initialement prévues les mardis 20 octobre et 3 novembre sont supprimées. Nous pourrions inscrire à l’ordre du jour du jeudi 5 novembre, à neuf heures trente, quarante-cinq questions orales, dont la liste sera prochainement diffusée sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
8
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois, pour un rappel au règlement.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le ministre, nous avons appris, à l’issue des questions d’actualité, que le texte prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire était retiré de l’ordre du jour.
Cela relève – nous le comprenons bien – de la responsabilité du Gouvernement. Nous en avons toutefois été avertis il y a quelques minutes seulement, sans explication aucune, ni de forme ni de fond, alors que nous avons travaillé tardivement hier soir, pour ne pas dire tôt ce matin, si bien que seule une petite vingtaine d’amendements restaient à examiner. Nous voilà privés de ce débat.
Nous souhaiterions donc connaître les raisons de ce retrait.
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le président de la commission, permettez-moi tout d’abord de saluer votre élection, ainsi que celle des vice-présidents du Sénat, des présidents des autres commissions et de l’ensemble des sénateurs.
J’ai bien pris note, au nom du Gouvernement, de votre question. Je la transmettrai au ministre chargé des relations avec le Parlement et au Premier ministre, qui ne manqueront pas de revenir très rapidement vers le Sénat pour vous indiquer pourquoi vos travaux ont été suspendus.
En effet, bien que mon portefeuille soit important, vous comprendrez qu’il ne m’appartient pas de gérer l’état d’urgence sanitaire en tant que tel devant votre noble assemblée.
9
Code de la sécurité intérieure
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure (projet n° 669 [2019-2020], texte de la commission n° 12, rapport n° 11, avis n° 19).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, cher François-Noël Buffet, monsieur le rapporteur, cher Marc-Philippe Daubresse, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous félicite de votre élection et je formule le vœu que, au-delà de nos évidentes différences sur certains sujets – différences qui sont du reste tout à fait respectables –, le ministère de l’intérieur et votre commission puissent travailler de la meilleure façon possible.
Il y a trois ans, le Sénat adoptait la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT. Il s’agissait alors de sortir de l’état d’urgence, car, chacun en convenait, cet état d’urgence n’avait pas vocation à être permanent.
Il s’agissait aussi de maintenir un niveau extrêmement exigeant de sécurité pour les Français, car la menace reste prégnante et la lutte contre le terrorisme demeure bien évidemment une priorité nationale.
Pour cela, la loi SILT a mis en place des outils nouveaux et adaptés, garantissant un équilibre entre la nécessaire efficacité des actions antiterroristes et la préservation des libertés publiques. Nous avons collectivement conscience, je le sais, du niveau extrêmement élevé de la menace qui continue à peser sur notre pays.
Le 25 septembre dernier, l’attaque terroriste qui a fait deux blessés graves devant les anciens locaux de Charlie Hebdo a montré, si cela était encore nécessaire, que nos efforts ne doivent pas être relâchés et que nous devons collectivement continuer à agir avec la plus grande détermination contre le terrorisme islamiste.
Depuis le début de l’année, quatre attentats ont ainsi touché nos compatriotes sur le territoire national : le 3 janvier à Villejuif, le 4 avril à Romans-sur-Isère, le 27 avril à Colombes et ce 25 septembre à Paris. Depuis 2017, onze attaques ont abouti sur le territoire national, provoquant la mort de plus de vingt personnes. Permettez-moi d’avoir avec vous une pensée pour ces personnes et pour leurs familles.
Je tiens aussi à dire devant la représentation nationale que, depuis 2017, trente-deux attentats ont été déjoués par nos services, c’est-à-dire en moyenne un par mois, dont un encore au tout début de cette année.
Je salue l’ensemble des services de renseignement, singulièrement la direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, placée sous mon autorité, ainsi que nos policiers et nos gendarmes, qui, chaque jour, font un travail exceptionnel pour identifier, poursuivre et comprendre les menaces, interpeller les individus dangereux ou les surveiller, et qui parfois mettent leur vie en péril pour éviter les projets meurtriers.
La loi SILT a permis à ces services de continuer à disposer, après la fin de l’état d’urgence, d’un cadre législatif efficace, adapté et validé par le Conseil constitutionnel. L’autorité administrative – préfet ou ministre de l’intérieur, selon les cas – s’est vue reconnaître des compétences nouvelles, strictement proportionnées à l’état de la menace, s’exerçant toujours sous le contrôle du juge et dans le seul objectif de prévenir des actes de terrorisme.
Il s’agit tout d’abord de la possibilité de mettre en place des périmètres de protection, afin d’assurer la sécurité d’un lieu ou d’un événement. Il s’agit ensuite de procéder à la fermeture de lieux de culte dans lesquels se tiennent ou circulent des idées incitant à la commission ou faisant l’apologie d’actes de terrorisme, et d’édicter à l’encontre d’individus présentant un niveau de menace caractérisée pour la sécurité et l’ordre public des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, ou Micas. Il s’agit, enfin, de pouvoir solliciter du juge judiciaire l’autorisation de procéder à la visite d’un lieu fréquenté par de tels individus.
L’étude d’impact du projet de loi présente dans le détail un premier bilan de l’application de ces mesures, monsieur le rapporteur. Vous avez longuement échangé sur ce point ; je n’y reviendrai pas, mais je souhaite insister sur l’usage qui a été fait de ces outils nouveaux.
Je dois au Sénat l’évocation des 553 périmètres de protection qui ont été mis en place au 9 octobre 2020, notamment par mes prédécesseurs : sept lieux de culte ont été fermés ; dans le même temps, 334 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ont été notifiées, dont 60 sont encore actives à ce jour ; 175 visites domiciliaires ont été réalisées. Ces mesures ont toujours été utilisées de manière ciblée et proportionnée, sous le contrôle du juge.
Conformément à l’article L. 22-10-1 du code de la sécurité intérieure instauré par l’article 5 de la loi dite SILT, le Parlement a été informé sans délai de la mise en œuvre de chacune de ces mesures. Chaque année, l’Assemblée nationale et le Sénat ont été destinataires d’un rapport d’évaluation sur la mise en œuvre et de la loi.
De la même manière, le Gouvernement a fait un usage raisonné de la technique dite « de l’algorithme ». Ainsi, depuis 2015, trois traitements automatisés ont été autorisés par M. le Premier ministre, après un avis favorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
La délégation parlementaire au renseignement a été rendue destinataire d’un rapport classifié au niveau « confidentiel défense », qui décrit la nature de l’apport opérationnel de ces traitements automatisés. Ces derniers ont tout à la fois permis de détecter des contacts entre des individus porteurs d’une menace terroriste, d’obtenir des informations sur la localisation d’individus en lien avec cette menace, de mettre à jour des comportements d’individus connus des services de renseignement et nécessitant des investigations plus approfondies, enfin d’améliorer la connaissance des services sur la manière de procéder des individus de la mouvance terroriste.
À peine nommé, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai souhaité rencontrer les services de la DGSI pour qu’ils me présentent ces algorithmes et qu’ils m’expliquent à quel point ces derniers sont nécessaires. Permettez-moi de redire devant vous à quel point j’en suis convaincu.
Les mesures dont il vous est proposé de prolonger l’application par le présent projet de loi présenté par le Gouvernement constituent donc des outils opérationnels indispensables pour les services spécialisés dans la lutte contre le terrorisme.
Ils ont été mis en œuvre sous le contrôle attentif du juge judiciaire et administratif et, pour certains d’entre eux, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, avis que le Gouvernement a toujours – j’y insiste – suivis. Ils font l’objet d’un échange permanent avec le Parlement, sous la forme d’une information en temps réel et d’une évaluation régulière que le Gouvernement a strictement respectées.
Ces dispositifs ont démontré toute leur pertinence dans la prévention de la menace terroriste. C’est également ce que conclut la mission de contrôle mise en place par le Sénat dans son rapport de février dernier, après trois années d’expérimentation.
Je relève que la mission sénatoriale estime que la loi a fait l’objet d’une mise en œuvre équilibrée et conforme à l’esprit du législateur. Elle souligne aussi qu’il existe un consensus de l’ensemble des acteurs, judiciaires comme administratifs, sur l’efficacité et l’utilité des quatre mesures introduites dans la loi SILT dans un contexte de menace extrêmement élevée et à un moment où nous savons que le terrorisme peut frapper partout sur le territoire national.
La mission de contrôle, monsieur le rapporteur, s’est en conséquence prononcée en faveur de la pérennisation de ces mesures. Vous-même avez donc logiquement repris les conclusions de la mission dont vous étiez également le rapporteur : sur votre proposition, la commission des lois a adopté la pérennisation des dispositions de la loi.
Le Gouvernement et le Parlement, particulièrement l’Assemblée nationale, souhaitent pérenniser une partie de ces mesures. Je crois toutefois, monsieur le rapporteur, que la discussion des amendements nous montrera que nous avons quelques légères différences d’appréciation d’un certain nombre de dispositifs.
Le Gouvernement a rendu compte au Parlement de la mise en œuvre des mesures de politique administrative à l’occasion de deux rapports annuels. Il lui a également adressé, le 30 juin dernier, un rapport sur l’application sur la technique dite de l’algorithme.
Avant l’émergence de la crise sanitaire, il envisageait par ailleurs, monsieur le rapporteur, de soumettre au Parlement un projet de loi à l’été dernier. Ce projet de loi aurait été l’occasion d’engager, avec le Sénat et avec l’Assemblée nationale, une discussion approfondie sur chacune de ces mesures qui sont nécessaires pour lutter contre le terrorisme mais qui peuvent, nous le savons, susciter des interrogations relatives aux libertés dans l’opinion publique.
Or chaque parlementaire – j’en suis convaincu – a pour vocation de protéger ces libertés, donc de s’assurer que le Gouvernement prend des mesures administratives proportionnées qui permettent leur respect.
Les services de renseignement placés sous mon autorité y étaient prêts. Le ministère de l’intérieur, le ministère des armées et l’ensemble des membres du Gouvernement y étaient prêts. Mais la mobilisation nationale rendue nécessaire par la gestion de la crise sanitaire a fait obstacle à cette discussion parlementaire. Le contexte n’a pas permis aux débats, dans chacune des deux chambres, de se tenir de manière sereine, argumentée et efficace.
Or les sujets dont nous parlons sont essentiels pour la sécurité des Français. Ils touchent aux libertés fondamentales. Ils méritent d’être discutés avec la sérénité et le temps nécessaires.
Aussi, compte tenu de la sensibilité et de la complexité des dispositions en question, il a semblé opportun au Gouvernement de se donner du temps et de reporter d’un an le débat de fond que nous devions avoir cette année.
Pour que ce débat puisse avoir lieu, pour que des dispositions aussi fondamentales ne soient pas entachées de la critique d’un débat démocratique insuffisant, pour qu’elles soient acceptées par l’ensemble de l’opinion, pour que le Conseil constitutionnel puisse les valider, alors qu’elles sont essentielles pour la sécurité du territoire national et pour chacun des Français, j’estime, monsieur le rapporteur, sans vous mettre en difficulté sur le fond, mais en exprimant une légère réserve sur la forme, que la pérennisation ainsi votée serait prématurée.
À ce contexte épidémique est venue s’ajouter, peut-être postérieurement à votre analyse, la décision Tele2 rendue le 6 octobre dernier par la Cour de justice de l’Union européenne sur le régime de conservation des données par les opérateurs de télécommunications.
Les juridictions nationales tireront toutes les conséquences de cette décision européenne. Il nous faudra pouvoir en éclairer le Parlement et examiner avec lui les conséquences potentielles qu’il conviendrait d’en tirer dans la loi. Nous ne sommes donc pas prêts pour les introduire dans le texte que nous présentons aujourd’hui devant le Sénat.
C’est pourquoi le Gouvernement propose un report de l’expérimentation au 31 décembre 2021, échéance plus lointaine que celle du 31 juillet qui a été retenue par l’Assemblée nationale.
En tout état de cause, je l’affirme ici, la prolongation de l’expérimentation permet aux services de travailler comme avant, si j’ose dire. Les préfets, les forces de sécurité intérieure et les services de renseignement continueront à se servir des outils qu’ils considèrent, de manière unanime, comme nécessaires à leur action.
La mobilisation du Gouvernement pour lutter contre le terrorisme est très forte, et je sais qu’elle est soutenue par la quasi-intégralité des mouvements politiques représentés au Sénat, singulièrement par la majorité sénatoriale qui a, chaque fois, apporté son soutien aux dispositions proposées par le gouvernement d’Édouard Philippe, puis celui de Jean Castex.
C’est conscient de la prégnance de la menace terroriste que, depuis 2017, à la demande du Président de la République, le Gouvernement a œuvré avec une très grande détermination au renforcement des dispositifs pour lutter contre le terrorisme islamiste.
Nous l’avons fait en continuant – avec le soutien du Parlement et, en particulier, celui du Sénat – à augmenter les moyens mis à la disposition des services spécialisés en matière de lutte antiterroriste, notamment les services de renseignement. Au total, mesdames, messieurs les sénateurs, ce sont 1 000 postes supplémentaires qui ont été créés depuis deux ans et demi et l’élection d’Emmanuel Macron au sein de la direction générale de la sécurité intérieure et du service central du renseignement territorial.
Les budgets d’investissement et de fonctionnement des services ont également fait l’objet d’efforts sans précédent. Monsieur le président de la commission des lois, vous aurez sans doute à examiner les crédits du ministère de l’intérieur dans le cadre du prochain projet de loi de finances : vous constaterez une hausse, encore une fois, sans précédent de ces crédits. Ceux de la DGSI ont par exemple doublé entre 2015 et aujourd’hui.
La lutte contre le terrorisme exige en effet une mobilisation totale et l’unanimité nationale. Sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, avec l’engagement de l’ensemble des forces de sécurité et des services de renseignement, avec l’appui du ministère de la justice, nous mènerons un combat sans relâche. Nous ne renoncerons jamais à traquer les ennemis de la République, qui attaquent par la terreur notre identité, notre mode de vie et nos valeurs : la liberté d’expression, la liberté de culte, la liberté de conscience, la laïcité, l’égalité entre les femmes et les hommes.
Respect de l’équilibre initial, recherche du plus large consensus républicain, principe qui a du reste présidé à l’adoption des lois expérimentales, détermination dans la lutte contre le terrorisme : tel est le sens du projet de loi qui vous est soumis et dont l’adoption, je le souhaite, permettra de continuer à faire vivre cet équilibre, pour tenir compte de la période de crise sanitaire, qui ne nous a pas laissés mener à bien une évaluation pleine, entière et sereine. Je sais que cette discussion ne sera pas la dernière.
Compte tenu de ces considérations d’efficacité, mais également pour que le débat démocratique et l’État de droit, qui contribue à nous donner des armes contre les terroristes, soient respectés, et pour que le débat parlementaire, singulièrement ici au Sénat, puisse se dérouler sereinement, je vous propose que nos débats puissent de nouveau avoir lieu l’été prochain.
C’est pourquoi je vous présente aujourd’hui, au nom du Gouvernement, un projet de loi de prorogation, qui nous permettra de débattre ultérieurement de tous les sujets nouveaux qu’a fait naître cette décision que, pour ma part, je considère regrettable, de la Cour de justice de l’Union européenne.
C’est également pour moi l’occasion de remercier les membres de la commission des lois, quelle que soit leur appartenance politique, mais aussi ceux de la délégation parlementaire au renseignement et de la mission d’information commune sur l’évaluation de la loi relative au renseignement, de la qualité du travail mené en commun depuis plusieurs mois avec mes prédécesseurs Gérard Collomb et Christophe Castaner, et avec moi-même.
C’est aussi pour moi l’occasion d’exprimer devant vous le souhait que ce travail en commun, ce travail républicain pour la protection de notre sol, de ses habitants et, ce qui est plus important encore, de la France se poursuive dans les semaines, les mois, voire les années qui viennent. (MM. Alain Richard, Arnaud de Belenet et Philippe Bonnecarrère applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela vient d’être rappelé à juste titre, la France est confrontée depuis maintenant plusieurs années à une menace terroriste élevée, durable, qui s’est malheureusement concrétisée par plusieurs attentats spectaculaires entraînant de très nombreuses victimes blessées, tuées, voire massacrées de manière barbare, comme cela s’est produit au Bataclan.
Le dernier exemple en date est l’attaque perpétrée – vous y avez fait allusion, monsieur le ministre – contre les anciens locaux de Charlie Hebdo, à la suite de laquelle deux personnes ont été blessées.
La menace est multiple, soudaine ou organisée, individuelle ou groupée, bien armée ou non. Grâce à l’efficacité de nos services et aux mesures exceptionnelles qui ont été prises par le Gouvernement, avec l’appui du Parlement, de nombreux attentats ont pu être déjoués. Je veux m’associer, monsieur le ministre, à la gratitude que vous avez exprimée vis-à-vis des services de police, de gendarmerie et, bien sûr, de la DGSI. Je suis moi-même fils d’un policier qui était spécialisé dans le renseignement : je sais la part d’abnégation et de dévouement qu’il faut pour exercer ce type de métier.
Partant de ce constat, ce n’est vraiment pas le moment de baisser la garde. Nous ne pouvons pas nous satisfaire du risque d’une nouvelle attaque terroriste qui plane tous les jours sur la France. Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, en 2018, 30 % des Français estimaient que le terrorisme était le problème le plus important de notre société, classant cette préoccupation en tête de toutes les autres.
Aujourd’hui encore, malgré la période exceptionnelle d’épidémie que nous traversons, cette préoccupation reste prégnante dans notre pays. Le Gouvernement et la représentation nationale doivent donc prendre la mesure de la demande et y répondre. Bien évidemment, nous sommes en phase sur cette question.
Pour faire face à cette menace, au cours des dernières années, nous nous sommes dotés d’un arsenal législatif renforcé en matière pénale comme administrative. Et puisque le Sénat est une assemblée sensible, en premier lieu, aux libertés individuelles, le recours aux outils qui ont été proposés n’a été autorisé, vous le savez bien, qu’à titre expérimental.
L’échéance était fixée depuis longtemps : il en est ainsi des quatre mesures de la loi, dite loi SILT, du 30 octobre 2017. Ces mesures ont fait leurs preuves : grâce aux périmètres de protection qui permettent aux préfets de sécuriser un lieu exposé à une menace terroriste, bien des problèmes ont pu être évités lors des grands événements organisés dans nos communes ou dans les grandes métropoles ; les fermetures de lieux de culte ont connu des résultats significatifs que vous avez rappelés, monsieur le ministre ; les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas, permettent l’assignation d’une personne sur le territoire d’une commune ; enfin, les visites domiciliaires se sont substituées aux perquisitions et, à la suite de l’état d’urgence, les résultats furent également notoires.
Ces quatre mesures temporaires – et c’est bien sur l’initiative de la Haute Assemblée qu’elles ont ce caractère – arrivent à échéance le 31 décembre prochain. Cette échéance était connue depuis longtemps. Vos services – le président de la commission des lois et moi-même les avons rencontrés à plusieurs reprises – et nous-mêmes avons beaucoup travaillé sur le sujet, monsieur le ministre. Nous avons évalué sérieusement la question et avons beaucoup réfléchi à la meilleure manière d’optimiser et de pérenniser lesdites mesures, puisque nous étions d’accord sur l’objectif à atteindre.
À la même date arrivera à son terme l’expérimentation de la technique dite « de l’algorithme », technique de renseignement qui consiste à imposer la mise en œuvre sur les réseaux des opérateurs de communications électroniques de programmes informatiques qui analysent les flux de données, en vue de détecter les connexions susceptibles de révéler une menace terroriste ou du prosélytisme. Cette technique ayant suscité beaucoup de craintes lors de son adoption, elle n’a donc, elle aussi, été autorisée par le législateur qu’à titre expérimental.
Le débat sur la nécessité de pérenniser ou non ces dispositions aurait dû intervenir dans le courant de l’année 2020. Je vous l’ai dit, nous nous y étions préparés. Pour ma part, j’ai remis deux rapports d’évaluation très explicites de ces dispositifs. Vous l’avez indiqué il y a quelques minutes, le Gouvernement a estimé que la crise sanitaire que nous traversons depuis plusieurs mois risquait de bousculer le calendrier parlementaire et d’empêcher la tenue d’un débat serein au Parlement. Objectivement, nous pensons que ce n’est pas le cas, et c’est là une divergence que nous avons avec vous.
L’objet du projet de loi que nous sommes appelés à examiner aujourd’hui est de procéder à une prorogation « sèche » des dispositions que je viens de présenter dans l’attente d’un texte plus ambitieux. Vous aviez initialement prévu une prorogation d’un an jusqu’au 31 décembre 2021. L’Assemblée nationale, qui a examiné le projet de loi à la fin du mois de juillet, a porté cette durée à sept mois, ce qui supposerait que le Parlement se prononce de nouveau avant l’été 2021, avant le 31 juillet 2021 pour être précis.
Lors de la réunion de la commission des lois du 7 octobre, nous avons souscrit au principe du maintien de ces différents outils juridiques. Je sais que cette position ne fait pas l’unanimité sur les travées de cet hémicycle, certains collègues ayant déposé des amendements de suppression. Je pense pourtant qu’il s’agit d’une nécessité pour maintenir un niveau de vigilance renforcée face à une menace de plus en plus difficile à détecter et nous prémunir face aux risques d’attentats terroristes.
Sur le volet relatif au renseignement, nous n’avons pas de divergences avec vous, monsieur le ministre : la commission a adopté sans modification l’article 2 relatif à la prolongation de la technique de l’algorithme. Cette prolongation nous a paru justifiée, moins par le contexte sanitaire et par la conjoncture que par les premiers éléments d’évaluation de l’expérimentation, qui ont été transmis au Parlement à la fin du mois de juin, faisant état de premiers résultats encourageants.
Évidemment, sur ce type de sujet très sensible, il faut trouver le bon équilibre pour préserver les libertés. Ainsi, les trois algorithmes déployés par les services de renseignement auraient permis d’identifier des individus qui leur étaient jusqu’alors inconnus.
Cela étant, le rapport ne met pas le voile sur le fait que la technique de l’algorithme est encore en phase de développement. Comme vous l’avez souligné, une épée de Damoclès pèse sur l’ensemble de ces techniques depuis la décision de la Cour de justice de l’Union européenne. C’est donc plutôt de la sagesse, et une bonne mesure, que de reporter l’examen de ces dispositifs à la discussion d’un texte relatif au renseignement beaucoup plus complet sur lequel, d’ailleurs, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a beaucoup travaillé.
Sur le second volet du projet de loi, la commission des lois n’a en revanche pas suivi la position du Gouvernement et de nos collègues députés. Nous ne nous opposons évidemment pas au maintien des mesures de la loi SILT, mais nous estimons que le report du débat sur leur pérennisation, ainsi que sur les éventuels ajustements à y apporter, n’est pas justifié, d’une part, parce que l’important travail d’évaluation auquel j’ai fait allusion a été réalisé et, d’autre part, parce que le président de la commission des lois, plusieurs collègues de la majorité sénatoriale et moi-même avons déposé une proposition de loi très détaillée, connue depuis longtemps, qui permettait de travailler tranquillement et sereinement avec le Gouvernement.
Nos travaux concluent tous à l’efficacité des quatre outils que j’ai cités dans le dispositif de lutte contre le terrorisme. Après deux années d’auditions et de déplacements, j’ai moi-même dressé un bilan très positif de l’application de ces mesures.
Je souhaite répondre par anticipation à certaines des critiques que la position de la commission des lois, qui a consisté à réécrire l’article 1er du projet de loi en y apportant des modifications, pourrait susciter. Nous ne voulons évidemment pas porter une atteinte disproportionnée aux droits et aux libertés : ce n’est certainement pas la vocation du Sénat.
Le Conseil constitutionnel a d’ores et déjà validé de nombreuses dispositions sur le plan juridique. Notre commission, tout en pérennisant les mesures de la loi SILT, a souhaité proposer quelques évolutions qui sont, somme toute, assez consensuelles pour l’ensemble des acteurs de la lutte contre le terrorisme, afin de les rendre plus efficaces.
Elles sont au nombre de trois : premièrement, nous souhaitons étendre le champ de la mesure de fermeture administrative des lieux de culte aux lieux connexes – on sait bien que, aujourd’hui, le prosélytisme se manifeste dans des lieux comme des librairies, des salles de sport ou des centres de loisirs –, pour éviter le déport des discours radicaux vers d’autres lieux ; deuxièmement, nous voulons renforcer l’information des autorités judiciaires sur les Micas, de manière à assurer une bonne articulation avec les mesures de contrôle judiciaire, par exemple ; enfin, troisièmement, nous désirons élargir les possibilités de saisie informatique dans le cadre d’une visite domiciliaire au cas où l’occupant des lieux ferait obstacle à l’accès aux données présentes sur un support ou un terminal informatique.
Monsieur le ministre, ces modifications, qui ont d’ailleurs fait l’objet d’un large consensus avec vos services (M. le ministre opine.), sont essentielles et répondent à des besoins exprimés clairement pour une meilleure efficacité. Nous pensons donc qu’il ne faut pas reporter leur mise en œuvre et assumer dans les plus brefs délais.
Avant de clore mon propos, je tiens à vous faire part de notre inquiétude persistante. Vous le savez, nous avons mené plusieurs missions sur la gestion des condamnés terroristes sortant de détention. Même s’il ne s’agit pas de l’objet du présent projet de loi, raison pour laquelle je n’ai pas déposé d’amendement à ce sujet, nous avions évoqué cette question dans le cadre de la proposition de loi que j’évoquais précédemment.
Dès le mois de février, nous avons proposé la mise en place de mesures de sûreté : cette proposition a trouvé très rapidement une traduction législative, mais a été censurée par le Conseil constitutionnel au début du mois d’août.
M. le président. Veuillez conclure.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Quand on lit la décision, on constate que le Conseil n’a cependant pas complètement fermé la porte. Dans ces conditions, le dépôt d’un nouveau texte est envisageable. Nous savons tous, monsieur le ministre, qu’il existe un trou dans la raquette en matière de suivi des personnes sortant de prison et condamnées pour terrorisme, et nous espérons que vous allez le combler.
Face au défi du terrorisme, nous nous devons de doter nos services des moyens et d’outils adéquats. Le Sénat a toujours fait preuve de responsabilité dans le strict respect des libertés individuelles : c’est cet esprit qui doit nous conduire à approuver le texte tel que la commission des lois l’a amendé. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Richard applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, j’invite chacun à respecter son temps de parole.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Christian Cambon, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a souhaité se saisir pour avis de ce projet de loi en raison de son article 2, qui proroge l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure relatif à la technique de renseignement dite « de l’algorithme ».
À travers mon intervention, je défends aussi la position de la délégation parlementaire au renseignement, la DPR, que j’ai eu l’honneur de présider l’an passé.
Nous sommes plusieurs dans cette enceinte à nous souvenir des débats nourris que nous avions eus, ici même, en 2015 lors de l’adoption de ce dispositif expérimental. Certains collègues souhaitent rouvrir ce débat aujourd’hui. Tel n’est pourtant pas le calendrier prévu.
Certes, dans une démocratie, il faut toujours garder le cap d’un équilibre entre l’efficacité de la lutte contre le terrorisme et la préservation des libertés publiques, mais, en l’espèce, le projet de loi que nous examinons ce jour ne pose aucune question nouvelle en matière de libertés publiques, comme l’a très bien exposé le rapporteur au fond, Marc-Philippe Daubresse.
Je voudrais brièvement rappeler les limites que le législateur a fixées en 2015 à cette technique, et les garanties qui en découlent.
Citons les principales. Premièrement, l’utilisation des algorithmes doit avoir un objet très ciblé, puisqu’il ne s’agit que de la lutte contre le terrorisme. Deuxièmement, un dispositif tout entier soumis au contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la fameuse CNCTR, doit être mis en œuvre. Je rappelle l’importance du Parlement dans ce dispositif, puisque quatre des neuf membres de cette commission sont des parlementaires, et veux rendre hommage à notre ancien collègue Michel Boutant qui a réalisé un travail absolument extraordinaire en son sein. Troisièmement, l’algorithme ne traite que des données de connexion, et non les données de contenu. Du reste, nous avons abordé ce point dans le rapport de la DPR que je viens de remettre au Président de la République. Quatrièmement, ce dispositif produit des résultats anonymisés. Pour lever l’anonymat, les services de renseignement, en l’occurrence la DGSI ou la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), doivent faire une demande spécifique au Premier ministre, qui statue après avis de la CNCTR.
Naturellement, on peut comprendre que la nouveauté du dispositif ait suscité des craintes en 2015. On voit que la réalité est en fait beaucoup plus modeste. À vrai dire, l’enjeu opérationnel des trois algorithmes qui existent aujourd’hui est précisément de restreindre les résultats aux seuls éléments pertinents et utilisables. On est donc loin du contrôle de masse indiscriminé évoqué à l’époque.
Il me semble, enfin, que, lorsque nous légiférons sur ces questions, il nous faut garder à l’esprit le caractère encore récent de cette technique. De ce point de vue, l’essentiel du débat se situe au niveau non plus de l’analyse du dispositif actuel, mais plutôt de la question de sa pérennisation, et surtout de ses éventuels développements futurs. C’est sur ce dernier point que nous aurons sans doute d’importants débats de fond lorsque le projet de loi relatif au renseignement reviendra devant nous, dans quelques mois je l’espère, comme le Gouvernement s’y est engagé.
Dans ces conditions, la prorogation de l’autorisation d’un recours aux algorithmes n’appelle de notre part aucune appréciation contraire. Aussi, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a émis un avis favorable sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de ce projet de loi ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par le règlement.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Mes chers collègues, nous revenons aujourd’hui sur la législation relative à la lutte contre le terrorisme.
Je n’ai rien à ajouter aux propos du ministre puis du rapporteur en ce qui concerne le poids de la menace et la nécessité de garder à l’esprit tous les points de vigilance que nous avons développés depuis cinq ans.
Alors que nous avons légiféré à bien des reprises depuis cinq ans en matière de lutte contre le terrorisme, nous débattons aujourd’hui d’une mise à jour de portée limitée.
Nous sommes en effet d’accord sur le contenu des quatre prérogatives spécifiques, qui ont été instaurées en 2017 à l’issue de l’état d’urgence, c’est-à-dire les visites domiciliaires, les mesures individuelles de contrôle administratif, les périmètres de protection et les fermetures de lieux de culte. Le projet de loi prévoit aussi la prorogation de l’utilisation, dans les conditions limitées que vient de décrire le président Christian Cambon, des algorithmes de tri de données permettant le repérage des menées terroristes.
Le Gouvernement nous propose de proroger l’application de ces mesures pour une durée d’un an, dans la perspective de textes de loi qui viendront les préciser ou les encadrer, et pour tenir compte du fait que la crise sanitaire a allongé le délai nécessaire à leur préparation.
Il existe une divergence entre la position de la commission et celle du Gouvernement, mais il me semble que celle-ci est surmontable.
En effet, nous souhaitons tous que soient introduites ultérieurement dans le code de la sécurité intérieure des adaptations procédurales aux quatre mesures dont j’ai parlé, notamment pour préciser – ce n’est pas si facile – la notion de lieu de culte, car les lieux dans lesquels se déroulent les activités qu’il convient de contrôler sont parfois complexes et multiples, mais également les conditions d’intervention du juge des libertés et de la détention en termes de délais et de facilité d’approche, parce que nous rencontrons des obstacles pratiques sur certaines parties du territoire.
Nous devons procéder à ces adaptations, mais nous devons également approfondir très sérieusement notre réflexion sur les critères et le cadre de fonctionnement des algorithmes de recherche de données.
Il faut bien le dire – M. le ministre y a fait allusion –, la préparation de ces mesures, disons, de « confortement » des algorithmes est rendue plus difficile par les récentes décisions de justice, qui confirment d’ailleurs une jurisprudence antérieure de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette dernière, pour des motifs qui tiennent beaucoup plus à la protection du consommateur de services informatiques qu’à des préoccupations de sécurité publique et de nature régalienne, affirme que l’on ne peut pas imposer aux opérateurs eux-mêmes de conserver des données pour une durée indéterminée sur instruction des autorités de sécurité publique.
Le Conseil d’État aura bientôt à tirer les conséquences de cet arrêt sur la législation française dans les affaires dont il est saisi. Nous verrons que la position de la CJUE ne prive pas entièrement l’État de ses facultés d’intervention : il reste possible d’exploiter ces algorithmes, même en respectant la décision de la Cour de justice.
Le rapporteur Daubresse le soulignait : nous ne pouvons pas non plus rester sur l’échec collectif – il faut bien le dire, nous étions à peu près tous d’accord – qu’a représenté la censure par le Conseil constitutionnel de la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté, alors que cette décision nous laisse la possibilité, là encore, de prévoir des mesures de sûreté, certes plus restreintes et plus limitées dans le temps, mais qui permettraient d’encadrer les mouvements des personnes sortant de détention après avoir été condamnées pour terrorisme.
Le groupe que je représente soutient plutôt la position du Gouvernement, c’est-à-dire une simple prorogation des mesures actuelles, puis l’examen d’un texte modificatif au cours la première moitié de l’année 2021, de sorte que la législation soit vraiment stabilisée. Toutefois, la position de la commission est proche.
J’ai eu le privilège de participer à toutes les discussions en matière de législation antiterroriste depuis 2015 : il y a toujours eu un accord entre le Gouvernement, la majorité sénatoriale et les autres groupes du Sénat. Il me semble que la concertation et le débat, qui se poursuivront lors de la réunion de la commission mixte paritaire, devraient nous permettre d’aboutir de nouveau à un texte opérationnel et respectueux des libertés. (M. Bernard Buis applaudit.)
M. le président. Je rappelle que, en application d’une décision de la conférence des présidents, le port du masque est obligatoire y compris pour les orateurs. Certes, ce n’est pas extrêmement confortable ni agréable, mais chacun doit respecter cette décision.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi soumis à la Haute Assemblée vise à proroger jusqu’au 31 juillet 2021 deux dispositions d’exception en matière de lutte contre le terrorisme, la seconde ayant valeur d’expérimentation. Le troisième article du texte prévoit les conditions d’application de ces mesures dans le département de Mayotte.
Nous comprenons la nécessité absolue de sécuriser juridiquement des mesures qui pourraient intervenir au-delà du 31 décembre 2020. Pour autant, nous tenons à préciser que, dans notre esprit, cette prorogation ne vaut pas blanc-seing. Le Parlement doit pleinement exercer sa mission constitutionnelle de contrôle du Gouvernement, a fortiori dans un domaine où le respect des droits et des libertés est mis en balance avec l’impératif de protection de nos concitoyens.
Ainsi, comme l’indiquait à juste titre le Défenseur des droits en 2017 dans son avis sur le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, l’enjeu est de taille. Il s’agit bien de maintenir « l’équilibre qui fonde le droit pénal entre exigences de sécurité et protection des droits et libertés, et, d’autre part, l’équilibre entre rôle de l’autorité administrative et celui de l’autorité judiciaire. »
Si nous entendons l’argument de la crise sanitaire qui contraint le calendrier parlementaire, les conditions d’exercice de nos libertés fondamentales valent bien, à notre sens, un débat approfondi. Nous en avons encore eu la preuve hier lorsque nous avons discuté des mesures de sortie de l’état d’urgence sanitaire. Nous ne pensons pas que la succession de textes d’exception doive devenir une habitude. Au contraire, il faut, je le crois, viser une certaine stabilité de notre législation en matière de sécurité intérieure et de renseignement, sans rien céder pour autant à l’angélisme et aux bons sentiments.
La commission des lois, suivant son rapporteur, a pérennisé des dispositions d’exception, comme la possible fermeture administrative de lieux de culte. Elle a aussi élargi les conditions de saisie informatique à domicile en cas de refus d’accès aux données, tout en renforçant l’information des autorités judiciaires sur les mesures individuelles de contrôle. Là encore, nous aurons bien sûr besoin d’évaluations ultérieures pour mesurer pleinement l’efficacité et les effets de ces dispositions, dont nous comprenons qu’elles sont indispensables à nos services de police et de renseignement.
Mon groupe émet cependant quelques réserves sur l’expérimentation en cours de la technique des algorithmes et a fortiori sur sa prorogation. Nous prenons bien entendu acte de l’avis favorable de nos collègues de la commission des affaires étrangères.
Rappelons toutefois que ces techniques de surveillance, qui font appel à l’utilisation de l’intelligence artificielle, évoluent depuis cinq ans dans un environnement très mouvant sur le plan technologique et dans lequel, de surcroît, notre souveraineté a du mal à se faire valoir. Trois algorithmes différents sont actuellement en vigueur. Le champ d’expérimentation n’est pas le même qu’il y a trois ans et ne sera pas le même dans six mois.
En conclusion, nous plaidons pour un renforcement du contrôle parlementaire. La commission des lois pourrait sans doute se saisir utilement d’une réflexion prospective, et ce dans la perspective de l’examen du projet de loi relatif au renseignement de 2021.
Mes chers collègues, par raison – à savoir notre attachement à l’ordre républicain et à la sécurité de nos concitoyens – plus que par conviction, le groupe RDSE soutiendra et votera ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi s’inscrit, comme d’autres, dans la lignée des dispositifs reconduits par le Gouvernement pour cause d’épidémie de la covid-19.
Son article 1er proroge, dans la version initiale du texte du Gouvernement, les quatre premiers articles de la loi SILT d’octobre 2017.
Ceux-ci revêtaient un caractère temporaire, avec, pour les dispositions qu’ils instauraient, une échéance fixée au 31 décembre prochain. Prenant prétexte de la crise sanitaire et considérant, de ce fait, que le Parlement ne disposait pas du temps nécessaire pour débattre des conditions dans lesquelles ces dispositifs doivent être abandonnés, pérennisés ou aménagés, le Gouvernement a souhaité les proroger d’un an.
Alors que les députés ont raccourci ce délai au 31 juillet 2021, le rapporteur de la commission des lois du Sénat a tout simplement modifié le texte pour pérenniser, d’emblée, les mesures en question. Or aucune évaluation n’en a été faite et leur application suscite au contraire de nombreuses dénonciations.
Ainsi, comme l’indique dans l’une de ses motions le Conseil national des barreaux, « les dispositifs mis en place par la loi dite “SILT”, très intrusifs, qui s’apparentent à des assignations à résidence et des perquisitions contrôlées par l’administration, contournent la procédure judiciaire et les droits de la défense ». Et d’ajouter : « ces dispositifs ont des conséquences très lourdes pour les personnes visées ».
En effet, la loi SILT a transformé les assignations à résidence en « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance » et les perquisitions en « visites et saisies ». Mais il s’agit bien des mêmes mesures liberticides que celles de l’état d’urgence, contournant la justice pénale ordinaire et les protections qui lui sont associées, mesures, dans leur très grande majorité, fondées sur des informations confidentielles, difficiles à contester et qui ouvrent donc la voie à des discriminations.
L’état d’urgence n’a malheureusement pas prouvé son utilité pour prévenir les actes de terrorisme et il a été la source de dérives inacceptables, comme les assignations à résidence détournées de leurs objectifs initiaux en étant, par exemple, utilisées à l’encontre de militants écologistes.
La loi SILT n’est pas plus utile, malgré ce que veut nous faire croire le rapport rendu chaque année par les services du ministère de l’intérieur, ou encore celui que vous avez produit en début d’année, monsieur Daubresse, et sur lequel vous vous appuyez pour pérenniser ces articles. En quoi votre rapport nous prouve-t-il que ce régime dérogatoire est nécessaire pour notre sécurité ? Le droit pénal et nos services de renseignement, dont les moyens humains doivent être renforcés, sont largement suffisants !
Amnesty International a d’ailleurs déjà démontré que les dispositions de la loi pouvaient mener à des violations du droit au respect à la vie privée et familiale, du droit au travail, de la liberté d’aller et venir et du droit à une procédure équitable, en plus des graves conséquences psychologiques qu’elles pouvaient entraîner.
En outre, en 2018, lors de l’examen périodique universel de la France à l’Assemblée générale des Nations unies, plusieurs États se sont inquiétés du manque de respect des droits humains dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans notre pays et ont insisté sur la nécessité de mettre en place un mécanisme indépendant de suivi.
Quant à l’article 2 du projet de loi, il vise à proroger la disposition expérimentale issue de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement : la technique de recueil de renseignements algorithmique.
Plus que critiquable sur le fond, cette technique apparaît de surcroît inutile, puisque l’analyse en continu des données par les boîtes noires n’aurait permis de détecter qu’une petite dizaine de profils faiblement à risque. La disproportion entre ces résultats et les moyens mis en œuvre pour écouter et observer la société tout entière est, pardonnez-moi, aberrante !
De plus, dans son arrêt du 21 décembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé qu’une réglementation nationale prévoyant, à des fins de lutte contre la criminalité, une telle conservation des données constituait en soi une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux.
Au moment des débats sur la loi SILT, nous dénoncions déjà la banalisation des mesures d’urgence et la fragilisation de l’État de droit et des libertés fondamentales. Aucune évaluation des dispositifs prorogés n’a été faite. En dépit des décisions de censure de certaines dispositions par le Conseil constitutionnel, ni la nécessité, ni la proportionnalité, ni l’efficacité de telles mesures n’ont été démontrées.
Nous restons aujourd’hui convaincus que les vraies réponses à apporter pour lutter contre le terrorisme résident dans les moyens donnés à la justice et aux services de renseignement, plutôt que dans la surenchère en matière législative. Tous les fonctionnaires de terrain en témoignent : les lois ne manquent pas, les moyens oui !
Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, nous voterons définitivement contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon groupe est à l’aise vis-à-vis de ce projet de loi et des conclusions issues du débat devant la commission des lois.
La menace terroriste est toujours là ! Vous avez eu la pertinence, monsieur le ministre, de mettre les choses en perspective : vous avez rappelé les 11 attaques et 20 morts depuis 2017, tout en mettant en balance les 32 attaques qui auraient été déjouées. Nous comprenons donc bien les difficultés et le niveau du péril.
Pour une fois, nous avons pu, sur ce sujet, travailler sinon en anticipation, du moins largement en amont. La loi de 2017, qui prévoyait la durée d’expérimentation, prévoyait également un suivi tout particulier par le Parlement et vous avez rappelé la communication régulière par vos services des éléments relatifs à la mise en œuvre de ces mesures sur l’ensemble du territoire.
Travailler en amont est toujours une bonne méthode. Sous l’égide de notre collègue M. Marc-Philippe Daubresse, une mission de contrôle a pu être mise en place ; elle nous a permis de mesurer la pertinence, ou non, des quatre mesures adoptées – dans le cas précis, la pertinence est clairement avérée.
C’est donc une bonne méthode de travail pour le Parlement, et c’est ce qui nous permet, au moment où vous revenez devant nous pour nous proposer une prorogation de l’expérience, de vous suggérer, plutôt, une pérennisation.
Celle-ci nous paraît souhaitable pour les quatre mesures, qui, par ailleurs, donnent aujourd’hui lieu à une utilisation tout à fait homéopathique. Quand, par exemple, vous avez fait référence à un volume de quelque 330 Micas, monsieur le ministre, il s’agit pour l’essentiel de mesures intervenues dans la foulée de la loi de 2017. Aujourd’hui, l’utilisation est très raisonnable, puisque vous avez mentionné 60 mesures encore en cours.
Nous pensons par conséquent souhaitable pour ces quatre dispositions, correspondant à des besoins de la pratique, très contrôlées sur le plan juridique et ayant reçu l’aval du Conseil constitutionnel, d’en assurer la pérennisation.
Mon groupe n’est pas opposé aux mesures très précises, et qui ont été ajustées, figurant dans les propositions de la mission de contrôle, notamment l’extension de la fermeture aux lieux connexes lorsque l’on a la preuve d’éléments de radicalisation au niveau d’un lieu de culte. Le renforcement de l’information des parquets sur les autorisations prises par les préfets nous paraît plutôt une bonne méthode. Quant à l’élargissement de la possibilité de saisir les moyens informatiques lors des perquisitions, nous savons que c’est un sujet.
Reste donc, en définitive, la question soulevée préalablement, monsieur le ministre, à savoir votre souhait de maintenir une prorogation de cette expérience au 31 décembre 2021 et de ne pas retenir notre proposition d’inscrire les mesures concernées dans le droit commun.
J’aurais tendance à rester sur la logique adoptée par la commission des lois et à défendre, encore, l’idée d’une consolidation du droit.
D’abord, voilà trois ans que l’expérience est menée. En quoi quatre années seraient-elles de nature à changer notre regard sur ces mesures ? Je suis un peu dubitatif… Le délai actuel me paraît convenable.
Par ailleurs, le bilan est robuste. Je ne vois pas très bien, sur l’une ou l’autre de ces mesures, où se situeraient les points de débat.
Enfin, deux motifs de fond conduisent mon groupe à privilégier la pérennisation à la prorogation sèche.
Premièrement, notre préférence pour le recours au droit commun. Nous sommes en général très réticents à des mesures d’exception. La loi de 2017 avait fait l’objet d’amples débats ; dès lors que nous disposons aujourd’hui d’éléments stabilisés, nous préférons voir ces mesures fixées dans le droit commun plutôt que traitées de manière dérogatoire.
Deuxièmement, la sérénité du débat public, que vous-même, monsieur le ministre, appelez de vos vœux. Nous partageons, bien sûr, cet objectif. Nous nous permettons simplement d’observer qu’une prorogation au 31 décembre 2021 impliquerait la tenue du débat à l’automne prochain. Or une élection majeure dans notre pays sera alors dans tous les esprits. Pour le coup, nous pourrions craindre un manque de sérénité et une possible instrumentalisation du sujet.
S’agissant des algorithmes, nous avons en revanche suivi votre proposition de nouveau délai, car un travail d’évaluation reste à faire.
J’ai pris la peine de lire le rapport dit d’évaluation au 30 juin 2020, très récent, mais antérieur à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne. Il s’agit d’un document extrêmement technique, expliquant comment ont été sélectionnés les trois algorithmes et exprimant un certain nombre de demandes, notamment sur les données IP et URL.
Il est clair que, sur ces sujets, les choses ne sont pas du tout stabilisées juridiquement et que les conséquences de l’arrêt de la CJUE, notamment au regard des demandes d’extension des données émanant de vos services – c’était bien le sens des demandes formulées dans le rapport d’évaluation… – exigent une poursuite des travaux. À l’évidence, ces dispositions trouveront assez aisément leur place dans le texte relatif au renseignement auquel le président Christian Cambon faisait référence.
S’agissant des libertés publiques, mon groupe y est, bien sûr, extrêmement attaché. Mais nous avons tout de même le sentiment qu’en matière de terrorisme tout est maintenant bordé : il s’agit – heureusement – d’un segment tout à fait particulier, et non d’atteintes générales auxdites libertés.
Autant, donc, nous sommes extrêmement attentifs à la problématique des libertés publiques, autant, sur ce point-là, nous n’avons pas le sentiment que le texte soit critiquable.
C’est la raison pour laquelle j’ai indiqué, en préambule, que mon groupe était à l’aise sur ces sujets. S’il restait pour le ministère de l’intérieur, ou pour le Gouvernement au sens large, des points de discussion, comme l’a suggéré Alain Richard, il me semble que les jours dont nous disposons avant la réunion de la commission mixte paritaire permettront de lever les dernières difficultés et de pouvoir, ainsi, nous orienter directement vers une pérennisation, dans les conditions de sérénité que vous avez appelées de vos vœux.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Yves Leconte. Que ce soit 2015 ou 2016, nous avons tous vécu, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces années dans la douleur, dans la colère aussi, tant le terrorisme nous a frappés dans nos cœurs et dans nos chairs. Ce n’était pas les premiers attentats que nous avions à connaître et la France, cette année-là, ne fut pas la seule touchée. Mais nous fûmes, toutes et tous, stupéfaits par cette violence et par cette haine.
Au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous sommes fiers de l’action que menèrent, alors, François Hollande et Bernard Cazeneuve. Jamais ils n’ont dévié d’une ligne de fermeté républicaine dans le cadre de l’État de droit. Car la victoire du terrorisme, mes chers collègues, serait que nous changions, que nous ne chérissions plus notre liberté par peur pour notre sécurité, que nous renoncions à « être Charlie », que nous renoncions à être nous-mêmes.
Au nom de mon groupe, je souhaite d’abord rendre hommage à celles et ceux qui se sont engagés et qui s’engagent dans cette lutte contre le terrorisme, dans les services de police et de renseignement, dans nos armées hors de nos frontières, mais également au sein de notre justice, celle-ci constituant, dans un État de droit, un axe fondamental de cette lutte.
En 2014, nous avons créé de nouvelles infractions, qui permettaient de judiciariser de manière plus précoce des actes susceptibles d’amener à la violence, tout en assurant dans les meilleurs délais un contrôle réel, par le juge judiciaire, des atteintes aux libertés que cela pouvait entraîner.
En 2015, avec la loi relative au renseignement et la création de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, nous avons encadré les actions des services de renseignement, en leur donnant des moyens et en adoptant la possibilité de faire des expérimentations par algorithme des données de connexion.
En 2016, enfin, une proposition d’introduction de l’état d’urgence dans la Constitution aurait pu permettre d’inscrire dans une loi organique les dispositions dont celui-ci permettait la mise en œuvre. Mal introduite, cette proposition n’a malheureusement pas prospéré, et c’est un regret que nous avons encore aujourd’hui, au vu de la situation.
Les mesures de la loi SILT ont été adoptées en 2017, au sortir de l’état d’urgence. En fait, nous avons procédé à une inscription dans le droit commun et à un changement de nom : nous avons remplacé « perquisitions » par « visites domiciliaires » et « assignations à résidence » par « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance », les Micas. Nous avons en outre mis en place des possibilités administratives de fermeture de lieux de culte et des périmètres de protection.
Compte tenu de la nature de ces mesures administratives, c’est le Sénat, sur l’initiative du président de la commission des lois de l’époque, Philippe Bas, qui a émis le souhait d’une application expérimentale pour trois ans, et le Conseil constitutionnel s’est prononcé dans ce cadre de mesures strictement contrôlées par le Parlement et provisoires.
Par le présent projet de loi, tel qu’il nous parvient de l’Assemblée nationale, il nous est proposé de proroger ces mesures de sept mois, tout comme l’expérimentation d’algorithmes, qui, après avoir été autorisée, en 2015, jusqu’en 2018, a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2020, sous le contrôle de la CNCTR.
Les mesures de la loi SILT et les mesures concernant les algorithmes s’éteignent effectivement au 31 décembre 2020 et, faute d’avoir pu débattre cette année d’un texte législatif plus large, compte tenu des circonstances sanitaires, mais aussi de la nouveauté créée par la décision de la Cour de justice de l’Union européenne sur la conservation des données de connexion, il aurait pu sembler raisonnable d’en rester à la proposition du Gouvernement.
En effet, monsieur le rapporteur, on trouve tout de même, dans le texte issu des travaux de la commission des lois, deux contradictions.
D’une part, alors que le Sénat, voilà trois ans, a demandé un renforcement des outils de contrôle parlementaire et imaginé un dispositif s’éteignant au bout de trois ans, eu égard à la menace que pouvait représenter l’usage de telles mesures administratives, c’est en son sein, aujourd’hui, que l’on propose de pérenniser ces mêmes mesures, et ce sans conserver à l’identique les outils de contrôle parlementaire.
D’autre part, monsieur le rapporteur, vous acceptez de changer la première partie du texte pour aller vers une pérennisation, mais, dès lors que l’on vous fait des propositions de simplification de la saisine de la CNCTR ou de conservation des données entre la voix et l’image, vous n’en voulez pas dans la deuxième partie. C’est un peu paradoxal !
Sur la question, déjà évoquée, des personnes sortant de prison, les mesures que nous envisageons d’adopter, les Micas, sont plus fortes que celles qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel, après avoir été votées, dans cette enceinte et à l’Assemblée nationale, pendant l’été.
Dans ce contexte, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain défendra la suppression de l’article 1er, au motif que la commission des lois nous propose une inscription définitive dans la loi, sans conserver les mêmes outils de contrôle parlementaire.
Nous proposerons, par amendement, de préciser certaines mesures portant sur les périmètres de protection et de renforcer les exigences relatives aux motivations de mise en œuvre d’une visite domiciliaire.
Enfin, nous refuserons la suppression des mesures permettant un contrôle parlementaire effectif.
S’agissant de la deuxième partie du texte, nous proposerons d’autoriser la CNCTR à accéder aux fichiers de souveraineté dans le cadre de sa mission de contrôle et de simplifier des dispositions relatives à la conservation des données et aux décisions de la CNCTR, propositions qui sont inspirées des récents rapports d’activité de cette Commission.
L’article 2, même non modifié par nos propositions, ne nous poserait en définitive pas trop de problèmes – c’est la suite logique de la loi relative au renseignement – et nous pourrions être prêts à accepter une pérennisation des mesures évoquées à l’article 1er, qui sont et restent néanmoins exorbitantes du droit commun tant elles constituent des mesures administratives susceptibles de porter atteinte aux libertés, si nous avions toutes les garanties d’une mise en œuvre correcte et d’un contrôle parlementaire très pointilleux. Mais il est probable, malheureusement, que nos propositions ne soient pas retenues…
Ainsi, sauf bonne surprise – c’est toujours possible dans un débat parlementaire –, il est également probable que mon groupe soit contraint de voter contre ce texte, à l’issue de nos débats. Mais… espérons une bonne nouvelle ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le niveau de la menace à laquelle la France a été confrontée, en particulier depuis 2015, n’a malheureusement pas faibli. Oui, le risque terroriste est toujours là ! Oui, le danger islamiste est toujours présent !
Le terrorisme islamiste est susceptible de frapper n’importe quand et n’importe où sur notre sol. Le virus n’a pas amoindri la menace, laquelle demeure élevée. La plus grande vigilance reste donc de mise.
Bien au contraire, nous constatons les avancées des islamistes dans nos quartiers, des attentats terroristes à bas bruit. On n’en parle presque plus, mais ils rappellent que la menace reste présente partout.
En témoigne l’acte de l’assaillant terroriste devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, voilà quelques jours. Cette attaque était la quatrième perpétrée sur le sol français depuis le début de l’année. Cette menace va se renforcer encore avec des sorties de prison inquiétantes : d’ici à la fin de l’année, 45 détenus condamnés pour terrorisme seront libérés. Au total, on compte encore 5 050 individus condamnés pour terrorisme dans les geôles françaises.
Plusieurs dispositions du code de la sécurité intérieure introduites au cours des dernières années pour renforcer l’arsenal de lutte contre le terrorisme ont reçu, compte tenu de leur sensibilité au regard des libertés publiques et individuelles, un caractère temporaire et arriveront à échéance, sauf intervention du législateur, le 31 décembre prochain.
Sont tout d’abord concernées quatre dispositions de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, à savoir les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les visites domiciliaires et saisies, telles que les perquisitions administratives.
Est également visée la technique de l’algorithme, consistant à imposer la mise en œuvre sur les équipements d’opérateurs de communications électroniques et de fournisseurs de services d’accès à internet de programmes informatiques analysant les flux de données, en vue de détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste.
Au regard des craintes qu’elle a suscitées à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif au renseignement au Parlement, cette technique a été strictement encadrée par le législateur et n’a été autorisée qu’à titre expérimental. Initialement fixée au 31 décembre 2018, l’échéance de cette expérimentation a été repoussée de deux ans, en raison des difficultés techniques rencontrées par les services de renseignement pour définir l’architecture et le paramétrage du dispositif. Sauf prorogation ou pérennisation par le législateur, cette mesure prendra donc fin le 31 décembre prochain.
La menace terroriste étant toujours prégnante, l’État a besoin de ces outils pour assurer la sécurité des Français.
L’objet de ce projet de loi, composé de trois articles, est simple : prolonger d’une année la durée de validité de ces différentes dispositions expérimentales, qui prennent fin simultanément le 31 décembre prochain.
Les articles 1er et 2 procèdent, respectivement, à la prorogation des dispositions de la loi SILT et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure relatif à l’algorithme. L’article 3, quant à lui, vise à rendre cette prorogation applicable dans certaines collectivités d’outre-mer.
Initialement fixée à un an, la durée de ces prorogations a été ramenée à sept mois par l’Assemblée nationale, afin de ne pas retarder excessivement la tenue d’un débat de fond sur les mesures concernées.
Je me réjouis que la commission des lois du Sénat ait souhaité pérenniser, sous réserve de certains ajustements destinés à en renforcer l’opérationnalité, plutôt que prolonger les dispositions de la loi SILT, déjà évaluées et à l’efficacité prouvée.
Je me félicite également que la commission ait accepté la prorogation simple de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, proposée par le Gouvernement, jugeant qu’il était préférable de reporter le débat sur l’algorithme à une discussion plus large sur la loi relative au renseignement.
Avant de conclure, je souhaite rendre hommage aux services de renseignement – cela a déjà été fait –, aux policiers, aux gendarmes, qui font chaque jour un travail exceptionnel pour identifier les menaces, suivre les individus dangereux et faire échouer leurs projets meurtriers.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour toutes ces raisons, mon groupe votera ce texte dans la version issue des travaux de la commission.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la tâche qui est aujourd’hui la nôtre est loin d’être aisée, puisqu’il nous est demandé de trouver un précaire équilibre entre la liberté et la sécurité de nos citoyens.
Malheureusement, derrière l’objectif affiché de donner à ceux-ci un cadre de vie serein et apaisé, à l’abri de toute menace terroriste, ce projet de loi ne parvient pas suffisamment à concilier ces deux enjeux essentiels à l’existence d’une société libre et éclairée.
En 2017, la loi SILT avait incorporé dans le droit commun des mesures de l’état d’urgence. Pour la première fois, des dispositions d’exception avaient revêtu un caractère général, banalisant au sein de notre législation des mesures de police administrative qui sont loin d’être anodines.
Le législateur d’alors ne s’y était pas trompé. Il avait donné à ces mesures un caractère temporaire et avait souhaité limiter leur durée d’application au 31 décembre 2020.
Cette échéance arrivant à son terme, l’exécutif s’est tout naturellement saisi de cette question. Mais, alors qu’un débat sérieux aurait dû être mené sur l’abrogation ou la pérennisation de ces mesures, le Gouvernement a préféré prolonger l’expérimentation conduite depuis 2017, estimant que la crise sanitaire pourrait être de nature à biaiser les discussions parlementaires.
Ainsi était-il proposé, à l’article 1er, de proroger de sept mois des dispositions de la loi SILT conférant à la police administrative des pouvoirs trop importants : pouvoirs, notamment, de définir des périmètres de protection, de déclarer la fermeture temporaire de lieux de culte, d’ordonner des mesures individuelles de contrôle et de surveillance, de réaliser des visites domiciliaires. Le projet de loi prévoit également, en son article 2, une prorogation similaire pour les algorithmes votés en 2015 et prolongés en 2017. Ceux-ci permettent notamment de détecter les menaces terroristes via les réseaux internet et de téléphonie mobile.
Il est à déplorer que les travaux conduits en commission des lois n’aient pas été de nature à améliorer ce texte, M. le rapporteur ayant jugé utile de faire voter un amendement qui vise à pérenniser les mesures prévues à l’article 1er.
Il va sans dire que nous ne pouvons pas considérer positivement cette modification, tant elle fait la part belle au soupçon, à l’arbitraire, aux dérives, à la stigmatisation par l’administration, au détriment de tout contrôle du juge judiciaire.
La question de l’efficacité des algorithmes doit également être posée. Entre 2017 et 2018, ceux-ci ont permis d’identifier moins de dix personnes à risque, et aucune d’elles ne présentait un danger immédiat ou sérieux pour la sécurité nationale. Sans une amélioration drastique de ces dispositifs numériques que vous qualifiez vous-même, monsieur le rapporteur, de « trop peu sophistiqués », et à défaut de résultats plus probants, il n’est pour l’heure pas pertinent de continuer à investir dans ces moyens d’espionnage informatique, ne serait-ce que temporairement, jusqu’au 31 juillet 2021.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, personne dans cette enceinte ne nie la menace terroriste qui plane et pèse sur notre nation. Il est évident que nous devons doter massivement nos services de renseignement de moyens humains, techniques et financiers.
En ce sens, tout doit être fait pour préserver la sécurité de nos concitoyens, mais non à tout prix. Je crains, hélas, qu’en l’état l’exécutif ne fasse fausse route.
Sans débat démocratique réel, sans bilans sérieux de ces mesures, celles-ci ne sauraient être prorogées ni pérennisées. Pour ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le rappelait le garde des sceaux, ministre de la justice, au mois de juillet dernier, à l’occasion de nos débats sur la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, dont j’étais rapporteure, les chiffres sont connus et ils sont inquiétants : 260 personnes sont actuellement détenues après une condamnation pour une infraction terroriste en lien avec la mouvance islamiste. Outre ces détenus condamnés, 252 personnes sont en détention provisoire après mise en examen pour des faits de terrorisme. Elles seront jugées dans les mois ou années à venir : 49 procès devraient se dérouler d’ici à 2021.
Parmi les condamnés – n’oublions pas ces chiffres –, 31 seront libérés en 2020, 62 en 2021, 50 en 2022, après avoir exécuté leur peine.
J’aimerais attirer votre attention sur ce point, mes chers collègues : nous faisons face à un phénomène qui était jusqu’à présent inconnu, et dont il est encore très difficile de prendre la pleine mesure.
Pourquoi, alors, tarder encore, comme le suggère le Gouvernement, en se bornant à proroger des dispositions dont notre mission sénatoriale de contrôle et de suivi de la mise en œuvre de la loi SILT a dit toute la pertinence et l’efficacité en février dernier ?
Pourquoi attendre un nouveau projet de loi, alors que le texte que nous examinons aujourd’hui tient déjà compte des « évolutions induites par les besoins opérationnels », pour reprendre les termes employés en conseil des ministres le 17 juin 2020 ?
Notre rapporteur l’a préconisé, et nous l’avons suivi en commission : les quatre dispositions de la loi SILT doivent être pérennisées, et non seulement prolongées !
Bien sûr, il existe un point d’équilibre entre sécurité et liberté, vers lequel nous devons tendre en permanence.
Mais ne détournons pas le regard : notre obligation première est celle d’assurer la sécurité des Français. Si nous ne nous donnons pas les moyens de protéger nos concitoyens, nous aurons en effet beau jeu de leur dire que nous faisons tout notre possible pour garantir leur liberté.
L’une des dernières études du Centre d’analyse du terrorisme communiquée au Sénat atteste une fois de plus la gravité de cette question. Elle révèle en effet que le taux de récidive des djihadistes se situe, selon les situations, au-delà de 50 % : il est souvent probable qu’un islamiste engagé dans une action violente se maintienne dans cette mouvance et récidive.
Mes chers collègues, nous avons pris du retard. La lourde censure par le Conseil constitutionnel de la loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, que nous déplorons – nous avions pourtant apporté à ce texte un certain nombre de garanties –, nous oblige aujourd’hui à faire preuve de pragmatisme.
« Pragmatisme » : j’emploie ce mot à juste titre. Sur d’autres travées, certains nous reprochent parfois de poursuivre une quête illusoire de sécurité absolue, au détriment d’autres libertés. Il n’en est rien. En effet, mes chers collègues, sans sécurité, l’exercice de nos libertés fondamentales est-il possible ?
Aussi est-il urgent que nous dotions notre arsenal législatif de suivi des auteurs d’actes terroristes de toutes les mesures qui ont d’ores et déjà démontré leur caractère opérationnel.
Pour conclure, je tiens à remercier notre rapporteur, cher Marc-Philippe Daubresse, de la qualité de son travail.
Pour l’ensemble des raisons que j’ai évoquées, le groupe Les Républicains votera ce projet de loi tel qu’amendé par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à la prorogation des chapitres vi à x du titre ii du livre ii et de l’article l. 851-3 du code de la sécurité intérieure
Article 1er
I. – Le chapitre X du titre II du livre II du code de la sécurité intérieure est abrogé.
II. – Le II de l’article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme est abrogé.
III. – À la première phrase du quatrième alinéa de l’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, après le mot : « responsabilité », sont insérés les mots : « et le contrôle effectif ».
IV. – Au premier alinéa de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, après le mot : « culte », sont insérés les mots : « ainsi que des lieux gérés, exploités ou financés, directement ou indirectement, par une personne physique ou morale gestionnaire d’un lieu de culte qui accueillent habituellement des réunions publiques, ».
V. – L’article L. 228-6 du code de la sécurité intérieure est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les décisions du ministre de l’intérieur mentionnées au premier alinéa sont précédées d’une information du procureur de la République antiterroriste et du procureur de la République territorialement compétent, qui sont destinataires des éléments permettant de la motiver. Elles sont communiquées, ainsi que les décisions de renouvellement prises sur le fondement du cinquième alinéa, au procureur de la République antiterroriste et au procureur de la République territorialement compétent. »
VI. – Après le I de l’article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un I bis ainsi rédigé :
« I bis. – Lorsque les personnes mentionnées au troisième alinéa de l’article L. 229-2 font obstacle à l’accès aux données présentes sur un support informatique ou sur un équipement terminal présent sur les lieux de la visite, à leur lecture ou à leur saisie, mention est faite au procès-verbal mentionné au même article L. 229-2.
« Il peut alors être procédé à la saisie de ces données, dans les conditions prévues au I du présent article. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 1 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 3 rectifié est présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 5 est présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 1.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement vise à supprimer l’article 1er. J’ai développé, lors de la discussion générale, les raisons qui motivent cette suppression. Il est donc défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié.
Mme Esther Benbassa. Par la loi SILT de 2017, le législateur a introduit dans le droit commun des mesures administratives liées à l’état d’urgence. Parmi elles, quatre relevaient d’un régime temporaire : la définition des périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et les visites domiciliaires.
Ces mesures arrivant à échéance le 31 décembre 2020, un débat parlementaire aurait normalement dû se tenir, afin d’évaluer leur pertinence et leur proportionnalité. Faisant fi des principes démocratiques de base et du devoir d’information du Parlement, le Gouvernement a décidé de proroger ces dispositions sans véritable évaluation de fond.
La droite sénatoriale est allée encore plus loin, puisqu’elle a décidé, en commission, de pérenniser ces mesures, les incorporant définitivement dans le droit commun.
Mes chers collègues, nous ne pouvons nous satisfaire d’une telle décision. Les dispositifs introduits dans notre droit par la loi SILT donnent à l’administration des pouvoirs exorbitants, qui bafouent les droits de la défense et contournent le contrôle du juge judiciaire.
La sécurité de nos concitoyens est primordiale, mais la lutte contre le terrorisme ne saurait être assurée par le biais de procédés administratifs arbitraires et attentatoires aux libertés publiques individuelles.
Ainsi est-il demandé, via le présent amendement, que soit supprimé l’article 1er du présent projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 5.
M. Jean-Yves Leconte. Comme indiqué au cours de la discussion générale, nous refusons la pérennisation de ces mesures exceptionnelles qui ont été votées pour trois ans, cette échéance ayant été adoptée sur l’initiative de notre assemblée. Même si le Conseil constitutionnel a validé ces mesures dans un cadre provisoire, nous considérons qu’il nous appartient de déterminer le bon équilibre entre les outils qui assurent notre sécurité et les garanties de notre liberté. Cet équilibre passe par un contrôle parlementaire exigeant de ces mesures, c’est-à-dire par des débats parlementaires successifs mettant en question leur efficacité et leur utilité.
C’est la raison pour laquelle nous refusons cette pérennisation ; c’est précisément parce que ces mesures se trouvent pérennisées à l’issue des travaux de la commission des lois que nous proposons la suppression de l’article 1er.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La commission émet, sans surprise, un avis défavorable sur ces amendements, dont les auteurs s’opposent non seulement à la pérennisation, mais aussi à toute prolongation des mesures dont il est question.
Je l’ai dit et répété : nous avons exercé une mission permanente de contrôle, via de multiples auditions, réitérées au gré de l’évolution de la situation du terrorisme, ainsi que des déplacements en province, à Paris, dans les lieux à risques comme les gares, à l’étranger. Dire que la mise en œuvre de ces mesures n’a été assortie d’aucune évaluation est donc tout à fait erroné.
Par ailleurs, après deux ans de pratique, à en croire tous les acteurs que nous avons entendus, judiciaires comme administratifs, un vrai consensus se dessine, du côté aussi bien de l’autorité administrative que de l’autorité judiciaire, pour que ces mesures puissent perdurer.
Enfin – je l’ai dit –, le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité à la Constitution de ces mesures. Il n’y a par conséquent pas lieu de s’inquiéter quant à la sécurité juridique de leur pérennisation.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1, 3 rectifié et 5.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 13, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Au II de l’article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, l’année : « 2020 » est remplacée par l’année : « 2021 ».
La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai défendu cet amendement, monsieur le président, à l’occasion de mon discours introductif. Je ne m’y attarderai donc pas, si ce n’est pour dire qu’une différence de forme, mais non de fond, me sépare de M. le rapporteur, de la commission et de la majorité sénatoriale : nous pensons que ces mesures sont importantes, mais que le moment n’est pas venu de les pérenniser en tant que telles. Un débat plus long et plus construit doit avoir lieu entre les deux chambres – c’est la même position que j’ai tenue, d’ailleurs, à l’Assemblée nationale.
Je répète à M. le rapporteur – il le sait –, pour que chacun l’entende bien, que cela ne nous empêchera pas de donner aux services de renseignement et aux forces de l’ordre les moyens d’intervenir en attendant le débat parlementaire qui devrait se tenir l’été prochain.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Sans surprise, avis défavorable – nous avons eu ce débat avec M. le ministre pendant la discussion générale.
Un mot sur la justification donnée dans l’exposé des motifs, selon laquelle nous proposerions une pérennisation de ces mesures sans tenir compte du calendrier parlementaire, alors que nous avons déjà, depuis février, tenté de faire aboutir ces mêmes dispositions dans le cadre d’une proposition de loi : le Gouvernement ne se prive pas lui-même de déposer régulièrement auprès de la deuxième assemblée saisie – on l’a encore vu récemment – des amendements d’importance sans que ceux-ci aient été examinés par la première assemblée. Que chacun, donc, ait la liberté de le faire.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Dans la logique de mon intervention de tout à l’heure, à partir du moment où le principe et la position que défend le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain consistent à refuser la pérennisation, et dès lors que nous permettrions l’application de ces mesures, mais en s’assurant de la tenue d’un nouveau débat parlementaire, nous voterons cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 8, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, si vous le permettez, je présenterai en même temps les amendements nos 8, 9, 6 rectifié et 7.
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
L’amendement n° 6 rectifié, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Après le sixième alinéa de l’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, insérer un alinéa ainsi rédigé : « La mise en œuvre de ces vérifications ne s’opère qu’en se fondant sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes. »
L’amendement n° 7, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – L’article L. 229-1 du code de la sécurité intérieure est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret en Conseil d’État établit un référentiel des pièces types permettant de motiver les requêtes des visites domiciliaires et saisies et d’étayer les critères prévus au présent article. »
Veuillez poursuivre, monsieur Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. L’amendement n° 8 tend à supprimer un alinéa qui lui-même supprime des outils essentiels dont nous disposions jusqu’à présent, en tant que parlementaires, pour contrôler les mesures issues de la loi SILT. Ce contrôle parlementaire est essentiel compte tenu de la nature de ces mesures ; il nous semble inenvisageable de proroger celles-ci, que nous le fassions à titre expérimental, provisoire, ou, a fortiori, de décider de les pérenniser, en nous passant des outils d’un contrôle parlementaire effectif et continu.
L’amendement n° 9 est un amendement de coordination.
L’amendement n° 6 rectifié vise à sécuriser le cadre légal des périmètres de protection en tendant à inscrire dans la loi, par souci de lisibilité, la réserve d’interprétation que le Conseil constitutionnel avait émise concernant les opérations qui sont menées au sein de tels périmètres, contrôle de l’accès et de la circulation, palpations de sécurité, inspection et fouille des bagages, visite de véhicules.
L’amendement n° 7 a pour objet de demander qu’un décret en Conseil d’État établisse un référentiel des pièces types permettant de motiver les requêtes des visites domiciliaires et saisies et d’étayer les critères prévus au présent article. C’est une demande des juges des libertés et de la détention, qui ont fait état d’un certain nombre de difficultés. Il nous semble, compte tenu de la nature de ces dispositions, qu’il est important d’imposer un référentiel transparent et étudié au plus haut niveau.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Concernant l’amendement n° 8, en cohérence avec la position exprimée précédemment, de la même façon que le dispositif de la loi SILT s’autodétruisait à l’échéance fixée – cette échéance atteinte, il était décidé de pérenniser ou non les mesures –, nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire de maintenir un contrôle parlementaire renforcé, sachant que, bien évidemment, après le vote d’une loi, quelle qu’elle soit, le rapporteur, entouré de ses collègues, contrôle toujours son utilisation. Avis défavorable.
Sur l’amendement n° 9, de coordination, même avis, défavorable.
En revanche, sur l’amendement n° 6 rectifié, qui vise à inscrire dans la loi SILT la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel sur la réalisation de contrôles dans les périmètres de protection, nous partageons l’avis de M. Leconte, qui plaide à juste titre pour une telle inscription ; avis favorable.
Quant à l’amendement n° 7, nous sommes d’accord sur le fond, mais pas sur le vecteur. M. Leconte propose un décret en Conseil d’État.
Je recommandais, dans mon rapport, la mise en place d’un référentiel pour améliorer la motivation des requêtes des visites domiciliaires. Mais nous pensons, après avoir auditionné en particulier les services de police, que ce référentiel ne relève pas d’un décret en Conseil d’État et qu’il ne faut donc pas en faire un acte réglementaire. Avis défavorable, par conséquent, sur l’amendement n° 7.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote, sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Même si un petit accord est à noter sur un amendement, il nous semble que l’abandon du contrôle parlementaire sur des dispositions particulièrement importantes et lourdes n’est pas raisonnable. Nous ne saurions donc, malheureusement, adopter cet article dans la rédaction issue de notre débat en séance : sans surprise, nous voterons contre.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
L’article 25 de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement est ainsi modifié :
1° À la fin de la première phrase, la date : « 31 décembre 2020 » est remplacée par la date : « 31 juillet 2021 » ;
2° À la fin de la seconde phrase, la date : « 30 juin 2020 » est remplacée par la date : « 31 décembre 2020 ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 2 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 4 rectifié est présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 2.
M. Fabien Gay. Cet article 2 vise à proroger une disposition expérimentale issue de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement : la technique de recueil de renseignements algorithmique.
Cette technique de renseignement, que nous dénonçons depuis 2015, n’a formellement fait l’objet que d’une application relativement faible et limitée : à la fin de l’année 2019, trois algorithmes auraient été mis en œuvre depuis leur légalisation. Selon un rapport confidentiel, les techniques en question n’auraient même jamais permis d’empêcher un seul acte terroriste. Pouvez-vous infirmer ou confirmer cette information, monsieur le ministre ?
L’analyse en continu des données par les boîtes noires n’aurait jamais permis de détecter qu’une petite dizaine de profils faiblement à risque. Là encore, monsieur le ministre, pouvez-vous infirmer ou confirmer cette information ?
La disproportion, si vous confirmiez ces informations, entre ces résultats et les moyens mis en œuvre pour écouter et observer la société tout entière doit nous conduire à nous interroger. Pour proroger, il nous faut donc faire un bilan de l’efficacité de ce système.
En outre, dans un arrêt du mois de décembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé qu’une réglementation nationale prévoyant, à des fins de lutte contre la criminalité, une telle conservation des données constituait en soi une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux. Cette jurisprudence, qui sera sans doute prochainement confirmée par l’issue donnée aux renvois préjudiciels effectués notamment par le Conseil d’État français, est selon nous l’énième signal du caractère dangereux de cette technique de renseignement intrusive et inefficace qui n’aurait jamais dû être légalisée, même sous forme d’expérimentation.
Pour toutes ces raisons, nous proposons la suppression de l’article 2.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 4 rectifié.
Mme Esther Benbassa. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements, en cohérence avec ce que j’expliquais lors de la discussion générale.
Il s’agit de dispositifs expérimentaux, et le Gouvernement lui-même propose de prendre le temps de bien réfléchir, de poursuivre l’expérimentation et d’avoir une discussion approfondie sur la loi Renseignement. Cela correspond à ce que nous souhaitions.
Par ailleurs, monsieur Gay, quant à moi, au cours des auditions que j’ai réalisées, les services de la DGSI, en particulier, m’ont dit avoir d’ores et déjà obtenu des résultats grâce à ces algorithmes.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. L’avis défavorable que je m’apprête à émettre ne surprendra pas les défenseurs de ces amendements.
Je voudrais quand même répondre sur le fond, puisque la question m’a été posée, et même si vous avez déjà eu ce débat – mais comme il s’agit de sujets extrêmement importants, il m’appartient de vous répondre en quelques mots, monsieur le sénateur Gay.
Le premier argument est celui de M. le rapporteur – je l’ai moi-même déjà évoqué : nous aurons ce débat, ainsi que d’autres débats de fond relatifs au renseignement, l’année prochaine. Il s’agit – telle est la position du Gouvernement – de prolonger les expérimentations de la loi SILT pour qu’un débat serein puisse avoir lieu entre les deux assemblées.
Deuxième argument : il existe une délégation parlementaire au renseignement. J’ai déjà eu l’occasion de dire que les sujets qui sont ici en question, en particulier les sujets qui relèvent du « confidentiel défense », font évidemment l’objet d’un contrôle du Parlement, par le vote de la loi d’abord, mais aussi par le travail de la délégation parlementaire au renseignement, délégation pluraliste qui – M. Cambon l’a indiqué – a toutes les informations et tous les rapports.
N’hésitez pas – je ne le dis pas pour produire un effet de tribune : c’est une délégation importante dont dispose votre assemblée pour contrôler l’action de l’exécutif – à vous tourner vers elle et à demander les éléments qui relèvent du contrôle parlementaire et qui sont publiables, dans un cadre certes particulier, que chacun comprend, qui est celui de la confidentialité.
Troisième argument : il ne m’appartient pas de préciser si des actions terroristes ont pu être arrêtées grâce aux algorithmes seuls ; ce que je peux vous dire, c’est qu’ils sont efficaces. Ils sont au nombre de trois. Peut-être les services eux-mêmes portent-ils des jugements différents sur chacun de ces trois algorithmes ; nous aurons de toute façon l’occasion de nous pencher sur cette question lorsque nous nous retrouverons pour débattre de la pérennisation d’un certain nombre de dispositifs algorithmiques.
Je voudrais, à ce propos, souligner deux choses.
Premièrement, ces algorithmes permettent quand même de lever des doutes et ainsi, aussi, de protéger les libertés individuelles. Savoir si telle personne est en contact avec telle autre, possède telle information ou doit récupérer tel objet – nous pourrons peut-être en dire plus si vous vous adressez à la délégation au renseignement –, c’est lever des doutes, et c’est aussi, du même coup, s’exempter de faire du travail de renseignement sur des personnes à propos desquelles l’utilisation des techniques de renseignement proprement dites n’est manifestement pas justifiée.
Si je puis me permettre, monsieur le sénateur Gay, votre argument des libertés publiques est ainsi renversé : ces outils permettent précisément d’éviter d’avoir recours à des techniques de renseignement pourtant autorisées par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et par le Premier ministre, parce que nous savons très bien, grâce à ces outils, que ces personnes ne sauraient relever de chefs d’accusation tels que celui de complicité de terrorisme.
Deuxièmement, en définitive, selon votre argumentation, l’État serait le seul à ne pas pouvoir utiliser les algorithmes. Les Gafam, dans votre téléphone, les utilisent…
M. Fabien Gay. Nous le déplorons !
M. Gérald Darmanin, ministre. L’État français, État souverain, dont l’exécutif est contrôlé par le Parlement, par la délégation parlementaire au renseignement, par le Conseil d’État, par le Conseil constitutionnel, par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui rend compte de chacun de ses actes, alors que les données stockées – vous l’avez dit, monsieur Cambon – sont anonymisées et in fine détruites et que les actions autorisées le sont sous le contrôle du juge administratif, l’État, donc, serait la seule entité à ne pas pouvoir utiliser ce que la technique moderne met à notre disposition, c’est-à-dire les algorithmes, qui sont d’ailleurs très contrôlés – et vous avez bien compris que je ne plaide en aucun cas pour leur généralisation sur tout, à tout moment et sans contrôle ?
Pour toutes ces raisons – une raison de forme, une raison de lien avec votre délégation parlementaire et deux raisons profondes de fond –, il ne me semble pas opportun, pour l’assemblée que vous représentez, de voter ces deux amendements.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je fais partie de ceux qui avaient été très réservés à l’été 2015 lors du vote de la loi relative au renseignement, même si j’ai tout à l’heure rendu hommage à Bernard Cazeneuve, en particulier sur le traitement massif des données de connexion par algorithme.
Toutefois, depuis, j’ai pu constater à quel point en particulier la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement était impliquée dans sa mission de contrôle, qu’il s’agisse des avis qu’elle devait rendre sur les demandes pour mettre en place une technique de renseignement ciblée ou de la validation des algorithmes.
Compte tenu du suivi effectué par la CNCTR sur ces sujets et des moyens qui lui sont accordés pour qu’elle dispose d’outils lui permettant d’assurer la crédibilité de sa mission, il me semble que nous pouvons valider cette disposition utile et continuer à expérimenter l’algorithme. Voilà pourquoi nous ne voterons pas en faveur de ces deux amendements de suppression.
L’expérimentation, sous contrôle de la CNCTR, mérite d’être poursuivie. Mais nous défendrons ultérieurement un certain nombre d’amendements visant à améliorer le fonctionnement de cette Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement pour qu’elle remplisse au mieux sa mission et puisse nous donner toute confiance sur la manière dont les services de renseignement utilisent les moyens qui sont à leur disposition.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 et 4 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 14, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Remplacer la date :
31 juillet 2021
par la date :
31 décembre 2021
II. – Alinéa 3
Remplacer la date :
31 décembre 2020
par la date :
30 juin 2021
La parole est à M. le ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Favorable, pour les raisons exposées précédemment.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 2
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Roger, Temal, M. Vallet, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le I de l’article L. 822-2 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Au 1°, le mot : « trente » est remplacé par le mot : « soixante » ;
2° Au 2°, les mots : « cent vingt » sont remplacés par le mot : « soixante ».
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Je défendrai successivement trois amendements visant à renforcer l’efficacité de la CNCTR et à lui donner les moyens d’exercer son contrôle. Il importe que nous ayons confiance dans la manière dont elle réalise sa mission.
Nous souhaitons harmoniser un certain nombre d’exigences relatives à la conservation des données. Aux termes de l’article L. 853-1 du code de la sécurité intérieure, la durée maximale de conservation des données collectées par les dispositifs de captation de paroles avant destruction est de trente jours à compter de leur recueil pour les paroles prononcées à titre privé et celle des données de captation d’images est de cent vingt jours à compter de leur recueil pour les images captées dans un lieu privé.
Cette différence entre trente jours et cent vingt jours est totalement aberrante et rend difficile le travail à la fois des services de renseignement, mais aussi de la CNCTR.
Par souci de simplification et de cohérence du cadre légal en vigueur, le présent amendement tend à instaurer une durée maximale de conservation unique pour ces deux catégories de données qui sont souvent récupérées en même temps.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Avis défavorable, puisque le Gouvernement s’engage à mener une réflexion de fond sur la loi relative au renseignement, loi qui nécessite beaucoup de travail. Le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a reconnu que beaucoup de choses étaient engagées. Au travers de cet amendement et des deux suivants, M. Leconte nous propose de voter des dispositions intéressantes, mais de telles mesures doivent s’inscrire dans le cadre d’un débat plus approfondi annoncé par M. le ministre.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Roger, Temal, M. Vallet, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 2° de l’article L. 833-2 du code de la sécurité intérieure est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’accès permanent, complet et direct prévu au premier alinéa du présent 2° s’applique notamment aux traitements intéressant la sûreté de l’État dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État, y compris lorsque ces traitements comportent des éléments communiqués par des services étrangers ou par des organismes internationaux ; ».
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement vise à donner à la CNCTR un accès permanent, complet et direct aux fichiers de souveraineté. Cet accès s’applique notamment aux traitements intéressant la sûreté de l’État dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État, y compris lorsque ces traitements comportent des éléments communiqués par des services étrangers ou des organismes internationaux. Là aussi, il s’agit de permettre à la CNCTR d’exercer sa mission en confiance. Lorsqu’il est question de confiance, on ne peut pas repousser les débats, d’autant qu’il importe en l’espèce d’agir vite.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Défavorable pour les mêmes raisons.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne peux pas laisser dire que la CNCTR n’aurait pas les moyens de contrôler les éléments permettant à l’autorité exécutive de réaliser ce que le Parlement lui a autorisé de faire. Vous avez salué, monsieur Leconte, l’action de l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve. Je m’associe évidemment à votre hommage, d’autant que les moyens de la CNCTR étaient à l’époque un peu moins élevés. Ils ont été accrus, ce dont j’ai été témoin pendant trois ans en tant que ministre de l’action et des comptes publics.
Pour autant, je ne crois pas que, sous l’autorité du Premier ministre Cazeneuve ou sous celle du Premier ministre Valls, il y ait eu de fortes atteintes aux libertés publiques !
Il convient de rappeler, devant le Parlement, s’agissant d’une autorité administrative indépendante, que cette commission est consultée avant toute autorisation. J’ai eu l’occasion de souligner que le Gouvernement a toujours suivi les avis délivrés par la Commission. Le Premier ministre la consulte et suit scrupuleusement les mises en œuvre des techniques de renseignement. Cette instance dispose d’un accès absolument permanent, complet et direct aux relevés, aux registres et aux renseignements collectés, aux transcriptions et extractions, ainsi qu’aux opérations de destruction. Tous ces moyens d’action accordés par le Parlement figurent déjà dans la loi.
Par ailleurs, sur la propre initiative de la CNCTR ou lorsqu’une personne la saisit pour s’assurer qu’une technique de renseignement n’est pas utilisée de manière irrégulière, elle peut également procéder à tout contrôle des techniques invoquées en vue de vérifier si elles ont été ou non mises en œuvre.
Je souligne, monsieur le sénateur – c’est la raison pour laquelle j’ai donné un avis succinct à vos amendements précédents –, que nous sommes profondément en désaccord, comme en atteste la discussion générale. Lorsque le gouvernement que vous souteniez était aux responsabilités, nous avons été nombreux, à commencer par la majorité sénatoriale, à le suivre parce que la situation était grave. Oui, nous avons mis un terme à l’état d’urgence : c’est à mettre au crédit du Gouvernement parce qu’il a fallu, rappelons-nous des débats, beaucoup de courage pour organiser la transition. Il s’agissait en effet de respecter l’État de droit, l’état d’urgence ne pouvant être permanent. Mais nous ne sommes pas non plus naïfs : la menace terroriste demeure extrêmement prégnante, et nous en avons malheureusement un certain nombre d’illustrations aujourd’hui.
Des voix fortes du Parti socialiste qui ont été aux responsabilités – le Premier ministre Cazeneuve et le Premier ministre Valls, qui ont dû mettre en place le système de l’état d’urgence, ou d’anciens ministres de l’intérieur – s’élèvent. J’ai même entendu Matthias Fekl affirmer que la France avait raison de continuer à s’armer administrativement contre une menace terroriste, sous le contrôle du Parlement et du juge, qu’il soit judiciaire ou administratif.
Quoi qu’il en soit, je ne suis pas d’accord avec les attendus de votre discours, même si je respecte votre liberté de parlementaire. Si je me tiens à la disposition du Sénat pour répondre à vos questions, en tant que membre du Gouvernement, j’ai aussi le droit d’affirmer que je suis défavorable à un amendement : parfois de longues explications la nuit devant le Sénat m’ont démontré que je n’étais pas pour autant convaincant ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, je ne vois pas de désaccord : nous avons voté tous vos amendements !
M. Jean-Yves Leconte. Nous avons souligné l’importance de la CNCTR, raison pour laquelle il paraît essentiel de lui donner les moyens d’agir. Je n’ai pas affirmé qu’elle n’en disposait pas, puisque j’ai reconnu, malgré mon scepticisme de départ, avoir été convaincu par cette commission. Simplement, et c’est la Commission qui l’écrit, il arrive qu’elle n’ait pas accès à un certain nombre de données communiquées par les services étrangers. Or il est important que la CNCTR ait accès à tous les renseignements. Donnons-lui les moyens qu’elle demande dans ses rapports d’activité de 2018 et de 2019.
Certes, tout cela est compliqué à mettre en œuvre et vous ne voulez pas voter aujourd’hui une telle évolution législative, mais j’espère que nous pourrons être suivis lors de l’examen du texte législatif plus large attendu sur le sujet, lequel devra également prendre en compte l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le sénateur, vous avez annoncé vous-même que vous ne voterez pas le projet de loi présenté par le Gouvernement : je ne pense pas qu’on puisse être plus en désaccord ! Pour autant, je respecte votre position, mais je ne peux m’empêcher de constater qu’elle n’est pas la même quand vous êtes dans la majorité !
En tout état de cause, ne minimisez pas ce désaccord, que je regrette très profondément. Cela étant, vous reconnaissez désormais qu’une telle mesure est compliquée à mettre en œuvre et vous admettez que l’on puisse vouloir prendre le temps d’en discuter. Dont acte !
Néanmoins, la position du Gouvernement restera la même sur le combat de compétences entre la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et la CNCTR. Sur ce sujet très précis, je veux vous dire à quel point cette commission, indépendante, contrôle ce qu’elle peut déjà contrôler dans le cadre de la loi. Parfois, il nous arrive aussi de considérer que nous pourrions aller plus loin pour la protection du territoire. Mais quoi qu’il en soit, in fine, nous respectons toujours les avis de la Commission.
Enfin, en ce qui concerne l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, je ne m’en satisfais pas, pas plus que le Gouvernement. Cela a été rappelé, notamment par Philippe Bonnecarrère, il s’agit d’un arrêt extrêmement compliqué à comprendre. Il n’est pas aussi simple que la presse ou les écrits de vulgarisation l’affirment. En tant que ministre de l’intérieur, je regrette cette décision qui va handicaper le fonctionnement des services de renseignement – DGSE ou DGSI –, d’autant qu’il s’agit d’un sujet souverain pour les États : la protection de leur territoire.
Contrairement à vous, monsieur le sénateur, je ne pars pas du principe que nous allons simplement tirer dans la loi française les conclusions juridiques d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne !
Certes, nous en débattrons, mais il ne faut pas empêcher le politique, qui ne doit pas se contenter d’appliquer des jurisprudences en les inscrivant dans la loi, de faire son travail ! Le politique peut aller plus loin à l’échelon des instances européennes pour faire évoluer un certain nombre de dispositions à l’origine d’un tel arrêt. Il est très important de rappeler devant le Parlement français que le Gouvernement s’interroge sur cet arrêt qui handicape fortement, s’il devait être conclusif, l’action de nos services de renseignement.
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Roger, Temal, M. Vallet, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa du I de l’article L. 853-3 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’introduction dans un lieu d’habitation à la seule fin de retirer les dispositifs techniques précités ne peut être autorisée qu’après avis rendu par un membre de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. »
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Il s’agit également d’un amendement de simplification : il paraît surdimensionné que la CNCTR doive se réunir en formation collégiale pour examiner les demandes d’introduction dans un lieu d’habitation à la seule fin de retirer des dispositifs techniques de captation de données.
Monsieur le ministre, je m’étonne de vos propos. Parce que nous sommes socialistes, vous faites mine d’être systématiquement en désaccord avec nous. Parallèlement, vous déposez des amendements qui s’opposent aux propositions du rapporteur, mais vous donnez l’impression de le soutenir ! Force est de constater qu’il existe un hiatus important entre ce que propose la commission des lois du Sénat et ce que vous défendez, au nom du Gouvernement. Pourquoi faire comme si vous étiez d’accord ?
Certes, la CNCTR agit en se conformant à la loi, mais il nous est possible, comme vous l’avez rappelé à l’instant, de changer la loi s’il nous paraît nécessaire de faire évoluer les compétences de cette commission. Tel était l’objet de l’amendement précédent.
Enfin, je ne vois pas pourquoi vous tirez des hyperboles de mes propos sur l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. Cet arrêt s’impose à nous. Je n’ai pas dit que j’étais content, j’ai juste dit qu’il nous fallait trouver des solutions ! Oui, cela rend bien des choses difficiles, ce dont je ne me réjouis ni plus ni moins que vous. Il sera peut-être possible de faire évoluer cette jurisprudence ou de l’interpréter, mais ce ne sera pas chose aisée, raison pour laquelle le projet de loi prévu dans les prochains mois sera encore repoussé. Disant cela, je ne faisais qu’établir un constat, ne construisez pas à partir de mes propos des hyperboles inutiles !
En l’espèce, nous proposons un certain nombre de simplifications pour qu’un maximum de Français ait totalement confiance. Nous voulons couper court à toute théorie bizarre sur la manière dont nos services fonctionnent, afin de pouvoir affirmer haut et fort qu’il existe des dispositions législatives permettant de contrôler de manière complète et totale les opérations de la CNCTR.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Monsieur le Leconte, c’est précisément en raison de l’arrêt de la CJUE que nous nous sommes préoccupés de cette affaire et que nous avons examiné au cours des auditions ce qu’il était possible de faire. M. le ministre vient d’éclairer la situation : si cet arrêt devait s’imposer automatiquement, les actions antiterroristes de la France seraient sérieusement handicapées. Cela ne date pas d’aujourd’hui : le gouvernement d’hier disait déjà la même chose, tout comme celui d’avant-hier !
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Par conséquent, si le Gouvernement décidait de ne pas être d’accord avec cet arrêt, il a juridiquement les moyens de le faire, mais c’est très compliqué. Raison de plus pour avoir un débat de fond dans le cadre de la loi Renseignement. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le sénateur, je vous sens un peu jaloux de ma proximité régionale et amicale avec Marc-Philippe Daubresse ! (Sourires.) Nous nous connaissons depuis longtemps : si nous pouvons avoir des désaccords, notre fraternité est faite de bières flamandes et de waterzoi ! (Nouveaux sourires.)
J’ai écouté votre discours avec intérêt et je le respecte. Votre rôle premier est bien évidemment de faire la loi et si vos amendements sont votés j’en prendrai acte. Simplement, j’ai ma propre conviction politique. Et votre point de vue était différent, me semble-t-il, sur ces questions lorsqu’un gouvernement que vous souteniez était aux responsabilités… Mais au demeurant vous n’êtes pas le seul à pratiquer ainsi.
Soyez rassuré au sujet du renseignement et des théories du complot. Certes, les parlementaires, qui exercent une mission de contrôle de l’action du Gouvernement, y compris des services de renseignement, peuvent trouver qu’il existe une certaine opacité. Mais je n’accepte pas d’entendre dire ici ou là que les services de renseignement français pourraient ne pas respecter la loi. C’est faux : ils sont extrêmement contrôlés et les temps lointains où ils pouvaient être aux ordres d’un exécutif, quel qu’il soit, pour mettre en place des écoutes illégales ou réaliser des interventions intempestives, non contrôlées par la loi et relevant du fait du prince, sont révolus, ce qui est heureux pour la démocratie française.
J’espère que les représentants de la Nation sont convaincus que les services de renseignement sont là pour protéger les Français et la souveraineté nationale.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je regrette que, quels que soient les échanges avec M. le ministre, nous n’évoquions jamais le fond de ces amendements, qui visent à une simplification ou à une harmonisation. Ces petites discussions retraçant l’historique de l’action des différents gouvernements nous empêchent d’aborder le fond du débat, ce qui est pourtant le cœur du travail parlementaire. Je peux comprendre que nous ne résolvions pas aujourd’hui les trois points que j’ai soulevés, mais il aurait été utile de connaître l’avis du Gouvernement sur le fond.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 12.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 3
I. – Le II de l’article 1er et l’article 2 de la présente loi sont applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
II. – Au premier alinéa des articles L. 285-1, L. 286-1, L. 287-1 et L. 288-1 du code de la sécurité intérieure, la référence : « l’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019 » est remplacée par la référence : « loi n° … du … relative à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure ».
M. le président. L’amendement n° 15, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Les dispositions de la présente loi sont applicables en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
La parole est à M. le ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Défavorable, par coordination !
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
8
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – 33 voix pour – à la nomination de M. Philippe Mauguin à la présidence de l’Institut national de la recherche, de l’agriculture et de l’environnement.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Georges Patient.)
PRÉSIDENCE DE M. Georges Patient
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
9
Conseil économique, social et environnemental
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au Conseil économique, social et environnemental (projet n° 712 [2019-2020], texte de la commission n° 14, rapport n° 13).
Dans la discussion générale, la parole est M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, comme je vous l’avais annoncé au mois de juillet dernier, j’ai l’honneur de vous présenter ce soir le projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Ce texte constitue la concrétisation de l’engagement du Président de la République de raviver le débat démocratique et d’accroître la participation citoyenne à l’action des pouvoirs publics. En effet, malgré les réformes successives qui ont élargi le champ de compétences du CESE, celui-ci n’a pas encore réussi à trouver la place qu’il mérite.
Le Gouvernement entend remédier à cette situation avec un triple objectif : renforcer le rôle et la visibilité du CESE en sa qualité d’assemblée consultative, en faire un puissant levier de la démocratie participative, renouer avec sa vocation originelle de représenter les forces vives de la Nation.
Je voudrais tout d’abord tenter de répondre à certaines de vos inquiétudes : il ne s’agit pas, et il n’a même jamais été envisagé, de faire du CESE une troisième chambre.
Il ne s’agit pas non plus pour le CESE de représenter les collectivités territoriales, rôle que l’article 24 de la Constitution confère au Sénat. Le CESE demeure une assemblée consultative chargée d’éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux de notre temps.
Le premier objectif de la réforme est de renforcer la fonction consultative et la visibilité du CESE.
Nous partageons, je le pense, un même constat : le CESE est largement sous-utilisé puisqu’il ne rend qu’entre 25 et 30 avis par an. Dans 80 % des cas, il le fait sur autosaisine.
Pour y répondre, le projet qui vous est soumis développe principalement deux outils.
D’abord, il renforce les liens du CESE avec les conseils consultatifs locaux. Actuellement, force est de le constater, il n’existe pas véritablement de liens entre le CESE et les instances consultatives locales, y compris avec les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser), dont le champ de compétences est pourtant assez comparable. Il faut mettre fin à ce cloisonnement et organiser des échanges fluides entre l’échelon national et les organes locaux, afin que le CESE puisse se nourrir des expériences et des connaissances territoriales. C’est l’objet de l’article 1er du projet de loi organique.
Ensuite, le texte entend faire du CESE le carrefour des consultations publiques. Pour cela, il vous était proposé la création d’un nouvel article 6-1 dans l’ordonnance de 1958, prévoyant que lorsque le CESE sera saisi d’un projet de loi par le Gouvernement, ce dernier ne procédera pas aux autres consultations exigées par notre législation. Certaines exceptions étaient prévues, pour conserver notamment la consultation des autorités administratives indépendantes, celle des collectivités territoriales, ou encore celle des instances nationales dans lesquelles elles sont représentées.
J’ai bien noté votre opposition à cette disposition et sa suppression par votre commission. Toutefois, et je ne fais que rappeler l’avis du Conseil d’État rendu sur ce texte, il s’agit d’une mesure de « simplification bienvenue et de nature à renforcer le rôle consultatif du CESE. »
Encore une fois, je crois que nous nous accordons au moins sur le constat du sous-emploi du CESE et du fait qu’il existe aujourd’hui une multitude d’organismes consultatifs qui le concurrencent inutilement.
Pour redonner de l’attractivité au CESE, dont la qualité des avis est toujours saluée, le Gouvernement entend donc lui accorder une place prépondérante en matière de consultation.
Vous craignez également un appauvrissement des études d’impact. Je crois que cette crainte est infondée. Avec le CESE, nous avons la chance de regrouper au sein d’une même institution des profils et des compétences extrêmement variés qui seront pleinement de nature à assurer un avis d’une grande richesse, comme c’est d’ailleurs déjà le cas.
Enfin, la discussion parlementaire à l’Assemblée nationale avait permis d’affiner le périmètre de l’effet substitutif de la consultation du CESE. Un bon équilibre avait ainsi été atteint, car environ la moitié des organes consultatifs ne seraient plus consultés en cas de saisine du CESE, tout en préservant la consultation d’instances éminentes, comme le Comité des finances locales (CFL).
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement a déposé un amendement tendant à rétablir l’article 6 du projet de loi, dans sa rédaction issue de l’examen en première lecture à l’Assemblée nationale.
Le deuxième objectif de la réforme est de renforcer la démocratie participative.
Ce que nous voulons, c’est qu’à côté de la démocratie représentative, qui demeure le socle de notre fonctionnement démocratique, soit ajoutée une dose de démocratie participative, dans des proportions et un cadre maîtrisés.
Pour cela, nous avions actionné deux leviers : le recours aux pétitions ; l’organisation de consultations publiques et la participation directe de citoyens tirés au sort aux travaux du CESE.
Tout le monde s’accorde aujourd’hui à considérer que le droit de pétition est entouré de conditions de mise en œuvre trop strictes, ce qui explique qu’il n’a jamais pu être exercé jusqu’à ce jour. C’est pourquoi le projet de loi prévoit trois modifications essentielles : d’abord, l’abaissement du seuil de recevabilité des pétitions de 500 000 à 150 000 signatures, pour qu’enfin cet outil de démocratie participative fonctionne ; ensuite, la dématérialisation des procédures, car il est temps que nous fassions entrer le droit de pétition dans le XXIe siècle ; enfin, et surtout, l’ouverture de ce droit aux jeunes dès l’âge de16 ans.
À 16 ans, notre jeunesse pétitionne déjà sur des plateformes comme change.org. Elle s’exprime et s’organise déjà sur les réseaux sociaux. Malgré cela, nos institutions continueraient à lui dénier le droit de s’exprimer et d’avoir voix au chapitre ? Ce serait une absurdité !
Ce progrès est non pas une concession faite à la jeunesse, mais un accélérateur de citoyenneté et une reconnaissance de ce qu’elle est capable de nous apporter : sa soif de débat.
Le Gouvernement souhaite élargir le droit de pétition. Il n’est par conséquent pas question de l’assortir de nouvelles contraintes qui complexifieraient sa mise en œuvre, comme l’institution d’une condition de domiciliation. En cela, nous sommes en désaccord – même en désaccord total, madame la rapporteure – avec votre commission.
Le projet de loi pérennise également l’expérience de la Convention citoyenne pour le climat en consacrant l’organisation de consultations publiques, y compris par l’utilisation du tirage au sort, et prévoit la possibilité pour les citoyens tirés au sort de participer aux travaux du CESE.
Lors de nos débats au mois de juillet dernier, j’ai bien noté votre opposition à cette pratique. Le président Retailleau l’avait d’ailleurs moquée comme un symbole de la « démocratie de la courte paille ». Les jurés de cour d’assises apprécieront !
M. Philippe Bas. Ce n’est pas du même ordre !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Comprenez donc que je ne partage pas votre analyse.
Sans remonter à la démocratie athénienne, le tirage au sort existe dans de nombreuses démocraties, notamment à des fins consultatives : en Allemagne, en Irlande, en Islande, en Estonie, ou encore au Canada. En France, les jurés d’assises sont tirés au sort depuis la Révolution ! J’ai quelques raisons de penser qu’il faut défendre leur légitimité.
Je précise, si besoin est, que le tirage au sort n’a pas vocation à supplanter le droit de vote. Il n’y a ni confusion ni concurrence entre, d’une part, l’intérêt de recueillir l’avis de citoyens tirés au sort et, d’autre part, l’exercice de la souveraineté nationale par les représentants de la Nation élus au suffrage universel.
Mais renforcer la démocratie participative, ce n’est pas affaiblir la démocratie. Je crois au contraire que, plus nos concitoyens seront associés au débat public, plus la légitimité de ceux qu’ils éliront sera renforcée. C’est une demande de nos concitoyens, exprimée à maintes reprises ces dernières années. Nous devons les entendre.
L’expérience réussie de la Convention citoyenne pour le climat a montré que le CESE pouvait devenir la chambre de la participation citoyenne, et elle peut être de nature à nous rassurer sur l’usage du tirage au sort. Le Gouvernement a, par conséquent, déposé des amendements visant à rétablir les articles 4 et 9 du projet de loi organique.
Enfin, ce texte réforme la composition du CESE.
Cela répond également à l’un des engagements du Président de la République : diminuer de 25 % le nombre de membres du CESE et rendre plus souple la composition de ses catégories. En plus de la suppression des 40 personnalités qualifiées, cette réduction toucherait chaque catégorie, hormis les catégories « vie associative » et « environnement ».
La composition du CESE serait refondue en quatre grandes catégories, afin de conserver l’équilibre des représentations tout en offrant plus de souplesse dans la composition, ce qui permettra au CESE d’être le reflet le plus fidèle possible des différentes forces de la société civile.
La proposition du Gouvernement est le résultat d’un compromis entre tous les intérêts représentés. C’est pourquoi je défendrai la préservation de cet équilibre.
Par ailleurs, l’institution d’un comité indépendant pour conseiller le Gouvernement sur la répartition détaillée des membres à l’intérieur des grandes catégories définies par la loi organique nous paraît propre à apporter plus d’objectivité et d’adaptabilité, au gré des renouvellements, dans la définition détaillée de la composition du CESE.
Et ce projet de loi apporte de véritables avancées en matière de déontologie des membres. Je tiens sur ce point à saluer votre travail, madame la rapporteure, pour les améliorations que vous avez apportées à ce texte sur la question des conflits d’intérêts.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, ce projet de loi organique porte l’ambition d’ouvrir et de moderniser le CESE, tant dans sa composition que dans son fonctionnement, et permet, plus largement, le renforcement de la participation citoyenne. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – M. Arnaud de Belenet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, disposant d’un moindre temps de parole que M. le ministre, je n’aborderai pas tous les sujets, mais dirai quelques mots pour vous exposer la position de la commission des lois sur le projet de loi organique visant à réformer le CESE.
Vous avez compris dans les propos qui viennent d’être tenus que la commission des lois n’avait pas totalement partagé l’analyse faite par le Gouvernement quant à la nécessité de cette réforme.
Pour expliquer cette position, il convient au préalable d’apporter quelques précisions sur ce qu’est le CESE. Vous le savez, cet organisme assez ancien, qui existe depuis 1925, a pour rôle de représenter ce que l’on appelle la « société civile organisée » : syndicats, coopératives, mutuelles, et autres organismes représentant des intérêts diversifiés dans la société française. Il est composé de représentants de la société civile, à hauteur de 193 membres, auxquels sont associées une quarantaine de personnalités qualifiées désignées par le Gouvernement. Parfois se mêlent aux travaux des personnalités associées, qui sont au nombre maximal de 72, lesquelles sont également désignées par le Gouvernement.
Le CESE a deux rôles essentiels : il est, d’abord, une instance de dialogue social et, ensuite, un organe de conseil pour les pouvoirs publics, au sens large, c’est-à-dire autant pour le Gouvernement que pour les assemblées parlementaires que sont le Sénat et l’Assemblée nationale.
Le CESE joue-t-il son rôle d’instance de dialogue social ?
Vous l’aurez compris en entendant M. le ministre, et sur la base de ce que vous connaissez du CESE, la question peut se poser. En effet, depuis 1925, la société française ne perçoit pas véritablement ce rôle : les conflits sociaux y sont, je crois, toujours aussi difficiles, voire plus durs à certains égards.
Le CESE joue-t-il son rôle de conseil auprès des pouvoirs publics ?
M. le ministre a précisé que les travaux du CESE étaient menés, à hauteur de 80 %, à partir d’une autosaisine. Cela signifie que, pour 80 % des rapports qu’il rend, il s’autoconsulte. On peut se dire, au vu de ce chiffre, qu’il a quelques difficultés à jouer son rôle dans la société. C’est précisément pour cette raison que ce projet de loi organique a été présenté, et nous partageons le constat du Gouvernement sur la difficulté pour le CESE de s’affirmer.
J’ajoute, et certains d’entre vous s’en souviennent peut-être, qu’un premier projet avait été lancé il y a une dizaine d’années, afin aussi de donner au CESE les moyens de s’affirmer dans la société. Force est de constater que ce rôle est difficilement rempli, quelle que soit la qualité des travaux et des membres du Conseil.
Ce projet de loi organique vise à remédier à cette difficulté patente. Y parvient-il ? La majorité de la commission des lois n’a pas été tout à fait convaincue par les dispositions mises en œuvre en vue de permettre au CESE de jouer le rôle constitutionnel qui lui a été confié.
En effet, je ne suis pas certaine qu’un certain nombre de mesures constituent un apport fondamental. Elles concernent, peu ou prou, des méthodes de travail déjà utilisées par le CESE. Vous le savez, je ne suis pas de ceux qui pensent qu’un espace de liberté doit s’appeler un vide juridique, et je ne suis pas sûre qu’il faille toujours légiférer.
Face à ces mesures, que je ne considère pas fondamentales, d’autres que M. le ministre estime, là encore, fondamentales, n’ont pas eu l’heur de convenir à la commission des lois. Elles visent en effet davantage un affaiblissement qu’un renforcement permettant au CESE d’affirmer son rôle.
Dans une première catégorie de mesures tendant à permettre l’affirmation de ce rôle, il est prévu que le CESE puisse consulter les assemblées consultatives, essentiellement les Ceser. Nous avons précisé les termes de cette disposition, mais il faut savoir que le CESE pratiquait d’ores et déjà cette consultation, en l’absence de texte. Je ne crois pas que l’avancée soit importante.
Est en outre prévue la modification, longuement détaillée par M. le ministre, de la mise en œuvre du droit de pétition : le nombre de signataires requis passe de 500 000 à 150 000, et l’âge minimal de 18 à 16 ans. Quant à la dématérialisation, elle est bienvenue et il ne s’agit pas de remettre en cause la décision du Gouvernement.
Il faut tout de même savoir que le seuil de 500 000 signataires, qui est en effet important, n’a pas été de nature à faire obstacle au travail du CESE. Celui-ci s’est en effet toujours saisi des pétitions, même lorsque le nombre de signataires n’atteignait pas 500 000 – une seule de ces pétitions a atteint ce nombre, et elle a été jugée irrecevable.
Le CESE travaille donc sur ces pétitions, quel que soit le nombre de signataires, et fait même de la veille en recherchant les pétitions qui circulent, de façon à pouvoir aborder ces sujets dont il considère qu’ils présentent un quelconque intérêt pour la société. Là encore, même si je reconnais le caractère véritablement normatif de ces dispositions, je ne crois pas que cela changera fondamentalement le travail du Conseil.
Le troisième élément est la consultation de personnes tirées au sort, une méthode de travail déjà utilisée par le CESE à deux reprises, ce qui est peu. Il y a eu recours avec des panels dont on ne peut pas dire qu’ils étaient représentatifs, puisqu’il s’agissait de 28 puis de 30 personnes. Même si cet échantillonnage n’avait pas grand sens, cela a déjà été fait.
Le tirage au sort est l’un des points sur lesquels la commission des lois est restée en désaccord avec le Gouvernement.
Il est prévu que le CESE puisse recourir au tirage au sort en tant que méthode de travail, mais également – M. le ministre l’a précisé – que des personnes tirées au sort, comme ce fut le cas pour la Convention citoyenne pour le climat, se substituent aux personnalités associées ponctuellement consultées par le CESE sur des thèmes particuliers.
Sur le tirage au sort, dont je ne pense pas qu’il constitue un apport, j’y insiste, nous sommes en total désaccord.
Ne nous leurrons pas, monsieur le ministre : je ne pense pas, et ce n’est d’ailleurs pas ce que j’ai dit devant la commission des lois, que la consultation des citoyens soit inintéressante. Quand on est élu local – le Sénat compte nombre de ces élus, qui ont occupé des fonctions dans les exécutifs locaux –, on passe son temps à consulter la population : de la façon la plus informelle qui soit, sur le marché le dimanche matin, jusqu’au conseil de quartier, en passant par les réunions publiques. La consultation du public est le quotidien des élus locaux !
Mais je ne crois pas que ce soit dans cet état d’esprit que la consultation par tirage au sort a été prévue dans le projet de loi organique. En réalité, on sacrifie à l’air du temps : on essaye de satisfaire une population mécontente en lui disant que l’on va choisir quelques-uns de ses membres faussement tirés au sort – nous aurons peut-être l’occasion d’y revenir –, lesquels seront instruits au cours de quelques week-ends, comme ce fut le cas dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat, via une formation accélérée et un peu orientée, qu’elle pourra prendre des décisions et qu’elle sera suivie par les pouvoirs publics. Ce n’est pas la bonne réponse au mécontentement de la population.
La bonne réponse serait sans doute de dire à nos concitoyens : « Si vous voulez participer et prendre des décisions, vous avez en France maintes occasions de le faire ; cela s’appelle les élections. » Chacun de nos concitoyens peut se présenter à l’élection, soumettre un programme qui sera en concurrence avec d’autres, être élu, prendre des décisions sur la base de cette élection, et ensuite – c’est là que la différence s’impose – être responsable de ses décisions. Ce n’est pas le cas pour les personnes qui sont tirées au sort.
La démocratie ne peut pas être le tirage au sort. La démocratie, c’est le choix qui résulte de l’élection et donne du pouvoir, en contrepartie duquel les élus ont des responsabilités. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Voilà qui est, me semble-t-il, de l’essence même de la démocratie, ce que l’on ne retrouve pas loin de là, dans le tirage au sort, raison pour laquelle nous avons supprimé les dispositions afférentes à celui-ci.
Le dernier élément sur lequel je m’attarderai est la diminution de 25 % du nombre des membres du CESE. Je n’ai pas su expliquer à la commission des lois que cette réduction pouvait être de nature à renforcer le CESE. Je n’ai pas su non plus expliquer comment avait été choisi le critère…
Vous l’avez dit, monsieur le garde des sceaux, c’était une déclaration du Président de la République. Certes, mais si l’on reprend tout ce qu’il a dit sur ce point, on constate qu’il a préconisé de réduire les membres du CESE d’abord d’un tiers, puis de 50 %, ensuite de nouveau d’un tiers et désormais d’un quart. Je ne suis pas certaine que ce critère soit très objectif…
Surtout, je ne sais pas expliquer comment, en diminuant le nombre de représentants de la société civile organisée, nous pourrions renforcer la capacité de travail de celle-ci. Ce n’est pas en réduisant le nombre de ses membres que nous pouvons renforcer une assemblée.
Là encore, nous n’avons pas cherché à contester nécessairement cette diminution, et il s’avère que le président du CESE, nolens volens, ne s’y est pas opposé. Nous avons opté pour un critère objectif, en choisissant de supprimer les personnalités qualifiées, dont la nomination – cela est connu – pose quelques difficultés, pour conserver l’intégralité des personnes représentant la société civile organisée.
Je n’irai pas plus loin dans la présentation du texte de la commission des lois, car nous aurons l’occasion d’y revenir au cours du débat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique que nous examinons ce soir s’inscrit dans la tradition séculaire des réformes de nos institutions. Je souhaite rappeler, comme membre de son groupe et dans cet hémicycle qui l’a vu siéger, que l’actuel CESE est né en 1925 de la volonté politique du président du Conseil de l’époque, le radical Édouard Herriot.
Il s’agissait déjà d’étudier les problématiques inhérentes à la vie économique du pays, mais aussi de créer « un centre de résonance de l’opinion publique » qui ne serait « en aucune façon, un Parlement ou même une chambre professionnelle ».
Depuis, le Conseil économique, devenu en 1958 « Conseil économique et social » et qualifié en 2008 d’« environnemental », n’a cessé de s’adapter à sa mission de relais de l’opinion publique en tenant compte, au fil du temps, des nouveaux appétits démocratiques de nos concitoyens.
J’ai quasiment commencé mon expérience professionnelle comme chargée de mission dans un Ceser et, bien des années plus tard, je suis devenue conseillère économique et sociale en représentation et présidente de l’association Visites des malades dans les établissements hospitaliers de ma région.
C’est une institution critiquée, comme toutes les institutions méconnues du grand public. Elle est pourtant à même d’éclairer les pouvoirs publics par des avis pertinents, rendus au travers de rapports de qualité, mais qui ne trouvent presque jamais écho au sein des décideurs politiques. Cet outil étant mal utilisé, il est donc nécessaire d’en modifier ses contours.
C’est bien dans cette lignée que s’inscrit le projet de loi organique, proposé par le Gouvernement. Deux points majeurs sont à noter : premièrement, le renforcement de la participation citoyenne, au regard des expériences de plus en plus nombreuses qui se pratiquent à l’échelon local, à l’aide d’outils temporaires et adaptés à chaque situation de consultation – plateforme collaborative, tirage au sort, pétition, conventions citoyennes, etc. ; deuxièmement, la simplification par la subrogation de la consultation des avis exprimés dans le cadre de l’élaboration d’une loi. Pour exemple, le ministre chargé de la préparation du projet de loi Formation a dû faire appel à l’avis de quatorze instances avant de le présenter en conseil des ministres. Le CESE se propose de recueillir ces avis, qui émanent en très grande majorité d’organismes représentés en son sein, et d’en faire la synthèse.
Concernant cette réforme de l’organisation du CESE, nous sommes en accord avec notre rapporteur, dont je veux saluer l’excellence de l’implication sur ce texte. Le remplacement des personnalités qualifiées du collège 4, directement nommées par le Gouvernement, par des personnalités extérieures, qui pourraient être mobilisées au coup par coup sur un sujet particulier, nous paraît être un gage d’efficience. Cette évolution répond à une exigence de notre époque, de même que celle qui est relative aux déclarations d’intérêts préalables.
Nous partageons également le souci d’un certain pragmatisme visé à l’article 12 pour permettre au CESE de simplifier lui-même son mode de fonctionnement sans précipitation.
Monsieur le ministre, à l’article 2 du projet de loi organique originel, nous ne voyons pas en quoi il est utile que le CESE puisse autoriser « une minorité de parlementaires à requérir l’aide du CESE par la demande d’un avis leur permettant d’éclairer leurs travaux, notamment en matière d’information sur la bonne application de la législation ». Cette proposition nous semble redondante avec le travail mené par chaque commission sénatoriale pour contrôler l’application des lois au travers de rapports d’information, mais aussi avec les rapports préalables aux examens de textes législatifs, ainsi qu’à nos adresses par le biais des questions au Gouvernement. Nous soutenons donc la proposition de suppression de cet article, formulée par la rapporteure.
J’évoquerai enfin le recours élargi et modernisé au droit de pétition. Le projet de loi prévoit en effet d’abaisser le droit de pétition à 150 000 signataires et de l’ouvrir aux jeunes de plus de 16 ans, tout en facilitant le recours au dépôt en ligne et à leur certification.
M. François Bonhomme. Et les préados ?
Mme Nathalie Delattre. Le groupe RDSE est particulièrement attaché à la démocratie représentative, mais aussi au rôle du Parlement comme à celui des collectivités locales. La possible multiplication des pétitions en tous genres n’est pas à notre sens un garant efficace de la décision démocratique.
Pour que des pétitions soient pleinement utiles, elles doivent donner lieu à un débat démocratique avec toutes les parties et devenir des décisions expliquées et partagées. C’est en cela que les pétitions à l’échelon local peuvent être plus intéressantes. La commission des lois a fort justement proposé une meilleure représentativité géographique des 150 000 pétitionnaires, ainsi qu’une durée limitée de validité des pétitions qui convient à mon groupe.
En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous soutenons pleinement le travail mené par la commission des lois, notamment sur l’article 2 du projet de loi organique initial et sur le recours au droit de pétition. Le RDSE votera donc en faveur de ce texte tel que modifié par la rapporteure.
M. Philippe Bas. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette réforme du CESE a été engagée dans un cadre institutionnel que nous contestons.
Oui, nous contestons l’idée que la baisse du nombre de parlementaires et de membres du CESE constitue un élément d’amélioration de notre démocratie. Nous pensons tout le contraire !
S’il y avait moins de représentants du peuple, des territoires, des corps intermédiaires, des partenaires sociaux et du monde associatif, notre démocratie irait-elle vraiment mieux ? Nous croyons tout le contraire ! Nous voyons bien la dérive vers une verticalité du pouvoir qui est dangereuse, inefficace et susceptible de renforcer toutes les dérives technocratiques dont notre pays souffre terriblement.
Nous contestons donc la réduction du nombre de membres du CESE et approuvons la démarche engagée par la commission des lois qui vise à augmenter ce nombre en se contentant, si je puis dire, de réduire celui de personnalités qualifiées. Nous défendrons un amendement qui tend à rétablir à 233 le nombre de membres du CESE et à répartir les sièges au prorata du dispositif prévu par la commission des lois pour les sections et collèges.
Par ailleurs, il est prévu de réformer le CESE pour que ses travaux aient davantage d’écho, soient mieux pris en compte et soient utiles aux pouvoirs publics. Nous approuvons tout ce qui est proposé pour améliorer la démocratie participative et l’implication des citoyens.
Je ne comprends pas, madame la rapportrice…
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Madame la rapporteur !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n’est pas à moi que vous allez donner des leçons de féminisme, mes chers collègues ! Les deux peuvent se dire !
Nous considérons qu’il est essentiel que la démocratie participative s’ajoute à la démocratie représentative, qu’elle la nourrisse et l’irrigue, et qu’elle dialogue avec elle. La première n’affaiblit pas la seconde. Si les citoyens peuvent intervenir dans le débat – je ne dis pas qu’ils doivent avoir le pouvoir –, dans la concertation, dans la proposition et la coproduction de l’action publique, qu’avons-nous à craindre ?
Nous sommes en pleine crise de confiance démocratique dans les pouvoirs publics et dans les décideurs. Plus personne au XXIe siècle ne pense que confier à quelqu’un un mandat de six ans pour appliquer un programme consiste à tout approuver et à ne se réveiller que six ans plus tard.
À l’échelon local – vous l’avez constaté –, nous avons eu ce débat lors des élections municipales. De nombreux élus, quelle que soit leur appartenance politique, ont fait des propositions en matière de coconstruction, de démocratie participative – j’ai lu la plupart des programmes.
Alors, pourquoi avoir peur ? Au contraire, engager ce débat à propos du CESE revient à l’adosser à la société civile organisée, à compléter le travail d’une société des partenaires sociaux et des associations par l’éruption citoyenne.
Nous ferons des propositions dans ce cadre. Nous avons eu le souci dans notre amendement d’exiger que le Gouvernement réponde de façon argumentée aux travaux de la Convention citoyenne pour le climat.
De la même manière, nous soutiendrons les amendements qui tendent à ce que les conclusions de cette convention soient transmises au Parlement, car nombre de ces travaux conduisent à des réflexions législatives.
Nous approuvons, par ailleurs, l’abandon de l’article 6, qui faisait du CESE une sorte de guichet unique pour la concertation. Il faut certainement rationaliser : toute une série de structures – nous le disons souvent – sont inutiles, mal organisées, plus formelles qu’efficaces dans le mécanisme de concertation.
Néanmoins, mes chers collègues, j’attire votre attention – je crois que la commission a été sensible à ce point – sur le fait que, sur toute une série de sujets, des organismes au sein desquels siègent des associations, des syndicats et des organisations professionnelles ne sont pas représentés au CESE. Or ces organismes ont une vision qui peut servir à la délibération collective.
J’évoquerai un sujet que je connais bien : il n’y a au CESE qu’un représentant du logement social, via les coopératives HLM. Le mouvement du logement social n’a aucun autre représentant. Quand des débats s’engagent sur la transition écologique dans le bâtiment ou le logement social, il n’est pas positif que les organismes concernés ne puissent être associés par un biais ou un autre.
Nous estimons que l’article 6 est trop systématique : il n’a pas été suffisamment travaillé pour que nous soyons certains de ne pas passer au travers de l’impératif de mener des consultations variées, lesquelles sont nécessaires avant la décision publique. J’insiste sur ce point, car à quoi conduit le discours selon lequel il faut aller vite, simplifier, ne pas trop consulter ? À une législation souvent mal ficelée, inopérante, qui ne sera pas mise en œuvre ; et il faudra remettre le travail sur le métier.
Mes chers collègues, en l’état actuel, au regard de ces trois problèmes, mon groupe ne peut pas voter le texte, mais nous espérons vous convaincre par le biais de nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Président de la République confirmait le 29 juin dernier sa volonté de transformer le CESE en ce qu’il a appelé la « chambre des conventions citoyennes ». Lors du conseil des ministres du 7 juillet dernier, le ministre de la justice a présenté un projet de loi organique de réforme du CESE.
Le constat est partagé, la nécessité de cette réforme convenue.
Institution ancienne, le Conseil économique peine paradoxalement à trouver sa place dans notre corps institutionnel. Chargé depuis son origine, en 1925, comme le rappelait Nathalie Delattre, de représenter les forces économiques et sociales du pays, il est souvent critiqué pour le manque d’assiduité de ses membres, le peu de saisines dont il fait l’objet, le manque de visibilité de ses travaux, et parfois son coût. Autant de critiques qui soulignent l’éloignement de cette institution de sa finalité première, pourtant essentielle.
À cet égard, l’objet de ce projet de loi organique, confirmé par le garde des sceaux en commission à l’Assemblée nationale, est clair : le texte tend non pas à révolutionner le CESE, mais à l’adapter pour satisfaire l’objectif d’une participation citoyenne accrue.
Il n’est évidemment pas question d’en faire une troisième chambre – vous le rappeliez, monsieur le garde des sceaux. Seuls l’Assemblée nationale et le Sénat disposent de la légitimité conférée par l’élection au suffrage universel et peuvent exercer la souveraineté nationale au sens de l’article 3 de la Constitution.
Cela n’exclut cependant en rien qu’une place soit faite à la participation, bien au contraire. Cette instance offre la possibilité de consulter la société civile organisée. En cela, elle doit être perçue comme un atout, un outil qui apporte au débat démocratique, un outil d’appropriation et de légitimité d’une décision enrichie. Un outil malheureusement peu connu et mal employé.
Lutter contre la distanciation qui s’est opérée avec nos concitoyens, favoriser le débat public et la compréhension de la décision politique, voire son appropriation – sans même parler d’y adhérer –, en faisant de cette institution le « carrefour des consultations publiques », voilà la finalité première que le projet de loi organique poursuit ; de fait, notamment, il facilite la saisine du CESE et accélère ses procédures.
L’actualité sociale puis sanitaire nous prive de la réforme constitutionnelle dans laquelle aurait pu s’insérer le contenu de ce projet de loi organique.
Certains points de la version initiale du Gouvernement suscitaient le débat. Nous avons émis quelques réserves en commission sur le texte adopté par nos collègues députés.
La première concernait le risque d’interférences avec le fonctionnement des collectivités territoriales. En effet, l’article 1er prévoit notamment la possibilité pour le CESE de saisir, pour les encourager et les consulter, les conseils consultatifs créés auprès des collectivités ou groupements. On comprend la logique : dans un premier temps, conforter le rôle du CESE qui, en coopérant avec les instances locales, se verrait placé au cœur de sa mission, et lui permettre d’appuyer ses travaux sur une expertise territoriale.
Cependant, et contrairement à ce qui a pu être défendu par le rapporteur à l’Assemblée nationale, il paraît nécessaire de conditionner l’exercice de cette prérogative de consultation des instances consultatives par le CESE à l’obtention préalable d’un accord des collectivités territoriales et groupements concernés. Il s’agit pour le CESE de travailler en bonne intelligence avec les collectivités territoriales et non d’interférer avec le fonctionnement local. Nous avons soutenu l’amendement de la rapporteure allant dans ce sens et visant à rétablir la première mouture du projet de loi.
Permettre au CESE de donner son avis sur la mise en œuvre de dispositions législatives et sur les projets de loi portant sur son champ de compétences a suscité la crainte qu’il n’empiète sur le travail législatif du Parlement et qu’un pas ne soit fait vers le statut de troisième chambre. À cet égard, la commission a pris une position claire sur l’article 6.
Concernant la réduction de l’effectif du CESE, nous soutenons la suppression des 40 personnalités qualifiées nommées par le Gouvernement. C’est sans doute cette composante qui prêtait le plus souvent le flanc à la critique.
La commission des lois a apporté plusieurs évolutions bienvenues. J’en profite pour saluer la qualité du travail pondéré, équilibré, opérationnel, réalisé par notre collègue Muriel Jourda.
Je terminerai mon propos en apportant un bémol aux orientations de la commission relatives au tirage au sort. Nous sommes à ce sujet assez ouverts et sans doute moins méfiants que certains membres de la commission.
Le recours au tirage au sort est impensable dans la désignation des membres votants d’une assemblée prévue par la Constitution. Ce serait là effectivement, la « démocratie de la courte paille ». En revanche, le tirage au sort est utile dans un processus consultatif, à côté de la consultation des experts, d’autant plus s’il n’est pas systématique. Il est peut-être même essentiel au moment où la légitimité de notre système pyramidal et, plus globalement, représentatif est contestée.
En effet, il participe à rendre notre organisation plus réticulaire. Comme il permet une appropriation des processus et de la complexité des sujets par un plus grand nombre, il contribue à renforcer la légitimité des avis et décisions qui en découlent.
Ce projet de loi organique donnant corps non pas à un énième chantier institutionnel sans fin, mais à une réforme intelligente du CESE, mon groupe soutiendra l’adoption du texte résultant des travaux de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Nation a besoin d’une assemblée où se confrontent ses forces vives, où les composantes de la société civile peuvent débattre de leurs intérêts.
Une nation qui a l’habitude de dialoguer par le conflit, de passer de crise en crise, a besoin de ce type d’assemblée : c’est le rôle du CESE, dont je salue les membres du bureau qui assistent à nos débats ce soir.
Au cours des dernières années, le CESE n’a malheureusement pas été reconnu à sa juste valeur. Depuis 2017, il est – c’est encore plus dramatique – peu sollicité par le Gouvernement et le Parlement pour produire des avis, souvent parce que nous légiférons dans l’urgence.
Monsieur le ministre, sur la question de l’avenir du CESE, il serait bon que le Gouvernement puisse prendre l’engagement d’aboutir à une réforme consensuelle entre les deux chambres du Parlement, et non à une réforme que vous demanderez à l’Assemblée nationale d’imposer parce qu’elle en a constitutionnellement le pouvoir. Pour l’avenir de cette institution, nous avons besoin de faire « maturer » le projet que vous nous soumettez. Pouvons-nous avoir un engagement de votre part sur ce point ?
En ce qui nous concerne, nous saluons le travail de Mme la rapporteure sur l’article 2, dont la version issue des travaux de l’Assemblée nationale était quelque peu « limite » sur le plan constitutionnel, et sur l’article 6, qui conduisait certes à simplifier, mais oubliait ou « bypassait » des institutions, des structures, dont la consultation était nécessaire dans un certain nombre de cas et qui n’ont pas de représentant au CESE.
C’est la raison pour laquelle il nous a semblé assez logique de supprimer l’article 6 – mais une rédaction de compromis pourrait être trouvée si le débat continuait via la navette et si l’Assemblée nationale n’avait pas le dernier mot en s’abstenant de prendre en compte nos discussions de ce soir.
Nous refusons aussi de faire de cette réforme le reliquat d’une réforme constitutionnelle avortée, c’est-à-dire que le CESE soit la seule assemblée constitutionnelle à perdre 25 % de ses membres parce que le vote d’un simple projet de loi organique rend cela possible. Comme le disait Marie-Noëlle Lienemann, pour être bien représentées, dans leur totalité et le mieux possible, dans un pays complexe, les forces vives ont besoin d’être nombreuses.
Nous estimons que le nombre de membres proposé était trop faible. Nous saluons l’action de Mme la rapporteure pour rétablir le nombre initialement fixé, en contrepartie de la suppression des personnalités qualifiées. Nous sommes donc d’accord sur ce point.
En revanche, nous avons un désaccord majeur sur le rôle de la participation citoyenne dans le texte issu des travaux de la commission des lois.
Monsieur le ministre, vos propos ne nous aident pas. Ne faites pas de la participation citoyenne aujourd’hui ce que fut le plébiscite au Second Empire ! (Rires.) Elle mérite mieux, parce qu’elle est indispensable. La révolution numérique « percute » totalement la démocratie participative.
Depuis vingt ans, les partis politiques, parfois un peu secrets, hiérarchisés, sont complètement remis en cause dans leur fonctionnement par la révolution numérique. Nous l’avons particulièrement constaté il y a quinze ans au moment du référendum sur la Constitution européenne. Aujourd’hui, nous avons besoin non pas d’opposer, mais de conjuguer démocratie représentative et démocratie participative. À cette fin, il faut des parlementaires pour faire du lien. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
Cela exige que chaque citoyen soit un peu responsable politique et que chaque responsable politique reste citoyen, mais aussi de bien connaître la différence entre la participation citoyenne et les élus, qui ont seuls la légitimité pour prendre des décisions – il faut le rappeler.
Nous soutenons ce qui est proposé à l’article 4 du projet de loi organique. Cela n’a rien à voir avec les jurys d’assises, qui sont obligatoires. Quand on est tiré au sort, on peut avoir une dispense, mais on ne se demande pas si cela nous intéresse ou non, si l’on y va ou pas. Là, ce sera quelque peu différent. Ne confondons donc pas : nous avons besoin de la participation citoyenne pour faire vivre la démocratie – c’est essentiel –, mais à sa place. Le CESE pourrait jouer un rôle très utile.
Nous défendrons donc tout à l’heure des amendements sur ce point, sur lequel nous sommes en désaccord avec Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand posera-t-on vraiment la question de l’utilité du CESE et de sa suppression ?
En effet, depuis plusieurs années, cette assemblée n’a pas échappé aux reproches tant le CESE, malgré plusieurs réformes, peine à trouver sa place dans notre système institutionnel.
Créé en 1925 pour constituer un « centre de résonance de l’opinion publique », le CESE a connu de nombreuses évolutions. Ainsi, la Constitution de la IVe République a institué un « Conseil économique », puis celle de la Ve République l’a maintenu en ajoutant à sa dénomination l’adjectif « social ». Ce n’est qu’en 2008, par la loi constitutionnelle du 23 juillet, que la compétence environnementale a été attribuée à cette instance et qu’elle est devenue le Conseil économique, social et environnemental.
Le CESE exerce trois principales missions : conseiller le Gouvernement, favoriser le dialogue entre les forces vives de la Nation, et contribuer à l’information du Parlement.
Le Conseil est composé de 233 membres représentant la société civile organisée. Parmi eux, 193 sont désignés par les corps intermédiaires et 40 sont des personnalités qualifiées nommées par le Gouvernement.
Si le CESE est une institution ancienne, paradoxalement, il demeure une instance consultative méconnue, qui a encore du mal à exister. Il fait l’objet de critiques récurrentes en revenant, de temps en temps, sur le devant de la scène dans le débat public, et ses travaux manquent de visibilité. Il est vrai que l’on n’entend pas assez parler de son rôle et de ses missions, et ses travaux sont trop peu mobilisés.
Faute de sollicitations externes, le CESE s’autosaisit d’ailleurs de la plupart de ses dossiers, ce qui peut poser question pour une assemblée consultative placée auprès des pouvoirs publics. En 2019, l’autosaisine a représenté presque 80 % des travaux du Conseil.
Le CESE est également concurrencé par d’autres instances consultatives, qui disposent d’une capacité d’expertise plus spécifique sur des sujets d’une grande complexité.
Le projet de loi organique que nous examinons a pour objet de permettre au CESE de mieux remplir trois principaux objectifs : institutionnaliser des outils de démocratie participative, inciter les pouvoirs publics à davantage saisir le Conseil, et réduire de 25 % le nombre de ses membres.
Si ce texte n’est pas inintéressant, il démontre toutefois un réel manque d’ambition en consacrant des pratiques déjà mises en œuvre, comme les relations de travail avec les Ceser, la consultation du public, l’avis sur l’application des lois, ou encore la représentation de tous les groupes au sein du bureau de l’institution. Il comporte également des dispositifs inappropriés devant être modifiés ou supprimés.
Aussi, je me réjouis que la commission des lois ait refusé toute légitimation du tirage au sort comme outil de la démocratie. Je me félicite également qu’elle ait supprimé le dispositif permettant au Gouvernement, lorsqu’il consulte le CESE sur un projet de loi, de s’exonérer des autres consultations préalables. En effet, cela reviendrait à se priver d’une expertise spécifique apportée par des organismes thématiques pouvant entraîner un appauvrissement des études d’impact.
Je partage pleinement la position de la commission lorsqu’elle considère que la réduction de 25 % des effectifs du CESE ne repose sur aucun critère objectif, d’autant qu’il paraît paradoxal de réduire le nombre de membres du Conseil alors que la réforme vise à les solliciter davantage.
Je me réjouis que la commission ait adopté une « moindre réduction » de l’effectif du CESE, qui comprendrait désormais 193 membres, soit une diminution de 17 %, qui porterait uniquement sur les 40 personnalités qualifiées.
Enfin, j’approuve la commission des lois lorsqu’elle a rappelé la vocation du CESE, qui représente la « société civile organisée » et non les territoires de la République, et je me félicite que la présence des outre-mer, qui paraît essentielle pour mieux prendre en compte la diversité de ces collectivités, ait été préservée.
La représentation des outre-mer a ainsi été maintenue au sein du troisième pôle, désormais dénommé : « cohésion sociale et territoriale, outre-mer et vie associative ». Historiquement, les outre-mer ont toujours disposé d’une représentation au CESE.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, loin de faire du Conseil une « chambre du futur », ce projet de loi organique est en deçà des attentes que les annonces du Président de la République avaient suscitées. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera néanmoins ce texte amélioré par les modifications apportées en commission.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que ferons-nous du CESE ?
Vous souhaitez, monsieur le garde des sceaux, envoyer un message fort en direction de la jeunesse. Nous pourrions faire de cette institution l’un des multiples outils de la construction du monde d’après. La démocratie est en crise – abstention, mouvement des gilets jaunes, échec du grand débat qui s’est ensuivi, sentiment de colère montante au sein des différents mouvements sociaux, sociétaux et environnementaux – et la confiance envers les responsables politiques continue de s’effriter.
Dans ce contexte, il est louable de reconnaître, comme ce texte doit le faire, la nécessité de s’appuyer davantage sur l’expertise des corps intermédiaires et de renforcer la participation de la société civile et des citoyens ; mais, voilà, il y a loin de la coupe aux lèvres, monsieur le garde des sceaux : le texte dont nous discutons aujourd’hui ne donne pas corps à cette ambition.
En effet, discuter d’un texte sur ce sujet à droit constitutionnel constant est décevant ; cela réduit fortement notre champ des possibles. Des évolutions constitutionnelles seraient nécessaires pour renforcer la participation des citoyens et de la société civile, pour prendre en compte le long terme dans notre démocratie.
Le CESE est une institution essentielle, et nous ne pouvons nous passer de l’expertise des corps intermédiaires, mais il est, aujourd’hui, peu visible, trop peu écouté et rarement pris en compte dans la fabrique de la loi. Or ce projet de loi organique n’est pas suffisant pour lui donner pleinement la place que nous devrions lui permettre d’avoir, en le rénovant et en le renforçant. Nous proposerons donc des amendements pour rendre possible ce renforcement du CESE, tout en étant bien conscients, je le répète, qu’une réforme à droit constitutionnel constant ne nous permettra pas d’aller aussi loin que nécessaire.
La prise en compte du long terme, qui devrait être la marque de fabrique de cette institution et permettre à notre démocratie de donner enfin aux enjeux environnementaux la place qu’ils méritent dans l’agenda politique, doit clairement être le « label » du CESE.
Au-delà même de ce manque d’ambition, ce texte comporte des régressions démocratiques importantes, notamment dans sa version initiale, proposée par le Gouvernement et adoptée par l’Assemblée nationale. Je veux parler de la suppression des consultations obligatoires et du renforcement de la procédure simplifiée.
Sur le premier point, la commission des lois du Sénat a bien identifié le risque, en supprimant l’article 6. Nous nous opposerons bien entendu au rétablissement de celui-ci, sans quoi toute une série d’organismes qui ont apporté leur contribution ou marqué leurs réserves ne pourront plus le faire, puisque, tout simplement, ils ne seront plus consultés.
Sur le second point, la procédure simplifiée, la commission a limité la portée des modifications proposées dans le texte initial, mais nous préconisons de la supprimer totalement ; cette procédure est déjà peu utilisée et sans réelle efficacité.
Ce texte comporte donc, dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale, des reculs dangereux.
Toutefois, il est également porteur d’innovations bienvenues. Je veux parler du tirage au sort, qui est, selon nous, un moyen utile de compléter la démocratie représentative et de revitaliser le débat démocratique. Contrairement à ce qui a pu être avancé dans l’hémicycle et en commission, cette procédure ne nous paraît pas mener à une « démocratie de la courte paille ».
Sans vouloir remettre en cause la légitimité de la Haute Assemblée, il suffit d’un regard pour voir que nous ne sommes pas totalement représentatifs de la société française. S’appuyer, pour mener à bien notre mission de législateur, sur des assemblées de citoyens tirés au sort et représentant une diversité de points de vue enrichirait, selon nous, le processus de concertation et de prise de décision, et renforcerait notre légitimité de parlementaires, par le biais tant d’une amélioration de la qualité des décisions que du renouvellement du lien de confiance avec les citoyens.
La complexité des enjeux de société suppose davantage de démocratie dans l’élaboration des choix. Le citoyen éclairé est un nouvel acteur de la démocratie, la Convention citoyenne pour le climat en est la preuve. Nous défendrons donc des amendements visant à rétablir les processus de consultation par tirage au sort et de participation de personnes tirées au sort aux commissions du CESE. Bien sûr, pour que cet exercice réussisse, il faut des garde-fous : une information éclairée, des processus encadrés. Cela doit s’accompagner de fortes garanties, et nous avons déposé des amendements en ce sens.
Nous soutenons également les dispositions tendant à faciliter la saisine du CESE par voie de pétition, et ce dès 16 ans.
Enfin, nous souhaitons renforcer, au travers de ce texte, la place des enjeux environnementaux au sein du CESE. En effet, vous le savez tous, ces enjeux sont de plus en plus présents dans nos vies. Les effets du changement climatique se font très concrètement ressentir : tensions sur l’utilisation de la ressource en eau, difficultés agricoles et augmentation des catastrophes naturelles – le changement climatique est, selon une alerte de l’ONU datée de ce lundi 12 octobre, le principal responsable du doublement des catastrophes naturelles dans le monde en vingt ans. De même, la perte de biodiversité s’accélère.
M. le président. Il faut conclure.
M. Guy Benarroche. Dans ce contexte d’urgence climatique et écologique, renforcer la place des acteurs de la protection de la nature au CESE nous semble relever du simple bon sens, dont vous ne manquerez pas, mes chers collègues. Le vote du groupe GEST se déterminera en fonction des débats et des amendements adoptés. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le CESE, assemblée consultative régie par la Constitution, a pour missions de favoriser le dialogue entre les forces vives de la Nation et de conseiller le Gouvernement et le Parlement par la publication d’avis.
Nous l’avons tous relevé, la pratique a révélé que cette instance était trop peu sollicitée et que les avis qu’elle rendait, en dépit de leur qualité indéniable, étaient trop peu suivis. Vous excuserez, mes chers collègues, le prisme ultramarin que j’emprunte – régulièrement, j’en conviens –, mais je pense notamment à deux avis de la délégation à l’outre-mer du CESE, rendus respectivement en 2017 et en 2020, relatifs à la lutte contre les violences faites aux femmes et à l’accès aux services publics dans ces territoires.
Devant le Congrès, réuni à Versailles le 3 juillet 2017, le Président de la République avait annoncé une réforme du Conseil économique, social et environnemental, afin de faire de cette institution la grande instance consultative qui fait aujourd’hui défaut.
C’est dans la continuité de cet engagement, renouvelé à l’occasion du grand débat national, qui avait donné lieu à 1,9 million de contributions, et de la Convention citoyenne pour le climat, que ce projet de loi organique nous est aujourd’hui soumis pour examen.
Si la dernière réforme du CESE, en date du 23 juillet 2008, a modernisé cette institution, elle n’a hélas pas permis de renforcer sa légitimité auprès de la société civile et des pouvoirs publics.
En premier lieu, la réforme qui nous est proposée aujourd’hui a pour objet de permettre au CESE de jouer un véritable rôle dans le développement, tant réclamé par nos concitoyens, de la démocratie participative.
Ainsi, afin de faciliter la saisine de cette instance par voie de pétition, la voie dématérialisée est admise, le seuil de recevabilité est abaissé de 500 000 à 150 000 signataires et l’âge minimal des pétitionnaires de 18 à 16 ans. La commission a confirmé la pertinence de ces évolutions, sans les modifier.
Un débat sur l’âge des pétitionnaires se tiendra tout à l’heure, avec la sagesse de la commission, et nous serons défavorables aux amendements qui tendraient à revenir sur la volonté du Gouvernement d’impliquer davantage les jeunes dans le débat public. Alors que certains, sur nos travées, voient dans cette évolution la tyrannie du jeunisme ou de la démagogie, nous considérons, bien au contraire, que cette extension est de nature à préparer ce groupe d’âge au plein exercice de sa citoyenneté.
Initialement, le projet de loi visait également à introduire dans la loi organique la faculté de tirage au sort, afin de nourrir les travaux du CESE, en encadrant ce procédé de garanties solides, pour assurer son caractère impartial et constructif. La commission des lois, considérant qu’une telle disposition affaiblirait les fondements de notre démocratie représentative et l’identité du CESE, a supprimé l’inscription de ce procédé dans la loi organique.
Nous ne partageons pas cette position. En effet, le recours au tirage au sort n’est pas envisagé pour la désignation des membres du CESE. Il constitue simplement un procédé auquel le Conseil aurait la faculté de recourir, parmi d’autres modalités, pour alimenter ses travaux. Il ne s’agit donc en aucun cas d’introduire une confusion des légitimités ni de fragiliser la vocation du CESE de représenter la société civile organisée.
C’est la raison pour laquelle nous proposerons un amendement tendant à réintroduire cette modalité, dans le cadre des procédures de consultation publique, mais également pour ce qui concerne la participation aux travaux des commissions du CESE. Je le sais, notre position sur l’article 4 est partagée par plusieurs collègues et un débat important se tiendra ce soir à ce sujet.
En second lieu, ce texte prévoit de renforcer le rôle consultatif de cette assemblée sur les projets de loi entrant dans son champ de compétences. Nous demanderons, par conséquent, le rétablissement de la dispense accordée au Gouvernement de procéder aux consultations préalables aux projets de loi, lorsqu’il en saisit le CESE.
Enfin, le projet de loi permet une plus grande agilité dans le fonctionnement du CESE et réforme la composition de ce dernier, en réduisant ses effectifs de 25 %. Encore une fois, je ne résiste pas à mon penchant naturel pour souligner que jusqu’alors les outre-mer bénéficiaient de 11 représentants, soit un par collectivité d’outre-mer. Avec cette baisse du nombre des membres du CESE, ils craignent très légitimement de ne plus être tous représentés. Si la vocation du Conseil est, certes, de représenter les forces vives économiques, sociales et associatives du pays et non les territoires de la République, la présence des outre-mer est néanmoins indispensable pour mieux prendre en compte la diversité de ces collectivités.
L’Assemblée nationale avait proposé d’insérer la mention, relativement imprécise à mon sens, selon laquelle le CESE « assure une représentation équilibrée […] des territoires de la République, notamment des outre-mer ».
La commission des lois du Sénat a préféré, quant à elle, intégrer expressément les outre-mer au collège des représentants de la cohésion sociale et territoriale et de la vie associative, ce qui constitue une avancée. Néanmoins, il nous semble important d’aller plus loin dans les garanties de représentation, en précisant ce que recouvre le vocable « outre-mer », afin d’éviter qu’il ne soit appréhendé comme un bloc.
Pour finir, je me réjouis du travail de coconstruction du Gouvernement, de l’Assemblée nationale et du Sénat pour renforcer les obligations déontologiques des membres du CESE ; j’en profite pour saluer la qualité du travail de notre rapporteur. Le groupe RDPI est convaincu que la réforme proposée permettra au CESE de renforcer son rôle et d’occuper la place qui doit lui revenir aujourd’hui, en tant que carrefour des consultations publiques et que chantre de la participation citoyenne.
Aussi, nous conditionnerons notre vote au sort qui sera réservé aux différents amendements dont je viens de faire une présentation non exhaustive. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’imagine qu’un certain nombre de nos concitoyens qui nous regardent examiner, ce soir, sur internet ou sur Public Sénat, ce projet de loi organique visant à réformer le CESE découvriront peut-être par la même occasion que cette instance existe toujours, du moins sur le plan institutionnel. C’est dire la place singulière et, somme toute, relative que le Conseil occupe dans l’esprit de nos concitoyens…
Bien sûr, les plus diplomates évoqueront le CESE comme un lieu d’échange, de consensus. Pourtant, la première question qui me vient à l’esprit est : à quoi sert la troisième assemblée de la République ? La réponse pourrait presque tenir en un mot, mais il serait dommage de le prononcer, ne serait-ce que pour sauvegarder l’intérêt du débat qui nous occupe. En effet, poser la question de la raison d’être d’un tel organe constitutionnel pourrait paraître incongru, sinon inconvenant.
Pour autant, ce n’est pas la première fois – loin de là – qu’elle est posée. Déjà, des membres éminents du Comité consultatif constitutionnel, présidé par Paul Reynaud – cela ne date pas d’hier –, l’avaient fait en 1958. Il s’agissait alors de fixer l’objectif, sans doute utopique, d’un lieu et d’une institution du dialogue social susceptibles d’assurer la paix sociale.
Voilà bien un objectif sur lequel chacun peut s’accorder. Pourtant, des pays comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne n’ont pas cru devoir créer un tel organe. Ce sujet n’a pas manqué de susciter des questionnements, depuis le début, au sein des gouvernements successifs, à commencer par celui de Pierre Mendès France, en 1954, et celui du général de Gaulle, en 1969. Ces gouvernements s’étaient déjà heurtés, peut-être par excès d’ambition, à des résistances fortes.
Il n’empêche, les périphrases plus ou moins inventives au sujet du CESE me semblent symptomatiques : « assemblée consultative », « assemblée du premier mot », « assemblée miroir des mutations citoyennes », « assemblée du consensus » et, de la bouche même du Président de la République, « chambre du futur où circulent les forces vives de la Nation », ou encore « forum de notre République ». Rien que cela…
Sans doute peut-on, dans ce domaine, noter, peut-être pour s’en réjouir, la créativité du langage. Néanmoins, les plus rabat-joie, dont je fais partie, y verront surtout la confirmation que la langue de plomb politico-administrative regorge de ressources insoupçonnées…
Malheureusement, depuis la loi constitutionnelle de 2008, la réalité d’une telle institution se limite, dans notre droit positif, à des modes de saisine du CESE. Cette institution a vocation à émettre des avis sur des projets de texte et à être consultée sur des problèmes relevant de son champ de compétences. Jusqu’à cette révision, le CESE ne pouvait être saisi que par le Gouvernement.
Il est par ailleurs précisé que « par la représentation des principales activités économiques et sociales, le Conseil favorise la collaboration des différentes catégories professionnelles entre elles et assure la participation à la politique économique et sociale du Gouvernement ». Toutefois, les modalités de cette participation sont parfois évasives et, il faut bien l’admettre, cette affirmation relève davantage, au vu de l’histoire, de l’acte de foi que de la réalité.
Comme le notait Dominique-Jean Chertier, dans son rapport de 2009, ce laconisme est la « traduction de l’ambiguïté fondamentale qui a présidé à la destinée de cette institution, jusqu’à aujourd’hui. »
En effet, le CESE n’est pas une assemblée parlementaire ; c’est bien un organe consultatif. Il n’est pas tout à fait inutile ni superflu de rappeler cette évidence, me semble-t-il, car, depuis sa création, cet organe cherche à se doter de certains éléments caractéristiques du Parlement, comme le bénéfice d’immunités pour ses membres, le contrôle du Conseil constitutionnel sur son règlement, l’impossibilité pour le Président de la République de s’y rendre librement, ou encore l’autonomie budgétaire et administrative. Certains y ont vu un mimétisme parlementaire, sans doute guidé par un instinct de survie, qui, au fur et à mesure de son existence relative, n’a fait que croître.
Il est d’ailleurs significatif, au passage, que la saisine parlementaire proposée par le Gouvernement ait été supprimée en 1958.
De même, le rôle de conseil de l’exécutif de cette assemblée consultative reste à démontrer, tant ses avis demeurent obscurs et, parfois, occultes.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’importe quoi !
M. François Bonhomme. Sans doute est-ce en partie la conséquence du fait que le Gouvernement est déjà éclairé par un certain nombre d’organismes dotés d’une capacité d’expertise avec laquelle le CESE ne pourrait rivaliser. Néanmoins, là encore, l’ambiguïté n’est pas levée, car le CESE, qui se veut un lieu de représentation et d’expression des forces économiques et sociales, compte pourtant en son sein des personnalités qualifiées et des membres de section censés conforter l’expertise technique dont disposent, en principe, les autres membres, à des degrés divers.
Au demeurant, cette concurrence institutionnelle n’a fait que renforcer cette ambiguïté initiale. Les organes se comptent par dizaines : conseils supérieurs, hauts conseils, conseils et comités nationaux, ou encore hautes autorités. Certains ont même vu dans la création de ces organismes compétents en matière économique et sociale le signe d’une indifférence, sinon d’une défiance, à l’égard du CESE.
Venons-en à la question centrale : pourquoi le CESE passe-t-il largement inaperçu, non seulement, bien sûr, de l’opinion publique, mais aussi – c’est tout aussi ennuyeux – des pouvoirs publics ? Pourquoi nombre de ses avis et études, qui comportent des analyses stimulantes, demeurent-ils connus de leurs seuls auteurs ? Reste ainsi à savoir à quoi bon réunir et faire travailler régulièrement une assemblée, si plusieurs de ses travaux ne sont ni connus ni reconnus par la société française. C’est une production qui tourne à vide…
D’ailleurs, le diagnostic posé dès 1958 par Maxime Blocq-Mascart, membre du Comité consultatif constitutionnel, conserve toute son actualité : « Les travaux du Conseil économique ont toujours été remarquables depuis une trentaine d’années, mais vains. Ses activités se déploient dans le vide. Nos improvisations constitutionnelles ne remédient pas à un état de fait aussi fâcheux que prolongé. »
Je tiens à préciser que la qualité des membres qui composent le CESE n’est pas en cause ; c’est même un facteur aggravant que de se dire qu’une institution comme le CESE tourne à vide depuis si longtemps, en dépit de la qualité individuelle de ses membres. Cela donne la mesure du problème qui nous occupe…
Notre rapporteur le rappelle opportunément, le Conseil économique, social et environnemental, boudé par les gouvernements successifs, dispose d’un cache-sexe pour masquer son état d’abandon et de déréliction ; en effet, puisque les sollicitations de l’exécutif demeurent anecdotiques – sept en 2018, quatre en 2019 –, il peut s’autoalimenter par le recours quasi providentiel aux autosaisines, qui représentent près de 80 % de son activité. Curieux paradoxe que celui d’un organe consultatif au service des pouvoirs publics et dont la principale activité consiste à s’autoconsulter…
Ainsi, le CESE se retrouve noyé dans un flot incontrôlé d’autosaisines qui lui fait perdre toute visibilité et toute influence. Cela ne change rien ; à l’arrivée, il s’agit toujours du fonctionnement d’une institution en vase clos.
Les ajustements suggérés par le Gouvernement au travers de ce texte traduisent cette situation. Les dispositions proposées sont, le plus souvent, soit superfétatoires, soit contreproductives.
Elles sont superfétatoires quant aux nouvelles règles déontologiques, à la composition du CESE et même à la réduction du nombre de membres ; elles sont contreproductives avec l’introduction du tirage au sort ou avec les critères du droit de pétition.
Je veux dire un mot sur la suppression des personnalités qualifiées. C’est la seule véritable disposition significative de ce texte, après soixante ans de tergiversations et d’atermoiements. Comme d’autres, j’ai déposé, dans le passé, une proposition de loi en ce sens ; je ne peux donc qu’y souscrire.
On retiendra que les personnalités qualifiées sont, selon le Gouvernement, un instrument qui se révèle depuis toujours totalement dévoyé. Chacun se souvient ainsi de la nomination de Georgette Lemaire, ou encore de celle de Jean-Luc Bennahmias, alors secrétaire national du parti écologiste. Cette personnalité s’était vu refuser la troisième place éligible sur la liste de son mouvement aux élections européennes, parce que Mme Voynet tenait à ce qu’il garde la maison écologiste, mais, ne voulant pas « vieillir en apparatchik », avait-il dit, il avait fait comprendre qu’il n’avait pas fait vœu de chasteté institutionnelle, et la ministre de l’environnement de l’époque avait fait remonter le message à Matignon, pour une nomination qui, croyez-moi, n’avait pas traîné… (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.) Quelques années plus tard, il fut renommé au CESE, par un nouveau pouvoir, en remerciement d’une opération de transformisme politique aussi rapide que remarquable.
On retiendra, plus récemment, la nomination de Rost, rappeur de son état et président de l’association Banlieues actives, dont la qualité déterminante, du point de vue du Gouvernement, fut d’avoir composé la chanson L’Avenir, c’est nous, qui faisait l’ouverture des meetings du candidat socialiste, ainsi que, plus généralement, celle d’une flopée d’élus ou d’anciens ministres, courtisans du pouvoir, apparatchiks, hiérarques ou contestataires trop bruyants. (Nouvelles protestations et marques d’impatience sur les mêmes travées.)
M. le président. Veuillez conclure !
M. François Bonhomme. Vous m’aurez compris, les nominations comme personnalité qualifiée font office de lots de consolation. Je laisse le soin aux esprits les plus délicats de lire la liste des autres personnalités qualifiées…
Pour le reste, monsieur le garde des sceaux, vous l’aurez compris, beaucoup d’éléments de ce texte entraînent de fortes réserves de ma part. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Vives protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Tout d’abord, j’ai été étonné, monsieur le garde des sceaux, que vous cédiez à cette vieille lune, à l’idée selon laquelle il y aurait trop de parlementaires et trop de membres du Conseil économique, social et environnemental. Vous n’êtes pas sans le savoir, cette idée, très contestable du point de vue de l’histoire et de la géographie de notre pays, mais qui semble dirimante dans certains esprits, a pour conséquence que des réformes constitutionnelles très importantes et très attendues sont jusqu’à présent bloquées, parce que cette disposition devrait être intégrée dans la révision constitutionnelle.
Je vous l’ai déjà dit, vous avez exprimé votre attachement à une réforme visant à renforcer l’indépendance du parquet, eh bien, il faut dissocier cette réforme de la question du nombre de parlementaires et de membres du Conseil économique, social et environnemental ; vous avez quelques mois pour le faire. C’était mon premier point.
Ensuite, tout ayant été dit sur les personnalités qualifiées, je salue l’amendement de Jean-Yves Leconte, qui a pour objet d’augmenter le nombre de membres du CESE dès lors que l’on renonce aux personnalités qualifiées.
Je veux également vous saluer, madame la rapporteure, parce que vous avez eu la bonne idée de mettre fin, à l’article 2, à ce dispositif baroque prévoyant que soixante membres de l’Assemblée nationale ou soixante membres du Sénat puissent saisir le CESE au sujet de la mise en œuvre d’une disposition législative. Contresens absolu ! Nous votons la loi ; la mise en œuvre de la loi, c’est le travail du Gouvernement, monsieur le garde des sceaux ! Il publie, pour cela, des décrets et il travaille sous le contrôle du Parlement. En revanche, il est très précieux de consulter le CESE, préalablement ou parallèlement à l’écriture de la loi.
Par ailleurs, je veux encore saluer une autre idée, celle qui a consisté à mettre fin à cette bizarrerie : dès lors que le CESE était consulté, cela obérait toutes les autres consultations prévues par toutes les lois. C’était brouillon, et vous y avez mis fin, madame la rapporteure ; nous y souscrivons.
Enfin, je veux également souscrire au fait d’avoir mis fin, à l’article 9, à cet organisme bizarroïde qui comprenait trois sénateurs, trois députés, trois membres du CESE, un représentant du Conseil d’État, un représentant de la Cour des comptes et zéro raton laveur… (Sourires.) On se demandait vraiment à quoi servait ce comité, à part préparer les évolutions futures de la loi.
Si le Gouvernement ou le Parlement jugent qu’il faut changer la loi, qu’ils le fassent ; et je trouve très sain que la composition du Conseil économique, social et environnemental soit déterminée par la loi. Autrement dit, il faut que le CESE joue pleinement son rôle consultatif, son rôle de proposition et de consultation de nos concitoyens, mais il faut que la loi reste la loi.
Je le dis à un certain nombre d’entre vous, qui sont extrêmement préoccupés par la prééminence de la loi. Puisque la loi est prééminente, mes chers collègues, ne nous privons pas d’exercer notre mission de législateur, en très bonne harmonie.
Je consulte le chronomètre, monsieur le président ; j’ai constaté que certains orateurs avaient eu droit à un petit rajout… J’en profite pour indiquer, et j’en aurai terminé, qu’il m’arrive de songer à l’époque, pas si lointaine, où Robert Badinter utilisait un temps de parole plus de deux fois supérieur au temps qui lui était imparti et jamais personne – aucun de vos prédécesseurs, monsieur le président – n’osa l’interrompre. Il n’y avait pas encore cette loi du chronomètre…
M. Xavier Iacovelli et Mme Cécile Cukierman. Mais vous n’êtes pas Badinter !
M. Jean-Pierre Sueur. Tout le monde n’est pas Badinter, je vous le concède très chaleureusement.
J’aurai donc eu mon supplément, et je vous en remercie, monsieur le président. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. Je demande à chacun de respecter le temps de parole qui lui est imparti.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je répondrai brièvement à certains orateurs, mais qu’il me soit d’abord permis de saluer la présence, dans les tribunes, ce soir, du président du CESE, M. Patrick Bernasconi. (Applaudissements sur diverses travées.) Ce dernier aura, je n’en doute pas une seconde, apprécié la qualité des différentes interventions qui se sont succédé.
Madame la rapporteure, vous avez affirmé précédemment que le Gouvernement sacrifiait à l’air du temps. J’aimerais presque que vous ayez raison, parce que, quand on voit la désaffection pour notre démocratie et le taux de participation aux élections, on peut se dire que tout ce qui est de nature à ramener le citoyen vers la démocratie, même participative, ne doit pas être rejeté d’un revers de la manche. (M. Joël Labbé applaudit.)
Pourquoi une réduction de 25 % du nombre des membres du CESE et non de 50 % ou de 33 % ? La réponse est assez simple : d’une part, parce qu’un compromis a été atteint au sein de cette institution et, d’autre part, parce que cela permet de conserver les équilibres des différentes composantes du CESE. Ce n’est pas plus compliqué que cela.
Monsieur le sénateur Leconte, j’aimerais vous être agréable, mais je ne voudrais pas vous faire de promesses que je ne pourrai pas tenir.
Je veux vous rappeler que, dans la procédure législative, l’Assemblée nationale a le dernier mot, sauf lorsqu’il s’agit d’un texte réformant la Constitution ou de projets de loi organique relatifs au Sénat. Nous parlons du CESE, et non pas du Sénat. Je ne peux donc pas m’engager, en dépit de mon envie de vous faire plaisir, à priver l’Assemblée nationale de son pouvoir de décision en dernier ressort en cas de désaccord entre les deux chambres.
Madame la sénatrice Delattre, concernant l’article 2, notamment la possibilité pour une minorité de parlementaires de saisir le CESE, je tiens à vous dire que le Gouvernement partage votre analyse. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’amendement de rétablissement déposé par le Gouvernement ne reprend pas cette disposition ajoutée par l’Assemblée nationale.
Enfin, monsieur le sénateur Sueur, je pourrais moi aussi disserter sur l’immense talent de Robert Badinter et sur ce qu’il a écrit, mais ce n’est pas tout à fait le sujet. Je crains que vous ne m’ayez mal compris, ou peut-être me suis-je mal exprimé, ce qui, je le concède, m’arrive très souvent. Tout le monde peut se tromper ! Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais évoqué ici la réduction du nombre des parlementaires.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi organique relatif au conseil économique, social et environnemental
Article 1er A
(Non modifié)
Au troisième alinéa de l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique, social et environnemental, le mot : « suggère » est remplacé par le mot : « recommande ».
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er A.
(L’article 1er A est adopté.)
Article 1er
Le dernier alinéa de l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 précitée est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Pour l’exercice de ses attributions, le Conseil peut consulter, avec l’accord du président des collectivités territoriales ou de leurs groupements concernés, une ou plusieurs instances consultatives prévues par la loi et créées auprès de ces collectivités ou groupements.
« Il promeut une politique de dialogue et de coopération avec ses homologues européens et étrangers. »
M. le président. L’amendement n° 16 rectifié, présenté par M. Benarroche, Mme Benbassa, MM. Gontard et Parigi, Mmes de Marco et Poncet, M. Salmon, Mme Taillé-Polian et MM. Dossus, Fernique, Labbé et Dantec, est ainsi libellé :
Avant l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
… Le troisième alinéa de l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 précitée est complété par les mots : « , notamment afin de prendre en compte leurs effets à long terme. »
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement vise à préciser que le CESE prend en compte les enjeux de long terme.
Selon nous, cette prise en considération doit être une réelle plus-value. Elle doit être la marque, le label du CESE, parce que le Conseil peut apporter une temporalité différente et complémentaire de la temporalité politique, de celle des institutions de la démocratie représentative, qui est rythmée par les échéances électorales. Ce rapport au long terme est d’ailleurs précisé dans l’exposé des motifs du projet de loi.
Il nous semble néanmoins utile de l’ajouter dans la définition des missions du CESE qui figure dans la loi organique, notamment à l’heure où la montée des enjeux environnementaux appelle au renforcement de la prise en compte des conséquences à long terme des politiques publiques.
Ce texte doit envoyer un symbole fort. Il est plus que temps pour notre démocratie de prendre enfin en compte les conséquences à long terme du réchauffement climatique, de la chute de la biodiversité et le sort des générations futures et présentes.
Comme nous l’apprennent les enjeux environnementaux, certaines de nos décisions ont des conséquences irréversibles. À cet égard, nous avons besoin, en tant que législateurs, que la démocratie participative nous éclaire sur les choix que nous faisons.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. En effet, d’un point de vue purement formel, l’utilisation de l’adverbe « notamment », qui n’est ni clair ni précis, n’est pas conseillée dans les textes de loi.
De manière générale, s’il est exact que le CESE étudie les effets à long terme, le Sénat et même l’Assemblée nationale en font autant, quand le CESE est parfois saisi de textes de loi qui visent le court terme.
Cette précision ne me paraît donc pas utile. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur Benarroche, le Gouvernement pourrait être d’accord avec vous, mais le Conseil d’État nous a convaincus que cette mention avait sa place non pas dans le texte, mais dans l’exposé des motifs, parce qu’elle n’a pas de portée juridique précise.
En conséquence, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. L’amendement n° 46 rectifié, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Richard, Kulimoetoke, Bargeton, Buis, Dennemont, Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Lecornu, Lemoyne, Lévrier, Marchand, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
prévues par la loi et
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Le présent amendement vise à rétablir partiellement l’article 1er du projet de loi organique, afin de réintroduire la faculté de consultation, par le CESE, des instances consultatives créées auprès des collectivités territoriales ou de leurs groupements qui ne sont pas prévues par la loi.
D’une part, ces instances, telles que les budgets participatifs, qui connaissent une expansion certaine depuis 2014, peuvent apporter des retours d’expérience intéressants, en complément de la consultation des instances créées auprès des collectivités en vertu de la loi, l’article prévoyant explicitement que ces consultations peuvent être plurielles.
D’autre part, plus généralement, cet amendement s’inscrit en cohérence avec la souplesse du projet de loi organique, qu’ont d’ailleurs confirmée les travaux de la commission. Il paraît opportun de laisser au CESE une faculté d’appréciation quant à l’opportunité de consulter ou non les différentes catégories d’instances consultatives créées auprès des collectivités territoriales.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. La commission a modifié le texte pour le préciser largement. Le périmètre qui résulte de cette modification est encore très vaste, puisque le nombre des instances prévues par la loi est assez important.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, l’objectif du Gouvernement est de donner un nouveau souffle et une meilleure visibilité au CESE et d’en faire un véritable carrefour de la consultation.
Nous souhaitons donc, comme vous, ne pas priver le CESE d’une quelconque possibilité de bénéficier des compétences de conseils consultatifs locaux, y compris lorsqu’ils ne sont pas créés par la loi.
Le CESE doit pouvoir bénéficier d’une importante marge de manœuvre s’agissant des consultations qu’il jugera utiles.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable sur votre amendement.
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par Mme Jasmin, M. Lurel, Mme Conconne et MM. Antiste et P. Joly, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le Conseil peut désigner en son sein des représentants chargés de promouvoir régulièrement ses avis et études devant les instances consultatives de chaque territoire. »
La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Cet amendement, comme tous ceux que je présenterai sur ce texte, fait écho aux différents échanges que j’ai eus avec la délégation à l’outre-mer du CESE, le président du Ceser de la Guadeloupe et des membres des Ceser de la Guyane et de La Réunion en préliminaire à l’examen de ce projet de loi organique et dont je les remercie.
Dans l’Hexagone comme en outre-mer, le constat concernant le CESE est très simple : beaucoup ignorent son rôle et les travaux qui y sont menés passent largement inaperçus auprès tant des autres institutions locales que des citoyens. En effet, en dépit de la dernière réforme de 2009, le CESE souffre toujours d’un déficit de notoriété préoccupant pour le bon fonctionnement de nos institutions.
Aussi, cet amendement vise à créer les conditions de liens plus étroits entre l’échelon national et territorial, notamment en instituant très clairement dans la loi la possibilité pour le CESE de désigner des représentants chargés de promouvoir leurs travaux devant les Ceser de l’ensemble des territoires à l’échelon national, notamment en outre-mer. Je pense particulièrement aux territoires les plus enclavés ou insulaires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Le CESE communique comme il l’entend avec les Ceser. Il me semble peut-être plus urgent de faire valoir ses travaux devant les collectivités territoriales que devant les instances consultatives, avec lesquelles, j’y insiste, il a les relations qu’il veut.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pour la même raison, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Pour rebondir sur ce qu’a dit Mme le rapporteur, je ne comprends pas que l’on déplore que les travaux du CESE passent inaperçus, que beaucoup ignorent son rôle, et que l’on ne s’interroge pas plus avant sur la raison même de cette méconnaissance.
Selon moi, on ne répondra pas à ce problème en développant des liens endogamiques entre le CESE et les Ceser, qui souffrent du même mal. Cela ne fera que renforcer le manque de visibilité et d’intérêt que manifestent nos concitoyens à l’égard de ces organes consultatifs.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Même si l’on peut comprendre l’objet initial de l’amendement, qui vise à ce que celles que l’on appelle les « troisièmes chambres » puissent travailler plus et mieux ensemble, il n’en demeure pas moins que son adoption ferait courir le risque de laisser croire que le CESE serait, aujourd’hui, le représentant des Ceser de France.
Il faut prendre garde à ce danger, d’autant que le Gouvernement – monsieur le ministre, je crois que vous n’allez pas être d’accord avec ce que je vais dire –, depuis le début du quinquennat, a fait le choix de mépriser les corps intermédiaires.
Les corps intermédiaires doivent s’organiser pour proposer des concertations et des contributions au débat public dans notre pays. Chacun doit rester à sa place, mais il ne faudrait pas aujourd’hui donner le sentiment qu’existerait une quelconque relation de hiérarchie ou de dépendance entre les uns et les autres. Quoi que l’on puisse en penser, les Ceser sont des outils au service principalement des collectivités régionales, et le CESE doit être au service de l’échelon national, à savoir du Parlement et du Gouvernement, pour éclairer nos choix. Il ne faut pas forcément rechercher une imbrication des uns et des autres.
L’adoption de cet amendement pourrait avoir un effet contreproductif sur la visibilité tant du CESE que des Ceser.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 17 rectifié, présenté par MM. Benarroche, Gontard, Labbé et Dantec, Mme Taillé-Polian, MM. Fernique, Salmon et Dossus, Mmes Poncet, Benbassa et de Marco et M. Parigi, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l’article 2 de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 précitée est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ces avis sont déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent. »
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement, assez simple, vise à améliorer la visibilité et l’accessibilité des travaux du CESE, en prévoyant que ses avis sur les projets de loi de plan et les projets de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental soient déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il me semble, mon cher collègue, que c’est déjà le droit positif. La commission sollicite donc le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le dispositif de l’amendement est relatif non à l’organisation et au fonctionnement du CESE, mais à la procédure parlementaire.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Outre que son dispositif relève de la procédure législative, cet amendement ne va pas jusqu’au bout de l’objet du texte, qui est de redonner non seulement de la visibilité, mais aussi de la légitimité au CESE.
Faut-il en rester à la transmission des avis du CESE à la première assemblée saisie d’un projet de loi et à celle-ci seulement ? Je trouve assez surprenant que le Sénat défende cette position, puisque, dans leur majorité, les projets de loi ne sont pas soumis en premier lieu à son examen.
Quitte à amender le texte pour améliorer la visibilité du travail du CESE, nous pourrions plutôt réfléchir à ce que ses avis soient transmis aux deux assemblées qui examineront successivement les projets de loi.
Il me semble, au-delà de ce qu’ont pu dire Mme la rapporteure et M. le ministre, que cet amendement est en deçà des ambitions de celles et de ceux qui voudraient redonner une nouvelle légitimité et une nouvelle visibilité au CESE.
M. le président. L’amendement n° 18 rectifié, présenté par MM. Benarroche, Gontard et Dantec, Mme Taillé-Polian, MM. Fernique, Salmon et Dossus, Mmes Poncet, Benbassa et de Marco et MM. Parigi et Labbé, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 4 de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 précitée est ainsi rédigé :
« Suite à un avis du Conseil économique, social et environnemental, le Gouvernement lui envoie un rapport motivé indiquant celles de ses recommandations dont il a tenu compte et expliquant les motifs de la décision de ne pas retenir les autres.
« Chaque année, le Premier ministre présente un bilan global et chiffré des suites données aux avis et productions du Conseil économique, social et environnemental. »
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement vise lui aussi à renforcer la visibilité et la légitimité du CESE, dans l’esprit du projet de loi organique, en prévoyant une réponse motivée du Gouvernement à ses avis et productions.
Comme l’a montré l’expérience de la Convention citoyenne pour le climat, le succès de la démocratie participative est en grande partie liée à la transparence sur les suites données aux consultations.
Nous proposons également de conserver le bilan annuel actuellement prévu par la loi organique et de le préciser, afin de permettre une vue d’ensemble sur la prise en compte par le Gouvernement des avis du CESE présentés dans l’hémicycle de ce dernier.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il me semble là aussi que le droit en vigueur permet déjà de satisfaire cet amendement.
Le Premier ministre fait déjà connaître, chaque année, la suite qui a été réservée aux avis du CESE. De même, les études d’impact des projets de loi précisent les suites que leur donne le Gouvernement.
La commission sollicite donc le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement partage la position de Mme la rapporteure.
Le dispositif de l’amendement revient à confier au CESE un pouvoir de contrôle sur l’action du Gouvernement. Nous y sommes totalement opposés. J’émets évidemment un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous soutiendrons cet amendement.
Il ne s’agit pas de contrôler le Gouvernement : il s’agit de lui demander quelle suite il a donnée aux recommandations du CESE. Dans le même esprit, nous défendrons un amendement tendant à créer une obligation pour le Gouvernement de répondre aux conférences citoyennes.
Le but n’est pas d’obliger le Gouvernement à suivre les avis du CESE : il s’agit d’obtenir de sa part des explications sur les raisons pour lesquelles il les a ou non retenus. Cela permettrait de leur marquer une certaine considération, qui manque terriblement aujourd’hui. On passe souvent à côté de très bonnes recommandations du CESE parce qu’elles demeurent invisibles.
Les membres de mon groupe défendent cet amendement, qu’ils trouvent bienvenu.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice, demander au Gouvernement les suites qu’il donne, c’est un peu contrôler son action ! (Vives protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 18 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 2
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 19 rectifié, présenté par MM. Benarroche, Gontard, Labbé et Dantec, Mme Taillé-Polian, MM. Fernique, Salmon et Dossus, Mmes Poncet, Benbassa et de Marco et M. Parigi, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le second alinéa de l’article 3 de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 précitée est complété par une phrase ainsi rédigée : « À ce titre, il peut être saisi par le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs d’une demande d’avis sur la mise en œuvre d’une disposition législative entrant dans son champ de compétence. »
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement vise à rétablir l’article 2, supprimé par la commission des lois du Sénat, dans sa rédaction adoptée par l’Assemblée nationale.
En effet, nous considérons qu’il est pertinent de prévoir dans la loi organique la possibilité, pour le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, celui du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, de saisir le CESE d’une demande d’avis sur la mise en œuvre d’une disposition législative entrant dans son champ de compétences.
Selon nous, cette disposition renforce la possibilité pour le Parlement d’avoir accès à un éclairage et à une expertise utiles pour remplir sa mission de contrôle et d’évaluation des politiques publiques.
Le dispositif de cet amendement, en particulier la possibilité pour une minorité de parlementaires de saisir le CESE, sur le modèle de ce qui existe pour le Conseil constitutionnel, ne nous paraît pas du tout instaurer une concurrence. Il nous semble proposer un réel renforcement démocratique de nature à légitimer à la fois le Parlement et le CESE.
Nous sommes conscients du risque d’inconstitutionnalité de cet amendement, mais nous estimons que la Constitution laisse une marge de manœuvre et que, le cas échéant, le Conseil constitutionnel pourra, après analyse, retoquer cette proposition. Cela ne sera pas la première fois qu’il censure une disposition proposée par le Parlement !
M. le président. L’amendement n° 42, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le second alinéa de l’article 3 de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 précitée est complété par une phrase ainsi rédigée : « À ce titre, il peut être saisi par le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale ou le Président du Sénat, d’une demande d’avis sur la mise en œuvre d’une disposition législative entrant dans son champ de compétence. »
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Par cet amendement, le Gouvernement entend rétablir l’article 2 du projet de loi organique, dans une version proche de celle qui a initialement été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale. La seule différence est que son dispositif ne reprend pas la possibilité de saisine par soixante députés ou soixante sénateurs, qui relève de la Constitution, et non de la loi organique.
Pourquoi rétablir l’article 2 ? L’amélioration de l’évaluation des politiques publiques paraît aujourd’hui une nécessité dans le cadre de la modernisation de l’action publique. L’ordonnance du 29 décembre 1958 relative au CESE prévoit que celui-ci participe et contribue à l’évaluation des politiques publiques à caractère économique, social, environnemental. Cette mission doit être renforcée pour lui permettre de remplir ce rôle plus efficacement.
Le CESE lui-même avait pointé du doigt cette insuffisance dans un avis du 8 septembre 2015. Il avait notamment recommandé d’associer l’ensemble des acteurs aux différentes étapes du processus évaluatif, afin de favoriser la pluralité des points de vue et d’accroître ainsi la crédibilité et la légitimité de l’évaluation des politiques publiques.
Le rétablissement de l’article 2 permettrait de prévoir expressément une modalité concrète de la participation du CESE à la fonction d’évaluation des politiques publiques. Le Conseil d’État l’a relevé d’ailleurs dans son avis du 25 juin 2020.
Il est donc opportun de prévoir que le CESE pourra être saisi d’une demande d’avis sur la mise en œuvre d’une disposition législative entrant dans son champ de compétences. Il s’agit tout simplement de renforcer les outils permettant d’améliorer l’évaluation des politiques publiques.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Les deux amendements tendent à ce que le CESE puisse être saisi d’une demande d’avis sur la mise en œuvre d’une disposition législative.
D’abord, le champ de compétences constitutionnel du CESE est relativement large, puisqu’il peut être consulté par le Gouvernement et le Parlement sur tout problème de caractère économique, social et environnemental. Je ne suis donc pas certaine que la saisine doive être ainsi précisée.
En outre, je rappelle que le suivi de la mise en œuvre de dispositions législatives, c’est-à-dire de l’application des lois, est le rôle du Parlement. Comme vous le savez, mes chers collègues, le Sénat publie tous les ans un bilan annuel, matérialisé par une commission permanente, sous l’égide d’un vice-président.
J’en viens à la possibilité de saisine par soixante députés ou soixante sénateurs que tend à instaurer l’amendement n° 19 rectifié. La Constitution dispose que chacune des chambres du Parlement peut saisir le CESE. Dès lors, le dispositif de l’amendement ne me paraît pas conforme à la Constitution. La commission des lois constitutionnelles est aussi de se soucier de la conformité à la Constitution !
Par ailleurs, sur le fond, je ne suis pas sûre qu’il soit très opportun que le CESE puisse en quelque sorte être instrumentalisé par des groupes divers des chambres du Parlement.
La commission est donc défavorable aux deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 19 rectifié ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ayant déposé un amendement qui n’est pas tout à fait identique, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Qui saisit et sur quoi ? Il me semble que les dispositions actuelles de la Constitution relatives à la saisine sont déjà tellement larges que ce que vous défendez, monsieur le ministre, n’apporte rien.
Si nous voulons éventuellement faire évoluer les choses pour qu’un nombre significatif de parlementaires à l’Assemblée nationale ou au Sénat puissent saisir le Conseil économique, social et environnemental, il n’est pas inenvisageable que nous plaidions pour une évolution du règlement de notre assemblée permettant de demander à son président d’engager la démarche si nous l’estimons utile.
La vraie difficulté tient au rythme législatif : nous passons notre temps à légiférer dans l’urgence. Quand quelques jours seulement séparent le dépôt des projets de loi de leur examen en commission, quand l’intervalle entre celui-ci et la discussion en séance n’est parfois que de quelques heures, où est la place pour une consultation du Conseil économique, social et environnemental ? Nous avons vu hier que, dans ce pays, le Président de la République peut demander au Parlement de légiférer et, le lendemain, lui annoncer qu’il a changé d’avis.
Monsieur le ministre, certains textes, à l’instar du présent projet de loi, gagneraient à ne pas être examinés en urgence, pour aboutir à un résultat consensuel. Pourtant, ce n’est pas ainsi que vous envisagez les choses. Dès lors, abstenez-vous de nous promettre que vous rechercherez des consensus !
Ce que l’on constate, pour l’heure, c’est un souci de rapidité et d’accélération. Le problème est là. Il n’est pas dans les dispositions du texte. C’est en raison des pratiques législatives que nous ne pouvons pas accorder une place suffisante au Conseil économique, social et environnemental. Mais, pour les changer, monsieur le ministre, il faut gouverner en prévoyant !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous nous associons à la déclaration de Jean-Yves Leconte.
Nous pensons que la bonne méthode consiste à modifier le règlement interne de chaque assemblée, afin de veiller à ce que la saisine du CESE ne puisse pas seulement se faire sur le fondement de l’unanimité ou du seul choix du président de l’assemblée concernée. Selon nous, il ne convient donc pas de préciser dans le texte la saisine par soixante députés ou sénateurs.
M. le président. En conséquence, l’article 2 demeure supprimé.
Article 3
L’article 4-1 de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 précitée est ainsi rédigé :
« Art. 4-1. – Le Conseil économique, social et environnemental peut être saisi par voie de pétition de toute question à caractère économique, social ou environnemental.
« La pétition est rédigée en français et adressée par écrit, par voie postale ou par voie électronique, au Conseil économique, social et environnemental. Elle est présentée dans les mêmes termes par au moins 150 000 personnes domiciliées dans au moins trente départements ou collectivités d’outre-mer, âgées de seize ans et plus, de nationalité française ou résidant régulièrement en France. La période de recueil des signatures est d’un an à compter du dépôt de la pétition.
« Les informations recueillies auprès des signataires afin de garantir leur identification sont précisées par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
« La pétition est adressée par un mandataire unique au président du Conseil économique, social et environnemental. Le bureau statue sur sa recevabilité au regard des conditions fixées au présent article et informe le mandataire de sa décision concernant la recevabilité de la pétition. À compter de cette décision, le Conseil dispose d’un délai de six mois pour se prononcer par un avis en assemblée plénière sur les questions soulevées par les pétitions recevables et sur les suites qu’il propose de leur donner.
« L’avis est adressé au Premier ministre, au président de l’Assemblée nationale, au président du Sénat et au mandataire de la pétition. Il est publié au Journal officiel. »
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, sur l’article.
M. Xavier Iacovelli. Au fil des années, nos concitoyens ont démontré leur désir croissant de participer davantage à la vie publique. Nous pouvons notamment le constater au travers d’un certain nombre d’initiatives prises à l’échelle locale et de la multiplication de pétitions en ligne.
Or cette ambition de renforcement de la participation citoyenne aboutit à un constat d’échec relatif. La preuve en est qu’une seule pétition a atteint le seuil de recevabilité de 500 000 signataires depuis la révision constitutionnelle de 2008, qui a introduit cette faculté.
Le CESE, conscient de cet échec, a créé un dispositif de veille des pétitions déposées via des plateformes internet et qui ne lui sont pas directement adressées. Il a été poussé à se tourner vers des intermédiaires pour flécher les pétitions.
Partant de ce constat, l’ambition de ce projet de loi est justement de faire du CESE un acteur essentiel en matière de démocratie participative, par le recueil et le traitement des pétitions.
Dans cette logique, cet article tend à faciliter la pétition auprès du CESE, en autorisant la voie dématérialisée et en réduisant de moitié le délai dont dispose le CESE pour donner un avis. Je tiens à saluer le travail parlementaire et le consensus recherché sur l’assouplissement des modalités de pétition.
Je note également l’abaissement à 16 ans de l’âge requis pour pétitionner, ainsi que celui du nombre de pétitionnaires à 150 000 signataires. Ce sont, selon moi, des mesures importantes qui vont dans le sens d’une meilleure participation des citoyens à la vie publique, notamment des plus jeunes d’entre eux.
Telles sont les raisons pour lesquelles je me réjouis que notre assemblée puisse débattre aujourd’hui de ces questions de société majeures, qui sont chères à nos concitoyens.
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 29 rectifié, présenté par MM. Bonhomme, Frassa, Brisson et Bonne, Mme Micouleau, M. Paccaud, Mme Puissat, MM. Vogel, Cardoux, Piednoir, Mandelli, B. Fournier, Bazin, D. Laurent et Bouchet, Mme Belrhiti et MM. Segouin, Sautarel et C. Vial, est ainsi libellé :
Alinéa 3
1° Deuxième phrase
Remplacer le nombre :
150 000
par le nombre :
500 000
et le mot :
seize
par le mot :
dix-huit
2° Dernière phrase
Remplacer les mots :
d’un an
par les mots :
de six mois
La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Cet amendement tend tout d’abord à maintenir le droit en vigueur, en maintenant le nombre de pétitionnaires requis pour faire valoir le droit de pétition devant le CESE à 500 000 personnes.
L’abaissement du seuil des signatures pour les pétitions permettant de saisir le CESE de 500 000 à 150 000 me paraît en effet injustifié. L’exercice du droit de pétition doit pouvoir se faire de manière parcimonieuse et ne saurait donner matière à une activité pétitionnaire excessive.
Cet amendement vise par ailleurs à ajuster l’âge des pétitionnaires autorisés à faire valoir le droit de pétition devant le CESE à l’âge minimal relatif au droit de vote. L’exemple de Greta Thunberg doit nous inviter à agir avec prudence. C’est pourquoi il vous est proposé de maintenir l’âge du droit de pétition devant le CESE à 18 ans.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous n’avez qu’à l’interdire !
M. François Bonhomme. Cet amendement prévoit enfin d’abaisser le délai pour le recueil des signatures à six mois. Ce délai paraît en effet plus raisonnable que le délai d’un an qui nous est proposé.
Quant aux amendements nos 30 rectifié, 31 rectifié et 32 rectifié, ils reprennent séparément les termes de l’amendement n° 29 rectifié.
M. le président. L’amendement n° 30 rectifié, présenté par MM. Bonhomme, Frassa, Brisson et Bonne, Mme Micouleau, MM. Paccaud, Vogel, Cardoux, Piednoir, Mandelli, B. Fournier, Bazin, D. Laurent et Bouchet, Mme Belrhiti et MM. Segouin, Sautarel et C. Vial, est ainsi libellé :
Alinéa 3, deuxième phrase
Remplacer le nombre :
150 000
par le nombre :
500 000
Cet amendement a déjà été défendu.
L’amendement n° 31 rectifié, présenté par MM. Bonhomme, Frassa, Brisson et Bonne, Mme Micouleau, MM. Paccaud, Vogel, Cardoux, Piednoir, Mandelli et B. Fournier, Mme Di Folco, MM. Bazin, D. Laurent et Bouchet, Mme Belrhiti, MM. Segouin, C. Vial, Sautarel et Rapin et Mme Lherbier, est ainsi libellé :
Alinéa 3, deuxième phrase
Remplacer le mot :
seize
par le mot :
dix-huit
Cet amendement a déjà été défendu.
L’amendement n° 32 rectifié, présenté par MM. Bonhomme, Frassa, Brisson et Bonne, Mme Micouleau, MM. Paccaud, Vogel, Cardoux, Piednoir, Mandelli, B. Fournier, Bazin, D. Laurent et Bouchet, Mme Belrhiti et MM. Segouin, Sautarel et C. Vial, est ainsi libellé :
Alinéa 3, dernière phrase
Remplacer les mots :
d’un an
par les mots :
de six mois
Cet amendement a déjà été défendu.
Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble de ces amendements ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je demande tout d’abord à notre collègue de bien vouloir retirer l’amendement n° 29 rectifié, afin de pouvoir discuter séparément des dispositions introduites dans les trois amendements suivants.
S’agissant du nombre de pétitionnaires nécessaires pour qu’une pétition soit recevable, la commission a accepté que l’on passe de 500 000 à 150 000. Elle est donc défavorable à l’amendement n° 30 rectifié. En effet, le chiffre de 500 000 est assez élevé et une seule pétition, cela a été rappelé à plusieurs reprises, a réussi à atteindre ce seuil, mais elle était irrecevable. Même s’il n’existe pas de chiffre d’or, 150 000 semble un chiffre raisonnable au regard des précédentes pétitions.
Quant à l’amendement n° 31 rectifié, il vise à revenir à l’âge de 18 ans pour le dépôt d’une pétition devant le CESE, contre 16 ans dans le texte de la commission.
La commission a émis un avis de sagesse sur ce point. À titre personnel, je m’interroge de la même façon que l’auteur de l’amendement. En effet, on a l’impression qu’à 16 ans, pour attirer l’attention des pouvoirs publics, il faut faire preuve d’une capacité d’indignation et d’enthousiasme à peu près inversement proportionnelle à ses connaissances et à son expérience.
Cela légitime-t-il cette indignation ? Je ne sais pas ! Quoi qu’il en soit, la commission s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement, chacun appréciera comme il l’entend.
Sur l’amendement n° 32 rectifié, qui tend à réduire le délai de recueil des signatures, je rappelle qu’il n’existait pas de délai. La commission a jugé utile de prévoir un délai d’un an. L’auteur de l’amendement souhaite inscrire un délai de six mois. La commission, qui préfère s’en tenir à sa proposition initiale, est donc défavorable à cet amendement.
Pour résumer, monsieur le président, la commission demande le retrait de l’amendement n° 29 rectifié ; elle est défavorable à l’amendement n° 30, s’en remet à la sagesse de notre assemblée sur l’amendement n° 31 rectifié et est défavorable à l’amendement n° 32 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur Bonhomme, vous voudriez paralyser le CESE que vous ne feriez pas autrement ! Je n’ai pas senti dans ces amendements une grande force progressiste. Bien évidemment, le Gouvernement y est totalement défavorable. Permettez-moi de vous dire pourquoi.
Tout d’abord, un seuil de 500 000 pétitionnaires, cela ne marche pas ! Il faut donc changer les règles. Mme la rapporteure l’a dit, il fallait bien fixer un chiffre, et c’est celui de 150 000 qui a été retenu. Nous avons regardé ce qui se fait dans les autres démocraties. Aux États-Unis, le seuil est de 100 000 signataires.
Ensuite, vous proposez de réduire le délai de recueil des signatures, ce qui rendra bien évidemment plus difficile la saisine du CESE. Au regard de mes propos liminaires, j’aurais tendance à dire : CQFD.
Par ailleurs, s’agissant de l’abaissement de l’âge requis pour pétitionner à 16 ans, ce n’est pas parce qu’on n’est pas un citoyen qu’on n’a pas d’idées !
M. Fabien Gay. Très bien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Tout ce qui peut rapprocher la jeunesse de la démocratie va dans le bon sens. On ne peut pas se plaindre que les jeunes se désintéressent de la politique, de la vie publique, de la res publica, au sens large du terme, et ne pas faire en sorte que certains d’entre eux s’intéressent à ce qui se passe dans notre société, et plus largement dans la vie de notre pays. Ce n’est pas parce qu’on a 16 ans qu’on n’a pas d’idées ni de bonnes idées.
D’ailleurs, quand on a 16 ans, on peut conduire, chasser, ouvrir un compte : on a un certain nombre de droits. Certes, on n’est pas encore un citoyen au sens où l’on ne vote pas, mais on appartient à la société. Dans nos familles, les gamins de 16 ans ont souvent la bonne idée, celle que l’on n’a pas eue. (M. François Bonhomme s’exclame.) La Haute Assemblée enverrait un signe fort aux jeunes gens de 16 ans, en les prenant en considération et en leur accordant le droit de pétitionner. Même s’il ne s’agit pas d’une expression citoyenne, ce n’est pas une expression neutre.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements, lesquels, s’ils étaient adoptés, paralyseraient définitivement le CESE, ce qui n’est tout de même pas le but que nous recherchons.
M. François Bonhomme. Ça ne changerait rien !
M. le président. L’amendement n° 29 rectifié est-il maintenu, monsieur Bonhomme ?
M. François Bonhomme. Je vais le retirer, monsieur le président.
Permettez-moi de rebondir sur les propos de M. le ministre. Je suis désolé de ne pas appartenir aux « forces progressistes », pour reprendre ses propres termes. Je m’efforce d’y parvenir, bien que je ne voie pas l’aspect progressiste de ces dispositifs.
Vous me dites que le seuil de 500 000 pétitionnaires est beaucoup trop élevé. Peut-être pourrions-nous nous interroger sur les raisons pour lesquelles nous avons du mal à recueillir 500 000 signatures ?
Pour ce qui concerne l’âge requis pour pétitionner, je rappelle que l’âge légal du droit de vote en France est fixé à 18 ans. On considère que, dans la formation des esprits, c’est l’âge où l’on s’émancipe et où l’on acquiert la capacité de discernement. Cela n’a rien à voir avec la capacité de conduire une voiture, qui pourrait être fixée à 14 ans. Votre analogie n’est pas particulièrement convaincante.
Enfin, j’ai pris l’exemple de Greta Thunberg. Quand j’ai vu tous les médias se précipiter pour recueillir ses propos et suivre le moindre de ses déplacements, quand j’ai vu qu’elle était reçue à l’ONU par les chefs d’État qui s’aplatissaient devant une jeune fille qui ne s’exprimait que par des slogans et leçons de morale (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.), bien qu’ils connaissent parfaitement, étant au pouvoir, la complexité des choses et la difficulté de gouverner, j’ai compris l’état de la société et son infantilisation. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Bravo !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Quel beau message adressé à la jeunesse !
M. le président. L’amendement n° 29 rectifié est retiré.
La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote sur les amendements restant en discussion.
M. Fabien Gay. Monsieur le garde des sceaux, je suis pleinement en accord avec ce que vous avez dit, du début à la fin.
Monsieur Bonhomme, bien que vous n’apparteniez pas aux « forces progressistes », nous pouvons avoir un débat. Pensez-vous que, dans notre pays, il y ait trop de débats politiques, qu’il y ait trop d’hommes et de femmes qui se saisissent du débat politique ? Ne pensez-vous pas que l’abstention massive doit nous interpeller, toutes et tous ?
Si vous pensez qu’un trop grand nombre de personnes se mêlent de politique et qu’il faut entraver la démocratie, y compris concernant le droit de pétition, en faisant en sorte que personne ne puisse jamais y avoir accès, adoptez ces amendements !
Le problème est le même qu’avec le référendum d’initiative partagée, le RIP. Cette procédure a connu une tentative de mise en œuvre au sujet de la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP), car 248 parlementaires de tous bords politiques avaient réussi à se mettre d’accord – c’était inédit. Ensuite, il fallait obtenir le soutien de 4,7 millions d’électrices et d’électeurs. Nous avons réussi à obtenir un million de signatures. Nous avons rencontré une foule de difficultés, le Gouvernement ayant sciemment fait le choix d’étouffer la question. Nous devrons en rediscuter.
Monsieur le garde des sceaux, il faut donc abaisser le seuil du nombre de pétitionnaires, mais aussi faciliter le droit de pétition, en faire la promotion, donner les moyens à celles et ceux qui veulent se mobiliser sur telle ou telle question de réunir 150 000 pétitionnaires.
Ce débat dépasse largement la question du CESE. Il soulève des questions concernant notre démocratie et la démocratie participative. Je pense également à la Convention citoyenne pour le climat. Pourquoi celle-ci ne rend-elle des comptes qu’au Président de la République ? Pourquoi le Parlement est-il dessaisi ? Cela pose problème !
Sans compter que le Président de la République a décidé d’écarter trois propositions sur les cent cinquante. Sur ce, Bruno Le Maire décide d’en enlever trois autres. À la fin, il n’en reste rien et nous n’aurons eu aucune prise directe avec la Convention citoyenne.
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.
M. Xavier Iacovelli. Abaisser à 16 ans l’âge requis pour pétitionner, ce n’est pas faire preuve d’un jeunisme malvenu. En tant que parlementaires, nous devons être à l’écoute des revendications de nos concitoyens et de leur désir de s’investir dans la vie publique. On ne peut pas écarter d’un revers de main l’envie croissante de la jeunesse de s’investir dans la vie publique et de participer aux débats de notre société. On ne peut pas non plus invoquer une présomption d’incompétence avant 18 ans.
Dès le lycée, les jeunes sont mobilisés et intéressés à la chose publique. Je rappelle d’ailleurs qu’un certain nombre de collectivités retiennent l’âge limite de 16 ans et que les assemblées parlementaires s’en affranchissent.
Le fait de ne pas être électeur n’induit pas forcément une incapacité de pétitionner.
Ainsi l’exposé des motifs de l’amendement déposé par notre collègue François Bonhomme traduit une position caricaturale de l’opposition. Il cite Greta Thunberg pour hystériser le débat, sachant pertinemment qu’elle ne fait pas l’unanimité, et pour décrédibiliser toute participation de la jeunesse au débat public.
Mes chers collègues, je vous demande d’être à l’écoute de l’évolution de notre société, des revendications nouvelles et de nos concitoyens. J’insiste sur ce point : la participation est voulue par la jeunesse.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. À mes yeux, cette question est très importante pour notre démocratie.
Vous le disiez, monsieur le ministre, dans la crise démocratique que nous traversons, tout ce qui permet aux citoyens de se sentir acteurs, de près ou de loin, de la vie publique ne peut être qu’une avancée. C’est encore plus vrai pour notre jeunesse.
À longueur de journée, on entend dire qu’elle est dépolitisée et désidéologisée. Mais elle s’engage ! Cela ne nous fait pas toujours plaisir et on n’est pas toujours d’accord. De toute façon, depuis le début de l’histoire de la démocratie, il y a toujours eu des tensions entre la jeunesse et les corps institués qui représentaient les citoyens. Préférez-vous qu’elle commette des actes de révolte, plutôt que de dire, par le biais d’une pétition, ce qu’elle souhaite ? N’êtes-vous pas favorables à ce que la démocratie représentative leur donne des réponses, quitte à dire non ?
Vous avez peur du peuple, et le peuple sent que les représentants du peuple ont peur de lui. Il y a aujourd’hui une crise terrible, dans notre pays, entre la jeunesse et ceux qui la représentent. Le droit de pétition n’est pas tout. Que risquons-nous ? Les jeunes de 16 ans peuvent être membres d’une association, ils s’engagent auprès des Restos du cœur ou d’ATD Quart Monde. Mais le jour où ATD Quart Monde fait une pétition, ils n’auraient pas le droit de la signer ? Je vous rappelle au passage que le droit au logement opposable retenu par le président Chirac, qui a fait florès dans tous les rangs de nos assemblées, est né d’un rapport du Conseil économique, social et environnemental.
Il ne s’agit pas de leur donner le droit de décider. Le débat sur le droit de vote est un autre débat. Il est ici question du droit de pétition, pour se faire entendre et obtenir des réponses. En l’occurrence, de quoi avons-nous peur ?
M. François Bonhomme. Ce n’est pas une question de peur !
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je ne sais pas qui est progressiste ou qui ne l’est pas ce soir. Je sais simplement, et je l’ai déjà dit ici, que nous devons nous prémunir toutes et tous du progressisme, qui n’est jamais une avancée – comme vous le constatez, je commence doucement… (Sourires.)
Comme l’ont dit mes deux collègues, la question n’est pas d’avoir ou non peur du peuple. Il s’agit d’un débat beaucoup plus fondamental sur ce qu’est devenu le CESE.
M. François Bonhomme. Un ectoplasme !
Mme Cécile Cukierman. À l’origine, le Conseil économique et social, le CES, issu de la guerre, des initiatives d’un certain nombre de gouvernements et d’une volonté de construction de la République, constituait, pour ce que l’on qualifie aujourd’hui de « corps intermédiaires » – organisations syndicales et organisations patronales – un espace de discussion, de proposition et d’expertise, pour permettre à tous ceux qui sont amenés à décider dans notre pays, du législateur au Gouvernement, de disposer d’un éclairage particulier.
Cette institution a progressivement évolué, se transformant en CESE, Conseil économique, social et environnemental. Toutefois, la question ne porte pas sur cet aspect environnemental. En effet, nous sommes passés de questions et enjeux sociaux fondamentaux pour comprendre notre République et décider de son avenir à des questions sociétales, sur lesquelles tout un chacun peut intervenir, faisant ainsi éclater les camps des progressistes et des non-progressistes, ainsi que de la gauche et de la droite : toute la représentation politique et démocratique, qui constituait un repère dans notre pays, a été atomisée.
Pour conclure, comme je l’ai dit en commission, je ne suis pas favorable à l’abaissement à 16 ans du droit de pétition, et voterai non pas l’ensemble de vos amendements, monsieur Bonhomme – finalement, vous n’avez pas complètement rejoint le camp progressiste ! –, mais simplement l’amendement n° 31 rectifié.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Considérez la situation et le couvre-feu qui sera instauré dans deux jours. Il n’aurait peut-être pas été inutile de recueillir l’expression de la jeunesse sur l’évolution des choses depuis quelque temps.
Par ailleurs, si nous considérons qu’il y a un âge pour devenir citoyen, nous n’aurons plus de citoyens ! La citoyenneté s’apprend progressivement. Il n’est pas illogique de permettre aux moins de 18 ans de s’exprimer, même si la responsabilité du vote intervient plus tard !
Je ne comprends pas la pensée binaire du tout ou rien. N’oublions pas l’apprentissage, l’éducation et la progressivité. Au demeurant, c’est bien le même problème sur d’autres sujets. Ainsi, les mineurs isolés étrangers ne deviennent pas, du jour au lendemain, des adultes capables de tout ! Leur évolution est progressive. En tant que parents d’enfants qui sont devenus majeurs, nous le savons bien. Un accompagnement est nécessaire : plus on fait de choses quand on est jeune, mieux on les fera plus tard.
L’évolution qui nous est proposée, c’est finalement la reconnaissance de la capacité des jeunes à s’exprimer et le besoin de la société de recueillir cette expression.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Je suis bien aise, monsieur le ministre, chers collègues si ardents défenseurs et porte-parole de la jeunesse, de vous entendre constater ce besoin et même cette envie irrépressible de la jeunesse française de s’exprimer enfin par l’exercice du droit de pétition au Conseil économique et social.
Jusqu’à ce soir, je n’avais pas eu l’occasion de faire ce constat. Je vais donc m’empresser d’en parler à mes petits-enfants, pour vérifier que l’enthousiasme que vous avez exprimé en faveur de l’abaissement à 16 ans de l’exercice du droit de pétition au Conseil économique et social est partagé par nos jeunes ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.
M. Cédric Vial. Dans le prolongement de ce que vient de dire M. Bas, dont je partage le sentiment, je veux indiquer que ce qui est en cause aujourd’hui, ce n’est pas le droit de pétition. Le droit de pétition existe pour les mineurs, comme ils disposent du droit de manifestation, de publication, et pas seulement à partir de 16 ans.
Il existe aussi des instances dans lesquelles les jeunes peuvent s’exprimer dès le lycée, avec les conseils académiques de la vie lycéenne (CAVL) et le Conseil national de la vie lycéenne (CNVL).
Cette possibilité de pétitionner auprès du CESE n’est pas forcément une revendication de la jeunesse ; cette idée est davantage défendue, semble-t-il, par certains élus.
Aujourd’hui, la question n’est donc pas de savoir si l’on doit accorder le droit de pétition aux moins de 18 ans, puisque ce droit existe ; la question est de savoir si l’on doit leur accorder le droit de saisir le CESE.
Comme l’a dit l’un de nos collègues, avant la citoyenneté, il y a l’apprentissage de la citoyenneté, et c’est le second qui conduit à la première. Précisément, le législateur a fixé l’âge de la citoyenneté à 18 ans – l’âge du baccalauréat –, au terme de cette période d’apprentissage. Et c’est à cet âge qu’on acquiert un certain nombre de droits. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Je le répète, la question n’est pas de savoir si l’on accorde le droit de pétition aux moins de 18 ans, puisqu’il existe, tout comme le droit de publication, le droit de manifestation. Je soutiens donc l’amendement de M. Bonhomme. Ne nous trompons pas de débat : 18 ans, c’est l’âge de la citoyenneté ; si l’on souhaite valoriser le rôle de cette assemblée grâce au droit de pétition, il faut alors que cette faculté corresponde à un engagement, celui que permet l’entrée en citoyenneté. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur Bas, je ne sais pas si vos petits-enfants veulent absolument pétitionner auprès du CESE, mais si vous leur parlez de celui-ci, peut-être en auront-ils envie ! (M. François Bonhomme ironise.)
Sur le fond, je ne parle pas de l’enthousiasme de la jeunesse ; je parle de mon enthousiasme à attirer la jeunesse vers un processus démocratique.
Monsieur le sénateur Bonhomme, arrivent prochainement des échéances électorales, qui donneront lieu à des discours sous des chapiteaux. Aux jeunes LR de moins de 18 ans, que direz-vous ? Leur direz-vous qu’ils n’ont pas l’âge du discernement, qu’ils ne sont que « slogans et leçons de morale » ? Les mettrez-vous à la porte de vos réunions électorales ? Voyez-vous, je n’en suis pas du tout convaincu…
M. François Bonhomme. Abaissez l’âge du droit de vote !
M. le président. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il est minuit. Je vous propose de prolonger notre séance jusqu’à zéro heure trente afin de poursuivre l’examen de ce texte.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le président, je sollicite une suspension de séance de quelques minutes.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à minuit, est reprise le jeudi 15 octobre 2020, à zéro heure dix.)
M. le président. La séance est reprise.
Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 8 rectifié, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, J. Bigot et Bourgi, Mme Harribey, M. Jacquin, Mme Jasmin, MM. Kanner, Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3, deuxième phrase
1° Supprimer les mots :
domiciliées dans au moins trente départements ou collectivités d’outre-mer,
2° Compléter cette phrase par les mots :
et porte sur un sujet d’intérêt national
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Une fois n’est pas coutume, nous trouvons que la condition posée par Mme la rapporteure quant à la recevabilité des pétitions, selon laquelle les signataires, au nombre de 150 000 au minimum, doivent être domiciliés dans au moins trente départements ou collectivités d’outre-mer, est un peu trop stricte.
M. Gay l’évoquait : au terme d’immenses efforts, il a été possible, récemment, de recueillir un million de signatures. De fait, la collecte de 150 000 signatures nous paraît déjà être une exigence significative. C’est pourquoi nous proposons de préciser que cette pétition doit porter sur un sujet d’intérêt national, considérant que c’est là un filtre suffisant pour garantir un minimum de cadrage.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 20 rectifié est présenté par MM. Benarroche, Gontard, Labbé et Dantec, Mme Taillé-Polian, MM. Fernique, Salmon et Dossus, Mmes Poncet, Benbassa et de Marco et M. Parigi.
L’amendement n° 43 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
domiciliées dans au moins trente départements ou collectivités d’outre-mer,
La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 20 rectifié.
M. Guy Benarroche. Nous soutenons le renforcement du droit de saisine par pétition prévu par ce texte. En revanche, nous estimons que la proposition de la commission d’ajouter une conditionnalité géographique à la recevabilité des pétitions est trop restrictive, comme l’a dit notre collègue Leconte. Pour nous, le seuil des 150 000 citoyens est suffisamment élevé pour garantir que les pétitions portent sur un sujet d’intérêt national également. Nous devons faire confiance à nos concitoyens : si 150 000 personnes signent une pétition dont la thématique est recevable par le CESE, son intérêt nous semble garanti.
Donc, exiger que les signataires soient domiciliés dans au moins trente départements ou collectivités d’outre-mer nous semble de nature à entraver cette procédure. Il faut garder l’esprit initial du texte et faciliter réellement le droit de pétition auprès du CESE. Par cet amendement, nous proposons donc de revenir à la rédaction de l’Assemblée nationale en supprimant la conditionnalité géographique.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 43.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Cet amendement du Gouvernement a pour objet de supprimer la condition de domiciliation dans trente départements.
Vous le savez, le Gouvernement souhaite en réalité que la saisine soit simple et accessible pour tous nos concitoyens. La saisine par pétition, qui permet de créer un lien direct entre le CESE et les Français, n’a en effet jamais pu être mise en œuvre. Le Gouvernement est donc opposé à tout ce qui pourrait créer de nouveaux obstacles par l’exigence d’un certain degré de dispersion territoriale des signataires.
Pour ces raisons, nous vous demandons de bien vouloir supprimer cette condition de domiciliation dans au moins trente départements ou collectivités d’outre-mer.
M. le président. L’amendement n° 14 rectifié bis, présenté par MM. Yung, Iacovelli, Rohfritsch, Buis et Lévrier, Mmes Schillinger, Havet et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 3, deuxième phrase
Après le mot :
départements
insérer les mots :
, circonscriptions législatives des Français établis hors de France
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Cet amendement vise à rétablir la possibilité pour les Français de l’étranger de présenter une pétition au Conseil économique, social et environnemental.
Autant je me réjouis de voir que les Français ultramarins restent bien représentés dans cette procédure de pétition, autant j’ai du mal à m’expliquer – et à le leur expliquer – pourquoi les Français de l’étranger – qui sont 3 millions, tout de même – n’auraient pas la possibilité de présenter une pétition sur des problèmes les concernant – l’administration consulaire, les passeports, etc.
C’est pourquoi nous proposons d’ajouter aux départements et collectivités d’outre-mer les circonscriptions électorales consulaires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble de ces amendements ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Mes chers collègues, vous aurez compris que la question qui se pose est la suivante : comment s’assurer que les pétitions déposées devant le CESE sont bien d’intérêt national et non pas d’intérêt local, cette dernière éventualité étant plus probable dès lors que le seuil est abaissé à 150 000 signataires ?
Les amendements identiques nos 20 rectifié, de M. Benarroche, et 43, du Gouvernement, visent à supprimer purement et simplement tout critère géographique, tandis que M. Leconte, quant à lui, par son amendement n° 8 rectifié, propose, plutôt que de fixer un critère géographique, que la pétition porte sur un sujet « d’intérêt national ».
Il me semble malgré tout que le critère géographique prévu par la commission, à savoir que ces signatures émanent d’au moins trente départements ou collectivités d’outre-mer, est suffisamment large au regard de leur nombre. Il y aura possiblement des effets de seuil, mais c’est ainsi. C’était déjà le cas lorsque 500 000 signataires étaient requis.
La procédure sera simple : il suffira, lorsque la pétition sera formulée par voie électronique – et personne ne s’oppose à cette dématérialisation –, que le signataire indique son département de résidence. Cela me semble être d’une simplicité totale.
Je préfère ce critère, objectif, à la condition selon laquelle la pétition doit porter sur un sujet d’intérêt national, qui peut être sujette à interprétation.
L’avis de la commission est donc défavorable sur les amendements nos 8 rectifié, 20 rectifié et 43.
En revanche, la commission émet un avis favorable sur l’amendement n° 14 rectifié bis de M. Yung, lequel propose de prendre en compte, au regard du critère géographique, les onze circonscriptions législatives des Français établis hors de France. Je précise néanmoins que nos compatriotes résidant à l’étranger peuvent déjà signer ces pétitions puisqu’il suffit d’être Français pour le faire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 8 rectifié et 14 rectifié bis ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Avis défavorable sur l’amendement n° 8 rectifié et avis favorable sur l’amendement n° 14 rectifié bis.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 20 rectifié et 43.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je vais lever la séance. Nous avons examiné 15 amendements au cours de la soirée ; il en reste 40.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 15 octobre 2020 :
À dix heures trente :
Suite du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au Conseil économique, social et environnemental (texte de la commission n° 14, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 15 octobre 2020, à zéro heure quinze.)
nomination d’un membre d’une commission spéciale
Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a présenté une candidature pour la commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée. : M. Bernard Fialaire est proclamé membre de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, en remplacement de M. Jean-Pierre Corbisez, démissionnaire.
nomination de membre d’une éventuelle commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission des lois pour faire partie de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :
Titulaires : MM. François-Noël Buffet, Marc-Philippe Daubresse, Mme Muriel Jourda, MM. Philippe Bonnecarrère, Jean-Yves Leconte, Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Alain Richard ;
Suppléants : M. François Bonhomme, Mmes Jacky Deromedi, Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Hervé Marseille, Jean-Pierre Sueur, Mme Éliane Assassi et M. Jean-Yves Roux.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication