M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 1 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 3 rectifié est présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 5 est présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 1.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement vise à supprimer l’article 1er. J’ai développé, lors de la discussion générale, les raisons qui motivent cette suppression. Il est donc défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié.
Mme Esther Benbassa. Par la loi SILT de 2017, le législateur a introduit dans le droit commun des mesures administratives liées à l’état d’urgence. Parmi elles, quatre relevaient d’un régime temporaire : la définition des périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et les visites domiciliaires.
Ces mesures arrivant à échéance le 31 décembre 2020, un débat parlementaire aurait normalement dû se tenir, afin d’évaluer leur pertinence et leur proportionnalité. Faisant fi des principes démocratiques de base et du devoir d’information du Parlement, le Gouvernement a décidé de proroger ces dispositions sans véritable évaluation de fond.
La droite sénatoriale est allée encore plus loin, puisqu’elle a décidé, en commission, de pérenniser ces mesures, les incorporant définitivement dans le droit commun.
Mes chers collègues, nous ne pouvons nous satisfaire d’une telle décision. Les dispositifs introduits dans notre droit par la loi SILT donnent à l’administration des pouvoirs exorbitants, qui bafouent les droits de la défense et contournent le contrôle du juge judiciaire.
La sécurité de nos concitoyens est primordiale, mais la lutte contre le terrorisme ne saurait être assurée par le biais de procédés administratifs arbitraires et attentatoires aux libertés publiques individuelles.
Ainsi est-il demandé, via le présent amendement, que soit supprimé l’article 1er du présent projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 5.
M. Jean-Yves Leconte. Comme indiqué au cours de la discussion générale, nous refusons la pérennisation de ces mesures exceptionnelles qui ont été votées pour trois ans, cette échéance ayant été adoptée sur l’initiative de notre assemblée. Même si le Conseil constitutionnel a validé ces mesures dans un cadre provisoire, nous considérons qu’il nous appartient de déterminer le bon équilibre entre les outils qui assurent notre sécurité et les garanties de notre liberté. Cet équilibre passe par un contrôle parlementaire exigeant de ces mesures, c’est-à-dire par des débats parlementaires successifs mettant en question leur efficacité et leur utilité.
C’est la raison pour laquelle nous refusons cette pérennisation ; c’est précisément parce que ces mesures se trouvent pérennisées à l’issue des travaux de la commission des lois que nous proposons la suppression de l’article 1er.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La commission émet, sans surprise, un avis défavorable sur ces amendements, dont les auteurs s’opposent non seulement à la pérennisation, mais aussi à toute prolongation des mesures dont il est question.
Je l’ai dit et répété : nous avons exercé une mission permanente de contrôle, via de multiples auditions, réitérées au gré de l’évolution de la situation du terrorisme, ainsi que des déplacements en province, à Paris, dans les lieux à risques comme les gares, à l’étranger. Dire que la mise en œuvre de ces mesures n’a été assortie d’aucune évaluation est donc tout à fait erroné.
Par ailleurs, après deux ans de pratique, à en croire tous les acteurs que nous avons entendus, judiciaires comme administratifs, un vrai consensus se dessine, du côté aussi bien de l’autorité administrative que de l’autorité judiciaire, pour que ces mesures puissent perdurer.
Enfin – je l’ai dit –, le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité à la Constitution de ces mesures. Il n’y a par conséquent pas lieu de s’inquiéter quant à la sécurité juridique de leur pérennisation.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1, 3 rectifié et 5.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 13, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Au II de l’article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, l’année : « 2020 » est remplacée par l’année : « 2021 ».
La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai défendu cet amendement, monsieur le président, à l’occasion de mon discours introductif. Je ne m’y attarderai donc pas, si ce n’est pour dire qu’une différence de forme, mais non de fond, me sépare de M. le rapporteur, de la commission et de la majorité sénatoriale : nous pensons que ces mesures sont importantes, mais que le moment n’est pas venu de les pérenniser en tant que telles. Un débat plus long et plus construit doit avoir lieu entre les deux chambres – c’est la même position que j’ai tenue, d’ailleurs, à l’Assemblée nationale.
Je répète à M. le rapporteur – il le sait –, pour que chacun l’entende bien, que cela ne nous empêchera pas de donner aux services de renseignement et aux forces de l’ordre les moyens d’intervenir en attendant le débat parlementaire qui devrait se tenir l’été prochain.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Sans surprise, avis défavorable – nous avons eu ce débat avec M. le ministre pendant la discussion générale.
Un mot sur la justification donnée dans l’exposé des motifs, selon laquelle nous proposerions une pérennisation de ces mesures sans tenir compte du calendrier parlementaire, alors que nous avons déjà, depuis février, tenté de faire aboutir ces mêmes dispositions dans le cadre d’une proposition de loi : le Gouvernement ne se prive pas lui-même de déposer régulièrement auprès de la deuxième assemblée saisie – on l’a encore vu récemment – des amendements d’importance sans que ceux-ci aient été examinés par la première assemblée. Que chacun, donc, ait la liberté de le faire.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Dans la logique de mon intervention de tout à l’heure, à partir du moment où le principe et la position que défend le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain consistent à refuser la pérennisation, et dès lors que nous permettrions l’application de ces mesures, mais en s’assurant de la tenue d’un nouveau débat parlementaire, nous voterons cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 8, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, si vous le permettez, je présenterai en même temps les amendements nos 8, 9, 6 rectifié et 7.
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
L’amendement n° 6 rectifié, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Après le sixième alinéa de l’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, insérer un alinéa ainsi rédigé : « La mise en œuvre de ces vérifications ne s’opère qu’en se fondant sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes. »
L’amendement n° 7, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – L’article L. 229-1 du code de la sécurité intérieure est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret en Conseil d’État établit un référentiel des pièces types permettant de motiver les requêtes des visites domiciliaires et saisies et d’étayer les critères prévus au présent article. »
Veuillez poursuivre, monsieur Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. L’amendement n° 8 tend à supprimer un alinéa qui lui-même supprime des outils essentiels dont nous disposions jusqu’à présent, en tant que parlementaires, pour contrôler les mesures issues de la loi SILT. Ce contrôle parlementaire est essentiel compte tenu de la nature de ces mesures ; il nous semble inenvisageable de proroger celles-ci, que nous le fassions à titre expérimental, provisoire, ou, a fortiori, de décider de les pérenniser, en nous passant des outils d’un contrôle parlementaire effectif et continu.
L’amendement n° 9 est un amendement de coordination.
L’amendement n° 6 rectifié vise à sécuriser le cadre légal des périmètres de protection en tendant à inscrire dans la loi, par souci de lisibilité, la réserve d’interprétation que le Conseil constitutionnel avait émise concernant les opérations qui sont menées au sein de tels périmètres, contrôle de l’accès et de la circulation, palpations de sécurité, inspection et fouille des bagages, visite de véhicules.
L’amendement n° 7 a pour objet de demander qu’un décret en Conseil d’État établisse un référentiel des pièces types permettant de motiver les requêtes des visites domiciliaires et saisies et d’étayer les critères prévus au présent article. C’est une demande des juges des libertés et de la détention, qui ont fait état d’un certain nombre de difficultés. Il nous semble, compte tenu de la nature de ces dispositions, qu’il est important d’imposer un référentiel transparent et étudié au plus haut niveau.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Concernant l’amendement n° 8, en cohérence avec la position exprimée précédemment, de la même façon que le dispositif de la loi SILT s’autodétruisait à l’échéance fixée – cette échéance atteinte, il était décidé de pérenniser ou non les mesures –, nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire de maintenir un contrôle parlementaire renforcé, sachant que, bien évidemment, après le vote d’une loi, quelle qu’elle soit, le rapporteur, entouré de ses collègues, contrôle toujours son utilisation. Avis défavorable.
Sur l’amendement n° 9, de coordination, même avis, défavorable.
En revanche, sur l’amendement n° 6 rectifié, qui vise à inscrire dans la loi SILT la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel sur la réalisation de contrôles dans les périmètres de protection, nous partageons l’avis de M. Leconte, qui plaide à juste titre pour une telle inscription ; avis favorable.
Quant à l’amendement n° 7, nous sommes d’accord sur le fond, mais pas sur le vecteur. M. Leconte propose un décret en Conseil d’État.
Je recommandais, dans mon rapport, la mise en place d’un référentiel pour améliorer la motivation des requêtes des visites domiciliaires. Mais nous pensons, après avoir auditionné en particulier les services de police, que ce référentiel ne relève pas d’un décret en Conseil d’État et qu’il ne faut donc pas en faire un acte réglementaire. Avis défavorable, par conséquent, sur l’amendement n° 7.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote, sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Même si un petit accord est à noter sur un amendement, il nous semble que l’abandon du contrôle parlementaire sur des dispositions particulièrement importantes et lourdes n’est pas raisonnable. Nous ne saurions donc, malheureusement, adopter cet article dans la rédaction issue de notre débat en séance : sans surprise, nous voterons contre.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
L’article 25 de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement est ainsi modifié :
1° À la fin de la première phrase, la date : « 31 décembre 2020 » est remplacée par la date : « 31 juillet 2021 » ;
2° À la fin de la seconde phrase, la date : « 30 juin 2020 » est remplacée par la date : « 31 décembre 2020 ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 2 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 4 rectifié est présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 2.
M. Fabien Gay. Cet article 2 vise à proroger une disposition expérimentale issue de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement : la technique de recueil de renseignements algorithmique.
Cette technique de renseignement, que nous dénonçons depuis 2015, n’a formellement fait l’objet que d’une application relativement faible et limitée : à la fin de l’année 2019, trois algorithmes auraient été mis en œuvre depuis leur légalisation. Selon un rapport confidentiel, les techniques en question n’auraient même jamais permis d’empêcher un seul acte terroriste. Pouvez-vous infirmer ou confirmer cette information, monsieur le ministre ?
L’analyse en continu des données par les boîtes noires n’aurait jamais permis de détecter qu’une petite dizaine de profils faiblement à risque. Là encore, monsieur le ministre, pouvez-vous infirmer ou confirmer cette information ?
La disproportion, si vous confirmiez ces informations, entre ces résultats et les moyens mis en œuvre pour écouter et observer la société tout entière doit nous conduire à nous interroger. Pour proroger, il nous faut donc faire un bilan de l’efficacité de ce système.
En outre, dans un arrêt du mois de décembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé qu’une réglementation nationale prévoyant, à des fins de lutte contre la criminalité, une telle conservation des données constituait en soi une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux. Cette jurisprudence, qui sera sans doute prochainement confirmée par l’issue donnée aux renvois préjudiciels effectués notamment par le Conseil d’État français, est selon nous l’énième signal du caractère dangereux de cette technique de renseignement intrusive et inefficace qui n’aurait jamais dû être légalisée, même sous forme d’expérimentation.
Pour toutes ces raisons, nous proposons la suppression de l’article 2.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 4 rectifié.
Mme Esther Benbassa. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements, en cohérence avec ce que j’expliquais lors de la discussion générale.
Il s’agit de dispositifs expérimentaux, et le Gouvernement lui-même propose de prendre le temps de bien réfléchir, de poursuivre l’expérimentation et d’avoir une discussion approfondie sur la loi Renseignement. Cela correspond à ce que nous souhaitions.
Par ailleurs, monsieur Gay, quant à moi, au cours des auditions que j’ai réalisées, les services de la DGSI, en particulier, m’ont dit avoir d’ores et déjà obtenu des résultats grâce à ces algorithmes.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. L’avis défavorable que je m’apprête à émettre ne surprendra pas les défenseurs de ces amendements.
Je voudrais quand même répondre sur le fond, puisque la question m’a été posée, et même si vous avez déjà eu ce débat – mais comme il s’agit de sujets extrêmement importants, il m’appartient de vous répondre en quelques mots, monsieur le sénateur Gay.
Le premier argument est celui de M. le rapporteur – je l’ai moi-même déjà évoqué : nous aurons ce débat, ainsi que d’autres débats de fond relatifs au renseignement, l’année prochaine. Il s’agit – telle est la position du Gouvernement – de prolonger les expérimentations de la loi SILT pour qu’un débat serein puisse avoir lieu entre les deux assemblées.
Deuxième argument : il existe une délégation parlementaire au renseignement. J’ai déjà eu l’occasion de dire que les sujets qui sont ici en question, en particulier les sujets qui relèvent du « confidentiel défense », font évidemment l’objet d’un contrôle du Parlement, par le vote de la loi d’abord, mais aussi par le travail de la délégation parlementaire au renseignement, délégation pluraliste qui – M. Cambon l’a indiqué – a toutes les informations et tous les rapports.
N’hésitez pas – je ne le dis pas pour produire un effet de tribune : c’est une délégation importante dont dispose votre assemblée pour contrôler l’action de l’exécutif – à vous tourner vers elle et à demander les éléments qui relèvent du contrôle parlementaire et qui sont publiables, dans un cadre certes particulier, que chacun comprend, qui est celui de la confidentialité.
Troisième argument : il ne m’appartient pas de préciser si des actions terroristes ont pu être arrêtées grâce aux algorithmes seuls ; ce que je peux vous dire, c’est qu’ils sont efficaces. Ils sont au nombre de trois. Peut-être les services eux-mêmes portent-ils des jugements différents sur chacun de ces trois algorithmes ; nous aurons de toute façon l’occasion de nous pencher sur cette question lorsque nous nous retrouverons pour débattre de la pérennisation d’un certain nombre de dispositifs algorithmiques.
Je voudrais, à ce propos, souligner deux choses.
Premièrement, ces algorithmes permettent quand même de lever des doutes et ainsi, aussi, de protéger les libertés individuelles. Savoir si telle personne est en contact avec telle autre, possède telle information ou doit récupérer tel objet – nous pourrons peut-être en dire plus si vous vous adressez à la délégation au renseignement –, c’est lever des doutes, et c’est aussi, du même coup, s’exempter de faire du travail de renseignement sur des personnes à propos desquelles l’utilisation des techniques de renseignement proprement dites n’est manifestement pas justifiée.
Si je puis me permettre, monsieur le sénateur Gay, votre argument des libertés publiques est ainsi renversé : ces outils permettent précisément d’éviter d’avoir recours à des techniques de renseignement pourtant autorisées par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et par le Premier ministre, parce que nous savons très bien, grâce à ces outils, que ces personnes ne sauraient relever de chefs d’accusation tels que celui de complicité de terrorisme.
Deuxièmement, en définitive, selon votre argumentation, l’État serait le seul à ne pas pouvoir utiliser les algorithmes. Les Gafam, dans votre téléphone, les utilisent…
M. Fabien Gay. Nous le déplorons !
M. Gérald Darmanin, ministre. L’État français, État souverain, dont l’exécutif est contrôlé par le Parlement, par la délégation parlementaire au renseignement, par le Conseil d’État, par le Conseil constitutionnel, par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui rend compte de chacun de ses actes, alors que les données stockées – vous l’avez dit, monsieur Cambon – sont anonymisées et in fine détruites et que les actions autorisées le sont sous le contrôle du juge administratif, l’État, donc, serait la seule entité à ne pas pouvoir utiliser ce que la technique moderne met à notre disposition, c’est-à-dire les algorithmes, qui sont d’ailleurs très contrôlés – et vous avez bien compris que je ne plaide en aucun cas pour leur généralisation sur tout, à tout moment et sans contrôle ?
Pour toutes ces raisons – une raison de forme, une raison de lien avec votre délégation parlementaire et deux raisons profondes de fond –, il ne me semble pas opportun, pour l’assemblée que vous représentez, de voter ces deux amendements.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je fais partie de ceux qui avaient été très réservés à l’été 2015 lors du vote de la loi relative au renseignement, même si j’ai tout à l’heure rendu hommage à Bernard Cazeneuve, en particulier sur le traitement massif des données de connexion par algorithme.
Toutefois, depuis, j’ai pu constater à quel point en particulier la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement était impliquée dans sa mission de contrôle, qu’il s’agisse des avis qu’elle devait rendre sur les demandes pour mettre en place une technique de renseignement ciblée ou de la validation des algorithmes.
Compte tenu du suivi effectué par la CNCTR sur ces sujets et des moyens qui lui sont accordés pour qu’elle dispose d’outils lui permettant d’assurer la crédibilité de sa mission, il me semble que nous pouvons valider cette disposition utile et continuer à expérimenter l’algorithme. Voilà pourquoi nous ne voterons pas en faveur de ces deux amendements de suppression.
L’expérimentation, sous contrôle de la CNCTR, mérite d’être poursuivie. Mais nous défendrons ultérieurement un certain nombre d’amendements visant à améliorer le fonctionnement de cette Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement pour qu’elle remplisse au mieux sa mission et puisse nous donner toute confiance sur la manière dont les services de renseignement utilisent les moyens qui sont à leur disposition.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 et 4 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 14, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Remplacer la date :
31 juillet 2021
par la date :
31 décembre 2021
II. – Alinéa 3
Remplacer la date :
31 décembre 2020
par la date :
30 juin 2021
La parole est à M. le ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Favorable, pour les raisons exposées précédemment.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 2
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Roger, Temal, M. Vallet, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le I de l’article L. 822-2 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Au 1°, le mot : « trente » est remplacé par le mot : « soixante » ;
2° Au 2°, les mots : « cent vingt » sont remplacés par le mot : « soixante ».
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Je défendrai successivement trois amendements visant à renforcer l’efficacité de la CNCTR et à lui donner les moyens d’exercer son contrôle. Il importe que nous ayons confiance dans la manière dont elle réalise sa mission.
Nous souhaitons harmoniser un certain nombre d’exigences relatives à la conservation des données. Aux termes de l’article L. 853-1 du code de la sécurité intérieure, la durée maximale de conservation des données collectées par les dispositifs de captation de paroles avant destruction est de trente jours à compter de leur recueil pour les paroles prononcées à titre privé et celle des données de captation d’images est de cent vingt jours à compter de leur recueil pour les images captées dans un lieu privé.
Cette différence entre trente jours et cent vingt jours est totalement aberrante et rend difficile le travail à la fois des services de renseignement, mais aussi de la CNCTR.
Par souci de simplification et de cohérence du cadre légal en vigueur, le présent amendement tend à instaurer une durée maximale de conservation unique pour ces deux catégories de données qui sont souvent récupérées en même temps.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Avis défavorable, puisque le Gouvernement s’engage à mener une réflexion de fond sur la loi relative au renseignement, loi qui nécessite beaucoup de travail. Le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a reconnu que beaucoup de choses étaient engagées. Au travers de cet amendement et des deux suivants, M. Leconte nous propose de voter des dispositions intéressantes, mais de telles mesures doivent s’inscrire dans le cadre d’un débat plus approfondi annoncé par M. le ministre.