M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.
M. Alain Milon. Je ne voterai évidemment pas ces amendements, parce que je considère que le dossier est plus qu’utile pour l’information, d’abord, des pouvoirs publics et, ensuite, des médecins. Nous avons besoin de connaître pour pouvoir, ensuite, tracer.
Je veux reprendre des exemples de dossiers que M. le ministre a cités.
Il a évoqué les dossiers d’affection de longue durée (ALD). Quand un médecin remplit un dossier d’ALD, il indique le nom et le prénom du patient, sa date de naissance, ses habitudes alimentaires, son traitement et sa maladie – par exemple, un diabète de type 1, de type 2… L’objectif est de connaître la prévalence de ces pathologies et les habitudes alimentaires dans les différentes régions, ainsi que les préventions alimentaires que l’on peut mettre en place pour éviter ce genre de maladies.
Je veux citer un autre exemple. Voilà quatre ou cinq ans, il a été précisé dans des dossiers que le nombre d’appendicectomies et d’opérations obstétricales était plus élevé dans certaines régions. Des tas de raisons peuvent l’expliquer. Quoi qu’il en soit, on remarque qu’il y a moins d’appendicectomies en 2020 qu’en 2010 et qu’il y en avait déjà moins en 2010 qu’en 1990, puisque, comme M. le ministre l’a indiqué, ces dossiers existent depuis longtemps.
Autre exemple, l’employeur connaît l’existence des arrêts de travail ainsi que leur motif, alors qu’il n’appartient pas au personnel médical.
Enfin, je veux citer l’exemple, auquel je tiens beaucoup, des maladies à déclaration obligatoire, comme la rougeole et la tuberculose, qui ont été évoquées en commission des lois. La déclaration de ces maladies n’est absolument pas anonyme. La seule maladie à déclaration obligatoire anonyme est le sida, pour des raisons qui tiennent à sa caractéristique de maladie sexuellement transmissible.
Le système d’information de la CNAM existe depuis vingt ou trente ans. Il a une fonction précise : collecter, analyser, mieux prévenir et mieux traiter. Il est nécessaire.
Pour ce qui concerne le Covid-19, nous avons, avec la commission des lois, encadré le dispositif, même si les déclarations ne doivent pas être anonymes, de manière à pouvoir rechercher les personnes qui ont été en contact avec les porteurs de la maladie. Nous avons bien précisé que le dispositif ne valait que pour celle-ci. Si l’on parvient, un jour, grâce à la recherche, aux traitements et, peut-être, au vaccin, à éliminer la maladie, ces dossiers disparaîtront.
En attendant, nous en avons besoin, pour faire avancer la recherche, pour orienter la politique de santé et pour vaincre la maladie. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je partage rigoureusement l’argumentation de M. Bonnecarrère.
Contrairement à ce que vous avez pu suggérer, monsieur le ministre, le débat sur l’article 6 n’oppose pas les tenants et les opposants du dépistage. Nous sommes tous favorables au dépistage et à ce qu’un maximum de moyens soit donné à l’État pour assurer cette mission. N’ayez aucun doute sur nos intentions.
La discussion que suscite l’article 6 porte sur l’opportunité de créer aujourd’hui, par ce texte législatif, un système dérogatoire, alors que, comme vous l’avez très bien dit et comme l’a confirmé Alain Milon, un certain nombre de systèmes permettant ce dépistage existent déjà dans la législation actuelle. Nous voulons comprendre pourquoi vous ne pourriez pas mobiliser des systèmes qui présentent l’avantage fondamental d’être éprouvés, notamment sur le plan du respect des libertés individuelles et du secret médical.
Nous voulons aussi comprendre pourquoi, d’un point de vue médical, vous avez besoin de créer un système qui déroge à un certain nombre de libertés publiques respectées par ailleurs, ce que nous contestons.
Dans ce débat, monsieur le ministre, nous attendons de vous de la précision. Comme vous le savez, ce projet de loi sera déféré au Conseil constitutionnel. L’intention du législateur sera déterminante pour que le Conseil puisse en apprécier exactement l’utilité et le mode opératoire. En outre, cette saisine ouvrira la porte à de futures questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Par conséquent, quelle que soit l’issue du vote sur les amendements, nous tenons absolument à ce que votre argumentaire soit le plus précis possible.
Je vous le dis, je ne crois pas du tout à la nécessité de mettre en place un système visant à faciliter le traitement informatique des données. Cela me paraît tout à fait accessoire en comparaison de ce que vous nous proposez par ailleurs.
J’aimerais un argumentaire un peu plus fin, un peu plus précis et un peu plus médical.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je souhaite, au nom de mon groupe, exprimer la position qui sera la nôtre sur ces amendements et dans l’ensemble du débat que soulève l’article 6.
Le dispositif que celui-ci met en place est un pari que fait le Gouvernement et que certains d’entre nous sont prêts à accompagner, contrairement à d’autres.
Nous sommes tous tendus vers un seul objectif, qui est d’éradiquer l’épidémie, mais nous savons aussi que la protection des libertés publiques et des libertés fondamentales est incontournable – elle est primordiale pour les membres de notre assemblée.
Le dispositif que vous proposez, monsieur le ministre, inquiète. D’ailleurs, les propos qui ont pu être tenus sur l’application StopCovid, y compris, encore aujourd’hui, par le secrétaire d’État, qui a annoncé un débat à l’Assemblée nationale le 28 mai prochain, rendent l’appréhension de ce dossier encore plus confuse.
Au groupe socialiste, après de très longs débats – j’imagine qu’il en a été de même au sein de tous les groupes –, nous avons décidé de ne pas voter ces amendements de suppression, parce que nous voulons pouvoir entrer dans le débat et poser un certain nombre d’exigences, lesquelles convergent, pour partie, avec des propositions faites en commission des lois, notamment par M. le rapporteur, qui nous conviennent sur certains points. Je pense, en premier lieu, au refus des ordonnances, mais ce n’est évidemment pas le seul sujet.
Nous discuterons, tout à l’heure, des données personnelles, du consentement de l’usager ou du secret médical. Ces questions n’ont pas fait l’unanimité au sein de mon groupe. Nous verrons si la solution proposée par M. le rapporteur et adoptée par la commission des lois, qui constitue déjà une première étape très satisfaisante, aura encore été améliorée au gré de la discussion.
M. le rapporteur a évoqué tout à l’heure l’opportunité de l’avis conforme de la CNIL que nous allons proposer.
Au final, nous espérons, monsieur le ministre, que nous gagnerons collectivement ce pari, qui arrive bien tard et qui, du coup, sera peut-être totalement inutile et inefficace.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Moi qui ne suis pas un spécialiste du numérique, j’ai été convaincu par les interventions de M. le rapporteur, de M. le ministre, d’Alain Milon et d’autres collègues.
Si tous les articles sont importants, l’article 6 est le cœur du dispositif de ce projet de loi.
L’urgence sanitaire commande d’être efficace.
Je peux comprendre les amendements de suppression qui ont été déposés, mais je crois qu’il faut retrouver la confiance. Si les données personnelles relèvent du domaine privé, nous pouvons nous appuyer sur les autorités indépendantes existantes, comme la CNIL.
La priorité, dans notre pays comme dans les autres, est de sauver des vies.
Le dispositif de l’article 6 va dans le bon sens. Je soutiendrai donc la position de la commission des lois.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour explication de vote.
M. Julien Bargeton. Je tiens à rappeler que l’intérêt général, qui est un intérêt supérieur, est l’une des bases juridiques qui justifient des dérogations à l’application du RGPD.
Il est d’ailleurs arrivé que la formule « intérêt public » soit critiquée pour son caractère trop large. De fait, quel est exactement le contour de cet « intérêt public » ?
Même si toutes les préventions relatives à la protection des données sont légitimes, la condition posée par le RGPD me semble remplie par la pandémie meurtrière et terrible que connaît notre pays, et susceptible d’apparaître comme telle aux yeux du plus grand nombre.
Comme je le disais précédemment, j’ai toujours peur, sur ces sujets, que, guidés par une forme de réticence, certains citoyens ne se tournent vers d’autres types de systèmes, que nous ne maîtrisons et que nous ne contrôlons pas. Dans certains pays, de tels systèmes ont été mis en place directement par des acteurs privés. C’est important d’avoir ce fait en tête. Quel cadre apporterait autant de garanties qu’une autorité démocratique ? Les autres acteurs ne le peuvent pas.
Il convient de faire la balance entre les risques pour les données personnelles et les risques supérieurs potentiels et de vérifier que les règles sont appliquées dans le cadre qui a été fixé, à savoir celui du RGPD. En l’occurrence, elles me semblent l’être. Elles ne le seraient pas forcément dans un autre contexte.
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.
M. Loïc Hervé. Sophie Joissains a été rapporteur, pour la commission des lois, du texte relatif aux conséquences de l’application en droit interne du RGPD. Je rappelle que celui-ci n’a pas nécessité de transposition, puisqu’il est d’application directe.
Le RGPD a eu des conséquences sur la loi de 1978, mais aussi sur l’intégralité de notre droit, nécessitant que nous mettions celui-ci en conformité avec le droit communautaire voilà quelques mois. Nous l’avons d’ailleurs fait dans un contexte international particulier : il était utile de montrer qu’un continent entier se dotait d’un cadre juridique extrêmement protecteur des données personnelles, de la vie privée et des libertés publiques au moment même où les États-Unis, par décision de leur président, abolissaient la quasi-intégralité des mesures permettant de protéger les Américains, en particulier les entreprises américaines, sur leur sol.
J’ai beaucoup de mal à considérer que tout système informatique est, par nature, une innovation, et que le progrès serait forcément devant nous. Je n’éprouve pas de fascination pour les technologies massives, intrusives, qui permettent de collecter le plus d’informations possible. À cet égard, je soutiens chacune des propositions de la commission des lois.
Par ailleurs, j’estime que notre rôle est de poser les questions de principe maintenant, alors que nous allons évoquer les questions opérationnelles. Les trois amendements dont nous débattons ont ce mérite.
Je pense qu’il y a, entre StopCovid et ce système d’information, une inversion du planning considérable et préjudiciable à la réflexion. Des choses qui étaient acceptables au moment du confinement ne le sont plus à l’heure du déconfinement : il est très compliqué d’expliquer, après avoir attenté aux libertés, au droit électoral, à la liberté d’aller et venir, à la liberté du commerce et de l’industrie, après avoir mis le pays à l’arrêt et au moment précis où l’on va redonner de la liberté aux gens, qu’il faudrait mettre en place des systèmes ou des logiques qui vont dans un sens différent. Telle est la raison pour laquelle je voterai ces trois amendements – je suis cosignataire de l’un d’entre eux.
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.
Mme Véronique Guillotin. Le groupe RDSE votera contre les trois amendements de suppression.
En effet, le traçage nous paraît un outil majeur et quasiment indispensable dans le panel de mesures nécessaires pour lutter contre le Covid-19.
En outre, nous voulons que le débat puisse avoir lieu.
La commission des affaires sociales et la commission des lois ont adopté des amendements qui entourent le dispositif de garanties de sécurité et de liberté qui nous semblent satisfaisantes.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 63, 136 et 172 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 153, présenté par M. Ouzoulias, Mmes Cohen, Apourceau-Poly, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L. 3113-1 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après le 2°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Les maladies entraînant un état d’urgence sanitaire prévu aux articles L. 3131-14 et suivants du code la santé publique. » ;
2° À la première phrase du quatrième alinéa, les mots : « et 2° » sont remplacés par les mots : « , 2° et 3° ».
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. L’article L. 3113-1 du code de la santé publique définit un régime particulier pour une trentaine de maladies infectieuses à déclaration obligatoire.
Son décret d’application permet aux pouvoirs publics de mettre en place d’urgence des mesures de prévention individuelle et collective et, le cas échéant, de déclencher des investigations pour identifier l’origine de la contamination ou de l’exposition. Ce régime organise des mesures d’investigation et d’intervention et la collecte de toutes les informations indispensables pour la mise en œuvre des mesures de prévention individuelle et collective. On voit que son champ d’application est extrêmement large et qu’il donne énormément de pouvoirs à l’État.
Tout ce processus est bien évidemment fondé sur un traitement informatisé des informations de santé, qui a été validé par la CNIL à plusieurs reprises. Vous avez mis en œuvre ce système, monsieur le ministre, votre gouvernement ayant ajouté la rubéole aux trente maladies infectieuses à déclaration obligatoire le 7 mai 2018.
Nous avons donc là un dispositif parfaitement connu, éprouvé, encadré, respectueux des libertés individuelles, sur lequel la CNIL a déjà eu l’occasion de donner son avis. Je vous pose de nouveau la question, monsieur le ministre : pourquoi serait-il inadapté au cas spécifique du Covid-19 ? En quoi le comportement épidémiologique de cette maladie justifierait que vous ayez besoin d’un système dérogatoire et, à nos yeux, douteux en matière de protection des libertés individuelles ?
Au fond, nous savons tous que, indépendamment du système juridique que vous allez mettre en place, ce sont les moyens humains consacrés à la mise en œuvre du dispositif et au dépistage qui compteront. L’outil informatique ne sera là que de façon accessoire, pour aider les équipes.
Nous aimerions avoir de votre part des précisions sur ces moyens humains et sur la manière dont ils seront constitués. En effet, le dépistage est tout à fait essentiel pour permettre un déconfinement dans de bonnes conditions.
M. le président. L’amendement n° 173, présenté par M. Bonnecarrère et les membres du groupe Union Centriste, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Par dérogation à l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, aux fins de surveillance épidémiologique aux niveaux national et local, ainsi que pour la recherche sur le virus covid-19 et les moyens de lutter contre sa propagation, des données relatives aux personnes atteintes par ce virus et aux personnes ayant été en contact avec elles peuvent être partagées dans le cadre d’un système d’information créé par décret en Conseil d’État et mis en œuvre par le ministre chargé de la santé.
Ce ministre, ainsi que l’Agence nationale de santé publique, un organisme d’assurance maladie et les agences régionales de santé, peuvent en outre, aux mêmes fins, adapter les systèmes d’information existants et prévoir le partage des mêmes données dans les mêmes conditions que celles prévues au premier alinéa du présent I.
II. – Le système d’information mentionné au I, qui peut comporter des données de santé, a pour finalités la surveillance épidémiologique aux niveaux national et local, ainsi que la recherche sur le virus et les moyens de lutter contre sa propagation.
L’intégralité des données ayant vocation à alimenter ce système d’information seront anonymisées préalablement à leur saisie.
III. – Outre les autorités mentionnées au I, le service de santé des armées, les communautés professionnelles territoriales de santé, les établissements de santé, maisons de santé, centres de santé et médecins prenant en charge les personnes concernées, ainsi que les laboratoires autorisés à réaliser les examens de biologie médicale de dépistage sur les personnes concernées, participent à la mise en œuvre de ce système d’information et peuvent, dans cette stricte mesure, avoir accès aux seules données nécessaires à leur intervention.
IV. – Les modalités d’application du présent article sont fixées par le décret en Conseil d’État mentionné au I après avis public de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Ce décret en Conseil d’État précise notamment, pour chaque autorité ou organisme mentionné aux I et III, les services ou personnels dont les interventions sont nécessaires aux finalités mentionnées au II et les catégories de données auxquelles ils ont accès, ainsi que les organismes auxquels ils peuvent faire appel, pour leur compte et sous leur responsabilité, pour en assurer le traitement.
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Cet amendement reprend un amendement que nous avions déposé devant la commission et qui n’a pas été adopté. En effet, la brièveté du délai qui nous a été accordé ne nous permettait pas de réécrire complètement l’article.
Comme Catherine Morin-Desailly, Loïc Hervé et moi-même l’avons développé tout à l’heure, nous sommes d’accord depuis le début sur le principe d’équipes épidémiologiques de terrain pour mener le combat pragmatique, mais nous ne pouvons imaginer que les données personnelles remontent dans un système informatique central sans être anonymisées. À nos yeux, la possibilité d’identifier ou non les données personnelles change tout.
Au reste, nous avons le sentiment que cela aurait également du sens par rapport à la maladie elle-même, qui est une vraie « saloperie », pour reprendre le terme qui a été utilisé précédemment, et qui, du reste, est susceptible de muter. N’étant pas épidémiologiste et appliquant volontiers les leçons d’humilité du Premier ministre, je m’arrête là.
Nous ne disposons pas d’éléments suffisants sur ce qu’est cette maladie aujourd’hui. Un travail de recherche s’appuyant sur l’analyse de centaines de milliers de situations et permettant, par exemple, de rechercher si l’existence d’un diabète ou d’une hypertension exerce une influence sur le Covid-19 nous paraît de bon aloi, mais il ne nécessite pas d’identifier les personnes : il suffit d’intégrer les données des patients.
Cet amendement vise donc à revenir sur la possibilité d’identifier M. X ou Mme Y dans cette machine centrale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’amendement n° 153, présenté par M. Ouzoulias, a fait l’objet d’un avis défavorable.
En effet, le régime des maladies à déclaration obligatoire a un fondement juridique qui se révèle à l’examen inapproprié pour ce que nous avons besoin de faire : remonter la filière des contaminations pour le Covid-19. C’est un système assez artisanal. Normalement, les informations sont anonymes. En fait, elles ne le sont pas, car aucun système d’information numérisé n’a été mis en place. Comme il s’agit de maladies qui, fort heureusement, surviennent assez rarement, il n’est pas nécessaire d’instituer un dispositif de gestion de santé publique à grande échelle.
Dès lors, il ne serait ni opérationnel d’un point de vue juridique ni à l’échelle du problème auquel nous sommes confrontés de nous raccrocher à ce système préexistant, même si celui-ci a tout de même le mérite de montrer que nous savons remonter des filières de contamination ; nous avons une expérience pratique en la matière.
D’ailleurs, et nous en discuterons avec le président de la commission des affaires sociales, il y aurait peut-être des initiatives parlementaires à prendre pour améliorer le régime des maladies à déclaration obligatoire, qui a besoin d’un certain toilettage si nous voulons qu’il fonctionne correctement.
Monsieur Bonnecarrère, je suis d’accord avec vous : il serait utile de créer un fichier anonyme à finalité épidémiologique. Le Sénat pourrait, me semble-t-il, suggérer cette bonne idée au Gouvernement. Mais il ne saurait s’agir d’un substitut à un système d’information permettant de remonter les filières de contamination. Faire reposer un tel système sur des données anonymes conduirait immédiatement, vous le voyez bien, à une impasse. C’est absolument impossible ! Il y a précisément besoin que les données soient nominatives. Il s’agit de rechercher des personnes, et non un pseudonyme ou un numéro, que l’on va appeler par téléphone et guider dans un parcours allant du dépistage jusque, le cas échéant, aux soins. L’idée est que des individus ayant été exposés au virus n’en contaminent pas d’autres.
Au fond, le débat que vous ouvrez est distinct de l’objet du projet de loi, même s’il est intéressant. Je pense que nous avons effectivement tout intérêt à développer la recherche épidémiologique sur la base de données anonymisées pour le Covid-19. J’imagine d’ailleurs que nous ne devons pas être les premiers à avoir eu cette idée. Je ne veux pas croire que le ministère des solidarités et de la santé ne dispose pas déjà d’une force de frappe épidémiologique permettant de mieux connaître le virus, à travers l’examen de la situation médicale d’échantillons suffisamment nombreux de porteurs du virus et de patients.
En tout état de cause, cher Philippe Bonnecarrère, ce ne peut pas être un substitut à ce que nous mettons en place dans l’objectif, tout aussi souhaitable, de découvrir les filières de contamination. De très nombreux agents de l’assurance maladie seront mobilisés. Ils prendront le relais des médecins généralistes, dont ce n’est pas le métier et qui n’auront de toute manière pas assez de temps.
C’est la raison pour laquelle je suis au regret d’émettre, au nom de la commission, un avis défavorable sur votre amendement, tout en considérant que vous faites bien de soulever un tel problème.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces deux amendements.
Je précise toutefois que l’un des deux sera satisfait si le Sénat décide d’adopter un amendement que je présenterai un peu plus tard. Le dispositif que je propose permettrait de recouper les objectifs de la maladie à déclaration obligatoire avec ceux qui sont visés par le sénateur ayant défendu l’amendement auquel je fais allusion. Pour autant, cela n’entrerait pas à proprement parler dans un fichier qui, M. le rapporteur l’a souligné, est très spécifique, même s’il présente des caractéristiques assez proches : une maladie à déclaration obligatoire, des données de santé non anonymisées, etc. Il faut passer par un formulaire Cerfa – c’est donc un fonctionnement un peu plus à l’ancienne –, mais les données sont bien colligées dans un objectif de lutte contre l’épidémie. Cela a tout de même la couleur, l’odeur et le goût d’un régime de maladie à déclaration obligatoire.
Si je n’ai pas compris la question de M. le sénateur qui m’interpellait sur la création d’un fichier, c’est parce que nous ne créons pas de fichier national. Comme l’a souligné à juste titre M. le président de la commission des affaires sociales, il existe déjà un fichier national : celui de l’assurance maladie. Il comporte des données non anonymisées sur l’état de santé des patients, par exemple si la personne a un diabète ou un cancer. C’est pour les salariés de l’assurance maladie que les données ne sont pas anonymisées. Mais l’encadrement législatif est très ancien et n’a jamais été remis en question. C’est sur ce fichier, AmeliPro – je l’ai évoqué –, que nous nous greffons dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Nous y ajoutons une brique, en l’occurrence une information, pour savoir si la personne a été testée positive ou négative au coronavirus. Mais nous ne créons pas de nouveau fichier.
La confusion vient sans doute du fait que l’on parle de deux choses différentes.
D’un côté, le deuxième alinéa de l’article 6 dispose qu’un décret en Conseil d’État peut autoriser le ministre chargé de la santé à « adapter les systèmes d’information existants et à prévoir le partage des mêmes données ». En l’espèce, il est proposé d’adapter le fichier existant, c’est-à-dire AmeliPro, pour ajouter quelques informations sur le Covid-19 ; c’est ce qui nécessite le recours à la loi.
De l’autre, nous créons non pas un fichier, mais un système d’information ; la différence est importante. C’est le système d’information national de dépistage populationnel (Sidep). Il vient en appui des opérations d’identification sur la chaîne, depuis le test par prélèvement jusqu’au traitement du résultat. Si j’ai des symptômes, par exemple de la fièvre ou une perte du goût, on va me tester avec un écouvillonnage, et le prélèvement va être étiqueté dans le Sidep, ce qui permettra au laboratoire d’avoir accès aux données pour identifier le patient. Si le test fait apparaître que le patient est positif au coronavirus, le résultat est transmis à Santé publique France en vue du traitement national des données et au médecin traitant, afin qu’il puisse rappeler la personne pour l’en informer.
Entre parenthèses, je trouve le terme « traçage » un peu anxiogène.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je ne vous le fais pas dire !
M. Olivier Véran, ministre. Je pense qu’on devrait parler plutôt de « suivi épidémiologique » ; il s’agit de protéger les gens. Certes, d’aucuns seront peut-être gênés aussi par le terme « suivi » dès lors que c’est l’État qui en est chargé… Là, nous sommes vraiment sur un débat sémantique.
Mais vous avez bien compris l’idée. Il s’agit d’essayer d’identifier les personnes potentiellement malades. Nous ne créons pas un fichier national pour cela. Le système Sidep est juste une application. Et ce n’est pas une application de tracing, comme StopCovid, qui permettrait de savoir où vous étiez, avec qui vous avez été en contact, etc. C’est juste un système d’information, d’étiquetage depuis le prélèvement jusqu’au moment où l’information est rendue au patient.
Nous faisons cela, car nous avons besoin d’avoir le même système d’étiquetage que la personne ait été testée dans un laboratoire de ville, dans un laboratoire privé, sur un drive ou à domicile par une infirmière ou un médecin. À défaut, il y aurait une perte de données, et il ne serait plus possible de savoir combien de tests ont été réalisés ni combien de personnes ont été diagnostiquées, de même que nous ne serions pas certains de pouvoir identifier tous les malades pour les protéger.
Ce sont vraiment deux cadres différents.