Mme Laurence Rossignol. Si je vous fais la remarque chaque fois, monsieur le ministre, c’est peut-être parce que vous ne m’écoutez jamais ! C’est dommage, parce que je voudrais vous apprendre ce qu’apparemment vous ignorez, à savoir le contenu de l’avant-projet de loi que vous avez transmis au Conseil d’État. Je vous donne lecture d’un passage qui montre que le président Milon n’a pas totalement inventé l’amendement qu’il a défendu « Afin de lutter contre la propagation de l’infection, la mise en quarantaine peut intervenir lorsqu’une personne est infectée… » (M. le ministre proteste.)

M. le président. Veuillez laisser parler Mme Rossignol, monsieur le ministre. Vous pourrez ensuite lui répondre.

Mme Laurence Rossignol. Vous nous avez expliqué il y a quelques instants, monsieur le ministre, que jamais, au grand jamais, la disposition proposée par Alain Milon n’avait figuré dans quelque version du texte que ce soit. Or l’avant-projet de loi transmis au Conseil d’État contient une telle mesure. Je le tiens à votre disposition, monsieur le ministre ! Il y est écrit que « la mise en quarantaine et le placement à l’isolement sont prononcés sur proposition du directeur général de l’Agence régionale de santé (DGARS), du représentant de l’État dans le département, par décision individuelle motivée ».

Cela dit, je ne me rallie pas pour autant à la position du président Milon, car il me semble que le dispositif de l’amendement ne peut fonctionner. Il n’y a pas de fichier des récalcitrants. Aucun médecin ne pourra constater qu’un individu ne suit pas ses prescriptions, car celui-ci ne reviendra pas le voir pour lui dire qu’il ne respecte pas la quarantaine ! En outre, en cas de contrôle de police, comment savoir si la personne circulant dans l’espace public devrait être en quarantaine ?

Je crains en fait surtout que cet amendement ne crée le trouble dans la perspective de notre débat de demain sur l’article 6. Pour pouvoir identifier les récalcitrants, il faut qu’ils figurent dans un fichier auquel les forces de police peuvent avoir accès, celui des personnes conduisant sans permis, par exemple, et qu’il soit possible de croiser des fichiers, ce qui serait inacceptable. C’est pourquoi, en ce qui nous concerne, nous ne pouvons soutenir l’amendement du président Milon.

M. le président. Monsieur Milon, l’amendement n° 66 est-il maintenu ?

M. Alain Milon. Oui, je le maintiens, monsieur le président.

Le ministre a évoqué l’exemple de la tuberculose, mais il s’agit d’une maladie à déclaration obligatoire, contre laquelle il existe des traitements efficaces et que l’on peut prévenir par la vaccination.

Je répète ce que j’ai déjà dit : les mesures proposées au travers de cet amendement figuraient dans l’avant-projet de loi qui nous a été soumis et dans le texte qui a ensuite été transmis au Conseil d’État, lequel n’a émis aucune réserve sur ce point.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Je soutiens cet amendement.

En général, les malades font confiance à leur médecin. De plus, les médecins généralistes connaissent bien leurs patients et savent à qui ils ont affaire. Le contournement n’est généralement pas l’intention première. Très majoritairement, au contraire, les gens ont envie d’être protégés, de se mettre à l’abri et ils écoutent leur médecin. Cependant, tous ceux qui ont exercé la médecine savent bien qu’il existe des fortes têtes. Sans mesures permettant de contraindre ceux qui ne veulent rien entendre, la vie des autres peut se trouver mise en jeu ! Que proposez-vous d’autre, monsieur le ministre, pour ces récalcitrants ? J’ai l’impression qu’il n’y a pas d’autre moyen que d’en passer par une mesure coercitive pour ramener les récalcitrants à la raison. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles !

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Malgré des motifs réels d’hésitation, je défends la proposition du président Milon et je n’adhère pas à une partie du raisonnement présenté par Philippe Bas.

Il n’y a pas d’opposition entre la confiance que nous éprouvons à l’égard de la très grande majorité de nos concitoyens et l’utilité de rappeler à l’ordre nécessaire les personnes qui choisissent délibérément de s’opposer aux mesures d’isolement.

L’argument du président Bas est de dire qu’il y aura des difficultés d’application. C’est indéniable, comme pour tous les systèmes de contrôle. Mais la démonstration qu’il a avancée est trop systématique.

Le réflexe de tout individu normal, lorsqu’il sent arriver les symptômes, est d’aller consulter son médecin. Il sera alors averti des contraintes. S’il décide de ne pas s’y soumettre, le médecin sera alerté : il existe en effet dans la vie locale, comme l’a souligné René-Paul Savary, de multiples façons pour un médecin d’être informé ! Les moyens dont dispose la police suffiront alors à jouer un rôle dissuasif !

Comme je l’ai souligné ce matin en commission, nous avons passé une grande partie du débat – bien entendu avec la meilleure foi du monde – à nous critiquer les uns les autres en fonction de ce que nous avions dit il y a un mois ou deux. Je ne voudrais pas qu’en constatant les difficultés d’application de certaines mesures du déconfinement nous soyons obligés de nous poser de nouveau cette question dans un mois et demi.

De telles dispositions existent déjà dans le code de la santé publique, ainsi que l’a rappelé un de mes collègues. Nous n’inventons rien !

M. le président. Il faut conclure !

M. Alain Richard. Mieux vaut donc avancer maintenant sur ce dispositif, quitte à l’améliorer ensuite, plutôt que de regretter dans un mois et demi de ne pas l’avoir fait !

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour explication de vote.

M. Dany Wattebled. L’amendement de notre collègue Milon est intéressant. Il s’agit tout de même d’actes de délinquance ! Quand quelqu’un se sait porteur d’un virus et ne fait rien pour prévenir la contagion, il met en péril la vie des autres. Pourquoi laisserions-nous faire ? On nous dit depuis le début de cette crise que nous sommes en guerre ; cette guerre, il faut se donner les moyens de la gagner. On a le droit de mettre sa vie en jeu, mais il n’est pas admissible que l’on joue avec celle des autres.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Quand quelqu’un se voit recommander, par un médecin ou par la plateforme de l’assurance maladie, de rester chez lui, ni la police ni la gendarmerie n’en sont évidemment informées. Personne donc ne le sait, à part l’intéressé et la personne qui a prescrit l’isolement.

De surcroît, dans la plupart des cas, la personne concernée ne sera pas un malade : elle aura simplement approché un individu porteur du virus. Si elle ne respecte pas la consigne de quatorzaine, qui le saura, puisque seuls un correspondant téléphonique de l’assurance maladie ou, éventuellement, le médecin de famille sont informés de l’existence de cette consigne ? Pour identifier un récalcitrant, encore faut-il que quelqu’un puisse le dénoncer. Mme Deroche nous dit que ce sera le médecin, mais comment saurait-il que son patient ne respecte pas la consigne, sauf à le croiser chez le boulanger ? Les médecins sont très occupés !

Cela peut procurer une satisfaction morale de se dire que l’on a créé une obligation, mais cette obligation restera lettre morte s’il n’existe pas la moindre procédure permettant d’identifier ceux qui ne respecteraient pas une consigne de quatorzaine dont personne n’est informé ! Vous aurez voté un système de contrainte, mais il sera impossible de le mettre en œuvre. Les prescriptions de quatorzaine seront généralement données par une plateforme de l’assurance maladie qui aura mené à distance des investigations sur les vingt-cinq personnes ayant été en contact avec un individu testé positif : force est de reconnaître qu’il n’existe pas de moyen de contraindre à les respecter. J’ajoute qu’il n’est nullement prévu que l’assurance maladie ouvre ses fichiers à la gendarmerie ou à la police. Si vous faisiez une telle proposition pour assurer le bouclage de votre dispositif, la majeure partie de nos collègues sénateurs et des députés la rejetterait.

Le dispositif de cet amendement est juste sur le plan moral, mais inefficace sur le plan de l’organisation pratique. Eu égard à l’impossibilité de le mettre en œuvre, mieux vaut s’en tenir à ce que le Gouvernement et la commission des lois proposent. À défaut, nous n’irons nulle part. Je tenais à le dire.

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour explication de vote.

M. Vincent Segouin. Le même problème se pose pour le contrôle des arrêts de travail. La caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) effectue des contrôles aléatoires via des appels téléphoniques au domicile des personnes en arrêt de travail. Il existe plusieurs moyens de vérifier que ces personnes sont chez elles sans qu’il soit besoin, pour cela, de recourir aux forces de l’ordre.

Il me semble primordial de prévoir des mesures coercitives. À défaut, ce sera trop facile pour les contrevenants et les mesures de quarantaine ne fonctionneront pas.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Il n’est pas fréquent que le président de la commission saisie au fond s’oppose à une mesure proposée par le président de la commission saisie pour avis…

Monsieur le ministre, quelles mesures coercitives envisagez-vous de prendre pour que la quatorzaine puisse être appliquée aux ressortissants étrangers qui entrent sur le territoire national ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Souvenez-vous : lorsqu’un certain nombre de Français ont été rapatriés de Wuhan, ils se sont vu imposer une quatorzaine collective dans un village de vacances, à Carry-le-Rouet. Il n’y avait pas de mesure coercitive destinée à les empêcher, le cas échéant, de quitter cet endroit.

Le président Bas a tout à fait raison de dire qu’il est impossible, ou à tout le moins très difficile, de mettre en place un système de contrôle et de sanction opérationnel pour les personnes faisant l’objet d’une prescription de quatorzaine déjà présentes sur le territoire national. Il faudrait d’abord pouvoir repérer les contrevenants, puis vérifier qu’ils ne quittent plus leur domicile. On ne peut tout de même pas poster un policier devant leur porte !

Il existe des systèmes de contrôle et de sanctions pour les personnes entrant sur le territoire national qui ne respectent pas les mesures de confinement ou d’isolement prises par le préfet sur demande du directeur général de l’ARS, mais il n’est pas prévu de placement dans un centre fermé.

L’expérience des épidémies en France montre qu’il peut arriver que quelques personnes ne respectent pas les mesures de confinement ou d’isolement. Ainsi, un certain nombre de contraventions ont été établies par les forces de l’ordre pour sanctionner des gens qui ne respectaient pas les règles en matière de limitation des sorties. Il n’empêche que l’immense majorité de la population française a respecté scrupuleusement le confinement, jusqu’à faire baisser le taux de transmission du virus à 0,5, soit le plus bas taux d’Europe.

Encore une fois, toute notre stratégie repose sur la confiance, l’explication, la pédagogie, le soin, l’attention portée à l’autre. Je crois sincèrement que cela suffit. Ce n’est pas un individu qui sort de chez lui alors qu’il ne devrait pas qui fait flamber une épidémie. De toute façon, même avec le meilleur traçage du monde et un dépistage massif, nous ne pourrions pas être certains que 100 % des personnes contaminées font l’objet d’une prescription de confinement ou d’isolement, car il existe des faux négatifs et des cas totalement asymptomatiques.

En conclusion, je ne suis pas favorable à cet amendement, tout simplement parce qu’il ne me paraît pas utile. En outre, je rejoins Mme Rossignol : il ne faudrait pas que l’adoption de la mesure proposée amène à nous faire un mauvais procès lors de l’examen de l’article 6, relatif au traçage des personnes contacts, en nous soupçonnant de vouloir croiser des fichiers. Sans traçage, de nombreuses personnes contaminées risquent de nous échapper. Je tiens aux articles 2 et 6 !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 66.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons examiné 58 amendements au cours de la journée ; il en reste 97.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 2 (début)
Dossier législatif : projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions
Discussion générale

6

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 5 mai 2020 :

À quatorze heures trente :

Suite et fin du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions (procédure accélérée ; texte de la commission n° 417, 2019-2020).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mardi 5 mai 2020, à deux heures quarante-cinq.)

 

nomination de membres dune éventuelle commission mixte paritaire

La liste des candidats désignés par la commission des lois pour faire partie de léventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi prorogeant létat durgence sanitaire et complétant ses dispositions a été publiée conformément à larticle 8 quater du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :

Titulaires : MM. Philippe Bas, François-Noël Buffet, Alain Milon, Philippe Bonnecarrère, Mme Laurence Rossignol, MM. Jean-Pierre Sueur et Alain Richard ;

Suppléants : M. Mathieu Darnaud, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Vincent Segouin, Hervé Marseille, Jean-Luc Fichet, Mmes Maryse Carrère et Esther Benbassa.

 

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

ÉTIENNE BOULENGER

Chef de publication