M. le président. L’amendement n° 42, présenté par MM. Sueur, Marie, Jacques Bigot, Montaugé, Kerrouche, Durain et Kanner, Mme de la Gontrie, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Leconte, Sutour et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes Féret, M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais et Guillemot, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier, Monier, Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mmes Rossignol et Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 6
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
II. – À compter de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire et jusqu’à trois mois après sa cessation, tout acte accompli par un élu local ou un agent public ayant reçu délégation, visant à mettre en œuvre une décision prise par l’État dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, ne peut engager sa responsabilité pénale et civile que s’il est établi qu’il a violé de façon manifestement délibérée et en connaissance des risques, compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie, une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Le Sénat représente les collectivités territoriales de la République, et tous ses membres sont en contact quotidien avec de très nombreux maires.
J’entends bien, madame la garde des sceaux, que vous souhaitez voir retiré le dispositif que le président-rapporteur, Philippe Bas, a proposé en matière de responsabilité pénale des maires et de tous les élus locaux. La position de notre groupe est différente : nous souhaitons, au contraire, préciser les choses.
Tous les acteurs, bien sûr, doivent être responsables. Mais comment ne pas entendre ce que nous disent les élus locaux tous les jours ? Ils n’ont pas été associés à la définition des règles relatives à l’ouverture des écoles, non plus que de celles relatives au fonctionnement des transports en commun dans quelques jours et à l’organisation des élections, entre autres sujets. Pourtant, ils doivent agir, en quelque sorte, au nom de l’État, en tout cas en vertu de décisions de l’État.
Je vais être très pragmatique : si vous voulez que les dispositions prévues s’appliquent dans quelques jours, s’agissant en particulier des écoles, il est très important d’apporter des garanties aux élus locaux, qui seront en première ligne – avec, bien sûr, les enseignants.
Notre proposition, tout à fait cohérente avec ce que souhaitent l’Association des maires de France et toutes les associations d’élus, avec lesquelles nous avons travaillé, consiste à prévoir qu’un élu local, dès lors qu’il mettra en œuvre ce qui lui est demandé par l’État, ne pourra pas voir sa responsabilité, pénale ou civile, engagée à ce titre. Ce qui n’exclut pas que, s’il commet intentionnellement des actes contestables, s’il ne respecte pas les lois et règlements, sa responsabilité puisse, bien sûr, être engagée.
Prévoir une telle garantie dans ce cas précis est une exigence très forte de notre groupe, parce que c’est une exigence très forte par rapport aux élus locaux de notre République.
M. le président. L’amendement n° 154, présenté par Mmes Assassi et Gréaume, M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 6
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
II. – Un maire, ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation, ne peut voir sa responsabilité pénale engagée du fait d’avoir, par la mise en œuvre des décisions prises par le Gouvernement pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire déclaré à l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, soit exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus SARS-CoV-2, soit causé ou contribué à une telle contamination, à moins que les faits n’aient été commis intentionnellement.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Ayant entendu le Premier ministre et vous-même, madame la garde des sceaux, il me semble que vous voulez bien préciser la loi – en l’occurrence, la loi Fauchon –, dès lors que cela va dans votre sens…
Or notre réalité, aujourd’hui, est différente. S’il faut préciser la loi, ce n’est pas pour la rendre bavarde, formule souvent reprise dans cet hémicycle, ni simplement pour faire bon effet auprès des élus locaux : c’est parce qu’il y a urgence ! Urgence, oui, si nous voulons réunir les conditions de la réussite du déconfinement, non pas seulement pour rassurer les élus, mais pour sécuriser réellement les décisions que prendront les maires et ceux qui auront reçu délégation de ceux-ci.
Ne mélangeons pas tout : personne ici ne soutiendrait qu’un élu devrait être irresponsable et absous par avance de toute faute. En revanche, comme il vient d’être expliqué, on ne peut pas rendre les élus responsables de décisions qu’ils n’ont ni le pouvoir ni les moyens financiers et administratifs d’appliquer et à la définition desquelles, de surcroît, ils n’ont été que très, très partiellement associés.
Cet amendement, comme d’autres de la même série, vise donc à sécuriser réellement les élus locaux au regard de la responsabilité qui pèsera sur eux demain, quand ils auront des comptes à rendre à leur population sur la garantie de la sécurité sanitaire.
M. le président. L’amendement n° 179 rectifié, présenté par MM. Gremillet et de Legge, Mme Deromedi, MM. Perrin et Raison, Mmes Deroche, Berthet, Chauvin et Noël, M. Priou, Mme Malet, MM. Cuypers, Pellevat et Pierre, Mmes Thomas et Chain-Larché, MM. Kennel, Bascher, Lefèvre, Charon, B. Fournier, Houpert, Piednoir et Bonne, Mme Micouleau, MM. Bouchet, Vogel et Vaspart, Mme Ramond, M. Danesi, Mme Canayer, MM. Joyandet, de Montgolfier, Grosdidier, Sido, Leleux et Regnard, Mmes Garriaud-Maylam et Lassarade, M. Bonhomme, Mme Morhet-Richaud, M. Brisson et Mme Dumas, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Le maire ne peut être tenu responsable pénalement et administrativement pour les arrêtés pris, dans le cadre de l’application de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, au titre de son pouvoir de police générale que si les mesures prises dans lesdits arrêtés répondent à trois critères cumulatifs : limitation dans la durée ; limitation dans leur amplitude géographique, limitation dans leur contenu en adoptant des mesures proportionnées à un danger identifié.
La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Notre collègue Gremillet propose de restreindre la responsabilité des maires à des mesures prises par voie d’arrêté triplement limitées : dans la durée, dans leur amplitude géographique et à un contenu proportionné à un danger identifié. Il s’agit de limiter l’exposition des maires à une responsabilité pénale ou administrative accrue.
M. le président. L’amendement n° 58 rectifié, présenté par MM. Jacques Bigot, Sueur, Marie, Montaugé, Kerrouche, Durain et Kanner, Mme de la Gontrie, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Leconte, Sutour et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes Féret, M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais et Guillemot, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier, Monier, Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mmes Rossignol et Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – La réouverture des établissements scolaires en période de crise sanitaire ne peut engager la responsabilité des collectivités territoriales.
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Cet amendement, dont notre collègue Jacques Bigot est à l’origine, vise, dans le droit fil des amendements précédemment présentés, à limiter la responsabilité des élus locaux lors de la réouverture des établissements scolaires.
Le Premier ministre a expliqué cet après-midi qu’il souhaitait l’adhésion au déconfinement la plus large possible. Mais l’adhésion ne va pas sans un juste partage de la responsabilité. Or, actuellement, ce partage est en défaveur des élus locaux, qui se voient imposer la réouverture des établissements scolaires avec des moyens souvent défaillants et dans des conditions particulièrement complexes.
Ainsi, le protocole sanitaire de cinquante-quatre pages – on a gagné neuf pages par rapport à la première version… – ne rend pas justice aux difficultés concrètes rencontrées au quotidien par les élus, qui ne disposent pas tous de groupes scolaires modernes et récemment rénovés : les locaux sont parfois vétustes, les corridors étriqués, les classes trop petites, ce qui rend impossible l’application du protocole proposé.
Les doutes qui remontent du terrain sont ceux d’élus qui veulent bien faire ; ils veulent tellement bien faire que, parfois, ils ne feront pas, s’ils considèrent qu’ils ne sont pas en mesure de mettre en œuvre dans de bonnes conditions le protocole qu’on leur demande d’appliquer. Ce matin même, un maire me disait : on érige le couple maire-préfet en garant de la bonne mise en œuvre du déconfinement, mais, si l’un d’entre nous doit aller en prison, ce sera le maire – le préfet, lui, enverra les oranges…
M. le président. L’amendement n° 180 rectifié, présenté par MM. Gremillet et de Legge, Mmes Deromedi et Deroche, MM. Perrin et Raison, Mmes Chauvin et Noël, M. Priou, Mme Malet, MM. Cuypers, Pellevat et Pierre, Mmes Thomas et Chain-Larché, MM. Kennel, Bascher, Lefèvre, Charon, B. Fournier, Houpert, Piednoir et Bonne, Mme Micouleau, MM. Bouchet, Vogel et Vaspart, Mme Ramond, M. Danesi, Mme Canayer, MM. Joyandet, de Montgolfier, Grosdidier, Sido, Leleux et Regnard, Mmes Garriaud-Maylam et Lassarade, M. Bonhomme, Mme Morhet-Richaud, M. Brisson et Mme Dumas, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
La responsabilité pénale du maire et des directeurs d’école ne peut être engagée lorsqu’ils sont amenés, dans un temps très court, à évaluer la capacité d’accueil des élèves dans l’établissement scolaire.
La responsabilité pénale du maire ne peut être engagée dès lors que face à l’incapacité à respecter le protocole sanitaire des écoles élaboré conjointement par le ministre de l’éducation nationale et de la santé, le maire se retrouve dans l’incapacité de rouvrir son ou ses établissements scolaires.
La responsabilité pénale du maire ne peut être engagée en matière de restauration scolaire lorsqu’il ne peut pas réunir les conditions adéquates pour assurer la restauration des élèves dans le respect des mesures sanitaires.
La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Le protocole sanitaire des établissements scolaires a connu des modifications assez importantes depuis la version du 30 avril. C’est pourquoi nous proposons, sur l’initiative de M. Gremillet, que la responsabilité pénale du maire et des directeurs d’école ne puisse pas être engagée dans trois situations : lorsqu’ils sont amenés à évaluer dans un temps très court la capacité d’accueil des élèves dans un établissement scolaire ; dès lors que, face à l’impossibilité de respecter le protocole sanitaire, le maire se retrouve dans l’incapacité de rouvrir un établissement scolaire ou plusieurs ; enfin, lorsqu’il ne peut réunir les conditions adéquates pour assurer la restauration des élèves.
M. le président. L’amendement n° 137 rectifié, présenté par M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - Le dernier alinéa de l’article 121-3 du code pénal est complété par les mots : « ou en cas de décision prise par des maires ou des élus municipaux délégués dans le cadre de la mise en œuvre de directives prises par le Gouvernement en lien avec un état d’urgence sanitaire tel que défini à l’article L. 3131-12 du code de la santé publique ».
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Puisqu’on parle beaucoup d’école et que la pédagogie est l’art de la répétition, vous me permettrez d’insister… D’ailleurs, si redondance il y a dans cette série d’amendements, elle témoigne du véritable malaise qui s’exprime dans notre pays autour des difficultés auxquelles sont confrontés de nombreux élus du fait de la date prévue pour la réouverture des écoles.
Oui, il est essentiel de traiter spécifiquement la question de la responsabilité des élus, tout spécialement des maires, par rapport aux autres intervenants dans la lutte contre la pandémie ! Car les élus ne sont pas des acteurs comme les autres : ces derniers mois, ils ont montré que, en cas de catastrophe, c’est à eux qu’incombent le plus de responsabilités, et dans des domaines très divers.
Nous pourrions considérer que le problème a été en partie réglé par le dispositif adopté en commission des lois. Toutefois, nous souhaitons insister pour que l’exonération de responsabilité pénale pour les actes pris ou non pris par les maires dans le cadre de l’urgence sanitaire soit inscrite dans le code pénal, car c’est du code pénal que les juges tiennent prioritairement compte, d’ailleurs de plus en plus largement.
La situation a fortement évolué depuis le 15 mars. À l’époque, tout le monde dénonçait une immense pénurie de masques dans notre pays. Si, aujourd’hui, dans un certain nombre de territoires, les Français peuvent compter avoir au moins un masque ou deux le 11 mai, c’est parce que leur commune, leur intercommunalité ou leur région en a passé commande. (Marques d’approbation sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. François Patriat. Mais non !
Mme Cécile Cukierman. C’est la réalité, mon cher collègue : ce sont les élus locaux qui ont suppléé à la défaillance de l’État ! Situation d’ailleurs inacceptable : il faudra, demain, réfléchir à une réorganisation de l’État. En attendant, traitons comme il convient la question de la responsabilité des élus locaux, car, ces dernières semaines, ils ont démontré qu’ils sont avant tout, justement, des élus responsables. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. le président. L’amendement n° 134 rectifié, présenté par Mmes Noël et Duranton, MM. Bascher, Lefèvre, Pellevat et Houpert, Mmes Bruguière et Raimond-Pavero, MM. Paccaud, Charon, Perrin, Raison, de Legge et Pemezec, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Karoutchi, Duplomb, J.M. Boyer, Cuypers, Gilles, Pierre et Regnard, Mme Micouleau, M. Frassa, Mmes Dumas, Troendlé, Chain-Larché et Thomas, M. Reichardt, Mme Deroche et MM. D. Laurent, Panunzi, Morisset, Bouchet, Bonne, Genest, Savary et B. Fournier, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - Après le premier alinéa de l’article L. 2123-24 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Une décision prise et mise en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi 2020-290 du 23 mars 2020, en lien avec l’État ou toute autre collectivité territoriale, ne peut engager la responsabilité civile ou pénale d’un maire ou d’un élu municipal suppléant ou ayant reçu une délégation, que si une faute est totalement caractérisée avec une intention délibérée de la réaliser et que s’il est clairement établi qu’il disposait des moyens de la mettre en œuvre entièrement. »
La parole est à M. Olivier Paccaud.
M. Olivier Paccaud. Cet amendement, dont ma collègue Sylviane Noël est l’initiatrice, concerne la responsabilité pénale des maires.
M. le Premier ministre, cet après-midi, puis Mme la garde des sceaux, voilà quelques instants, se sont appuyés sur la solidité de la loi du 10 juillet 2000. La loi Fauchon a certainement fait ses preuves, mais dans des circonstances ordinaires. Or, depuis la loi du 23 mars dernier, nous sommes dans des circonstances extraordinaires : un état d’urgence sanitaire.
Comme M. Sueur l’a bien expliqué, quasiment tous les maires de France veulent bien faire, mais sont inquiets quant à leur propre responsabilité, s’agissant notamment de la réouverture des écoles.
On parle sans arrêt des maires comme des fantassins de la République. À la vérité, ils sont même davantage : ils sont la République, ils incarnent la République. Seulement cette République, bien incarnée, doit aussi protéger ceux qui la servent au quotidien. Tel est le sens des précisions que la commission des lois a déjà introduites et que nous sommes nombreux à réclamer à travers ces amendements : ces précisions, nous en avons tout simplement besoin !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, rapporteur. Habituellement, quand un grand nombre d’amendements sont en discussion commune, j’en trouve toujours certains tellement intéressants que je parviens, au nom de la commission, à leur donner un avis favorable. Ce n’est pas le cas cette fois-ci.
Je pourrais me dispenser de toute autre explication en vous renvoyant simplement au texte que la commission a adopté ce matin et en tentant devant vous de le justifier. C’est d’ailleurs ce que je vais faire dans un premier temps.
Ce matin, nous avons fait deux choses.
D’abord, nous avons considéré que, si le Gouvernement voulait reconduire une nouvelle fois l’état d’urgence, il faudrait qu’il revienne devant le Parlement avant le 23 juillet prochain. Nous avons pensé que ce serait la bonne mesure de lui laisser deux mois après le commencement du déconfinement, lundi prochain, avant de procéder avec lui à l’évaluation de l’efficacité des mesures prises, si aucun événement ne survient d’ici là qui justifie que ce bilan doive être fait plus tôt.
Nous avons donc adopté la limite du 10 juillet prochain, avant laquelle le Gouvernement devra s’être, en quelque sorte, réassuré devant la représentation nationale, dans toute sa diversité, sur la prolongation de l’état d’urgence. Je n’exclus pas qu’il soit amené à le faire avant. Au reste, nous préférons, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, que vous le fassiez tôt plutôt que tard – tout en vous laissant suffisamment de temps pour que l’évaluation puisse être pertinente.
Ensuite, nous avons constaté que nous entrerions, lundi prochain, dans une période très particulière. Jusqu’ici, une règle simple s’impose à tous les Français : le confinement, avec possibilité de sortir de chez soi pour des raisons dûment justifiées, au moyen d’une attestation remplie par chacun ; ce n’est pas facile, mais c’est simple. À partir de la semaine prochaine, il faudra prendre de multiples décisions d’organisation sur le fonctionnement des écoles, des entreprises, des administrations. Le Gouvernement demandera à chacun de prendre ses responsabilités, comme il est juste.
Reste que, dans des circonstances aussi exceptionnelles, les personnes qui seront amenées à prendre leurs responsabilités doivent être protégées. Elles prendront, bien sûr, un risque : nous ne pouvons jamais écarter la mise en cause de la responsabilité pénale d’une personne qui aurait intentionnellement provoqué une contamination, ni admettre qu’on exonère de sa responsabilité pénale une personne qui aurait commis, par violation délibérée d’une obligation particulière de prudence imposée par les lois et les règlements, un acte ayant entraîné une contamination.
La règle que nous avons fixée est, somme toute, assez simple : ce n’est pas une exonération totale de responsabilité pénale, mais le moyen d’éviter que le juge pénal puisse trouver dans la loi du 10 juillet 2000, d’initiative sénatoriale, un fondement pour attraire la responsabilité pénale d’une personne – par exemple, un maire –, pour le motif qu’elle aurait commis une faute caractérisée parfaitement indéfinie dans le code pénal, mais que le juge invoquerait pour rechercher la responsabilité pénale de cette personne qui, du fait de la politique du Gouvernement, aurait pris un risque.
Nous estimons qu’il suffit largement, pour préserver la possibilité de l’action pénale, de considérer que l’intention délibérée de provoquer une contamination ou la violation de règles de prudence particulières prévues par la loi et les règlements permettrait évidemment de condamner une personne ayant commis ce type de délits. C’est un dispositif équilibré !
Par égard pour nos collègues, j’aimerais à présent entrer dans le détail des amendements.
Notre travail de ce matin s’est inspiré des réflexions menées par les uns et les autres, les unes et les autres. Je rends hommage particulièrement à notre collègue Hervé Maurey : inspiré par de nombreuses remarques des maires du département de l’Eure, qu’il a à cœur de défendre, il a pris très tôt des initiatives pour faire avancer la réflexion. C’est en tenant compte de ses réflexions, mais aussi d’autres, que nous sommes arrivés à un équilibre qui me paraît bon.
C’est pourquoi, mes chers collègues, vous ne serez pas étonnés que je ne sois pas favorable aux amendements nos 135 et 143 rectifié, déposés par Mme Assassi au nom du groupe qu’elle préside. Le premier s’oppose à la prolongation de l’état d’urgence et à un régime définissant de manière plus précise l’engagement de la responsabilité pénale pendant l’état d’urgence, à rebours de la position de la commission. Quant au second, très bien présenté par Mme Cukierman, il est trop restrictif, car il se limite au régime de responsabilité des maires, qui ne sont pas les seuls à rencontrer des difficultés.
Les amendements nos 5 rectifié bis, 62, 74, 3 rectifié ter et 164 portent tous sur les délais. Sur cette question, cent fleurs se sont épanouies… Chacun, bien sûr, peut avoir son idée. Pour ma part, j’ai trouvé que le 10 mai comme point de départ d’un délai de deux mois était une bonne formule ; je ne vais pas vous dire ce soir que j’ai changé d’avis parce que certains proposent le 30 juin plutôt que le 10 juillet, ou autre chose encore. Mes chers collègues, vous aurez à trancher ce grave débat, mais la position de la commission, si elle n’est peut-être pas idéale, est assez pratique et repose sur des arguments.
Mme Guillotin, à travers son amendement n° 7 rectifié bis, souhaite inscrire dans la loi les règles de distanciation sociale. Si nous devions le faire, combien d’autres dispositions ne devrions-nous pas aussi introduire dans la loi ? Il y a un moment où c’est trop… D’autant qu’on nous reproche, à juste titre, de faire des lois trop bavardes. Laissons à chaque échelon de responsabilité ses propres attributions.
Le plus important, c’est nous qui l’écrivons. Les règles dont il s’agit sont très importantes, mais nous ne sommes pas médecins, et le Gouvernement peut fort bien, dans le cadre des pouvoirs que nous lui attribuons, régler ces problèmes d’organisation de la vie pendant le déconfinement, en particulier de respect des règles, très importantes, de distanciation.
Je découvre un amendement n° 194 rectifié du Gouvernement… Madame la garde des sceaux, je vous dirai – mais vous y verrez peut-être de l’ironie – que cet amendement m’a peiné. Oui, peiné, parce que voilà plusieurs semaines que nous travaillons sur cette question, très importante, car nous ne pouvons pas déconfiner sans protéger l’exercice des responsabilités qui seront prises par de nombreux Français, alors qu’elles les dépassent. Le Gouvernement le sait très bien, et depuis longtemps – en vérité, depuis plus longtemps que nous ne connaissons ses intentions de créer un système d’information, qui fait l’objet de l’article 6 du présent projet de loi.
Vous écrivez dans l’objet de cet amendement qu’il serait difficile de mesurer dans l’urgence les conséquences d’une telle restriction de la responsabilité pénale. Mettez-vous donc un peu à notre place… Nous avons découvert samedi après-midi un projet de loi dont je ne veux pas exagérer l’importance, mais qui, tout de même, comporte des dispositions mettant en cause le respect de la vie privée, le secret médical et un certain nombre d’autres garanties et libertés. Or vous ne nous avez pas entendus dire qu’il nous était difficile de nous prononcer, parce que nous faisons notre devoir. Nous préférons, bien sûr, avoir du temps, comme vous préférez en avoir. Ne disqualifiez donc pas notre travail au motif que vous n’auriez pas eu le temps de réfléchir, alors que l’exécutif, jusqu’au plus haut niveau de l’État, est prévenu de notre intention depuis plusieurs semaines.
Vous dites aussi que vous avez de l’inquiétude. Remarquez, je comprends : moi aussi, en ce moment, j’ai beaucoup d’inquiétudes… (Sourires.) Nous limitons, dites-vous, cette disposition pénale aux faits commis pendant l’état d’urgence sanitaire. Mais, madame la garde des sceaux, nous l’avons fait exprès ! C’est justement parce qu’il y a l’état d’urgence sanitaire, une situation exceptionnelle, qu’il nous faut, pour la traiter, prendre des mesures exceptionnelles – et d’ailleurs temporaires.
Vous nous expliquez ensuite qu’il y aurait un risque de rupture d’égalité, parce que la responsabilité pénale de quelqu’un ne serait pas engagée en application des dispositions que nous prenons dans les mêmes conditions qu’en application des dispositions de droit commun. Madame la garde des sceaux, il n’y a pas d’inégalité à traiter différemment des situations différentes ! Et si l’état d’urgence sanitaire n’est pas une situation différente justifiant l’application d’un droit différent – à condition qu’il ne porte atteinte à aucun principe fondamental… En réalité, nous appliquons le principe d’égalité en mettant en œuvre des règles différentes dans des situations différentes.
Voilà pourquoi j’ai eu de la peine en lisant non seulement le dispositif de votre amendement, mais aussi son objet. Je n’émettrai pas un avis défavorable ; cet amendement, je vous demanderai, tout simplement, de le retirer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Emmanuel Capus applaudit également.) Nous pourrons ainsi poursuivre le travail que nous avons commencé sur les bases que nous avons définies, des bases dont j’ai la faiblesse de croire qu’elles ont été précédées d’une réflexion approfondie et qu’elles ont abouti à un résultat équilibré. (Marques d’approbation sur les mêmes travées.)
Il me reste à éclairer nos collègues sur les amendements nos 42, 154, 179 rectifié, 58 rectifié, 180 rectifié, 137 rectifié et 134 rectifié. J’émets un avis défavorable sur tous ces amendements, relatifs à la responsabilité.
Certains visent à traiter le cas particulier de la responsabilité des décisions prises à l’égard des écoles. À ce propos, au-delà de la disposition que nous prenons sur la responsabilité pénale, notamment des maires, il faut dire à nos élus, pour les rassurer, qu’ils n’ont, d’après la loi, aucune décision à prendre pour l’ouverture des écoles, car l’article L. 411-1 du code de l’éducation nationale prévoit que cette responsabilité incombe aux directeurs et directrices d’école, sous l’autorité des inspectrices et inspecteurs d’académie.
Le maire, bien sûr, fait partie du conseil d’école et fournit des moyens. Si ces moyens n’étaient pas suffisants pour assurer la sécurité sanitaire de la communauté éducative au moment de la réouverture de l’école, ce serait au directeur d’école, pas au maire, de décider de ne pas rouvrir dans ces conditions. Mesdames, messieurs les maires de France, vous qui nous écoutez ce soir, sachez-le bien : votre responsabilité ne peut pas être engagée à raison des décisions prises pour les ouvertures d’école !
Du coup, tous les amendements visant à protéger les maires au regard des décisions d’ouverture d’école sont inutiles, les maires n’étant pas exposés par ces décisions, ce qu’il est très important de leur rappeler.
De même, il est important de leur dire que nous avons confiance en eux et que nous savons qu’ils prendront toutes les dispositions utiles pour mettre à la disposition des écoles de la République les moyens nécessaires à la reprise du travail scolaire.
Telles sont les raisons pour lesquelles je suis contraint, à mon corps défendant, d’émettre un avis défavorable sur ces amendements, un avis qui, comme vous l’aurez constaté, n’est pas systématique, mais repose sur un examen particulier de chacune des mesures proposées.