Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cet amendement vise à organiser un mécanisme d’établissement de la filiation que l’on pourrait qualifier de a posteriori pour les enfants nés par AMP d’un couple de femmes avant que la loi que nous sommes en train d’élaborer ne soit entrée en vigueur.
Nous proposons d’instaurer une sorte de régime transitoire, de manière à sécuriser la filiation de ces enfants. Nous avions évoqué ce dispositif en commission spéciale. Je ne voudrais pas anticiper sur les propos de Mme la rapporteure, mais elle conviendra sans doute qu’il importe que ces enfants puissent recevoir un statut équivalent à celui dont bénéficieront les enfants qui naîtront dans les mêmes conditions après la promulgation de ce texte.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il est défavorable, même s’il est vrai que le sujet de la régularisation de la situation des enfants déjà nés d’un couple de femmes à la suite d’une AMP à l’étranger mérite d’être creusé.
Néanmoins, cet amendement pose plusieurs difficultés.
D’abord, on ne voit pas très bien comment deux femmes pourraient prouver qu’elles ont eu recours à une AMP en France, alors que ce n’est pas encore autorisé. C’est pourtant ce qui est prévu par l’amendement.
Ensuite, concernant les enfants conçus par AMP à l’étranger, le recours à la reconnaissance volontaire suscite les mêmes critiques que celles que nous avons développées pendant une heure et demie ; il ne me paraît pas nécessaire d’y revenir.
Ajoutons à cela la difficulté qui pourrait naître de la création d’une filiation rétroactive dans des conditions qui n’étaient même pas envisagées à l’époque de la naissance de l’enfant.
Pour toutes ces raisons, l’avis de la commission est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il est également défavorable. Je relève en effet deux difficultés liées à cet amendement.
D’une part, toute rétroactivité de la loi civile sur des situations déjà constituées poserait un problème de constitutionnalité. C’est une question très sensible en matière d’état des personnes.
D’autre part, faire produire des effets à un consentement concernant un événement déjà passé ne relève pas, me semble-t-il, d’un réel consentement, d’autant que votre amendement tend à soumettre ces effets à la présentation d’éléments de preuve de l’existence d’un projet parental au moment de la PMA.
Tout cela me paraît extrêmement compliqué. On peut également se demander qui apprécierait ces éléments de preuve. Serait-ce l’officier d’état civil qui recevrait la reconnaissance, le consentement notarié et les preuves, ou bien le notaire ? Toutes ces interrogations démontrent que le dispositif proposé ne répond pas totalement à l’objectif de sécurisation qui est le nôtre.
Mme la présidente. L’amendement n° 198 rectifié bis, présenté par Mmes Assassi, Cohen, Apourceau-Poly et Benbassa, M. Bocquet, Mme Brulin, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, M. Savoldelli et Mme Lienemann, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code civil est ainsi modifié :
1° L’article 6-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au premier alinéa du présent article, les dispositions prévues à la section 3 du chapitre II du titre VII s’appliquent que les parents soient de même sexe ou de sexe différent. » ;
2° L’article 311-2 est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Elle peut être constituée à l’égard de parents de même sexe. Pour la constitution de la possession d’état, des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la présente loi peuvent être pris en compte. » ;
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Par le biais de cet amendement, nous souhaitons étendre le mécanisme d’établissement de la filiation par la possession d’état.
Ce mécanisme permet aux couples d’établir l’existence d’un lien de filiation avec leur enfant même en l’absence de lien biologique. Or, à ce jour, les couples de femmes ayant un enfant ne peuvent en bénéficier. Cela constitue une discrimination qui ne trouve aucune justification.
Lors des auditions de la commission spéciale, nous avons pu entendre, notamment, les explications du porte-parole de l’Association des familles homoparentales, qui revendique l’ouverture de l’établissement de la filiation par la possession d’état aux parents de même sexe.
Pour les enfants nés avant l’entrée en vigueur de ce texte, la seule possibilité pour l’établissement de la filiation sera l’adoption. Or, si un couple de femmes ayant eu un enfant par AMP se sépare, la femme qui a accouché peut tout à fait refuser une adoption de l’enfant par la mère sociale – j’insiste sur cette expression, car celle de « mère d’intention » est rattachée à la GPA, à laquelle notre groupe est opposé. La mère sociale n’aura alors aucun moyen juridique de faire établir une filiation, même si elle a participé au projet parental et à l’éducation de l’enfant.
Nous ne pouvons pas laisser perdurer cette situation injuste et assez dramatique alors même que le projet de loi reconnaît aux couples de femmes le droit de construire un projet parental au même titre que les couples hétérosexuels.
Nous proposons donc, par cet amendement de bon sens, de remédier à une injustice pour les enfants nés avant l’entrée en vigueur de ce texte et leurs mères.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Le droit de la filiation fait l’objet de deux titres du code civil : le titre VII, « De la filiation », a pour objet la filiation charnelle ; le titre VIII porte sur l’adoption.
Il se trouve, ma chère collègue, que le mécanisme juridique dont vous souhaitez l’extension – la possession d’état – a trait à la filiation charnelle, ce qui ne peut correspondre, à l’évidence, au cas de deux femmes ayant décidé d’avoir un enfant ensemble.
La possession d’état concerne le cas où une personne traite un enfant avec lequel elle n’a pas de lien biologique comme s’il était le sien et lui donne son nom, tout le monde connaissant cet enfant comme tel : voilà les trois caractéristiques de la possession d’état, qui doit être continue, paisible, publique et non équivoque. Or il me semble que ces conditions sont assez difficiles à réunir en l’espèce, car personne ne pourra croire que l’enfant soit celui de deux femmes. Il y a évidemment une équivoque lorsque deux femmes prétendent être la mère d’un même enfant. Ce système ne fonctionnerait donc vraiment pas. L’avis de la commission sur cet amendement est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il est également défavorable. Je comprends parfaitement votre objectif, madame la sénatrice, puisque cette question a déjà été soulevée à l’Assemblée nationale, qui s’est interrogée assez longuement sur les moyens de remédier à ce qui apparaît comme une injustice pour des enfants nés avant l’entrée en vigueur de la loi que nous sommes en train d’élaborer.
Pour autant, le présent texte porte sur la bioéthique, et non sur les questions de filiation. Nous y avons simplement fait figurer l’article 4 parce qu’il était impossible d’ouvrir l’AMP à des couples de femmes sans établir de mode de filiation adéquat. Cependant, nous ne revisitons pas l’ensemble de notre droit de la filiation.
Par ailleurs, outre les arguments que Mme la rapporteure a invoqués, j’ajouterai que la possession d’état est un mécanisme conçu pour être employé de manière très exceptionnelle, dans des situations très particulières de succession ou de recherche d’héritier. Actuellement, la possession d’état concerne une dizaine de personnes environ chaque année. C’est donc un mécanisme qui est très rarement utilisé.
Il me semble que le dispositif de votre amendement ne constitue pas forcément la solution que vous recherchez. En revanche, sa mise en œuvre permettrait de lever un obstacle juridique pour des couples qui voudraient avoir recours à la GPA, en ouvrant la possibilité d’invoquer la possession d’état pour un couple d’hommes. Or le Gouvernement s’est engagé à ne pas du tout aller en ce sens.
Pour les raisons évoquées par Mme la rapporteure et celles que je viens de développer, le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Madame Cohen., l’amendement n° 198 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Laurence Cohen. Au vu des explications données, je vais le retirer, dans la mesure où ce mécanisme pourrait constituer un point d’appui pour les partisans de l’autorisation de la GPA, à laquelle mon groupe est majoritairement opposé.
Néanmoins, fallait-il traiter de l’AMP dans un texte de bioéthique ?
MM. Gérard Longuet et Loïc Hervé. Non !
Mme Laurence Cohen. Nous ne le pensons pas non plus. Quoi qu’il en soit, cela nous amène obligatoirement à traiter de la filiation, sans que nous puissions aller jusqu’au bout de la réflexion.
Pour ma part, je partage l’idée que le droit est un outil, que l’on peut transformer pour améliorer la vie en société. Je voulais lancer cet appel à prolonger la réflexion.
Cela étant dit, je retire l’amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 198 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 9 rectifié, présenté par MM. Cadic, Cazabonne et Détraigne, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code civil est ainsi modifié :
1° L’article 6-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au premier alinéa du présent article, les dispositions relatives à la possession d’état contenues dans le présent code sont applicables à l’égard de toute personne, quelle que soit son orientation sexuelle. » ;
2° L’article 311-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Elle est indifférente à la réalité biologique et permet d’établir la filiation d’un enfant à l’égard de parents de même sexe. » ;
3° L’article 320 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au premier alinéa, une filiation légalement établie ne fait pas obstacle à l’établissement, par la voie de la possession d’état, d’une filiation de même nature. »
La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Je devine ce que dira Mme la ministre de cet amendement, qui vise à permettre d’établir la filiation d’un enfant conçu par le biais d’un don par la voie de la possession d’état…
Précisons que la possession d’état permet de faire établir par notaire l’existence d’un lien de filiation, même en l’absence de lien biologique, sur la base de la réalité vécue par un enfant. Toutefois, ce dispositif n’est pas ouvert aux couples de même sexe.
Cet amendement concerne les enfants conçus à l’étranger au sein d’un couple de femmes avant l’entrée en vigueur du présent texte et dont la filiation à l’égard de la mère sociale n’a pu être établie par la voie adoptive.
La mère sociale pourrait, si cet amendement était adopté, faire reconnaître sa filiation à l’égard de l’enfant, nonobstant sa séparation d’avec la mère biologique ou le décès de cette dernière, par la voie de la possession d’état.
Cette faculté lui serait ouverte pendant une période de dix années suivant la date à laquelle cette possession d’état aurait cessé en raison, notamment, de la séparation ou du décès.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il est défavorable : cet amendement appelle à peu près les mêmes observations que celui que nous venons d’examiner.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis. Je profite de cette occasion pour ajouter que l’une des solutions que nous pourrions proposer, dans un autre texte, pour résoudre la question soulevée au travers de ces amendements pourrait être la simplification de l’adoption. C’est l’une des possibilités sur lesquelles nous travaillons.
Mme la présidente. L’amendement n° 199 rectifié ter, présenté par Mmes Assassi, Cohen, Apourceau-Poly et Benbassa, M. Bocquet, Mme Brulin, MM. Gay, Gontard, P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, M. Savoldelli et Mme Lienemann, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Le code civil est ainsi modifié :
1° L’article 6-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au premier alinéa du présent article, les dispositions prévues à l’article 312 sont applicables, que les parents soient de même sexe ou de sexe différent. » ;
2° L’article 312 est ainsi rédigé :
« Art. 312. – L’enfant conçu ou né dans le mariage a pour autre parent que la mère son époux ou son épouse. » ;
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Par cet amendement, nous proposons d’étendre aux couples lesbiens mariés le mécanisme de présomption de paternité, lequel établit automatiquement la filiation paternelle dans les couples hétérosexuels mariés.
Dans la continuité de nos précédents amendements, nous dénonçons le caractère dérogatoire du régime de la filiation applicable actuellement aux couples lesbiens.
En effet, nous ne voyons pas quel argument viendrait s’opposer à ce que les couples lesbiens mariés puissent prétendre au mécanisme de présomption de parentalité, sauf à créer une nouvelle fois une situation discriminatoire.
Il s’agit ici d’une mesure de simplification et d’égalité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Ma chère collègue, vous proposez d’étendre un mécanisme de droit figurant au titre VII du code civil, relatif à la procréation charnelle.
La caractéristique du titre VII est de fonder la présomption de paternité non pas forcément sur la vérité, mais sur la vraisemblance. Il faut donc à tout le moins que le couple soit hétérosexuel.
La présomption de paternité est fondée sur le fait que, le couple étant marié et s’étant juré fidélité, dans les termes prescrits par le code civil, il est vraisemblable que la femme a fait l’enfant avec son mari. C’est ainsi que fonctionne la présomption de paternité. D’ailleurs, quand on n’est pas marié, cette présomption n’existe pas, car on ne s’est pas juré fidélité : on ne sait donc pas a priori qui est le père.
Dès lors, un couple de femmes ne peut en aucun cas bénéficier d’une telle présomption. Ce mécanisme, dont on peut admettre qu’il s’applique à l’immense majorité des cas de filiation en France, c’est-à-dire à la procréation charnelle, ne peut être étendu à un couple de personnes du même sexe. L’avis de la commission sur cet amendement est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 199 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Alain Milon, président de la commission spéciale. Madame la présidente, je demande la suspension de la séance, afin que la commission spéciale puisse se réunir pour examiner un amendement à l’article suivant.
Mme la présidente. Je vais donc suspendre la séance.
8
Candidature à une délégation sénatoriale
Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation sénatoriale à la prospective a été publiée. Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
9
Mises au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. M. Thani Mohamed Soilihi, qui présidait la séance lorsque les scrutins publics nos 66 et 67 sont intervenus et ne pouvait voter, souhaite être comptabilisé comme ayant voté contre.
Lors du scrutin n° 72, M. Martin Lévrier, Mme Noëlle Rauscent et M. Alain Richard se sont abstenus, tandis que M. Michel Amiel n’a pas pris part au vote.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Lors du scrutin public n° 71 sur l’article 2, Mme Nadia Sollogoub souhaitait voter contre.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour une mise au point au sujet d’un vote.
M. Roger Karoutchi. Ma collègue Marta de Cidrac souhaitait voter contre lors du scrutin n° 69.
M. le président. Acte vous est donné de vos mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.
10
Bioéthique
Suite de la discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous abordons l’examen de l’article 4 bis.
Article 4 bis (nouveau)
Après l’article 47 du code civil, il est inséré un article 47-1 ainsi rédigé :
« Art. 47-1. – Tout acte ou jugement de l’état civil des Français ou des étrangers fait en pays étranger établissant la filiation d’un enfant né à l’issue d’une convention de gestation pour le compte d’autrui ne peut être transcrit sur les registres en ce qu’il mentionne comme mère une femme autre que celle qui a accouché ou lorsqu’il mentionne deux pères.
« Les dispositions du premier alinéa ne font pas obstacle à la transcription partielle de cet acte ou de ce jugement, ni à l’établissement d’un second lien de filiation dans les conditions du titre VIII du présent livre si celles-ci sont réunies. »
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Alain Milon, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Ainsi que je l’ai indiqué en commission spéciale, j’ai voté pour l’amendement présenté par Bruno Retailleau qui est devenu l’article 4 bis du texte de la commission. Je souhaitais en effet que le débat puisse avoir lieu en séance publique.
Certains de nos collègues, ainsi que le Gouvernement, ont déposé des amendements visant à récrire l’article 4 bis en proposant des solutions très différentes.
Afin que le débat puisse se tenir quel que soit le sort que connaîtront les amendements de suppression, la commission demande que les amendements nos 8 rectifié, 104, 249 rectifié bis, 250 rectifié, 216 rectifié quater et 301 soient examinés et mis aux voix par priorité.
M. le président. Je suis saisi, par la commission spéciale, d’une demande d’examen et de vote par priorité des amendements nos 8 rectifié, 104, 249 rectifié bis, 250 rectifié, 216 rectifié quater et 301.
Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, la priorité est de droit lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Leconte. L’article 4 bis, introduit dans le texte par la commission spéciale du Sénat à la suite de l’adoption d’un amendement de M. Retailleau et de plusieurs de ses collègues, est extrêmement contestable à plus d’un titre.
Sur la forme, les parlementaires de la majorité sénatoriale n’ont eu de cesse, comme le Gouvernement d’ailleurs, de répéter que l’examen de ce projet de loi ne devait pas être l’occasion de débattre de la GPA. Ils agissent pourtant à l’inverse de cette pétition de principe, afin de revenir sur quatre arrêts de principe rendus à la fin de 2019 par la Cour de cassation, qui ne faisaient que tirer les conséquences juridiques des multiples condamnations de la France par la CEDH, la Cour européenne des droits de l’homme, afin en particulier de prendre en compte dans le droit français les exigences et les précisions issues de l’avis du 10 avril 2019 de celle-ci. Pourquoi une telle incohérence et un tel acharnement à priver des enfants de filiation ?
C’est de l’intérêt supérieur d’enfants français nés hors de France qu’il s’agit, de leur droit à avoir une filiation établie en conformité avec nos exigences conventionnelles et selon la force probante que donne actuellement l’article 47 de notre code civil aux actes de naissance étrangers. On parle ici d’enfants qui ne sont en rien responsables de leur mode de conception et ont le droit, comme les autres, à ce que leur acte de naissance valablement dressé à l’étranger soit intégralement retranscrit par les autorités locales compétentes.
Nous sommes tous d’accord sur ces travées pour combattre la marchandisation du corps humain, mais tel n’est pas sujet de l’article 4 bis, qui fait obstacle à la transcription intégrale des actes de naissance d’enfants français nés à l’étranger et porte atteinte à leur droit à l’établissement de leur filiation complète à l’égard de leurs parents légaux.
Comment cautionner ces atteintes portées aux droits de l’enfant au seul motif d’un désaccord avec des évolutions de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, au contraire, devraient être saluées au nom de l’intérêt de l’enfant ? Sans doute s’agit-il de satisfaire un certain électorat et de faire de la politique politicienne, en trouvant un écho parmi les personnes qui, depuis deux jours, manifestent bruyamment devant les portes du Sénat. (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.)
Les enfants n’ont pas à pâtir de préoccupations électoralistes. Leur intérêt supérieur doit prévaloir sur toute autre considération. En tant que législateurs, nous devons respecter les exigences du droit et les engagements conventionnels pris par la France, et saluer les récents arrêts de la Cour de cassation, au lieu de chercher à les contourner ! Cet article 4 bis est inadmissible et indigne de notre assemblée, en ce qu’il s’inscrit en contradiction profonde avec l’intérêt de l’enfant.
M. Bernard Jomier. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, sur l’article.
M. Philippe Bas. Les termes employés par notre collègue Leconte sont excessifs.
Pour ce qui concerne la gestation pour autrui, la filiation qui peut être établie est en général la filiation paternelle, quand le père est l’auteur des gamètes ayant permis la naissance de l’enfant. En revanche, la seule filiation maternelle qui pourrait être reconnue est celle de la femme ayant accouché de l’enfant. Par conséquent, on ne prive pas l’enfant d’une filiation à laquelle il aurait droit en refusant de transcrire dans les actes d’état civil français une filiation maternelle dont la femme qui a accouché de l’enfant ne veut pas et qu’il est impossible de reconnaître pour une autre femme.
Ce que la commission spéciale a souhaité faire, c’est rappeler que la transcription à l’état civil français est bien sûr possible, mais dans la limite où elle correspond à la vérité de la filiation, en l’occurrence paternelle. Elle ne peut s’étendre à d’autres filiations.
Je ne vois pas comment vous pouvez affirmer de manière aussi péremptoire, mon cher collègue, que le texte adopté par la commission spéciale ne respecterait pas la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, jurisprudence qui laisse aux États une marge de manœuvre suffisante pour justifier une telle disposition.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, sur l’article.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ce projet de loi n’avait absolument pas vocation à traiter de la gestation pour autrui. Le président Retailleau et plusieurs de ses collègues en ont décidé autrement, et nous allons donc en débattre.
Nous parlons de quelques centaines d’enfants, nés dans le cadre d’un processus aujourd’hui illégal en France et qui doit, à mon avis et à celui de nombre d’entre nous, le rester.
M. Loïc Hervé. Très bien !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cela étant, nous nous préoccupons du sort de ces enfants. Telle est d’ailleurs la motivation, me semble-t-il, de l’ensemble des amendements déposés à cet article.
Nous sommes devant une situation juridique nouvelle, puisque l’assemblée plénière de la Cour de cassation puis la première chambre ont toutes deux, voilà seulement quelques semaines, pris la décision d’ouvrir la porte à la transcription à l’état civil français de la filiation de ces enfants nés par GPA à l’étranger, estimant que le fait que l’enfant soit né par un processus non reconnu légalement en France ne peut être, à lui seul, le motif de la non-transcription à l’état civil français de sa filiation.
La CEDH, pour sa part, a considéré que « l’impossibilité générale et absolue » – chaque mot a ici son importance – d’obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention n’est pas conciliable avec l’intérêt supérieur de l’enfant. Nous devrons garder ce point à l’esprit au cours de nos débats.
Le 16 avril 2017, le Président de la République écrivait ceci dans un courrier que je tiens à la disposition de mes collègues : « Je ne suis pas favorable à autoriser la GPA en France, mais je m’engage à ce que les enfants issus de la GPA nés à l’étranger voient leur filiation reconnue par l’état civil français. Comme tous les enfants, nous avons le devoir de les protéger. La circulaire du 25 janvier 2013 permettant de reconnaître les enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger n’est pas uniformément appliquée sur le territoire français, ni dans tous les consulats. Je souhaite donc la compléter selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. »
Sur ce point, le Gouvernement n’a pas entendu respecter, me semble-t-il, les annonces de celui qui devait ensuite devenir Président de la République.