M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission mixte paritaire a échoué, sans grande surprise : il paraissait impossible de trouver un accord global sur un texte qui comportait plus de 400 articles – un record sous la Ve République –, dont 238 restaient encore en discussion. Nous regrettons toutefois que l’Assemblée nationale n’ait pas davantage tenu compte des votes du Sénat, y compris pour des mesures qui avaient été adoptées à l’unanimité. Cela dénote d’une conception particulière de l’intérêt général. Je citerai quelques exemples, en commençant naturellement par les collectivités locales.

Puisque notre chambre représente ces entités, nous avons pris le temps de travailler en détail sur le contenu de l’article 5. Nous aurions pu le rejeter en bloc, mais cela aurait été irresponsable. Le Gouvernement a choisi de ne retenir aucun de nos amendements, ce que je regrette. Prenons le pari que les effets de bord seront considérables et que certaines dispositions reviendront dans le PLF de l’année prochaine, car vous nous avez d’ores et déjà annoncé une phase de révision, monsieur le secrétaire d’État. Je vous ai notamment entendu dire que toutes les questions relatives aux impacts sur le calcul des potentiels financiers et fiscaux seront à l’ordre du jour du CFL, qui se réunira au mois de janvier prochain.

Il n’aurait pas été déshonorable d’accepter de reporter la mise en œuvre de la réforme d’une année pour se donner le temps, tous ensemble, de faire des simulations et d’évaluer les conséquences sur chacune de nos collectivités. Permettez-moi d’être sceptique sur l’argument que vous avez avancé concernant le manque de lisibilité pour les contribuables et pour les collectivités. Pour tout le monde aujourd’hui, cette réforme est particulièrement floue.

J’évoquerai par ailleurs la fiscalité écologique. Le PLF pour 2020 devait incarner l’orientation du Gouvernement vers un verdissement de sa politique. Dans un passé récent, nous vous avions alerté sur la hausse de la TICPE. Vous nous aviez alors adressé une fin de non-recevoir avant de faire volte-face en réaction au mouvement des « gilets jaunes ». Nous dénoncions à l’époque une fausse fiscalité écologique qui était en réalité une fiscalité de rendement. Nous continuons de dénoncer cette fiscalité ; vous continuez de ne pas nous écouter.

La majorité présidentielle a choisi de maintenir la suppression des comptes d’affectation spéciale, qui permettent pourtant une traçabilité de cette fiscalité : c’est une erreur.

Pour incarner au plus près des territoires le tournant vert de votre politique, le Sénat, pour la quatrième année consécutive, a voté à l’unanimité une affectation partielle des recettes de la TICPE aux régions et aux EPCI. À travers les plans territoriaux et les schémas régionaux, ces acteurs mènent des actions concrètes et visibles des citoyens. L’Assemblée nationale a supprimé cette disposition.

Mesure au coût anecdotique – 300 000 euros –, mais forte en symboles, le bénéfice du FCTVA pour la location longue durée d’un véhicule à faibles émissions par les collectivités locales a également été rejeté par les députés. Le Sénat, à l’unanimité, l’avait pourtant voté. Je m’interroge sur les capacités des collectivités à atteindre les objectifs qui leur ont été fixés dans la loi d’orientation des mobilités.

Autre exemple : le domaine de la culture, qui a déjà été largement évoqué par le rapporteur général et lors des questions d’actualité au Gouvernement. Notre groupe croit à la nécessité de préserver le patrimoine historique de notre pays. Après la baisse des crédits du patrimoine dans le projet de loi de finances rectificative, nous nous demandons si ce souci est partagé par le gouvernement actuel. Il est vrai que le Président de la République, alors en campagne, avait expliqué qu’il n’y a pas de « culture française ».

Chacun connaît les difficultés pour les particuliers d’entretenir des demeures historiques, qui sont des gouffres financiers. L’impôt sur la fortune immobilière les pénalise fortement alors qu’ils ne retirent aucun bénéfice de leur bien ouvert au public, les recettes étant réinjectées pour l’entretien et la rénovation. Cela fait par ailleurs travailler les entreprises et préserve un savoir-faire artisanal français unique.

Le Sénat avait proposé d’exonérer d’IFI à hauteur de 75 % les monuments historiques ou classés en zone rurale, ouverts au public, avec un engagement de conservation. Quelle est la justification du rejet de cette mesure ? Quelle raison justifie également la suppression de l’exonération de taxation pour le loto du patrimoine ou encore la réforme du mécénat d’entreprise, rétablie à l’Assemblée nationale, qui va faire économiser environ 20 millions d’euros sur le mécénat patrimonial ?

Le dernier exemple, enfin, est la lutte contre la fraude. Comme l’an passé, nous constatons avec regret que vous ne voulez toujours pas reprendre notre proposition de lutte contre la fraude aux dividendes : vous la jugez mal calibrée. Pourtant, nous reprenons le dispositif mis en place par les Allemands, dispositif qui va leur rapporter un montant considérable.

L’outil que vous avez mis en œuvre en juillet, figurant à l’article 119 bis A du code général des impôts, est calibré bien au-dessous de ce que nous proposons. L’Autorité des marchés financiers avait estimé que notre proposition pourrait rapporter entre 1 milliard et 3 milliards d’euros aux caisses de l’État. Peut-être aurons-nous raison dans un an ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Comme toujours !

Mme Christine Lavarde. Vous aviez rejeté les propositions de la commission des finances du Sénat sur la lutte contre la fraude à la TVA. Je constate qu’elles ont fini par être reprises dans le présent budget.

Nous le voyons à travers ces exemples, le fossé qui sépare la majorité sénatoriale de la majorité présidentielle est bien trop grand pour qu’un quelconque accord puisse être espéré. Nous le regrettons, car notre démarche au Sénat est celle d’une opposition constructive.

M. Bruno Sido. Tout à fait !

Mme Christine Lavarde. Avant de conclure, je ne peux manquer de relever trois faits surprenants qui concernent directement mon département.

Mme Christine Lavarde. L’Assemblée nationale a rétabli la surtaxe sur les bureaux dans une zone dite « premium ». C’est une augmentation de 32 % en deux ans d’un impôt de production. Quelle logique avec la politique globale du Gouvernement en matière d’économie !

Le Sénat, à l’unanimité, a supprimé le prélèvement d’une fraction des droits de mutation des départements franciliens pour financer la part État du contrat de plan État-région porté par la Société du Grand Paris. Les départements vont venir se substituer à l’État alors même qu’ils ne sont pas compétents pour la politique des transports depuis la loi NOTRe, exception faite du transport des élèves souffrant d’un handicap. On marche sur la tête !

Enfin, les communes franciliennes contributrices au Fonds de solidarité de la région Île-de-France paieront plus que leur contribution naturelle pour compenser une mesure de plafonnement qui ne s’applique qu’à la Ville de Paris.

Concernant cette augmentation du fonds, je relève qu’elle a une nouvelle fois été votée sans aucune étude d’impact et sans véritable argument la justifiant.

C’est mon troisième PLF, et j’ai l’impression que chaque année nous rejouons exactement la même pièce avec une certaine frustration, comme l’a relevé mon collègue Delahaye. Le Sénat n’est pas plus écouté qu’avant, malgré les précédents fâcheux pour le Gouvernement et le niveau de tension rarement atteint dans notre pays. Vous vous privez du corps intermédiaire des parlementaires, avec un Sénat ostracisé et une Assemblée nationale qui s’apparente plutôt à une simple chambre d’enregistrement.

Dans ces conditions, il est inutile de refaire le débat et de réexaminer le budget : les mêmes causes auront en effet les mêmes conséquences. C’est pourquoi le groupe Les Républicains approuvera la position de la commission des finances et votera la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bizet. Très bien !

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Question préalable (fin)

M. le président. Je suis saisi, par M. de Montgolfier, au nom de la commission, d’une motion n° I-1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat ;

Considérant que le recul du déficit nominal masque en réalité l’absence d’amélioration structurelle de la situation des comptes publics, avec une trajectoire budgétaire une nouvelle fois dégradée et éloignée des règles européennes ;

Considérant que la baisse bienvenue des prélèvements obligatoires ne s’accompagne pas des efforts nécessaires pour diminuer les dépenses publiques, en particulier du côté de l’État pour lequel les objectifs déjà peu ambitieux de réduction des effectifs sont abandonnés ;

Considérant qu’à ce titre, il est regrettable que l’Assemblée nationale n’ait pas retenu, en nouvelle lecture, les propositions d’économies proposées par le Sénat en dépenses, notamment par l’augmentation du temps de travail dans la fonction publique et la baisse des primo-recrutements ;

Considérant, en outre, que l’Assemblée nationale est revenue sur l’ensemble des amendements, proposés par la commission des finances et adoptés par le Sénat à une très large majorité, concernant le schéma de financement des collectivités territoriales prévu à l’article 5 en conséquence de la suppression complète de la taxe d’habitation sur les résidences principales ;

Considérant que la majorité gouvernementale refuse de retenir les aménagements proposés par le Sénat, sur le dispositif de financement prévoyant une réelle compensation à l’euro près, conformément aux engagements pris auprès des collectivités territoriales et de leurs groupements ;

Considérant que l’Assemblée nationale a, en nouvelle lecture, adopté l’amendement du Gouvernement que le Sénat avait refusé en première lecture, en ce qu’il augmente de seulement 28 millions d’euros la dotation particulière élu local en conséquence des dispositions en cours d’adoption dans le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, et qu’il fait porter cette hausse par les départements et les régions et non par l’État ;

Considérant que la fiscalité écologique continue d’être perçue par le Gouvernement comme une fiscalité de rendement, avec notamment le rétablissement en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale de l’article 19 tendant à augmenter le prix du gazole pour les transporteurs routiers de marchandises et la suppression des mesures proposées par le Sénat pour accompagner l’augmentation des tarifs de la taxe de solidarité sur les billets d’avion, en particulier la création d’un mécanisme de suramortissement au titre de l’impôt sur les sociétés, permettant d’encourager les compagnies aériennes à renouveler leur flotte avec des avions moins polluants ;

Considérant que le Sénat s’était à la quasi-unanimité opposé à plusieurs dispositions du projet de loi de finances qui ont, depuis, été rétablies par l’Assemblée nationale, à savoir en particulier les modifications restrictives prévues concernant le mécénat d’entreprises ou encore les nouvelles modalités de financement de la Société du Grand Paris ;

Considérant que l’Assemblée nationale a également, en nouvelle lecture, rétabli sa rédaction à l’article 51, concernant la nouvelle taxe forfaitaire applicable aux contrats à durée déterminée d’usage, pour laquelle le Sénat avait préconisé de décaler son entrée en vigueur, afin de laisser le temps à la négociation collective d’aboutir à des accords, et à l’article 61, revenant ainsi sur le refus du Sénat que le transfert à la direction générale des finances publiques (DGFiP) du recouvrement de certains impôts indirects et amendes actuellement assuré par la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) soit réalisé par voie d’ordonnance ;

Considérant que, dans sa nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2020, l’Assemblée nationale a aussi supprimé la proposition du Sénat de relever le plafond du quotient familial bien qu’elle constitue une mesure en faveur du pouvoir d’achat des familles qui aurait utilement complété la baisse de l’impôt sur le revenu prévue à l’article 2, l’exonération de fiscalité des sommes misées dans le cadre du loto du patrimoine votée à la quasi-unanimité au Sénat, ainsi que le mécanisme complet de lutte contre les opérations d’« arbitrage de dividendes » mises en lumière par la presse à l’automne 2018 et pour lesquelles le dispositif adopté en loi de finances pour 2019 demeure très insuffisant en termes de portée ;

Considérant que, certes, l’Assemblée nationale a conservé, en nouvelle lecture, plusieurs apports du Sénat de première lecture, permettant, soit d’améliorer et de corriger juridiquement plusieurs dispositifs, tels que les aménagements du champ d’application du taux de TVA à 5,5 % dans le secteur du logement social ou encore plusieurs des mesures d’encadrement du dispositif permettant aux administrations fiscale et douanière de collecter et exploiter les données rendues publiques sur les sites internet des réseaux sociaux et des opérateurs de plateforme, soit de supprimer certaines mesures inopportunes, à l’instar de l’augmentation de la quote-part pour frais et charges applicable aux plus-values de cession de long terme devant être intégrées au résultat, selon le dispositif dit de la « niche Copé » ;

Considérant que, pour autant, l’examen en nouvelle lecture par le Sénat de l’ensemble des articles restant en discussion du projet de loi de finances pour 2020 ne conduirait vraisemblablement ni l’Assemblée nationale ni le Gouvernement à revenir sur leurs positions ;

Le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2020, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture n° 212 (2019-2020).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. le rapporteur général, pour la motion.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. On a parfois l’impression d’être inutile dans cette assemblée, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. La semaine dernière, j’ai râlé sur le ménage dans l’hémicycle et sur le fait que les dessus de portes n’avaient pas été nettoyés depuis trente ans. Le coup d’œil était assez désastreux pour les visiteurs qui apercevaient l’hémicycle du haut des tribunes. Force est de constater que ma remarque a eu un impact, puisque le ménage a été fait ! (Sourires.)

Je ne désespère pas d’avoir aussi gain de cause sur d’autres sujets. Nous avons fait un travail utile, car nous avons longuement débattu de la loi de finances. Je remercie, en cet instant, l’ensemble des collègues qui, sur toutes les travées, dans un délai très contraint, ont participé à nos travaux. Comme l’a souligné Julien Bargeton, l’absence de PLFR a entraîné des discussions plus longues et parfois techniques. Néanmoins, grâce à la collaboration de tous et à la bonne entente entre chacun, nos collègues ont accepté de défendre leurs amendements de manière succincte, et nous y sommes arrivés, ce qui n’a pas empêché des débats de fond sur des sujets importants. Je pense notamment à la fiscalité des revenus, à la fiscalité du patrimoine, à la fiscalité écologique ou au mécénat.

Malheureusement, malgré les apports du Sénat, votés parfois très largement sur l’ensemble des travées, l’Assemblée nationale n’a pour l’essentiel pas retenu nos propositions. Je ne crois pas qu’une nouvelle lecture puisse être de nature à faire changer d’avis nos collègues députés, à moins que le Gouvernement ne nous annonce à l’instant, par un effet de surprise extraordinaire, qu’il compte déposer des amendements pour reprendre les propositions du Sénat. Dans ce cas, nous réunirions la commission, et je suis prêt à retirer la motion. À défaut d’une telle ouverture, je vous propose d’adopter cette motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. Personne ne demande la parole contre la motion ?…

Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. La motion tendant à opposer la question préalable, c’est-à-dire la proposition de la commission des finances du Sénat de rejeter le PLF en nouvelle lecture, souligne et acte une série de désaccords entre la majorité de l’Assemblée nationale et celle du Sénat, en réalité entre le Gouvernement et une majorité du Sénat.

Monsieur le rapporteur général, à vos yeux, l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont pas retenu suffisamment de dispositions adoptées par le Sénat. Le sénateur Bargeton a eu raison de souligner, comme j’avais commencé à le faire, que bon nombre de propositions du Sénat ont pu être maintenues. Vous considérez que c’est insuffisant. J’en prends acte, et je le regrette. Toutefois, je ne désespère pas que, dans un futur proche, nous ayons à connaître, comme cela a été le cas en LFR, une CMP conclusive. Mais j’avais également souligné que c’était la première fois depuis 2010 qu’une commission mixte paritaire était conclusive sur un texte budgétaire, preuve que telle n’est pas la loi du genre en la matière.

Vous m’avez invité à déposer un certain nombre d’amendements pour qu’un texte soit voté en nouvelle lecture. Je crains que le nombre d’amendements que je suis en mesure de déposer soit trop insuffisant pour permettre une nouvelle lecture qui ne soit pas source de frustration. Restons-en donc là.

Le Gouvernement émet bien sûr un avis défavorable sur cette motion, car il aurait préféré aboutir, mais je prends acte des désaccords que vous avez soulignés.

M. le président. Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?…

Je mets aux voix la motion n° I-1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances.

Je rappelle également que le Gouvernement a émis un avis défavorable.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 62 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 253
Pour l’adoption 187
Contre 66

Le Sénat a adopté.

En conséquence, le projet de loi de finances pour 2020 est rejeté.

M. Jean Bizet. Très bien !

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

Question préalable (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
 

7

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille
Discussion générale (suite)

Violences au sein de la famille

Adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille
Article 1er A

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille (texte de la commission n° 157, rapport n° 156).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur.

Mme Marie Mercier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 27 novembre dernier pour examiner les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille est parvenue à un accord. Cet accord a été rendu possible grâce à l’engagement et au sens des responsabilités de l’ensemble des députés et des sénateurs qui y siégeaient.

Il n’était pas envisageable, à nos yeux, de terminer sur un constat d’échec, qui aurait retardé l’entrée en vigueur de plusieurs mesures attendues par nos concitoyens – je pense notamment à la réforme de l’ordonnance de protection et à l’entrée en vigueur du bracelet anti-rapprochement. Chacun a fait des concessions en gardant à l’esprit l’objectif qui nous rassemble tous : mieux protéger les femmes victimes de violences conjugales.

Je ne m’attarderai pas sur les dispositions pénales dans la mesure où le texte issu des travaux de la CMP retient, pour l’essentiel, les rédactions que le Sénat avait adoptées. Nos discussions ont davantage porté sur le volet civil.

La commission mixte paritaire est revenue sur des dispositions que le Sénat avait adoptées, contre l’avis de la commission, concernant le dépôt de plainte et les modalités d’assignation dans le cadre d’une ordonnance de protection. Il nous a semblé que ces dispositions pourraient se révéler contre-productives en introduisant des éléments de rigidité dans ces procédures.

La commission mixte paritaire a également prévu que la possibilité donnée au juge aux affaires familiales d’ordonner le recours au bracelet anti-rapprochement serait évaluée au bout de trois ans, mais sans en faire un dispositif expérimental, ce qui nous a semblé constituer un compromis acceptable.

La CMP n’a pas non plus retenu les articles additionnels que le Sénat avait introduits au sujet de l’indignité successorale. Nous avions voulu, en insérant ces articles, envoyer un message politique clair : la solidarité qui existe normalement entre époux n’a plus lieu d’être lorsqu’un conjoint commet des violences sur l’autre membre du couple. Nos collègues députés ont estimé que la réflexion n’avait pas suffisamment mûri sur ce point, qui pourra cependant être réexaminé dans le cadre de la prochaine proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, déposée par les députés Bérengère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha.

La CMP a en revanche retenu l’article additionnel que nous avions adopté tendant à priver le conjoint violent du bénéfice de la pension de réversion. Elle en a même élargi le champ d’application, afin qu’il ne concerne pas seulement les personnes affiliées au régime général de la sécurité sociale.

L’essentiel de nos débats a porté sur la question du retrait de l’autorité parentale, sur laquelle je voudrais m’arrêter quelques instants.

Avec notre collègue Aurélien Pradié, rapporteur de l’Assemblée nationale, j’ai proposé d’inscrire dans le texte un article reprenant l’une des principales propositions issues du Grenelle contre les violences conjugales. Trop souvent, lorsqu’une femme quitte le domicile pour échapper à la violence, son mari parvient à la retrouver parce qu’il a conservé l’autorité parentale et qu’il sait donc où sont scolarisés les enfants. Pour la sécurité des femmes, il est donc important de prévoir une suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale, dans l’attente de la décision d’un juge.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Absolument !

Mme Marie Mercier, rapporteur. Sur le fond, cette mesure a suscité un large accord parmi nos collègues députés et sénateurs. Certains auraient préféré disposer de plus de temps pour en étudier les aspects techniques, mais nous avons estimé qu’il était urgent de légiférer sur ce sujet, dans l’intérêt des femmes victimes de violences conjugales et surtout de leurs enfants. Je vous présenterai tout à l’heure un amendement, qui a donné lieu à des échanges avec l’Assemblée nationale et le Gouvernement, afin d’en peaufiner la rédaction et de corriger les quelques imperfections qui subsistent.

En ce qui concerne, enfin, le volet du texte destiné à faciliter le relogement des victimes, la commission mixte paritaire a procédé à des retouches mineures, destinées à mieux associer les parlementaires au bon déroulement des expérimentations proposées.

Mes chers collègues, je me réjouis que le travail réalisé en commun sur ce dossier des violences conjugales ait abouti, en seulement quelques mois, à l’adoption d’un ensemble de mesures qui vont apporter des réponses concrètes à la détresse de trop nombreuses victimes. Je ne prétends pas que ce texte est la solution à tous les problèmes que celles-ci rencontrent, et il nous reste évidemment encore beaucoup à faire. D’autres mesures législatives sont en cours de préparation, dont nous débattrons l’année prochaine, avec le même esprit d’ouverture.

Il faut en convenir, de nombreuses actions à mettre en œuvre ne relèvent pas de la compétence du législateur. Je ne doute pas que le Gouvernement veillera à lancer dans les meilleurs délais les marchés publics nécessaires au déploiement du bracelet anti-rapprochement. Il est essentiel, en parallèle, de travailler sur la qualité de l’accueil des victimes dans les postes de police et de gendarmerie afin que leur parole soit convenablement entendue. Par ailleurs, les associations qui accompagnent les victimes et font de la prévention doivent être soutenues, ce qui suppose de mobiliser les moyens budgétaires adéquats.

Au-delà, c’est tout un travail d’éducation et de sensibilisation qui doit être mené, dans la durée, afin que notre société ne tolère plus qu’un homme – c’est le cas le plus fréquent – lève la main sur sa compagne ni qu’il la rabaisse ou qu’il l’humilie, car les violences psychologiques constituent aussi un fléau que nous devons combattre. Nous devons faire passer l’idée auprès de nos concitoyens que la violence est non pas une manifestation de force, mais au contraire une marque de faiblesse et un échec de la communication, de la parole.

Sur tous ces chantiers, le Gouvernement sait qu’il pourra compter sur le soutien vigilant et exigeant du Sénat. La tâche est immense, mais notre volonté l’est tout autant. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure – chère Marie Mercier –, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, on le sait, semaine après semaine, parfois jour après jour, le nombre des femmes tombées sous le coup de leur conjoint ne cesse d’augmenter. Cette réalité, nous l’avons dit à plusieurs reprises à cette tribune, constitue une exhortation à agir qui nous est collectivement adressée, quelle que soit notre appartenance politique. C’est dans cet esprit que le Premier ministre a ouvert, le 3 septembre dernier, le Grenelle contre les violences conjugales et que le Parlement a adopté, en commission mixte paritaire, la proposition de loi qui vous est aujourd’hui soumise.

Dans la lutte contre les violences conjugales, la justice occupe évidemment une place centrale. Je mène à ce titre, depuis plusieurs mois, une action volontariste, fondée sur un plan très structuré. La circulaire du 9 mai dernier, que j’ai adressée aux procureurs généraux et aux procureurs de la République, érige en priorité de politique pénale la lutte contre les violences faites aux femmes et incite les parquets à utiliser pleinement l’arsenal législatif dont ils disposent, comme les téléphones grave danger ou l’ordonnance de protection.

Je souhaite bien entendu que le recours à cette ordonnance de protection soit facilité et devienne une pratique régulière, presque un réflexe. Mes services ont d’ailleurs récemment analysé toutes les décisions prononçant une ordonnance de protection qui ont été rendues en 2016. Cet important travail, mené pendant plus de six mois et dont les résultats ont été publiés sur le site du ministère de la justice au mois de septembre dernier, a révélé que le recours à ce dispositif est en constante progression depuis sa création. Lorsque le juge est saisi, une ordonnance de protection est prononcée dans près des deux tiers des dossiers. Pour autant, les juges ne sont pas encore suffisamment saisis de ce type de demande : il faut faire des progrès sur ce point.

La proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui vise, d’une part, à renforcer l’ordonnance de protection et, d’autre part, à généraliser l’utilisation du bracelet anti-rapprochement (BAR). Je partage cette double volonté, puisqu’elle correspond aux deux axes majeurs sur lesquels travaille le ministère de la justice depuis plusieurs mois.

Concernant l’ordonnance de protection, afin d’accroître le recours à ce dispositif très protecteur qui permet au juge aux affaires familiales d’organiser la séparation du couple dans un contexte de violences, il est prévu que la victime puisse obtenir, par une même décision de justice, des mesures à la fois civiles et pénales : mesures civiles concernant l’organisation de la vie familiale, notamment les droits de visite et d’hébergement, la pension alimentaire ou encore l’attribution du logement du couple ; mesures pénales, telles que l’interdiction d’entrer en contact et l’interdiction de port d’arme.

Le texte qui vous est soumis prévoit que le juge aux affaires familiales devra désormais statuer dans un délai de six jours à compter de la date de fixation de l’audience. Afin que ce délai soit effectif, les dispositions du code de procédure civile relatives à l’ordonnance de protection devront être adaptées. Mes services y travaillent déjà.

La proposition de loi apporte également des précisions indispensables. J’en cite quelques-unes à titre d’exemple : une plainte pénale n’est pas nécessaire pour demander une ordonnance de protection ; les auditions peuvent se tenir séparément si la partie demanderesse le souhaite ; l’ordonnance de protection peut être délivrée aux couples qui ne cohabitent pas et n’ont jamais cohabité.

Ces précisions et d’autres encore ont une vertu pédagogique et nous permettent de répondre aux recommandations formulées par le Grevio, le groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dans son rapport d’évaluation sur la France, publié le 19 novembre dernier. Notons que le Grevio « salue la grande détermination dont les autorités françaises font preuve pour inscrire la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes parmi leurs priorités politiques. » Il souligne également que l’adhésion des autorités à cette cause a été renforcée d’initiatives récentes, telles que le premier Grenelle contre les violences conjugales lancé par le Gouvernement le 3 septembre 2019.

S’agissant du bracelet anti-rapprochement, il pourra être imposé aux auteurs de violences conjugales à titre de peine, mais aussi avant tout jugement pénal dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou, en dehors de toute plainte, dans le cadre civil d’une procédure d’ordonnance de protection, ainsi que l’avait annoncé le Premier ministre le 3 septembre dernier.

Le bracelet anti-rapprochement est une avancée majeure et sans doute le point saillant du texte. Je crois profondément que ce nouveau dispositif, dédié à la seule protection des victimes, pourra éviter un nombre important de féminicides, comme cela a été le cas en Espagne.

La proposition de loi initiale a été enrichie par de nouvelles dispositions concernant l’autorité parentale. Au moment du passage de la présente proposition de loi dans cet hémicycle, ces dispositions faisaient encore l’objet de concertations. La commission mixte paritaire a, par la suite, fait le choix de les inclure dans le texte que nous examinons aujourd’hui, sans attendre un nouveau véhicule législatif. Figurent ainsi deux mesures nouvelles.

La première – Mme la rapporteure l’a précisé – ouvre au juge pénal la possibilité de statuer sur le retrait de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement. Cette disposition, qui offre plus de souplesse au juge, est de nature à lui permettre de mettre en œuvre une solution plus adaptée à la situation familiale lorsque le retrait de l’autorité parentale paraît trop radical.

La seconde mesure crée une suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale en cas de poursuite ou de condamnation pour un crime commis par un parent sur la personne de l’autre parent, et ce dans l’attente de la décision du juge aux affaires familiales.

Mme la rapporteure vous proposera tout à l’heure un amendement visant à préciser la rédaction de cet article. Le Gouvernement y sera favorable.

La lutte contre les violences au sein du couple va se poursuivre. Il est désormais temps de tirer les enseignements des travaux menés dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, ainsi que de ceux menés par les députés du groupe La République En Marche à l’issue de leurs journées de travail en région.

Ces réflexions ont conduit à formuler de nombreuses propositions. Plusieurs d’entre elles sont convergentes avec les réflexions et travaux menés dans le cadre du groupe de travail « Justice » que j’ai installé à la Chancellerie à la suite du lancement du Grenelle. Ce groupe de travail continuera d’ailleurs ses travaux afin de suivre l’avancée des actions qui ont été annoncées. Il s’agit en effet d’inscrire notre action dans la durée, au-delà même de la séquence du Grenelle.

Parmi les nombreuses propositions formulées par les députés, certaines exigeaient des modifications de nature législative. Elles trouvent leur expression dans la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, déposée le 3 décembre dernier par les députés de La République En Marche. Cette proposition de loi sera discutée dans les semaines à venir et connaîtra également – j’en suis certaine – une adoption consensuelle. Elle vise à modifier le code civil, le code pénal et le code de procédure pénale ainsi qu’à assurer l’organisation de la vie de famille et la protection effective des victimes de violences familiales, qu’il s’agisse des parents ou des enfants.

À ce titre, cette proposition de loi tend à inscrire dans la loi que les enfants ne seront plus tenus d’aucune obligation alimentaire à l’égard du parent qui aura tué l’autre parent, à proscrire toute médiation, tant civile que pénale, en cas de violence et en cas d’emprise, ce qui répond à une demande très forte des associations, et à permettre aux médecins de révéler plus facilement les faits de violences conjugales à la justice, même en l’absence d’accord de la victime, dans certaines circonstances particulières rigoureusement encadrées. Elle prévoit par ailleurs d’étendre l’incrimination de certains comportements et de favoriser leur répression, notamment en sanctionnant plus sévèrement le harcèlement au sein du couple qui aura conduit la victime à se suicider ou à tenter de le faire et en pénalisant plus largement les comportements d’espionnage.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je tiens, comme l’a fait Mme la rapporteure, dont je salue le travail, à vous assurer de l’engagement absolu du ministère de la justice sur ce sujet, et du mien en particulier. Nous continuerons, avec l’aide de tous, non seulement des magistrats et des forces de l’ordre, mais aussi des avocats, des réseaux associatifs et de l’ensemble de la société civile, à lutter contre des actes qui, en meurtrissant chaque jour des femmes, heurtent la société tout entière. J’en suis absolument certaine, nous partageons tous cet engagement. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, UC et Les Républicains.)