M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, parce qu’elle prévoit de protéger les femmes de toute forme de violences commises au sein de la famille, parce qu’elle vise à prévenir ces violences et à les punir, la proposition de loi que nous adopterons aujourd’hui revêt une importance capitale.
Une femme sur trois dans le monde est exposée à la violence au cours de sa vie. Le plus souvent, cette violence s’exerce au sein même du couple. Parce qu’elles représentent une altérité et que leur liberté ne coïncide pas toujours avec celle des hommes, les femmes sont souvent victimes d’un engrenage de violence, qui commence par des mots, des menaces et finit par des coups. Parfois, mais toujours trop souvent, ces coups sont mortels. D’après l’Organisation mondiale de la santé, 38 % des meurtres de femme sont le fait de leur conjoint ou ex-conjoint.
Ces violences domestiques sont les derniers vestiges de mentalités arriérées, d’un sexisme primaire, d’une relation d’oppression insupportable. L’égalité entre les femmes et les hommes devrait être non pas une question, mais une évidence. Pour reprendre les mots de Simone Veil, il s’agit non pas d’effacer les différences, mais de les prendre en compte.
En parallèle des travaux parlementaires, le Gouvernement a engagé un Grenelle contre les violences conjugales en septembre dernier pour apporter le plus rapidement possible des solutions opérantes et efficaces pour protéger les victimes. Dix mesures d’urgence ont été annoncées, aux premiers rangs desquelles figurent la création de 1 000 nouvelles places d’hébergement, un audit général des commissariats et des gendarmeries et la possibilité de déposer plainte à l’hôpital. D’autres mesures suivront, début 2020, pour inscrire dans la loi les propositions issues de la concertation nationale.
La proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille est l’initiative du député Aurélien Pradié, dont nous saluons ici le travail. La commission mixte paritaire est parvenue à un accord le 27 novembre dernier, preuve que cette question rassemble toutes les sensibilités politiques – c’est heureux ! – et que chacun d’entre nous est prêt à s’engager pour protéger davantage les femmes victimes de ces violences.
Les deux principales mesures dont bénéficieront directement les victimes sont la généralisation du bracelet anti-rapprochement et la réduction du délai maximal de délivrance de l’ordonnance de protection à six jours au lieu de quarante-deux jours. Le dépôt de plainte ne sera plus nécessaire à sa délivrance.
Au cours de son examen, notre assemblée a largement contribué à enrichir le texte, avec des dispositions importantes. Je citerai notamment la sensibilisation des jeunes à la lutte contre les violences conjugales lors de la journée défense et citoyenneté et l’exclusion de la succession du conjoint condamné pour des faits de violence envers le défunt. La commission mixte paritaire a souhaité supprimer cette dernière mesure, et nous le regrettons.
Nous saluons la bienveillance de la commission à l’égard de la demande de rapport sur les conséquences du maintien de l’autorité parentale de l’auteur de violence et la possibilité de sa suspension. Nous invitons le Gouvernement à aller plus loin que la production d’études et de rapports qui, trop souvent, ne font qu’alourdir les étagères des bureaux ministériels.
La commission mixte paritaire a conforté l’article 2 relatif à l’ordonnance de protection, tout en limitant à l’article 2 quater l’utilisation d’un bracelet anti-rapprochement à une durée initiale de trois ans, renouvelable selon l’appréciation du juge. Il s’agit là du cœur de la proposition de loi.
Proposé par le Gouvernement, l’article 2 ter inscrit au Fichier national des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes les personnes visées par une ordonnance de protection. Nous sommes bien sûr favorables à ce dispositif de bon sens.
En juillet dernier, 150 sénateurs alertaient le Gouvernement et l’opinion publique avec la publication d’une tribune appelant à une généralisation des bracelets électroniques pour prévenir les féminicides. Quelques mois plus tard, cette initiative menée par Annick Billon et la délégation aux droits des femmes a trouvé un écho à travers cette proposition de loi issue de l’Assemblée nationale. Le groupe Les Indépendants – République et territoires renouvelle son soutien : nous voterons les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Annick Billon. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille traduit une véritable prise de conscience de l’effroyable réalité que représentent les violences intrafamiliales.
À l’occasion de l’examen du texte en première lecture, le 27 novembre dernier, nous étions nombreux à rappeler combien de femmes avaient succombé sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint depuis le début de l’année 2019. Elles sont aujourd’hui 142 selon le collectif Féminicides. Il est temps que ce décompte macabre s’achève et que nous nous dotions des moyens judiciaires, humains et financiers suffisants pour que ce fléau cesse.
Aussi, je me réjouis de l’aboutissement de cette commission mixte paritaire, qui traduit notre volonté, au-delà des clivages politiques, de trouver des solutions afin de mieux lutter contre ce fléau.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est aussi grâce à vous !
Mme Annick Billon. Il y a là une urgence vitale.
J’en profite pour remercier le président Philippe Bas et la rapporteure Marie Mercier de leur investissement,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Surtout Marie Mercier !
Mme Annick Billon. … qui a permis d’aboutir à une CMP conclusive.
Les violences au sein de la famille sont souvent difficiles à caractériser et à dénoncer, car elles pâtissent encore de nombreux stéréotypes. Pour exemple, les mots « crime passionnel » persistent encore dans certains esprits. Souvent minorées et considérées comme relevant de la sphère intime, ces violences relèvent avant tout d’un caractère systémique et nécessitent d’interroger de façon plus générale les rapports de domination qui animent notre société. Nous avons, nous, législateurs, une responsabilité forte et une capacité d’action pour faire baisser ces violences.
Cette CMP est fondamentale dans la mesure où elle propose de compléter notre arsenal juridique par des avancées concrètes en matière de protection des victimes de violences conjugales. La mise en place du bracelet électronique anti-rapprochement au début de l’année prochaine, les aides au logement, les modalités de recours au téléphone grave danger, la facilitation de la délivrance de l’ordonnance de protection constituent autant de mesures concrètes et attendues qui amélioreront de manière significative la protection des femmes.
Je me félicite tout particulièrement de ce que la question de l’autorité parentale, que j’avais portée avec la délégation aux droits des femmes, ait été reprise à la faveur de cette CMP, même si cette disposition ne va pas assez loin à mon sens : le caractère provisoire de la suspension de l’autorité parentale, d’une durée de six mois, en limite notamment sa portée. Les nombreux travaux de la délégation ont montré que, bien souvent, l’existence d’enfants permet l’exercice d’un chantage visant à poursuivre le harcèlement ou les violences sur l’ex-conjointe ; nous sommes convaincus qu’un mari violent ne saurait être un bon père.
En effet, sans l’organisation adaptée des modalités d’exercice de l’autorité parentale, les mesures de protection de la femme victime de violences seront mises en échec et les enfants ne seront pas protégés. Une prise en compte élargie des violences conjugales est indispensable pour assurer une protection effective de la mère et de l’enfant. Dès lors, la suspension de plein droit de l’autorité parentale ne saurait se cantonner qu’aux cas les plus graves.
Je souhaite par ailleurs revenir sur la question de l’indignité successorale, qui n’a pas pu être débattue lors de la réunion de la CMP. Mes collègues de la délégation et moi-même avions proposé, par voie d’amendement, de dispenser les enfants de l’obligation d’aliment en cas de retrait total de l’autorité parentale et d’exclure cette obligation en cas de condamnation pour le meurtre ou l’assassinat de l’autre parent. J’ai regretté que cette proposition, pourtant consensuelle, ait été rejetée par le Gouvernement ; comment accepter qu’un enfant conserve une obligation d’aliment vis-à-vis de son parent auteur d’un assassinat sur son autre parent ?
Madame la garde des sceaux, cette disposition, que vous avez rejetée, figure pourtant parmi les annonces du Gouvernement dans le cadre du Grenelle. Elle devrait donc trouver une transcription législative dans un prochain texte. Sans vouloir faire preuve d’esprit de polémique, il eût été plus opportun de l’intégrer dans cette proposition de loi ; cela nous aurait fait gagner du temps, que nous savons précieux.
Je souhaite terminer en évoquant une question fondamentale : la question financière. Si ce texte constitue une avancée indéniable, ses dispositions ne sauraient se concrétiser sans des moyens massifs. Je n’ai eu de cesse, au cours de mon mandat de présidente, que de déplorer le hiatus existant entre les ambitions affichées par le Gouvernement, dans le cadre de la « grande cause du quinquennat », et la réalité des moyens qui y sont consacrés.
Une fois de plus, je crains que les crédits annoncés à l’issue du Grenelle ne soient pas à la hauteur des enjeux. Ainsi en va-t-il de la question de l’aide juridictionnelle, qui devra être prise à bras-le-corps. Trop de familles se trouvent démunies face à la procédure judiciaire et aux frais de justice importants que celle-ci induit.
La responsabilité qui nous incombe est forte, tout comme l’attente de notre société. Soyons à la hauteur des enjeux, soyons au rendez-vous !
Cette proposition de loi d’Aurélien Pradié, point de départ d’un combat que nous savons long, va dans le bon sens. C’est pourquoi le groupe Union Centriste, souhaitant encourager le travail accompli, votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, au moment où nous parlons, on recense 145 ou 146 victimes de féminicide depuis le début de l’année ; il y a un doute sur la cent quarante-sixième, car les services de police n’ont pas encore rendu leurs conclusions à son propos. C’est plus que les années précédentes !
Cette augmentation importante, non pas simplement marginale, je ne l’impute, bien entendu, à aucun responsable politique. Reste qu’il serait intéressant que votre ministère, madame la garde des sceaux, étudie les raisons pour lesquelles le nombre de féminicides augmente. En effet, je m’interroge : est-ce que cela s’inscrit dans le cadre de l’augmentation globale, que l’on constate, des atteintes aux personnes ? C’est une possibilité. Est-ce lié à une dislocation plus importante des familles ? Ou bien est-ce lié au fait que, depuis deux ans, les femmes sont engagées à parler, à partir et que, beaucoup de féminicides se produisant, on le sait, au moment de la séparation, une augmentation des séparations entraînerait un accroissement du nombre de tels actes ? Il vaudrait le coup que l’on sache ce qu’il en est, pour être plus efficace dans la prévention et pour comprendre quel est l’état de notre société, surtout quand celle-ci va mal.
Cela étant dit, je veux revenir sur quelques éléments.
Les enquêtes menées par vos services ou par l’inspection générale de la justice, notamment, révèlent la sous-évaluation historique, traditionnelle, par la justice, des violences faites aux femmes et la sous-utilisation des outils juridiques mis à la disposition des juges. Or nous essayons, au travers de ce texte, du Grenelle et de l’engagement des associations et de tout un chacun, de sensibiliser la justice. Je regrette donc qu’un certain nombre d’amendements que nous avions déposés en première lecture n’aient pas été adoptés.
En effet, je connais la philosophie de la Chancellerie – je parle non pas de la vôtre, madame la garde des sceaux, mais de celle qui vous préexistait et qui demeurera toujours, même si cela peut évoluer – ; cette philosophie consiste à s’en tenir à un code pénal et à un code civil fondés sur un principe : « le juge peut ». Quand le code prévoit que « le juge peut », la Chancellerie est contente ; surtout, n’y touchons pas. Or, en matière de violences faites aux femmes, il faut maintenant passer au principe « le juge doit » ; en effet, si « le juge peut », il ne fait pas. Tel est le constat que vous avez dressé, avec les groupes de travail sur la justice, pendant le Grenelle : les juges n’utilisent pas les outils juridiques existants.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. On ne peut pas non plus en faire des automates !
Mme Laurence Rossignol. Que veut dire « le juge doit » ? Prenons un exemple.
Nous avons déposé un amendement pour que l’autorité parentale soit systématiquement suspendue dans le cadre de l’ordonnance de protection. Il nous a été répondu que cela était déjà possible. Oui, c’est possible, mais il n’y a aucune raison pour que cela ne soit pas systématique. En effet, on ne peut, dans aucune circonstance, faire valoir l’intérêt de l’enfant à rester sous l’autorité parentale d’un père violent. Un père violent qui attaque la mère, qui s’en prend à elle, qui la brutalise, ne peut pas se voir confier l’autorité parentale sous prétexte qu’il serait de l’intérêt de l’enfant de maintenir un lien avec son père.
Cette philosophie de base – le maintien du lien, au travers de l’autorité parentale – est présente dans la tête de nombreux magistrats, mais le retrait de l’autorité parentale n’est pas une sanction, une punition, contre le père. On m’a souvent rétorqué que nous étions contre les peines systématiques. Bien sûr, mais la suspension de l’autorité parentale n’est pas une peine ; c’est une mesure de protection de l’enfant.
Je regrette donc que vous n’ayez pas été favorable, madame la garde des sceaux, au principe de la suspension systématique de l’autorité parentale lorsque l’ordonnance de protection est délivrée, ni même à notre amendement de repli. Celui-ci tendait à prévoir que, dans les cas où le juge maintiendrait l’autorité parentale, l’adresse de l’école de l’enfant soit masquée.
Je crains que l’on découvre, au moment du bilan, d’ici un ou deux ans, du contenu des ordonnances de protection, que les juges auront maintenu l’autorité parentale des auteurs de violences, même lorsque la mère est en danger et a déjà été victime de violences. D’ailleurs, vous n’avez pas non plus voulu que l’on remplace « et » par « ou » dans la définition de l’ordonnance de protection : danger et violence, ce sont les deux conditions cumulatives, alors que les violences suffisent à constituer le danger.
L’amendement de repli que nous proposions, qui visait donc, je le répète, à masquer l’adresse de l’école de l’enfant, a lui aussi été rejeté. Ainsi, une femme faisant l’objet d’une ordonnance de protection, mais à laquelle le juge n’aura pas attribué l’autorité parentale exclusive, sera exposée au risque que son conjoint violent la retrouve, grâce à l’adresse de l’école des enfants. En effet, l’autorité parentale suppose de connaître le lieu de scolarisation de ses enfants.
Par conséquent, prisonniers de cette philosophie du principe « le juge peut », nous en arrivons à exposer davantage les femmes aux violences et à ne pas atteindre les objectifs que vous poursuivez certainement au travers de cette loi.
Par ailleurs, quant à la méthode choisie pour légiférer – la proposition de loi –, je ne sais pas ce que la constitutionnaliste que vous êtes, madame la garde des sceaux, en pense…
M. le président. Vous avez déjà dépassé de trente secondes votre temps de parole, ma chère collègue.
Mme Laurence Rossignol. Je conclus, monsieur le président.
Madame la garde des sceaux, je ne sais pas ce que la constitutionnaliste que vous êtes a pensé du fait que le Premier ministre annonce une proposition de loi – vous avez dû tousser un peu… Pourquoi avoir choisi cette voie ? Pourquoi pas une belle loi-cadre contre les violences faites aux femmes, une grande loi modifiant à la fois le code pénal et le code civil ? Pourquoi pas plus d’ambition ? Parce qu’il n’y a pas de moyens !
Voici donc le fond de l’affaire : nous légiférons, mais il n’y a pas un euro supplémentaire pour la lutte contre les violences faites aux femmes ni un centre d’hébergement supplémentaire pour appliquer la protection que vous avez prévue au travers de la loi. Nous nous retrouverons donc. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Indépendants.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, s’il y a un sujet qui doit faire consensus, c’est bien la lutte contre les violences faites aux femmes et contre celles qui sont perpétrées au sein de la famille.
À l’heure où un 145e féminicide a été commis cette année, nous devons mettre tous les moyens de notre côté pour lutter contre la banalisation des violences faites aux femmes, mais aussi pour instaurer un régime plus protecteur des victimes, trop souvent laissées à l’abandon.
Si le texte initial a été considérablement modifié, ses grands équilibres ont été conservés ; ceux-ci visent à sécuriser le quotidien des femmes, à permettre la mise à l’abri d’urgence et à uniformiser la délivrance de l’ordonnance de protection. À ce titre, je salue les travaux menés par les commissions des lois des deux assemblées, qui ont permis d’aboutir à une CMP conclusive.
Les apports du Sénat, visant à renforcer les garanties procédurales, ont été reconnus à leur juste valeur, et nous avons de quoi nous en satisfaire.
Je veux citer l’article 2 ter, qui prévoit l’inscription des personnes auteurs de violences conjugales au Fichier national des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes. Cette disposition constitue, selon moi, une véritable avancée ; combien de fois un fusil de chasse s’est-il transformé en une pièce à conviction lors d’un féminicide ?
Je note également l’exclusion de la succession du conjoint condamné pour des faits de violence envers le défunt ou encore l’exclusion du bénéfice de la pension de réversion, en cas de divorce, pour le conjoint violent.
Mon groupe est en revanche plus partagé – Josiane Costes avait eu l’occasion d’intervenir en ce sens – à propos du bracelet anti-rapprochement. Le remplacement de l’expérimentation par une mise en œuvre avec clause de revoyure en 2022 conforte nos inquiétudes. Qu’une mesure si coercitive puisse être prise par un juge civil, sans la moindre condamnation, nous semble incompatible avec les fondements de notre droit pénal. Le risque est effectivement que l’ordonnance de protection se substitue au jugement pénal ; nous y sommes défavorables.
Ma collègue l’avait déjà souligné, dans un contexte où seulement une demande d’ordonnance de protection sur deux aboutit, nous prônons plutôt la meilleure prise en compte des signaux dits « faibles ». Là où elle aurait tendance à minimiser tel ou tel comportement, la justice doit être plus vigilante et prendre davantage en compte ces signaux.
Je ne reviendrai par sur la polémique concernant l’absence d’examen, par les députés, des dispositions relatives à l’autorité parentale ; j’invite seulement ces derniers à contester davantage l’usage, parfois excessif, que fait le Gouvernement de la procédure accélérée.
Sur le fond, le groupe du RDSE est complètement d’accord avec les mesures qui retirent l’autorité parentale à l’auteur d’un crime contre la personne du conjoint et avec celles qui la suspendent en cas de mise en examen pour crime ou tentative de crime. Ces mesures sont motivées par l’intérêt supérieur de l’enfant, qui ne doit pas, à notre sens, être confronté à des individus violents. Je ne vous apprendrai pas qu’un enfant ayant été confronté tôt à la violence a de très grandes chances de reproduire ce type de comportements. La solution est donc claire : si l’on souhaite enrayer la spirale de la violence, il faut séparer les enfants des parents violents.
Conscients de l’urgence à apporter des solutions aux trop nombreuses victimes de violences et satisfaits de l’équilibre général trouvé au travers de ce texte, les élus du groupe du RDSE approuveront les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, Les Indépendants et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le texte sur lequel nous nous apprêtons à voter vise deux objectifs majeurs.
En premier lieu, il permet la délivrance d’une ordonnance de protection en un délai six jours, alors qu’il en faut, aujourd’hui, quarante et un. Comment ? En multipliant le recours à ce dispositif hautement protecteur, par lequel le juge aux affaires familiales peut organiser la séparation du couple dans un contexte de violences. Grâce à ce dispositif, la victime de violences conjugales peut obtenir, au travers d’une même décision de justice, des mesures tout à la fois civiles et pénales.
Les mesures civiles concernent l’organisation de la vie familiale, avec, au premier chef, les droits de visite et d’hébergement, la pension alimentaire ou encore l’attribution du logement du couple.
Les mesures pénales sont relatives à l’interdiction d’entrer en contact avec la victime et à l’interdiction, pour le conjoint violent, de port d’arme.
En second lieu, ce texte a été conçu pour sauver des vies, en généralisant l’utilisation du bracelet anti-rapprochement. Trop souvent, l’actualité s’est fait l’écho du décès de personnes tombées sous les coups de leur conjoint, alors qu’elles avaient indiqué qu’il avait menacé de la tuer s’il revenait.
Ainsi, le bracelet pourra être imposé aux auteurs de violences conjugales à titre de peine, mais aussi avant tout jugement pénal dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou, en dehors de toute plainte, dans le cadre civil d’une procédure d’ordonnance de protection.
Nous approuvons, sans aucune réserve, l’ensemble de ces mesures. Néanmoins, une priorité absolue demeure : faire reculer les violences. Cela a été dit, 145 ou 146 femmes ont été tuées en 2019 par leur conjoint ou par leur ex-conjoint ; ce chiffre insupportable nous appelle à la responsabilité.
La réduction du délai de délivrance de l’ordonnance de protection est l’un des leviers d’action absolument nécessaires. Pour que cet objectif législatif soit entièrement effectif, il faudra non seulement ajuster en conséquence les dispositions du code de procédure civile relatives à l’ordonnance de protection, mais également poursuivre la revalorisation budgétaire de nos structures judiciaires, sans lesquelles notre opiniâtreté pourrait se dissoudre en vœux pieux.
Je veux maintenant dire quelques mots sur l’heureuse issue des mesures relatives à l’autorité parentale.
Nous avions déposé, en séance, un amendement ayant pour objet de suspendre de plein droit l’autorité parentale lorsque l’un des deux parents est décédé des suites d’un homicide volontaire et dont les faits font l’objet d’une enquête pénale mettant en cause l’autre parent, ou d’une information judiciaire ouverte à l’encontre de celui-ci. Pour assortir ce dispositif d’un brevet de respectabilité constitutionnelle, nous avions laissé toute liberté d’appréciation à la juridiction compétente, laquelle pouvait, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer ce retrait total, notamment lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant le commandait.
Cet amendement, souvenez-vous-en, avait été rejeté, avec un avis défavorable de la commission. Toutefois, la CMP a finalement intégré une disposition analogue, qui prévoit la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale en cas de poursuites ou de condamnation pour un crime commis par un parent sur la personne de l’autre parent, et ce dans l’attente de la décision du juge aux affaires familiales.
Juridiquement, vous avez décidé d’ajuster le droit aux dimensions du réel, et le réel, en tout état de cause, ce sont les victimes de violences conjugales. Aujourd’hui, le droit leur répond, la raison a prévalu. Nous ne pouvons que nous en féliciter, mais cela s’est fait en substituant à une demande de rapport une disposition substantielle de fond. Vous avez, nous avons, dérogé, en connaissance de cause, au fameux principe de l’entonnoir, en incorporant dans le texte de la CMP une disposition qui n’avait, finalement, pas été adoptée par le Sénat et qui n’avait même pas été débattue par l’Assemblée nationale. Sans doute, nous aurions pu faire l’économie d’un désaccord de procédure qui nous a occupés, en adoptant, dès l’examen du texte en séance, l’amendement que certains collègues et moi-même portions et qui a finalement connu cette issue favorable en CMP.
Cette réserve étant exprimée et l’essentiel étant le but à atteindre – et ce but est aujourd’hui atteint –, il va de soi que les membres du groupe La République En Marche apporteront tout leur soutien à cette proposition de loi, à cette conclusion heureuse de la CMP. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous arrivons au terme de cette navette parlementaire, et, je dois le dire, nous ressentons quelque frustration liée à la façon dont se sont déroulés les débats.
En effet, en première lecture, vous n’avez pas manifesté de réelle volonté d’améliorer cette proposition de loi, madame la garde des sceaux, puisque nos amendements, comme ceux de nos collègues socialistes, ont été quasi systématiquement rejetés, sous des prétextes peu convaincants. C’est la raison pour laquelle nous avons quitté l’hémicycle, événement suffisamment rare pour être souligné.
Le sujet est pourtant grave. Alors que l’année 2019 n’est pas encore achevée, ma collègue l’a indiqué, 145 femmes ont été assassinées par leur conjoint ou par leur ex-conjoint depuis le 1er janvier dernier, dans de très nombreux cas sous les yeux de leurs enfants.
Si la question du féminicide, des violences contre les femmes et des agressions sexistes, notamment au sein de la famille, a pu devenir un véritable enjeu de société cette année, c’est grâce aux nombreuses mobilisations des femmes et des associations féministes. Cette loi en est aussi la conséquence, et c’est une bonne chose.
Je veux revenir sur les principaux articles du texte.
Nous saluons le fait que, en CMP, la discussion sur l’autorité parentale ait évolué et que nous passions ainsi d’un simple rapport sur le sujet à une suspension en cas de crime commis sur l’autre parent. C’est un début, mais nous regrettons que cela n’aille pas plus loin. D’une part, au travers de la rédaction proposée, cette suspension, qui ne concerne que l’exercice de l’autorité parentale, ne sera, en réalité, pas du tout automatique ; elle sera en outre provisoire et limitée à une durée de six mois. D’autre part, le renvoi à l’article 377 du code civil, qui traite de la délégation de l’autorité parentale, nous paraissait totalement inapproprié. Nous nous réjouissons vraiment de l’apport de l’amendement de notre rapporteure, Marie Mercier, qui vise à corriger cet état de fait.
J’en viens aux ordonnances de protection. Si nous nous félicitons de la réduction à six jours du délai de délivrance de ces ordonnances, nous aurions souhaité que ce délai soit fixé à partir de la requête, et non de la date de fixation de l’audience. Il faudra passer à la vitesse supérieure, car comment croire que l’ordonnance de protection, en vigueur depuis bientôt dix ans, deviendra un véritable outil de protection des victimes, alors que seulement un petit millier de ces ordonnances sont délivrées chaque année ?
Sur le logement, nous n’avons eu de cesse de vous interpeller, madame la garde des sceaux, notamment depuis le début du Grenelle contre les violences conjugales et des débats parlementaires, sur le déficit criant de logements à disposition des personnes qui doivent être mises à l’abri, déficit dénoncé par toutes les structures d’hébergement d’urgence. Nous l’avons dit et nous le répétons, l’hébergement d’urgence pour les personnes victimes de violences doit être la priorité, cela doit concentrer tous nos efforts.
Au-delà de l’hébergement d’urgence, nous saluons l’effort accompli pour permettre aux femmes victimes d’accéder à un logement pérenne, avec un accompagnement financier. Reste à savoir ce qui sera prévu derrière l’expression « les premiers mois de loyer ». Par ailleurs, en ce qui concerne la mise en place de partenariats avec des bailleurs, un tel dispositif était déjà prévu, je vous le rappelle, dans la loi de 2010, grâce à un amendement de Marie-George Buffet, mais les décrets d’application ne sont jamais parus…
Enfin, il faudra que nous avancions collectivement, mes chers collègues, sur la désolidarisation des dettes de loyer, car nombre de femmes ne peuvent accéder à un logement à cause de cela.
Quant au bracelet anti-rapprochement, c’est un dispositif qui doit être utilisé avec prudence et discernement. S’il constitue un véritable outil dissuasif, reste en suspens la question de la distance requise pour tenir le conjoint violent éloigné, distance laissée à la discrétion du juge. Ce n’est pas une question anecdotique ; être éloigné de deux ou de vingt kilomètres n’aura clairement pas le même effet anxiogène sur la victime, qui a bel et bien besoin d’un environnement sécurisant.
De plus, lors du colloque que j’ai organisé salle Médicis le 22 novembre dernier, intitulé « Du sexisme ordinaire aux féminicides », plusieurs intervenants, dont le magistrat Édouard Durand, nous ont alertés sur la difficulté pour les personnes victimes de violences – femmes et enfants – à rompre le lien avec leur agresseur. Cette emprise les place dans une grande dépendance, dont elles ont du mal à se défaire. Le bracelet électronique serait alors un obstacle supplémentaire au fait, pour la victime, de se défaire du lien. Ne serait-il pas plus efficace de développer le nombre de téléphones grave danger, qui ont fait la preuve de leur utilité ?
Enfin – c’est le plus inquiétant, madame la garde des sceaux –, depuis la fin du Grenelle, nous avons discuté du projet de loi de finances pour 2020 ; ces véritables travaux pratiques ont été marqués par l’absence de garantie budgétaire pour le financement des places d’hébergement d’urgence, du logement temporaire et des bracelets anti-rapprochement, dont il est question dans cette proposition de loi. Je vous le demande donc : pouvez-vous nous rassurer sur les moyens qui seront effectivement débloqués, ou doit-on au contraire conclure à l’échec de la grande cause du quinquennat, que l’on n’a cessé de nous présenter comme un argument magique, à défaut d’argent magique ?
Malgré toutes ces réserves, nous allons voter cette proposition de loi, qui contient effectivement des avancées, mais j’espère que vous répondrez, madame la garde des sceaux, à nos inquiétudes quant au déblocage de moyens. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR. – M. Marc Laménie applaudit également.)