compte rendu intégral
Présidence de M. David Assouline
vice-président
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
M. Yves Daudigny.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Loi de finances pour 2020
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2020, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 139, rapport général n° 140, avis nos 141 à 146).
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.
SECONDE PARTIE (SUITE)
MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES
Travail et emploi
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Travail et emploi » (et articles 79 à 82).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la première caractéristique du budget de la mission « Travail et emploi » en 2020, c’est sa stabilité par rapport à l’année précédente, stabilité faisant suite à plusieurs années de diminution des crédits.
Les autorisations d’engagement se stabilisent cette année à 13,5 milliards d’euros, tandis que les crédits de paiement, portés à 12,8 milliards d’euros, connaissent une légère augmentation.
La diminution des crédits de la mission constatée les années précédentes respecte strictement la programmation triennale 2018-2020 et traduit la nécessaire contribution du ministère du travail et de ses opérateurs au redressement des finances publiques.
Cette trajectoire est également à replacer dans le cadre d’une amélioration de la situation de l’emploi. Selon l’Insee, au deuxième trimestre de 2019, le chômage, au sens du Bureau international du travail (BIT), s’établit à 8,5 % de la population active, soit 0,6 point sous son niveau de 2015 et 2 points sous son niveau de 2015.
Le chômage de longue durée – au moins un an – continue de baisser, s’établissant à 3,1 % de la population active, soit 0,4 point de moins qu’un an auparavant.
La baisse constatée des effectifs du ministère s’inscrit dans le cadre plus large de la réforme de l’État et de son organisation territoriale.
À l’inverse, les effectifs de Pôle emploi augmentent de près de 1 000 équivalents temps plein (ETP) en 2020. Cette évolution doit permettre un renforcement de l’accompagnement des demandeurs d’emploi, mais aussi des entreprises.
On sait les difficultés que certains chefs d’entreprise rencontrent pour recruter dans certains secteurs industriels en tension, comme la construction ou la métallurgie.
Ce budget, comme je l’évoquais, s’adresse prioritairement aux publics les plus éloignés de l’emploi.
Les parcours emploi compétences (PEC), lancés en 2018, constituent un progrès qualitatif certain par rapport aux anciennes formules de contrats aidés, qui visaient bien souvent davantage à améliorer artificiellement les statistiques du chômage qu’à répondre aux besoins réels et individuels des personnes.
Les faibles performances de ces dispositifs en termes de sortie dans l’emploi durable sont là pour l’attester. Les acteurs du terrain semblent s’être emparés de la logique d’accompagnement renforcé qui avait présidé à la création des PEC.
Peut également être relevé l’effort important en faveur du secteur de l’insertion par l’activité économique (IAE), qui dépasse le milliard d’euros en 2020. Les structures de l’IAE accueillent les publics les plus éloignés de l’emploi, souvent peu qualifiés ou chômeurs de très longue durée. L’objectif est la création de 100 000 nouveaux postes dans ce secteur en 2022 par rapport à 2017, soit 230 000 personnes accompagnées.
Il s’inscrit dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté et va donc au-delà de la politique de l’emploi stricto sensu. Le principal enjeu, maintenant, pour les structures de l’IAE est d’être en mesure d’absorber cette hausse de leurs moyens et de leurs effectifs.
Le plan d’investissement dans les compétences (PIC) constitue un autre volet important de ce budget. Il se fixe pour objectif de former 1 million de jeunes décrocheurs et 1 million de chômeurs de longue durée, en mobilisant près de 14 milliards d’euros sur cinq ans. Une grande partie de sa mise en œuvre relève des régions.
Ces crédits seront en réalité diminués de 120 millions d’euros. Il était en effet nécessaire, pour préserver l’équilibre de ce budget, de compenser financièrement la suppression de l’article 79 du présent projet de loi de finances, suppression que nous approuvons. En effet, la mesure visée à cet article, qui entendait restreindre le bénéfice des exonérations applicables aux aides à domicile, aurait ainsi pénalisé un grand nombre de nos concitoyens.
L’impact de cette minoration de 120 millions d’euros sur le bon déroulement du PIC devra être évalué à l’aune d’une probable sous-consommation des crédits.
Une difficulté qui ressort des auditions que nous avons conduites concerne également le pilotage du plan. On peut déplorer un déficit de coordination entre l’État et les régions.
Il convient par ailleurs de s’interroger sur la pertinence d’un découplage des compétences d’accompagnement des jeunes, qui relèvent des missions locales, et des compétences de formation professionnelle, qui relèvent des régions.
Dans l’ensemble, ce budget me paraît toutefois sérieux, en phase avec la situation de nos finances publiques et en phase avec les enjeux actuels de la politique de l’emploi.
Sous réserve de l’adoption d’un amendement, que j’ai déposé avec ma collègue rapporteure spéciale Sophie Taillé-Polian et qui vise à renforcer les crédits consacrés aux maisons de l’emploi – comme l’année dernière et comme l’année précédente –,…
M. Antoine Lefèvre. Très bon amendement que nous voterons !
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. … amendement très largement soutenu sur ces travées, je vous proposerai donc, au nom de la commission des finances, d’adopter les crédits de la mission. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure spéciale. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure spéciale de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Travail et emploi » se stabilisent en 2020, certes, mais cette stabilisation fait suite à deux années de très importante baisse. Depuis 2017, ces crédits ont en effet connu une diminution de près de 25 %.
L’amélioration apparente du taux de chômage ne saurait justifier une telle cure d’austérité pour le ministère du travail. Car les statistiques sont à prendre avec précaution. Force est de constater que certaines catégories d’actifs restent très éloignées de l’emploi.
Je rappellerai quelques chiffres : le taux de chômage des jeunes s’établit à 19,2 % en 2019, soit 0,6 point de plus qu’un an plus tôt. Le taux de chômage des travailleurs handicapés s’élève également à 19 %.
Ces évolutions s’inscrivent également dans un contexte d’augmentation constante des emplois précaires, qui est une tendance de fond du paysage social français liée aux politiques de flexibilisation du marché du travail. Là encore, les chiffres sont formels : les contrats à durée déterminée (CDD) représentent aujourd’hui près de 84 % des créations d’emploi pour les entreprises de plus de 50 salariés ; la part des CDD de moins d’un mois est passée de 57 % en 1998 à 83 % en 2017.
La traduction la plus regrettable de ces orientations budgétaires est la baisse constante des effectifs du ministère du travail. Les emplois sous plafond ont diminué de près de 10 % depuis 2017, alors même que la situation de l’emploi, comme je viens de le démontrer, nécessite plus que jamais un renforcement de l’accompagnement et des moyens humains.
« Action publique 2022 » et « organisation territoriale de l’État » sont les autres noms de l’affaiblissement de la présence du ministère du travail sur le territoire.
La hausse des effectifs de Pôle emploi cette année est louable en soi, mais celle-ci ne compense pas les réductions d’effectifs de ces deux dernières années. L’on ne saurait de surcroît attribuer le mérite de cette hausse au Gouvernement, car nous constatons cette année une nouvelle diminution, à hauteur de près de 10 %, de la subvention pour charges de service public de Pôle emploi. La hausse du nombre d’emplois à Pôle emploi est financée par une augmentation de 1 point de la contribution de l’Unédic, ainsi portée à 11 % de ses ressources.
L’État, qui a par ailleurs imposé une réforme de l’assurance chômage restreignant considérablement les droits des demandeurs d’emploi dans le seul but de générer 4,5 milliards d’euros d’économies, fait ainsi supporter aux chômeurs eux-mêmes le coût du service public de l’emploi.
C’est dans ce financement du service public de l’emploi et non dans une prétendue générosité excessive du système d’assurance chômage qu’il faut chercher la cause de la dette de l’Unédic.
On peut également souligner la baisse très importante – ils ont presque été divisés par cinq – des moyens consacrés aux contrats aidés sur les dernières années. Cela a notamment un impact fort sur le tissu associatif, où ces personnes accomplissaient des missions diverses et très utiles socialement.
J’aimerais revenir maintenant sur l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ».
Je rappelle son fonctionnement : dans dix territoires pilotes, des entreprises à but d’emploi (EBE) ont pour charge de recruter en contrat à durée indéterminée (CDI) à temps choisi tous les demandeurs d’emploi volontaires du territoire au chômage depuis plus d’un an. Les entreprises doivent, dans ce cadre, développer des activités économiques non concurrentes de celles qui sont déjà présentes sur le territoire. Depuis le lancement de l’expérimentation, un emploi a ainsi été trouvé à 900 personnes qui en étaient privées durablement.
Le dispositif devait démontrer que son coût ne dépasserait pas la dépense directe et indirecte de la collectivité liée à la prise en charge du chômage de longue durée. S’il est un peu tôt pour évaluer avec précision le gain ainsi généré pour les finances publiques, les premières évaluations parviennent à un montant de près de 14 000 euros par ETP.
Surtout, d’un point de vue plus qualitatif, le fait d’inclure dans l’emploi des chômeurs de longue durée non par des contrats précaires ou aidés, mais bien par des CDI, génère une dynamique très positive pour leur parcours de vie comme pour leur territoire. Le tissu associatif se trouve renforcé, de même que l’économie locale, qui bénéficie de leur pouvoir d’achat accru.
Dans un souci de transition écologique, les EBE favorisent également le développement d’une économie circulaire dans ces territoires, grâce à des activités diverses comme le recyclage ou le maraîchage.
L’heure est à l’accélération du calendrier législatif. Le dernier rapport du comité scientifique d’évaluation confirme qu’une extension de l’expérimentation est désormais envisageable. Une centaine de territoires y sont prêts.
Madame la ministre, vous pourrez peut-être nous éclairer sur le calendrier que vous pensez adéquat pour faire en sorte d’étendre cette expérimentation réussie dans nos territoires, puisque certains y sont prêts.
Pour conclure, ce budget ne me semble répondre ni aux attentes ni aux besoins de nos concitoyens les plus en difficulté, de ceux qui sont les plus éloignés du marché du travail, ou de ceux qui sont contraints d’enchaîner les emplois précaires et les périodes de chômage.
La très importante baisse des moyens du ministère du travail et de ses opérateurs est en net décalage avec les ambitions affichées en matière d’inclusion.
Aussi, bien que la commission des finances, comme l’a indiqué Emmanuel Capus, appelle à voter les crédits de cette mission, à titre personnel, je vous invite à les rejeter. Si vous décidiez de les voter, je vous inviterais cependant à voter les deux amendements que j’ai cosignés avec Emmanuel Capus, en particulier celui qui vise à augmenter les moyens des maisons de l’emploi, qui nous semblent à tous les deux des outils extrêmement utiles pour les territoires qui en disposent encore, au service des politiques locales pour l’emploi et des personnes les plus éloignées de l’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Forissier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’amélioration de la situation de l’emploi en France demeure fragile et les comparaisons européennes donnent l’impression que nous luttons contre le chômage comme si nous connaissions le plein emploi.
Dans ce contexte, la Gouvernement a souhaité rompre avec certaines politiques en restreignant le recours aux contrats aidés et aux aides à l’emploi pour intensifier ses efforts en faveur de la formation et des structures d’insertion par l’activité économique, qui doivent constituer un tremplin vers l’emploi de droit commun.
À cet égard, je ne peux que m’étonner de la poursuite de l’expérimentation des emplois francs. Plutôt que de nous remettre l’évaluation prévue par la loi de finances pour 2018, vous avez, madame la ministre, décidé de prolonger et de généraliser ce dispositif par décret. Cette méthode ne me semble pas satisfaisante. Au demeurant, force est de constater que le nombre de contrats signés demeure très loin des objectifs que vous vous étiez fixés – bien que la situation s’améliore –, et ce malgré les assouplissements et les élargissements que vous avez décidés en cours d’année.
Il est temps, me semble-t-il, d’avoir le courage politique d’assumer que cette expérimentation est un échec, même s’il s’agit d’une idée du Président de la République – tout le monde peut se tromper. Aujourd’hui, il serait nécessaire de trouver d’autres moyens de lutter contre le chômage dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, ce qui doit, selon moi, passer par la formation et non par la subvention.
J’espère qu’une réflexion plus poussée sera menée lorsque vous déciderez des suites à donner à l’expérimentation visant à résorber le chômage de longue durée, qui, contrairement aux emplois francs, a fait l’objet d’évaluations publiques.
Ces évaluations montrent que, en l’état, un tel dispositif ne peut pas raisonnablement constituer une réponse de grande échelle au chômage de longue durée, malgré les effets positifs qui peuvent être constatés localement.
Le plan d’investissement dans les compétences constitue, lui, sur le papier, une réponse plus intéressante. Toutefois, je relève que ce plan comprend, d’une part, des dispositifs pérennes mis en place au cours du quinquennat précédent, et, d’autre part, une enveloppe dont l’utilisation est très peu documentée.
Je note d’ailleurs que, pour la deuxième année consécutive, les crédits dédiés au PIC au titre du programme 103 vont finalement baisser.
Malgré ces incohérences dans la politique gouvernementale en faveur de l’emploi, la commission des affaires sociales a donné un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission pour 2020 et des articles qui lui sont rattachés, sous réserve de l’adoption de ses amendements.
Vous constaterez que notre commission a déposé les mêmes amendements que ceux de la commission des finances, dresse la même analyse et émet le même avis qu’elle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Sylvie Vermeillet.
Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle aujourd’hui l’examen de la mission « Travail et emploi » ainsi que des articles rattachés 79 à 82.
Nous constatons que les crédits de paiement de la mission sont maintenus cette année à hauteur de 12,7 milliards d’euros, avec même une légère hausse de 2,58 %. Dans le détail, cela donne deux programmes en hausse et deux programmes en baisse.
D’abord, le programme 102, « Accès et retour à l’emploi », et le programme 155, « Conception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail », voient leurs crédits de paiement baisser.
Le programme 102 baisse de 1,57 %. Malgré la hausse de 1,75 % des crédits alloués à l’action Plan d’investissement des compétences, les deux autres actions du programme emportent une baisse globale de celui-ci.
Le programme 155 baisse de 2,96 %. Seule l’action n° 13, Politique des ressources humaines, est en hausse, de 4 %.
Pour le reste, l’ensemble des actions baissent, avec notamment une diminution de 100 % de l’action Affaires immobilières.
Notons une baisse de 5,77 % des crédits dédiés à l’action Personnels mettant en œuvre les politiques d’accès et de retour à l’emploi. Cela interroge !
Ensuite, le programme 103, « Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi », et le programme 111, « Amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail », voient leurs crédits de paiement revus à la hausse.
Le programme 103 progresse de 8 %. Cette progression est principalement portée par les revalorisations de l’action Amélioration de l’insertion dans l’emploi par l’adaptation des qualifications et la reconnaissance des compétences, ainsi que de l’action Plan d’investissement des compétences. Toutefois, cela se fait au détriment de l’action Anticipation et accompagnement des conséquences des mutations économiques sur l’emploi, qui baisse de 24 %.
Cette réduction d’un quart de ce budget est inquiétante.
Le programme 111 progresse de 13 % en raison de la réévaluation de 36 % de l’action Dialogue social et démocratie sociale. Cela sera bénéfique. Nous espérons toutefois que ce sera de nature à compenser la baisse de 18 % des crédits alloués à l’action Qualité et effectivité du droit.
Madame la ministre, j’aborderai la question de l’apprentissage.
La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a réformé l’accompagnement de l’apprentissage en France : les régions ne financent plus les centres de formation d’apprentis (CFA) et le canal de financement passant par le compte d’affectation spéciale « Financement de la modernisation et du développement de l’apprentissage » (CAS FNDMA) n’a plus lieu d’être.
En effet, jusqu’en 2019, une fraction de 51 % du produit de la taxe d’apprentissage versée par les entreprises transitait par le CAS FNDMA et était redistribuée aux conseils régionaux sous forme de « ressource régionale pour l’apprentissage ».
L’ensemble de la taxe d’apprentissage sera désormais affectée à France compétences et aux opérateurs de compétences, qui financeront les CFA sur la base d’un financement « au contrat ».
Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit donc la suppression du CAS FNDMA.
Par ailleurs, l’État avait mis en place plusieurs dispositifs d’aide à destination des apprentis et de leurs employeurs, ces aides pouvant prendre la forme d’aides directes, d’exonérations d’impôt ou de cotisations sociales et être financées par des crédits budgétaires ou par d’autres moyens – ressources fiscales affectées, dépense fiscale.
À compter du 1er janvier 2019, la loi a prévu le remplacement des quatre dispositifs d’aide aux employeurs d’apprentis par la nouvelle aide unique calculée dans le projet de loi de finances pour 2020 pour un montant de 662 millions d’euros. Celle-ci remplace des aides auparavant financées par les régions, ce qui explique l’augmentation de ce budget.
Concernant la compétence apprentissage, un financement complémentaire d’un montant de 218 millions d’euros sera versé aux régions en compensation de son transfert.
Ce financement est assuré par un prélèvement sur les recettes de l’État d’un montant de 72,6 millions d’euros et est complété par une fraction de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), prévue par le projet de loi de finances pour 2020 à hauteur de 156,9 millions d’euros.
Les régions seront également destinataires de deux enveloppes distinctes pour financer les dépenses de fonctionnement et d’investissement des CFA.
Je me permets toutefois de rappeler que l’ensemble de ces mesures d’accompagnement financier est jugé insuffisant par Régions de France, qui attendait 369 millions d’euros pour assurer la neutralité financière de la réforme de l’apprentissage et près de 250 millions d’euros pour participer au financement des CFA les plus fragiles.
De plus, il pourrait être intéressant que les enveloppes soient sanctuarisées de manière pluriannuelle pour que les régions gardent de la visibilité à moyen et long termes, et qu’elles puissent ainsi maintenir des politiques fortes et cohérentes en matière d’apprentissage.
Les ressources dédiées à l’apprentissage, sous réserve des décisions du conseil d’administration de France compétences, pourraient s’élever à 5 milliards d’euros.
Il convient de préciser que l’affectation des montants par dispositif se fait au terme d’une délibération annuelle du conseil d’administration dans les limites d’une fourchette réglementaire. Cette prévision englobe l’apprentissage, les contrats de professionnalisation, le financement des dépenses d’investissement et de fonctionnement des régions, ainsi que la péréquation.
Actuellement, les régions n’échangent pas sereinement avec France compétences. Il est toujours difficile d’obtenir une information, malgré la présence d’un représentant de l’association Régions de France au sein du conseil d’administration. La transition est donc compliquée par l’absence d’instance de dialogue.
Au-delà des calculs de compensation budgétaire, l’État devrait organiser les échanges afin de faciliter le transfert de la compétence apprentissage.
En espérant que ces points de vigilance concernant l’apprentissage auront retenu votre attention, le groupe Union Centriste votera, comme le proposent nos rapporteurs spéciaux et notre rapporteur pour avis, les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, Les Indépendants et LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après deux années de baisse préoccupante du budget de la mission « Travail et emploi », le projet de loi de finances pour 2020 semble enfin stabiliser ses crédits à leur niveau de l’année dernière.
Les autorisations d’engagement s’élèveront ainsi à 13,52 milliards d’euros et les crédits de paiement à 12,78 milliards d’euros pour l’année prochaine.
Un soulagement peut-être, mais de courte durée. En effet, les crédits consacrés à l’action de l’État en faveur du travail et de l’emploi restent inférieurs de 2,6 milliards d’euros à ceux de 2018. Lorsque l’on analyse la situation du marché de l’emploi aujourd’hui en France, c’est d’autant plus inquiétant.
Le contexte actuel témoigne d’une forme de chômage paradoxale. Globalement, il semble diminuer : au deuxième trimestre de 2019, il enregistrait une baisse de 0,2 point, avant de remonter à 8,6 % de la population active au troisième trimestre. Une tendance dont l’équilibre reste déjà précaire.
Ces indicateurs masquent une triste réalité : ils gomment les fortes disparités qui fracturent notre territoire, la précarisation de l’emploi et l’éloignement toujours plus important des chômeurs les plus fragiles. En effet, derrière le taux de chômage le plus bas enregistré depuis juillet 2018 par l’Insee se cachent le recul du taux d’emploi à temps complet et la diminution des taux d’emploi et d’activité des jeunes.
Pour les publics les plus éloignés de l’emploi, l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD) semble avoir tenu ses promesses. Les trois rapports qui vous ont été remis le mois dernier, madame la ministre, concluent à un bilan positif sur les dix territoires tests.
L’augmentation de 6 millions d’euros des crédits pour ce dispositif est donc la bienvenue. Mais la question qui se pose aujourd’hui porte avant tout sur l’extension des TZCLD. Quels ajustements, nécessaires, devront être mis en place ? Le ciblage des personnes éligibles, éloignées de l’emploi, est-il à revoir ? La viabilité économique de ce programme est-elle encore à démontrer ?
Si la mission « Travail et emploi » permet aussi de conforter le grand plan d’investissement dans les compétences lancé par le Gouvernement, les maisons de l’emploi restent, cette année encore, mises à l’écart de la politique de lutte contre le chômage des plus jeunes.
Pourtant, les missions locales chargées de la mise en œuvre de la garantie jeunes partagent l’objectif du PIC d’agir en faveur de la formation et de l’accompagnement de 2 millions de jeunes de 18 à 25 ans d’ici à 2022. Ce plan était attendu et constituait une véritable opportunité pour les acteurs de l’emploi. Néanmoins, il semble être arrivé trop tardivement. Comment armer ces jeunes pour satisfaire aux nouvelles exigences du monde du travail alors que les pratiques des entreprises, dans leur façon de détecter et de recruter, évoluent continuellement ? On observe déjà un basculement de la « recherche de compétences » vers la « recherche de potentiels » des employeurs.
Dans ce contexte, les maisons de l’emploi constituent des outils souples et simples qui peuvent être mobilisés rapidement, efficacement, et ce de manière innovante aux fins de répondre aux besoins sans cesse renouvelés du marché de l’emploi.
Ces maisons de l’emploi permettent de garantir un socle de services universels de proximité et de remédier aux « angles morts » des politiques publiques. Car le combat contre le chômage et la précarisation du travail ne peut être mené exclusivement par l’État ; ces politiques territoriales sont d’ores et déjà orchestrées dans les métropoles comme en milieu rural, où les élus locaux agissent, sur le terrain, en faveur de l’emploi et des compétences. Le PIC ne saurait atteindre les objectifs qui lui sont fixés sans les fers de lance que représentent ces plateformes locales d’animation et d’ingénierie que sont les plans locaux pluriannuels pour l’insertion et l’emploi (PLIE) et les maisons de l’emploi (MDE).
La pertinence de ces outils en termes de plan de formation, d’analyse des besoins des entreprises et de gestion prévisionnelle territorialisée des emplois et des compétences n’est plus à démontrer.
Aujourd’hui, ce sont 83 maisons de l’emploi portées par 3 811 communes avec au total de plus 6 millions d’habitants concernés ; ce sont 147 PLIE au service de 5 740 communes qui ont accompagné l’an dernier 130 000 personnes très éloignées de l’emploi, dont 48 % ont trouvé un emploi durable ; ce sont 448 facilitateurs de la clause sociale d’insertion, pour la plupart formés par le réseau Alliance Villes Emploi, et qui ont développé plus de 15 millions d’heures d’insertion en 2018, soit 38 000 personnes recrutées, dont 53 % l’ont été dans un emploi durable ou en formation au bout de six mois.
Il faut soutenir les maisons de l’emploi, qui n’ont toujours pas de programme dédié. Alors que 82 millions d’euros étaient affectés par l’État à ce dispositif en 2010, ce chiffre tombera encore une fois à 5 millions d’euros en 2020, laissant les collectivités en assumer, quasi seules, le financement.
C’est pourquoi je remercie le Sénat de se mobiliser de nouveau pour garantir le maintien de ces structures, en les dotant a minima de 10 millions d’euros en autorisations d’engagement comme en crédits de paiement, et j’espère que le Gouvernement entendra cet appel.
Par conséquent, la grande majorité des membres du groupe du RDSE votera, avec la commission des finances, pour l’adoption des crédits de la mission « Travail et emploi », sous réserve de l’adoption de l’amendement des rapporteurs spéciaux relatif aux maisons de l’emploi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Indépendants.)