M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, dans mon intervention, j’ai précisé que, si un accord majoritaire national existe, un accord majoritaire local ne peut que l’améliorer ou le préciser, mais en aucun cas le dégrader.
M. Didier Marie. Merci, monsieur le secrétaire d’État !
M. le président. En conséquence, l’article 5 demeure supprimé.
Articles additionnels après l’article 5
M. le président. L’amendement n° 226, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 8 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« …. – L’engagement d’une négociation est obligatoire dans le cas prévu au second alinéa du III et dans le cas où les organisations syndicales représentatives au niveau considéré en font la demande unanime. »
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Nous proposons d’insérer un article additionnel après l’article 5, pour deux raisons. D’une part, nous pensons qu’il est possible d’éviter la logique de conflit systématique. D’autre part, si l’initiative de la négociation émane parfois de l’administration, elle peut aussi venir des agents.
Force est de constater que la culture de négociation pouvant aboutir à des accords majoritaires a du mal à se diffuser à l’échelon local ou territorial. Une des causes principales de ce retard réside dans le fait que l’initiative de la négociation est aujourd’hui exclusivement réservée à l’administration. Dans le secteur privé, les articles du code du travail définissent les thèmes qui sont soumis à une négociation annuelle obligatoire. Au-delà de ces sujets, ce sont les conventions collectives qui prévoient les modalités de prise en compte des demandes relatives aux thèmes de négociation émanant d’une ou des organisations syndicales de salariés représentatives.
Dans la fonction publique, c’est seulement dans le cas d’un préavis que les parties intéressées « sont tenues de négocier sur les motifs du recours à la grève ». Les organisations représentatives sont donc tenues d’avoir recours à la grève – c’est là où l’on provoque systématiquement le conflit – pour amener l’administration à négocier sur certains thèmes. Nous sommes plusieurs ici à avoir exercé des responsabilités dans des exécutifs locaux, qu’il s’agisse de départements ou de régions. Nous avons été confrontés à de telles situations.
Cet amendement vise donc à sortir de la logique de conflit systématique et à permettre aux organisations syndicales d’obtenir une plus grande responsabilité dans la mise en place de négociation au sein de la fonction publique. Cela nous semble une ouverture utile. Le dialogue social est toujours préférable au conflit, à moins de vouloir organiser le conflit pour des raisons de stratégie politique. Mais je n’ose penser que ce soit cela qui vous anime…
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Cet amendement tend à rendre obligatoires les négociations dans la fonction publique lorsqu’elles comportent la mise en œuvre d’un accord obtenu à un échelon supérieur ou lorsque les organisations syndicales le souhaitent unanimement.
Nous sommes favorables à la négociation dans la fonction publique. Pour preuve, nous avons supprimé du texte l’habilitation demandée par le Gouvernement sur le sujet. Nous préférons pouvoir discuter d’un projet de loi.
Toutefois, selon nous, de telles dispositions créeraient un appel d’air qui conduirait à négocier en permanence sur tous les sujets. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Même avis. Je rassure M. Savoldelli : il n’y a chez moi aucune intention – bien au contraire ! – de susciter le conflit permanent.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Vous m’excuserez de prendre un raccourci – mais ne vous inquiétez pas, il n’est pas insolent – : « La grève, la grève, la grève, ou rien du tout ! » Je ne suis pas sûr, quelle que soit la majorité, que ce soit la bonne manière de faire au regard de ce qui se passe dans notre pays, et du rejet de la politique et des institutions. Franchement, j’espère vraiment me tromper dans l’interprétation de ce que je viens d’entendre.
Vous ne voulez pas vous embêter avec une répartition du droit de négociation ? Excusez-moi : j’ai été pendant des années vice-président chargé du personnel d’un département de 1,4 million d’habitants. Heureusement qu’on a eu des négociations avant un préavis de grève. L’immense majorité du temps, cela a été très favorable aux habitantes et aux habitants de ma collectivité du point de vue de l’amélioration du service public et des conditions de travail. Parfois, il y a eu un antagonisme, avec un préavis de grève, puis une grève. Nous avions des contradictions à gérer.
Mais il n’est pas possible de répondre qu’on ne laisse pas une part de la négociation aux agents. Vous choisissez de tout laisser à l’administration ; les agents mécontents ne pourront répondre que par la grève. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée…
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Monsieur Savoldelli, la loi ne peut pas et ne doit pas tout dire. J’ai également présidé pendant vingt ans un exécutif local, certes moins important que le vôtre, mais où il y avait du personnel. Même si la loi ne prévoyait rien, on négociait ! On peut prendre des initiatives sans que ce soit inscrit dans la loi. Laissons un peu respirer les exécutifs des collectivités territoriales ! Je suis d’accord avec la commission et le Gouvernement. Je ne voterai pas votre amendement.
M. le président. L’amendement n° 227, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 8 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, il est inséré un article 8… ainsi rédigé :
« Art 8 …. – Le fait, pour une personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec aux dispositions de l’article 8 de la présente loi est passible des peines prévues à l’article 432-1 du code pénal. »
La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Cet amendement est très simple. Alors qu’il existe dans le privé un régime de sanctions spécifiques réprimant l’entrave à la liberté et au droit syndical, un tel dispositif n’existe pas pour la fonction publique. Pourtant, pour les salariés du privé comme pour les fonctionnaires, la liberté syndicale est un droit fondamental reconnu par la Constitution. Il s’agit d’une liberté universelle proclamée par les traités internationaux, notamment la Convention européenne des droits de l’homme.
À l’inverse, dans la fonction publique, les administrateurs d’un syndicat professionnel peuvent faire l’objet de poursuites pénales au titre de l’article L. 2136-1 du code du travail. Un tel déséquilibre nous semble préjudiciable aux droits des fonctionnaires.
Le présent amendement entend donc corriger cette omission – d’ailleurs, c’est plus qu’une omission ! –, en renvoyant, pour ce type de délit, aux sanctions prévues par l’article 432-1 du code pénal, soit cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
Nous savons que la justice administrative est compétente pour sanctionner de tels agissements, notamment au titre de l’article 8 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Pour autant, nous souhaitons qu’il soit clairement indiqué que des sanctions pénales et non pas simplement administratives peuvent s’appliquer à de tels agissements.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. L’amendement tend à pénaliser le fait pour une personne dépositaire de l’autorité publique de prendre des mesures destinées à faire échec aux dispositions de l’article 8 de la loi Le Pors. Cet article garantit le droit syndical et prévoit que les organisations syndicales peuvent ester en justice.
Le renvoi à ces dispositions larges et l’utilisation du terme « faire échec » ne permettent pas de définir avec suffisamment de précision les actes matériels qui sont incriminés. Le principe constitutionnel de précision de la loi pénale n’est donc pas respecté.
Pour ces raisons, nous émettons un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Je partage l’avis de la commission.
Au demeurant, les dispositions applicables à l’heure actuelle permettent à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de prendre toutes mesures permettant d’éviter que des activités ayant un caractère illicite ne portent atteinte au bon fonctionnement des organismes de consultation dans la fonction publique.
Pour cette raison, et pour celle que Mme la rapporteur a indiquée, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 228, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le chapitre II de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État est complété par un article 17… ainsi rédigé :
« Art 17…. – Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec aux dispositions des articles 13,14, 15 et 16 de la présente loi est passible des peines prévues à l’article 432-1 du code pénal. »
II. – La sous-section III de la section IV du chapitre II de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale est complétée par un article 33-… ainsi rédigé :
« Art 33-…. – Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec aux dispositions des articles 8, 28, 32, 33 et 33-1 de la présente loi, est passible des peines prévues à l’article 432-1 du code pénal. »
III. – La section 3 du chapitre II de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière est complétée par un article 25-… ainsi rédigé :
« Art 25-…. – Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec aux dispositions des articles 11, 12, 17, 18, 19, 20 et 25 de la présente loi, est passible des peines prévues à l’article 432-1 du code pénal. »
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Cet amendement s’inscrit dans le même esprit que l’amendement précédent. Déjà défendu sans succès par nos camarades à l’Assemblée nationale, il vise à instituer une sanction pénale pour améliorer la protection des délégués du personnel et des autres instances représentatives au sein de la fonction publique. L’objectif est de donner les mêmes droits aux délégués du personnel dans le secteur privé et dans la fonction publique.
Dans le privé, le fait de porter atteinte à l’exercice régulier des fonctions de délégué du personnel, à la constitution ou au fonctionnement régulier du comité d’entreprise ou du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSCT, constitue un délit réprimé par les peines prévues dans le code du travail.
Aussi, pour redonner tout son sens au principe de participation dans la fonction publique et restaurer la confiance des agents dans ce principe, nous proposons, comme à l’amendement précédent, de renvoyer les entraves aux instances de représentation du personnel au régime de sanctions prévu à l’article 432-1 du code pénal.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Cet amendement, qui est effectivement le pendant du précédent, tend à pénaliser les atteintes aux droits syndicaux prévus à différents articles des lois statutaires des trois fonctions publiques.
En l’occurrence, cet amendement se heurte au même problème de précision que le précédent. Il vise, par exemple, l’article 13 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, qui fixe les caractéristiques du Conseil supérieur de la fonction publique d’État. Je ne vois pas vraiment à quoi peut correspondre le fait de faire échec à ces dispositions.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement, qui présente selon moi une contradiction.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Là encore, c’est assez curieux. Ce que vous demandez, c’est bien d’aligner la fonction publique sur le secteur privé ?
Mme Michelle Gréaume. Non !
M. Bruno Sido. Moi, je serais d’accord…
Mme Éliane Assassi. Expliquez-vous, plutôt !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
TITRE II
TRANSFORMER ET SIMPLIFIER LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES
Chapitre Ier
Donner de nouvelles marges de manœuvre aux encadrants dans le recrutement de leurs collaborateurs
Section 1
Élargir le recours au contrat
Article 6
Après l’article 6 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, il est inséré un article 6 bis A ainsi rédigé :
« Art. 6 bis A. – Le recrutement d’agents contractuels pour pourvoir des emplois permanents de l’État et de ses établissements publics, en application du 2° de l’article 3 et des articles 4, 6 et 25, est subordonné à la publication préalable de la création ou de la vacance de ces emplois. »
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, sur l’article.
M. Jérôme Durain. Mon intervention vaudra pour l’ensemble du titre II. Effectivement, il est faux d’affirmer que ce texte vise à supprimer formellement le statut de la fonction publique. Néanmoins, il tend à opérer un tel changement de degré dans la place des contractuels qu’il induit nécessairement un changement de nature de l’ensemble de la fonction publique. Le recours aux contractuels, qui sera au cœur des amendements que nous allons examiner, sera central dans cette évolution.
Le projet de loi tend à multiplier les possibilités de recourir aux agents contractuels dans toutes les catégories d’emploi des trois fonctions publiques, en particulier pour la quasi-intégralité des postes de direction. Les fonctionnaires se trouveront donc en concurrence avec ces agents sur de très nombreux postes, notamment sur ceux à fortes responsabilités.
Par ailleurs, il vise à rapprocher le droit de la fonction publique du code du travail. La plupart des dispositions du projet de loi permettent de contourner le statut en multipliant les possibilités dérogatoires de recruter les agents publics par la voie du contrat, en expérimentant la rupture conventionnelle pour les fonctionnaires ou en contraignant les fonctionnaires à être détachés d’office auprès d’organismes privés, sous la forme d’un CDI en cas d’externalisation de leur service ou de leur mission.
En outre, le projet de loi tend à améliorer les perspectives de carrière des agents contractuels au détriment de celles des fonctionnaires. De surcroît, il vise à encourager les allers-retours entre le secteur public et le secteur privé.
Nous l’avons dit et nous continuerons de le dire, ce texte s’accompagne d’un affaiblissement des attributions de contrôle de la commission de déontologie, notamment en matière de pantouflage. Finalement, tout cela revient à poser la première pierre d’une fonction publique d’expérience ou de projet, au détriment d’une fonction publique de carrière.
Les quantités de possibilités qui sont offertes de recourir aux contractuels sont réellement de nature à miner le statut de la fonction publique. En étant optimiste, on peut considérer que ce texte apporte de la souplesse, de l’agilité, des outils de management, du pragmatisme. Mais le revers de la médaille – et c’est en dernière analyse ce qui nous reste en bouche –, c’est la précarité, c’est le pouvoir discrétionnaire des employeurs, c’est la mise en concurrence. Si l’on ajoute à cela la dégradation du dialogue social, il existe un risque réel de fragilisation de l’ensemble des agents publics.
Nous avons donc déposé un certain nombre d’amendements afin d’éviter ce détricotage généralisé !
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.
M. Pascal Savoldelli. Nous avons tous connu dans l’exercice de nos responsabilités et de nos mandats des situations à caractère exceptionnel pouvant justifier le recours à la contractualisation dans la fonction publique, le plus souvent en raison du besoin de compétences nouvelles ou techniques.
En revanche, nous sommes ici face à un texte qui n’apporte rien de plus par rapport à la situation existante, si ce n’est qu’il tend à organiser en profondeur la contractualisation dans la fonction publique. Or notre fonction publique repose sur le principe d’égalité – c’est peut-être là que nous assistons à la confrontation du libéralisme et de l’égalité, un des fondements de notre République.
Ce principe d’égalité trouve son fondement historique dans l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
Il n’est pas question de « vieux monde », c’est un principe fondateur ! Ceux qui ont une mémoire se rappellent d’ailleurs que c’est sur la base de ces fondamentaux qu’il a été mis fin aux offices et autres charges, et donc à tout le système de vénalité qui permettait d’accéder aux emplois publics. Depuis lors, le concours est devenu la voie d’accès à ces emplois.
En permettant un recours accru aux contractuels dans la fonction publique, le projet de loi tourne le dos à la conception française de la fonction publique de carrière au profit de la fonction publique d’emploi, organisant une administration aux ordres et donc inféodée au pouvoir politique. Il organise parallèlement la précarisation des agents publics, car les contractuels n’ont bien sûr pas les mêmes droits que les fonctionnaires.
Une telle conception porte atteinte, notamment pour la fonction publique territoriale, à la continuité de l’action publique. D’ailleurs, les maires ne s’y sont pas trompés, puisqu’ils ont vu dans ces dispositifs non pas une opportunité d’élargir le vivier, comme le Gouvernement le préconise, mais un risque de déstabilisation de l’ensemble de l’administration et des services publics locaux, créant par là même de grandes inégalités territoriales.
En effet, la contractualisation de la fonction publique prévue par le Gouvernement produira un certain nombre d’effets néfastes comme le retour du clientélisme et de la corruption.
M. Bruno Sido. Oh !
M. Pascal Savoldelli. La contractualisation va aggraver la précarité statutaire de ces nouveaux personnels, mais aussi les inégalités salariales entre les femmes et les hommes.
Certes, il est prévu que le contrat ne pourra pas excéder une durée de six ans, soit un mandat. Mais nous savons tous ici qu’un maire, un président de département ou un président de région ont des projets. Ils sont en lien avec des services publics qui, même en cas de changement de majorité, ne seront pas remis en cause. Il faut donc bien qu’il y ait des agents fonctionnaires – et non des contractuels – si l’on veut continuer à rendre l’ensemble de ces services à la population !
Bien sûr, dans certaines situations exceptionnelles qui nécessitent des compétences nouvelles ou techniques, les collectivités, quelles que soient les étiquettes politiques de leurs élus, ont besoin de recourir à l’emploi de contractuels. Pour autant, j’attire votre attention : la généralisation de la contractualisation conduit à un autre choix pour la fonction publique française !
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud, sur l’article.
Mme Christine Prunaud. Mes chers collègues, j’évoquerai devant vous la situation des contractuels au Quai d’Orsay.
Le Quai d’Orsay a vu ses effectifs fondre de 53 % ces trente dernières années, dont un tiers depuis 2008. Aujourd’hui, le Gouvernement annonce encore la suppression de 10 % des personnels actuels dans le cadre du plan Action publique 2022, alors qu’on ne compte que 13 800 agents pour plus de deux millions d’expatriés. Comment le ministère peut-il encore fonctionner ?
Plusieurs constats s’imposent. Tout d’abord, nous notons la dégradation de la qualité des services publics au détriment des Français établis hors de France. Les dernières échéances électorales l’ont d’ailleurs parfaitement illustré, avec de longues files d’attente dans certains bureaux de vote, quand nos compatriotes ont pu s’y rendre, car de nombreuses antennes consulaires ont fermé ces dernières années.
Nous observons ensuite un phénomène de pressurisation des fonctionnaires, puisque le nombre de burn-out ne fait qu’augmenter. Alors qu’un tiers des agents ne badgent pas, on estime que le cumul des congés abandonnés et des heures écrêtées non récupérables et non rémunérées atteint 70 équivalents temps plein. C’est énorme !
Enfin, nous enregistrons – et c’est inadmissible – un recours accru à des contractuels sous contrats de droit local. Un tiers seulement des agents du ministère à l’étranger sont des fonctionnaires titulaires, pour un tiers de contractuels et un tiers de recrutés locaux. Ces derniers, initialement embauchés pour des emplois dits « non qualifiés », se trouvent amenés à remplacer des agents titulaires, sans pouvoir bénéficier du même salaire qu’eux ni accéder aux concours internes, car ils sont assujettis au droit du travail local. C’est une énorme ineptie !
On estime leur présence à 60 % dans les services consulaires de l’état civil notamment. Voilà où nous en sommes arrivés, monsieur le secrétaire d’État, avec toutes ces coupes dans les budgets et dans l’effectif des personnels !
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, sur l’article.
Mme Michelle Gréaume. J’évoquerai la situation des accompagnants d’élèves en situation de handicap, les AESH. Pour celles et ceux qui auraient du mal à visualiser la fonction publique rêvée par le Gouvernement après l’adoption de ce projet de loi, il suffit de regarder la situation des AESH.
Elle se caractérise tout d’abord par une absence de statut qui conduit, malgré un travail identique, à de nombreux abus et inégalités. À ce titre, la possibilité de recrutement par l’État ou directement par les établissements joue énormément sur les conditions d’exercice de la profession, sur la reconnaissance de leur travail, mais aussi sur leur indépendance à l’égard de leur hiérarchie.
Leur situation se caractérise ensuite par une généralisation des CDD malgré la permanence des besoins. Elle précarise fortement ces personnels. Pire, les AESH, en cas de changements de département ou d’établissement perdent, faute de statut et de continuité du contrat, le bénéfice de leur ancienneté !
Elle se définit également par une généralisation des temps partiels, qui empêche la très grande majorité des AESH de bénéficier du dispositif Sauvadet. À ce titre, et malgré les discours rassurants du ministre de l’éducation nationale et de nombre de nos collègues, la généralisation des accompagnements mutualisés ainsi que des pôles inclusifs d’accompagnement locaux n’améliorent en rien la situation des AESH. Les décisions prises par plusieurs académies ces dernières semaines tendent à confirmer ce que notre groupe avait pressenti : ces mesures de rationalisation constituent un moyen pour les académies de compresser les effectifs et de les réduire drastiquement. Il faut par ailleurs relever que dans les faits, et faute de statut général protecteur, les AESH travaillent à temps complet en participant pleinement à la vie des établissements et en s’autoformant.
La situation des AESH se caractérise, de plus, par une concurrence naissante puisque le développement du service civique a conduit certaines académies et établissements à renoncer au recrutement d’AESH et à s’appuyer sur des volontaires en service civique ne possédant pas les conditions requises, notamment le diplôme d’État d’accompagnant éducatif et social, le DEAES.
Elle se caractérise enfin par un déni de leurs compétences et de leur apport au bon fonctionnement du service public de l’éducation nationale. C’est notamment ce qui explique trop souvent l’existence de pratiques vexatoires au sein des établissements. Je pense, notamment, à certains AESH à qui l’on interdit d’être en contact avec les parents d’élèves ou d’avoir accès à des espaces de concertation pourtant nécessaires à l’exécution de leur mission.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.
Mme Éliane Assassi. Pour illustrer pourquoi nous sommes si attachés au recrutement par concours et au statut de fonctionnaire, je prendrai deux exemples, mais je suis certaine que mes collègues pourraient en apporter d’autres !
Premièrement, je prendrai l’exemple du ministère de la culture. Environ 12 000 des 25 000 agents de la rue de Valois ne sont pas titulaires ; 35 % sont sous contrat à durée déterminée. Cela fait du ministère cher à André Malraux l’un des plus précaires de la fonction publique d’État. Pire, les différents plans de « CDIsation » ou de « déprécarisation » n’ont permis que très peu d’améliorations. Ainsi, seuls 10 % des 4 500 agents en CDD ont bénéficié du dispositif Sauvadet II. Par ailleurs, la moitié d’entre eux n’y était même pas éligible !
On en arrive donc à des situations que je n’hésite pas à qualifier de parfaitement stupides. Ainsi, sur certains projets pluriannuels de rénovation ou de restauration, par exemple, les nominations d’agents se multiplient au gré des fins de contrats non prolongés. C’est un gaspillage humain et financier bien éloigné de la rationalisation tant vantée par les gouvernements successifs.
Deuxièmement, je prendrai l’exemple de la situation des enseignants. Lors du débat sur la loi Blanquer, nous avons alerté le Gouvernement sur l’existence de pratiques visiblement illégales en matière d’affectation dans certaines académies au cours des deux dernières rentrées. Ainsi, au mépris de l’article 3 de la loi Le Pors, des académies ont fait le choix de recruter des contractuels pour pourvoir les postes vacants avant de recourir aux lauréats du concours de recrutement de professeurs des écoles, le CRPE, placés sur la liste complémentaire. Alors que le débat sur la valorisation du métier d’enseignant est revenu sur le devant de la scène et que cette même valorisation, à en croire le Gouvernement, est une des préoccupations principales du ministère de l’éducation nationale, cette situation est intolérable.
Ces deux exemples illustrent parfaitement comment la généralisation de la contractualisation précarise celles et ceux qui sont directement recrutés par ce biais. Ils montrent aussi à quel point elle affaiblit durablement le statut des fonctionnaires et la qualité des services publics.