Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission spéciale.
Mme Catherine Fournier, présidente de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises. Mon cher collègue, nous avons effectivement décidé de déclarer irrecevables certains amendements. Je tiens à rappeler une fois encore, en la matière, les dispositions de la Constitution et la doctrine du président du Sénat. Si nous avons agi ainsi, ce n’est nullement pour empêcher le débat, mais pour le cadrer, sachant que 123 articles ont déjà été ajoutés à un texte très hétéroclite qui en comportait à l’origine 73. Une telle évolution du volume d’un projet de loi est assez exceptionnelle.
Comme vous l’avez dit, des amendements de tous les groupes politiques ont été frappés d’irrecevabilité. Dans la logique de la commission spéciale, il était tout à fait normal de procéder ainsi, pour structurer le débat et limiter son champ.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Il faut rappeler que ce texte vise à rendre nos entreprises plus fortes, plus solides, plus agiles pour se confronter à la compétition internationale. Cet amendement sort complètement du cadre et son dispositif est totalement irréaliste.
Par ailleurs, monsieur Bourquin, vous invoquez la transparence pour les hauts salaires dans les entreprises, mais où est la transparence en ce qui concerne les revenus des hauts fonctionnaires ? Les contribuables aimeraient bien connaître les rémunérations d’un grand nombre de personnes que leurs impôts servent à payer.
En outre, je suis frappé de voir comment vous jetez en pâture à l’opinion M. Carlos Ghosn, qui a sauvé Renault, qui sauvé Nissan, qui était en train de constituer un grand groupe automobile international, peut-être le premier.
M. Martial Bourquin. Son salaire est indécent !
M. Olivier Cadic. D’une petite phrase, vous donnez à penser que ce grand monsieur serait un délinquant…
M. Martial Bourquin. En plus, il était résident fiscal aux Pays-Bas ! Vous défendez cela ?
M. Olivier Cadic. Très honnêtement, dans cette affaire, c’est à un véritable problème de droits de l’homme que l’on est confronté : que quelqu’un puisse être arrêté comme cela, être attaqué de tous les côtés sans avoir pu se défendre jusqu’à présent, est profondément choquant. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Il serait peut-être bon de défendre ces valeurs-là, monsieur Bourquin, cela ferait honneur à la France !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour explication de vote.
M. Jean-Raymond Hugonet. Je ne voudrais pas prolonger la polémique, mais ce débat est à l’image de ce que vit notre pays aujourd’hui.
Fustiger les salaires indécents de grands capitaines d’industries, de stars du sport ou des médias est très facile.
M. Martial Bourquin. Absolument !
M. Jean-Raymond Hugonet. Chacun jugera selon sa sensibilité. On pourrait discuter du niveau d’imposition des hauts salaires, mais quand une telle personnalité paie ses impôts dans notre pays, cela a le mérite d’être conséquent. Ce qui est scandaleux, c’est que M. Carlos Ghosn, qui est certainement un grand capitaine d’industrie, ne soit pas fiscalisé en France.
M. Martial Bourquin. Scandaleux !
M. Jean-Raymond Hugonet. C’est une honte absolue ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Martial Bourquin. Merci !
M. Jean-Raymond Hugonet. Je respecte l’avis de notre collègue Cadic, mais, sincèrement, dans la situation sociale actuelle de notre pays, on ne peut même plus entendre un tel propos. Pourquoi choisit-on d’établir sa résidence fiscale aux Pays-Bas ? Pour s’en mettre plein les poches ! C’est un libéral qui vous dit cela.
M. Senard, ancien PDG de Michelin, est devenu PDG de Renault – il n’y a pas de hasard. Il a exprimé des idées très belles. Certains le prennent pour un utopiste, mais, à mon sens, il a parfaitement raison : le jour où un capitaine d’industrie ou une star ne montre plus l’exemple, il n’est plus légitime qu’il reçoive de tels salaires. C’est impossible ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe La République En Marche, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Martial Bourquin. Merci ! Ça fait plaisir à entendre !
M. Fabien Gay. En effet !
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 334 rectifié est présenté par MM. Tourenne et M. Bourquin, Mme Espagnac, MM. Lalande et Kanner, Mme Tocqueville, MM. Lurel et Durain, Mme Artigalas, M. Antiste, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Courteau, Duran et Fichet, Mme Monier et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 576 rectifié est présenté par M. Gay, Mme Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 61 quinquies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa de l’article L. 232-12 du code de commerce, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le montant des dividendes versés ne peut être supérieur au résultat net indiqué dans les comptes annuels approuvés. »
La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour présenter l’amendement n° 334 rectifié.
M. Jean-Louis Tourenne. Madame la présidente, avec votre permission, je présenterai en même temps l’amendement n° 335 rectifié, car il s’agit d’un diptyque.
Ces deux amendements visent à protéger les entreprises des dérives de la financiarisation de l’économie en faisant primer l’emploi et le long terme sur le cours de la bourse.
L’amendement n° 334 rectifié tend à interdire aux entreprises de s’endetter pour verser des dividendes aux actionnaires, pratique malheureusement trop courante. Ainsi, GRDF a versé, en 2017, 1 milliard d’euros de dividendes, pour un résultat de 150 millions d’euros…
Quant à l’amendement n° 335 rectifié, il vise à interdire aux entreprises de verser des dividendes en cas de licenciements. À ce titre, je citerai également l’exemple de GRDF : alors même que cette entreprise trouvait des milliards à distribuer à ses actionnaires, elle a supprimé 10 000 emplois en trois ans.
Selon le rapport qu’Oxfam a consacré aux entreprises du CAC 40, « si l’on ramène le montant des dividendes versés au montant des bénéfices réalisés, la France est alors la championne mondiale : entre 2005 et 2015, ce sont les entreprises du CAC 40 qui ont reversé la plus grande part de leurs bénéfices aux actionnaires sous forme de dividendes ». Ces entreprises françaises sont ainsi et « de loin les plus gros payeurs de dividendes en Europe continentale » ; les dividendes qu’elles versent sont d’un tiers supérieurs à ceux que distribuent leurs voisines allemandes.
Mes chers collègues, nous vous proposons donc de rééquilibrer le rapport entre dividendes et salaires, pour plus de justice sociale et dans l’intérêt même de la pérennité des entreprises. J’ajoute que c’est l’investissement qui fait l’innovation, qui construit l’avenir, qui nous permet d’être compétitifs : quand on distribue l’argent d’abord sous forme de dividendes, on prend à coup sûr du retard sur les pays où d’autres pratiques ont cours.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 576 rectifié.
M. Fabien Gay. Avant tout, je veux remercier M. Hugonet de son intervention. Avoir des débats de qualité, argument contre argument, et parfois pouvoir nous rejoindre au-delà des clivages : c’est aussi cela, le Sénat ! (M. Jean-Raymond Hugonet acquiesce.)
Selon l’excellent rapport d’Oxfam, entre 2009 et 2016, les entreprises du CAC 40 ont consacré 67 % de leurs bénéfices aux dividendes, 27 % aux investissements et seulement 5 % au versement de primes d’intéressement et de participation.
Ce récent rapport relève en outre que certains groupes, « comme Airbus ou Accor en 2009, ou encore Arcelor sur la période 2009-2016 », ont versé des dividendes alors qu’ils étaient en déficit. De son côté, Veolia a versé 3,6 milliards d’euros de dividendes pour 3,2 milliards d’euros de bénéfices ! Quant à Engie, dont nous avons parlé hier dans cet hémicycle, elle a versé, en 2016, « quinze fois plus de dividendes à ses actionnaires que ce que l’entreprise a fait de bénéfices ».
La priorité donnée à la distribution de dividendes est également au détriment de l’investissement, favorisant une logique de court terme. Entre 2012 et 2014, les entreprises du CAC 40 ont ainsi augmenté les dividendes de 44 %, tout en diminuant leur capacité d’investissement de 34 %.
En 2014, alors qu’il était ministre de l’économie, Emmanuel Macron regrettait lui aussi ce choix, en soulignant que les entreprises françaises avaient « préféré servir des dividendes à l’investissement », quand les entreprises allemandes avaient « une préférence continue pour l’emploi et l’investissement ».
Au regard des défis qui sont devant nous, qu’il s’agisse de l’énergie, notamment du développement des énergies renouvelables et du mix énergétique, ou encore des nouvelles technologies de transports et d’infrastructures, l’investissement est pourtant crucial. La limitation des pratiques en termes de versement de dividendes visées par cet amendement permettrait de promouvoir une gestion de long terme de l’entreprise et contribuerait à « rendre les entreprises plus justes », pour reprendre l’exposé des motifs de ce projet de loi.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont également identiques.
L’amendement n° 335 rectifié est présenté par MM. Tourenne et M. Bourquin, Mme Espagnac, MM. Lalande et Kanner, Mme Tocqueville, MM. Lurel et Durain, Mme Artigalas, M. Antiste, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Courteau, Duran et Fichet, Mme Monier et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 577 rectifié est présenté par M. Gay, Mme Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 61 quinquies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa de l’article L. 232-12 du code de commerce, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Des dividendes ne peuvent pas être versés si l’entreprise a procédé à des licenciements économiques lors de l’exercice comptable écoulé. »
La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour présenter l’amendement n° 335 rectifié.
M. Jean-Louis Tourenne. Je l’ai déjà défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° 577 rectifié.
M. Éric Bocquet. Dans le prolongement de l’amendement que Fabien Gay vient de présenter, nous proposons d’interdire le versement de dividendes aux actionnaires si l’entreprise a procédé, la même année, à des licenciements pour motif économique.
Notre groupe est en phase avec les doléances actuellement exprimées par les « gilets jaunes » : dès 2012, nos collègues Annie David et Dominique Watrin avaient déposé une proposition de loi tendant à interdire ce que nous appelions les licenciements boursiers. Nos concitoyens ne supportent plus de telles pratiques, dont nous connaissons de nombreux exemples.
En l’occurrence, cet amendement vise à encadrer le versement de dividendes en cas de licenciements pour motif économique.
Dans son récent rapport sur l’évasion fiscale des entreprises du CAC 40, que Fabien Gay vient de citer, Oxfam constate que les dividendes versés aux actionnaires ont explosé – leur montant a augmenté de 44 % –, alors que, dans la même période, les effectifs de ces entreprises ont diminué de 20 %. Certaines entreprises qui avaient accumulé des bénéfices ont donc procédé à des licenciements.
Dans ce capitalisme financier qui se développe, ce sont de plus en plus les actionnaires, et de moins en moins ceux qui ont un projet industriel, qui sont aux manettes. Les actionnaires sont donc servis en premier. Une grande partie des profits leur revient, sous forme de dividendes, de rachats d’actions, de « golden parachutes » quand les affaires vont mal, de retraites chapeau… Tout cela devient absolument insupportable !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale sur les quatre amendements ?
M. Michel Canevet, rapporteur. Je comprends bien l’intention des auteurs de ces amendements, mais je rappelle que les décisions des assemblées générales sont tout à fait libres : ces dernières ont notamment le choix de l’affectation des ressources. Ainsi, il est possible par exemple que l’assemblée générale prélève sur les réserves libres pour alimenter la distribution de dividendes, sans que l’entreprise ait à s’endetter.
Monsieur Gay, vous citez de nouveau le rapport d’Oxfam ; excusez-moi, mais nous n’avons pas le même évangile ! (Sourires.)
M. Julien Bargeton. Il y a l’Ancien et le Nouveau Testaments ! (Nouveaux sourires.)
M. Michel Canevet, rapporteur. Tout à fait !
La commission spéciale émet un avis défavorable sur les amendements nos 334 rectifié et 576 rectifié.
Quant aux amendements nos 335 rectifié et 577 rectifié, lier l’attribution de dividendes à la question des licenciements ne me semble pas de bon aloi. Une entreprise a besoin de s’adapter. Parfois, elle doit faire face à des circonstances difficiles, mais cela ne doit pas l’empêcher de décider la distribution de dividendes si les résultats sont positifs. L’avis est donc également défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Comme on l’a indiqué hier, le partage de la valeur ajoutée entre le travail et le capital est stable en France depuis vingt ans. M. Gay s’est référé à un rapport de l’OCDE : les informations citées sont parfaitement exactes, mais ce rapport souligne également la stabilité de cette répartition.
Certains rapports relèvent que les dividendes ont beaucoup augmenté depuis 2009, mais, cette année-là, les dividendes avaient été amputés du fait de la crise ! (M. Fabien Gay proteste.) Quand on part de zéro, l’augmentation paraît forcément considérable…
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Par ailleurs, je rappelle le taux de rendement des dividendes rapportés à l’investissement des actionnaires s’établit, pour ces dernières années, à environ 3,5 %. Certes, il faut également tenir compte de l’éventuelle augmentation des cours de la bourse ; mais je vous renvoie à l’évolution du CAC 40 depuis quelques mois…
Il faut ramener les chiffres à leur juste mesure économique. Pour ce qui concerne ces mêmes sociétés, les banquiers perçoivent, sur le marché obligataire, une rémunération de l’ordre de 2 % à 2,5 %. Compte tenu des risques assumés par les actionnaires, une rémunération de 3,5 % n’est pas complètement indécente.
M. Fabien Gay. Et le salarié de chez Carrefour ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. De plus, lorsque l’on considère la répartition de la valeur ajoutée entre le capital et le travail, il ne faut pas oublier la masse salariale, qui constitue le gros morceau – plus de 95 % – de la rémunération : la participation ne représente que 17 milliards d’euros sur un total de 500 milliards d’euros.
Concernant plus particulièrement le versement de dividendes par les sociétés dont le résultat net est négatif, je précise que la loi interdit aux entreprises de s’endetter pour distribuer des dividendes : il s’agit alors d’un délit de distribution de dividendes fictifs. Pour répartir des dividendes, il faut qu’il y ait un bénéfice distribuable. En fait, ce bénéfice distribuable est mis en réserve chaque année.
M. Martial Bourquin. Et GRDF ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Ainsi, l’adoption de ces amendements risquerait de conduire les entreprises à distribuer immédiatement l’intégralité de leur résultat, faute de savoir si elles pourront le faire l’année suivante. En conséquence, paradoxalement, le taux de distribution des résultats risquerait d’augmenter.
À mes yeux, mieux vaut que la distribution des résultats par les entreprises soit relativement stable dans le temps et soit adaptée aux à-coups de l’activité. C’est d’ailleurs ce que font les entreprises la plupart du temps : évitons de caricaturer, à partir d’un exemple choisi à dessein, le comportement des deux millions d’entreprises de notre pays. Il y a toujours des excès, dans tous les secteurs, mais beaucoup d’entreprises agissent de manière responsable.
Les dispositions présentées ne me paraissent donc pas appropriées. Voilà pourquoi j’émets un avis défavorable sur les amendements nos 334 rectifié, 576 rectifié, 335 rectifié et 577 rectifié.
Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. Madame la secrétaire d’État, en somme, selon vous, tout va bien… Mais, lorsque la crise du pouvoir d’achat est telle que des salariés, des artisans, des commerçants manifestent sur les ronds-points, avec le soutien, parfois, de membres des professions libérales, comment voulez-vous que l’on entende un tel discours ? C’est impossible !
M. Jean-Claude Requier. Il faut aussi respecter la loi !
M. Martial Bourquin. On ne peut pas ne pas établir de lien entre la faiblesse du pouvoir d’achat d’une grande partie des salariés et les dividendes versés aux actionnaires !
En 1981, dans notre pays, seulement 30 % des bénéfices étaient reversés aux actionnaires ; aujourd’hui, on en est à 80 % ! Or – nous faisons ce constat à l’unanimité, tous groupes politiques confondus – notre industrie souffre d’un manque d’investissements. Nous avons besoin que ces dividendes soient, en grande partie, consacrés à l’investissement. Savez-vous qu’en Allemagne de très grands groupes préfèrent ne pas être cotés en bourse afin de pouvoir mieux investir ?
Le Gouvernement propose la création d’un fonds d’investissement pour les innovations de rupture. Mais si, en même temps que la puissance publique déploie des moyens à ce titre, les bénéfices sont affectés au versement de dividendes plutôt qu’à l’investissement, cela ne peut pas marcher !
À force de refuser de voir la réalité des choses, vous finirez dans le mur. Les gens ne comprennent plus, et cela aboutit au mouvement des « gilets jaunes » ! Je vous le dis franchement : si l’on veut un sursaut en matière d’emploi, de lutte contre le chômage, de réindustrialisation du pays, il faut mener une véritable politique d’investissement. On ne s’en sortira pas en versant des dividendes très importants !
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Encore ?
M. Fabien Gay. Oui, encore, monsieur Karoutchi, mais ce débat est fondamental !
Madame la secrétaire d’État, vous parlez de l’intéressement et de la participation, qui représentent 17 milliards d’euros, sans dire un mot du reste : il y a de quoi rire ! Nous ne cessons de faire des propositions pour une autre répartition de la richesse dans ce pays, pour l’ouverture de négociations dans toutes les branches professionnelles en vue d’augmenter les salaires, mais vous les refusez toutes ! Nous avions déposé des amendements similaires en décembre dernier, lorsque le Gouvernement nous a soumis les mesures d’urgence économique et sociale : vous les aviez rejetés également. Pourtant, la question est fondamentale.
M. Hugonet peut en témoigner, j’ai indiqué en commission spéciale être prêt à ce que l’on reprenne le débat ouvert en 2008 par Nicolas Sarkozy. C’est pour vous faire plaisir, monsieur Karoutchi, que je me réfère à lui une nouvelle fois !
M. Roger Karoutchi. Continuez, vous êtes sur la bonne voie ! (Sourires.)
M. Fabien Gay. Il préconisait alors de répartir les bénéfices en trois tiers : un tiers pour le capital, un tiers pour le travail, un tiers pour les actionnaires. Même si je ne suis pas d’accord avec cette répartition, je suis prêt à avoir ce débat. Aujourd’hui, les salariés ne reçoivent que 5 % des bénéfices !
Madame la secrétaire d’État, votre discours est inaudible aujourd’hui. Je prendrai un exemple précis, que je connais bien, celui de l’entreprise Saft, dont ma mère a été ouvrière pendant trente-huit ans, à Bordeaux, et qui est aujourd’hui une filiale de Total. L’an dernier, le personnel de cette société s’est mis en grève pour exiger une augmentation de 2 % des salaires, lesquels étaient bloqués depuis plusieurs années. La grève a duré douze jours, et les salariés n’ont rien obtenu. Ils m’ont dit : « Fabien, nous, on regarde les chiffres. Depuis sept ans, Total a distribué 43 milliards d’euros de dividendes, et l’on vient nous expliquer qu’il n’y a pas d’argent pour augmenter les salaires de 2 % ! »
Cette situation est de plus en plus insupportable. Si vous ne le comprenez pas, c’est qu’il y a un sérieux problème !
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Pour appuyer les propos de mon collègue, je citerai deux personnes de qualité.
La première, c’est M. Bruno Le Maire, qui, ouvrant il y a quelques semaines le deuxième rendez-vous de Bercy, rappelait que l’objectif de ces journées était que le ministère de l’économie et des finances réfléchisse. C’est plutôt rassurant… Il parlait évidemment du capitalisme. Il n’y a rien de choquant à cela, même s’il n’est pas inintéressant de noter que, dans son discours long de trois pages, ce mot figurait cinq fois. M. Le Maire a notamment dit ceci : « Nous devons être capables […] de réfléchir à l’avenir du capitalisme. […] Nous avons un rejet croissant des inégalités par nos compatriotes et une demande de justice, de protection des peuples. » Apparemment, si l’inquiétude qui monte est ignorée d’une partie de cet hémicycle, elle est ressentie au plus haut niveau de l’État.
La seconde personne de qualité que je citerai est Mme Christine Lagarde, présidente du FMI. Bruno Le Maire parlait comme Che Guevara ; avec elle, c’est presque du Louise Michel (Sourires.) : « Les élites n’ont pas conscience de ce qui se passe. […] Après la crise de 2008, il y a eu une conscience […] de ce qu’il fallait faire : réglementer certains secteurs financiers […]. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. La réglementation financière recule ici ou là […]. Le laxisme revient. » Prenez garde !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. Madame la secrétaire d’État, vous nous dites en substance, après plusieurs jours de débat : « C’est bien comme c’est. On ne change rien ! »
M. Éric Bocquet. Voilà !
M. Jean-Louis Tourenne. Nous sommes les champions du monde de la distribution des dividendes ; parmi les pays industrialisés, nous sommes sans doute le dernier pour l’investissement : bref, ce « nouveau monde » est d’un conservatisme rarement égalé !
M. Éric Bocquet. C’est vrai !
M. Jean-Louis Tourenne. Je pensais tout de même que l’intention déclarée de mieux partager les richesses produites vous conduirait à nous proposer un certain nombre d’évolutions. Il y en aura bien une, mais elle marquera une régression pour les salariés : ils devront attendre cinq ans, une fois que l’effectif de leur entreprise aura dépassé le seuil des 50 salariés, avant de bénéficier de la participation. La majorité sénatoriale a même aggravé les choses en décidant que, demain, le seuil serait fixé à 100 salariés. Dès lors, nombre de salariés qui en profitaient jusqu’à présent perdront même le bénéfice de la participation.
À vous entendre, toute votre politique vise à ce que l’intéressement et la participation viennent financer l’économie : on peut bien sûr approuver cet objectif, qui est parfaitement louable, mais, parallèlement, vous acceptez que 70 % des bénéfices soient distribués en dividendes, au lieu d’être consacrés à l’investissement. C’est sans doute sur ce point que vous auriez dû mettre l’accent, mais vous préférez priver les salariés d’un certain nombre de droits.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je remercie nos collègues du groupe CRCE de faire régulièrement référence à Nicolas Sarkozy ; comme quoi, tout est possible ! (Sourires.)
De leur côté, nos collègues du groupe socialiste et républicain semblent oublier la période 2012-2017,…
M. Martial Bourquin. Non !
M. Roger Karoutchi. … durant laquelle les dividendes ont explosé, sans que le gouvernement socialiste, ou désigné comme tel, prenne la moindre mesure de contrôle… En 2019, ils entendent faire la révolution qu’ils n’ont pas faite auparavant ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Oui, il y a un problème de pouvoir d’achat. D’ailleurs, j’ai eu l’occasion de dire que, pour sortir de la crise des « gilets jaunes », j’étais favorable à la tenue d’un Grenelle social, l’enjeu me paraissant autrement plus important que celui de la réduction du nombre de parlementaires.
Cela étant, le discours sur le pouvoir d’achat ne doit pas polluer le discours sur l’entreprise. Au Sénat ou ailleurs, il ne faudrait pas que les entrepreneurs soient considérés par principe comme des truqueurs ou des profiteurs. Quelques patrons sont pointés du doigt pour leurs excès, mais ne jetons pas pour autant l’opprobre sur l’ensemble des entrepreneurs : s’il n’y a pas d’investissements étrangers, de gens qui prennent des risques – considérables dans la période que nous vivons –, il n’y aura pas davantage de pouvoir d’achat, car il n’y aura pas de création d’emplois.
J’entends bien que l’on veuille remettre les choses à plat, mais j’attire l’attention de MM. Gay et Bocquet sur le fait que les entreprises ne sauraient dépendre d’un nouveau Gosplan…
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour explication de vote.
M. Jean-Raymond Hugonet. Plusieurs personnalités ont été mentionnées. Permettez-moi d’évoquer pour ma part celui qui, dans cet hémicycle, a défendu pendant de nombreuses années la répartition en trois tiers, à savoir Serge Dassault, à qui j’ai eu l’honneur de succéder. J’ai le sentiment que, là où il est, il écoute notre débat… Avant même de préconiser la généralisation de cette formule, il l’avait appliquée dans son entreprise. Gardons-le à l’esprit !