M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est clair !
M. Jean-Claude Requier. Le déficit public a été revu à la hausse de 0,1 point pour 2018 et, surtout, de 0,4 point pour 2019, repassant au-dessus de la barre des 3 % du PIB. C’est une inflexion importante, mais nécessaire, pour répondre à l’urgence économique et sociale, même si le rétablissement des finances publiques doit rester un outil du développement de notre pays.
Comme je l’ai déjà dit, nous ne pouvons pas non plus ignorer le contexte européen. Aux incertitudes politiques que nous connaissions – coalition populiste en Italie, Brexit au Royaume-Uni – s’en ajoutent d’autres, comme la chute du gouvernement belge hier sur la question migratoire. L’Europe et, plus largement, nos démocraties occidentales sont atteintes de convulsions inquiétantes.
Notre modèle politique et social est lui-même remis en cause. Notre débat budgétaire en subit les conséquences, quand bien même il ne s’agit que d’une question secondaire au vu des tensions que nous traversons.
Plus modestement, le Sénat a également connu son lot de tensions, avec les sautes d’humeur des uns ou des autres. Toutefois, gardons le sens de la mesure. Dans le contexte actuel, cet épisode doit surtout nous appeler collectivement, Gouvernement et majorité sénatoriale, à la responsabilité. Nous incarnons la démocratie représentative et sommes, à ce titre, tenus d’agir pour l’intérêt général, corollaire de la confiance placée en nous par nos concitoyens. Certes, cette confiance varie dans le temps, allant même jusqu’au rejet des institutions. Néanmoins, rien ne serait pire que de diluer les corps intermédiaires, au premier rang desquels les élus et les maires, piliers de la République.
Très attaché au rôle du Parlement, mon groupe regrette – sans naïveté, rassurez-vous ! (Sourires.) – que l’Assemblée nationale et le Sénat n’aient pu parvenir à un accord en commission mixte paritaire. Je me félicite toutefois de la reprise de certains de nos amendements par les députés, parmi lesquels le maintien de la taxe sur les friches commerciales et le rétablissement du régime fiscal des sociétés d’intérêt collectif. Enfin, nous nous félicitons qu’aboutisse notre combat historique pour le plafonnement de l’exonération d’impôt sur les hauts revenus de journalistes, rédacteurs et critiques ! (M. Roger Karoutchi rit.) Nous avions encore une fois raison trop tôt et je me réjouis que les députés aient rejoint les sénateurs pour supprimer cet avantage injustifié.
En revanche, je regrette naturellement que certains autres de nos amendements n’aient in fine pas été retenus par l’Assemblée nationale. Je pense en particulier à la méthanisation des déchets, aux redevances de concessions hydroélectriques ou encore au refinancement du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC.
En conclusion, même si l’issue du vote sur la motion tendant à opposer la question préalable fait peu de doutes, nous avons déposé quatre amendements, conformément à la tradition de notre groupe, ouvert à la discussion et au dialogue. Nous comprenons que cette motion ait été déposée ; pour autant, nous ne la voterons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je ne ferai pas de commentaire sur l’exercice budgétaire,…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Cela vaut mieux !
M. Philippe Adnot. … l’actualité démontrant son caractère éphémère.
En revanche, il ne nous est pas interdit de tirer les leçons des événements présents et de considérer que, si nous avions été mieux entendus, notamment sur le niveau exagéré des taxes et sur le diesel-bashing, la situation de la France et de nos concitoyens serait bien meilleure, et ce à moindre coût.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est vrai !
M. Antoine Lefèvre. C’est clair !
M. Philippe Adnot. Aujourd’hui, un certain nombre de décisions nous sont proposées en urgence. Il y a fort à parier qu’elles ne satisferont pas tous nos concitoyens, ce qui est normal compte tenu de l’hétérogénéité des demandes. En outre, un certain nombre de mesures que nul n’avait réclamées sont maintenant sur la table, sans que l’on sache bien pourquoi.
J’étais opposé à la défiscalisation des heures supplémentaires sous Sarkozy, je le suis toujours. Je trouve injuste que, proportionnellement, celui qui ne peut effectuer des heures supplémentaires soit davantage imposé que quelqu’un ayant la chance de pouvoir en faire et d’améliorer ainsi son revenu sans payer d’impôt. Les chefs d’entreprise et les salariés volontaires ne demandaient qu’une chose : qu’on leur fiche la paix et qu’on les laisse faire des heures supplémentaires. Il n’y avait pas besoin de créer une charge spécifique pour l’État.
Par ailleurs, rien n’étant dit sur le financement des mesures qui nous sont aujourd’hui proposées, il ne m’est pas possible de les approuver. C’est la raison pour laquelle je vous propose une solution qui aurait pour avantage de ne pas déséquilibrer nos finances tout en créant de la confiance. Car ne vous y trompez pas, mes chers collègues, les Français ne sont pas dupes et n’ont pas envie qu’on les roule une fois de plus dans la farine !
La suppression de la taxe d’habitation est une mauvaise chose, car elle est injuste financièrement. Elle n’apporte aucun pouvoir d’achat supplémentaire à ceux qui ne la paient pas. Elle profitera essentiellement et davantage à ceux qui ont de grands appartements, dans des quartiers riches. Je ne suis pas sûr que cette mesure, dont le coût, je le rappelle, s’élèvera à plus de 20 milliards d’euros, soit opportune. Je vous propose donc de plafonner cet allégement à 250 euros par foyer, contre les 500 euros initialement prévus, ce qui permettra de dégager les 10 milliards d’euros nécessaires au financement des mesures qui nous sont proposées, sans créer de déficit supplémentaire et sans poser de problème pour notre équilibre général.
Avant de conclure, je tiens moi aussi, comme un certain nombre de mes collègues, à saluer les forces de l’ordre, qui ont été remarquables de maîtrise dans des situations difficiles.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Philippe Adnot. J’espère que le traitement qui sera réservé aux casseurs et aux pilleurs sera sans faiblesse. Ils ont nui à nos concitoyens, aux « gilets jaunes », à tous les Français. Ils ont nui à l’image de la France et à la société en général.
Pour terminer, permettez-moi de vous faire part de mon scepticisme…
Mme la présidente. Cher collègue, vous dépassez votre temps de parole !
M. Philippe Adnot. … s’agissant du grand débat qui est proposé aux Français. Nous savons d’expérience que la confusion des idées est propice à l’instrumentalisation. Il s’agit alors d’atteindre des objectifs qui n’ont rien à voir avec les souhaits profonds exprimés par certains de nos concitoyens.
Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue !
M. Philippe Adnot. La France a besoin non pas de parlottes, mais d’actes concrets. La France n’a pas besoin que l’on se perde dans des débats fumeux. (Exclamations sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.) La France a besoin d’assurer le développement de son économie,…
Mme la présidente. Il faut terminer, cher collègue !
M. Philippe Adnot. … de créer de la richesse et des emplois. Cela devrait être la seule priorité de tout Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Michel Canevet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le groupe Union Centriste aborde l’examen de ce projet de loi de finances dans un esprit constructif.
M. Julien Bargeton. Très bien !
M. Michel Canevet. Chacun l’a bien compris, la fracture sociale qui s’est révélée dans notre pays est particulièrement importante et il était nécessaire, à notre sens, d’y apporter des réponses.
On le voit bien, il existe une fracture forte entre une partie de la population, qui souffre, et une autre partie, dont la situation est plus confortable. Il faut donc prêter attention à tout le monde. Un projet de loi de finances rectificative était le bon outil pour cela, même si d’autres mesures seront proposées par ailleurs. Nous les examinerons avec beaucoup d’attention cette semaine.
Le groupe Union Centriste déplore néanmoins la méthode, monsieur le secrétaire d’État, car nous considérons que l’examen d’un tel texte aussi rapidement, dans des délais extrêmement brefs, nuit à la bonne qualité de notre travail, à la lisibilité de la loi et à sa compréhension par l’ensemble de nos concitoyens. Il nous faudra mieux aborder cet exercice budgétaire à l’avenir, afin de mieux intégrer les dispositions permettant de répondre aux aspirations de la population, sans toutefois perdre de vue l’objectif de développement de notre pays. Les mesures budgétaires que nous prenons doivent en effet se traduire par une amélioration du niveau et de la qualité de vie dans notre pays. Cet objectif est absolument essentiel.
Dans quel contexte s’effectue l’examen de ce projet de loi de finances ? La version amendée qui nous est aujourd’hui soumise prévoit un accroissement extrêmement significatif de notre déficit prévisionnel. À l’issue des travaux du Sénat, le déficit était légèrement inférieur à 100 milliards d’euros, il s’établit aujourd’hui, dans le texte tel qu’il nous revient, à un peu moins de 110 milliards d’euros. Surtout, nous avions effectué beaucoup d’efforts pour respecter notre engagement européen de ne pas dépasser la barre fatidique des 3 % du PIB. Or que constate-t-on ? Alors que nous étions parvenus à atteindre 2,6 %, nous allons de nouveau dépasser les 3 %, pour nous situer sans doute à 3,2 %.
Si nous pensons qu’il était nécessaire de prendre des mesures pour répondre aux aspirations de la population en difficulté, nous considérons cependant que l’équilibre budgétaire doit être respecté. Pour cela, un programme d’économies doit être engagé pour réduire le déficit, cela a été dit et redit, en particulier par notre collègue Vincent Delahaye, qui a beaucoup travaillé sur ce sujet. Il est également absolument indispensable de trouver des recettes nouvelles, bien entendu, même de façon ponctuelle, afin de faire face à la situation urgente dans laquelle nous nous trouvons.
Le contexte, comme je l’ai dit, est plutôt difficile compte tenu de ce déficit prévisionnel, mais aussi des perspectives de croissance, plus faibles que prévu. Vous connaissez comme moi, je présume, les prévisions des principaux organismes. Alors que nous pensions que la croissance serait de 1,7 % en 2019, nous savons d’ores et déjà qu’elle ne sera que de 1,5 %, voire de 1,3 %, compte tenu des mouvements que nous avons connus. Très concrètement, cela signifie que le retour à l’équilibre des comptes sera un peu plus difficile, faute des recettes escomptées, et qu’il sera compliqué de boucler le budget.
Cela étant, nous avons aussi des raisons d’être un peu optimistes. Selon l’INSEE, le pouvoir d’achat de nos concitoyens pourrait augmenter l’année prochaine de 3 %. Peut-être est-ce le signe que les mesures qui sont mises en œuvre pour relancer l’économie produisent des résultats ?
Pour le groupe Union Centriste, il est clair que l’équilibre des comptes publics est un impératif et que nous devons nous situer en dessous de la barre des 3 % de déficit, conformément aux engagements que nous avons pris.
J’en viens aux mesures générales.
Le Sénat avait souhaité que la trajectoire « carbone » soit remise en cause. Il a fallu attendre, hélas ! un peu pour cela. Nous regrettons que l’on ait perdu du temps.
Il nous faut néanmoins nous réjouir des baisses de charges sociales. C’est essentiel pour relancer l’économie, améliorer la compétitivité des entreprises et réduire le déficit de la balance commerciale, lequel est encore beaucoup trop important, de l’ordre de 5 à 6 milliards d’euros par mois. Il faut que nous rendions les entreprises plus compétitives.
Notre collègue Claude Raynal a évoqué le retour de l’ISF. Le groupe Union Centriste, je vous le dis très clairement, n’y est pas favorable.
M. Claude Raynal. Quelle surprise !
M. Michel Canevet. Nous considérons qu’il est nécessaire de revoir la fiscalité de manière générale, mais le retour de l’ISF en l’état ne nous semble pas un signe positif. Il faut plus de lisibilité. Cette proposition est archaïque. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.) Archaïque, tout à fait ! Nous ne pouvons donc pas la soutenir.
Je l’ai dit, il faudra sans doute penser à une révision globale de la fiscalité. Un certain nombre de propositions en ce sens ont d’ailleurs été faites au cours de nos débats budgétaires. Je pense en particulier à la révision de l’impôt sur le revenu proposée par notre collègue Vincent Delahaye, mais aussi à la révision des droits de succession concernant l’habitation principale défendue par notre collègue Oliver Cadic, réforme que le groupe Union Centriste appelle de ses vœux. Il est donc important que l’on continue d’agir pour y arriver.
Nous nous réjouissons également, monsieur le secrétaire d’État, de la suppression des petites taxes. Personnellement, je me bats pour cela depuis de nombreuses années. Je suis donc très satisfait que le Gouvernement ait proposé de telles suppressions et qu’il ait accepté celles qui ont été proposées par notre assemblée. Il faudra continuer en ce sens, il y va de la compétitivité de nos entreprises.
Pour conclure, nous regrettons que la lutte contre la fraude documentaire, défendue par notre collègue Nathalie Goulet, n’ait pas trouvé d’écho à l’Assemblée nationale. Franchement, la lutte contre la fraude est un gisement de recettes. Il est donc absolument nécessaire d’avancer dans ce domaine.
Le groupe Union Centriste, dans sa majorité, votera la motion tendant à opposer la question préalable, le reste de ses membres s’abstenant. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, ce 19 décembre restera probablement dans les mémoires comme un moment un peu surréaliste.
Nous parlons – vous parlez, monsieur le secrétaire d’État – du budget de la France, mais en réalité, personne ne sait à quoi il ressemblera dans trois semaines. Nous allons naturellement en débattre. Vendredi, nous allons voter d’autres mesures, dont l’impact financier aurait peut-être pu être prévu dans l’ensemble, mais tant pis…
Monsieur le secrétaire d’État, c’est dommage, franchement, que cela tombe sur vous. (Rires sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) Dans l’ancien temps – sous l’Ancien Régime ! –, on aurait dit : Dieu et le roi vous en remercieront. Je dois dire que vous avez été impeccable pendant toute la durée de l’examen du budget. J’espère que Jupiter s’en souviendra. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Monsieur le secrétaire d’État, vous n’y êtes pour rien, mais les chiffres sont implacables : 45 % de prélèvements obligatoires, 1,4 % ou 1,5 % de croissance, 3,3 % ou 3,4 % de déficit. Telle est la situation de la France.
M. Charles Guené. Exactement !
M. Roger Karoutchi. On nous demande d’être responsables. Mais nous le sommes ! Le groupe Les Républicains votera vendredi les nouvelles mesures, comme il a voté, lorsque vous nous l’avez présenté, monsieur le secrétaire d’État, l’amendement sur les 600 millions d’euros, mais le Gouvernement aussi doit être responsable. Or, pardon de le dire, monsieur le secrétaire d’État, mais le Gouvernement s’est tenu complètement hors des réalités.
Jean-François Husson a dit ici, il y a plus d’un an, que la trajectoire « carbone » et la taxation des carburants étaient impossibles à tenir. Je m’en souviens encore, il avait mis en garde le Gouvernement : « Vous allez déclencher des émeutes, des “bonnets rouges” ! » Le Gouvernement nous avait alors répondu : « Comment ? Mais faites-nous confiance ! Les intelligents et les subtils sont de notre côté. » (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Ça a fait pschitt !
M. Roger Karoutchi. Et puis, disons-le ainsi, les choses se sont dégradées.
Ici, bien avant le début du mouvement des « gilets jaunes », un certain nombre de groupes avait proposé des solutions. Monsieur le secrétaire d’État, le rôle du Gouvernement est d’écouter les propositions diverses qui sont faites. Pour ma part, je ne suis pas d’accord avec les propositions des socialistes ou des communistes, mais je les écoute et je suis prêt à en parler. Il m’arrive même de ne pas être d’accord avec les propositions de mon groupe, pourtant, je suis là, j’écoute, je dialogue. Sans cela, il n’y a plus de démocratie.
Or le Gouvernement s’est enfermé dans ses certitudes. Le ministre de l’action et des comptes publics n’a cessé de nous démontrer que nos amendements à 5, 10 ou 20 millions d’euros étaient de véritables désastres. Or, là, on a lâché 10 milliards d’euros d’un coup ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Bruno Sido. Rien que ça !
M. Roger Karoutchi. Lorsque nous avons voté, au Sénat, l’annulation de la hausse des taxes sur les carburants, le Gouvernement nous a dit, la main sur le cœur, que cette annulation était impossible, pour des raisons écologiques. « Vous ne pouvez rien dire, c’est comme cela, vous n’allez tout de même pas vous en prendre à l’écologie. » Très bien…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Elle a bon dos !
M. Roger Karoutchi. Nous avons adopté ici des mesures concernant les GAFA, les dividendes. Vous auriez pu les accepter, pour des raisons de justice fiscale, considérant qu’elles pouvaient rapporter des recettes à l’État. Mais non ! tels ne sont pas « les arbitrages du Gouvernement ». Mais le Gouvernement n’est pas extraterrestre. Théoriquement, il représente les Français. Pratiquement, on ne sait plus où il est.
M. Jean-François Husson. Lui non plus !
M. Roger Karoutchi. On nous dit qu’il faut réagir dans l’urgence à la crise économique et sociale. Pour ma part, je faisais partie du Gouvernement en 2008 lorsqu’est survenue la lourde crise financière et bancaire aux États-Unis, puis dans l’ensemble de l’Europe, laquelle avait été déclenchée par des facteurs totalement exogènes sur lesquels la France n’avait aucune prise. Vous dites que vous n’avez pas eu le temps de consulter, monsieur le secrétaire d’État. Ce n’est pas vrai. Même dans l’urgence, on peut trouver le temps de le faire.
En 2008, le rapporteur général l’a rappelé en commission des finances, un texte a été voté pour sauver l’ensemble du système financier français. Il avait été déposé le lundi en conseil des ministres, voté le mardi à l’Assemblée nationale et le mercredi au Sénat, bref, cela s’était fait dans l’urgence. Comment les choses s’étaient-elles donc passées ? Le samedi, le Président de la République m’avait appelé pour me dire qu’il voulait voir tous les présidents de tous les groupes parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale, des communistes à l’UMP de l’époque. « Je veux leur parler », m’avait-il dit. Tous ont été conviés à participer à une réunion à l’Élysée. Pendant deux heures, le Président de la République de l’époque a dialogué avec tous les présidents de groupe et leur a indiqué ce qu’il allait faire, comment il allait procéder et de quelle manière les choses pouvaient avancer. C’est cela, le respect du Parlement, même dans l’urgence ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Monsieur le secrétaire d’État, vous ne pouvez pas considérer que le Parlement est juste une entrave, une gêne, une source de retard. Vous ne pouvez pas continuer à faire ce que vous avez fait pendant dix-huit mois et considérer que les élus locaux sont une donnée extérieure, qu’il ne faut pas les écouter, qu’ils coûtent cher et que l’on devrait réduire leur nombre. Après, quand survient une crise, vous vous retrouvez devant le Parlement à vous demander ce que vous allez bien pouvoir dire. D’ailleurs, et je le dis avec tout le respect que je dois au Gouvernement, certains des ministres n’apparaissent même plus devant le Sénat. D’autres, c’est vrai, sont partis un peu vite hier… Sincèrement, on ne peut pas travailler ainsi !
Le Gouvernement est à la disposition du Parlement dans la Ve République, et non l’inverse. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Si vous continuez à vous couper de tous ceux qui peuvent être des relais – le Parlement, les maires, les présidents de conseils départemental ou régional –, alors ne vous étonnez pas si, ensuite, l’exécutif se retrouve seul face à des « gilets jaunes » sur les ronds-points. Vous n’avez pas écouté pendant dix-huit mois ce qui remontait du terrain.
Certes, le malaise social, je ne le conteste pas, n’est pas né il y a dix-huit mois.
M. Julien Bargeton. Ah !
M. Roger Karoutchi. Personne ne dit le contraire, monsieur Bargeton, rassurez-vous. Nous pouvons le comprendre, même si nous ne sommes peut-être pas aussi « intelligents » et « subtils » que vous ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Julien Bargeton. Je n’ai jamais prétendu cela !
M. Roger Karoutchi. Monsieur le secrétaire d’État, votre cap n’est pas le bon. Je parle non pas du cap économique et financier – de cela, on peut discuter –, mais du cap politique, au sens lourd du terme. Qu’est-ce que la France ? Qu’est-ce qui fait l’unité de la Nation ? Qui sont les Français ? Comment les écouter, les représenter, les défendre ? Ces questions passent avant les commentaires technocratiques sur les pseudo-équilibres de Bercy, lesquels sont d’ailleurs balayés d’un revers de la main dès que cela est nécessaire.
Vous êtes maintenant, disons-le – on ne va pas se raconter d’histoires ! – dans une situation catastrophique. On ne vous voit pas – comment dire ? – dans une dynamique performante en 2019 (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.), mais le Président de la République et le Gouvernement peuvent au moins se dire, puisque l’exercice de contrition a déjà commencé, qu’il faut…
M. Bruno Sido. Aller plus loin !
M. Roger Karoutchi. … changer la donne, parler au Parlement. Ne vous contentez pas – ne le prenez pas personnellement, monsieur le secrétaire d’État – de venir nous faire la leçon, écoutez-nous ! Le Sénat a fait de nombreuses propositions que le Gouvernement aurait dû reprendre, mais il ne les a pas défendues à l’Assemblée nationale. C’est malheureux, mais l’Assemblée nationale n’est plus un centre de véritables débats…
M. Bruno Sido. Des godillots !
M. Roger Karoutchi. Même pas ! Elle n’est même plus une courroie de transmission sûre. On se demande ce qu’elle est devenue.
Toujours est-il que c’est à vous de reprendre les éléments. Franchement, au Sénat, tous les groupes ont fait leur travail, dans le respect mutuel. Le débat au Sénat s’est déroulé de manière, non pas parfaite, mais très équilibrée. On vous a fait des propositions, vous nous avez souvent dit non, monsieur le secrétaire d’État, mais on a bien compris que Bercy refusait de dévier de sa ligne et de bouger ne serait-ce que de 5 millions d’euros – très bien ! Aujourd’hui, on en est à 10 ou 15 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, on ne sait plus très bien, mais vous avez suivi la ligne.
Maintenant, il faut sauver le pays, et vous n’y parviendrez pas en adoptant une attitude fermée. Aujourd’hui, nous allons évidemment voter la motion tendant à opposer la question préalable, car nous savons très bien que le jeu n’est plus à l’équilibre et que, de toutes les façons, vous ferez ce que vous voulez à l’Assemblée nationale. Or ce n’est pas forcément une bonne idée.
Vendredi, nous allons voter les mesures annoncées, parce que nous sommes, nous, responsables. Nous allons les voter conformes parce que nous voulons que les Français ne se sentent pas trahis, dupés. Nous prenons, nous, au Parlement, la responsabilité de vous dire : nous sauvons le Gouvernement, nous faisons en sorte que la parole du Président de la République – non pas Emmanuel Macron, mais le Président de la République de la Ve République – ait encore du sens. C’est cela la France ! (Mmes et MM. les sénateurs du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste se lèvent et applaudissements longuement.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-François Husson. Ça va être difficile !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Je commencerai par remercier M. Karoutchi pour le début de son propos, mais le reste était intéressant ! (Sourires.)
J’apporterai ensuite quelques éléments de réponses à un certain nombre de questions qui m’ont été posées, notamment sur le déficit prévisionnel pour l’année 2019.
Le Premier ministre a eu l’occasion de le dire publiquement, compte tenu des mesures qui seront proposées au Parlement d’ici à la fin de la semaine, le déficit pourrait s’élever à 3,2 % du PIB, soit 0,4 point au-dessus de ce qui était initialement prévu dans le projet de loi de finances.
Gardons toutefois en tête – et c’est un argument que nous faisons valoir – que l’année 2019 verra la transformation du CICE en allégements de charges. Cette « double année », si l’on peut dire, car elle verra l’apurement de la dette de l’État envers les entreprises au titre de l’exercice 2018 et le financement des allégements de charges dès le mois de janvier 2019, représente un effort de 0,9 point de PIB. Cela nous amène à considérer que le déficit se situera en réalité plutôt autour de 2,3 % que de 3,2 %. Il nous appartiendra ensuite, et je le dis par anticipation, de démontrer en 2020 que la trajectoire budgétaire prévue reste la même, l’objectif étant, d’un point de vue structurel, de nous situer en deçà des 3 % du PIB fixés par les règles communautaires.
Vous m’avez ensuite interrogé sur les modalités de financement des mesures qui ont été annoncées. Gérald Darmanin a précisé, lors du débat à l’Assemblée nationale il y a quelques heures maintenant, que la taxe sur les GAFA serait intégrée dans le projet de loi PACTE, afin de pouvoir être mise en œuvre. Je rappelle que, lors des débats que nous avions eus sur les GAFA, notamment lors de l’examen des amendements défendus par Mme Marie-Noëlle Lienemann, j’avais indiqué que l’objectif du Gouvernement était de trouver un accord suffisamment ambitieux à l’échelon européen, mais que, à défaut, nous procéderions de manière nationale. Chacun avait pu intervenir sur cette question, Mme Goulet s’en souvient. (Mme Nathalie Goulet opine.)
Bruno Le Maire considérant que l’accord qui est en voie d’être passé avec l’Allemagne n’est pas suffisamment ambitieux, nous nous orientons vers cette fiscalité des GAFA.
Quant à l’atténuation de la trajectoire de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 250 millions d’euros, elle sera proposée au Parlement, et donc à votre assemblée, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative. Nous gardons en tête la nécessité de procéder à une réforme de la fiscalité dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme de la taxe d’habitation, laquelle sera l’occasion de procéder à des ajustements.
Le sénateur Raynal a évoqué la lutte contre la fraude fiscale. Il existe effectivement une divergence, ou du moins une différence d’appréciation, sur le dispositif qui a été adopté entre, d’un côté, l’Assemblée nationale et le Gouvernement et, de l’autre, le Sénat. Cette divergence nous a amenés à modifier assez substantiellement le dispositif à l’Assemblée nationale. J’ai eu l’occasion de le dire hier en réponse à une question d’actualité au Gouvernement, il nous faut tenir compte d’un certain nombre de contraintes juridiques, à la fois en droit interne et en droit communautaire, mais aussi nous assurer que le dispositif sera opérationnel. L’objectif reste cependant le même. Nous souhaitons évidemment, chaque fois que c’est possible – nous l’avons démontré dans d’autres textes cette année –, améliorer les dispositifs permettant de lutter plus efficacement contre la fraude fiscale.
Enfin, j’évoquerai par anticipation la motion tendant à opposer la question préalable que vous avez déposée, monsieur le rapporteur général.
Je ne me prononcerai pas sur l’ensemble des considérants de cette motion. Certains renvoient très directement aux désaccords politiques qui opposent la majorité présidentielle et la majorité sénatoriale.
Parmi ces considérants, il en est un auquel je veux apporter une réponse : l’Assemblée nationale, est-il écrit, n’aurait pas modifié les crédits des missions qui ont été rejetées par le Sénat et que j’ai évoquées dans mon propos liminaire.
Or nous avons bel et bien modifié les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », à hauteur de 2,5 milliards d’euros, au titre de la revalorisation de la prime d’activité – je le dis indépendamment de toute considération sur le débat que nous avons eu par ailleurs sur ce thème –, ainsi que ceux de la mission « Cohésion des territoires », à hauteur de 330 millions d’euros, pour tenir compte de révisions techniques en matière d’instruction et de versement des APL, les aides personnalisées au logement, et d’un report d’économies sur la non-contemporanéisation immédiate de ces aides.
Nous avons également modifié un certain nombre de crédits des missions « Sécurités » et « Administration générale et territoriale de l’État » concernant les policiers, les gendarmes et les personnels des préfectures.
Enfin, nous avons modifié, à hauteur de 600 millions d’euros, les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilités durables » afin de rebudgéter les aides concernant les minimums affectés, et notamment ce qui a trait à la Commission de régulation de l’énergie.
Voici ce que je souhaitais par avance souligner, avant la présentation de cette motion.
Je conclurai en disant, là aussi par anticipation, madame la présidente, que, par définition et par cohérence, le Gouvernement ne peut être que défavorable à la motion tendant à opposer la question préalable. Ceci vaudra avis. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)