Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le budget est toujours un marathon, et reconnaissons que celui-là a été doublé d’une course de haies.
Ne faisons pas non plus comme s’il s’était déroulé dans un climat serein. La séquence était inédite et les modifications apportées ont découlé à la fois de la traditionnelle navette et du mouvement des « gilets jaunes ».
Je veux retenir de ces modifications qu’elles ont finalement débouché sur un effort inégalé depuis au moins dix ans en faveur du pouvoir d’achat des Français.
J’entends bien sûr les critiques sur le déroulement de ce débat budgétaire. Toutefois, après toutes ces itérations, ce qu’il faut retenir, c’est un peu plus de 10 milliards d’euros de pouvoir d’achat supplémentaire dans l’année.
Une récente note de conjoncture de l’INSEE, qui ne vous a sans doute pas échappé, mes chers collègues, prévoit désormais seulement 1,5 % de croissance. Elle impute d’ailleurs au mouvement récent une baisse de 0,1 point de la richesse nationale.
Certains voudront le mettre au passif du Gouvernement,…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. On ne l’a pas fait !
M. Julien Bargeton. … je n’entrerai pas dans ce jeu.
Je préfère, dans ce contexte, que nous redisions notre soutien aux commerçants, qui ont vécu cette période dans une angoisse particulièrement forte. Peut-être le Gouvernement nous tiendra-t-il informés du suivi des indemnisations, car les violences, les saccages, les pillages, qui se sont déroulés à Paris, Nantes ou Bordeaux sont inadmissibles.
Redisons aussi que la France s’est mise à recréer de l’emploi dans le secteur privé et que le taux de chômage devrait passer sous les 9 % l’an prochain. C’est toujours trop, mais il faut remettre en perspective toutes les informations que nous avons reçues, notamment celles, récentes, de l’INSEE.
Dans ce projet de loi de finances pour 2019 figure notamment désormais l’accélération du versement de la prime d’activité que nous avons votée par amendement. Il existe dans notre pays trop d’actifs pauvres, nous savons qu’une telle situation n’est pas normale. Au-delà des annonces et des nouvelles mesures, nous devons travailler à trouver des réponses.
En miroir, la question des dépenses publiques reste évidemment entière pour financer ces dispositions.
Pour ma part, je regrette parfois que nos évaluations, qu’elles proviennent des rapports du Sénat ou émanent par exemple de la Cour des comptes, ne soient pas suffisamment utilisées pour que des conclusions en soient tirées sur les missions budgétaires ou sur les dépenses publiques.
Nous ne cessons de répéter qu’il faut réduire la dépense publique en général, mais nous avons parfois collectivement du mal à trouver quelles dépenses publiques il convient de réduire et c’est souvent plus difficile à faire qu’à dire. Cette question est encore largement devant nous.
Dans le même temps, les citoyens se sont trop éloignés du débat budgétaire en raison de son aridité et de son caractère abstrait. Il est vrai que les contraintes et l’organisation du débat budgétaire entre l’Assemblée nationale et le Sénat – je pense à la procédure par voie d’amendements – sont peu connues de nos concitoyens.
Le grand débat national qui s’ouvre doit être l’occasion de formuler non pas des propositions démagogiques, mais des façons différentes de parler et d’examiner le budget avec nos concitoyens.
Ce que nous a montré le mouvement des « gilets jaunes », c’est à la fois une réalité très physique, celle des ronds-points, et une réalité virtuelle, celle du numérique et des réseaux sociaux. Les acteurs de ce mouvement s’en sont utilement servis, parfois mieux que les partis politiques traditionnels.
Voilà qui ouvre le vaste champ que Nicolas Colin ou Henri Verdier ont appelé « l’âge de la multitude ». Nous devons nous demander comment gérer nos procédures et nos processus, qui sont bien rodés, mais désormais un peu anciens, dans une époque qui est bouleversée par de nouvelles façons d’appréhender la politique. Là encore, mes chers collègues, nous devons l’explorer en commun.
La France a besoin d’ambition, pas d’aventure. On voit bien à quel type de mouvement peuvent profiter les « gilets jaunes ». Il n’est qu’à voir ce qui se passe depuis ce matin en Belgique, ce qui s’est passé en Italie, aux États-Unis, au Royaume-Uni. Il faut parfois un peu se décentrer et décentrer le débat.
Nous devons nous rassembler autour de l’idée que notre objectif, c’est de nous donner les moyens d’avancer et de continuer à avancer, plutôt que d’être un pays qui se contente de rester dans la moyenne.
En raison de ce contexte très particulier, un certain nombre de politiques extrêmement importantes se sont retrouvées sous le tapis et sont passées inaperçues, alors même qu’elles ont été saluées, y compris sur les travées de la majorité sénatoriale – qui est en fait l’opposition nationale. C’est le cas du budget de la mission « Enseignement scolaire », qui a été particulièrement remarqué en commission des finances : nous en avons parlé au début de l’examen de ce texte, un peu moins à la fin. Voilà pourtant une ambition très forte. Pour ma part, je suis très fier du dédoublement des classes ou du dispositif « Devoirs faits ». Notre enjeu est aussi de construire l’avenir du pays par l’éducation.
Un autre enjeu ne doit pas non plus passer inaperçu, celui de l’urgence écologique. C’est la principale menace : elle demeure, telle une épée de Damoclès. De ce point de vue, la COP24 qui s’est tenue en Pologne a au moins empêché que ne se détricotent les accords de Paris. Il faut tenir compte des initiatives, territoire par territoire, et de ce qui fonctionne en matière de mobilité, d’énergie, de déchets, de logement. Dans ce domaine, les collectivités locales, en lien avec l’État, font beaucoup. Si nous avons gelé la taxe carbone – le Sénat l’avait demandé, je l’ai déjà reconnu dans un précédent discours –, il ne faut pas pour autant admettre le statu quo écologique.
Si l’agenda social est arrivé sur le devant de la scène, il ne doit pas à mon sens occulter l’agenda écologique : l’avenir de la planète doit aussi rester à l’agenda ; ces longs débats budgétaires ne doivent pas nous faire oublier cette dimension. Il nous faut la retravailler de façon différente, nous en avons la conviction. Dans ce débat, les apports du Sénat sont importants.
Notons tout de même, car cela a aussi été occulté, que ce projet de loi de finances est sans doute celui qui a été le plus modifié, notamment par les apports du Sénat. Le contexte est tel que nous l’avons un peu oublié, c’est dommage : continuons à travailler dans ce sens.
Bien sûr, nous ne voterons pas la motion tendant à opposer la question préalable, mais nous sommes disposés à continuer à travailler sur ces sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, cette nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2019 s’apparente plus à une forme d’exercice imposé qu’à un véritable débat parlementaire. Alors que notre avenir commun se cherche et que s’impose un devoir d’innovation, nous demeurons – c’est le moins que l’on puisse dire – dans un carcan budgétaire et politique bien suranné. La commission mixte paritaire a en effet matérialisé son échec dans la production d’un rapport succinct et frustrant, qui laisse le Gouvernement à sa conviction d’avoir agi au mieux sur le chemin de la réduction des déficits.
À la vérité, ce projet de loi est déjà caduc et déconnecté du bouillonnement de revendications et d’idées émergeant dans la société. Il conviendrait de le réécrire de fond en comble pour l’adapter à la situation concrète du pays et des Français.
En effet, nous avons assisté à l’irruption, lors de l’examen de ce projet de budget, d’une partie importante de la société, du monde du travail, des agents et des usagers des services publics, des chercheurs, des retraités, des assurés sociaux, des étudiants, des lycéens, des artisans, des salariés privés d’emploi, bref, d’une démocratie sociale. Tous disent, chacun avec ses mots : « Ça suffit ! », « Assez d’injustice sociale ! », « Assez d’injustice fiscale ! », « Le monde que vous nous promettez, celui d’un ruissellement qui ne viendra jamais, n’est pas le nôtre ! »
Oui, les Français commencent à envisager leurs activités sociales autrement que comme un coût et pointent les contradictions entre les sacrifices qu’on leur impose depuis des décennies et l’accumulation indécente de richesses. Ils ont compris que la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, la gabegie encouragée de l’évasion fiscale, la baisse de l’impôt sur les sociétés ou encore les facilités fiscales accordées aux actionnaires ne créaient ni l’emploi de demain, ni même celui d’après-demain. Ils dénoncent l’effacement dramatique des services publics et soulignent, avec nombre de leurs élus locaux, la folie que constitue le dogme de la baisse ininterrompue des dépenses publiques utiles – ces élus locaux que vous considérez non comme des « premiers de cordée », mais comme des « premiers de corvée ». (M. Éric Bocquet rit.)
Enfin, et c’est assez inédit, ces Français ne culpabilisent pas de réclamer leur dû sur leur fiche de paie et osent revendiquer une augmentation de leur pouvoir d’achat. Dois-je vous dire que notre groupe se sent « à l’aise dans ses baskets » (Sourires.) et y voit toutes les raisons d’encourager un renforcement de la souveraineté populaire et de sa représentation, plutôt qu’un présidentialisme sans limites ?
Dois-je rappeler, à l’aune de ces aspirations, notre groupe a contribué, avec ses amendements et ses votes, à leur traduction dans ce projet de loi de finances pour 2019 ?
Pour nous, en effet, la logique des droits humains, économiques, sociaux, politiques ou culturels, collectifs ou individuels, doit primer sur la rentabilité financière et sur la prétendue domination idéologique de quelques-uns.
C’est bien le sens des propositions transformatrices que nous aurions encore souhaité promouvoir en nouvelle lecture. Et nous en avons de nombreuses ! Pour baisser le coût de la vie de nos concitoyens tout en répondant à l’urgence climatique, à l’heure où la COP24 est loin de répondre à ce défi, ne vous contentez pas d’un chèque énergie, monsieur le secrétaire d’État, et mettez par exemple en place un plan d’urgence pour la rénovation des logements, qui sont de véritables passoires thermiques. Instaurez une baisse de la TVA sur les factures EDF et GDF, dont les tarifs n’arrêtent pas de flamber. Cessez de plomber les budgets des collectivités territoriales qui innovent et répondent aux besoins des populations, par exemple en finançant les cartes de transport des jeunes ou des précaires, voire en instaurant la gratuité de leurs transports collectifs.
M. Vincent Delahaye. Avec quel argent ?
M. Pascal Savoldelli. Au lieu de cela, vous nous inventez des mesurettes, en décalage complet avec l’urgence sociale et qui ne changent rien à l’ornière dans laquelle nous enfonce votre politique.
Vous épargnez soigneusement les plus fortunés. Vous refusez de rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune, d’élargir l’assiette de l’impôt sur le revenu. Vous matraquez fiscalement les salariés, en repoussant notre proposition d’améliorer la progressivité de l’impôt sur le revenu par l’ajout de tranches aujourd’hui manquantes, comme vous matraquez les retraités dont beaucoup sont devenus imposables, alors que leurs revenus n’avaient pourtant pas connu de progression.
Qui plus est, s’agissant de la fiscalité des entreprises comme des prélèvements sociaux les concernant, vous renoncez à sortir de cette solidarité fiscale à l’envers, qui fait payer plus les petites entreprises et moins les entreprises les plus importantes.
En effet, ce sont les grands groupes qui tirent pleinement parti des effets du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, du régime des groupes, de la consolidation des résultats, de l’optimisation du crédit d’impôt recherche, du suramortissement des équipements : toutes mesures qui auront surtout soutenu les profits et les dividendes.
Ce sont ces groupes qui ont la main sur le magot des 165 milliards d’euros d’exonérations et dégrèvements accordés aux entreprises. Notre proposition de réforme fiscale vise clairement à inverser l’ordre des priorités et à combiner justice sociale et efficacité économique.
La motion tendant à opposer la question préalable déposée par le rapporteur général dispense la majorité sénatoriale de s’expliquer sur ses orientations,…
M. Vincent Delahaye. On l’a déjà fait !
M. Pascal Savoldelli. … matérialisées par des propositions que nous avons combattues sur de nombreux points.
Elle évite aussi au Gouvernement de s’expliquer sur ses choix, bien sagement assumés par sa majorité à l’Assemblée nationale, lesquels ne passeront pas sous le tapis avec le projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales, dont nous avons vu l’ampleur et dont nous discuterons vendredi prochain.
Ce projet de loi de finances reste un exemple de fiscalité indirecte punitive, avec un niveau de TVA jamais atteint, des taxes sur les carburants de plus en plus lourdes, partagées pour financer des politiques sociales, et une fiscalité écologique qui commence à prendre du volume, utilisée qu’elle est en remplacement d’autres prélèvements fondés sur d’autres assiettes.
Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, nous ne voterons pas ce projet de finances pour 2019. Sur la motion tendant à opposer la question préalable, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Claude Raynal. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous nous retrouvons pour examiner en nouvelle lecture le projet de loi de finances pour 2019, après une commission mixte paritaire non conclusive. C’est l’occasion de constater une amorce de changement d’attitude du Gouvernement et de l’Assemblée nationale vis-à-vis des apports du Sénat. Encore quelques efforts, et la navette parlementaire rejouera parfaitement son rôle. Pour l’instant, malheureusement, quelques détricotages de nos textes persistent.
Le meilleur exemple est celui de la lutte contre la fraude fiscale, à la suite du scandale des « CumEx », qui permet d’éviter l’imposition sur les dividendes, voire d’engranger des bénéfices indus ! Six groupes du Sénat, à la suite d’un travail de grande qualité conduit par notre commission des finances, ont déposé chacun un amendement visant à pallier les déficiences de la législation actuelle. Ces amendements ont fait l’objet d’un vote unanime, incluant les membres du groupe de la majorité présidentielle. Pour autant, le Gouvernement a fait le choix, en faisant proposer cette mesure par sa majorité à l’Assemblée nationale, de dénaturer complètement ce dispositif et, en pratique, de réduire sa portée contre des pratiques d’optimisation fiscale choquantes sur le plan éthique et coûteuses pour les finances de l’État.
Ces demi-mesures permanentes sont incompréhensibles, a fortiori aujourd’hui où s’exprime une demande forte de justice sociale. Elles témoignent à tout le moins d’un manque de considération du Parlement et de l’incapacité du Gouvernement à entendre les revendications des Françaises et des Français.
Il n’y a qu’en matière de fiscalité environnementale, où le Sénat a voté à l’unanimité, quoique sans doute sur la base d’arguments différents selon les groupes, un amendement visant à supprimer l’augmentation des taxes sur le carburant, que le Gouvernement s’est finalement – et trop tardivement – rangé aux arguments de notre assemblée.
M. Roland Courteau. Oui, tardivement !
M. Claude Raynal. Cette nouvelle lecture est aussi l’occasion d’évoquer le sort de plusieurs propositions qui ont été défendues durant les débats parlementaires par le groupe socialiste et républicain du Sénat, hier dénigrées, aujourd’hui reprises par le Gouvernement, ce qui est tout de même assez cocasse.
Ainsi, nous avons été suivis par le Gouvernement sur la suppression de l’augmentation des taxes sur le gazole non routier, alors que la majorité sénatoriale s’est curieusement opposée à notre amendement, préférant voter un étalement dans le temps de cette mesure, décision de nature à mettre en péril nombre d’entreprises.
Nous avons estimé très tôt que l’élargissement de la « niche Copé » constituait un signal politique regrettable et accentuait une politique contribuant activement à des pratiques d’optimisation fiscale. Après avoir rejeté nos argumentations et notre amendement, le Gouvernement a fait marche arrière et a fini par entendre raison, à la suite d’un amendement déposé bien évidemment par sa majorité à l’Assemblée nationale. J’en profite pour souligner que, alors que la majorité sénatoriale a, comme d’habitude, voté sans sourciller cette mesure libérale sans en connaître le coût, il aura fallu attendre qu’elle soit supprimée pour que son montant soit dévoilé : 200 millions d’euros tout de même !
Tant que vous y êtes, monsieur le secrétaire d’État, vous auriez pu en profiter pour supprimer, comme nous vous l’avions demandé, l’article modifiant l’exit tax, taxe dont l’objet est non le rendement, mais le blocage d’une possible optimisation fiscale.
Autre exemple : la semaine dernière, nous demandions qu’une partie du coût des mesures proposées par le Président de la République soit prise en charge par les très grandes entreprises de notre pays, sans que la majorité sénatoriale pipe mot. C’est chose faite pour les entreprises de plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires, pour un montant de 1,8 milliard d’euros. Ce premier pas doit être poursuivi à l’avenir.
Sur le sujet de la baisse de la taxation des entreprises, il faudra bien un jour mettre un terme à ce dumping fiscal, qui, de baisse en baisse et au nom d’une compétitivité toujours revendiquée, nous conduit inexorablement vers une taxation zéro à terme et à un transfert massif vers la taxation des revenus salariaux.
Par ailleurs, la taxation des GAFA a fait l’objet d’annonces très récentes du ministre de l’économie et des finances. Cela fait maintenant plusieurs années que nous défendons cette idée – comme l’ensemble de la commission des finances, du reste – et nous ne pouvons qu’être satisfaits de sa reprise, certes tardive, par le Gouvernement, sans attendre une éventuelle réglementation européenne, même si nous l’espérons.
De la même manière – et bien que ce ne soit pas directement l’objet du présent projet de loi de finances –, je note que le Gouvernement a fait le choix de reprendre, au moins partiellement, plusieurs des propositions que les socialistes avaient déposées, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, en matière de pouvoir d’achat. Ainsi en est-il du relèvement à 2 000 euros du seuil pour l’augmentation de la CSG et de l’augmentation immédiate de la prime d’activité : autant de mesures, hier négligées, aujourd’hui partiellement, mais insuffisamment, mises en œuvre.
Il aura fallu une crise politique majeure pour que le Gouvernement ouvre enfin les yeux et revienne sur certaines des mesures annoncées en écoutant quelques-unes de nos propositions. Nous le regrettons, car cela discrédite globalement l’action publique et la vie politique dont nous avons collectivement la responsabilité.
Il vous appartiendra, monsieur le secrétaire d’État, de veiller au respect de la parole donnée. À ce stade, nous avons encore quelques doutes sur ce point, mais vous serez jugé sur vos actes, c’est là le principe même de la démocratie.
L’incroyable improvisation d’hier sur le chèque énergie – annulation le matin, réintégration l’après-midi – ne rassure pas sur ce point.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Claude Raynal. Bien entendu, ce projet de loi de finances pour 2019 n’est plus en lien avec vos engagements en matière de trajectoire budgétaire.
Nous notons que les mesures seront, pour une part significative, financées par des diminutions de dépenses sur des missions qu’il serait opportun, dans un souci de transparence, d’indiquer au plus vite.
À ce titre, n’aurait-on pas pu demander plutôt un effort supplémentaire aux grands groupes ? L’année dernière, vous n’aviez pas hésité à prélever 5 milliards d’euros, et non 1,8 milliard d’euros comme aujourd’hui, au titre du remboursement de la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés. Je note d’ailleurs le soulagement exprimé dans la presse par le président du MEDEF au regard de la demande formulée. Quel article extraordinaire !
Nous notons enfin que vous ne traitez à aucun moment de la problématique de la justice fiscale, qui est pourtant l’un des piliers des revendications actuelles.
Nous rappelons que les groupes socialistes du Sénat et de l’Assemblée nationale déposeront très prochainement une proposition de loi référendaire portant sur le rétablissement de l’impôt sur la fortune. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Chers collègues de la majorité sénatoriale, je tiens à redire ici que la suppression de cet impôt sur le patrimoine mobilier, que vous avez pourtant en son temps largement salué, est indiscutablement à l’origine de ce sentiment d’injustice fiscale que vous n’hésitez pas vous-mêmes aujourd’hui à dénoncer, faisant de chacun de vous une espèce de pompier pyromane. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roland Courteau. Bien vu !
M. Claude Raynal. Et encore, s’il vous avait écouté, le Gouvernement aurait aussi supprimé l’impôt sur la fortune immobilière !
Un rééquilibrage de l’imposition en France est pourtant nécessaire pour rétablir un réel consentement à l’impôt.
La question n’est pas tant celle du niveau des prélèvements obligatoires,…
M. Roger Karoutchi. Si !
M. Claude Raynal. … qui servent – faut-il le rappeler en ces temps de doute sur le sens de l’action publique ? – à financer l’ensemble de nos services publics au bénéfice de tous, que celle de la juste contribution. L’impôt doit être réparti entre tous les citoyens « en raison de leurs facultés ». Cet extrait de l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prend aujourd’hui tout son sens.
Chers collègues de la majorité sénatoriale,…
M. Loïc Hervé. C’est la distribution des bons points ! (Sourires.)
M. Claude Raynal. … face à vos erreurs passées (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.),…
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Claude Raynal. … je voudrais vous offrir une chance de rédemption. (Mêmes mouvements.)
M. Roger Karoutchi. Ah oui ?
M. Laurent Duplomb. Mécréant !
M. Claude Raynal. Écoutez ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Je vous propose de cosigner avec notre groupe la proposition de loi référendaire portant sur le rétablissement de l’impôt sur la fortune. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Bravo ! Très bonne idée !
M. Roger Karoutchi. Vous avez l’éternité devant vous !
M. Claude Raynal. … nous sommes toujours fermement opposés à ce projet de loi de finances, malgré l’intégration partielle de plusieurs de nos suggestions.
Je sais, monsieur le secrétaire d’État, selon le verbatim d’aujourd’hui, que ce n’est sans doute ni « subtil » ni « intelligent ».
M. Roger Karoutchi. Il faut finir !
M. Claude Raynal. Mon groupe ne s’opposera pas à la motion tendant à opposer la question préalable. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, disons d’emblée les choses clairement : l’adoption plus que probable de la motion tendant à opposer la question préalable sur ce projet de loi de finances, qui entraînera le rejet du texte, est davantage dictée par des impératifs d’agenda, l’Assemblée nationale ayant elle-même achevé ses travaux vers six heures ce matin, que par des considérations strictement politiques. Mon groupe le regrette profondément, car, encore une fois, le Sénat ne pourra pas exercer jusqu’au bout ses prérogatives de législateur, a fortiori dans le contexte social que nous connaissons.
Il faudra tout de même un jour sérieusement s’interroger sur les conditions parfois ubuesques dans lesquelles le Parlement débat et vote la loi. Sauf à tout faire pour multiplier les malfaçons législatives, il n’est pas raisonnable que nous légiférions sur des sujets graves et sérieux à des heures aussi tardives. Chaque année, mon groupe ne peut que se désoler de ces conditions d’examen du projet de budget, qui nous obligent à survoler des sujets complexes tant par leur multiplicité que par leur technicité.
Quoi qu’il en soit, après plus de 2 000 amendements déposés en première lecture et à nouveau 1 200 hier à l’Assemblée nationale, le Sénat devrait faire preuve d’une grande diligence, au milieu d’un ordre du jour sans cesse modifié.
Nous ne pouvons non plus abstraire notre discussion d’aujourd’hui de l’examen, vendredi, du projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales. Je veux le redire : la crise que traverse notre pays n’est pas qu’une simple saute d’humeur, elle est l’expression d’un mal plus profond, enkysté depuis plusieurs décennies, qui s’est développé au gré de gouvernements successifs.
Le refus massif de la hausse des prix des carburants n’a été qu’un symbole et qu’un symptôme. Ce que beaucoup de nos concitoyens interrogent aujourd’hui, c’est bien notre pacte social.
Bien sûr, l’ordre républicain a été rétabli après les dérapages et violences inacceptables qui ont connu leur paroxysme le 8 décembre dernier. Nous nous en réjouissons – je l’ai exprimé à plusieurs reprises –, même s’il ne s’agit que d’un préalable.
L’intervention du Président de la République a apporté des réponses concrètes à l’urgence politique et sociale, même si les annonces doivent encore se transformer en actes. Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement veillera fermement à ce que les décisions du Président de la République soient traduites dans la loi ! Oui, la loi est l’expression de la volonté générale et la haute administration n’en a certainement pas le monopole : la technocratie après le politique, et pas avant !
Finalement, ce projet de loi de finances a de fortes chances d’être modifié son encre à peine sèche. Le grand débat annoncé par le chef de l’État pour le début de l’année 2019 apportera son lot de propositions et d’innovations, sous l’égide de la Commission nationale du débat public. Je souhaite que les élus y prennent toute leur part, dans la mesure où ils sont les meilleurs connaisseurs des réalités du terrain, nous le savons bien ici, au Sénat.
De façon plus pragmatique, le texte qui nous intéresse aujourd’hui n’a évidemment plus rien à voir avec celui qu’a imaginé à la fin du mois de septembre dernier le Gouvernement.