M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La commission est favorable à cet amendement, qui vise à tirer les conséquences des votes précédents.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Ce que nous venons de vivre montre combien la situation est grave sur le plan politique.
Ne nous étonnons pas qu’il y ait une crise de la politique dans notre pays. Nous sommes dans la confusion la plus totale ! Quel manque de respect à l’encontre de nos concitoyens et des parlementaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains)
Le ministre nous dit qu’il s’agit d’une augmentation non pas du SMIC, mais d’une prestation sociale. Le Premier ministre – parce que l’« autre » l’appelle pour lui dire que ceux qui gagnent le SMIC ne vont pas toucher 100 euros de plus par mois ! – dit aux députés que tous les gens au SMIC gagneront 100 euros par mois…
C’est grave, car les smicards doivent être aussi traités avec respect ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.) Et les parlementaires aussi ! (Mêmes mouvements.)
Franchement, avoir un tel débat, entretenir une telle confusion quand il y a une telle souffrance est honteux ! Ce n’est pas une question d’étiquette politique. L’augmentation d’une prestation sociale régie par le revenu fiscal, par la composition des familles et par l’allocation logement, comme cela a été parfaitement souligné, ce n’est pas une augmentation salariale assise sur le travail ! On est en train de tuer la politique en agissant ainsi : c’est honteux !
Au Gouvernement, c’est la cacophonie ! Vous commencez à comprendre que les Français sont en train de se mobiliser, de retrouver confiance dans leur capacité à faire de la finance et de l’économie et à choisir la société dans laquelle ils veulent vivre ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 38, modifié.
(L’article 38 est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de passer au vote sur l’ensemble du texte, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote.
J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe. (Murmures sur de nombreuses travées.)
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour mettre un peu d’humour dans une actualité qui ne porte pas à sourire, souvenez-vous de cette déclaration fiscale présentée sous forme musicale (Exclamations sur de nombreuses travées.) :
« On est là pour te pomper,
« T’imposer sans répit et sans repos.
« Pour te sucer ton flouze,
« Ton oseille, ton pognon, (Mêmes mouvements.)
« Ton pèze, ton fric,
« Ton blé, tes économies, tes sous,
« Ton salaire, tes bénéfs,
« Tes bas de laine,
« Tout c’qui traîne.
« C’que tu as sué de ton front,
« On te le sucera jusqu’au fond !
« Nous sommes Urssaf, Cancras et Carbalas,
« Qui que tu sois, quoi que tu fasses,
« Faut qu’tu craches, faut qu’tu payes,
« Pas possible que t’en réchappes,
« Nous sommes les frères qui rappent tout ! »
Cela date de 1991 et n’a pas pris une ride ; c’est même terriblement d’actualité. Leurs adeptes auront reconnu l’une des plus belles et pertinentes créations d’un célèbre trio de comiques. Aujourd’hui, cette chanson, cette réalité d’hyper-fiscalité, ne fait plus rire personne.
Avec 9 millions de pauvres, des centaines de milliers de nos compatriotes dans la rue depuis des semaines, vêtus de leur gilet de détresse, l’heure est grave pour notre pays. Elle l’est d’autant plus que le Président de la République a confirmé hier soir, dans son allocution solennelle, qu’il ne remettait pas en cause son système ultralibéral ni la mondialisation sauvage qui fabriquent chaque jour davantage de pauvres et toujours plus d’exclus.
Alors que l’urgence est de répondre à la souffrance de millions de nos compatriotes, je voudrais souligner combien une mesure de ce projet de loi de finances version « Haute Assemblée » montre qu’Emmanuel Macron peut compter sur l’appui de la majorité sénatoriale pour servir les intérêts de quelques-uns, de quelques amis influents, au détriment du plus grand nombre.
Pendant que les « gilets jaunes » battaient le pavé, le Sénat et sa majorité, à savoir le groupe Les Républicains, ont en effet introduit des modifications dans ce PLF pour exonérer d’impôts non pas les classes moyennes, ni même les smicards, mais les grands médias.
Ce sont 50 millions d’euros qui ne rentreront plus dans les caisses de l’État ; ce sont 50 millions d’euros volés dans la poche des Français !
Cette exonération de taxes pour les grands médias audiovisuels était-elle à ce point urgente et si justifiée ? Elle confirme néanmoins que vos grandes déclarations ne sont que des postures et nous rappelle que, lorsque la droite était au pouvoir, rien n’a été fait pour baisser la dépense publique, rien n’a été fait pour retrouver notre souveraineté budgétaire ni pour baisser la fiscalité.
Chez Les Républicains, à l’image de M. Wauquiez et de son gilet jaune, on est frappé d’amnésie sélective.
Au lieu d’insuffler l’espoir en l’avenir et de laisser entrevoir un horizon d’optimisme français, tous les partis politiques ont préféré faire de 2019 l’année du racket fiscal et du « pire qu’avant ».
Preuve en est, hier, une heure avant l’intervention du chef de l’État, le vote du Sénat sur l’allégement de l’exit tax, qui sanctionnait les exilés fiscaux.
Ce projet de loi de finances est donc loin de rétablir la justice fiscale et sociale.
M. le président. Il faut conclure, monsieur Ravier.
M. Stéphane Ravier. Par conséquent, je voterai contre ce texte.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Jérôme Bascher applaudit également.)
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais revenir sur le contexte, le contenu et les perspectives qu’ouvre ce débat budgétaire au Sénat.
Vous en conviendrez, monsieur le ministre, ce débat s’est déroulé dans un drôle de contexte : un climat de révolte comme nous n’en avions plus connu depuis mai 68.
Votre budget initial, comme celui de l’an dernier, était le reflet d’une politique qui n’est aujourd’hui pas comprise par une grande majorité de nos compatriotes, celle qui s’exprime bruyamment et parfois – malheureusement – violemment.
Elle n’est pas comprise non plus par ceux qui s’expriment moins, mais qui doivent avoir toute notre attention : les chômeurs et les plus pauvres.
Les Français ont des problèmes de pouvoir d’achat. Nous avons, et depuis longtemps, des problèmes budgétaires. Ces deux séries de problèmes sont liées.
En ce qui concerne le contexte, l’examen du budget aura malheureusement été marqué, une fois encore, par le manque d’informations données au Parlement. Nous venons d’en avoir une preuve supplémentaire au travers de cette seconde délibération de dernière minute. On ne peut reprocher au Gouvernement de vouloir appliquer les décisions du Président de la République, mais au moins faudrait-il de la clarté : vous nous dites qu’il n’y aura pas de dépenses supplémentaires, et nous votons une dépense supplémentaire.
Nous aimerions savoir comment ces mesures seront financées, mais nous n’avons pas d’informations. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Ce contexte, c’est aussi un mutisme quasi total de Bercy en matière de chiffrage de nos propositions. En nous obligeant, la plupart du temps, à amender au doigt mouillé, le Gouvernement s’offre des arguments faciles pour s’opposer à nos suggestions.
Ce fut notamment le cas lorsque nous avons proposé de réformer en profondeur l’impôt sur le revenu ou encore les droits de succession. À défaut d’informations, nos marges de manœuvre sont très limitées.
Pourtant, si nous manquons d’informations et de moyens, notre sens de l’initiative, lui, ne manque pas de ressources.
Le Gouvernement aurait été bien avisé de s’inspirer des travaux de tous nos collègues. Le travail réalisé ici est de qualité. Utilisez-le, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Arnaud Bazin applaudit également.)
Nous avons ainsi réussi à améliorer sensiblement ce budget, malgré votre opposition quasi systématique. Laissez-moi vous donner quelques exemples : suppression des petites taxes : avis défavorable du Gouvernement ; relèvement du quotient familial : avis défavorable ; simplification de l’impôt sur les plus-values immobilières : avis défavorable ; facilitation de la transmission d’entreprises : avis défavorable ; économies sur le temps de travail et les jours de carence dans la fonction publique : avis défavorable ; gel de la fiscalité sur les carburants : avis défavorable (Sourires.), avant que vous ne finissiez – bien tard, malheureusement – par revenir dessus ; lutte contre l’arbitrage des dividendes : enfin un avis de sagesse, mais il est vrai que cette mesure peut rapporter entre 1 milliard et 3 milliards d’euros.
Nous avons décidé très tôt, ici, au Sénat, de supprimer la hausse des taxes sur les carburants. À un moment où le Gouvernement s’entêtait encore, malgré la colère des Français.
Si nous l’avons fait, c’est parce que notre expérience d’élus locaux et notre connaissance du terrain nous ont convaincus que les Français n’en peuvent plus du toujours plus d’impôts.
Ce que nous apprend notre expérience d’élus locaux, nous qui avons vécu et géré des revendications et des conflits, c’est qu’un incendie, ça s’éteint dès le début et le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
L’expérience, monsieur le ministre, c’est irremplaçable.
Après les annonces du Président de la République, on pourrait considérer que votre budget est devenu, de facto, insincère et ne pas le voter.
Toutefois, le groupe Union Centriste entend saluer le sens de l’anticipation et la sagesse du Sénat. Nous voterons donc pour ce budget largement amélioré par notre assemblée.
J’ai abordé le contexte et le contenu, voyons maintenant les perspectives. Que faut-il faire aujourd’hui ?
Votre budget ne prévoit ni baisse des dépenses ni refonte globale de notre fiscalité. Or, s’il est une leçon que nous apprennent les quarante dernières années, c’est que plus de dépenses, c’est forcément plus d’impôts.
C’est bien ce qui est inquiétant dans les annonces du Président de la République, qui viennent s’ajouter à celles du Premier ministre : 12 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, ce sont forcément 12 milliards d’euros d’impôts supplémentaires à court terme.
Certes, il est quelque peu injuste d’hériter de quarante années de laxisme budgétaire. La seule chose que nous n’ayons jamais essayée durant toute cette période, c’est la baisse de la dépense publique. (M. Philippe Bonnecarrère applaudit.)
Si elle est bien évidemment rarement populaire, cette baisse est nécessaire. Indispensable, même. Elle nécessite une démarche juste, équilibrée, courageuse, à laquelle nous sommes prêts.
Depuis 2006, la dépense publique a augmenté de 300 milliards d’euros. Une paille ! Elle augmente beaucoup plus que la population et l’inflation cumulées. Pourtant, les Français ont le sentiment que le service public se dégrade. C’est un paradoxe très grave pour la démocratie : on dépense de plus en plus et les services publics sont perçus comme de moins en moins performants.
Il est grand temps d’inventer le service public du XXIe siècle : plus modeste, plus moderne, plus efficace et moins coûteux.
Aujourd’hui, les efforts de réduction ne sont toujours pas au rendez-vous. Pire, les dépenses continuent de croître, à hauteur de 6 milliards d’euros dans ce projet de budget, et vingt missions sur trente sont en augmentation.
En ce qui concerne les recettes, il est temps de s’attaquer au scandale des GAFA et d’autres entreprises qui paient très peu d’impôts, si ce n’est pas du tout. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
En la matière, la France doit reprendre la main si l’Europe continue de traîner autant les pieds.
Et que dire du nécessaire renforcement de la lutte contre la fraude fiscale et sociale ? C’est une question à laquelle nous sommes très attachés ici, au Sénat. En témoigne l’initiative du groupe Union Centriste contre les fausses inscriptions au répertoire de l’INSEE – 1,8 million de faux numéros ! –, portée par notre collègue Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
En tout cas, le Gouvernement n’a pas mis à profit l’embellie de la conjoncture pour assainir nos finances. Monsieur le ministre, l’heure est grave, mais il n’est pas encore trop tard si nous refusons de tomber dans la facilité en opposant les ruraux aux urbains, les retraités aux actifs, les héritiers aux non-héritiers, les collectivités à l’État.
Nous devons, au contraire, faire le choix de la responsabilité et du courage, en déterminant collectivement les dépenses que nous sommes prêts à baisser, et en accepter les conséquences.
Cette démarche ne pourra aboutir que si l’on y associe l’ensemble des Français, en particulier les corps intermédiaires, tant négligés depuis le début du quinquennat.
Monsieur le ministre, vous avez devant vous des élus de bonne volonté, des élus de la République, des représentants du peuple, et non pas seulement des collectivités.
Sur toutes les travées, dans notre diversité qui est celle du peuple français, notre travail est reconnu comme étant de qualité.
Mon message est simple : écoutez-nous ; travaillons ensemble pour les Français et pour la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous terminons l’examen du deuxième projet de loi de finances du quinquennat dans un contexte difficile, qui tranche sensiblement avec la situation de l’année dernière.
Le Président de la République s’est exprimé hier soir. Il a annoncé des mesures fortes en faveur des salariés et des retraités les plus modestes, qui rendent la poursuite des violences encore plus inacceptable.
Ceux qui appellent à les prolonger sont non seulement irresponsables, mais aussi incohérents. Ils mentent aux Français. Comment expliquer « en même temps » que la suppression de 5 euros d’APL est une catastrophe – c’est sans doute vrai pour un grand nombre de bénéficiaires – et critiquer la hausse, jugée insuffisante, de 100 euros de la prime d’activité ? Où est la cohérence ? Mes chers collègues, il faut maintenant cesser la surenchère.
Dans ce contexte de crise politique et sociale, le risque serait dorénavant de revoir nos ambitions à la baisse, de faire l’autruche, de faire comme nous avons toujours fait, à savoir augmenter les dépenses et les impôts.
Au contraire, nous croyons que le temps des vieilles recettes est révolu et qu’il faut faire preuve de responsabilité. C’est valable pour les « gilets jaunes », pour les parlementaires et pour le Gouvernement.
La responsabilité du Gouvernement est double. Il doit d’abord répondre concrètement à la colère légitime qui s’exprime dans le pays, et l’écouter avec « lucidité », pour reprendre le terme employé par le Premier ministre, ici, au Sénat, la semaine dernière. Hier, le Président de la République a fait preuve de lucidité face au déclassement social d’une partie de nos concitoyens et à l’érosion continue de leur pouvoir d’achat depuis plus de vingt ans.
Mais le mal est plus profond. C’est de l’essoufflement du « modèle français » qu’il est question. Ce modèle rime aujourd’hui avec un État obèse, des services publics de plus en plus éloignés et une hausse des inégalités.
Pour répondre à cette détresse, le Sénat a fait plusieurs propositions lors de l’examen de ce budget, en direction des personnes modestes et des petites entreprises : gel de la hausse de la TICPE, aménagement de la réforme de la fiscalité du gazole non routier – même si le groupe Les Indépendants aurait souhaité aller encore plus loin sur ce sujet –, et lutte contre la fraude fiscale.
Nous sommes heureux que le Gouvernement ait saisi la main qui lui était tendue sur certains de ces sujets, notamment pour ce qui concerne les taxes énergétiques.
Mais nous entendons aussi, tout particulièrement au sein de notre assemblée, une autre colère, celle des élus locaux, des élus ruraux, qui se sentent trop souvent ignorés par l’État. Ils sont au plus près des citoyens, ils leur ont ouvert leurs portes ces derniers jours, comme à leur habitude, pour comprendre leurs inquiétudes.
Monsieur le ministre, ces élus ne demandent qu’une chose : les moyens d’agir. Le Sénat, là encore, a sensiblement amélioré le texte du Gouvernement s’agissant des collectivités territoriales, pour mieux prendre en compte les spécificités locales.
Il faut que le Gouvernement travaille avec les élus locaux dans les prochaines semaines : ils sont l’une des clés de la sortie de crise, car ils forment l’ossature de la République.
L’autre responsabilité du Gouvernement, c’est d’engager l’indispensable refonte de la dépense publique et de la fiscalité de notre pays. Les annonces du Président de la République doivent maintenant être financées. Mais il serait insupportable et incompréhensible pour les Français que cela se fasse au prix de plus d’impôt et de plus de dette.
Le président Malhuret, rappelant ce qui se passe depuis trente ans, l’a dit la semaine dernière à cette tribune : « Nous n’avons pas réformé, alors que tous les autres autour de nous se réformaient. En punition, nous avons eu le pire des deux mondes : plus de dépenses publiques et moins de services publics ; plus de dette et moins de justice ; plus de mots et moins d’actes. » Aujourd’hui, monsieur le ministre, il vous incombe de faire les réformes que tous les autres ont mises sous le tapis : repenser les mesures fiscales punitives et complexes héritées des quinquennats précédents ; évaluer – enfin ! – la dépense publique pour supprimer les programmes inefficaces ; réduire la dette et donner des perspectives d’avenir à nos concitoyens.
Les événements nous mettent au pied du mur. Allons-nous sortir de cette crise, comme de tant d’autres auparavant, avec un rafistolage qui ne changera rien, ou bien profiterons-nous de cet électrochoc pour résoudre le mal français ?
Nous l’avions dit lors de la discussion générale : ce budget est trop timide pour sortir la France de l’ornière. Il est d’ailleurs déjà caduc. Il est aujourd’hui de votre responsabilité, monsieur le ministre, de changer de cap.
Mais la responsabilité de la représentation nationale, particulièrement du Sénat, n’est pas moins grande, la dégradation du climat social étant propice à la démagogie, aux postures et au jusqu’au-boutisme. L’année dernière, en choisissant Emmanuel Macron plutôt que Marine Le Pen, les Français avaient envoyé à la classe politique un message de modération, d’apaisement des antagonismes et de préférence pour les propositions constructives. Cela n’était pas pour déplaire au Sénat, qui, sous l’égide de son président actuel, pratique largement ces vertus.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Emmanuel Capus. C’était également la raison d’être de notre groupe.
Aujourd’hui, alors que la crise gronde, souvenons-nous de cet appel. En temps de crise, la modération est un courage et un effort, dont nous devons nous montrer dignes. En ces temps difficiles, soyons force de proposition pour sortir notre pays de l’ornière dans laquelle il est bloqué depuis trente ans.
Monsieur le ministre, nous voterons ce projet de loi de finances, à la condition qu’il soit la première étape d’une refondation plus large du modèle français. C’est une nécessité politique et sociale. Nous sommes prêts à participer aux concertations qui auront lieu dans les prochains mois pour réformer vraiment notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre – je suis heureux de vous revoir ! (Sourires.) –, mes chers collègues, que retenir de nos débats sur ce projet de loi de finances pour 2019 ?
Un calendrier bouleversé jusqu’à la dernière minute – du jamais vu ! – par un mouvement social que n’ont senti venir ni le Président de la République ni le Gouvernement, enfermés dans leurs certitudes et souvent perçus comme méprisants par nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
L’année 2019 devait être celle du pouvoir d’achat. « C’est l’heure de la preuve, la preuve que nous tenons nos promesses », disiez-vous, monsieur le ministre de l’action et des comptes publics, en septembre dernier. Quelle puissance de conviction !
Mais de quelles promesses parliez-vous ? De l’augmentation de la CSG, même sur les petites retraites ? De la désindexation des pensions, rognées par l’inflation ? De la baisse des APL de 5 euros et de leur désindexation l’année suivante ? Du fait de prendre 1,5 milliard d’euros dans les poches des bailleurs sociaux ? De la suppression de l’APL accession dont bénéficiaient les plus modestes ? Du fait d’engranger, ni vu ni connu, sans vous soucier des conséquences, le produit de l’augmentation des taxes sur les carburants, le gaz et l’électricité votée par vos prédécesseurs ?
Rien de tout cela ne figurait dans le programme du Président de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains applaudit également.) Vous parliez pouvoir d’achat, mais vous repreniez d’une main ce que vous donniez de l’autre. Les grands perdants sont toujours les mêmes, à savoir les classes moyennes actives ou retraitées. Pour elles, depuis dix-huit mois, c’est un bonneteau fiscal dont elles n’ont pas été dupes. (Mme Sophie Primas et M. Gérard Longuet applaudissent.)
Cette fracture fiscale se double d’une fracture territoriale pour celles et ceux qui n’ont d’autres choix que d’utiliser leur voiture au quotidien. Cette fracture-là, vous n’avez pas non plus voulu la voir.
M. Gérard Longuet. Et pourtant…
M. Philippe Dallier. Quant à l’ISF, autre sujet de controverse, vous l’avez partiellement supprimé, conservant cependant un impôt sur la fortune immobilière. Mais votre flat tax, sans mesure de réorientation des capitaux, s’est traduite par une désertion des dispositifs qui finançaient nos PME, au profit, comme d’habitude, de l’assurance vie et des emprunts d’État.
Vous avez ainsi perdu sur les deux tableaux : celui de l’opinion, car l’ISF est un totem, et celui de la capitalisation de nos entreprises.
Comment vous étonner que votre politique fiscale soit considérée comme injuste et inefficace par une grande majorité des Français ? En imaginant pouvoir confisquer, au profit du budget général de l’État, une grande partie des taxes dites « écologiques », vous avez de plus porté un coup à l’idée même de transition énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
La hausse des taxes sur les carburants a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la colère des Français. C’est leur consentement même à l’impôt, fondement de notre démocratie, que vous avez mis à mal. Tout cela en dix-huit mois : beau résultat !
Que n’avez-vous écouté le Sénat lorsque nous avons réindexé les retraites lors de l’examen du PLFSS ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)
Que n’avez-vous écouté le Sénat lorsque nous avons revalorisé le quotient familial et les prestations familiales ?
Que n’avez-vous écouté le Sénat lorsque nous avons voté l’annulation de la hausse des taxes sur les carburants ?
Que n’avez-vous écouté le Sénat lorsque nous avons, en première comme en seconde partie, tenté de vous alerter contre les effets calamiteux de votre politique du logement, qui est en train de plonger un secteur entier dans la crise ? (Mme Valérie Létard et M. Michel Savin applaudissent.)
Au lieu de cela, au moment du vote de la première partie de ce projet de loi de finances, vous avez fustigé l’irresponsabilité de la Haute Assemblée, accusée de creuser le déficit, avant même de voir quelles économies nous allions proposer.
M. Antoine Lefèvre. Eh oui !
M. Philippe Dallier. Depuis hier soir, vous avez bonne mine, monsieur le ministre ! Nous allons donc, exercice inédit, nous prononcer sur un PLF après avoir accepté de le modifier in extremis, pour aider à la sortie de crise. Par ailleurs, nous devrons examiner un PLFSS rectificatif dans les prochains jours.
Malgré tout, notre vote pour ce budget donnera à la majorité sénatoriale la satisfaction d’avoir montré la voie au Gouvernement sur bien des points.
L’important maintenant, c’est la suite, non seulement en 2019, mais aussi pour la trajectoire des finances publiques jusqu’en 2022.
Pour 2019, vous voilà donc devant un choix : tenir le déficit ou le laisser filer au-delà des 3 % du PIB, d’autant que la croissance risque manifestement de ne pas être au rendez-vous de vos attentes.
Si vous souhaitez tenir le déficit, il n’y a qu’une solution : baisser la dépense.
Là aussi, vous pourriez vous inspirer des votes intervenus au Sénat dans le cadre de la seconde partie de ce projet de loi de finances. Avec un peu de courage politique, vous trouveriez 2,8 milliards d’euros d’économies potentielles.
Faute d’avoir engagé, dès le début du quinquennat, les réformes structurelles nécessaires, il est malheureusement à craindre le retour du rabot budgétaire et le gel ou – pourquoi pas ? – le sur-gel des crédits votés. Quoi qu’il en soit, nous formons le vœu que ni le budget de nos forces armées ni celui de nos forces de sécurité ne figurent dans les variables d’ajustement budgétaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
Vous avez déjà, en PLFR, donné un coup de canif à la loi de programmation militaire. Nous devons maintenant sanctuariser ces deux budgets. C’est le minimum que nous devons aux hommes et aux femmes qui risquent leur vie pour défendre notre liberté, nos valeurs, notre République. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Quant à la trajectoire 2018-2022, elle est morte hier soir. Elle n’intégrait déjà pas la suppression complète de la taxe d’habitation, qui coûtera 10 milliards d’euros de plus. Il faut maintenant financer les annonces du Président de la République.
Dans un contexte de grande incertitude, où la remontée des taux d’intérêt devient chaque jour plus probable, nous ne pouvons pas abandonner l’objectif d’une inversion rapide de la courbe de la dette. Vous devez, monsieur le ministre, y apporter des réponses.
Le groupe Les Républicains votera ce projet de loi de finances modifié par le Sénat. Il rendra ainsi un grand service au Gouvernement, ne serait-ce que pour permettre à l’Assemblée nationale de maintenir l’annulation des taxes sur les carburants, de toucher à la prime d’activité et peut-être de confirmer d’autres mesures, notamment sur le logement, que nous avons adoptées.
Vous y trouverez aussi un dispositif de lutte contre la fraude fiscale en matière de taxation des dividendes, dont le rendement est estimé entre 1 milliard et 3 milliards d’euros.