M. Bernard Delcros. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, lors de la présentation de la loi de finances pour 2018, le Gouvernement a fixé des objectifs à court et moyen terme. Je voudrais à cet instant revenir sur plusieurs de ses engagements et les examiner au regard du projet de loi de finances pour 2019.
Sur l’assainissement de nos finances publiques, monsieur le secrétaire d’État, vous aviez fixé un cap pour la durée du quinquennat : moins 5 points de dette publique, moins 3 points de dépense publique, moins 1 point de prélèvements obligatoires.
Le projet de loi de finances pour 2019 s’inscrit bien dans cet objectif. Mais, une question se pose, me semble-t-il, malgré une amélioration réelle.
La prévision de déficit public pour 2019 est de 2,8 points de PIB, déficit qu’il faut relativiser au regard du reclassement de la dette de la SNCF, pour 0,1 point, et surtout de l’effet cumulé, pour la seule année 2019, de l’application du CICE et de la première année de mise en œuvre de l’allégement des charges pour 0,9 point.
Vous prévoyez une légère baisse du taux de prélèvements obligatoires, taux qu’il faut aussi ramener à sa juste valeur en le corrigeant du double effet du CICE et de la baisse des charges.
La dépense publique est, certes, réduite de 0,6 point de PIB, mais elle augmente en valeur absolue de 24 milliards d’euros. Sur celle-ci, il y aurait beaucoup à dire. Nombreux sont ceux qui considèrent qu’il faut la réduire davantage, mais il est plus facile de l’affirmer que de préciser les dépenses qu’il convient de réduire. Là aussi, il faut être cohérent et responsable.
Alors que le niveau d’endettement baisse, légèrement, de 0,1 point de PIB, mais augmente en valeur absolue de 67 milliards d’euros, et alors que s’assombrit le ciel conjoncturel, notamment avec le ralentissement de la croissance, pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État, pouvoir tenir le cap, atteindre les objectifs fixés et gagner ce pari difficile, mais nécessaire, du redressement de nos comptes publics ?
S’agissant de votre engagement à gagner le pari de l’emploi, après tant d’efforts sincères faits par les gouvernements successifs sans résultat probant, après tant de mesures qui n’ont pas abouti à mettre en échec le chômage de masse, vous avez souhaité ouvrir une nouvelle voie en faisant le pari de réussir à endiguer le chômage par une meilleure compétitivité de nos entreprises, l’allégement de leur fiscalité, l’allégement de la fiscalité du capital, la relance de l’investissement.
Cette année, vous prolongez cette ligne en concrétisant la bascule du CICE en allégements de charges, en poursuivant la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, en adaptant la fiscalité des petites et moyennes entreprises aux défis de la nouvelle économie et de la robotique, et également par la modernisation de la fiscalité agricole ou encore par la mise en œuvre du volet fiscal de la loi PACTE, qui devrait par exemple faciliter la transmission des petites et moyennes entreprises.
Comme je l’avais indiqué l’an passé, nous voulons bien vous accompagner sur cette nouvelle voie en faveur de l’emploi, là où tant d’autres politiques ont échoué, à condition qu’il y soit prévu des mesures concrètes pour réduire les inégalités, afin de ne pas fragiliser les plus démunis et de ne pas laisser certains territoires au bord de la route.
Nous continuons à penser que la réduction massive des contrats aidés ne relève pas d’une bonne stratégie, tant ils accompagnaient utilement les plus démunis et contribuaient à l’offre de services, notamment dans le secteur associatif.
Nous le savons bien, les effets de vos choix en matière d’emploi ne peuvent pas donner leur pleine mesure immédiatement, mais les résultats devront néanmoins être au rendez-vous d’une baisse significative et durable du chômage.
Quelles sont vos prévisions en la matière ? Quand verra-t-on, selon vous, les effets de vos choix politiques et, donc, une baisse du chômage en France ?
Autre sujet d’actualité, s’il en est : la transition énergétique. Celui-ci est trop important pour qu’on sombre dans le déni ou la démagogie. Nous sommes en train de détruire notre planète. Voilà la réalité ! Les conséquences, nous les connaissons et elles sont alarmantes. Peut-on continuer ainsi ? Peut-on expliquer à nos enfants que c’est l’héritage qu’on veut leur laisser ? Aucun d’entre nous ne le pense, et donc nous devons l’assumer en responsabilité : les énergies fossiles ne peuvent pas être l’avenir.
Nous devons donc réduire notre consommation d’énergies fossiles et accélérer le passage à d’autres sources d’énergie, accélérer aussi l’utilisation dans nos pratiques industrielles, agricoles et individuelles de produits respectueux de l’environnement et de la santé publique. Nous devons changer nos comportements.
Mais les mesures incitatives, les taxes incitatives, pour être acceptées, doivent être comprises ; pour être comprises, elles doivent être justes.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Et là, il y a un problème !
M. Bernard Delcros. Pour cela, il faut, premièrement, qu’il existe une solution de remplacement, et, deuxièmement, quand cette autre solution existe, qu’elle soit financièrement accessible pour tous. (M. Emmanuel Capus applaudit.) C’est bien le problème aujourd’hui : monsieur le secrétaire d’État, vous qui êtes élu d’un département en partie rural, comme le mien, dites-moi comment faire accepter une hausse de taxes incitative aux habitants des milieux ruraux lorsqu’ils n’ont pas d’offre alternative pour se déplacer ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.) Comment faire accepter une hausse du prix du fioul aux familles à revenus modestes, qui ne disposent pas des ressources suffisantes pour financer le changement de la chaudière au-delà du crédit d’impôt, certes significatif, mais qui ne couvre que 30 % de l’opération ?
Monsieur le secrétaire d’État, je le dis en responsabilité : nous devons garder l’objectif d’une accélération de la transition énergétique, il faut garder le cap, c’est notre responsabilité de l’expliquer, et rien ne serait plus irresponsable que de prétendre le contraire, mais, pour réussir, il faut accélérer la mise sur le marché de solutions alternatives, il faut renforcer les mesures d’accompagnement, il faut revoir la trajectoire de la hausse.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Emmanuel Capus. Tout à fait d’accord !
M. Bernard Delcros. Enfin, je voudrais évoquer rapidement deux autres sujets.
S’agissant de la fiscalité agricole, je tiens à saluer le travail qui a été mené en étroite collaboration avec la profession et un groupe de parlementaires auquel vous avez bien voulu m’associer. L’agriculture joue un rôle primordial dans l’économie de notre pays, et elle joue aussi, ne l’oublions jamais, un rôle majeur dans l’aménagement du territoire en faisant vivre la ruralité. Le dispositif d’épargne de précaution plus ouvert et plus souple, le relèvement du plafond pour faciliter la transmission des baux ruraux, la possibilité de revenir sur son choix de régime fiscal ou encore le maintien du régime du micro-BA, bien adapté aux exploitations de petite taille et très pratiqué en zone de montagne, sont autant d’avancées que je tiens à saluer.
S’agissant des collectivités locales, monsieur le secrétaire d’État, vous le savez pour avoir exercé des responsabilités en tant qu’élu local : les élus locaux ont besoin d’y voir clair, de tracer des perspectives. Et quand des décisions sont prises, ils attendent qu’elles soient justes !
Après une longue période de perturbations, avec la baisse importante de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, ou la réorganisation territoriale – certaines mesures étaient nécessaires, d’autres non –, il y avait besoin de stabilité et de lisibilité. Vous avez apporté dès 2018 cette stabilité, tant dans le montant des dotations que dans l’organisation territoriale. C’était nécessaire.
Pour 2019, le maintien de la DGF à son niveau de 2018, la hausse de la péréquation ou encore la réforme de la dotation d’intercommunalité, qui revient sur le dispositif injuste des catégories d’EPCI, vont dans le bon sens, de même que la péréquation à destination des départements ayant le plus de difficultés à faire face aux dépenses liées aux allocations individuelles de solidarité. Toutefois, la réduction des crédits affectés aux contrats de ruralité, à la prime à l’aménagement du territoire ou au Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, que vous connaissez bien, ne sont pas acceptables pour les territoires les plus fragiles : ce sont certes de petites sommes, mais avec des effets de levier importants. La commission des finances proposera de les relever.
Les modifications de périmètres consécutifs à la loi NOTRe et le changement de catégorie des intercommunalités ont considérablement impacté la répartition des dotations entre les collectivités – en particulier la DGF et le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC. Une remise à plat est aujourd’hui nécessaire et j’ai compris que le Gouvernement était prêt à engager ce chantier.
Enfin, nous suivrons avec la plus grande attention le projet de loi sur la réforme de la fiscalité locale, qui devrait être examiné au printemps prochain. La commission des finances a d’ores et déjà fait des propositions concrètes à ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. –M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je vais, comme l’an dernier, utiliser mon temps de parole pour évoquer la politique du logement du Gouvernement et ses conséquences, qui se dessinent maintenant très nettement, mais aussi pour parler de nos collectivités territoriales, acteur majeur du secteur.
À l’été dernier, monsieur le secrétaire d’État, les prévisions sur lesquelles vous vous êtes fondés pour construire ce budget paraissaient prudentes. Vous aviez d’ailleurs ramené votre prévision de croissance à 1,7 %. En matière de logement, l’année s’annonçait en retrait par rapport à 2017, mais vous étiez encore rassurants.
Lors des débats sur la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, en juillet dernier, le secrétaire d’État Julien Denormandie nous expliquait encore que les mesures de compensation de la Caisse des dépôts et consignations et celles de la loi elle-même allaient permettre de construire beaucoup plus avec beaucoup moins d’argent.
Mais voilà, depuis lors, le ciel s’est sérieusement assombri. Conséquences de la guerre commerciale de M. Trump, de la remontée des taux d’intérêt aux États-Unis et du prix du pétrole, des incertitudes liées au Brexit pour l’Europe : la croissance ralentit – le consensus est maintenant à 1,6 % –, le chômage ne baisse pas, ou si peu, le moral des Français est en berne et l’investissement industriel également.
Il y a cependant un secteur d’activité qui aurait pu se trouver relativement à l’abri de ces turbulences, en tous les cas tant que les taux d’intérêt restent sages : il s’agit du logement.
Malheureusement, c’est la cible principale que vous avez choisie l’an dernier pour porter les seules – ou presque – mesures d’économies que vous ayez décidées pour 2018.
Je les rappelle pour mémoire, et le catalogue est fourni : création de l’IFI ; recentrage du PTZ et du dispositif Pinel ; suppression de l’APL accession ; baisse des ressources tirées des loyers pour les bailleurs sociaux, à hauteur de 800 millions d’euros en 2018 et en 2019, puis de 1,5 milliard d’euros en 2020 ; augmentation de la TVA sur les bailleurs de 5,5 % à 10 % pour permettre l’étalement de la mesure de baisse des loyers. À ce sujet, que se serait-il passé, monsieur le secrétaire d’État, si vous aviez retiré 1,5 milliard d’euros dès 2018 ? Je n’ose même pas y penser. Je n’oublierai pas de citer la taxe sur la vente HLM.
Ce n’est pas faute d’avoir, l’an dernier et en juillet encore, lors de la discussion de la loi ÉLAN, attiré votre attention sur le risque que vous faisiez courir à un secteur qui sortait à peine du marasme des années 2014 et 2015. Mais au fait, comment ce marasme a-t-il été déclenché à l’époque ? Par les décisions brutales du gouvernement Ayrault, avec Mme Duflot aux manettes, particulièrement sur l’investissement locatif et les aides à l’accession.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le Scellier, c’était avant !
M. Philippe Dallier. Or qu’a fait le Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État ? La même chose, mais pas seulement, puisqu’il s’est aussi lancé dans une réforme brutale du monde HLM, à grands coups de coupes budgétaires.
Le Gouvernement n’a rien voulu entendre, allant jusqu’à nier le risque, que tous les acteurs pointaient, d’un fort repli du marché. Eh bien voilà, nous y sommes, et malheureusement bien plus vite que prévu !
L’année 2018 s’annonçait en effet en net repli, alors même qu’il y a, dans le secteur, un retard inhérent à l’inertie des projets. Le nombre de logements sociaux financés en 2018 se situera à coup sûr sous les 100 000, ce qui nous ramènera peut-être dix ans en arrière, en plein milieu de la crise de 2008 et de 2009.
S’agissant de la promotion privée, ce n’est pas mieux. Voici les chiffres pour le troisième trimestre de 2018.
Dans les zones A et A bis – Paris, proche banlieue, Côte d’Azur, frontière suisse –, les mises en vente ont baissé de 8,7 % et les réservations de 3,2 %.
Dans les zones B1 – agglomérations de 250 000 habitants –, les mises en vente ont baissé de 15,8 % et les réservations de 19,5 %.
Dans les zones B2 – villes moyennes de 50 000 habitants –, les mises en vente ont baissé de 21,1 % tandis que la demande, ce qui est une singularité, a crû de 8,2 %.
Dans les zones C – le reste du territoire –, les mises en vente ont baissé de 26,9 % et les réservations de 13,9 %.
Monsieur le secrétaire d’État, ces chiffres sont très inquiétants et les professionnels du bâtiment parlent maintenant de 120 000 emplois en jeu dès l’année prochaine, et potentiellement de 200 000 emplois à l’horizon 2020.
Allez-vous au moins, au nom du Gouvernement, reconnaître que ces chiffres sont conformes à la réalité ? Je vous pose la question puisque, jusqu’à présent, le Gouvernement a été dans le déni absolu. Ce n’est plus possible. Si vous reconnaissez que ces chiffres sont exacts, il faut en tirer les conséquences dès maintenant !
Si j’en juge le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale, la réponse est malheureusement non. C’est même exactement le contraire, avec deux mesures figurant dans le texte initial du Gouvernement : la suppression de l’exonération de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance, la TSCA, sur l’assurance décès des emprunteurs, qui va toucher les particuliers – encore un petit coup pour eux ! – désireux d’accéder à la propriété ; la taxation du gazole non routier, qui impactera le secteur du bâtiment et des travaux publics.
Ce n’est que par voie d’amendement que le Gouvernement a desserré – mais si peu – le dispositif Pinel dans le cadre des opérations Cœur de ville et accepté le retour de l’APL accession, mais seulement dans certains territoires d’outre-mer.
Ce n’est pas avec ces mesures, monsieur le secrétaire d’État, que vous inverserez la tendance.
Il faudrait, selon nous, revoir d’urgence le zonage, ce qui aurait déjà dû être fait, car il ne permet pas de cibler correctement les aides fiscales.
Il faut rétablir l’APL accession sur tout le territoire : cela ne coûterait que 50 millions d’euros de plus l’an prochain et ce serait parfaitement cohérent avec votre objectif de vente d’HLM.
Il faut recalibrer le PTZ pour soutenir l’accession à la propriété partout.
Monsieur le secrétaire d’État, si vous ne voulez pas prendre le risque d’une crise majeure dans le secteur, il faut bouger maintenant. Votre politique fiscale – notre politique fiscale, je relativise – à l’égard du logement, beaucoup le disent, est incohérente : on surtaxe d’un côté et, pour que le marché fonctionne, on accorde effectivement des aides fiscales.
Tout cela ne peut plus durer. Donnez-vous un peu de temps, allons vers une véritable réforme de la fiscalité du secteur, mais, d’ici là, il faut des mesures pour soutenir celui-ci et éviter son effondrement.
S’agissant des bailleurs sociaux, le Gouvernement a présenté l’an dernier des mesures dites « de compensation de la baisse des loyers » : allongement des prêts, prêts de haut de bilan, blocage du taux du livret A.
Que vont donner ces mesures ? Maintenant, on le sait : la Caisse des dépôts et consignations a fait le tour des territoires, a rencontré tous les bailleurs ; dans un rapport récent, elle a publié un graphique très intéressant montrant que ces mesures dites « de compensation » permettent de passer le début de la période, mais qu’en 2037, dans vingt ans – tenez-vous bien, mes chers collègues –, l’autofinancement global des bailleurs sociaux sera nul. On pousse les prêts devant nous pour les rembourser plus tard !
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement est en train de fragiliser le secteur du logement social pour vingt ans. Ce secteur, en cas de crise, servait effectivement d’acteur contracyclique pour sortir l’accession à la propriété de ces problèmes. Eh bien, c’est terminé !
Je veux encore dire un mot de nos collectivités territoriales. Ce sont des acteurs majeurs : elles peuvent aider à soutenir le mouvement, mais il y a au moins une mesure qu’il faudrait adopter. Je le dis d’autant plus que les investisseurs institutionnels sont de retour, fortement, et veulent réinvestir le logement après l’avoir quitté il y a quinze ou vingt ans. C’est une bonne nouvelle, si ce n’est que cela se fait au détriment des communes, compte tenu des exonérations de taxe foncière. Ce n’est pas possible ! Puisque vous avez supprimé la taxe d’habitation et qu’il ne subsiste aux maires que la taxe foncière, vous ne pouvez pas en exonérer, aux frais des communes, et le logement social et le logement intermédiaire.
Monsieur le secrétaire d’État, cela fait cinq ans que je fais adopter, ici au Sénat, l’amendement visant à exclure l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties des variables d’ajustement de la DGF ; je compte et j’espère bien cette fois-ci obtenir un avis favorable du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Yvon Collin et Jean-Michel Houllegatte applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel. (Mme Catherine Conconne applaudit.)
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, à mon sens, nous ne pourrions terminer cette discussion générale sans évoquer de nouveau la situation explosive sur l’île de la Réunion, dont il a été question au cours des questions d’actualité. J’exhorte vraiment le Gouvernement à y accorder une importance et un soin particuliers, à ne pas donner sa seule préférence à la répression et à ne pas croire que l’envoi de brigades supplémentaires de gendarmes suffira à ramener la paix et la concorde.
J’espère qu’on saura trouver les voies et les moyens pour engager des discussions et arriver à un accord un peu plus global.
En 2017, nous avons tous été attentifs aux mots du Président de la République, d’abord dans ses écrits de candidat, puis lors de la campagne, ensuite dans son fameux discours de Versailles. Ses mots étaient « girondisme », « respect de l’autonomie des territoires », « respect des élus », « progrès social », « justice fiscale ».
Deux ans après, la déception est grande. Partout en France, comme mes collègues et moi, monsieur le secrétaire d’État, vous entendez monter et gronder la colère. Celles et ceux qui ont fait confiance ne cessent, disons-le, de dévisser et ce budget n’est pas de nature à opérer une reconquête des cœurs et des esprits.
Comme moi, vous entendez sûrement le peuple et les élus dénoncer la rigidité et la brutalité du pouvoir ; vous entendez ceux qui dénoncent – eh oui ! – le mépris, l’arrogance, voire la vanité.
L’impression tenace, c’est celle d’une absence d’humanité et d’une faute de cœur. Bien sûr, tout cela est peut-être surjoué, mais l’intelligence politique commande de tenir compte du vécu et du ressenti des populations.
Mes chers collègues, pour illustrer l’écart entre les promesses et les réalités, j’aimerais pouvoir vous exposer, vous expliquer les « mauvaisetés » infligées aux outre-mer.
Pour les outre-mer, le candidat Macron s’était engagé sur plus de 4,5 milliards d’euros : 1 milliard d’euros dans une lettre publiée opportunément par l’hebdomadaire Actu.nc en Nouvelle-Calédonie, que tous les électeurs ont reçue ; 1 milliard d’euros sur les engagements guyanais ; et la quote-part, au regard de leur population, des outre-mer dans le Grand plan d’investissement, à hauteur de plus de 4,5 milliards d’euros.
Or, depuis deux ans, ces territoires se voient appliquer, en plus du volet national, un volet spécifique aux outre-mer, emblématique d’une nouvelle conception du pouvoir faite de verticalité raide, d’expertise aveugle et technocratique, d’indifférence brutale, si ce n’est de mépris affiché pour les élus, comme s’ils ne pouvaient être de bons experts de la situation de leur population et de leur territoire.
L’exécutif a décidé unilatéralement de mettre fin au traitement différencié des outre-mer, pourtant consacré par l’article 73 de la Constitution, qui prévoit des adaptations. Le maître mot est désormais « harmonisation », « standardisation », « alignement », tout cela au nom de la lutte contre les inégalités.
En l’état, ce projet de budget est l’équivalent moral – je pèse mes mots – d’une guerre livrée contre les outre-mer.
Était-il raisonnable de contourner les parlementaires que nous sommes, ainsi que les socioprofessionnels de nos territoires, lorsqu’il s’est agi de préparer la réforme des aides économiques outre-mer ?
Était-il utile d’organiser les assises des outre-mer, alors même que, dès janvier, nous connaissions les arbitrages de l’État ? C’était une belle entreprise de communication ! Tout cela nous a fait perdre deux ans pour, finalement, aboutir à une réforme de pur rendement, pensée par vos services et prétendument légitimée par les conclusions de ces assises.
Est-il fiscalement juste de proposer une augmentation frénétique, dès 2019, de 200 millions d’euros de l’impôt sur le revenu outre-mer pour près de 80 000 contribuables ultramarins ? C’est pourtant la conséquence de l’article 4 du projet de loi de finances.
Est-il économiquement pertinent de supprimer la TVA non perçue récupérable – la TVA-NPR – pour nos entreprises locales, qui leur permettait directement de conforter leur compétitivité et de trouver des marges pour investir ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Victorin Lurel. Est-il socialement juste et fiscalement efficace de supprimer les outils permettant de construire des logements sociaux ou de mettre fin aux dispositifs favorisant le développement des zones géographiques les plus défavorisées ?
Puisque j’ai épuisé mon temps de parole, je conclurai en disant au Gouvernement que le Sénat a une culture du compromis raisonnable et intelligent. Nous tenterons, après un travail transpartisan, de proposer des solutions raisonnables. J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous resterez à l’écoute et que, pour une fois, pourra s’engager une discussion éclairée et fructueuse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, au premier abord, ce projet de loi de finances pour 2019 comporte peu de mesures très importantes relatives aux collectivités territoriales. Le Gouvernement a annoncé pour le printemps 2019 une loi de finances rectificative qui abordera notamment l’épineuse question de la réforme de la taxe d’habitation, laquelle représente, je le rappelle, un tiers des recettes fiscales du bloc communal.
En effet, la suppression de cette taxe pour 100 % des ménages, imposée par le Conseil constitutionnel, interviendra en 2021, si j’en crois les propos tenus par le ministre Gérald Darmanin lors de la discussion du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale. La suppression totale de la taxe d’habitation fera peser sur les finances publiques une surcharge de près de 14 milliards d’euros en 2020 par rapport à la trajectoire inscrite dans la loi de programmation des finances publiques, surcharge qui sera financée par le déficit. Ainsi, l’allégement d’impôt pour le contribuable local sera financé par le contribuable national…
Au cours des débats à l’Assemblée nationale, très souvent, le Gouvernement a rejeté des amendements relatifs à la fiscalité des collectivités locales en arguant qu’ils seraient pris en compte au titre du projet de loi de finances rectificative pour 2019. Monsieur le secrétaire d’État, je vous souhaite, ainsi qu’à votre cabinet et aux équipes de Bercy, bien du courage pour traiter tous les problèmes soulevés dans un laps de temps aussi court ! Le premier semestre de 2019, c’est demain.
Si cette loi doit être le Grand Soir de la fiscalité des collectivités locales, je m’étonne que le projet de loi de finances pour 2019 comprenne un certain nombre de dispositions faisant évoluer de manière autonome des dispositifs existants : réforme de la dotation d’intercommunalité, à l’article 79, modification des modalités de répartition de la dotation politique de la ville, à l’article 81, transformation de la dotation globale d’équipement des départements en une dotation de soutien à l’investissement départemental.
L’étude d’impact annexée au projet de loi ne donne aucune simulation de ces évolutions. Tout au plus sait-on que « la modification des règles de plafonnement de l’écrêtement de la dotation forfaitaire des départements est neutre pour la catégorie des départements et n’a d’effet qu’au niveau individuel » ou encore que « la réforme de la dotation d’intercommunalité est neutre pour la catégorie des EPCI à fiscalité propre et n’a d’effet qu’au niveau individuel ». Il n’était pas besoin d’étude d’impact pour écrire cela…
Nous aurons très certainement de riches débats sur la réforme de la fiscalité locale au printemps prochain. Il est cependant certain que nous ne pourrons continuer à légiférer en empilant des dispositifs sans aucune simulation à maille fine.