Sommaire
Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret
Secrétaires :
M. Joël Guerriau, M. Dominique de Legge.
2. Loi de finances pour 2019. – Discussion d’un projet de loi
Discussion générale :
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances
3. Communication d’un avis sur un projet de nomination
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
4. Questions d’actualité au Gouvernement
M. Jean-Louis Lagourgue ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
M. Marc-Philippe Daubresse ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Mme Nassimah Dindar ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
M. Michel Dennemont ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
obligations de service public d’orange
M. Yvon Collin ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances.
M. Pierre-Yves Collombat ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Pierre-Yves Collombat.
Mme Viviane Artigalas ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; Mme Viviane Artigalas.
M. Charles Guené ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Charles Guené.
M. Jean-Pierre Moga ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
compensation de la taxe d’habitation pour les communes
M. Bernard Buis ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
prise en compte de l’outre-mer dans le projet de loi de finances
M. Victorin Lurel ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances ; M. Victorin Lurel.
dialogue entre les élus locaux et le gouvernement
M. Mathieu Darnaud ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Mathieu Darnaud.
M. Vincent Segouin ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Suspension et reprise de la séance
5. Loi de finances pour 2019. – Suite de la discussion d’un projet de loi
Discussion générale (suite)
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics
Clôture de la discussion générale.
Demande de réserve des articles 4, 5 et 6. – M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État ; M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. – La réserve est ordonnée.
Amendement n° I-720 rectifié bis de Mme Sophie Taillé-Polian. – Rejet.
Amendement n° I-20 de M. Olivier Cadic. – Non soutenu.
Adoption de l’article.
Article 37 et participation de la France au budget de l’Union européenne
M. Patrice Joly, rapporteur spécial de la commission des finances
Adoption de l’article. Adoption de l’article.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret
vice-présidente
Secrétaires :
M. Joël Guerriau,
M. Dominique de Legge.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Loi de finances pour 2019
Discussion d’un projet de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 146, rapport général n° 147).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous présenter aujourd’hui, avec le ministre de l’action et des comptes publics, notre projet de loi de finances pour 2019.
Avant cela, je voudrais simplement rappeler d’où vient notre pays en termes de finances publiques et de situation économique.
Nos finances publiques, c’est l’histoire d’une lente dégradation depuis quinze ans. Cette dégradation tient en trois chiffres : trente-trois, trois et trois – vous le voyez, ce n’est pas difficile à retenir !
M. Roger Karoutchi. C’est bien ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Le Maire, ministre. Trente-trois, c’est le montant de l’augmentation de la dette publique : en dix ans, elle est passée de 65 % à 98 % de notre richesse nationale.
Trois, c’est l’augmentation de la dépense publique : elle est passée de 52 % à 55 % de notre richesse nationale.
Trois, c’est également l’augmentation des taxes et des impôts : sur dix ans, ils sont passés, dans notre pays, de 42 % à 45 % de la richesse nationale.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Et vous continuez…
M. Bruno Le Maire, ministre. Voilà la réalité, sévère et brute ! Voilà l’état des finances publiques, telles que Gérald Darmanin et moi-même les avons trouvées !
Notre objectif est d’inverser cette tendance, dont nous sommes tous, de droite comme de gauche, collectivement responsables, puisque cette dégradation est continue depuis dix ans : nous n’avons pas voulu changer notre modèle de finances publiques.
Notre volonté, celle du Président de la République et du Premier ministre, ainsi que ma détermination personnelle, est justement d’en changer afin que nous dépensions moins et mieux, que nous réduisions par conséquent la dette et que nous puissions, au bout du compte, baisser les impôts et les taxes des Français.
Je crois inutile d’insister sur la situation politique et sociale actuelle. Les impôts et les taxes, ça suffit ! (Exclamations ironiques et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Il faut relire son discours avant de le prononcer…
M. Simon Sutour. L’essentiel, c’est de le dire avec assurance…
M. Bruno Le Maire, ministre. Il fallait que nous nous engagions dans un intense mouvement de baisse, nous l’avons fait !
M. Jackie Pierre. Et c’est lui qui dit cela ? Il ne manque pas de souffle !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je suis heureux, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous applaudissiez,…
M. Philippe Dallier. Mais oui !…
M. Bruno Le Maire, ministre. … parce que je veux appeler chacun à ses responsabilités en la matière : sur ces travées, chacun porte une responsabilité dans la dégradation des finances publiques ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Pas moi !
M. Bruno Le Maire, ministre. La réalité, c’est que nous sommes maintenant sortis de la procédure pour déficit public excessif, dans laquelle nous étions depuis dix ans. C’est un fait !
La réalité, c’est que nous sommes la première majorité, depuis dix ans, à passer sous les 3 % de déficit public. C’est un fait !
La réalité, c’est que nous avons engagé la réduction des prélèvements obligatoires dans notre pays. C’est la première fois depuis dix ans. C’est aussi un fait !
M. Jackie Pierre. Et les « gilets jaunes » sont dans la rue !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je suis donc heureux que vous applaudissiez ces résultats, qui sont d’abord ceux de notre majorité. (Protestations redoublées sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous avons inversé la tendance et nous continuons dans ce sens avec ce projet de budget. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Vous prenez vos désirs pour des réalités…
M. Bruno Le Maire, ministre. Le cap de la restauration des finances publiques sera tenu.
Le cap de la restauration de la croissance en France sera tenu.
Ces orientations nous permettent d’atteindre une croissance de 1,7 % en 2018 et en 2019 et de connaître, depuis un an, une baisse du chômage de 0,5 point. Elles nous permettent aussi de créer à nouveau des emplois industriels, ce qui est également la première fois depuis dix ans.
M. Jackie Pierre. Bref, tout va bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je ne vais pas vous dire que ces résultats sont suffisants ou satisfaisants, mais la tendance et le cap – rétablissement des finances publiques et relance de la croissance et des créations d’emplois – sont les bons.
Ces créations d’emplois doivent toucher en particulier le secteur industriel, sur lequel le Premier ministre a annoncé ce matin un certain nombre de décisions. Il est essentiel pour nous, et pour tous les élus du territoire qui sont présents ici, de relancer ces emplois industriels. Cela ne pourra se faire qu’en poursuivant, là aussi, la politique de compétitivité qui est la nôtre et la réduction des charges qui pèsent sur la compétitivité-coût de notre industrie. Nous devons aussi continuer à innover et à investir pour la recherche, pour l’innovation, pour l’innovation de rupture dans notre pays.
Les résultats sont là : la tendance à la désindustrialisation massive que nous avons connue depuis dix ans s’inverse. Un million d’emplois industriels en moins depuis dix ans, une centaine d’entreprises qui ferment chaque année, des territoires comme le mien, l’Eure, où des vallées industrielles entières disparaissent : c’est le fruit de choix de politique économique qui n’ont pas été les bons. (M. le rapporteur général de la commission des finances s’exclame.)
Tout ce que nous faisons actuellement – restauration des marges des entreprises, fiscalité qui permet de diminuer le coût du capital et donc d’investir, création d’un fonds pour l’innovation de rupture financé par la vente d’actifs de l’État dans des entreprises qui ne sont pas nécessairement stratégiques – tout cela doit permettre de redresser notre industrie.
Ces choix de restauration des finances publiques et de relance de l’activité économique sont d’autant plus importants dans l’environnement que vous connaissez, qui est instable et menaçant pour notre économie. Je pense aussi bien à la menace extérieure, en particulier à la déstabilisation liée aux risques de guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, qu’aux difficultés intérieures, au sein de l’Europe, notamment les nécessaires décisions à prendre sur la zone euro et les conséquences éventuelles du Brexit.
Nous devons donc tenir le cap du rétablissement des finances publiques et de la compétitivité de notre économie. Pour cela, nous faisons dans ce projet de loi de finances des choix politiques simples et forts.
Le premier de ces choix, c’est celui de la rémunération du travail. Nous avons engagé une politique pour faire en sorte que ceux qui travaillent soient mieux payés.
La suppression, le 1er novembre, des cotisations d’assurance maladie et chômage, c’est plus de salaire net pour tous ceux qui travaillent.
La suppression du forfait social de 20 % sur l’intéressement pour toutes les entreprises de moins de 250 salariés, c’est plus de salaire net pour tous ceux qui travaillent et dont l’entreprise réussit.
La suppression des cotisations sociales sur les heures supplémentaires à partir de 2019, ce sera aussi plus de salaire net pour ceux qui travaillent.
Nous voulons que tous ceux qui travaillent, notamment ceux qui ont des salaires modestes, puissent tout simplement constater, à la fin du mois, qu’ils gagnent davantage en espèces sonnantes et trébuchantes !
Le deuxième choix que nous faisons, c’est celui de l’investissement.
Cela suppose une sanctuarisation du crédit d’impôt recherche – elle est prévue dans ce projet de loi – et la mise en place d’un suramortissement des dépenses de robotisation et de digitalisation.
En prévoyant deux années de suramortissement, nous rattrapons le retard que nous avons depuis dix ans en matière de robotisation et de digitalisation de nos usines et de nos entreprises industrielles.
Les chiffres sont absolument sans appel : pour 10 000 salariés industriels, 180 robots en France, 200 en Italie et 340 en Allemagne ! Or, en matière industrielle, la robotisation permet de meilleures performances, des produits de qualité plus élevée et, contrairement à ce que beaucoup croient, davantage d’emplois grâce à une amélioration des ventes et des parts de marché.
Le suramortissement que nous vous proposons, conjugué à la baisse de l’impôt sur les sociétés, massive dès l’année prochaine, doit permettre à nos entreprises de se digitaliser et de réussir leur transition technologique.
Le troisième choix que nous faisons – je sais qu’il fait débat aujourd’hui –, c’est celui de l’environnement.
En ce qui nous concerne, nous faisons le choix résolu d’une croissance durable, respectueuse de l’environnement, ce qui nous amène à prendre des décisions en matière de fiscalité, notamment la convergence entre le diesel et l’essence (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.), tout en accompagnant les Français dans cette transition écologique avec un crédit d’impôt spécifique et la prime à la conversion.
Il était essentiel de prendre conscience de la nécessité d’adopter de véritables décisions en matière écologique, pas simplement des pétitions de principe. Ces décisions doivent engager de manière irréversible la transition écologique, tout en permettant aux Français les plus modestes de réussir aussi cette évolution en étant soutenus. Nous aurons évidemment l’occasion d’en débattre au cours de nos échanges.
Je tiens d’ailleurs à dire que la transition écologique et la lutte contre le réchauffement climatique ne réussiront que si nous maintenons une filière industrielle nucléaire forte et performante. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Paul Émorine. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Tous ceux qui confondent le combat contre le nucléaire avec la lutte contre le réchauffement climatique n’ont pas compris les travaux du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC. Nous ne gagnerons le combat contre le réchauffement climatique que si nous nous appuyons aussi sur un nucléaire performant, stable et technologiquement avancé.
Par ailleurs, nous prolongeons, comme vous le savez, le crédit d’impôt pour la transition énergétique et l’éco-prêt à taux zéro.
Nous renforçons la prime à la conversion pour les véhicules propres : comme l’a annoncé le Premier ministre, nous allons doubler cette prime, qui pourra atteindre 4 000 euros pour les grands rouleurs et les salariés les plus modestes.
Nous allons également accompagner, à travers plusieurs mesures, les secteurs concernés par la hausse du tarif du gazole non routier, prévue à l’article 19 du projet de loi de finances.
Des efforts sont aussi demandés aux entreprises. Ainsi, l’allégement supplémentaire de charges sur les salaires, qui est de quatre points et qui avait été promis pour le 1er janvier, est reporté au 1er octobre ; il est donc demandé aux entreprises d’accompagner, elles aussi, le rétablissement des finances publiques.
Grâce à l’ensemble de ces choix, les engagements seront tenus en matière de finances publiques.
Le déficit public s’élèvera à 2,8 % en 2019. Je rappelle qu’en retirant l’impact de la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, en un allégement de charges – cette bascule ne se produira naturellement qu’une seule fois – le déficit public atteindrait 1,9 %, soit le meilleur résultat depuis 2001.
La dette publique atteindra 98,6 % à la fin de 2019. Ce chiffre reste trop élevé.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas brillant !
M. Bruno Le Maire, ministre. J’entends ce que vous dites, monsieur le rapporteur général, et je vous répondrai simplement que c’est le résultat de dix années de dégradation de la dette et de nos finances publiques !
Quand j’entends certains proposer un chèque énergie qui coûterait 15 milliards d’euros aux Français, je me dis que ceux-là ne se placent pas sur la voie du rétablissement des finances publiques et de la réduction de la dette… (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. - Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas la proposition du Sénat !
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. C’est celle d’un certain Laurent Wauquiez…
M. Bruno Le Maire, ministre. Les prélèvements obligatoires passeront de 45 % à un peu plus de 44,2 %.
L’action publique demande de la cohérence (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) et je suis heureux d’entendre sur les bancs de cette assemblée, à ma droite, la volonté d’aller plus loin dans la restauration des finances publiques et dans la baisse des dépenses publiques et de la dette.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous me trouverez toujours de votre côté pour baisser intelligemment les dépenses publiques et réduire la dette, qui est un poison pour notre économie.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Mais vous faites le contraire !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous vous avons fait des propositions !
M. Bruno Le Maire, ministre. Dans ce cas, aidez-moi ! Votez les réductions de dépenses publiques que nous vous proposons, par exemple sur les emplois aidés, et ne proposez pas la création d’un chèque essence à 15 milliards d’euros pour les Français ! Ne soyez pas incohérents ! (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas la proposition du Sénat !
M. Bruno Le Maire, ministre. Tous ces choix doivent nous permettre, je l’ai dit, de baisser la pression fiscale pour la faire passer de 45 % à un peu plus de 44,2 % en 2019. La baisse d’un point des prélèvements obligatoires, promise par le Président de la République, sera tenue !
Enfin, je tiens à souligner à quel point tous ces choix nationaux n’ont de sens que si nous réussissons à consolider la zone euro, en particulier en ce qui concerne la fiscalité et la compétitivité.
J’entends certains de nos partenaires européens nous expliquer que la force de la zone euro ne tiendra qu’aux efforts nationaux produits par les États membres. Je reconnais bien volontiers que chaque État doit respecter les règles qu’il a librement et souverainement choisies. Il est essentiel, pour la cohésion de la zone, que ces règles soient respectées et que chacun se sente solidaire de leur respect, mais il est également essentiel que nous progressions dans un certain nombre de domaines, sur lesquels depuis des années nous n’avons cessé de stagner, voire de reculer.
Ainsi, une convergence fiscale européenne est indispensable, car, si nous allons vers le dumping fiscal, si chacun des dix-neuf États membres de la zone euro cherche à afficher le taux d’imposition sur les sociétés le plus bas possible pour attirer les entreprises, sans qu’il y ait un minimum de solidarité et de convergence, nous n’y arriverons pas et nous affaiblirons la zone euro dans son ensemble.
Mme Fabienne Keller. Absolument !
M. Bruno Le Maire, ministre. Il est indispensable que nous construisions une union des marchés de capitaux pour que nos entreprises disposent d’une certaine profondeur. C’est essentiel pour que, lorsqu’une entreprise se crée, elle puisse viser un marché, non pas de 65 millions de consommateurs, mais de 300 ou 400 millions, comme en Chine ou aux États-Unis.
Enfin, il est indispensable, comme mon homologue allemand et moi-même nous y sommes engagés lundi dernier, de mettre en place un budget de la zone euro. Un tel budget doit nous permettre de rassembler les financements et les investissements de l’ensemble des pays de la zone et de faire face à un risque de choc économique, notamment grâce à une assurance chômage pour nos dix-neuf pays.
Regardons le monde tel qu’il est ! Les changements ne vont pas vite, ils vont très vite ! Si nous n’y prenons pas garde, les bouleversements technologiques auxquels nous sommes confrontés risquent de nous priver de notre souveraineté, bien sûr technologique, mais aussi politique.
Les choix que nous faisons aujourd’hui en matière de finances publiques visent à nous libérer de la contrainte de la dette et à nous redonner notre souveraineté financière. Ils nous permettent d’investir dans l’avenir de nos enfants et dans les ruptures technologiques, sur lesquelles la Chine et les États-Unis sont en train de prendre une avance que nous ne rattraperons pas, si nous n’y prenons pas garde. Ils doivent également nous permettre de dégager les moyens financiers nécessaires pour les Français qui ont le plus besoin de la solidarité nationale. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, Bruno Lemaire a évoqué des sujets macroéconomiques et les conditions dans lesquelles la France a élaboré son projet de budget, un projet qui vous est présenté tel qu’il est ressorti de discussions longues et fructueuses à l’Assemblée nationale.
Pour ma part, je développerai une approche plus budgétaire, en particulier en ce qui concerne les dépenses et les priorités du Gouvernement.
Ce texte s’inscrit dans la droite ligne des discussions qui nous ont réunis la semaine passée sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances rectificative, qui ne contenait pas de mesures fiscales, se bornant à constater la sincérisation du budget que nous avons présenté l’année dernière.
Le projet de budget pour 2019 est une confirmation des engagements pris devant vous, notamment en termes d’objectifs pour nos finances publiques, mais aussi des promesses du Président de la République et de la majorité élue à l’Assemblée nationale.
Nous finançons des engagements nouveaux, pris après le vote de la loi de programmation des finances publiques, à l’instar de la suppression intégrale de la taxe d’habitation et de la « désocialisation » des heures supplémentaires.
Nous procédons à la transformation du CICE en un allégement de charges, ce qui représente un surcoût temporaire de 20 milliards d’euros, et nous tirons les conséquences de la requalification de SNCF Réseau en administration publique.
J’ai entendu certains évoquer un déficit de l’État de l’ordre de 100 milliards d’euros, j’insiste donc sur les deux éléments que je viens de citer : le Gouvernement croit dans les entreprises pour créer de la richesse et de l’emploi et a donc décidé de transformer le CICE en un allégement de charges, ce qui entraîne un double compte pour les entreprises en 2019 ; SNCF Réseau est requalifiée en administration publique, ce qui a des conséquences sur les finances publiques.
Nous avons ainsi sincérisé les comptes publics, en faisant des réformes structurelles.
En ce qui concerne le CICE – nous avons longuement évoqué ce sujet durant nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale –, nous avons voulu arrêter le bricolage et réaliser un véritable allégement de charges.
Sur la dette de la SNCF, nous avons simplement pris acte de la vérité vraie : chacun savait pertinemment que cette dette était publique, mais personne n’avait osé en inscrire les conséquences. Personne n’avait d’ailleurs osé réformer la SNCF comme nous l’avons fait – je pense notamment à la question du statut.
Les chiffres sont têtus.
Quelles étaient les hypothèses de croissance pour 2018 et 2019 que j’avais présentées devant votre assemblée avec Bruno Lemaire, lors de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques ? Le chiffre était de 1,7 %. Nous y sommes bien. Il n’est certainement pas encore assez élevé, mais je vous rappelle que nous n’avons pas connu trois années successives de croissance supérieure à 1,5 % depuis dix ans.
Quelles étaient les hypothèses de déficit public, lorsque le Parlement a eu à connaître des chiffres du Gouvernement ? Respectivement, 2,8 % et 2,9 % du PIB en 2018 et en 2019. Et quelles sont les hypothèses retenues dans ce budget ? Pour 2018, 2,6 % et, pour 2019, 2,8 %, alors même, je l’ai dit, que nous avons intégré la dette de SNCF Réseau dans les comptes publics et que nous transformons, pour 20 milliards d’euros, le CICE en un allégement de charges, ce qui représente 0,9 point de déficit public. En vérité, nous serions donc largement en dessous de 2 % si nous n’opérions pas la bascule du CICE.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Rien ne vous y obligeait !
M. Gérald Darmanin, ministre. Nous avons raison de préférer les réformes structurelles aux affichages. Ceux-ci n’ont manifestement pas servi le pays, monsieur le président de la commission des finances, durant les années 2012-2017…
En somme, je le redis, mesdames, messieurs les sénateurs, le déficit s’élèverait à 1,9 % en 2019, si nous n’avions pas effectué la bascule du CICE.
Je rappelle que, lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, au milieu de l’année 2017, la Cour des comptes a estimé que le déficit s’élevait alors à 3,4 %. En un an et demi, nous l’avons donc ramené à 1,9 %.
Que de chemin parcouru !
Dans le même temps, nous avons dû sincériser des documents budgétaires qui avaient été signalés comme particulièrement insincères sur plusieurs points. La moindre des choses que nous devons au Parlement, c’est la vérité des comptes afin qu’ils correspondent effectivement aux projections et aux factures que paye notre pays !
Nous parviendrons à de tels résultats, en poursuivant la réduction de l’évolution de la dépense publique. Pour la première fois, cette évolution sera de 0 % en volume en 2018, puis de 0,6 % en 2019, soit une progression bien inférieure aux moyennes constatées durant les trois dernières mandatures. Nous proposons ainsi l’évolution de la dépense publique la plus basse depuis quinze ans.
Nous atteignons ce résultat en associant tous les acteurs de la dépense publique : l’État évidemment, qui continue de faire des efforts très importants, la sécurité sociale - je vous renvoie à nos récents débats - et les collectivités territoriales.
En ce qui concerne les collectivités, nous avons choisi la formule du contrat avec les plus importantes d’entre elles, celles qui représentent l’essentiel de la dépense publique.
Je m’étonne d’ailleurs du débat que nous avons pu avoir, ici, à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous avons proposé des baisses de dépenses publiques et il est vrai que certaines mesures – je pense à la limitation de l’augmentation des prestations, dont les pensions de retraite – sont extrêmement impopulaires.
Le Sénat, par sa majorité, a choisi une voie différente, qui passait notamment par la taxation des complémentaires. En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas pour taxer davantage les Français, quand cela évite d’être courageux au moment où il faut limiter les dépenses publiques ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est un fait !
Vous avez aussi choisi de repousser l’âge de départ à la retraite. Nous n’avons pas non plus fait ce choix.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Vous le ferez dans un an !
M. Gérald Darmanin, ministre. Encore une fois, c’est un fait !
M. Le Maire vous a déjà interpellé sur les dépenses publiques et j’imagine, mesdames, messieurs les sénateurs du groupe Les Républicains, que vous défendez le chèque carburant proposé par le président de votre mouvement politique, Laurent Wauquiez. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Non ! Vous verrez nos propositions !
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous ne défendez donc pas Laurent Wauquiez ? C’est un peu dommage… Vous préférez la taxation. (M. Philippe Dallier et plusieurs membres du groupe Les Républicains protestent.) Monsieur Dallier, j’ai quand même le droit de citer le nom de Laurent Wauquiez à la tribune ; ce n’est pas un gros mot, que je sache !
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Vous l’avez longtemps soutenu…
M. Roger Karoutchi. L’hémicycle était calme, jusqu’ici…
M. Gérald Darmanin, ministre. Je le redis, vous avez choisi la taxation des complémentaires. Ce n’est pas notre choix ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Là aussi, c’est un fait, je vous renvoie au résultat du scrutin public…
J’ai d’ailleurs remarqué que, lors de plusieurs rappels au règlement, des sénateurs de la majorité ont expliqué qu’ils ne souhaitaient pas suivre le Sénat sur cette taxation et sur la réforme des retraites. Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir, monsieur le rapporteur général…
Au cours des débats qui nous ont animés l’an passé et en ce début d’année, j’ai fréquemment insisté sur trois points de méthode, qui me semblent partagés par la grande majorité de cette assemblée : plus de sincérité dans les comptes publics, plus de lisibilité dans la politique fiscale et moins de verticalité, notamment dans les relations entre l’État et les collectivités locales.
De ce triple point de vue, j’ai le plaisir de vous confirmer que nous continuons à tenir nos engagements.
S’agissant de la sincérité du budget 2018, vous remarquerez que nous faisons mieux que de tenir nos engagements, puisque, pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances, nous ne présentons aucun décret d’avance.
S’agissant de la clarification et de la simplification de la politique fiscale, nous proposons que le Sénat poursuive le travail de l’Assemblée nationale, qui a prévu la suppression d’une vingtaine de petites taxes. Inefficientes, ces taxes occupent malheureusement beaucoup d’agents de mon ministère sans manifestement faciliter, bien au contraire, la lisibilité de la fiscalité, notamment locale.
Je crois que le Sénat aurait intérêt, comme l’Assemblée nationale, à s’intéresser à la proposition du Gouvernement de définir au mieux les locaux industriels. Nous en avons débattu l’an passé, cette question touche une partie de nos agriculteurs et des entreprises françaises.
En ce qui concerne le troisième engagement que j’ai mentionné, j’ai le plaisir de vous indiquer la réussite de la contractualisation avec les collectivités locales les plus importantes.
Je rappelle à cette occasion que, contrairement à ce que j’ai pu entendre ici ou là, il n’y a pas eu de censure du Conseil constitutionnel – le dispositif présenté par le Gouvernement est conforme à l’article 72 de la Constitution – et que cette mesure émane des propositions formulées par MM. Malvy et Lambert.
Comme le montrent les chiffres du projet de loi de finances rectificative, les collectivités locales les plus importantes ont su limiter leurs dépenses publiques, sans limiter leurs dotations. Là aussi, nous aurons évidemment l’occasion d’y revenir lors de nos débats.
Nous confirmons les engagements présidentiels, notamment en faveur des ménages qui travaillent et des entreprises.
Ainsi, l’année 2019 sera marquée par le plein effet sur les salaires de la suppression des cotisations chômage et maladie pour les salariés et les trois quarts des indépendants. Nous conjuguons cette mesure avec la désocialisation, un mot malheureux qui veut dire qu’il y aura moins de fiscalité sur les heures supplémentaires. Nous avons eu un long débat à ce sujet avec M. le rapporteur général et votre assemblée lors de la discussion du PLFSS.
S’agissant des entreprises, ce PLF vise un double objectif. Premièrement, nous poursuivons les allégements généraux de charges, qui bénéficient, je le rappelle, non pas simplement aux grandes entreprises, mais à toutes celles qui embauchent, et aussi au secteur associatif employeur, aux coopératives agricoles, ce qui n’était pas le cas du CICE. Deuxièmement, en lien avec le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, dit projet de loi PACTE, nous renforçons l’attractivité de la marque France, avec un environnement fiscal simplifié, des effets de seuil supprimés et une meilleure répartition entre le capital et le travail. Je veux parler du forfait social ou encore de la participation. Nous aurons sans doute des débats autour de la fiscalité agricole, qui, si elle a fait pousser un certain nombre de sujets lors du PLFSS, est bénéfique dans le cadre du PLF, notamment sur les réserves de précaution. Nous discuterons également des aides fiscales outre-mer.
Il s’agit encore d’un budget d’affirmation des priorités de ce gouvernement, en ce qu’il vient en appui d’une politique sociale en faveur des plus vulnérables. Nous avons déjà eu l’occasion d’en parler lors du PLFSS, mais cela se traduit aussi dans le cadre du PLF. En effet, la ministre des solidarités et de la santé a un certain nombre de crédits qui relèvent de ses parts budgétaires. Ainsi est prévue l’augmentation pour les 550 000 bénéficiaires du minimum vieillesse de leur pension, à hauteur de 35 euros, en janvier 2019, puis en 2020 pour le même montant. Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir l’année prochaine. Par ailleurs, l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, pour la première fois dans l’histoire sociale de notre pays, va atteindre 900 euros à la fin de 2019. La prime d’activité augmentera de 20 euros par mois au niveau du SMIC, comme l’avait promis le Président de la République lors de sa campagne électorale.
Nous assurerons également des versements plus justes aux Français, ainsi qu’une juste imposition, grâce notamment à la « contemporanéisation » des prestations. Nous reviendrons bien sûr sur la question des aides personnalisées au logement, les APL, mais aussi sur la mise en place de la grande réforme du prélèvement à la source, largement soutenue par votre rapporteur général, ce dont je le remercie.
Nous aurons l’occasion d’évoquer les augmentations de crédits très importantes dans des domaines que le Gouvernement a choisis, avant tout dans le régalien : la défense, les forces de sécurité et de justice reçoivent ainsi des crédits en nette hausse, avec une augmentation confirmée de 1,7 milliard d’euros pour le budget des armées, qui atteindra dès lors quasiment 36 milliards d’euros au total, une augmentation de 400 millions d’euros de la mission « Sécurité » du ministère de l’intérieur, à presque 14 milliards d’euros, tandis que le budget de la justice, conformément à la loi de programmation que vous avez votée, va atteindre 7,3 milliards d’euros, ce qui permettra le recrutement de 1 300 emplois supplémentaires et la mise en œuvre du programme immobilier pénitentiaire, auquel le Sénat est attaché.
Enfin, il s’agit d’un budget d’investissement tourné vers l’avenir. Pour la première fois depuis sept ans, l’investissement public repart à la hausse en 2018 et en 2019. En 2019, il va croître deux fois plus vite que l’année dernière, ce qui est une bonne chose. C’est notamment grâce au Grand plan d’investissement qu’a mis en place le Gouvernement au début de l’année dernière.
Nous avons fait le choix de l’environnement et des mobilités, comme l’a dit M. le ministre de l’économie et des finances. Nous prévoyons déjà un certain nombre de mesures qui viendront en soutien du projet de loi d’orientation des mobilités sur les territoires, que présenteront Élisabeth Borne et François de Rugy. Nous avons traduit dans le texte que nous présentons les principes de l’économie circulaire portés par Nicolas Hulot et Brune Poirson. Nous aurons sans doute des discussions autour de la TGAP déchets en contrepartie d’une baisse de la TVA – je sais que cela intéresse particulièrement la chambre des territoires –, du renforcement de l’éco-prêt à taux zéro, ou éco-PTZ, ainsi que, comme M. Le Maire l’a annoncé, de l’alignement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, ou TICPE, applicable au gazole non routier sur le droit commun.
Le choix en faveur de l’avenir, c’est également le choix en faveur de l’éducation de nos enfants, qu’il s’agisse de l’éducation nationale ou de l’enseignement supérieur, avec plus d’un milliard d’euros de crédits pour le monde éducatif. Il s’agit de la plus grande hausse en proportion qu’ont connue les ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, ce dernier devant notamment accueillir 40 000 étudiants supplémentaires chaque année. C’est effectivement un sujet très important de discussion pour l’avenir de nos enfants.
Les transformations de l’action publique sont nombreuses. J’évoquerai d’abord la décrue des effectifs de l’État et de ses opérateurs, avec une proposition de 4 200 suppressions de postes l’an prochain en net. Nous aurons l’occasion d’y revenir, notamment dans la trajectoire qui nous mène effectivement aux 50 000 suppressions de postes figurant dans le programme présidentiel.
Nous aborderons l’indispensable réflexion autour de l’offre audiovisuelle, avec le début de la réforme audiovisuelle publique, telle qu’elle a été annoncée par le Gouvernement l’année dernière. Il y a aussi la question, très importante évidemment, de la suppression des impôts qui vont avec la taxe d’habitation, ou l’accompagnement de ces impôts. Nous aurons l’occasion, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission des finances, de l’évoquer lors d’un projet de loi spécifique, qui sera présenté le 17 avril prochain en conseil des ministres et qui concernera la fiscalité locale. J’aurai donc un avis réservé sur les amendements qui porteront sur la fiscalité locale, sans lien direct avec le PLF, puisque nous aurons des débats, que j’espère intéressants et passionnés, à partir du mois d’avril prochain.
Autre point important, l’unification des réseaux de recouvrement de l’impôt, à commencer par ceux des services douaniers et des services fiscaux, mais demain, également, avec ceux des services sociaux. Nous nous attachons à simplifier pour les entreprises et les citoyens le recouvrement de l’impôt.
Par ailleurs, la décrue du chômage sera accompagnée par le service public de l’emploi, renforcé notamment par la réforme de Pôle emploi. Nous assumons aussi que notre présence diplomatique soit redéployée en fonction de l’évolution des priorités stratégiques. Le Président de la République et le ministre des affaires étrangères ont eu l’occasion de l’évoquer.
Voilà, madame la présidente, sans être plus long, quelles sont les grandes lignes de ce projet de budget. J’aurai l’occasion, pendant de longs débats, assisté d’Olivier Dussopt et Bruno Le Maire, de pouvoir répondre aux questions des parlementaires et de discuter des amendements que ne manqueront pas de présenter votre commission des finances et tous les parlementaires du Sénat. C’est avec la conscience non seulement du travail accompli, mais aussi de ce qu’il reste à faire pour redresser la France et nos finances publiques que le Gouvernement vous présente ce projet de budget pour l’année 2019. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, le Gouvernement vient de nous présenter son deuxième budget en propre, qui devrait en principe être celui de la confirmation du changement de cap et de la volonté réformatrice portée au cours de la campagne présidentielle.
Pourtant, le contenu de ce projet de loi de finances est finalement assez décevant. Il est décevant non seulement d’un point de vue budgétaire, puisque les grandes réformes se font encore attendre, mais aussi d’un point de vue fiscal, puisque aucune mesure majeure n’est finalement prise cette année, avec un taux de prélèvements obligatoires qui reste particulièrement élevé – il y a même de nouveaux impôts dont nous parlerons – et des mesures de première partie d’assez faible portée ou ayant quasi exclusivement vocation à faire du rendement.
L’an dernier, nous constations l’embellie économique dont vous bénéficiiez, messieurs les ministres, avec une apparente reprise solide de la croissance. Or, depuis le début de l’année, l’économie française croît deux fois moins vite que l’an passé.
Ce ralentissement a surpris par son ampleur et a conduit le Gouvernement à revoir son scénario de croissance à la baisse. Pour 2019, le scénario retenu reste crédible, selon les termes mêmes du Haut Conseil des finances publiques, avec des hypothèses sous-jacentes à la trajectoire budgétaire qui paraissent raisonnables, voire prudentes.
Votre scénario global est donc prudent, mais il est vrai que, particulièrement cette année, il est entouré de très fortes incertitudes. Je ne vais pas toutes les citer, mais, sur le plan international, nous avons des facteurs de risques très clairement identifiés : guerre commerciale, remontée du prix du pétrole. Sur le plan européen, nous devons faire face au Brexit et à la situation italienne. Je ne m’étends pas.
En interne, il y a des incertitudes s’agissant de la consommation des ménages. En effet, le rebond attendu au troisième trimestre a été beaucoup moins fort qu’escompté, après la panne du premier semestre. Les ménages n’ont pas anticipé la fameuse augmentation du pouvoir d’achat que certains pouvaient attendre et des inquiétudes s’expriment autour de la hausse des prix des carburants ou de la mise en œuvre du prélèvement à la source, qui annonce un effet « feuille de paie » au mois de janvier.
Ces éléments sont d’autant plus importants que la sensibilité de la trajectoire budgétaire au scénario paraît importante, tandis que notre dette se rapproche dangereusement du seuil de 100 % du PIB.
Cette trajectoire retient un déficit budgétaire en augmentation l’an prochain. Une première depuis 2009 !
Certes, cela s’explique par le ralentissement de la croissance et le reclassement de la dette de la SNCF, mais j’y ajouterai le relâchement de l’effort de maîtrise de la dépense. J’y reviendrai.
Vous vous êtes par ailleurs engagés dans des réformes qui ne sont pas financées, à l’instar de la suppression complète de la taxe d’habitation, mentionnée dans le programme de stabilité. Vous indiquez simplement qu’elle devra être financée par du déficit.
Même en neutralisant la transformation du CICE, ce que vous avez indiqué à l’instant, la France fait figure de mauvais élève en Europe, avec un déficit de 1,9 % en 2019, tandis que le reste de la zone euro est quasiment à l’équilibre.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La comparaison des dynamiques d’endettement de la France et l’Allemagne ne laisse pas d’inquiéter. D’après le FMI, tenez-vous bien, la France devrait ainsi payer 31 milliards d’euros d’intérêts de plus que l’Allemagne à ses créanciers en 2022 ! Voilà comment se traduit le différentiel de dettes.
En tout état de cause, aussi peu ambitieux soit-il, le redressement des comptes publics prévu par le Gouvernement suppose la mise en œuvre d’un programme de 14 milliards d’euros d’économies. Pour ce faire, malheureusement peu de réformes structurelles et un recours aux vieilles ficelles : des mesures de rabot sur les prestations sociales, déjà évoquées lors du PLFSS ; des « fusils budgétaires à un coup », avec le décalage de certains allégements de charges sociales en octobre et le renforcement du cinquième acompte d’impôt sur les sociétés, qui vient ponctionner la trésorerie des entreprises ; des mesures structurelles d’ampleur très limitée et s’inscrivant assez largement dans la continuité du précédent budget. Ce sont, encore une fois, les secteurs du logement et de l’emploi qui produisent les efforts.
Du côté de la sphère sociale, le Gouvernement se repose à la fois sur l’amélioration du contexte macroéconomique, s’agissant de l’assurance chômage, et sur les économies dégagées par les partenaires sociaux, pour les régimes complémentaires de santé et de retraite.
S’il convient d’être prudent quant au respect de la trajectoire prévue pour la sphère locale, laquelle repose notamment sur un rebond des dépenses d’investissement et les effets de la contractualisation, les premières données d’exécution mettent en évidence la pleine détermination des collectivités locales à participer à l’effort de redressement des comptes publics.
Au total, ce sont bien l’État et ses groupements qui porteront la totalité du besoin de financement, et ce pour la troisième année consécutive.
Le déficit budgétaire de l’État reste ainsi à un niveau particulièrement préoccupant. Après le vote de l’Assemblée nationale, il a quelque peu été dégradé, à hauteur de 99,1 milliards d’euros. On n’est pas loin des 100 milliards d’euros…
M. Jean-François Husson. Ça dérape !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je le répète après Bruno Le Maire, l’État connaîtra ainsi son quarante-cinquième déficit budgétaire consécutif.
Du côté des recettes, la baisse de la fiscalité ne se matérialise pas vraiment. Sans le transfert aux administrations de sécurité sociale de 32 milliards d’euros, les recettes fiscales nettes de l’État seraient même en hausse de 18 milliards d’euros. On ne voit pas vraiment de baisse des prélèvements obligatoires.
S’agissant de la fiscalité écologique et énergétique, nous pensions que la nouvelle trajectoire de hausse de tarifs de TICPE allait notamment atteindre les ménages les plus modestes et ceux qui vivent en zone rurale, surtout si elle s’accompagnait d’une hausse du prix du pétrole. À cet égard, mes chers collègues, je vous invite à relire le compte rendu de nos débats de l’année dernière, lorsque Jean-François Husson, rapporteur spécial du budget de l’écologie, mettait en garde le Gouvernement contre de nouveaux « bonnets rouges », la trajectoire pluriannuelle lui paraissant insupportable en cas de hausse des cours du pétrole. Même si nous sommes face à des « gilets jaunes », ses prévisions se vérifient, alors qu’on lui avait ri au nez à l’époque.
Déjà, nous considérions qu’il s’agissait d’une simple mesure de rendement budgétaire et non d’une véritable politique en faveur de l’environnement. D’ici à 2022, je rappelle que la trajectoire qui a été adoptée à l’article 9 l’année dernière, mais pas par le Sénat, prévoit une hausse de 46 milliards d’euros, à partir des tarifs de 2017. Ce n’est pas rien ! Messieurs les ministres, errare humanum est, perseverare diabolicum : faisons attention à ce que nous disent les Français. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Que l’on ne se méprenne pas : je ne suis pas favorable à une fiscalité affectée, à l’instar, d’ailleurs, de la commission des finances, mais présenter, comme vous le faites, la TICPE comme un impôt écologique, c’est une escroquerie ! Même le fait de croire que la hausse des tarifs va inciter les ménages à changer leur mode de transport ne convainc pas, car vous oubliez ceux qui n’ont pas de solution alternative, notamment dans les zones rurales. Le président du Sénat a justement rappelé que 40 % des Français n’ont pas accès à un mode de transport collectif. Même avec la prime à la conversion, l’achat d’un véhicule écologique reste trop coûteux pour nombre de Français.
Par ailleurs, jusqu’aux annonces récentes du Président de la République, on constatait que les dispositifs de soutien que vous avez cités étaient en baisse. Le crédit d’impôt pour la transition énergétique, le CITE, a été divisé par deux ; la TVA à 5,5 % a été contenue ; les dépenses relatives au chèque énergie n’augmentent que lentement.
J’en viens maintenant aux dépenses de l’État, dont la trajectoire de baisse reste toujours aussi peu perceptible.
Certes, je le soulignais encore en début de semaine lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2018, le Gouvernement produit de réels efforts de sincérisation du budget. Pour une fois, il y a une note positive. Je me suis notamment félicité du taux de mise en réserve très bas.
En revanche, en ce qui concerne la maîtrise des dépenses, nous restons sur notre faim. Alors que, sur le quinquennat, la loi de programmation des finances publiques prévoit une diminution de 1 % par an en volume, la cible pour 2019 s’avère d’ores et déjà dépassée, avec plus de 600 millions d’euros. Certes, la norme de dépenses « totales » devrait être respectée, mais il s’agit simplement d’une stabilisation.
Il convient aussi de noter que certaines dépenses annoncées ne sont pas prises en compte dans le budget de 2019 ni dans la programmation pluriannuelle.
Ainsi en est-il du service national universel : on ne sait pas si c’est 2 milliards ou 4 milliards d’euros de dépenses. Bizarrement, on n’en parle pas.
Les baisses de dépenses se concentrent sur le logement et l’emploi, comme l’an dernier. Nous ne nous y opposons pas, mais nous considérons que d’autres réformes mériteraient d’être menées. Or l’on voit que les vrais efforts de réformes de structure restent à faire. Celles-ci sont indispensables, car, sans elles, nous ne parviendrons pas à résorber nos déficits. Je pense notamment à la masse salariale de l’État, qui représente, avec le compte d’affectation spéciale « Pensions », 40 % des dépenses de l’État, à savoir 140 milliards d’euros. Vous n’annoncez qu’une diminution de 4 164 emplois, ce qui signifie que, pour parvenir à votre objectif de suppression de 50 000 emplois, 90 % de l’effort reste à faire d’ici à la fin du quinquennat. J’observe d’ailleurs que la masse salariale augmente de 1,6 % cette année.
Votre stratégie de réforme reste malaisée à décrypter. En témoigne la difficulté hallucinante que nous avons rencontrée pour obtenir les conclusions du comité Action publique 2022. C’est la preuve que vous n’assumez pas les économies structurelles. Pour notre part, nous pensons que nous ne pouvons pas faire l’impasse sur une vraie réflexion autour du champ d’intervention de l’État et des moyens qui lui sont assignés.
C’est la raison pour laquelle la commission des finances proposera plusieurs amendements en seconde partie, afin notamment d’augmenter le temps de travail dans la fonction publique et de porter de un à trois le nombre de jours de carence, en cohérence avec le secteur privé. Nous présenterons également un amendement, plus symbolique que budgétaire, tendant à réduire le nombre d’emplois dans les administrations centrales, qui voient curieusement leurs effectifs croître, de façon à laisser des agents publics sur le terrain, au contact du public. Nous proposerons en outre une rationalisation de l’Aide médicale d’État.
J’en viens maintenant à la question du pouvoir d’achat, qui devait être au cœur de ce budget.
Sur les 6 milliards d’euros que vous présentez comme étant en faveur du pouvoir d’achat, vous savez très bien que les deux tiers correspondent en réalité à la compensation du manque à gagner lié à la hausse de la CSG intervenue l’an dernier. Surtout, bizarrement, vous oubliez les mesures de hausses de prélèvements décidées par les partenaires sociaux, qui vont peser sur les Français. Vous oubliez également, mais le Sénat y a remédié, le quasi-gel des allocations et des retraites.
En réalité, faute de marges de manœuvre budgétaires, votre politique revient, pour l’essentiel, à transférer du pouvoir d’achat d’une catégorie de ménages à une autre, et non à augmenter le pouvoir d’achat agrégé par une vraie action sur la croissance.
En clair, les retraités, les ménages modestes et les classes moyennes supérieures sont les grands perdants de ce bonneteau fiscal et budgétaire.
Au niveau individuel, le constat est sévère.
C’est le cas notamment en matière de fiscalité de l’énergie, sur laquelle nous reviendrons. Le Sénat vous proposera une chose simple : la constance par rapport à l’an dernier.
Il faut le savoir, pour un ménage se chauffant au fioul domestique et utilisant une voiture diesel – ce n’est pas forcément un choix ; c’est le carburant des gens qui travaillent –, l’impact des hausses de fiscalité écologique représentera 136 euros en 2018 et 538 euros en 2022 !
À partir de ces constats, la commission des finances proposera, comme elle l’a fait l’année dernière, de geler les tarifs de la TICPE à leur niveau de 2018, en supprimant la trajectoire prévue jusqu’en 2022. Nous ne ferons ainsi que confirmer le vote du Sénat l’an dernier.
Par ailleurs, je veux dire un mot sur la suppression du tarif spécifique du gazole non routier, le GNR, dont la hausse brutale ne peut que frapper. Certes, j’en conviens, il s’agit d’une niche – est-elle justifiée ? –, mais il nous paraît impossible de la remettre en cause sans tenir compte de son impact sur la compétitivité des entreprises industrielles concernées, en particulier les plus petites, celles qui n’ont pas la capacité de répercuter les hausses sur le client final. C’est une vraie perte de compétitivité, puisque le tarif du GNR va tripler. C’est pourquoi la commission des finances a adopté un amendement tendant à prévoir un dispositif de remboursement du montant de la hausse proposée pour les plus fragiles, à savoir les PME, à l’instar de ce qui existe pour les agriculteurs.
Toujours sur le thème de la fiscalité écologique, la commission a également décidé d’instaurer une exemption de taxe générale sur les activités polluantes pour les déchets ménagers et assimilés collectés au titre du service public de gestion des déchets pour la part qui reste à ce jour non valorisable, c’est-à-dire environ 30 % des déchets.
Nous aurons l’occasion de débattre de l’ensemble de nos amendements, qui sont principalement destinés à améliorer ou à corriger des dispositifs existants.
J’utiliserai la minute qu’il me reste à la tribune pour vous annoncer que, quelques semaines à peine après l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, le groupe de suivi constitué autour de cette thématique a jugé utile de s’emparer du sujet de l’arbitrage des dividendes, mis en lumière par le journal Le Monde et d’autres médias internationaux.
Nous vous proposerons un dispositif qui permet d’éviter que des actionnaires non résidents de sociétés françaises échappent à la retenue à la source qui doit être appliquée sur les dividendes qu’ils perçoivent, en prêtant, directement ou indirectement, leurs actions, au moment du versement du dividende, soit à une banque française, soit à un résident d’un pays lié à la France par une convention fiscale prévoyant une retenue à la source de 0 %. C’est un amendement important. Nos concitoyens, qui subissent aussi des hausses d’impôts, parfois légitimes, ne comprendraient pas que des dispositifs de fraude aident certains à bénéficier d’un taux d’imposition nul.
En conclusion, la commission des finances vous demande d’adopter les amendements qu’elle vous propose, ainsi que les économies en dépenses. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Vincent Éblé, président de la commission des finances, Mme Victoire Jasmin et M. Bernard Lalande applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen en séance du projet de loi de finances pour 2019, après un long temps d’examen en commission.
Je veux, en préambule, remercier l’ensemble de mes collègues de la commission des finances, mobilisés depuis plusieurs semaines déjà pour étudier en détail les mesures budgétaires et fiscales de ce budget 2019. Près de cinq cents personnes ont d’ores et déjà été auditionnées par le rapporteur général et les rapporteurs spéciaux, et nous avons conduit plus de quarante heures d’auditions en commission plénière. J’associe à ces remerciements, bien sûr, l’ensemble de nos collègues des commissions saisies pour avis.
Ces travaux préparatoires, qui sont d’ailleurs loin d’être terminés, nous permettront d’avoir des échanges nourris avec le Gouvernement. Ils témoignent de l’engagement du Sénat à débattre et à amender ce projet de budget, qui, loin d’être un acte prévisionnel purement technique et comptable, ce qui justifierait que l’on en bâcle l’examen, constitue bien un acte fort et structurant de notre vie politique.
J’en viens donc maintenant à l’analyse des principales mesures de ce projet de loi de finances.
Pour ce qui concerne le cadrage macroéconomique, force est de constater que 2019 devrait marquer une déception, puisque la croissance s’établirait à 1,7 %, alors que le Gouvernement envisageait encore 1,9 % en juillet dernier.
L’accélération de l’activité, dont certains prédisaient qu’elle résulterait quasi automatiquement – je n’ai pas dit magiquement – des réformes gouvernementales, ne s’est toujours pas manifestée et le contexte international est malheureusement de plus en plus incertain, comme vient de le rappeler l’OCDE.
Dans le même temps, les efforts de redressement de nos finances publiques ne sont pas à proprement parler au rendez-vous. Je rappellerai simplement que, sous le précédent quinquennat, le déficit est passé de 5 % à 2,7 % du PIB, en diminuant chaque année, dans une conjoncture économique pourtant très défavorable. Entre 2017 et 2019, il passera de 2,7 % à 2,8 % du PIB. Nous ne faisons pas le minimum d’ajustement structurel requis par nos engagements européens ; nos résultats en matière de déficit public sont moins bons que ceux de nos principaux partenaires européens, et la dette publique continue de croître. Il y a lieu de nous en inquiéter dans un contexte de montée des incertitudes économiques dans le monde et dans la zone euro.
J’en viens maintenant au volet fiscal de ce budget 2019, qui témoigne en creux non seulement de l’inefficacité, mais également de l’iniquité des mesures prises par la majorité gouvernementale l’an passé. En effet, ciblées sur les catégories sociales les plus favorisées – je pense à la suppression de l’ISF et à la mise en place du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital –, celles-ci ont eu un coût de près de 5 milliards d’euros. J’ajoute que la baisse de la taxe d’habitation pour 7 milliards d’euros sur deux ans, si elle ne concerne pas les mêmes catégories de contribuables, n’en met pas moins à mal l’autonomie financière des collectivités locales.
Faute de maîtrise réelle de la dépense publique, le Gouvernement n’a pu que compenser ces mesures fiscales coûteuses par la hausse d’autres impositions, dont les effets se prolongeront en 2019 : hausse de la CSG sur les retraités ou encore hausse graduelle, sur cinq ans, de la TICPE.
À cet égard, le présent projet de loi de finances consolide le recours à la fiscalité énergétique, avec la suppression de l’exonération pour le gazole non routier, qui aura une incidence directe et très pénalisante sur nombre de petites et moyennes entreprises. Nombre d’orateurs reviendront sur ce point : la fiscalité énergétique sur les entreprises et les ménages progressera de 6,6 milliards d’euros sur deux ans, alors que les solutions alternatives n’existent pas encore, et donc ne permettent pas de réaliser la transition énergétique à laquelle nous aspirons tous.
Le pouvoir d’achat d’un certain nombre de ménages modestes, en particulier retraités et ruraux, sera incontestablement amputé l’an prochain. Pour nombre de nos concitoyens, le « budget du pouvoir d’achat » est bien loin de ses promesses. Sans doute y a-t-il là un puissant moteur de mécontentement, et il n’est pas nécessaire de chercher beaucoup plus avant les motifs de ce que nous constatons jour après jour sur nos routes et nos ronds-points.
Pour ce qui concerne les dépenses, les mêmes missions que l’an passé sont sacrifiées, et en premier lieu les missions « Travail et emploi » et « Logement ».
Comment dire mieux que ce sont les plus modestes des Français qui payent vos politiques !
Le Gouvernement fait le choix du désengagement du service public de l’emploi, alors même que le taux de chômage reste très élevé, au-dessus de 9 % de la population active ; il prend le risque de faire encore chuter la construction de logements sociaux, déjà amorcée, et il rabote les pensions et les prestations sociales en les désindexant.
Ces orientations dessinent un désengagement des politiques sociales conduites par l’État, désengagement que le plan Pauvreté ne peut masquer.
Le Gouvernement avait promis que, grâce au processus Action publique 2022, il trouverait les économies structurelles faisant aujourd’hui défaut. Il faut tout d’abord noter que, après avoir présenté ce processus comme un élément de crédibilité de la loi de programmation des finances publiques, il a refusé de rendre ses conclusions publiques. Notre commission, par mon intermédiaire, a dû menacer de recourir aux pouvoirs de la LOLF pour obtenir ce rapport. Or toute transformation de l’action publique doit se faire dans la transparence et le débat, surtout que le Premier ministre a affirmé, ici même, lors des questions d’actualité au Gouvernement, qu’il s’agissait d’un outil pour la réflexion du Gouvernement et qu’il a refusé de nous le transmettre. Bien sûr, la représentation nationale, elle, n’a pas à réfléchir… (Sourires ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Je note d’ailleurs à ce sujet que les parlementaires et les citoyens ne disposent toujours pas de l’ensemble des informations nécessaires pour pouvoir juger de la pertinence des mesures que le Gouvernement propose.
L’an passé, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, j’avais présenté un amendement pour donner l’accès au « code source » des dispositions fiscales proposées par le Gouvernement, ce qui permettrait de ne pas dépendre, pour la moindre simulation fiscale, du bon vouloir de celui-ci et des services de Bercy. Cet amendement n’a pas été retenu par l’Assemblée nationale, mais je le présenterai de nouveau. Messieurs les ministres, nous sommes déterminés à refuser de légiférer à tâtons. Notre démocratie en sortirait d’autant plus renforcée.
Je terminerai en évoquant le même sujet que le rapporteur général. Le Sénat, qui a travaillé depuis plusieurs années sur le thème de la lutte contre la fraude fiscale, a adopté des dispositions en matière de responsabilité des plateformes en ligne pour la collecte de la TVA. Il a enrichi le projet de loi de lutte contre la fraude.
Les membres du groupe de suivi que nous avons mis en place au sein de notre commission des finances proposeront, une fois de plus, une initiative transpartisane, pour soumettre les dividendes versés à des ressortissants étrangers à une retenue à la source effective. Il n’est en effet pas possible de demander à nos concitoyens des efforts s’ils n’ont pas le sentiment que tout le monde y consent et y concourt.
J’espère ainsi que, malgré nos probables divergences sur un certain nombre de mesures contenues dans ce projet de loi de finances, nous saurons tous nous réunir autour de cette ambition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Assassi, MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° I-658.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale.
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Éric Bocquet, pour la motion.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, loin de nous l’idée d’esquiver le débat avec le dépôt de cette question préalable.
M. Roger Karoutchi. Ah !
M. Éric Bocquet. Bien au contraire, nous voulons l’approfondir et lui consacrer plus de temps, faire en quelque sorte un point d’étape dix-huit mois après l’avènement du « nouveau monde ».
M. Philippe Dallier. Oh !
M. Éric Bocquet. « Exaspération », cela peut paraître un mot assez fort, pour d’aucuns excessif, mais le fait est que c’est ce sentiment qui semble aujourd’hui profondément ressenti par un nombre important de nos compatriotes et concitoyens devant la politique menée par le Gouvernement.
Les idées semblent d’ailleurs avoir pris de la vitesse pour se répandre dans l’opinion comme une traînée de poudre et nous sentons confusément que les choses ne peuvent continuer de la sorte.
Il semble bien loin le temps du printemps 2017 où, après une victoire obligée, le Président de la République obtint la majorité parlementaire dont il avait besoin pour mener son programme.
Cet argument des « engagements tenus », sans cesse ressassé depuis, commence tout de même à souffrir de n’avoir été partagé que par un peu plus de 15 % du corps électoral, soit la majorité la plus étroite obtenue par un vainqueur depuis l’inversion du calendrier électoral en 2002.
Force est aujourd’hui de constater, depuis les rues de nos villes jusqu’aux péages d’autoroute en passant par l’entrée des usines ou le portail des écoles, que nous sommes à la recherche de ces fameux 15 %.
Il faut dire que la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, qui n’a nullement favorisé la relance de l’investissement productif, ne concernait que 350 000 ménages sur près de 40 millions de foyers fiscaux.
Quant à l’exonération de taxe d’habitation, que changeait-elle à la situation de ceux qui ne la payaient déjà pas parce qu’ils étaient trop chichement payés ou parce que leur retraite était trop modeste ?
En revanche, la limitation de la taxe sur les dividendes, alors même que ceux-ci explosent, aura coûté 2 milliards d’euros aux deniers publics, pour profiter à quelques milliers de privilégiés figurant parmi les 800 000 contribuables déclarant plus de 100 000 euros de revenus annuels.
Le Gouvernement entend encore charger la barque, en en rajoutant notamment sur la fameuse fiscalité écologique déjà évoquée !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Oui !
M. Éric Bocquet. Le problème, c’est que cette fiscalité n’a souvent d’écologique que le nom ou le support et que son affectation est pour le moins sujette à caution.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est vrai !
M. Éric Bocquet. Je le sais pertinemment depuis que je participe aux travaux de cette assemblée, les recettes fiscales de l’État ont un caractère d’universalité qui ne souffre aucune contestation.
Sauf que l’affectation demeure possible, dans des conditions précises, et que cela arrive notamment avec les taxes sur la consommation énergétique.
Ainsi avons-nous un compte d’affectation spéciale « Transition énergétique » à l’intitulé séduisant et dont plus de 7 milliards d’euros de recettes, l’essentiel pour tout dire, est constitué d’un prélèvement de 39,75 % sur les recettes des taxes sur l’essence. Cela devrait réjouir quelques « gilets jaunes » ! (Sourires.)
Problème, voilà trois ans que ce compte d’affectation spéciale sert de « compte réservoir » – si je puis me permettre l’expression –, ce qui s’est traduit par le reversement cumulé de 1,8 milliard d’euros au budget général. La transition écologique s’est, une fois encore, inclinée devant les urgences de la petite cuisine budgétaire !
Chacun doit ici avoir en tête les données du problème. L’impôt sur les sociétés va rapporter, si tout va bien, environ 31,5 milliards d’euros en 2019, ce qui représente approximativement 1,3 % du PIB, pourcentage qu’on ne doit pas croiser très souvent chez nos partenaires européens.
Cette réalité fait litière du faux débat mené pendant des années sur le taux de l’impôt sur les sociétés, qui a surtout besoin d’une sacrée réparation d’assiette pour que les PME à vocation locale, régionale ou même nationale n’aient pas l’impression de payer plus que les grands groupes familiarisés avec les prix de transfert, le shadow banking – pardonnez-moi l’anglicisme – la finance de l’ombre, le « double irlandais » ou le roboratif « sandwich hollandais ».
De son côté, la TICPE, dont nous avons quelque peine à suivre les destinées maintenant qu’elle est affectée à des missions différentes, va dégager 37,7 milliards d’euros de recettes, hors taxes.
Si on ajoute la TVA induite, on se retrouve avec une recette fiscale de 45 milliards d’euros, c’est-à-dire une fois et demie l’impôt sur les sociétés, qui connaît tout de même un certain nombre d’exceptions stupéfiantes.
Certaines se comprennent, mais je dois dire que les plus récentes évolutions du tarif de la taxe posent question, notamment avec la fameuse contribution climat-énergie.
Sous l’analyse de l’article 9 de la loi de finances initiale pour 2018, notre rapporteur général indiquait : « Eu égard au caractère contraint de leur consommation énergétique et à leur faible capacité d’investissement en rénovation énergétique des logements ou en véhicules économes en énergie, les ménages ayant les revenus les plus faibles seront naturellement davantage impactés par une hausse de la fiscalité énergétique. »
C’est, du reste, la conclusion tirée par l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, dans une récente étude évaluant le programme présidentiel du Président de la République. L’OFCE a estimé l’impact selon les déciles de la composante carbone, en prenant pour hypothèse un prix de la tonne de carbone de 73 euros, soit un montant inférieur à la valeur de la tonne de carbone proposée par le Gouvernement pour 2021.
Selon lui, « l’impact selon les déciles de ménages varie d’un facteur 4 entre le premier – 1,8 % du revenu – et le dernier décile – 0,4 %. Les dépenses d’énergie de chauffage, considérées dans cette estimation comme incompressibles, contribuent fortement à ces disparités ».
On peut effectivement décider de continuer sans se poser de questions, mais il est évident que nous irions alors au-devant de graves difficultés.
Il y a de moins en moins de logique, mes chers collègues, à consacrer la TICPE à compenser aux collectivités locales, ce qui revient à leur faire payer une partie de la facture des fractures sociales, dans des conditions insatisfaisantes, le coût du revenu de solidarité active ou de la prise en charge de l’autonomie et de la dépendance.
Là où nous devrions solliciter la sécurité sociale, la solidarité et la mutualisation, nous sommes en situation d’accabler de taxes l’automobiliste ou le locataire.
La contribution climat-énergie n’est absolument pas consacrée à la moindre transition énergétique et son produit a, selon toute vraisemblance, alimenté quelques entreprises énergivores en allégements de cotisations sociales.
Et demain, plus elle augmentera, plus elle servira à maintenir des milliers de salariés au SMIC, puisque ce niveau de rémunération est désormais libéré de toute contribution dite « patronale » au financement de la sécurité sociale.
Nous avons pourtant bien d’autres choses à faire avec nos produits fiscaux, mais pas seulement.
Dans un rapport qui vient de sortir sur le projet de loi d’orientation des mobilités, le Conseil économique, social et environnemental recommande d’utiliser de manière exclusive et fléchée le produit des taxes sur la consommation énergétique en faveur de la mobilité.
Une telle idée ne nous semble pas dénuée d’un certain bon sens, même si elle nécessite de sérieuses adaptations de notre droit à la situation.
Une démarche budgétaire plus audacieuse et plus en phase avec les attentes du temps aurait dû conduire à renoncer au transfert de 36 milliards d’euros de TVA vers la sécurité sociale pour compenser l’attrition de ses ressources et s’attaquer aux 17 milliards d’euros restants de la TICPE afin de renforcer les politiques de transition.
N’en avons-nous pas besoin pour financer des plans climat-air-énergie territoriaux assortis d’objectifs précis en termes de réduction des déchets, de rationalisation de leur usage, d’investissement dans des véhicules non ou moins polluants ?
N’en avons-nous pas besoin pour financer des plans de déplacements doux, des réseaux de transport collectif dignes de ce nom, évitant les effets de centralité, source de rupture de charges et de baisse de la qualité ?
N’en avons-nous pas besoin pour promouvoir les circuits alimentaires courts, susceptibles de favoriser l’apprentissage du goût et de la qualité dès l’enfance, à l’école ?
N’en avons-nous pas besoin pour promouvoir un renforcement des réseaux ferrés, même à vocation locale ou régionale, source d’un aménagement du territoire plus équilibré, permettant le moindre recours au transport automobile ?
Aucun de ces enjeux, pas plus que les puissantes attentes sociales en matière d’emploi, d’action sociale, de logement, ne trouve grâce et place dans le projet de budget qui nous est soumis par le Gouvernement.
Cet attachement aux choix opérés en 2017, cette continuité affirmée et affichée, nous ne pouvons, eu égard à la situation profonde du pays, que vous inviter, mes chers collègues, à les rejeter en adoptant cette question préalable ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. Personne ne demande la parole contre la motion ?…
Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ne me tentez pas ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Ne cédez pas à la facilité !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Certains ont peut-être envie de leur week-end !
Je n’ai pas résisté au plaisir de lire l’objet de la motion : « Face aux attentes sociales et l’exaspération grandissante de la population devant la situation économique du pays, face aux enjeux fondamentaux que doit affronter notre pays, de par sa place en Europe et dans le monde, face aux questions de développement international équilibré, de transition énergétique et écologique, le projet de loi de finances 2019 n’apporte pas de réponses satisfaisantes, ni en termes de choix fiscaux, ni en matière d’affectation et d’utilisation de l’argent public. »
Je suis tenté de dire que je souscris assez largement à ces motivations. Nous n’avons cependant pas, vous vous en doutez, chers collègues, tout à fait la même conclusion.
Mme Éliane Assassi. Cela nous rassure !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous partageons avec vous un certain nombre d’appréciations sur ce projet de loi de finances et souhaitons donc très largement l’amender, comme nous l’avons fait l’année dernière. Or voter la motion tendant à opposer la question préalable nous priverait de la possibilité qui nous est offerte d’améliorer sensiblement le pouvoir d’achat des Français et la compétitivité du pays. Nous serions malheureusement empêchés de voter les amendements que vous proposent la commission des finances et différents groupes.
M. Roger Karoutchi. Ce serait dommage !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il serait dommage, en effet, de nous priver de cette possibilité d’expression. Nous souhaitons, comme nous l’avons fait l’année dernière, la saisir et proposer des économies crédibles.
À son grand regret, la commission des finances, qui souhaite la poursuite du débat, a émis un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. On peut se passer de budget !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Non, monsieur le président de la commission des finances, le Gouvernement ne pense pas qu’on puisse se passer de budget ! J’ai écouté avec intérêt M. le sénateur Bocquet, qui est assez clair et cohérent avec la ligne qu’il a suivie l’année dernière et avec celle qu’ont défendue les députés communistes à l’Assemblée nationale.
En dehors du fait que nous ne partageons pas la plupart de vos analyses, même s’il nous arrive de nous rejoindre sur quelques constats ou conclusions – je pense, par exemple, à la fraude –, je crois, moi aussi, préférable que le Sénat puisse discuter, amendement par amendement et article par article, du projet défendu par le Gouvernement.
Je me permets d’inviter la majorité des sénateurs à entrer dans la discussion, qui portera sur plus de mille amendements. J’imagine qu’ils feront l’objet d’un long débat, intéressant et passionné, sur lequel le Sénat donnera un avis article par article, sujet par sujet.
M. Claude Raynal. Nous pouvons être d’accord sur ce point, monsieur le ministre !
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° I-658, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances pour 2019.
Je rappelle également que l’avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 24 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 16 |
Contre | 327 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. Didier Rambaud. Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues : « C’est une maxime constante et reconnue dans tous les États du monde que les finances en sont la plus importante et la plus essentielle partie. C’est une manière qui entre en toutes les affaires, soit qu’elle regarde la subsistance de l’État en son dedans, soit qu’elle regarde son accroissement et sa puissance au dehors. »
Ces mots de Jean-Baptiste Colbert peuvent nous guider dans l’examen de ce projet de loi de finances. Ils doivent nous guider lors de nos débats, qui ne sauraient céder aux faiblesses susceptibles de surgir du besoin que nous aurions de nous faire des partisans en sacrifiant l’avenir au présent et les intérêts généraux aux requêtes particulières.
L’intérêt général de la France, c’est celui de la prospérité de tous les Français et de tous les territoires. Tel était déjà l’objet central du projet de loi de finances pour 2018, il est encore le cœur de ce projet de loi de finances pour 2019.
Les premiers textes financiers du Gouvernement mettent aussi en lumière la constance et la clarté des choix. Et nous pouvons, je le crois, y adhérer : les Françaises et les Français, les salariés comme les entrepreneurs, ont besoin de la visibilité et de la stabilité qui ont pu manquer par le passé. Cela nécessite une trajectoire fiscale claire.
Cette trajectoire est simple : elle passe par la baisse du taux de prélèvements obligatoires de un point et le financement des investissements productifs. Ces engagements sont concrets pour les Françaises et les Français, ainsi que pour les entreprises.
S’agissant des ménages, les impôts baissent en 2019 de 6 milliards d’euros, principalement grâce à la suppression progressive de la taxe d’habitation et à la suppression des cotisations chômage et maladie. Nous sommes tous ici élus locaux, nous savons que la suppression de la taxe d’habitation représentera pour les Français, plus de 22 milliards d’euros de baisse d’impôts, dont l’évolution sera entièrement compensée par l’État pour les communes.
M. Philippe Dallier. On ne sait pas trop comment !
M. Didier Rambaud. Il y a aussi un engagement concret en faveur des entreprises, avec la baisse à 25 % du taux de l’impôt sur les sociétés, pour remettre la France dans la moyenne européenne : il fallait le rappeler, nous étions leader en Europe du taux d’imposition des sociétés.
Il y a un choix, oui, celui d’alléger la fiscalité, avec des mesures fortes pour soutenir l’activité et l’emploi. La philosophie de notre groupe, La République En Marche, est assumée : elle vise l’inclusion de tous dans l’économie, car, la meilleure réponse à la pauvreté, c’est l’emploi.
Nous voulons qu’en France le travail paie, qu’il permette d’accroître la production de richesses et qu’il finance, autrement que par l’impôt et par la dette, les protections que nous devons à tous nos compatriotes, en particulier aux plus fragiles.
Je suis, comme vous tous, élu local. Les choix faits par le Gouvernement de clarté et de cohérence à destination des collectivités résonnent avec mon vécu. Cette année encore, la dotation globale de fonctionnement, la DGF, est sanctuarisée à 27 milliards d’euros. La dotation de soutien à l’investissement local, la DSIL, est maintenue à son niveau de 2017, soit 570 millions d’euros. Cette dotation est pérennisée par le Gouvernement, alors qu’elle présentait à sa création un caractère exceptionnel, ne l’oublions pas. Le soutien à l’investissement sous toutes ses formes est maintenu à un niveau élevé. Il se déploie par la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR, la dotation politique de la ville, DPV, la DSIL. Les collectivités ont une visibilité sur leurs recettes et l’assurance de pouvoir gérer leurs budgets. Après cinq années de coupes sans discrimination entre communes pauvres et communes riches, c’est une nouveauté bienvenue.
Mes chers collègues, l’intérêt général de la France, c’est aussi changer notre modèle. Ce dernier repose sur la dépense publique financée par une dette qui frôle les 100 % du PIB. Le recul historique nous l’apprend avec clarté, quand il y a hausse des dépenses publiques, il y a hausse des impôts, hausse de la dette et baisse de la croissance.
Ainsi, la période marque la plus grande baisse des dépenses publiques depuis cinq quinquennats : cette année, les dépenses publiques stagnent à 0 % en volume. Le déficit public pour 2019 est de 1,9 % du PIB, en retranchant la bascule du CICE ; 1,9 % contre 3,4 % voilà vingt mois, quand l’exécutif, dont vous faites partie, messieurs les ministres, a commencé son travail. C’est un fait, votre action a permis à la France de sortir de la procédure pour déficit excessif.
Conformément à la trajectoire votée par le Parlement, la dépense publique diminuera de trois points sur le quinquennat. Au regard des études économiques disponibles, ce rythme de consolidation budgétaire est le bon pour ne pas faire chuter la consommation privée et contraindre les ménages et les entreprises.
En d’autres termes, nous arrivons à un moment où nous devons nous interroger sur des choix collectifs et budgétaires : malgré une dépense publique la plus élevée d’Europe, peut-on estimer que nos services publics sont les meilleurs ? Qu’en pensent les enseignants, les juges, les policiers et gendarmes ?
L’État peut mieux faire, l’État doit mieux faire ! Mieux faire peut vouloir dire transformer les missions de l’État pour faire des économies, recentrer les actions, transformer le service public grâce au numérique. Mieux faire, c’est aussi répondre à l’enjeu de protection des Français. Le budget des armées connaît la plus forte augmentation de crédits depuis la guerre froide : l’effort pour nos armées sera porté à 2 % du PIB. C’était un engagement du Président de la République ; il est à présent concrétisé.
Protéger les Français signifie aussi renforcer nos forces de police et de gendarmerie. Cela commence par rattraper les 13 000 postes supprimés entre 2007 et 2012, mais cela signifie aussi repenser l’action de l’État pour la sécurité.
Prendre conscience de la responsabilité qui nous incombe au moment de discuter le budget de la Nation, c’est aussi ne pas sacrifier l’avenir au présent.
Nous pouvons nous imaginer Cyrus Smith, l’ingénieur né de l’esprit de Jules Verne, qui détourne un fleuve et maîtrise la nature, mais nous pouvons aussi imaginer, comme Simak, auteur de science-fiction, que, demain, l’Humanité ne sera qu’une légende dont parleront les chiens.
Nous avons un grand devoir à l’égard des générations futures. Nous autres parlementaires avons également deux choix : prétendre que la planète n’évoluera pas ou accompagner ce changement.
Ces changements sont concrets, tangibles. Ainsi, dans l’un de ses scénarios sur le monde en 2040 récemment dévoilé, l’Agence internationale de l’énergie prévoit qu’un véhicule sur deux dans le monde sera électrique.
Mes chers collègues, la sagesse du Sénat doit être au service de l’intérêt général et de la Nation. Notre groupe sera, en conséquence, attentif sur les propositions qui pourraient sacrifier l’avenir, qu’il s’agisse d’aggraver le déficit public par des mesures sectorielles, de flatter ou satisfaire l’ego de quelques secteurs au détriment de tous les Français qui devront payer,…
Mme Éliane Assassi. Ils paient déjà !
M. Didier Rambaud. … qu’il s’agisse, par exemple, de faire croire aux Français que l’environnement n’est pas un sujet,…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est un sujet !
M. Didier Rambaud. … lorsque 50 000 personnes par an meurent en raison de la pollution de l’air.
M. Jean-François Husson. Il s’agit de morts prématurées, c’est différent !
M. Didier Rambaud. Cette responsabilité est collective, le groupe La République En Marche l’assumera ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, selon les simulations menées à l’aide du modèle Ines, le revenu disponible moyen par ménage, en euros constants, serait, en 2016, inférieur de 1,2 % à son niveau de 2008.
Les réformes fiscales visant le redressement structurel des comptes publics engagé à la suite de la crise économique, la hausse du chômage et du temps partiel et les évolutions démocratiques sont sûrement des facteurs qui peuvent expliquer cette diminution.
Sans les réformes fiscales intervenues entre 2008 et 2016, le revenu disponible moyen des ménages aurait été supérieur de 1,4 % en 2016. Les effets de ces réformes diffèrent selon la place des ménages dans la distribution des niveaux de vie.
Les ménages les plus aisés – mais c’est bien le minimum – ont été les plus mis à contribution : les 5 % du haut de la distribution ont vu leur revenu disponible annuel diminuer de 5 640 euros sous l’effet des mesures nouvelles concernant les prélèvements – hausse des cotisations sociales, création d’une tranche d’impôt sur le revenu à 45 %, imposition au barème de l’impôt sur le revenu des revenus du capital, etc.
Les ménages les plus modestes ont bénéficié de la politique sociale et des amortisseurs sociaux encore existants : les 5 % les plus modestes ont vu leur revenu disponible annuel s’accroître de plus de 450 euros et les 5 % de la tranche au-dessus l’ont vu s’accroître de 890 euros du fait des réformes des prestations – revalorisation des minima sociaux, création de la prime d’activité, etc.
Messieurs les ministres, les réformes des prestations et prélèvements mises en œuvre en 2017 ont, à nos yeux, un impact quasi nul sur les inégalités de niveau de vie.
Ce que je viens de citer ici, mes chers collègues, ne pouvait figurer dans le document de présentation du budget pour 2019, puisque ces lignes sont issues d’une fort instructive note d’actualité de l’INSEE, publiée avant-hier.
Si elle ne réhabilite pas – loin de là ! – les politiques du précédent quinquennat, elle témoigne, en revanche, que les quelques garde-fous encore préservés pour freiner l’aggravation des inégalités sociales ont sauté en 2017, avec ce que nous appelons l’avènement d’une course folle vers un ultralibéralisme sans limites.
Oui, c’est bien un nouveau projet de société qui est à l’œuvre, encore plus violent pour les salariés, pour les familles populaires et les classes moyennes, un projet toujours plus protecteur pour les actionnaires des grandes entreprises et pour les marchés financiers.
Ainsi, si l’on compare la première année du précédent quinquennat, largement rejeté par les milieux populaires, et la première année du quinquennat en cours, c’est-à-dire les lois de finances initiales pour 2013 et 2019, il semble bien que quelques données ont évolué et qu’elles n’ont certainement pas contribué à améliorer la situation de la grande majorité de nos compatriotes.
Dans la loi de finances pour 2013, on avait ainsi prévu, entre autres, de percevoir les recettes suivantes : pour l’impôt sur le revenu, 72,8 milliards d’euros ; pour l’impôt sur les sociétés, 52,3 milliards d’euros, malgré le CICE ; pour la TVA, 141,8 milliards d’euros ; pour la TICPE, 13,8 milliards d’euros. Et nous avions une prévision de 85,2 milliards d’euros en remboursements et dégrèvements d’impôts d’État et de 10,9 milliards d’euros pour les impositions locales.
Devenu sénateur et rapporteur de la mission « Remboursements et dégrèvements », je me devais de le souligner.
La part de la fiscalité indirecte était déjà importante dans l’ensemble des recettes, mais il n’en demeure pas moins que la situation n’était pas celle d’aujourd’hui.
Dans le projet de loi de finances pour 2019, nous avons une prévision ainsi fixée : pour l’impôt sur le revenu, 70,5 milliards d’euros ; pour l’impôt sur les sociétés, 31,5 milliards d’euros ; pour la TVA nette, 166,9 milliards d’euros, très fortement impactée par le transfert de plus de 36 milliards euros pour compenser les allégements sociaux ; pour la TICPE, 17 milliards d’euros. Par ailleurs, le montant des remboursements et dégrèvements continue son ascension.
Ainsi, les correctifs sur impôts d’État vont atteindre 116 milliards d’euros et il est possible que les allégements divers frappant les impositions locales atteignent les 20 milliards d’euros.
Sur les crédits très approximatifs ainsi ouverts, on peut cependant noter, ce qui est un signal clair quant au projet de société vers lequel on nous propose d’aller, que 100 milliards d’euros sont fléchés vers les entreprises, 17,5 milliards vers les ménages et environ 13,5 milliards vers les collectivités locales.
Quand on regarde l’évolution des recettes fiscales, on constate l’effondrement du produit de l’impôt sur les sociétés, celui-ci se situant à environ 1,3 % du produit intérieur brut. Pour dire les choses simplement, cela représente quatre jours et demi de production, c’est-à-dire de travail des salariés. C’est un peu comme si les entreprises de notre pays commençaient l’année 2019 en se disant que, dès le 6 janvier, elles auraient fini de payer l’impôt sur les sociétés !
Mme Éliane Assassi. Ah !
M. Pascal Savoldelli. En revanche, nous constatons la persistance de la fiscalité indirecte, avec un niveau exceptionnellement élevé de recettes de TVA et de fiscalité énergétique. Arrêtons-nous un instant sur la TVA, qui est l’impôt le plus injuste – il faut regarder les gens modestes et les pauvres en face lorsque l’on parle de la TVA –, et sur les 53,5 milliards d’euros de remboursement aux entreprises et les 36,3 milliards d’euros qui viendront combler le trou béant laissé par la pérennisation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Ce ne sont ni plus ni moins que 90 milliards d’euros de TVA brute « ristournée ». Et l’on nous parle de panne d’argent et de dette publique !
Les ménages salariés, retraités et autres de notre pays vont donc, mes chers collègues, laisser 60 milliards à 65 milliards d’euros en 2019 en ristourne aux actionnaires des entreprises. C’est l’équivalent d’un impôt invisible de 1 500 euros par ménage et par an !
Messieurs les ministres, ce que vous allez offrir aux Français, c’est une forme d’enfer fiscal, où les bases d’imposition vont, contre toute logique économique, s’éloigner de la sphère de la production pour se concentrer sur les revenus, inégalitaires, et la consommation sous toutes ses formes.
En lieu et place d’un impôt sur le revenu plus progressif, comme nous le demandons, avec une augmentation du nombre de tranches et une modification des taux, nous aurons, demain, un impôt sur le revenu rendu moins progressif par le traitement de faveur accordé aux revenus du capital et du patrimoine, dont la CSG, transformée en impôt de base, sera l’élément le plus dynamique.
N’allez-vous pas, messieurs les ministres, consolider la dette sociale au sein de la CADES pour en confier le règlement aux salariés et aux retraités, qui sont, eux, soumis à la CSG et à la CRDS, cette contribution dont on parle si peu ?
Qui plus est, nous aurons, à n’en pas douter, de nouveaux droits de consommation sur les alcools, le tabac, les boissons gazeuses, les boissons avec édulcorants, la consommation en général, l’utilisation de l’air (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste), le recours à l’énergie et aux carburants, etc.
Voilà cinq ans, mon ami Éric Bocquet, évoquant ici même notre opposition à la mise en place de la contribution climat-énergie, soulignait : « Derrière l’article 20 se cache un nouvel alourdissement de la fiscalité indirecte pour les ménages à hauteur de 230 millions d’euros dès 2014, et de 2,7 milliards d’euros en 2016.
« Le prix du plein d’essence ou de gazole, la facture de chauffage au gaz ou au fioul vont augmenter sans que les intéressés puissent y faire grand-chose.
« La grande remise à plat de notre système fiscal ne pourra ignorer la situation des familles contraintes d’utiliser leur véhicule personnel pour aller travailler ou dont les logements collectifs sont chauffés grâce au fioul ou au gaz.
« L’article 20 nous éclaire sur le sens de certaines réformes fiscales : avant deux ans, compte tenu de la montée en charge de sa composante carbone et des pleins effets du crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi, la TICPE va se transformer en recette fiscale plus importante que l’impôt sur les sociétés. Une telle logique nous déroute quelque peu.
« En effet, le produit de cette hausse sera affecté non pas à la transition écologique, mais à la réduction des cotisations sociales des entreprises dans le cadre du trop fameux CICE.
« Les rôles sont donc clairement partagés : d’un côté, les entreprises collectent l’impôt et le facturent en dernier ressort au consommateur avant de percevoir le produit du CICE, de l’autre, les consommateurs ont le droit de payer le tout directement ou indirectement, sans espérer autre chose qu’un hypothétique mouvement d’embauche dans le secteur privé.
« Nous ne pouvons évidemment que proposer la suppression de cet article, qui pervertit totalement le bien-fondé de la fiscalité écologique et témoigne, une fois encore, du fait que l’approche fiscale des problèmes environnementaux n’est pas la bonne. »
Ces propos ont été tenus en 2014 et ils sont encore d’actualité ! Si j’ai jugé utile ce rappel, c’est que nous sommes en des temps où les amalgames faciles nourrissent l’antiparlementarisme le plus éculé…
M. Julien Bargeton. Ah !
M. Pascal Savoldelli. … et brouillent l’écoute que nous devrions avoir à l’égard des attentes de nos compatriotes.
Enfer fiscal pour le plus grand nombre : voilà ce que devient notre pays avec ce projet de budget !
Et je ne dis rien des dépenses dans le détail. Pour ne citer qu’un exemple, on rappellera que l’on se félicite de l’adoption du prélèvement à la source, car il permettra de réaliser 1,4 milliard d’euros d’économies sur les aides personnelles au logement !
M. Pascal Savoldelli. Quel bonheur que de risquer de perdre l’anonymat sur ses revenus auprès de son employeur pour être sûr de ne plus toucher d’allocations logement !
Mais l’enfer doit bien avoir un paradis. Oui, la France est en train de devenir un paradis, un paradis financier. En effet, 31,5 milliards d’euros d’impôt sur les sociétés et un peu moins de 30 milliards d’euros de fiscalité locale pèsent-ils beaucoup au regard des 100 milliards d’euros de remboursements et dégrèvements accordés aux entreprises, auxquels s’ajoutent les allégements de cotisations sociales, largement majorés cette année par l’intégration du CICE et les mesures retracées dans l’évaluation des voies et moyens, comme les 34 milliards d’euros du régime des groupes ou les 7 milliards d’euros de la « niche Copé » ?
Nous ne sommes plus très loin de ressembler à un paradis financier pour actionnaires et individus fortunés, privés d’impôt de solidarité sur la fortune, dotés d’un prélèvement forfaitaire et bientôt pourvus d’une exemption inégalée de leurs donations. Cela s’appelle bien un paradis financier. Voilà ce que l’on est en train de construire avec ce projet de loi de finances !
Mes chers collègues, nous considérons cette situation comme dangereuse, parce qu’elle aggrave les ressentiments déjà profonds dans notre société, ce que nous devons absolument éviter. C’est cette situation que nous allons résolument combattre avec nos amendements, pour montrer qu’une autre voie est possible face à cette politique, dont plus personne ne pourra maintenant nier qu’elle est ultralibérale, et donc ultralibérale. (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Nous ne le ferons pas pour alimenter l’idée que l’impôt est par nature un enfer. Aujourd’hui, par souci d’efficacité économique, il faut réhabiliter les vertus de l’impôt dans notre société. C’est le travail parlementaire le plus utile auprès de nos concitoyens, pour notre économie française et sa production. Ce sera le sens de la participation des membres de notre groupe au débat. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Éliane Assassi. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, pour le Gouvernement et le Parlement, la présentation et le vote d’un budget constituent l’acte majeur de l’année, celui qui sous-tend toute la politique gouvernementale et dessine les frontières des majorités et des oppositions.
Comme les années précédentes, il convient de replacer l’examen du projet de loi de finances dans un contexte historique, économique, social et financier, à l’échelon tant national qu’international.
L’environnement international n’a jamais été aussi perturbé et incertain, avec des foyers de conflit au Moyen-Orient, une politique isolationniste des États-Unis, une volonté expansionniste de la Chine et un manque évident de cohésion en Europe.
Sur le plan économique, on assiste à une complexification des échanges internationaux, à une plus grande volatilité des cours du pétrole et des matières premières, à un tassement des perspectives de croissance en Europe ainsi qu’à la persistance de nos faiblesses structurelles dans le secteur industriel.
Le contexte historique national, c’est en fait l’état des lieux dégradé de la maison France au début de ce quinquennat en termes de dette, de déficit public, de balance commerciale et de niveau de chômage. Les gouvernements précédents, malgré des efforts parfois méritoires, n’ont pas réussi à inverser les tendances négatives de ces indicateurs.
C’est le défi que le Gouvernement doit relever : réussir là où ses prédécesseurs ont échoué.
Ce constat devrait conduire ceux qui ont gouverné ou soutenu les politiques publiques lors de la dernière décennie à la plus grande modestie ainsi qu’à plus de réserve dans leurs critiques et leurs propositions, mais aussi le Gouvernement à respecter une certaine prudence dans l’affirmation de ses certitudes.
Le projet de loi de finances pour 2019 est à la fois un budget de transformation et de transition. En effet, si le déficit budgétaire atteint 98,7 milliards d’euros, il aurait été à périmètre comparable à 76,3 milliards, soit inférieur de 3,7 milliards d’euros au déficit prévu pour 2018. Cet écart de 22,4 milliards d’euros s’explique par le basculement du CICE en diminution de cotisations sociales pour les entreprises, ce qui génère en 2019 une double charge pour le budget de l’État : le CICE de 2018 imputé sur l’impôt sur les sociétés de 2019 et la baisse des cotisations à compter du début du mois de janvier 2019, mais aussi le décalage d’un mois de recettes d’impôt sur le revenu lié à la mise en place du prélèvement à la source, mesure légèrement compensée par l’avènement d’un cinquième acompte d’impôt sur les sociétés pour les entreprises.
Ce projet de loi de finances nous inspire un certain nombre de satisfactions, mais aussi quelques réserves, interrogations et inquiétudes.
Au rang des satisfactions figurent : le respect de la trajectoire budgétaire fixée dans la loi de programmation financière pour les années 2018 à 2022, avec un déficit public de 1,9 % du PIB majoré à 2,8 % du fait de dispositions exceptionnelles – je pense au CICE ; la construction budgétaire fondée sur des hypothèses macroéconomiques jugées crédibles par la Cour des comptes, laquelle estime raisonnable le maintien d’un taux de croissance à 1,7 % du PIB ; un maintien pour la deuxième année consécutive des concours financiers aux collectivités territoriales, avec une enveloppe normée stabilisée à 40 milliards d’euros ; une augmentation du pouvoir d’achat estimée par le Gouvernement à 6 milliards d’euros, inflation et fiscalité écologique incluses, mais qu’il faut ramener en progression nette aux environs de 3 milliards d’euros, pour tenir compte du plafonnement de l’évolution des retraites et pensions ; enfin, une légère baisse du niveau des prélèvements obligatoires, qui devrait s’établir à 44,2 % en 2019, au lieu de 45 % en 2018.
Des réserves et interrogations que l’on peut formuler, je ne citerai que deux exemples.
La première réserve concerne la TICPE, dont le produit devrait s’accroître de 3,9 milliards d’euros. La plus grande partie de la progression devrait toutefois rester dans le budget général de l’État, le reste étant affecté à la transition énergétique et à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF. Si la hausse et la variation du prix des carburants sont bien principalement imputables à l’évolution du prix du pétrole brut, le manque de clarté dans le fléchage du produit de cette taxe a handicapé la pédagogie du Gouvernement et n’est pas étranger à la grogne de nos concitoyens.
La seconde réserve – peut-être plus personnelle – porte sur la désocialisation des heures supplémentaires, qui est bien l’introduction de 600 millions d’euros en 2019 et de 2 milliards d’euros en année pleine de pouvoir d’achat pour les salariés accomplissant des heures supplémentaires. Cette mesure, certes populaire, représente malgré tout un effet d’aubaine, qui a quelques inconvénients et effets pervers, en ne concernant qu’à peine la moitié des salariés du secteur privé, en annulant la création de 12 000 emplois par an et en n’ayant aucun effet de levier sur la croissance et la compétitivité des entreprises.
J’en viens aux inquiétudes et tiens à rappeler la gravité que représente un déficit budgétaire, même ramené à 76 milliards d’euros. Il faudrait en effet, par exemple, doubler les recettes de l’impôt sur le revenu pour retrouver l’équilibre budgétaire.
Par ailleurs, la dette continue de progresser, avec une charge annuelle de 42,5 milliards d’euros.
La dépense publique ne baisse pas et la diminution des emplois dans les services de l’État est assez faible, de l’ordre de 4 000 en 2019, ce qui reporte à la deuxième moitié du quinquennat tout l’effort auquel le Président de la République s’était engagé.
Une autre crainte porte sur les choix qui pourraient être faits par nos compatriotes entre la consommation, l’investissement et l’épargne. Les Français sont déjà parmi les plus gros épargnants du monde, avec 5 100 milliards d’euros de patrimoine financier hors immobilier des ménages. Si les gains de pouvoir d’achat s’orientent vers le renforcement d’une épargne défensive, épargne de précaution peu risquée et peu rémunératrice, cela pénalisera lourdement l’investissement et la consommation des ménages, de même que le renforcement des capitaux propres des entreprises.
Ainsi, la hausse de 0,7 % de pouvoir d’achat du deuxième trimestre de 2018 a pris intégralement le chemin de l’épargne, dont les flux collectés sont passés sur cette période de 16 milliards à 23 milliards d’euros. Messieurs les ministres, les ressorts d’une reprise économique en 2019 sont bien présents sur le plan technique et financier, mais ils risquent d’être neutralisés par une approche psychologique de la situation assez pessimiste de la part de nos compatriotes, largement amplifiée par les événements et effets médiatiques.
En conclusion, je dirai que notre appréciation de ce projet de budget est plutôt contrastée, même si elle demeure globalement positive.
Le groupe du RDSE ne remet pas en cause l’orientation générale de la politique du Gouvernement et des importantes réformes structurelles qui sont ou seront engagées. Nos propositions par voie d’amendements concerneront des ajustements mineurs destinés à mieux répondre à certaines situations, sans effets significatifs en termes de masse financière.
Dans la ligne directrice qu’il s’est fixée, l’exécutif doit poursuivre les réformes engagées, accentuer ses efforts pour diminuer la dépense publique et le niveau des prélèvements obligatoires. La majorité du groupe du RDSE ne s’associera pas aux amendements qui pourraient infléchir de manière trop grossière ce projet de budget et soutiendra donc le projet de loi de finances pour 2019. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, un budget dont presque toutes les missions sont adoptées est-il un bon budget ?
M. Philippe Dallier. C’est loin d’être sûr !
M. Philippe Adnot. Techniquement, on pourrait penser que oui. D’ailleurs, il faut avec honnêteté saluer les efforts de maîtrise du présent projet de budget, qui sont indéniables. Toutefois, un budget ne peut être bon que s’il est, également, au service d’une bonne politique.
J’ai observé avec intérêt les premiers pas de ce gouvernement et j’ai approuvé les mesures qui avaient trait à la simplification et à la relance de l’économie et de l’investissement.
Force est de constater aujourd’hui que nous sommes loin d’une bonne politique, dans la mesure où certains vieux démons de Bercy ont repris le dessus.
Un exemple emblématique en est, à mes yeux, la suppression de la taxe d’habitation. Plus que la volonté de tenir une promesse, il est question pour Bercy de satisfaire un vieux rêve, à savoir remplacer l’autonomie fiscale et financière des collectivités territoriales par des dotations. Nous serions dans la main de Bercy.
Or cette décision est tout à la fois absurde et injuste.
Cette décision est absurde, car elle conforte ceux des élus locaux qui avaient voté les impôts les plus élevés et condamne ceux qui, dans un souci de bonne gestion, avaient voté de faibles impôts et n’auront aucune solution pour dégager des marges de manœuvre en cas de besoin.
Cette décision est injuste, dans la mesure où elle donne le plus de pouvoir d’achat à ceux qui ont déjà les revenus les plus élevés. Je rappelle que 30 % de nos concitoyens ne paient pas de taxe d’habitation. Pour eux, ce sera zéro euro d’augmentation de pouvoir d’achat. L’écart in fine pourra être situé entre 0 euro et 5 000 euros, voire 10 000 euros. On nous présente des moyennes départementales, mais on ne nous dit rien de la fourchette. Combien de pouvoir d’achat en plus pour ceux qui habitent dans des hôtels particuliers ? Il aurait été plus juste de proposer un abattement forfaitaire pour tous.
Cette décision grève le budget de l’État sans provoquer en retour de création de richesses. Elle oblige le Gouvernement à faire la course aux recettes nouvelles, d’où l’explosion des taxes et prélèvements.
L’affaire des carburants est exemplaire de la course aux usines à gaz : prendre l’argent et proposer ensuite des montages alambiqués, par exemple, l’allégement pour ceux qui résident à plus de trente kilomètres de leur lieu de travail. Combien faudra-t-il de fonctionnaires nouveaux pour contrôler tout cela ? Ceux qui se trouvent à vingt-neuf kilomètres de leur lieu de travail n’auraient-ils alors droit à rien ? En réalité, ceux qui sont touchés sont ceux qui sont loin de tous les services, qui n’ont pas de solution de remplacement, pas seulement pour leur travail, mais aussi pour leur vie quotidienne.
Le doublement de la prime pour changer de véhicule ne résoudra rien. Ceux qui n’ont pas les moyens financiers ou ceux qui viennent de s’engager en souscrivant un crédit ne profiteront pas de ces dispositions nouvelles.
Pas d’alternative, c’est là que le bât blesse ! On se retrouve alors avec un résultat tout à fait contraire à ce qui aurait été souhaité en matière environnementale.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Eh oui !
M. Philippe Adnot. Une bonne politique aurait consisté à ne pas faire s’effondrer le marché du diesel par des annonces intempestives et plomber le marché de l’occasion, ce qui aura pour effet de faire durer et vieillir encore plus le parc automobile.
Une bonne politique aurait consisté à consacrer l’argent des taxes à construire des infrastructures, facilitant les alternatives. Combien y a-t-il de postes de recharge à hydrogène en Allemagne ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Beaucoup !
M. Philippe Adnot. Combien en compte-t-on en France ? Combien de postes pour les véhicules au gaz ? Combien pour ceux qui vont rouler au E100 ? On n’a pas consacré l’argent des taxes à permettre aux gens de faire d’autres choix.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Eh oui !
M. Philippe Adnot. Devant le ras-le-bol exprimé par nos concitoyens, on a l’impression d’un affolement général, donc d’un accroissement de la complexité, d’un éloignement des centres de décision, d’une volonté de la technocratie de vouloir faire le bonheur des citoyens et des collectivités à leur place, souvent contre eux.
Un bon budget technique n’est pas nécessairement un bon budget politique. Il faut le regretter, car notre pays a des défis énormes à relever. Rien n’est dit ou fait pour corriger le déficit de notre commerce extérieur.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Philippe Adnot. Pourtant, il n’est pas neutre par rapport à notre déficit public, qui atteindra les 100 milliards d’euros, et à notre endettement, qui atteindra 1 000 milliards d’euros. Il serait temps de se consacrer à l’essentiel, l’accroissement de la création de richesses. (Très bien ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, « il y a une addiction française à la dépense publique. […] Et comme toute addiction, elle nécessitera de la volonté et du courage pour s’en désintoxiquer ».
M. Julien Bargeton. On est shooté !
M. Vincent Delahaye. Ainsi s’exprimait le Premier ministre lors de son discours de politique générale.
Messieurs les ministres, au regard de ce projet de budget, il semble que cette volonté et ce courage fassent défaut. Notre pays est la victime du couple infernal « excès de dépenses, excès d’impôts ». L’enfant de ce couple, c’est un État obèse, écrasant l’activité économique par sa gloutonnerie fiscale.
Cette situation fait de la France le dernier de la cordée européenne. Pour preuve, depuis une semaine, nous vivons à crédit.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Vincent Delahaye. Pendant quarante-six jours en effet, les services de l’État sont payés à crédit. Seules la Pologne et la Roumanie font moins bien que nous.
Le résultat, c’est un déficit très élevé : 100 milliards d’euros avec le CICE, 80 milliards d’euros sans le CICE, soit à peu près 30 milliards d’euros de plus qu’en 2017. Si nous n’étions pas les seuls, cela irait, mais il faut savoir que neuf pays de l’Union européenne sont excédentaires. Cette situation ne concerne pas uniquement l’Allemagne.
Certains diront que, depuis quarante ans, on a tout essayé pour rétablir les comptes publics. Il n’en est rien. On a tout essayé, sauf la baisse de la dépense publique.
Maîtriser la dépense ne suffit pas. La réduire est une nécessité. Il ne suffit pas de le dire, messieurs les ministres. Il faut le faire. Les discours, c’est bien ; les actes, c’est mieux.
M. Vincent Delahaye. Vous verrez au cours du débat ce que nous proposerons, monsieur le ministre, et j’espère que vous approuverez nos dispositions d’économie.
M. Vincent Delahaye. Nous avons toujours plus de dépenses publiques. Toutes administrations confondues, on nous propose 24 milliards d’euros de dépenses publiques supplémentaires en 2019. Depuis le début du quinquennat, cela représente 51 milliards d’euros de dépenses publiques en plus.
Pour les seules dépenses de l’État, en 2019, ce sont 6 milliards d’euros de plus que vous nous proposez, messieurs les ministres. Sur trente missions, vingt sont à la hausse et seulement dix à la baisse. Depuis 2006 – ce n’est pas si loin –, la dépense publique a augmenté en France de 34 %.
M. Julien Bargeton. La faute à qui ?
M. Vincent Delahaye. Cela représente 300 milliards d’euros de plus de dépenses publiques jusqu’à aujourd’hui. Si l’on avait augmenté la dépense au prorata de l’évolution de la population, laquelle a augmenté de 6 % dans l’intervalle, et de l’inflation, qui a connu une hausse de 22 %, elle serait inférieure aujourd’hui de 80 milliards d’euros. Cette somme de 80 milliards d’euros vous dit-elle quelque chose, messieurs les ministres ? Cela correspond au montant du déficit sans le CICE.
M. Julien Bargeton. CQFD !
M. Vincent Delahaye. Messieurs les ministres, le projet de budget que vous nous présentez aujourd’hui est tout de même relativement avare d’économies. Le Président de la République s’était engagé à supprimer 50 000 postes de fonctionnaires durant son quinquennat, ce qui nous semblait déjà insuffisant. Après une réduction de 1 600 postes en 2018, vous proposez 4 200 postes de moins en 2019. En moyenne, cela représente moins de 3 000 postes par an. À ce rythme, il faudra dix-sept ans pour remplir la promesse du Président de la République !
M. Charles Revet. Eh bien, dites donc !
M. Vincent Delahaye. Depuis 1980, et l’on ne pouvait pas considérer que la France était alors sous-administrée, les emplois publics ont augmenté de 46 %,…
M. Charles Guené. Eh oui !
M. Vincent Delahaye. … contre une augmentation de la population de seulement 23 %.
Pour parvenir à réaliser de véritables économies, il conviendrait de réduire le périmètre de l’État.
M. Vincent Delahaye. Il est temps d’agir si vous voulez alléger considérablement la dépense, donc la fiscalité.
Il faut se souvenir du mot de Clemenceau : « La France est un pays extrêmement fertile : on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts. » (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Julien Bargeton. Et inversement !
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Un authentique homme de gauche ! (Sourires.)
M. Vincent Delahaye. En effet, on a toujours plus de fiscalité.
Messieurs les ministres, vous avez hérité du choc fiscal du quinquennat Hollande :…
M. Claude Raynal. Et Sarkozy ?
M. Vincent Delahaye. … plus 50 milliards d’euros d’impôts et de taxes. L’INSEE a récemment montré dans une étude que le pouvoir d’achat moyen des Français avait baissé de 440 euros par an entre 2008 et 2016, notamment du fait du choc fiscal du quinquennat Hollande. Cette année, vous nous proposez une augmentation de la taxe carbone ; ce n’est pas votre gouvernement qui l’a créée, mais il l’a amplifiée.
À mes yeux, une telle augmentation est à la fois une supercherie et une punition. Le rapporteur général a parlé d’escroquerie, je préfère pour ma part le terme de supercherie. En effet, cette taxe n’est pas une véritable taxe écologique : c’est une taxe de rendement budgétaire. Elle est supposée rapporter 38 milliards d’euros, mais seuls 7 milliards d’euros seront consacrés à la transition énergétique. Qui plus est, c’est une dépense en baisse permanente, puisque vous avez aussi proposé une baisse de ce versement dans le projet de loi de finances rectificative que nous avons récemment examiné.
C’est une punition, parce que son côté incitatif est finalement très faible, voire nul, nombre de nos concitoyens n’ayant pas de solution de rechange. Personne n’est dupe de cette tromperie, qui a légitimement causé la colère de millions de Français, « gilets jaunes » ou pas.
Alors, si l’on ne doit retenir qu’une seule chose dans nos discussions budgétaires, c’est que les dépenses d’aujourd’hui sont les impôts de demain. Résultat, on a dépassé les 1 000 milliards d’euros d’impôts et de taxes collectés dans notre pays.
La France bat cette année deux records : le niveau des dépenses publiques – elle est le premier pays de l’OCDE – et celui des impôts et taxes – elle est le premier pays de l’Union européenne. Elle est le pays d’Europe pour lequel le jour de libération fiscale est le plus tardif. Tout le monde sait de quoi il s’agit : c’est le jour où l’on a fini de payer tous ses impôts et taxes dans l’année. En France, cela arrive le 27 juillet. En d’autres termes, jusqu’au 27 juillet, on travaille pour l’État et toutes les caisses de sécurité sociale et de retraite ; à partir du 27 juillet, on travaille pour soi-même.
Messieurs les ministres, au vu de ce projet de budget, je crains que la France ne cesse de sitôt d’être le pays le plus dépensier, donc le plus taxé.
Pour moi, un bon gestionnaire de l’argent public devrait être sincère, prudent et économe. Messieurs les ministres, votre gouvernement est-il sincère ? Oui, sans aucun doute, et c’est un gros progrès. Est-il prudent ? Un peu, mais il peut à mon avis mieux faire en la matière. Économe ? Assurément pas. Il est urgent de progresser dans cette direction, car, sans révolution de notre politique budgétaire, la révolte fiscale n’en finira pas, elle, de gronder. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)
3
Communication d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a émis un avis favorable - 12 voix pour, 1 voix contre - à la nomination de M. Gilles Bloch aux fonctions de président de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du président du Sénat, qui assiste aujourd’hui au Congrès des maires de France. (Bravo ! et applaudissements sur de nombreuses travées.) On peut applaudir tous nos collègues maires.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer, au cours de nos échanges, l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres et celui du temps de parole.
situation à la réunion (i)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Jean-Louis Lagourgue. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Malgré l’instauration d’un couvre-feu, l’île de la Réunion reste encore aujourd’hui le théâtre d’une flambée de violences urbaines. De nombreux services publics, entreprises et commerces sont bloqués ou inaccessibles.
J’ai entendu le message du Président de la République hier soir, mais la répression ne doit, en aucune manière, être la seule réponse apportée par le Gouvernement !
Ces violences sont révélatrices d’une crise bien plus profonde de la société réunionnaise. Le taux de chômage est de 30 % à La Réunion, de 58 % chez les jeunes de moins de 25 ans. Le coût de la vie y est élevé et supérieur de 20 % à celui de la métropole. Au total, 42 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté. Par ailleurs, la dépendance alimentaire est forte. Enfin, on constate de nombreux retards d’investissement, notamment dans le secteur touristique.
Des mesures fortes doivent être prises immédiatement.
Le gel de la taxe sur le carburant décidé par la région de la Réunion est une première réponse, mais l’État doit aussi agir et la compléter.
Contrairement à ce que propose le Gouvernement dans son projet de budget pour 2019, il faut préserver les incitations fiscales en faveur des territoires ultramarins. L’abattement fiscal pour les populations d’outre-mer et la TVA non perçue récupérable ont des effets sociaux et économiques positifs. Il faut aussi soutenir les entreprises et revoir les seuils retenus pour le calcul des exonérations prévues dans le cadre de la réforme des aides économiques.
Ces mesures sont non pas des avantages indus, mais une nécessité ! Elles sont le reflet des sujétions et des spécificités de l’outre-mer. Les supprimer n’efface aucunement les inégalités !
Il faut aujourd’hui, plus que jamais, soutenir la société réunionnaise et apporter des solutions urgentes et spécifiques…
M. le président. Posez votre question !
M. Jean-Louis Lagourgue. … aux habitants des territoires ultramarins,…
M. le président. Votre temps de parole est dépassé, cher collègue !
M. Jean-Louis Lagourgue. … notamment aux populations les plus fragiles.
M. le président. Quelle est votre question ?
M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le Premier ministre, que comptez-vous faire dans l’immédiat pour permettre à La Réunion de sortir de cette crise et, à long terme, pour lui donner les moyens de faire face aux difficultés économiques et sociales qu’elle rencontre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe Union Centriste. – Mme Vivette Lopez applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Lagourgue, La Réunion, vous l’avez dit, connaît depuis samedi soir un climat de tension extrême. Des actes graves ont été commis contre des dépositaires de l’ordre public. Nous estimons tous ici que c’est intolérable.
En matière de sécurité, nous apportons une réponse juste et mesurée. Près de 110 casseurs ont été interpellés. Certains ont été lourdement condamnés en comparution immédiate. Je le redis ici, des actes intolérables ont été commis et ils devront être punis.
Des moyens considérables sont mobilisés pour maintenir l’ordre. J’en appelle au respect de nos valeurs républicaines. Des opérations de déblocage sont en cours. Elles vont se poursuivre, avec fermeté, pour libérer les commerces et permettre la circulation.
Au-delà de cette réponse immédiate et nécessaire, vous avez raison, monsieur le sénateur : il faut entendre le profond malaise des Réunionnais. Même si la situation n’est pas récente, je ne vais pas ici me dérober. Les assises de l’outre-mer ont permis pendant un an à chaque citoyen, notamment à ceux qui ne s’exprimaient plus depuis très longtemps, de prendre la parole.
Les Réunionnais ont peur pour leur avenir. Ils ont peur pour leurs enfants. Ils souhaitent effectivement que l’État les accompagne, avec l’ensemble des élus, pour construire un meilleur territoire.
Nous devons collectivement leur apporter une réponse. Nous avons pris nos responsabilités, proposé des actions concrètes dans le Livre bleu outre-mer, lesquelles seront mises en œuvre dès 2019. Notre mission à tous est de permettre aux Réunionnais de retrouver confiance : confiance en leur territoire, confiance en leurs institutions, confiance en leur avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
logement
M. le président. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Ma question s’adressait à M. le ministre chargé de la ville et du logement, mais je comprends qu’il soit retenu ailleurs. J’espère néanmoins que celui qui me répondra connaît le dossier !
Monsieur le ministre, voilà un an, je vous interpellais sur les risques majeurs que les décisions fiscales et financières prises dans la loi de finances de 2018 faisaient courir à la politique du logement, ainsi qu’au secteur du bâtiment et des travaux publics dans notre pays. Nous souhaitons, comme vous, qu’on puisse « construire vite, mieux et moins cher », pour reprendre le slogan utilisé pour défendre la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN. Le président Larcher et de nombreux parlementaires de toutes tendances vous ont d’ailleurs accompagné dans cette mission, en vous mettant toutefois en garde contre l’incohérence entre vos objectifs et les mesures de la loi de finances de 2018.
Un an après, les chiffres des neuf premiers mois de l’année viennent de tomber. Tous les experts – je dis bien : tous les experts ! – sont d’accord pour dire que la construction neuve va connaître une récession grave dans les zones urbaines et très grave dans les campagnes et dans les villes moyennes.
La situation est si grave que le P-DG de Nexity a publié une lettre ouverte au Président de la République dans les journaux et que le président de la Fédération du bâtiment vient de déclarer qu’on allait tout droit vers une crise. Il annonce la perte probable de 200 000 emplois dans le bâtiment à l’horizon de 2020.
En matière d’accession à la propriété, nous constatons non plus un choc de l’offre, mais un choc sur l’offre, car il n’y a plus de capacité d’emprunt remboursable, parce que le pouvoir d’achat est en berne, parce que vous en ajoutez une louche avec les mesures sur le diesel et parce que vous instaurez une taxe sur les taxes pour les entrepreneurs du bâtiment et des travaux publics, source de difficultés supplémentaires pour eux, notamment pour les PME.
La situation est plus grave encore dans le secteur du logement locatif social. On a en effet constaté 50 % d’agréments en moins l’an dernier qu’en 2015. Or ces agréments sont les permis de construire de demain et les constructions d’après-demain.
Bref, tous les clignotants sont au rouge.
Ma question est très simple, monsieur le ministre : en 2017, la politique du logement coûtait certes cher, mais elle rapportait davantage. Pour faire baisser le prix du logement et relancer la demande, allez-vous inverser vos mesures fiscales afin de ne pas nous faire perdre, comme en 2014, un demi-point de croissance et de ne pas nous conduire tout droit dans le mur l’année prochaine et l’année suivante ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Ladislas Poniatowski. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Daubresse, vous l’avez constaté, Julien Denormandie est absent aujourd’hui. Sans être un spécialiste du sujet, je suis en mesure de répondre à votre question. Je vous remercie de le comprendre.
Les chiffres que vous avez cités sont exacts. Tout le monde le reconnaît, l’année 2016 a été une année exceptionnelle en termes de constructions de logements. (Bravo ! sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Philippe Dallier s’exclame.) Vous avez raison, c’est un élément positif de votre bilan ! (Exclamations amusées sur les mêmes travées. – M. Philippe Dallier proteste.)
Je ne voudrais pas vous laisser débattre entre vous. Aussi vais-je vous apporter quelques éléments de réponse.
Contrairement à ce que vous dites, nous avons tout de même pris des mesures de soutien à la construction. (Sourires ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Le prêt à taux zéro a été reconduit pour quatre ans, tout comme le dispositif Pinel. Les opérateurs n’avaient jamais eu une telle visibilité.
Comme vous l’avez dit, monsieur le sénateur Daubresse, la loi ÉLAN, à laquelle le Sénat a beaucoup contribué, vise à conduire une politique beaucoup plus structurelle du logement. Je rappelle les mesures que vous avez votées, la commission mixte paritaire ayant été conclusive : l’allégement des normes pour réduire les coûts de construction, la mobilisation du foncier, la rénovation thermique des bâtiments à hauteur de 9 milliards d’euros, la rénovation de 500 000 logements, l’abaissement du coût de la construction grâce au digital, le développement d’un certain nombre de filières ; je pense à la filière du bois et de la construction de bâtiments préfabriqués ou pré-assemblés. Enfin, la dynamique des projets de territoire permettra de mener une politique du logement, comme les projets Cœur de ville, les projets partenariaux et les grandes opérations d’urbanisme, l’État étant un facilitateur pour l’ensemble de ces projets.
Mme Sophie Primas. Tout va bien, donc !
M. Marc Fesneau, ministre. Non, tout ne va pas bien, madame la sénatrice, mais notre objectif est que, grâce à la loi ÉLAN, tout aille mieux. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) Laissons le temps à ces réformes structurelles de porter leurs fruits. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
situation à la réunion (ii)
M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar, pour le groupe Union centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nassimah Dindar. Ma question, à laquelle s’associe ma collègue Viviane Malet, s’adresse à deux ministres ici présents.
Si un début de réponse a été apporté aux événements quasi insurrectionnels de La Réunion, quelles réponses sont apportées à la souffrance exprimée par les « gilets jaunes » ? Comment en est-on arrivé là, et à qui la faute ?
Je ne céderai pas à la facilité en disant que c’est la faute du Gouvernement, car je lui reconnais le courage et la volonté de changer le système, mais admettons ensemble de gros défauts à l’allumage !
Sachant, comme l’a rappelé mon collègue, que La Réunion connaît un taux de chômage de 23 %, que celui des moins de 25 ans atteint un pic de 57 %, la logique voudrait que, par simple solidarité nationale, on écoute mieux ce territoire, madame la ministre. Or, en réponse à cette situation, le Gouvernement a supprimé les contrats aidés, qu’il a remplacés par des parcours emplois compétences, les PEC, lesquels sont trop onéreux. Nous continuons de penser outre-mer que ces contrats permettent à bon nombre des « amochés de la vie » de survivre.
Je rappelle en outre que la vie est plus chère de 37 % dans ce territoire qu’à l’échelon national, alors que, parallèlement, les revenus y sont inférieurs de 40 %, et qu’un smicard est pauvre outre-mer. Face à ce constat, le Gouvernement a répondu : « Prenons la tondeuse pour la classe moyenne ! »
Alors que nos gramounes, nos vieux mounes, qui sont souvent au minimum vieillesse, ont du mal à joindre les deux bouts, vous supprimez leurs aides personnalisées au logement, les APL, et vous augmentez leur CSG. Quant aux retraités agricoles outre-mer, ils sont encore plus pauvres que ceux des campagnes de l’Hexagone, qui sont eux aussi des laissés-pour-compte. Par équité, ces revenus devraient être soutenus.
Madame la ministre, vous opérez sans anesthésie, et ça saigne…
La mise en œuvre de vos réformes pâtit d’un gros défaut de synchronisation et d’un manque de dialogue évident avec les élus de France, qui vous lancent pourtant régulièrement sur ces travées un avis de tempête.
Madame la ministre, La Réunion souffre. À mon tour de vous le demander : comment le Gouvernement entend-il faire montre de plus d’équité envers les Français de l’océan Indien ? Quelles mesures nouvelles compte-t-il prendre contre les débordements déjà trop importants ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.
Mme Sylvie Goy-Chavent. On veut une vraie réponse !
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Madame la sénatrice, j’entends vos préoccupations. Nous avons eu l’occasion d’évoquer la situation de La Réunion ces dernières heures. J’ai répondu sur le volet sécuritaire il y a quelques minutes.
Je ne peux pas entendre qu’aucune mesure fiscale ou de protection sociale n’a été prise dans les territoires d’outre-mer, car nous en avons pris de nombreuses, comme en métropole.
Mme Éliane Assassi. Pourquoi sont-ils en colère, alors ?
Mme Annick Girardin, ministre. À titre d’exemple, dans le domaine de la santé, qui est prioritaire dans votre territoire, la couverture complémentaire santé sera améliorée pour les plus fragiles, car aucun citoyen ne doit renoncer à se soigner pour des raisons économiques. Agnès Buzyn porte cette mesure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui est en cours de discussion.
En matière de justice sociale, je tiens à rappeler que le minimum vieillesse a été revalorisé au 1er avril 2018, qu’il sera augmenté de 35 euros en 2019 et qu’il connaîtra également une hausse en 2020.
Pour accroître le pouvoir d’achat, les heures supplémentaires seront exonérées à compter de 2019.
Par ailleurs, 1 500 places de crèches supplémentaires seront financées à La Réunion en 2019, afin de répondre à la véritable problématique que connaît ce territoire concernant notamment les jeunes femmes célibataires.
Je rappelle également que Muriel Pénicaud a annoncé que 253 millions d’euros seront consacrés dans les quatre ans à venir à la formation des jeunes en recherche d’emploi, ceux-là mêmes qui portent aujourd’hui des gilets jaunes. Nous leur apportons ainsi une réponse.
Vous avez évoqué les contrats aidés, madame la sénatrice. Je rappelle que, en 2018, ce sont 11 000 contrats qui ont été confirmés à La Réunion, ce territoire étant ainsi celui qui en bénéficie le plus. Tous ces contrats ne sont effectivement pas utilisés, une part du nouveau système reposant sur l’autofinancement, mais ces 11 000 contrats sont toujours en partie disponibles.
La mission « Outre-mer » du projet de loi de finances pour 2019, que je porte, prévoit des investissements qui pourront être soutenus. Un certain nombre de petits projets des communes seront réalisés et permettront d’apporter des réponses à tous les jeunes qui commettent des méfaits scandaleux la nuit lorsqu’ils prennent le relais des « gilets jaunes ». (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
violences à la réunion
M. le président. La parole est à M. Michel Dennemont, pour le groupe La République En Marche.
M. Michel Dennemont. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, je vais compléter les questions de mes deux collègues précédents. Ma question s’adresse elle aussi à Mme la ministre des outre-mer.
Samedi 17 novembre, nombre de Réunionnais ont exprimé leur mécontentement à l’égard, entre autres, de la hausse des prix du carburant par une forte mobilisation. Ce mécontentement, pacifique au départ, a rapidement dégénéré en une flambée de violences qui paralyse l’île.
Tous les établissements scolaires, des crèches à l’université, ainsi que les administrations locales sont fermées. La quasi-totalité des événements culturels et sportifs sont annulés. Un couvre-feu partiel a été instauré dans la moitié des communes jusqu’à vendredi au moins. Il sera interdit d’y circuler entre vingt et une heures et six heures du matin.
Si nous déplorons et condamnons évidemment les actes de violence et les pillages commis en marge des manifestations pacifiques, nous devons néanmoins entendre et écouter les messages envoyés par la population.
La paralysie que nous connaissons est encore plus grave qu’en métropole. Comme vous l’avez justement dit, madame la ministre, La Réunion est le département le plus inégalitaire.
À ma demande, vous avez accepté une rencontre avec les élus réunionnais lundi soir au Sénat. Cet échange constructif n’a pas pu se prolonger sur le terrain. En effet, contrairement à vous, qui dialoguez avec nous, le préfet a refusé d’entamer un dialogue avec les représentants du mouvement, alors qu’il les avait invités. Ce comportement du représentant de l’État est vécu comme une humiliation par les Réunionnais.
Au nom de tous les parlementaires et élus locaux réunionnais, je vous invite à venir à La Réunion le plus rapidement possible, car nous savons que le dialogue est possible avec vous.
J’en viens à ma question. Madame la ministre, que compte faire le Gouvernement pour rétablir les conditions d’un véritable dialogue entre l’État et la population réunionnaise, afin que la situation s’apaise et que des solutions pérennes puissent être trouvées ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – MM. Thani Mohamed Soilihi, Pierre Louault et René Danesi applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Dennemont, la situation à La Réunion, vous l’avez indiqué, est effectivement grave. Les Réunionnais expriment leur mécontentement, et il faut l’entendre, je vous l’ai déjà dit.
Je pense que la question n’est pas seulement celle du carburant, car le geste du président de la région n’a absolument pas diminué le caractère vif des manifestations.
Il faut bien distinguer la casse et les pillages, qui sont inadmissibles, des revendications des « gilets jaunes ».
Sur le premier point, je veux ici de nouveau dire tout mon soutien aux forces de l’ordre, qui travaillent chaque nuit à rétablir la sécurité et la liberté de circulation, qu’il nous faut défendre, car elles font partie de nos valeurs. Nous devons être sur le terrain pour le faire. Rien n’est possible en dehors de l’État de droit, chacun le sait ici.
Sur le second point, vous l’avez dit comme moi, La Réunion est le territoire le plus inégalitaire. Il est évident qu’il nous faut apporter des réponses, comme cela nous a été demandé dans le cadre des assises de l’outre-mer par les Réunionnais eux-mêmes. Ces réponses figurent dans le Livre bleu outre-mer, lequel sera mis en œuvre dès le vote du projet de loi de finances pour 2019.
Que voit-on sur les barrages ? On y voit des gens qui veulent du travail et de la dignité. C’est pour eux que nous réduisons le coût du travail, spécifiquement dans les territoires d’outre-mer, afin que les embauches dans le secteur privé soient pérennes.
Sur les barrages, on voit des Réunionnais qui ne parviennent pas à joindre les deux bouts. Personne ne peut dire le contraire. C’est pour cela que nous supprimons 65 millions d’euros de taxes d’habitation à La Réunion. La question du logement est primordiale sur l’île. C’est pour cela aussi que nous rétablirons en 2019 les APL accession outre-mer, à titre exceptionnel, afin de traiter les mille dossiers en cours, dont la plupart sont d’ailleurs réunionnais, et de trouver un outil pour les remplacer dans les années à venir.
La question des petites retraites va être traitée. Nous avons pris des engagements, ils seront tenus.
Monsieur le sénateur, vous m’avez invitée, à l’instar d’autres élus du territoire. Je serai donc à La Réunion dans quelques jours face aux « gilets jaunes », ou à côté d’eux, et, je l’espère, de tous les politiques du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
obligations de service public d’orange
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l’issue d’un récent échange avec le président de l’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, et de la rencontre avec de nombreux maires à l’occasion du Congrès annuel des maires de France, qui se tient à la Porte de Versailles, je souhaite interroger le Gouvernement sur l’état de la couverture mobile dans nos territoires.
Mesdames, messieurs les ministres, je peux comprendre que vous vous lassiez du jaune ces jours-ci ; aussi, je vais vous proposer de l’orange ! (Sourires.)
Chacun salue évidemment le développement du groupe Orange à l’international, ainsi que sa contribution majeure au déploiement de la fibre dans le cadre du plan France Très haut débit.
Chacun salue également les innovations du groupe Orange dans le domaine de la cybersécurité, des objets connectés et de l’intelligence artificielle.
Pour en revenir à des sujets qui préoccupent nos concitoyens au quotidien, je rappelle que nous avons confié à Orange une mission de service universel sur le territoire, service dont la qualité s’est profondément dégradée ces derniers mois. Comment expliquer que des fils tombés restent à terre plusieurs mois ? Ces défaillances ont des conséquences sur le quotidien des Français et sur leur capacité à joindre les services d’urgence dans des zones où, précisément, la couverture mobile est encore défaillante.
Nous connaissons les plans en cours, monsieur le ministre, mais nous vous demandons solennellement, à double titre, en tant qu’actionnaire, d’une part, et en tant que gardien d’une mission de service public, d’autre part, d’accélérer le retour de la qualité de service d’Orange sur le territoire national. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Yvon Collin, vous avez raison de rappeler la qualité du travail effectué par Orange pour son service international, dans le domaine du numérique et des nouvelles technologies, et pour le déploiement de la fibre. Je rappelle que tous les Français doivent être couverts d’ici à 2022 par la fibre afin d’avoir accès à un réseau numérique de qualité.
Comme vous l’avez rappelé, j’ai confié voilà quelques mois à Orange, par arrêté, la responsabilité du service universel. Ce service universel est indispensable pour les territoires ruraux et pour les ménages, notamment pour les plus modestes d’entre eux.
Les engagements qui ont été pris, dans un contrat pour trois ans, doivent être tenus.
M. Mathieu Darnaud. On en est loin !
M. Bruno Le Maire, ministre. Il n’est effectivement pas acceptable que, lorsque des fils sont tombés à terre, les réparations ne soient pas effectuées dans le délai de quarante-huit heures qu’Orange s’est engagé à respecter. De même, il n’est pas acceptable que des ménages dans des territoires reculés doivent attendre des réparations pendant des semaines.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. L’ARCEP a pointé cette difficulté. Vous pouvez compter sur moi, en tant que ministre de l’économie, mais, surtout, en tant qu’élu d’un département rural, l’Eure, pour faire respecter par Orange ses engagements en matière de service universel.
J’ai donc demandé à Orange de nous proposer un plan d’action. Mes services recevront Orange dans quelques jours pour en vérifier la viabilité. De deux choses l’une : soit Orange est capable de remplir ses obligations, telles qu’elles ont été fixées par arrêté et telles qu’elles sont contrôlées par l’ARCEP, en déployant toutes les équipes nécessaires sur le terrain – je rends hommage au passage aux équipes d’Orange qui se démènent pour faire le maximum ; soit l’entreprise ne remplit pas ses engagements et s’exposera, comme toujours en pareil cas, à des sanctions financières.
Vous pouvez compter sur moi : je ferai respecter le service universel, dont Orange est le dépositaire. Orange doit remplir ses engagements de service universel à l’égard des territoires ruraux et de tous les ménages français. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
statut de l’élu
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Pierre-Yves Collombat. « J’ai besoin de vous en ce que vous portez dans la République parce que vous avez décidé de vous engager ! Vous l’avez fait en prenant sur vos vies, votre temps, vos familles et de cela, je vous en remercie.
« Mais j’ai besoin de vous parce que le pays ne se redressera pas avec quelques décisions, quelques lois, quelques règlements ou l’action de quelques-uns. Il ne réussira que parce que, partout sur le territoire, il y a les engagés et les convaincus que vous êtes.
« Rien ne sera possible sans cette relation de confiance et de responsabilité. »
Ainsi parlait Emmanuel Macron devant les maires de France il y a juste une année. (Exclamations amusées sur de nombreuses travées.)
C’est beau comme l’Antique ! (Rires.)
M. François Grosdidier. C’est l’ancien monde !
M. Pierre-Yves Collombat. Si ce n’est que la défiance s’est depuis installée entre le pouvoir et les élus, défiance qu’un geste hautement symbolique permettrait de dissiper, au moins partiellement : inscrire dans la loi, enfin, un statut de l’élu territorial à la hauteur des attentes et, surtout, des besoins.
Monsieur le ministre, le Gouvernement est-il prêt à faire ce geste ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Collombat, je sais votre attachement à l’ensemble des élus, en particulier aux élus locaux, pour l’avoir connu lorsque j’étais maire moi-même.
Vous me posez une question simple, en vous appuyant sur une citation que, évidemment, tout le monde partage. À cette question simple, je vais essayer de répondre de façon simple et concrète.
Je tiens d’abord à saluer le travail qui est en cours entre le Sénat et le Gouvernement, sur l’initiative du président Larcher, afin de définir un statut de l’élu. Ce travail, vous me permettrez de le dire, qui a été maintes fois remis sur le métier, n’a jamais vraiment abouti. Aujourd’hui, le Gouvernement souhaite parvenir à un statut. (Marques de satisfaction sur diverses travées.) Je vous remercie de vos encouragements !
M. Mathieu Darnaud. Il faudrait accélérer le rythme !
M. Marc Fesneau, ministre. Je veux bien qu’on accélère le rythme, monsieur le sénateur, car cela fait très longtemps qu’un tel statut est attendu. Nous, nous irons au bout. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
M. François Grosdidier. Lisez le travail de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat !
M. Marc Fesneau, ministre. Le président Larcher et le Sénat ont formulé quarante-six propositions, qui portent sur plusieurs sujets.
Le Sénat propose ainsi de clarifier, compléter et adapter le régime social, afin qu’il soit compréhensible par les élus et qu’il réponde à leurs réalités.
Il propose ensuite des mesures visant à permettre aux élus de mieux concilier leur vie personnelle, leur vie professionnelle et leur vie d’élu, et Dieu sait que c’est compliqué quand on est un élu engagé. Ces mesures doivent les aider avant leur élection à se préparer à leur mandat, puis, s’ils le souhaitent, ensuite, à se reconvertir. Il faudra travailler sur ces questions. La validation des acquis de l’expérience est une piste, mais je crois que le Sénat souhaite se positionner sur d’autres sujets.
Il propose par ailleurs des mesures en faveur de la formation. On voit bien que les élus sont de plus en plus confrontés à des sujets complexes et qu’ils ont besoin de formations plus performantes. On sait également que les taux d’utilisation des crédits de formation par les élus sont encore trop faibles. Peut-être faut-il prévoir des mécanismes incitatifs ?
Enfin, concernant la responsabilité pénale, je rappelle que c’est ici, au Sénat, qu’est née la loi sur la responsabilité pénale des élus, dont Pierre Fauchon était le rapporteur. Je sais que le Sénat souhaite se pencher sur la jurisprudence afin d’améliorer les choses.
Ces propositions sont sur la table. Le Gouvernement est prêt à y travailler, éventuellement dans le cadre des prochaines niches sénatoriales prévues. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Alain Cazabonne applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour la réplique.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le ministre de l’impossible (Rires.), les constats ne remplacent pas les actes et les promesses sont toujours à crédit ! Or, du crédit auprès des élus, le Gouvernement n’en a plus… (Nouveaux rires.) Nous proposerons bientôt un statut de l’élu territorial. Chacun pourra à ce moment-là vous juger à vos actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous n’êtes pas sans savoir que de plus en plus d’élus de nos communes rurales, maires, mais aussi conseillers municipaux, traversent une véritable crise des vocations, au point de démissionner de plus en plus en cours de mandat. On parle d’un « blues » des maires. Loin d’être un simple vague à l’âme, il s’agit d’une réelle lassitude.
En tant que sénatrice et élue des territoires, je ne peux qu’être alarmée face à une telle désaffection, qui fragilise nos départements et risque de laisser nos concitoyens les plus isolés, pour lesquels le maire est souvent le seul référent politique et social, dans un grand désarroi.
Baisse des dotations, suppression de la taxe d’habitation, organisation territoriale de plus en plus complexe, poids des intercommunalités : les raisons de quitter la fonction de maire ne manquent pas et s’accumulent. Nos élus doivent gérer un budget de plus en plus contraint et des politiques publiques qui manquent souvent de lisibilité. On leur demande toujours davantage ; on continue de les solliciter localement sur certains sujets, tout en leur ôtant l’autonomie et les moyens financiers pour ce faire.
Or les maires de nos petites communes accomplissent un travail remarquable et très souvent de façon bénévole. Le manque de considération de l’État à leur égard nourrit légitimement ce sentiment de découragement et d’abandon.
Le Sénat a présenté plusieurs rapports assortis de recommandations afin d’améliorer les conditions d’exercice des mandats locaux, ou encore pour conforter et revitaliser le rôle des communes, cellules de base de la démocratie.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous redonner aux maires la place qui leur revient de trait d’union entre les territoires et l’État et, surtout, les moyens de répondre aux attentes de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement. (Encore ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question. Vous dressez un bilan accablant de la situation des maires et de leur état d’esprit. Oserais-je vous dire qu’ayant été maire de 2008 à 2018 et conseiller municipal à partir de 1995 j’ai l’impression que ce n’est pas le bilan de ce gouvernement que vous dressez ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Il me semble que l’agrandissement des régions, la loi NOTRe, la baisse des dotations, l’absence de réponse au statut de l’élu, monsieur Collombat, ne relèvent malheureusement pas du bilan de ce gouvernement. Cela étant, il nous appartient d’y répondre. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
Je partage l’analyse que vous portez sur la lassitude des élus, qui est à mon avis de trois ordres.
Une lassitude est souvent inhérente au mandat. Vous évoquez à juste titre des chiffres. Je vous rappelle que le pourcentage de maires déclarant ne pas vouloir se représenter était de 60 % en 2008, de 50 % en 2014, comme cette année.
M. Pierre-Yves Collombat. Tout va bien alors !
M. Marc Fesneau, ministre. Vous avez raison d’alerter, madame la sénatrice, sur la grande attention qu’il y a à porter aux élus municipaux. Je perçois une vraie lassitude de leur part, eux qui, n’étant plus associés aux communautés de communes, se trouvent confrontés à une perte de sens.
Vient ensuite la difficulté face à l’impuissance. Il faut que le Gouvernement et la majorité répondent à cette impuissance, à la fois par des souplesses accordées sur les territoires, mais aussi par les clarifications et simplifications que nous mènerons au travers du débat constitutionnel ou de celui sur les finances locales au printemps prochain, sur le sens des mesures que nous prenons afin de faciliter la transition des territoires.
Le Premier ministre a annoncé aujourd’hui un certain nombre de transitions pour la reconquête industrielle. Il n’y a pas d’avenir dans les territoires ni d’espoir pour les élus sans reconquête industrielle.
C’est l’ensemble de ces leviers qu’il nous faut activer, et je suis sûr que le Sénat nous encouragera et nous accompagnera dans ces démarches. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, il est trop facile de toujours reporter vos responsabilités sur les gouvernements précédents. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Martial Bourquin. Ils viennent de là !
Mme Viviane Artigalas. Cela fait maintenant un an et demi que vous êtes aux responsabilités, c’est à vous de donner des réponses concrètes aux maires et à nos concitoyens ! (Mêmes mouvements.)
gilets jaunes
M. le président. La parole est à M. Charles Guené, pour le groupe Les Républicains. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)
M. Charles Guené. Monsieur le ministre, Porte de Versailles, les maires sont moroses, dénonçant une absence de visibilité sur le plan de la fiscalité locale et encore abasourdis par le traitement que leur a réservé le prélèvement à la source.
Absence de visibilité, car, si le projet de loi de finances garantit techniquement l’enveloppe globale de leurs dotations, ils décèlent des variations incontrôlées ; c’est tout un système qui prend l’eau avec l’inconnue des ressources de remplacement de la taxe d’habitation et le renvoi à une loi de finances exceptionnelle à venir en 2019, alors qu’ils remarquent les réparations d’urgence de la dotation d’intercommunalité et assistent au jeu de bonneteau entre les ressources de la métropole du Grand Paris et les établissements publics la composant.
Première question, monsieur le ministre, afin de faire cesser cette incertitude, pouvez-vous leur dire si le PLF 2019 attendu se limitera au simple ajustement du remplacement de la taxe d’habitation ou s’il engagera, a minima, les bases d’une véritable réforme d’ensemble ?
Par ailleurs, les maires restent très attachés au caractère spécifique de leur mission auprès de leurs administrés. Jusqu’alors, à ce titre, ils bénéficiaient d’un régime d’exonération de leurs indemnités et compensant leurs frais engagés, jusqu’à l’équivalent d’un maire de 2 000 habitants et plus. Le prélèvement à la source ramène ce seuil au niveau du maire de 500 habitants et les assimile à des salariés purs et simples.
Allez-vous les aider en favorisant notre demande très concrète de leur rendre justice, en rétablissant ce statut particulier auquel ils demeurent très attachés ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est de nouveau à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. J’espère que vous n’exprimez pas un regret, monsieur le président !
Monsieur le sénateur Guené, vous avez raison de souligner un besoin de clarification, en particulier sur les ressources fiscales et les dotations. Comme l’avait fait le Président de la République l’an dernier, le Premier ministre s’exprimera, cet après-midi, devant le Congrès des maires. Comme il l’indiquera, c’est bien l’ensemble de la fiscalité locale qui sera examiné par les deux assemblées dans le projet de loi de finances rectificative au printemps prochain.
Il sera question, évidemment, de la taxe d’habitation. Au-delà, nous voyons bien que nous sommes au bout d’un système de fiscalité locale pour les départements, les régions, les communes et les intercommunalités, avec une vraie question en ce qui concerne la péréquation, sur laquelle il faudra aussi travailler.
Le Président de la République a indiqué hier qu’il était également ouvert à une réflexion - parce que l’une va un peu avec l’autre, vous le savez mieux que quiconque, monsieur Guené - sur la dotation globale de fonctionnement. C’est donc l’ensemble du dispositif qu’il faut considérer.
Des choses ont été faites, reconnaissons-le, sur la revalorisation des valeurs locatives des locaux commerciaux, avec des effets parfois contestés ou contestables, que l’on a essayé de corriger. La revalorisation des valeurs locatives attend depuis quarante-cinq ans, c’est dire si elle attend depuis sans doute trop longtemps. Ce chantier devra sans doute être ouvert à un moment ou à un autre, même si cela provoque des effets de bascule compliqués.
En tout cas, le Gouvernement est prêt à ouvrir les chantiers et à regarder avec les élus locaux comment nous pouvons sereinement…
M. Pierre Cuypers. Creuser des trous !
M. Marc Fesneau, ministre. … faire en sorte de résoudre les problèmes que nous avons sous les yeux et qui sont le cumul, dont nous sommes collectivement responsables, d’une absence de lisibilité globale du système.
Concernant enfin le statut de l’élu, il me semble que l’aspect que vous avez évoqué devrait faire partie des travaux que j’ai mentionnés tout à l’heure. Cette question importante pour les élus locaux pourra bien évidemment être intégrée à l’agenda. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Charles Guené, pour la réplique.
M. Charles Guené. Monsieur le ministre, je reste inquiet sur la nature du nouveau projet de loi, car la suppression de la taxe d’habitation correspond à 20 % de la ressource, et le système établi voilà plus de cinquante ans ne pourra supporter le cumul des suppressions de la taxe professionnelle et de la taxe d’habitation. Vous êtes là pour gouverner et vos propositions tardent trop à cet égard.
Vous ne semblez pas appréhender totalement le problème des indemnités et du statut de l’élu, mais je vous accorde le bénéfice du doute et vous en recommande une seconde lecture plus attentive, en attendant nos propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
grève des infirmiers
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. - M. Hugues Saury applaudit également.)
M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le plan « Ma santé 2022 » a suscité l’espoir auprès des hospitaliers. Nous saluons les premières mesures déclinées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Néanmoins, 2022 est encore loin, spécialement pour les soignants et les malades. Des sujets majeurs sont absents : la révision de certains périmètres de groupements hospitaliers de territoires, la réorganisation des organismes d’État, le soutien des carrières hospitalières.
Si votre plan favorise la coordination des différents acteurs, il n’en reste pas moins que les infirmiers s’en sentent exclus. La mise en place des assistants médicaux pose question. La désespérance et l’épuisement règnent dans la majorité des hôpitaux publics. Ainsi, 78 % des présidents de centres hospitaliers estiment que leur établissement sera en déficit en 2018 et 43 % annoncent un déficit supérieur à 3 %. Dans mon département, le Lot-et-Garonne, les trois hôpitaux sont en déficit.
Faire plus avec moins, c’est insoutenable ! C’est une politique qui touche l’hôpital, comme nos collectivités. Une pause doit donc être opérée sur les économies demandées. Il faut mettre fin aux fermetures de lits.
Nous attendons la mise en œuvre de votre plan et nous espérons que les effets seront bénéfiques. Pour le moment, les difficultés liées à l’attractivité médicale touchent 87 % des établissements ; cette situation conduira inéluctablement à une rupture irréversible de notre offre de soins.
Madame la secrétaire d’État, quel avenir pour les infirmières et les infirmiers ? L’hôpital public peut-il compter sur une accélération des mesures et une anticipation des situations ? Naviguer à vue, comme le montre l’examen in extremis de la proposition de loi visant à sécuriser l’exercice des praticiens diplômés hors Union européenne est plus que préoccupant. Vous le savez, sans ces praticiens, les petits hôpitaux de nos départements ruraux fermeront les uns après les autres. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Moga, non, les infirmières et les infirmiers ne sont pas oubliés, ils sont bien partie intégrante du plan « Ma santé 2022 ». Oui, il existe un malaise chez les professionnels de santé, notamment les infirmiers, qui n’est malheureusement pas récent, qu’il ne faut pas ignorer et que nous n’ignorons pas.
En réalité, ce malaise est le symptôme d’un système de santé qui n’est plus adapté aux besoins de santé, qui n’est plus lié aux défis du XXIe siècle et qu’il faut profondément transformer. Cette transformation en profondeur est au cœur du projet porté par le Gouvernement, qui est non pas une liste de mesures catégorielles, mais une vision à long terme de notre système de santé, où chacun a nécessairement sa place.
Durant leur formation, les infirmiers ne sont dorénavant plus mis à l’écart. Avec l’« universitarisation », les étudiants en soins infirmiers pourront bénéficier des mêmes droits que les étudiants en université. Le concours d’entrée aux Instituts de formation en soins infirmiers, ou , est supprimé, avec une inscription via Parcoursup.
Avec le service sanitaire, nous souhaitons mettre fin aux logiques de cloisonnement des professionnels de santé. Nous développons de nouvelles compétences pour les infirmiers. La reconnaissance des infirmiers en pratique avancée est une évolution majeure pour notre système de santé, que nous avons mise en place à leur demande. Dix formations en centres universitaires seront également mises en place, dès la rentrée 2018, à leur demande. Nous élargissons leurs missions de prévention, notamment en matière de vaccination, avec l’élargissement des compétences à la primo-vaccination contre la grippe.
Les représentants des infirmiers doivent retrouver le chemin des accords conventionnels avec la reprise des négociations conventionnelles, le 4 décembre prochain.
Le Gouvernement est convaincu du rôle central joué par la profession d’infirmier dans notre système de santé. Nous comptons sur leur engagement et leurs compétences pour relever les défis qui nous attendent concernant la santé de l’ensemble des citoyens. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
compensation de la taxe d’habitation pour les communes
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Bernard Buis. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes dans une semaine importante pour les élus de nos territoires, la semaine du Congrès des maires à Paris. Cette semaine est importante à double titre : c’est le moment où les maires se rencontrent, échangent, participent à des colloques, sous l’égide de l’Association des maires de France. En parallèle, c’est un temps où le Gouvernement écoute et entend leurs préoccupations, éclaircit des orientations et tisse la relation de confiance indispensable entre la représentation locale et la représentation nationale.
Je sais que vous attachez une grande importance à la relation avec ces élus et les différentes associations qui les représentent. Mme la ministre Jacqueline Gourault est d’ailleurs récemment venue à la rencontre des élus drômois lors du congrès des maires de la Drôme. Les maires l’ont interrogée, écoutée et ils ont apprécié ses jugements. (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Depuis quelques jours en effet, les Français reçoivent leur taxe d’habitation. Pour une part significative d’entre eux, ils voient cet impôt baisser sur leur avis d’imposition dès cette année et ainsi augmenter leur pouvoir d’achat. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’était une promesse de campagne, elle est tenue.
Dans le même temps, vous le savez, les maires s’interrogent sur la façon dont cette ressource communale va être compensée par l’État, non seulement à court terme, mais aussi pour les années à venir. Les maires d’aujourd’hui, comme ceux qui seront élus en 2020, ont besoin de lisibilité sur l’évolution de leurs ressources pour programmer leurs projets.
À l’heure où nous débattons du projet de loi de finances pour 2019, pouvez-vous nous indiquer comment le Gouvernement envisage de compenser et de préserver des ressources dynamiques dans la durée ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement. (Encore ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Simon Sutour. C’est un one man show !
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Buis, je voudrais d’abord saluer votre première intervention dans cet hémicycle à l’occasion des questions d’actualité au Gouvernement. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Vous avez raison, et vous l’avez bien décrit, le Congrès des maires est un moment important pour nos élus : c’est un moment de dialogue, un moment pour faire le point sur la situation de nos collectivités locales, tout particulièrement des mairies, un moment aussi pour se projeter et regarder l’avenir, l’avenir territorial et fiscal, avec les finances des collectivités locales. Le Président de la République l’a rappelé dans un courrier adressé à l’ensemble des maires de France et dans un échange qu’il a eu hier avec près de 2 000 maires au Palais de l’Élysée.
Plusieurs sénateurs Les Républicains. Un « échange » ?
M. Marc Fesneau, ministre. Le Premier ministre est en train de faire un discours où il exposera la politique du Gouvernement.
Vous m’interrogez sur la suppression de la taxe d’habitation. Je voudrais vous rassurer, en vous disant que cette mesure en faveur du pouvoir d’achat ne se fait pas au détriment des communes, même si certaines d’entre elles pouvaient légitimement s’inquiéter. L’année 2018 l’a démontré, puisque l’État se substitue au contribuable par un mécanisme de dégrèvement. Par ailleurs, il va falloir envisager une sortie du dispositif ; c’est tout l’objet du projet de loi de finances rectificative qui sera examiné par le Parlement au printemps 2019.
Le Gouvernement a souhaité que ce texte soit isolé, afin qu’il puisse donner lieu, comme je l’ai dit au sénateur Guené, à un débat global sur la fiscalité et le financement des collectivités locales. Donc, dès cet été, nous serons fixés. L’État s’était engagé à compenser à l’euro près : c’est fait. L’État et le Gouvernement se sont engagés à trouver de nouveaux mécanismes. Nous souhaitons également consolider le pouvoir fiscal des maires, comme le Comité des finances locales l’a proposé à l’unanimité.
Comme vous le voyez, monsieur le sénateur, l’État et le Gouvernement tendent à répondre aux exigences de pouvoir d’achat, y compris à celles des collectivités, en particulier des communes, par la fiscalité et les dotations. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste.)
prise en compte de l’outre-mer dans le projet de loi de finances
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Victorin Lurel. Ma question s’adresse à Mme la ministre des outre-mer. J’aimerais m’associer aux questions posées par nos collègues de l’île de la Réunion. Il faut effectivement rester attentif à la situation explosive que vit l’île, qui est, au moment où nous parlons, sous le régime d’un couvre-feu.
J’exhorte le Gouvernement, au-delà de la nécessité du maintien de l’ordre, à ne pas prioriser la seule réponse répressive et donc à engager un dialogue. J’ai entendu notre collègue Michel Dennemont dire que le représentant de l’État n’a pas voulu recevoir les manifestants ou les collectifs. Connaissant la conflictualité sociale de nos îles, il faut absolument prioriser le dialogue. C’est un vœu que nous émettons, le groupe socialiste et républicain et moi-même.
Ma question est simple : alors que nous nous apprêtons à voter trente-huit articles en première partie de la loi de finances pour 2019, Mme la ministre des outre-mer peut-elle nous indiquer les mesures qu’elle estime positives en faveur des outre-mer et leurs effets cumulés ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Stéphane Artano et Jean-Louis Lagourgue applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Victorin Lurel, 300 millions d’euros, telle est ma réponse et celle que pourrait vous apporter Mme Annick Girardin. Ce sont, à périmètre constant, les crédits supplémentaires dont vont bénéficier tous les territoires d’outre-mer pour l’année 2019, avec une volonté du Gouvernement de réorienter ces crédits d’abord vers l’activité économique et les entreprises, pour créer de l’emploi et répondre au chômage de masse, dont vous conviendrez qu’il est aujourd’hui la première faiblesse et le premier drame des territoires d’outre-mer.
Par ailleurs, les territoires d’outre-mer bénéficieront, comme tous les autres territoires français, de la suppression de la taxe d’habitation, des mesures qui sont prises pour soutenir l’emploi et ceux qui travaillent.
De manière plus générale, monsieur Lurel, vous avez écrit un ouvrage remarquable, et j’invite chacun à le lire, une Lettre ouverte à mes compatriotes de l’Hexagone, dans laquelle vous pointez un certain nombre de contradictions entre l’Hexagone et les territoires d’outre-mer.
Eh bien, moi, je voudrais pointer une contradiction française, qui est celle de vouloir à la fois réduire les impôts et demander toujours plus de dépenses publiques ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Franck Menonville applaudit également.) Cette contradiction ne peut être résolue qu’avec la politique dans laquelle nous sommes engagés avec le Président de la République et le Premier ministre.
Si nous voulons baisser les impôts, il faut soutenir la croissance et réduire la dépense publique. (Protestations sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.) Soutenir la croissance, c’est ce que nous faisons avec une fiscalité favorable aux entreprises, à l’investissement, à l’innovation, qui nous permet de baisser le chômage de 0,5 point depuis un an, et c’est soutenir le travail en le rémunérant mieux : tous les salariés français ont vu au 1er novembre que leur salaire net avait augmenté. (Mêmes mouvements.)
Et réduire la dépense publique, c’est avoir le courage de voter des décisions difficiles sur les emplois aidés, les chambres de commerce et d’industrie, l’audiovisuel public, pour parvenir à réduire la dépense, diminuer la dette et poursuivre la baisse des impôts. Nous tiendrons le cap de un point d’imposition en moins et de prélèvements obligatoires en moins pour l’ensemble des Français. (Mêmes mouvements.)
Dans ces temps agités, plus que jamais nous avons besoin de voir loin, de garder un cap avec constance et détermination. (Protestations de plus en plus vives sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains, dont plusieurs membres frappent sur leur pupitre jusqu’à couvrir la voix de l’orateur.) C’est en soutenant la croissance, les entreprises, la création d’emplois et en tenant le cap de la réduction de la dépense et de la dette que nous redresserons la France, pas avec des mesures de court terme, pas avec plus de dépenses et plus de dettes ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour la réplique.
M. Victorin Lurel. Monsieur le ministre, je vous félicite de vos bonnes lectures et vous engage à poursuivre jusqu’au bout ce qui est écrit dans ce livre et dans un rapport qui a été remis, à l’époque, au Premier ministre.
Tel Diogène qui cherche un homme une lanterne allumée sur la place en plein midi, je cherche les 300 millions d’euros, je l’avoue ! Le candidat Emmanuel Macron s’était engagé à octroyer, après analyse, 4,5 milliards d’euros aux outre-mer pour corriger le mal-développement, dont un milliard pour la Guyane, dans une lettre que tous les électeurs ont reçue, et à raison de sa population 4 % du Grand plan d’investissement.
Dans les quatre ans qui restent, vous allez prendre à peu près un milliard d’euros, en faisant fi d’une notion constitutionnelle qui est l’adaptation, où la solidarité nationale ne jouera plus et où l’outre-mer financera l’outre-mer. (Mme Catherine Conconne applaudit.) Qu’il faille absolument faire des efforts pour autofinancer notre propre développement, voire l’auto-entretenir, j’en conviens, mais vous avez une conception dévoyée du développement endogène. C’est la raison pour laquelle, dans la première partie de la loi de finances, je n’ai lu strictement que des « moins ».
Je vous exhorte, avec la culture qui est celle du Sénat, à avoir le sens du dialogue, à trouver les compromis raisonnables que nous ne manquerons pas de vous proposer et qui, je l’espère, auront l’agrément de tous les groupes de cette assemblée. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
dialogue entre les élus locaux et le gouvernement
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le ministre, l’an I du nouveau monde a vu l’avènement d’une de vos œuvres inachevées : la Conférence nationale des territoires, qui devait, selon le Président de la République, bâtir un pacte de confiance. Mais, comme il arrive parfois, hélas, dans une discussion, les élus ne sont pas venus vous dire ce que vous vouliez entendre. En revanche, eux ont entendu vos promesses rassurantes, démenties avec une célérité qui, je dois le dire, force le respect.
Las de ne pas être écoutés, les élus ont lancé un appel, celui de Marseille, resté quasiment sans réponse, si ce n’est un catalogue de bonnes intentions. Pourtant, ils avaient pris au sérieux le Président de la République quand, sûrement dans un moment d’égarement, celui-ci leur déclarait, il y a un an, au Congrès des maires : « Je m’engage à une chose, c’est venir chaque année rendre compte des engagements que je viens de prendre ». (C’est vrai ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. François Grosdidier. Cela ne lui coûtait rien de le dire !
M. Gilbert Bouchet. Il a peur, désormais !
M. Mathieu Darnaud. Sincèrement, monsieur le ministre, on aurait imaginé mieux que ce renoncement pour soutenir les maires, lorsqu’on sait que la majorité d’entre eux ne souhaitent plus s’investir après 2020. Le candidat En Marche rêvait de changer le personnel politique, le Président Macron pourrait, malheureusement, être comblé !
Ma question est donc simple : alors que le dialogue est au point mort sans que de réelles avancées aient vu le jour, qu’envisagez-vous concrètement pour l’avenir de nos communes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Darnaud, vous interrogez le Gouvernement sur le fait que le Président de la République n’est pas venu devant le Congrès des maires. Il avait dit qu’il rendrait des comptes. (Non ! sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) Vous reconnaîtrez, monsieur le sénateur, que l’exercice auquel s’est prêté le Président de la République hier était non pas un dialogue artificiel, mais un dialogue direct. (Vives protestations sur de nombreuses travées.) Il a d’ailleurs été reconnu par tous les maires présents, y compris ceux de votre sensibilité politique, comme un vrai dialogue et une vraie écoute (Mêmes mouvements.), et non pas simplement un discours qu’il faut faire parfois devant les associations d’élus, mais qui, reconnaissons-le, ne prête pas beaucoup au dialogue.
Vous m’interrogez par ailleurs sur la Conférence nationale des territoires. Je vous rappelle que le Sénat et les associations d’élus étaient les premiers demandeurs de l’organisation d’une telle conférence, lieu de dialogue entre l’État et les collectivités locales. C’est une nouvelle méthode de travail qui, reconnaissons-le, pour l’instant, pour diverses raisons, dont certaines que vous avez évoquées, n’a pas fonctionné.
Le Gouvernement, comme l’ont dit le Premier ministre, le Président de la République et les ministres concernés, laisse la porte ouverte. Il souhaite que la Conférence nationale des territoires soit le lieu du dialogue entre les collectivités locales.
Il faut construire une forme de routine, de dialogue régulier au sein de cette conférence qui aura deux formats, comme l’indiquera le Premier ministre : un format complet présidé par le Premier ministre, un format restreint ou bureau, sous la présidence de la ministre de la cohésion des territoires, qui réunira les présidents des deux délégations parlementaires et un représentant de chaque association d’élus.
M. Gilbert Bouchet. Paroles, paroles…
M. Marc Fesneau, ministre. Le Gouvernement souhaite que chaque association d’élus y soit représentée. Enfin, des groupes thématiques y seront créés pour aborder, sujet par sujet, les questions territoriales concrètement.
Monsieur le sénateur, vous avez raison, il y a un besoin de dialoguer. Les associations d’élus le réclament, l’Association des maires de France le demande et, plus important encore, les citoyens le veulent.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre. Il n’y aurait rien de pire que l’État et les collectivités locales ne dialoguent pas. Nous avons des sujets concrets à résoudre et personne ne le comprendrait. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Denise Saint-Pé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour la réplique.
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le ministre, il est temps d’arrêter la mystification. Arrêtez de dire que tout est sur la table. Il est temps de passer aux actes. Faites-le en prenant vos responsabilités, comme nous avons pris les nôtres en formulant trente propositions (L’orateur brandit un rapport d’information du Sénat.) pour revitaliser les communes, réaffirmer le principe de subsidiarité (Mme Françoise Gatel applaudit.), adopter le principe « qui décide paye » et toiletter, comme vous l’avez dit, la fameuse loi NOTRe, si décriée. Aujourd’hui, c’est à vous de prendre vos responsabilités et d’agir ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
difficultés des élus locaux
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Segouin. Ma question était destinée à M. le Premier ministre.
Que de chemin parcouru depuis 2017 !
J’entends encore vos slogans de campagne : « Il faut en finir avec le “vieux monde”» ; « il faut remettre les Français au cœur de la vie politique » ; « les Français attendent que les pratiques de leurs responsables politiques deviennent plus représentatives, plus responsables et plus efficaces »…
Monsieur le Premier ministre, avez-vous objectivement l’impression d’avoir atteint ces objectifs ?
J’entends les retraités, les automobilistes avec les 80 kilomètres par heure, certains de vos députés, les conseillers départementaux, et bien d’autres. Tous déçus !
J’entends ces « gilets jaunes », ces familles qui n’ont jamais manifesté, mais qui ne supportent plus l’augmentation des carburants et des taxes, ces familles qui travaillent mais sont à découvert dès le 20 du mois.
J’entends aussi ces maires, qui ont perdu leur liberté d’agir et dont les budgets sont en baisse, mais qui restent responsables de tout, y compris des catastrophes, ces maires écœurés qui ne veulent pas renouveler leur mandat en 2020.
Vous entendez, monsieur le Premier ministre, mais vous n’écoutez pas !
De plus en plus, nous avons l’impression d’être tous ensemble dans un avion.
Le Président de la République et vous-même, monsieur le Premier ministre, enfermés dans le cockpit ; les Français, tous passagers !
Aux commandes, vous luttez pour ne pas perdre de l’altitude. Mais rien n’y fait : la croissance est en berne, le chômage reste au même niveau, la balance du commerce extérieur est toujours négative, les dépenses de l’État augmentent, le sentiment d’insécurité persiste.
La porte est close ; vous ne répondez plus aux passagers, qui s’inquiètent !
Vous envoyez pourtant par moment vos chefs de cabine, comme Mme le ministre de la cohésion des territoires, pour nous dire que tout va bien, ou le ministre de l’intérieur, pour vérifier que nos ceintures sont bien attachées et que personne ne bouge.
Même votre ancien ministre de l’intérieur l’a compris et a pris son parachute ! (Sourires.)
Quand allez-vous comprendre que vous n’y arriverez pas seuls ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Rassurez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est ma dernière intervention !
M. Roger Karoutchi. C’est aussi la dernière question… (Sourires.)
M. Marc Fesneau, ministre. Je vais essayer de répondre concrètement à votre question, monsieur Segouin, en particulier sur le malaise des élus locaux.
Ne croyez pas que nous ne comprenons pas la situation que vous décrivez. Je vous renvoie aux propos tenus hier par le Président de la République.
En réalité, sur bien des sujets, les élus locaux se trouvent dans une situation d’impasse et d’impuissance : transition écologique, transports, désertification médicale, haut débit…
Que fait le Gouvernement ?
Plusieurs sénateurs Les Républicains. Rien !
M. Marc Fesneau, ministre. Il élabore un plan de 3 milliards d’euros pour que le haut débit soit déployé sur l’ensemble du territoire en 2022.
Il met fin au numerus clausus pour que davantage de médecins, pratiquant selon des formes nouvelles, exercent demain dans les territoires.
Ce sont non pas de vaines promesses, mais des actes concrets.
Certes, on ne résoudra pas tous les problèmes en quelques mois. Le Gouvernement mène des réformes structurelles, et c’est sans doute parce qu’elles n’ont pas été faites avant que nous sommes dans la situation que vous décrivez fort justement, monsieur le sénateur. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
Nous prenons notre part de responsabilité, tout comme le Sénat a pris les siennes en votant certains textes portés par la majorité. C’est une bonne chose quand on peut se retrouver.
Enfin, permettez-moi, à titre personnel, de vous dire combien nous devons être attentifs à la situation du moment. Il n’est pas acceptable d’insulter, d’intimider ou de menacer des élus locaux ou des élus de la Nation. Il n’est pas acceptable de voir fleurir sur des réseaux sociaux des appels à la haine ou à la destruction.
Plusieurs sénateurs Les Républicains. Et #BalanceTonMaire, c’était qui ?
M. François Grosdidier. Des militants d’En Marche !
M. Marc Fesneau, ministre. Quand on s’en prend à des élus locaux ou des parlementaires, de la majorité comme de l’opposition, c’est la République que l’on attaque, et c’est elle qu’il faudra défendre, au-delà des mesures que nous devons prendre pour répondre aux angoisses de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. - M. Vincent Segouin se lève pour répliquer au ministre.)
M. le président. Monsieur Segouin, il ne vous reste que quatre secondes. La réplique n’est pas prévue dans ce cas.
Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mardi 27 novembre 2018, à seize heures quarante-cinq, et seront retransmises sur Public Sénat, le site internet du Sénat et sur Facebook.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Loi de finances pour 2019
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. Claude Raynal applaudit également.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen du deuxième projet de loi de finances du quinquennat d’Emmanuel Macron.
Nous l’examinons dans des conditions particulières. La société française connaît des tensions exacerbées, latentes depuis de nombreuses années, mais qui s’expriment aujourd’hui concrètement, jusque dans la rue.
Face à ces tensions, nous devons examiner la situation budgétaire du pays et les solutions à apporter, sans excès, sans caricature, avec responsabilité et modération.
Il importe de regarder les choses de façon pragmatique. C’est la raison d’être du groupe Les Indépendants. En somme, je vous propose de regarder les choses telles qu’elles sont et de débattre sur des faits et des valeurs.
M. Philippe Dallier. Et sur des chiffres aussi ! (Sourires.)
M. Emmanuel Capus. Quelles sont les valeurs du groupe Les Indépendants ? La justice sociale, la responsabilité budgétaire et une efficacité économique qui doit être mise au service de tous. J’ajouterai que nous sommes en faveur d’un développement durable sur le long terme, pragmatique et réaliste, adapté au quotidien de tous les Français.
Quels sont les faits qui nous sont présentés dans ce projet de loi de finances ? D’abord, la fiscalité énergétique augmente. C’est un chiffre, c’est aussi une réalité factuelle, mon cher collègue. Elle augmente en raison d’une trajectoire de hausse votée voilà un an, mais dans des proportions moindres que l’année dernière.
Nous ne découvrons donc pas le problème, même si certains font mine de le découvrir.
Toutefois, je crois que le Gouvernement va trop loin.
M. Claude Raynal. Ah !
M. Emmanuel Capus. Oui, il faut changer de modèle de société. Oui, il faut favoriser la transition énergétique. Oui, il faut tenir bon sur les ambitions climatiques qui sont les nôtres – elles sont nécessaires et légitimes –, mais il faut le faire avec pragmatisme et pédagogie. Il faut nous assurer que personne n’est laissé au bord du chemin de l’écologie, un chemin que nous soutenons et que nous jugeons nécessaire.
Nous aurons donc à cœur, sur cette question, de proposer des alternatives crédibles à des hausses de taxe indiscriminées et parfois incohérentes. Il faut sortir de la logique punitive perçue par nos concitoyens ou nos PME.
Notre responsabilité est de démontrer que la transition écologique est une chance pour chacune et chacun des Français.
Nous ne croyons pas que nous puissions rééduquer le peuple. En revanche, nous pouvons l’aider, l’inciter, l’encourager.
Cette exigence doit dès à présent être intégrée au fonctionnement même de l’État. Nous demanderons ainsi au Gouvernement d’introduire le respect des « objectifs du développement durable » de l’ONU dans le processus budgétaire, pour éclairer l’orientation des grandes politiques publiques.
Ce projet de loi de finances est également le véhicule de réformes majeures pour nos entreprises.
Je pense bien sûr à la fiscalité des brevets et de l’innovation, pour l’adapter aux exigences de l’OCDE.
Je pense également à la transposition de la directive européenne visant à lutter contre l’évasion fiscale, dite directive ATAD – Anti-Tax Avoidance Directive –, à la réforme des modalités de calcul de l’impôt sur les sociétés ou du « pacte Dutreil ».
Ces mesures sont parfois inévitables, souvent pertinentes, mais elles doivent respecter plusieurs conditions.
D’abord, elles doivent veiller à la stabilité et à la sécurité juridique indispensables au développement des entreprises.
Ensuite, les législateurs que nous sommes ne doivent pas avoir la main trop lourde dans la transposition d’exigences internationales. Nous devons veiller à préserver la compétitivité de nos entreprises et de nos centres de recherche en Europe et dans le monde.
Enfin, il faut absolument respecter la spécificité des PME et des entreprises de taille intermédiaire, qui sont essentielles à notre tissu économique et n’ont pas les mêmes capacités d’adaptation que les plus grandes.
Nous saluons à cet égard, monsieur le secrétaire d’État, l’esprit de ce budget, qui, dans la lignée du précédent, vise à donner de l’air à nos entreprises et à faire de l’emploi la priorité.
Nous aurons à cœur de contribuer à ce mouvement dans la discussion qui aura lieu dans les prochains jours.
J’en viens à présent aux grands équilibres macroéconomiques et à la question de la dépense publique.
Malheureusement, en 2019, le montant des économies reste très insuffisant. La réduction des déficits publics, par exemple, n’est pas satisfaisante. Certes, le déficit effectif est creusé par le basculement du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, en baisse de charges ; nous le comprenons. Mais la réduction du déficit structurel, qui mesure le véritable effort des administrations publiques, est très faible et en contradiction avec nos objectifs européens.
Ce déficit alimente une dette publique abyssale, de l’ordre de 100 % du PIB, et qui ne cesse de se creuser ! Je cite le Haut Conseil des finances publiques : « La France n’aura pas encore amorcé, à l’horizon de 2019, la réduction de son ratio de dette publique au PIB, à la différence de la quasi-totalité des pays européens. »
Cette situation, dont vous avez largement hérité – j’en conviens –, est intenable. Elle met en péril notre souveraineté nationale.
Nous n’allons pas non plus assez loin dans la maîtrise de la dépense publique, et nous restons le champion de l’Union européenne en la matière. Vous l’avez souligné, monsieur le président, lorsque vous êtes intervenu à cette même tribune ce matin.
Et pourtant, nos marges de manœuvre s’amenuisent : le prix du pétrole augmente, les taux d’intérêt remontent, les tensions sur le commerce international se ravivent, les perspectives de la croissance mondiale se ternissent.
Ces facteurs risquent de perturber ce projet de budget au moment de son exécution et de vous mettre, à un moment ou à un autre, face à des choix difficiles.
La réponse à cette difficulté est bien sûr plus d’efforts, plus d’efforts dès maintenant !
Plus d’efforts sur la dépense publique, tout d’abord : après avoir réalisé seulement la moitié de la réduction prévue pour 2018, vous limitez aujourd’hui vos ambitions à 0,4 point de PIB d’économies, soit à peine 10 milliards d’euros. C’est trop peu.
Plus d’efforts sur la masse salariale de l’État, ensuite : vous baissez trop faiblement les effectifs de la fonction publique.
Nous sommes à 4 500 équivalents temps plein, ou ETP, en moins en 2019, après une baisse de 1 600 ETP en 2018, soit un total d’environ 6 000 fonctionnaires en moins en deux ans. Nous sommes très loin de la promesse de campagne de supprimer 50 000 postes sur le quinquennat – et extrêmement loin des 500 000 suppressions voulues par un autre candidat…
Le passé nous enseigne que ce type de promesse ne se tient pas davantage en fin de quinquennat qu’au début.
Je dois néanmoins saluer la sincérité accrue de ce budget, qui est réelle. C’est une promesse tenue, monsieur le secrétaire d’État.
On relève une sincérité sur la forme, mais également sur le fond des politiques publiques. J’en veux pour preuve la mission « Travail et emploi », dont je suis rapporteur spécial, qui se concentre davantage sur des dispositifs qui fonctionnent et sur la formation des travailleurs. En outre, la commission des finances du Sénat a toujours été favorable à la réduction des contrats aidés et elle approuvera, comme l’an dernier, les crédits de cette mission.
Un mot à présent des collectivités territoriales, alors que se déroule en ce moment même le Congrès des maires. Les maires que nous recevons, ici, au Sénat nous font part de leurs inquiétudes et de leurs attentes. Vous nous proposez une stabilité globale des dotations, ce qui est à mettre à votre crédit, après des années de diminutions draconiennes et indiscriminées.
Mais cette stabilité cache, comme souvent, de grandes disparités selon les communes. Nous vous proposerons des amendements pour amortir la charge pour les communes les plus défavorisées.
De plus, la hausse de la fiscalité sur le gazole non routier, ou GNR, inquiétante pour le secteur du bâtiment et des travaux publics, aura sans aucun doute un impact fort sur les budgets locaux et pour les maires bâtisseurs.
Enfin, nous attendons des précisions sur le remplacement de la taxe d’habitation, qui tardent à venir.
Je conclurai, mes chers collègues, en essayant de dissiper les caricatures que j’évoquais au début de mon propos.
Nous ne croyons pas que vous opposiez les Français les uns aux autres au travers de ce budget, ou que vous choisissiez une catégorie plutôt qu’une autre. Nous n’y croyons pas plus que nous ne donnions, hier, crédit au prétendu « budget pour les riches » de 2018. Il faut savoir mesure garder !
Mais il faut également entendre la détresse de certains Français et de certaines entreprises. Elle s’est exprimée, et elle est réelle.
Le Premier ministre a clairement dit qu’il avait entendu cette détresse. Nous sommes confiants dans le fait qu’il prendra des mesures fortes pour y répondre.
Notre groupe est prêt à vous y aider. Sur la voie d’une transition énergétique pragmatique, sur la défense des PME et des ETI, sur la promotion de l’innovation à la française, sur le respect de l’autonomie des collectivités territoriales et de la ruralité, nous avons des propositions à vous faire pour améliorer ensemble ce budget.
Le temps presse, et nous sommes collectivement responsables. C’est un enjeu de cohésion nationale, de cohésion territoriale et de compétitivité internationale.
Faisons des débats autour de ce projet de loi de finances un exercice collectif, positif et pragmatique, au service de la France et des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Claude Raynal. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, cette année, l’examen du projet de loi de finances intervient dans un contexte particulièrement lourd, la confiance des collectivités locales comme celle des citoyens à l’égard de la parole et de l’action du Gouvernement paraissant particulièrement et durablement atteintes.
Au moment de l’élection présidentielle, la confiance des ménages était mesurée à un niveau de 108 ; elle s’effondre aujourd’hui à 94 !
Cette situation, couplée aux aléas pesant toujours plus sur l’environnement international, amène à s’interroger sur le scénario de croissance retenu, certes crédible, mais sans doute optimiste.
Durant le débat sur l’orientation des finances publiques du 20 juillet 2017, on nous annonçait que le choc de confiance lié à l’élection présidentielle devrait nous permettre d’envisager 1,9 % de croissance en 2019. Je crains, malheureusement, que le taux de 1,7 % retenu dans ce projet de loi de finances ne soit un maximum.
En 2017, ce même jour, le ministre Darmanin promettait une stabilité de la dépense publique – une première, selon lui. Je le cite : « Notre stratégie est donc de dépenser beaucoup moins et de cesser de faire de l’impôt le refuge de notre lâcheté, en réduisant au contraire les prélèvements obligatoires pour stimuler l’économie et le pouvoir d’achat ». Il y aurait donc une baisse très importante de la dépense publique, dont l’augmentation serait nulle l’année suivante.
Ce fut effectivement le cas en 2018. Mais, après les affirmations d’hier, ce projet de loi de finances fait apparaître une nouvelle augmentation des dépenses, de 0,6 % en 2019. Il y a loin de la coupe aux lèvres !
Les seules économies réalisées le sont par des mesures de sous-revalorisation de certaines prestations, notamment des retraites, pour un montant de 3,5 milliards d’euros tout de même. Une nouvelle fois, les retraités et les familles sont mis à contribution. Ce n’est pas glorieux !
On ne s’étonnera pas, dès lors, que, même en isolant les mesures temporaires et de périmètre, le déficit annoncé pour 2019 reste supérieur à ceux de 2017 et – incroyable – de 2016, et ce, monsieur le secrétaire d’État, malgré les effets de manche de vos premiers mois d’activité.
Sans surprise, l’État continuera de porter la totalité du besoin en financement des administrations publiques, au détriment des administrations locales et de sécurité sociale, qui présentent, elles, des soldes positifs attendus à des niveaux respectifs de 0,1 % et 0,8 % du PIB.
En 2017, le ministre Darmanin annonçait que l’État prendrait sa part dans la baisse des dépenses, pour plus de 40 %. Là aussi, on en est loin !
En matière de pouvoir d’achat, malgré une communication du Gouvernement portant sur 6 milliards d’euros de baisse des prélèvements en faveur des ménages en 2019, l’Institut des politiques publiques et l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, considèrent tous deux que, après une année blanche en 2018, les ménages bénéficieront d’un gain de pouvoir d’achat très limité en 2019.
Le gain maximum sera de 1 % pour les plus riches, quand la légère augmentation pour les classes moyennes se fera au détriment des plus modestes.
La réalité, monsieur le secrétaire d’État, c’est que votre orientation économique et budgétaire ne porte pas les fruits que vous en attendiez. Pour le dire de manière très triviale, la théorie du ruissellement ne fonctionne pas ! Cela creuse les inégalités, sans offrir de compensations réelles à celles et ceux qui ont le plus besoin de l’État.
Ces éléments de contexte étant rappelés, je souhaite évoquer le volet recettes du projet de loi de finances pour 2019.
Comme vous le savez, les parlementaires socialistes des deux chambres ont travaillé sur une proposition alternative de budget pour la France et pour les Français.
Nous le disons ici avec force, nous pouvions dégager davantage de recettes !
Nous sommes opposés à l’allégement de la contribution au budget de la Nation des plus aisés.
Nous sommes – nous l’avons toujours été – contre la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, contre le prélèvement forfaitaire unique, le PFU, et l’impôt sur la fortune immobilière, l’IFI, lesquels nous privent, chaque année, de 5 milliards d’euros de recettes.
Nous sommes contre la suppression de l’exit tax, que vous envisagez.
Nous sommes contre l’élargissement de la « niche Copé », que vous nous soumettez.
Nous sommes contre la transformation du CICE en baisse de charges, opération que même le monde patronal ne nous demandait pas et qui nous coûtera, sur l’exercice 2019, près de 20 milliards d’euros.
Nous estimons que ces 20 milliards d’euros, correspondant, certes, à une ressource ponctuelle, auraient pu être utilisés plus efficacement, par exemple, en abondant le fonds pour l’innovation de rupture que vous souhaitez mettre en place dans le cadre du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, dit projet de loi PACTE. Vous auriez pu ainsi éviter la vente d’actions, notamment celles d’Aéroports de Paris, proposée dans le même projet de loi.
Quand ces mesures se doublent d’un accroissement de la CSG des retraités, d’une diminution des aides personnalisées au logement, les APL, de coupes opérées au détriment de nos territoires périphériques – je pense en particulier aux outre-mer, qui subissent un traitement très dur dans ce projet de loi de finances – ou encore d’une désindexation de différentes prestations par rapport à l’inflation, votre politique nous apparaît comme à la fois inefficace et injuste.
Nous tirons un deuxième enseignement de notre travail d’élaboration d’un autre budget, plus juste pour les Français : il existe aujourd’hui, dans notre pays, des urgences auxquelles vous ne répondez pas, monsieur le secrétaire d’État.
C’est pourquoi nous estimons urgent de soutenir le pouvoir d’achat des Français.
Nous avons proposé, dans le cadre de l’examen du PLFSS, d’appliquer la revalorisation initialement prévue des pensions du régime général, de corriger la hausse de la CSG en ne l’appliquant qu’aux pensions les plus élevées ou encore de mettre en place un minimum vieillesse de 85 % du SMIC pour les retraités agricoles.
C’est pourquoi, aussi, nous souhaitons accélérer la transition énergétique de l’économie française, vos actions n’étant pas suffisantes à nos yeux, comme en attestent, à la fois, le projet de loi de finances rectificative pour 2018, que nous venons d’examiner, et le projet de loi de finances pour 2019.
Notre collègue Rémi Féraud interviendra plus précisément sur ce point majeur, sur lequel l’attention est particulièrement focalisée aujourd’hui.
Parce que vous ne faites pas assez en faveur de la cohésion sociale, il convient de mettre de toute urgence en place des actions en ce sens.
Notre pays doit absolument s’engager dans une nouvelle manière de penser la prise en charge de nos aînés. Au-delà de la problématique du maintien à domicile, il faut, en particulier, lancer en urgence un grand plan concernant les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD.
De plus, il est nécessaire de revaloriser les aides personnalisées au logement au regard de l’inflation, contrairement à ce qui est proposé dans le présent texte.
Certes, cette orientation n’est pas compatible avec la « start-up nation » prônée par le Président de la République, mais notre pays n’est pas une entreprise. C’est une communauté de destin, en droit d’attendre davantage de considération de leurs responsables politiques.
Durant l’examen de ce texte, nous formulerons plusieurs propositions par voie d’amendements.
Comme je l’ai déjà précisé, ces dernières visent, notamment, à revenir sur l’ensemble des mesures très pénalisantes proposées par le Gouvernement pour l’outre-mer. Notre collègue Victorin Lurel les évoquera tout à l’heure.
Elles tendent à revenir, également, sur un ensemble de mesures très orientées, relatives à la fiscalité du capital, voire du grand capital. Je pense à la « niche Copé » à l’article 12, au « pacte Dutreil » à l’article 16, au rétablissement de l’ISF en remplacement de l’IFI et du PFU, ou encore à une proposition de taxation accrue des golden parachutes.
Il s’agit aussi de revenir sur l’aspect punitif de la fiscalité environnementale mise en œuvre, non pas de s’opposer à la montée en puissance de cette fiscalité, que nous soutenons au travers de certains amendements, mais de veiller à ce qu’elle ne se traduise pas par une paupérisation accrue des classes populaires et que les ressources supplémentaires servent réellement à financer la transition écologique et énergétique.
Concrètement, cela se traduit par un élargissement de l’assiette de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, la TEOM, par un renforcement de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, notamment avec la proposition d’instauration d’une taxe amont, mais également par la remise en cause de la suppression du tarif réduit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE, pour le gazole non routier, qui n’entraînera d’ailleurs aucun changement comportemental, ou par la proposition de mise en œuvre d’une TICPE flottante.
En seconde partie, nous évoquerons également la question du chèque énergie, à la lumière des dernières annonces du Gouvernement.
En matière environnementale, nous allons proposer la suppression de la fiscalité réduite pour les produits à base d’huile de palme. Il s’agit vraiment d’une anomalie, qu’il convient de corriger.
Je ne m’attarderai pas sur les autres amendements que nous présenterons en séance ; ils sont assez nombreux. Nous évoquerons, en particulier, les chambres de commerce et d’industrie et les sociétés coopératives d’intérêt collectif.
Telles sont brièvement décrites, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les principales orientations que nous défendrons durant ce débat.
Le groupe socialiste et républicain, dans une démarche constructive, s’emploiera à améliorer le projet gouvernemental et tirera, bien sûr, les conclusions qui s’imposent au moment du vote. Mais nous ne doutons pas que le Gouvernement reprenne nombre de nos propositions ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, certes, le contexte que nous connaissons cette année et dans lequel nous allons devoir examiner ce projet de loi de finances, est radicalement différent de celui que nous avons connu l’an passé, au moment de l’examen du budget de l’année qui s’achève.
À vrai dire, le contraste est même saisissant.
D’un côté, nous avons des Français profondément déçus – parfois jusqu’à l’exaspération –, déçus au point de manifester bruyamment cette exaspération ou, comme c’est plus souvent le cas, d’ailleurs, de s’exprimer de façon très silencieuse, sondage après sondage.
De l’autre, nous avons un gouvernement qui ne change jamais de discours. Invariablement, il apporte la même réponse compassionnelle. J’ai entendu le Président de la République la semaine dernière ; j’ai entendu le Premier ministre : chaque fois, c’est pareil, monsieur le secrétaire d’État ! Vous entendez la souffrance des Français, vous la comprenez, mais, chaque fois, vous maintenez que vous conduisez la meilleure des politiques.
Il nous faut éclairer ce paradoxe – le débat sur le PLF nous en donnera l’occasion –, qui met en jeu un gouvernement satisfait de lui-même, de sa politique, et des Français qui ne le sont pas.
Sont-ils insatisfaits par tempérament ? Les Gaulois seraient-ils donc réfractaires ? S’ils se plaignaient moins, la France irait-elle mieux ? Se tiendrait-elle mieux ? Ou ces Français ont-ils de vraies raisons d’être insatisfaits ?
Je pense, pour ma part, qu’ils ont plusieurs vraies raisons de l’être.
Premier motif d’insatisfaction, ils voient bien, au fil des mois, que votre politique, quand bien même vous la présentez comme étant la meilleure, ne produit pas de résultats : le chômage, dont la baisse est toute relative, se maintient à un niveau extrêmement élevé ; l’inflation repart ; la croissance faiblit.
Vous allez nous objecter qu’il vous faut du temps. Peut-être. Essayons alors d’élargir le raisonnement et de prendre de la hauteur. Allons voir, par exemple, ce qu’il se passe chez nos voisins.
Vous connaissez l’adage de Talleyrand, monsieur le secrétaire d’État : « Quand je me regarde, je me désole. Quand je me compare, je me console. » Le problème, avec votre politique, c’est que le constat est inverse ! Quand on se compare, on a plutôt tendance à se désoler ! (M. le rapporteur général de la commission des finances approuve.)
La France ne va pas mieux. En réalité, la France décroche.
Pour le chômage, nous sommes passés du vingt-deuxième au vingt-quatrième rang européen, sur vingt-huit pays. Nos performances sont plutôt des contre-performances, nos records de tristes records ! Nous détenons le record en matière de dépense publique : vingt-huitième et dernier rang de l’Union européenne. Nous détenons le record dans le classement de l’OCDE relatif aux prélèvements obligatoires. Nous détenons le record dans un autre classement de l’OCDE, paru le 23 octobre et concernant trente-cinq pays, portant sur la compétitivité fiscale : nous sommes au dernier rang ; au dernier rang !
Cette situation illustre bien le grand problème français des « déficits jumeaux », c’est-à-dire la coexistence d’un déficit budgétaire et d’un déficit du commerce extérieur, qui est en train de se creuser. Nous ne pouvons pas nous en satisfaire.
Ce budget, comme le rapporteur général l’a très bien expliqué, est un budget de divergence au regard de l’Europe.
Par comparaison avec l’Allemagne, ce sont 31 milliards d’euros de plus que la France paiera sur les intérêts de sa dette. Qu’en sera-t-il de la légitimité de notre pays, dans quelques jours, dans quelques semaines, dans quelques mois ? Serez-vous en mesure de morigéner l’Italie, quand nos propres comptes seront en piteux état ? Comment le Président de la République peut-il se présenter comme le héraut de la construction européenne et faire la leçon à tous les pays européens, alors qu’il est lui-même incapable de mettre un peu d’ordre dans ses comptes ?
M. Jackie Pierre. Exactement !
M. Bruno Retailleau. C’est un problème si la France entend assumer un véritable leadership au niveau européen, c’est-à-dire un leadership reconnu par les « vrais » Européens, pas seulement ceux des discours et des incantations !
Deuxième motif d’insatisfaction, Emmanuel Macron n’est pas au rendez-vous de ses promesses.
Souvenez-vous, mes chers collègues, la transformation était une des grandes promesses du « nouveau monde ». Y a-t-il transformation ? Ce budget est-il un budget de transformation ?
Je me souviens très bien qu’au moment de sa première déclaration de politique générale le Premier ministre avait évoqué – c’était les mots qu’il avait eus – une addiction française à la dépense publique.
M. Laurent Duplomb. Oui, 100 milliards !
M. Bruno Retailleau. Qu’en faites-vous, monsieur le secrétaire d’État ? La dépense publique continue de galoper ! Pour la première fois depuis dix ans, le déficit public repart à la hausse, ce qui, malheureusement, est assez exceptionnel à l’échelle de l’Europe. Quand François Hollande – vous le connaissez bien, pour l’avoir soutenu – a cumulé 37 milliards d’euros de dépenses publiques pendant ses deux premières années de mandat, Emmanuel Macron en totalise 51 milliards au même moment !
Osez-vous, encore, nous donner des leçons ? Franchement !
Ce déficit est désormais celui de l’État. Alors que les collectivités territoriales sont au vert, alors que la sécurité sociale est au vert, seul l’État ne fournit pas les efforts qui s’imposent.
De plus, ce budget ne porte aucune réforme structurelle. L’effort structurel français est, précisément, deux fois moindre que ce qu’il devrait être au regard des exigences européennes.
La réalité est là : aucune réforme de structure, aucune réforme du périmètre de l’État. Comme sous le quinquennat précédent, vous remettez à demain les efforts qui devraient déjà être faits sur la fonction publique. C’est dramatique !
En revanche, on reprend les vieilles recettes : décalage d’un certain nombre de mesures dans le temps, rabotage sur les familles ou sur les retraités.
Troisième motif d’insatisfaction, alors qu’une autre grande promesse faite par Emmanuel Macron était de réconcilier les Français, votre politique, plutôt que de les réconcilier, les oppose les uns aux autres.
M. Laurent Duplomb. Exactement !
M. Bruno Retailleau. Je n’ai pas le temps de le montrer sur le plan politique, mais, sur le plan économique, on peut dire que la politique que vous menez est profondément injuste.
Elle est injuste par la concentration des gains massifs de pouvoir d’achat sur 2 %, à peine, des Français. La commission des finances a livré, sur ce sujet, une excellente étude.
Elle est injuste à l’égard des retraités, qui subissent une triple peine : six mois d’attente supplémentaire pour la revalorisation des retraites, augmentation de la CSG et fin de l’indexation des retraites sur l’inflation.
Elle est injuste à l’égard des familles. Alors que François Hollande avait commencé à casser la politique familiale, vous lui emboîtez le pas.
Elle est injuste, enfin, pour tous ces Français des classes intermédiaires, ces Français de la ruralité et de la rurbanité, qui ont besoin de leurs véhicules diesel – souvent deux par famille – pour aller au travail ou qui n’ont d’autres solutions que de se chauffer au fioul domestique.
M. Daniel Gremillet. Absolument !
M. Bruno Retailleau. À ce propos, je tiens à féliciter la commission des finances pour avoir, en cohérence avec la position que nous avions adoptée l’an dernier, solennellement demandé au Gouvernement d’annuler les hausses prévues sur la TICPE.
C’est fondamental ! D’ailleurs, j’observe que, dans certains grands quotidiens du matin, des grands leaders de votre famille politique – en tout cas qui vous soutiennent – font aujourd’hui part de leurs doutes et vous demandent solennellement de renoncer à cette trajectoire funeste.
Vous êtes un homme de budget, monsieur le secrétaire d’État. Si la règle de l’annualité budgétaire peut être vue sous son aspect comptable, technique, elle a aussi un sens politique. Quel est-il ? Cette règle inscrit, en fait, le consentement à l’impôt dans un cadre annuel. On ne peut pas demander aux Français de donner leur consentement sur une trajectoire de cinq ans. Telle est la dimension proprement politique de la règle de l’annualité budgétaire, et vous l’avez totalement oubliée !
Ainsi donc, la seule question que j’ai à vous poser en achevant cette brève intervention est la suivante : puisque vous estimez que votre politique est la meilleure possible et ne voulez pas en changer, pourrez-vous nous expliquer pourquoi elle ne produit pas de résultats ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je voudrais d’abord souligner un paradoxe qui m’est apparu, à l’écoute de certains reproches selon lesquels ce PLF ne comporterait pas de mesures fiscales nouvelles.
On ne peut pas se plaindre, sans cesse, de l’instabilité fiscale, des changements de pied permanents, et critiquer le fait qu’un projet de budget soit en cohérence avec le précédent et conforme à la trajectoire décidée, en matière de dépenses comme en matière de recettes. Je citerai, à cet égard, la baisse de la taxe d’habitation, soutenue par 70 % des Français, selon un sondage paru dans le grand quotidien du soir, et la réduction de l’impôt sur les sociétés, qui se cumulent à une baisse des cotisations.
Rien de pire que l’imprévisibilité fiscale pour les acteurs !
S’il faut parler de trajectoire, parlons aussi de celle de la taxe carbone.
Il est vrai que, lors du dernier débat budgétaire, des groupes ont alerté sur les conséquences de futures hausses du prix des carburants. Je le sais pour y avoir participé.
Il est vrai aussi, et je tiens à le rappeler, que cette trajectoire de la taxe carbone figurait dans tous les programmes des candidats à l’élection présidentielle, parfois accompagnée d’une hausse de TVA de deux points qui aurait également pesé sur le prix des carburants. Le décalage entre les propos tenus au cours des campagnes électorales et ceux qui sont tenus ultérieurement participe aussi du désamour des Français envers la politique !
D’ailleurs, la forte crise que nous traversons aujourd’hui a précédé l’élection du Président de la République. Elle est, non pas la conséquence des politiques du Gouvernement, mais l’une des causes de l’élection d’Emmanuel Macron, en dehors des grands partis. (Exclamations sur de nombreuses travées.)
M. Claude Raynal. Ouvrez les yeux !
M. Julien Bargeton. C’est une réalité, mes chers collègues !
La fiscalité écologique est effectivement l’une des composantes de la transition énergétique. D’ailleurs, elle figurait dans le Grenelle de l’environnement : si tel était le cas, c’est bien qu’elle avait un lien avec la transition énergétique !
Mais celle-ci doit être accompagnée, je partage cette position, et j’attends du débat que l’on fasse ressortir un certain nombre de propositions en ce sens.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Article 40 !
M. Julien Bargeton. Autant il me paraît irresponsable de revenir sur la trajectoire actuelle, autant, donc, on peut attendre un certain nombre de propositions.
Heureusement, d’ailleurs, que le chèque carburant proposé par le groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale n’a pas été repris ici. Le coût du dispositif atteignait 15 milliards d’euros. Peut-être la sagesse des sénateurs l’a-t-elle emporté.
M. Bruno Retailleau. N’est-ce pas ?
M. Julien Bargeton. Quoi qu’il en soit, je me félicite de ce que nous ayons évité ce débat !
Je voudrais également mentionner l’Union européenne, car c’est tout de même à cette échelle, aussi, que la question de la transition énergétique doit être réglée. Il est toujours bon de supprimer un impôt – cela rend populaire –, mais il faut pouvoir expliquer comment on procède concrètement et par quoi on le remplace.
Pour ma part, j’ai plutôt souvenir des hausses d’impôts qui ont été décidées dans un passé récent : 30 milliards d’euros entre 2010 et 2012, sous le gouvernement de François Fillon, puis 30 milliards d’euros entre 2012 et 2014, soit 60 milliards d’euros supplémentaires. Mais c’est vrai que, en matière budgétaire, les conseilleurs ne sont généralement pas les payeurs !
J’ai également souvenir, monsieur Retailleau, d’un ancien Premier ministre qui se disait à la tête d’un État en faillite. Je ne crois pas qu’il ait trouvé les solutions pour remédier à cette prétendue faillite !
M. Philippe Dallier. Et la crise des années 2008-2010 ?
M. Julien Bargeton. Certes, j’ai bien pris note de certaines propositions. S’agissant des agents de l’État, par exemple, on évoque le rétablissement des jours de carence. Mais on ne va pas combler 80 milliards d’euros de déficit avec cette mesure, ou encore avec le traitement des redondances entre l’État et les collectivités locales. Ce sont des idées anciennes qui circulent : en dépit de leur importance, sous l’angle de la transformation de l’action publique, notamment, de telles solutions ne sont pas à la hauteur des enjeux budgétaires.
Autre constat, donc, il est toujours plus facile d’affirmer qu’il faut baisser la dépense publique, en général, et plus compliqué de s’attaquer aux dépenses publiques, en particulier.
Il faut aussi regarder, mes chers collègues, en quoi un budget prépare l’avenir et les réformes structurelles. Celles-ci peuvent figurer dans le budget, mais pas seulement : on les retrouve dans d’autres actions menées – et qui ont donné lieu à contestations – sur le code du travail, la SNCF, la formation professionnelle. Citons, à ce titre, la prochaine réforme des retraites.
Quand les réformes sont justes, qu’elles paraissent efficaces, les Français s’y associent.
C’est le défi qu’il nous reste à relever sur la transition énergétique. C’est bien la direction qu’il faut prendre, mais, comme cette réforme affecte le pouvoir d’achat, nous devons, de la même façon que nous l’avons fait pour les autres réformes mentionnées, démontrer qu’elle est, à la fois, juste et efficace.
C’est tout l’enjeu de ce débat budgétaire. Ça l’est, aussi, parce que la jeunesse l’exige et je tâcherai, pour ma part, d’évoquer d’autres sujets, notamment l’éducation et la somme de 1,5 milliard d’euros consacrée au plan d’investissement pour l’enseignement supérieur. Car, oui, mes chers collègues, ce budget est un budget qui prépare l’avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Antoine Lefèvre. Quel avenir ?
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Rémi Féraud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, voilà déjà une vingtaine d’années que nous mettons en place une fiscalité énergétique, face aux enjeux climatiques et aux enjeux liés à la qualité de l’air.
Pourtant, la trajectoire décidée par le Gouvernement plonge actuellement le pays dans une grave crise.
Je ne crois pas que cette crise soit due exclusivement, ni même principalement, à la fiscalité écologique. Celle-ci, certes mal calée, est victime de l’ensemble de la politique gouvernementale, de son injustice fiscale, manifeste depuis dix-huit mois, comme des promesses non tenues en matière de pouvoir d’achat.
La fiscalité écologique permet d’orienter les comportements vers une plus grande sobriété énergétique et, ainsi, de faire évoluer notre économie vers des pratiques plus sobres et décarbonées.
M. Julien Bargeton. Merci de le reconnaître !
M. Rémi Féraud. Mais quelle erreur de l’avoir à ce point dissociée de son impact social !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Rémi Féraud. C’est l’élu parisien qui vous le demande, monsieur le secrétaire d’État : comment accepter l’idée que cette fiscalité frappe essentiellement ceux qui vivent en milieu rural, avec de longues distances à parcourir et, surtout, sans moyens de transport alternatifs plus écologiques sur lesquels se reporter ? En l’absence de véritable mesure compensatoire à l’égard des ménages modestes les plus dépendants aux énergies fossiles, les mesures prises pénalisent de manière particulièrement dure et injuste leur pouvoir d’achat.
Le Gouvernement le sait d’ailleurs très bien, puisque, depuis quelques jours, il répète sans cesse qu’il comprend les Français qui protestent. Pour autant, jusqu’à présent, il a décidé de ne rien changer !
C’est une attitude dangereuse, car elle renforce les frustrations – nous le voyons bien ces jours-ci – et, par conséquent, elle risque de mettre en danger la notion même de fiscalité écologique.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Rémi Féraud. C’est d’autant plus aberrant que de nombreuses pistes peuvent être ouvertes pour répondre au mécontentement qui s’exprime.
Nous proposerons ainsi un amendement visant à revoir la trajectoire, pour revenir à celle qui avait été définie dans le cadre de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
M. Julien Bargeton. Qu’en pense Benoît Hamon ?
M. Rémi Féraud. Contrairement à un gel complet ou à un moratoire durable, cela ne remettrait pas en cause la volonté d’aller vers un bilan carbone neutre de notre pays en 2050, mais permettrait de prendre en compte la hausse actuelle du prix du pétrole, de se donner le temps, dans les années à venir, de mieux répartir les efforts et de repenser les mesures d’accompagnement en faveur des ménages particulièrement pénalisés.
M. Claude Raynal. Exactement !
M. Rémi Féraud. On peut aussi, comme le mentionnait précédemment Claude Raynal, envisager la mise en place d’un mécanisme permettant de préserver le pouvoir d’achat des ménages, par le moyen d’une TICPE flottante.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Rémi Féraud. Ce mécanisme permettrait de rendre aux consommateurs les surplus des recettes de TVA engrangés par l’État du fait de la hausse des cours du pétrole, comme l’avait fait le gouvernement Jospin en 2001.
Nous proposerons un amendement dans ce sens ; on nous répondra que son effet serait minime. Dès lors, pourquoi le refuser par principe ?
Par ailleurs, et c’est le point essentiel, nous considérons que les recettes des taxes sur l’énergie devraient être intégralement redirigées vers des actions en faveur de la transition énergétique. C’est certainement là que le bât blesse le plus. Rien de tel n’est fait, comme le montre encore le reversement de 600 millions d’euros de recettes de TICPE vers le budget général de l’État, marque d’une absence de volontarisme total en matière de transition énergétique.
C’est un mauvais signal envoyé, car tout ce qui contribue à faire de la taxe carbone une taxe de rendement budgétaire lui fait perdre de sa légitimité.
De nombreuses pistes d’amélioration des politiques publiques existent, comme l’aide à la rénovation thermique, à l’isolation des logements, l’augmentation de la prime à la conversion automobile – une aide à laquelle le Gouvernement se convertit lui-même lentement –, sans parler de la nécessité, dans cette période transitoire, d’apporter un soutien financier aux plus modestes pour payer leurs factures de chauffage ou de carburant.
Enfin, je profite de cette intervention pour renouveler notre proposition, très largement partagée, d’une conférence nationale sur le financement de la fiscalité écologique, afin de sortir par le haut, et avec tous les partenaires concernés, de la crise actuelle et de l’impasse dans laquelle s’est mis le Gouvernement. (Mme Marie-Pierre de la Gontrie applaudit.)
Car la fiscalité écologique n’est pas isolée. Au contraire, elle devrait être une composante de la lutte contre les inégalités. Il n’est plus possible de concevoir séparément politique environnementale et politique sociale.
Pour notre part, au groupe socialiste et républicain, nous pensons que cette transition énergétique est une bataille collective, qu’elle ne peut se gagner que dans le cadre d’un contrat social juste et donc accepté par les Français. Nous avons la conviction que c’est possible si la volonté politique est là. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2019 s’inscrit encore cette année dans une trajectoire de maintien du déficit public sous la barre des 3 %, conformément à notre engagement européen. Constaté à 2,7 % en 2017, attendu à 2,6 % en 2018 et espéré à 2,8 % pour l’année prochaine, avec un tel taux, tant bien que mal, la France reste dans les clous.
La procédure pour déficit excessif a été levée, mais elle demeure comme une épée de Damoclès si le scénario de croissance le plus défavorable venait à faire basculer notre déficit à 3,2 %.
C’est un scénario qu’on ne peut pas exclure compte tenu du contexte international, qui génère, vous serez d’accord avec moi, quelques incertitudes.
Notre collègue rapporteur de la commission l’a souligné : l’hypothèse de croissance à 1,7 % est bien fragile, sous l’effet notamment de la remontée des prix du pétrole, des menaces de guerre commerciale régulièrement brandies par le dirigeant américain, ou encore du Brexit, dont on ne mesure pas encore l’impact sur l’économie européenne.
En attendant, la crédibilité budgétaire de notre pays doit être consolidée. Le Gouvernement, c’est vrai, s’y emploie, sous la pression de la Commission européenne, mais aussi du Haut Conseil des finances publiques, qui exerce un rôle de vigie bienvenu, pour ne pas dire bienfaiteur.
Pour autant, les résultats, nonobstant cette volonté de rétablissement d’une trajectoire plus saine de nos finances publiques, ne sont pas encore suffisants. Le déficit augmente l’an prochain, mais il est vrai que le reclassement de la dette de la SNCF au sein des administrations publiques pèse lourd, très lourd.
L’effort de maîtrise des dépenses publiques est quelque peu écorné, puisque celles-ci devraient croître de 0,6 % en volume. Par conséquent, le déficit structurel peine à se résorber.
L’embellie budgétaire dépend trop de la dynamique conjoncturelle. Le déficit structurel, en réalité, est notre vraie faiblesse au regard des règlements européens et il déclasse la France par rapport à nos partenaires, au premier rang desquels figure l’Allemagne, bien entendu.
Il faut toutefois reconnaître que l’exercice n’est pas facile, d’autant que l’on ne peut pas ignorer le caractère encore prégnant d’un héritage qui, n’ayons pas peur de le dire, est à mettre au compte de tous les gouvernements qui se sont succédé. En effet, comment, mes chers collègues, faire table rase de quarante-cinq années de budgets déficitaires ? Dans ces conditions, la dette de la France sera de 98,7 % du PIB pour l’année prochaine, un niveau très élevé.
Au sein de la difficile équation entre baisse des dépenses et coup de pouce à l’activité, le Gouvernement a fixé des priorités, dont certaines, c’est le moins qu’on puisse dire, ne sont pas bien comprises.
Je pense bien sûr à la question des impôts et taxes affectant nos concitoyens, qui a conduit plusieurs milliers d’entre eux à exprimer leur ras-le-bol fiscal dans la rue. C’est préoccupant, car le consentement à l’impôt – cela a été dit et répété à cette tribune – est au cœur du pacte républicain. On ne peut pas ignorer les récentes mesures en faveur du pouvoir d’achat, que ce soit la suppression des cotisations chômage ou le dégrèvement de la taxe d’habitation. Mais il existe un décalage entre la mise en œuvre des dispositifs et les effets qu’ils produiront à plus ou moins long terme.
L’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, vient de rappeler que le revenu disponible des ménages avait baissé en moyenne de 440 euros entre 2008 et 2016. Pour le moment, c’est cette réalité que vivent nos concitoyens et il faudra peut-être réorienter certains dispositifs fiscaux touchant au pouvoir d’achat, avec plus de mesure, comme le propose d’ailleurs la commission des finances.
S’agissant du verdissement de la fiscalité, qui alimente une partie des hausses des carburants, si elle doit s’exercer au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, cela ne peut pas être fait avec brutalité, mais aussi sans équité. C’est d’ailleurs ce même souci d’équité, essentiel au principe du consentement à l’impôt, qui pourrait être approfondi au sein du PLF.
Je pense, monsieur le secrétaire d’État, à des mesures de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, par exemple, à celles que plusieurs de mes collègues et moi-même proposons, visant à contrarier les juteuses opérations d’arbitrage de dividendes.
S’agissant d’une autre grande priorité affichée dans ce PLF, celle d’un effort en direction du travail, je dirai quelques mots de la transformation du CICE en baisse de charges.
Pour ma part, j’y souscris, car cela va dans le sens d’un allégement du coût du travail évidemment nécessaire dans ce monde de plus en plus ouvert que nous connaissons. Cependant, je souhaitais souligner l’importance de soutenir plus directement l’industrie, dont le décrochage est alarmant : elle ne représente actuellement plus que 12,4 % du PIB, contre 16,5 % dans les années 2000. Or l’industrie est un puissant vecteur de soutien des bassins d’emploi et de dynamisme des territoires. L’impact de la transformation du CICE sera-t-il à la hauteur pour des secteurs exposés à la concurrence internationale, sachant que le dispositif est centré sur les bas salaires ?
Pour terminer, monsieur le secrétaire d’État, je voudrais rebondir sur vos propos concernant les chantiers à poursuivre au sein de l’Union européenne. On doit en effet tout mettre en œuvre pour éviter une concurrence intra-européenne qu’alimente un certain dumping social. Aussi, la taxe sur les GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon – ou l’union des marchés de capitaux sont quelques-uns des outils qui donneront plus de sens à la solidarité européenne : on ne peut pas, d’un côté, imposer des règles budgétaires vertueuses, et, de l’autre, laisser perdurer la non-coordination des politiques fiscales européennes.
Voilà quelques remarques que je souhaitais faire au nom du RDSE sur ce projet de loi de finances, qui, je l’espère, sera enrichi au fil de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. Bernard Delcros. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, lors de la présentation de la loi de finances pour 2018, le Gouvernement a fixé des objectifs à court et moyen terme. Je voudrais à cet instant revenir sur plusieurs de ses engagements et les examiner au regard du projet de loi de finances pour 2019.
Sur l’assainissement de nos finances publiques, monsieur le secrétaire d’État, vous aviez fixé un cap pour la durée du quinquennat : moins 5 points de dette publique, moins 3 points de dépense publique, moins 1 point de prélèvements obligatoires.
Le projet de loi de finances pour 2019 s’inscrit bien dans cet objectif. Mais, une question se pose, me semble-t-il, malgré une amélioration réelle.
La prévision de déficit public pour 2019 est de 2,8 points de PIB, déficit qu’il faut relativiser au regard du reclassement de la dette de la SNCF, pour 0,1 point, et surtout de l’effet cumulé, pour la seule année 2019, de l’application du CICE et de la première année de mise en œuvre de l’allégement des charges pour 0,9 point.
Vous prévoyez une légère baisse du taux de prélèvements obligatoires, taux qu’il faut aussi ramener à sa juste valeur en le corrigeant du double effet du CICE et de la baisse des charges.
La dépense publique est, certes, réduite de 0,6 point de PIB, mais elle augmente en valeur absolue de 24 milliards d’euros. Sur celle-ci, il y aurait beaucoup à dire. Nombreux sont ceux qui considèrent qu’il faut la réduire davantage, mais il est plus facile de l’affirmer que de préciser les dépenses qu’il convient de réduire. Là aussi, il faut être cohérent et responsable.
Alors que le niveau d’endettement baisse, légèrement, de 0,1 point de PIB, mais augmente en valeur absolue de 67 milliards d’euros, et alors que s’assombrit le ciel conjoncturel, notamment avec le ralentissement de la croissance, pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État, pouvoir tenir le cap, atteindre les objectifs fixés et gagner ce pari difficile, mais nécessaire, du redressement de nos comptes publics ?
S’agissant de votre engagement à gagner le pari de l’emploi, après tant d’efforts sincères faits par les gouvernements successifs sans résultat probant, après tant de mesures qui n’ont pas abouti à mettre en échec le chômage de masse, vous avez souhaité ouvrir une nouvelle voie en faisant le pari de réussir à endiguer le chômage par une meilleure compétitivité de nos entreprises, l’allégement de leur fiscalité, l’allégement de la fiscalité du capital, la relance de l’investissement.
Cette année, vous prolongez cette ligne en concrétisant la bascule du CICE en allégements de charges, en poursuivant la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, en adaptant la fiscalité des petites et moyennes entreprises aux défis de la nouvelle économie et de la robotique, et également par la modernisation de la fiscalité agricole ou encore par la mise en œuvre du volet fiscal de la loi PACTE, qui devrait par exemple faciliter la transmission des petites et moyennes entreprises.
Comme je l’avais indiqué l’an passé, nous voulons bien vous accompagner sur cette nouvelle voie en faveur de l’emploi, là où tant d’autres politiques ont échoué, à condition qu’il y soit prévu des mesures concrètes pour réduire les inégalités, afin de ne pas fragiliser les plus démunis et de ne pas laisser certains territoires au bord de la route.
Nous continuons à penser que la réduction massive des contrats aidés ne relève pas d’une bonne stratégie, tant ils accompagnaient utilement les plus démunis et contribuaient à l’offre de services, notamment dans le secteur associatif.
Nous le savons bien, les effets de vos choix en matière d’emploi ne peuvent pas donner leur pleine mesure immédiatement, mais les résultats devront néanmoins être au rendez-vous d’une baisse significative et durable du chômage.
Quelles sont vos prévisions en la matière ? Quand verra-t-on, selon vous, les effets de vos choix politiques et, donc, une baisse du chômage en France ?
Autre sujet d’actualité, s’il en est : la transition énergétique. Celui-ci est trop important pour qu’on sombre dans le déni ou la démagogie. Nous sommes en train de détruire notre planète. Voilà la réalité ! Les conséquences, nous les connaissons et elles sont alarmantes. Peut-on continuer ainsi ? Peut-on expliquer à nos enfants que c’est l’héritage qu’on veut leur laisser ? Aucun d’entre nous ne le pense, et donc nous devons l’assumer en responsabilité : les énergies fossiles ne peuvent pas être l’avenir.
Nous devons donc réduire notre consommation d’énergies fossiles et accélérer le passage à d’autres sources d’énergie, accélérer aussi l’utilisation dans nos pratiques industrielles, agricoles et individuelles de produits respectueux de l’environnement et de la santé publique. Nous devons changer nos comportements.
Mais les mesures incitatives, les taxes incitatives, pour être acceptées, doivent être comprises ; pour être comprises, elles doivent être justes.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Et là, il y a un problème !
M. Bernard Delcros. Pour cela, il faut, premièrement, qu’il existe une solution de remplacement, et, deuxièmement, quand cette autre solution existe, qu’elle soit financièrement accessible pour tous. (M. Emmanuel Capus applaudit.) C’est bien le problème aujourd’hui : monsieur le secrétaire d’État, vous qui êtes élu d’un département en partie rural, comme le mien, dites-moi comment faire accepter une hausse de taxes incitative aux habitants des milieux ruraux lorsqu’ils n’ont pas d’offre alternative pour se déplacer ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.) Comment faire accepter une hausse du prix du fioul aux familles à revenus modestes, qui ne disposent pas des ressources suffisantes pour financer le changement de la chaudière au-delà du crédit d’impôt, certes significatif, mais qui ne couvre que 30 % de l’opération ?
Monsieur le secrétaire d’État, je le dis en responsabilité : nous devons garder l’objectif d’une accélération de la transition énergétique, il faut garder le cap, c’est notre responsabilité de l’expliquer, et rien ne serait plus irresponsable que de prétendre le contraire, mais, pour réussir, il faut accélérer la mise sur le marché de solutions alternatives, il faut renforcer les mesures d’accompagnement, il faut revoir la trajectoire de la hausse.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Emmanuel Capus. Tout à fait d’accord !
M. Bernard Delcros. Enfin, je voudrais évoquer rapidement deux autres sujets.
S’agissant de la fiscalité agricole, je tiens à saluer le travail qui a été mené en étroite collaboration avec la profession et un groupe de parlementaires auquel vous avez bien voulu m’associer. L’agriculture joue un rôle primordial dans l’économie de notre pays, et elle joue aussi, ne l’oublions jamais, un rôle majeur dans l’aménagement du territoire en faisant vivre la ruralité. Le dispositif d’épargne de précaution plus ouvert et plus souple, le relèvement du plafond pour faciliter la transmission des baux ruraux, la possibilité de revenir sur son choix de régime fiscal ou encore le maintien du régime du micro-BA, bien adapté aux exploitations de petite taille et très pratiqué en zone de montagne, sont autant d’avancées que je tiens à saluer.
S’agissant des collectivités locales, monsieur le secrétaire d’État, vous le savez pour avoir exercé des responsabilités en tant qu’élu local : les élus locaux ont besoin d’y voir clair, de tracer des perspectives. Et quand des décisions sont prises, ils attendent qu’elles soient justes !
Après une longue période de perturbations, avec la baisse importante de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, ou la réorganisation territoriale – certaines mesures étaient nécessaires, d’autres non –, il y avait besoin de stabilité et de lisibilité. Vous avez apporté dès 2018 cette stabilité, tant dans le montant des dotations que dans l’organisation territoriale. C’était nécessaire.
Pour 2019, le maintien de la DGF à son niveau de 2018, la hausse de la péréquation ou encore la réforme de la dotation d’intercommunalité, qui revient sur le dispositif injuste des catégories d’EPCI, vont dans le bon sens, de même que la péréquation à destination des départements ayant le plus de difficultés à faire face aux dépenses liées aux allocations individuelles de solidarité. Toutefois, la réduction des crédits affectés aux contrats de ruralité, à la prime à l’aménagement du territoire ou au Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, que vous connaissez bien, ne sont pas acceptables pour les territoires les plus fragiles : ce sont certes de petites sommes, mais avec des effets de levier importants. La commission des finances proposera de les relever.
Les modifications de périmètres consécutifs à la loi NOTRe et le changement de catégorie des intercommunalités ont considérablement impacté la répartition des dotations entre les collectivités – en particulier la DGF et le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC. Une remise à plat est aujourd’hui nécessaire et j’ai compris que le Gouvernement était prêt à engager ce chantier.
Enfin, nous suivrons avec la plus grande attention le projet de loi sur la réforme de la fiscalité locale, qui devrait être examiné au printemps prochain. La commission des finances a d’ores et déjà fait des propositions concrètes à ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. –M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je vais, comme l’an dernier, utiliser mon temps de parole pour évoquer la politique du logement du Gouvernement et ses conséquences, qui se dessinent maintenant très nettement, mais aussi pour parler de nos collectivités territoriales, acteur majeur du secteur.
À l’été dernier, monsieur le secrétaire d’État, les prévisions sur lesquelles vous vous êtes fondés pour construire ce budget paraissaient prudentes. Vous aviez d’ailleurs ramené votre prévision de croissance à 1,7 %. En matière de logement, l’année s’annonçait en retrait par rapport à 2017, mais vous étiez encore rassurants.
Lors des débats sur la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, en juillet dernier, le secrétaire d’État Julien Denormandie nous expliquait encore que les mesures de compensation de la Caisse des dépôts et consignations et celles de la loi elle-même allaient permettre de construire beaucoup plus avec beaucoup moins d’argent.
Mais voilà, depuis lors, le ciel s’est sérieusement assombri. Conséquences de la guerre commerciale de M. Trump, de la remontée des taux d’intérêt aux États-Unis et du prix du pétrole, des incertitudes liées au Brexit pour l’Europe : la croissance ralentit – le consensus est maintenant à 1,6 % –, le chômage ne baisse pas, ou si peu, le moral des Français est en berne et l’investissement industriel également.
Il y a cependant un secteur d’activité qui aurait pu se trouver relativement à l’abri de ces turbulences, en tous les cas tant que les taux d’intérêt restent sages : il s’agit du logement.
Malheureusement, c’est la cible principale que vous avez choisie l’an dernier pour porter les seules – ou presque – mesures d’économies que vous ayez décidées pour 2018.
Je les rappelle pour mémoire, et le catalogue est fourni : création de l’IFI ; recentrage du PTZ et du dispositif Pinel ; suppression de l’APL accession ; baisse des ressources tirées des loyers pour les bailleurs sociaux, à hauteur de 800 millions d’euros en 2018 et en 2019, puis de 1,5 milliard d’euros en 2020 ; augmentation de la TVA sur les bailleurs de 5,5 % à 10 % pour permettre l’étalement de la mesure de baisse des loyers. À ce sujet, que se serait-il passé, monsieur le secrétaire d’État, si vous aviez retiré 1,5 milliard d’euros dès 2018 ? Je n’ose même pas y penser. Je n’oublierai pas de citer la taxe sur la vente HLM.
Ce n’est pas faute d’avoir, l’an dernier et en juillet encore, lors de la discussion de la loi ÉLAN, attiré votre attention sur le risque que vous faisiez courir à un secteur qui sortait à peine du marasme des années 2014 et 2015. Mais au fait, comment ce marasme a-t-il été déclenché à l’époque ? Par les décisions brutales du gouvernement Ayrault, avec Mme Duflot aux manettes, particulièrement sur l’investissement locatif et les aides à l’accession.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le Scellier, c’était avant !
M. Philippe Dallier. Or qu’a fait le Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État ? La même chose, mais pas seulement, puisqu’il s’est aussi lancé dans une réforme brutale du monde HLM, à grands coups de coupes budgétaires.
Le Gouvernement n’a rien voulu entendre, allant jusqu’à nier le risque, que tous les acteurs pointaient, d’un fort repli du marché. Eh bien voilà, nous y sommes, et malheureusement bien plus vite que prévu !
L’année 2018 s’annonçait en effet en net repli, alors même qu’il y a, dans le secteur, un retard inhérent à l’inertie des projets. Le nombre de logements sociaux financés en 2018 se situera à coup sûr sous les 100 000, ce qui nous ramènera peut-être dix ans en arrière, en plein milieu de la crise de 2008 et de 2009.
S’agissant de la promotion privée, ce n’est pas mieux. Voici les chiffres pour le troisième trimestre de 2018.
Dans les zones A et A bis – Paris, proche banlieue, Côte d’Azur, frontière suisse –, les mises en vente ont baissé de 8,7 % et les réservations de 3,2 %.
Dans les zones B1 – agglomérations de 250 000 habitants –, les mises en vente ont baissé de 15,8 % et les réservations de 19,5 %.
Dans les zones B2 – villes moyennes de 50 000 habitants –, les mises en vente ont baissé de 21,1 % tandis que la demande, ce qui est une singularité, a crû de 8,2 %.
Dans les zones C – le reste du territoire –, les mises en vente ont baissé de 26,9 % et les réservations de 13,9 %.
Monsieur le secrétaire d’État, ces chiffres sont très inquiétants et les professionnels du bâtiment parlent maintenant de 120 000 emplois en jeu dès l’année prochaine, et potentiellement de 200 000 emplois à l’horizon 2020.
Allez-vous au moins, au nom du Gouvernement, reconnaître que ces chiffres sont conformes à la réalité ? Je vous pose la question puisque, jusqu’à présent, le Gouvernement a été dans le déni absolu. Ce n’est plus possible. Si vous reconnaissez que ces chiffres sont exacts, il faut en tirer les conséquences dès maintenant !
Si j’en juge le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale, la réponse est malheureusement non. C’est même exactement le contraire, avec deux mesures figurant dans le texte initial du Gouvernement : la suppression de l’exonération de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance, la TSCA, sur l’assurance décès des emprunteurs, qui va toucher les particuliers – encore un petit coup pour eux ! – désireux d’accéder à la propriété ; la taxation du gazole non routier, qui impactera le secteur du bâtiment et des travaux publics.
Ce n’est que par voie d’amendement que le Gouvernement a desserré – mais si peu – le dispositif Pinel dans le cadre des opérations Cœur de ville et accepté le retour de l’APL accession, mais seulement dans certains territoires d’outre-mer.
Ce n’est pas avec ces mesures, monsieur le secrétaire d’État, que vous inverserez la tendance.
Il faudrait, selon nous, revoir d’urgence le zonage, ce qui aurait déjà dû être fait, car il ne permet pas de cibler correctement les aides fiscales.
Il faut rétablir l’APL accession sur tout le territoire : cela ne coûterait que 50 millions d’euros de plus l’an prochain et ce serait parfaitement cohérent avec votre objectif de vente d’HLM.
Il faut recalibrer le PTZ pour soutenir l’accession à la propriété partout.
Monsieur le secrétaire d’État, si vous ne voulez pas prendre le risque d’une crise majeure dans le secteur, il faut bouger maintenant. Votre politique fiscale – notre politique fiscale, je relativise – à l’égard du logement, beaucoup le disent, est incohérente : on surtaxe d’un côté et, pour que le marché fonctionne, on accorde effectivement des aides fiscales.
Tout cela ne peut plus durer. Donnez-vous un peu de temps, allons vers une véritable réforme de la fiscalité du secteur, mais, d’ici là, il faut des mesures pour soutenir celui-ci et éviter son effondrement.
S’agissant des bailleurs sociaux, le Gouvernement a présenté l’an dernier des mesures dites « de compensation de la baisse des loyers » : allongement des prêts, prêts de haut de bilan, blocage du taux du livret A.
Que vont donner ces mesures ? Maintenant, on le sait : la Caisse des dépôts et consignations a fait le tour des territoires, a rencontré tous les bailleurs ; dans un rapport récent, elle a publié un graphique très intéressant montrant que ces mesures dites « de compensation » permettent de passer le début de la période, mais qu’en 2037, dans vingt ans – tenez-vous bien, mes chers collègues –, l’autofinancement global des bailleurs sociaux sera nul. On pousse les prêts devant nous pour les rembourser plus tard !
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement est en train de fragiliser le secteur du logement social pour vingt ans. Ce secteur, en cas de crise, servait effectivement d’acteur contracyclique pour sortir l’accession à la propriété de ces problèmes. Eh bien, c’est terminé !
Je veux encore dire un mot de nos collectivités territoriales. Ce sont des acteurs majeurs : elles peuvent aider à soutenir le mouvement, mais il y a au moins une mesure qu’il faudrait adopter. Je le dis d’autant plus que les investisseurs institutionnels sont de retour, fortement, et veulent réinvestir le logement après l’avoir quitté il y a quinze ou vingt ans. C’est une bonne nouvelle, si ce n’est que cela se fait au détriment des communes, compte tenu des exonérations de taxe foncière. Ce n’est pas possible ! Puisque vous avez supprimé la taxe d’habitation et qu’il ne subsiste aux maires que la taxe foncière, vous ne pouvez pas en exonérer, aux frais des communes, et le logement social et le logement intermédiaire.
Monsieur le secrétaire d’État, cela fait cinq ans que je fais adopter, ici au Sénat, l’amendement visant à exclure l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties des variables d’ajustement de la DGF ; je compte et j’espère bien cette fois-ci obtenir un avis favorable du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Yvon Collin et Jean-Michel Houllegatte applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel. (Mme Catherine Conconne applaudit.)
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, à mon sens, nous ne pourrions terminer cette discussion générale sans évoquer de nouveau la situation explosive sur l’île de la Réunion, dont il a été question au cours des questions d’actualité. J’exhorte vraiment le Gouvernement à y accorder une importance et un soin particuliers, à ne pas donner sa seule préférence à la répression et à ne pas croire que l’envoi de brigades supplémentaires de gendarmes suffira à ramener la paix et la concorde.
J’espère qu’on saura trouver les voies et les moyens pour engager des discussions et arriver à un accord un peu plus global.
En 2017, nous avons tous été attentifs aux mots du Président de la République, d’abord dans ses écrits de candidat, puis lors de la campagne, ensuite dans son fameux discours de Versailles. Ses mots étaient « girondisme », « respect de l’autonomie des territoires », « respect des élus », « progrès social », « justice fiscale ».
Deux ans après, la déception est grande. Partout en France, comme mes collègues et moi, monsieur le secrétaire d’État, vous entendez monter et gronder la colère. Celles et ceux qui ont fait confiance ne cessent, disons-le, de dévisser et ce budget n’est pas de nature à opérer une reconquête des cœurs et des esprits.
Comme moi, vous entendez sûrement le peuple et les élus dénoncer la rigidité et la brutalité du pouvoir ; vous entendez ceux qui dénoncent – eh oui ! – le mépris, l’arrogance, voire la vanité.
L’impression tenace, c’est celle d’une absence d’humanité et d’une faute de cœur. Bien sûr, tout cela est peut-être surjoué, mais l’intelligence politique commande de tenir compte du vécu et du ressenti des populations.
Mes chers collègues, pour illustrer l’écart entre les promesses et les réalités, j’aimerais pouvoir vous exposer, vous expliquer les « mauvaisetés » infligées aux outre-mer.
Pour les outre-mer, le candidat Macron s’était engagé sur plus de 4,5 milliards d’euros : 1 milliard d’euros dans une lettre publiée opportunément par l’hebdomadaire Actu.nc en Nouvelle-Calédonie, que tous les électeurs ont reçue ; 1 milliard d’euros sur les engagements guyanais ; et la quote-part, au regard de leur population, des outre-mer dans le Grand plan d’investissement, à hauteur de plus de 4,5 milliards d’euros.
Or, depuis deux ans, ces territoires se voient appliquer, en plus du volet national, un volet spécifique aux outre-mer, emblématique d’une nouvelle conception du pouvoir faite de verticalité raide, d’expertise aveugle et technocratique, d’indifférence brutale, si ce n’est de mépris affiché pour les élus, comme s’ils ne pouvaient être de bons experts de la situation de leur population et de leur territoire.
L’exécutif a décidé unilatéralement de mettre fin au traitement différencié des outre-mer, pourtant consacré par l’article 73 de la Constitution, qui prévoit des adaptations. Le maître mot est désormais « harmonisation », « standardisation », « alignement », tout cela au nom de la lutte contre les inégalités.
En l’état, ce projet de budget est l’équivalent moral – je pèse mes mots – d’une guerre livrée contre les outre-mer.
Était-il raisonnable de contourner les parlementaires que nous sommes, ainsi que les socioprofessionnels de nos territoires, lorsqu’il s’est agi de préparer la réforme des aides économiques outre-mer ?
Était-il utile d’organiser les assises des outre-mer, alors même que, dès janvier, nous connaissions les arbitrages de l’État ? C’était une belle entreprise de communication ! Tout cela nous a fait perdre deux ans pour, finalement, aboutir à une réforme de pur rendement, pensée par vos services et prétendument légitimée par les conclusions de ces assises.
Est-il fiscalement juste de proposer une augmentation frénétique, dès 2019, de 200 millions d’euros de l’impôt sur le revenu outre-mer pour près de 80 000 contribuables ultramarins ? C’est pourtant la conséquence de l’article 4 du projet de loi de finances.
Est-il économiquement pertinent de supprimer la TVA non perçue récupérable – la TVA-NPR – pour nos entreprises locales, qui leur permettait directement de conforter leur compétitivité et de trouver des marges pour investir ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Victorin Lurel. Est-il socialement juste et fiscalement efficace de supprimer les outils permettant de construire des logements sociaux ou de mettre fin aux dispositifs favorisant le développement des zones géographiques les plus défavorisées ?
Puisque j’ai épuisé mon temps de parole, je conclurai en disant au Gouvernement que le Sénat a une culture du compromis raisonnable et intelligent. Nous tenterons, après un travail transpartisan, de proposer des solutions raisonnables. J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous resterez à l’écoute et que, pour une fois, pourra s’engager une discussion éclairée et fructueuse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, au premier abord, ce projet de loi de finances pour 2019 comporte peu de mesures très importantes relatives aux collectivités territoriales. Le Gouvernement a annoncé pour le printemps 2019 une loi de finances rectificative qui abordera notamment l’épineuse question de la réforme de la taxe d’habitation, laquelle représente, je le rappelle, un tiers des recettes fiscales du bloc communal.
En effet, la suppression de cette taxe pour 100 % des ménages, imposée par le Conseil constitutionnel, interviendra en 2021, si j’en crois les propos tenus par le ministre Gérald Darmanin lors de la discussion du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale. La suppression totale de la taxe d’habitation fera peser sur les finances publiques une surcharge de près de 14 milliards d’euros en 2020 par rapport à la trajectoire inscrite dans la loi de programmation des finances publiques, surcharge qui sera financée par le déficit. Ainsi, l’allégement d’impôt pour le contribuable local sera financé par le contribuable national…
Au cours des débats à l’Assemblée nationale, très souvent, le Gouvernement a rejeté des amendements relatifs à la fiscalité des collectivités locales en arguant qu’ils seraient pris en compte au titre du projet de loi de finances rectificative pour 2019. Monsieur le secrétaire d’État, je vous souhaite, ainsi qu’à votre cabinet et aux équipes de Bercy, bien du courage pour traiter tous les problèmes soulevés dans un laps de temps aussi court ! Le premier semestre de 2019, c’est demain.
Si cette loi doit être le Grand Soir de la fiscalité des collectivités locales, je m’étonne que le projet de loi de finances pour 2019 comprenne un certain nombre de dispositions faisant évoluer de manière autonome des dispositifs existants : réforme de la dotation d’intercommunalité, à l’article 79, modification des modalités de répartition de la dotation politique de la ville, à l’article 81, transformation de la dotation globale d’équipement des départements en une dotation de soutien à l’investissement départemental.
L’étude d’impact annexée au projet de loi ne donne aucune simulation de ces évolutions. Tout au plus sait-on que « la modification des règles de plafonnement de l’écrêtement de la dotation forfaitaire des départements est neutre pour la catégorie des départements et n’a d’effet qu’au niveau individuel » ou encore que « la réforme de la dotation d’intercommunalité est neutre pour la catégorie des EPCI à fiscalité propre et n’a d’effet qu’au niveau individuel ». Il n’était pas besoin d’étude d’impact pour écrire cela…
Nous aurons très certainement de riches débats sur la réforme de la fiscalité locale au printemps prochain. Il est cependant certain que nous ne pourrons continuer à légiférer en empilant des dispositifs sans aucune simulation à maille fine.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est toujours le problème.
Mme Christine Lavarde. Par ailleurs, en tant que sénateur des Hauts-de-Seine, je ne peux que rappeler l’impatience des élus franciliens quant à une prise de décision sur l’organisation institutionnelle de la région d’Île-de-France. Le millefeuille à cinq couches est indigeste !
En tant que sénateur du groupe Les Républicains, je veillerai à ce que le nouveau système fiscal proposé préserve la libre administration et l’autonomie financière des collectivités locales.
Pour en revenir au projet de loi dont nous allons débattre ces prochains jours, 11 des 85 articles du texte initial concernent directement les finances locales.
Conformément à l’engagement pris en 2017 de ne pas diminuer les dotations aux collectivités territoriales en contrepartie de la mise en œuvre du dispositif de contractualisation, l’article 23 maintient le niveau de la dotation globale de fonctionnement pour 2019 à son niveau de 2018. Ce maintien en euros courants masque cependant une baisse en euros constants dès lors que l’inflation repart à la hausse.
Les collectivités territoriales, monsieur le secrétaire d’État, ont respecté leur contrat. En effet, selon la note de conjoncture sur les finances locales de la Banque postale du 19 septembre 2018, la prévision d’évolution des dépenses de fonctionnement des administrations publiques locales, les APUL, est de 0,9 % pour 2018. Il aurait donc été de bon ton que l’État respecte le sien. Ce qui est vrai en général – le maintien des dotations – est faux en particulier : en 2018, près de la moitié des communes ont vu leur DGF diminuer et les deux tiers ont été touchées par une baisse de leur dotation forfaitaire.
En effet, afin de respecter les plafonds fixés par l’article 16 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 en ce qui concerne la trajectoire des concours financiers de l’État aux collectivités territoriales, toute hausse doit être gagée par le biais des variables d’ajustement. Ainsi, en 2019, les variables d’ajustement sont minorées à hauteur de 144 millions d’euros.
Selon le Gouvernement, « les variables d’ajustement relatives à chaque catégorie de collectivités doivent neutraliser les hausses de crédits gagées qui lui bénéficient » ; dit autrement, cela revient à donner d’une main pour reprendre de l’autre, ou encore à financer de la péréquation verticale par de la péréquation horizontale. Cette année, cette logique n’est pas parfaitement respectée, puisque le bloc communal viendra financer à hauteur de 34 millions d’euros l’augmentation des ressources des départements.
La loi de finances pour 2018 avait élargi l’assiette des variables d’ajustement à la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle des communes et des établissements publics de coopération intercommunale. En avril 2018, une instruction fiscale de Bercy venait geler l’application de cette disposition pour les EPCI, au regard de sa très forte concentration. Les mêmes effets se sont fait sentir lors de la ventilation de la minoration sur les communes, conduisant même quatre maires des Hauts-de-Seine à attaquer en justice l’arrêté préfectoral de notification. L’article 23 du présent projet de loi de finances vient annuler les dispositions de la loi de finances initiale pour 2018. Mais, monsieur le secrétaire d’État, en 2019, les mêmes causes produiront les mêmes effets : dès lors, pourquoi donc inscrire à nouveau une minoration de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle, la DCRTP ?
Si, côté recettes, le compte y est – au moins en apparence –, côté dépenses, la situation est déséquilibrée.
Au-delà de la croissance des charges de personnel avec la réactivation du protocole sur les parcours professionnels, carrières et rémunérations, le PPCR, les dépenses des collectivités locales seront fortement majorées du fait de la hausse de la fiscalité environnementale. Je rappellerai simplement que le parc automobile des collectivités territoriales est composé à hauteur de 75 % par des véhicules diesel. Je citerai également l’augmentation des tarifs de la composante « déchets » de la TGAP entre 2021 et 2025. Bien évidemment, les apporteurs de déchets doivent être incités à privilégier les opérations de recyclage. Cependant, comme 30 % des déchets des ménages ne sont aujourd’hui pas recyclables, malgré l’application du taux de TVA de 5,5 % prévue à l’article 59 du projet de loi de finances, le surcoût pour les collectivités est estimé, au bas mot, à 431 millions d’euros pour la période 2021-2025, voire à 1 milliard d’euros si l’on en croit les simulations de l’association AMORCE. Enfin, la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE, sur le gazole non routier, le GNR, va pénaliser à hauteur de 500 millions d’euros le secteur des travaux publics ; il ne vous aura pas échappé que ce surcoût sera très certainement refacturé aux clients. Or les donneurs d’ordres en matière de travaux publics sont à hauteur de 65 % les collectivités territoriales, soit une hausse potentielle de leur facture de 325 millions d’euros.
Alors que les maires de France sont réunis à quelques encablures de cet hémicycle, je crains que le projet de loi de finances pour 2019 ne vienne conforter la conclusion de l’Observatoire de la démocratie de proximité AMF-CEVIPOF : « la recentralisation ressentie de l’action communale ne se traduit pas par le transfert de compétences communales à l’État central, mais résulte plutôt des contraintes budgétaires installées dans la durée ».
Un sondage du CEVIPOF vient de nous apprendre qu’un maire sur deux dit aujourd’hui ne pas vouloir se représenter à l’issue de son mandat. Monsieur le secrétaire d’État, il est temps que le Président de la République et le Gouvernement passent des mots aux actes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacky Deromedi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, un budget, c’est d’abord des visages, des personnes, des enfants dont nous cherchons à améliorer la vie. Ces visages, ce sont d’abord pour moi ceux des Français de l’étranger, que je représente ici avec d’autres.
Je commencerai par évoquer les conséquences fiscales de ce projet de budget pour nos compatriotes expatriés.
Le Gouvernement décrit comme une conquête sociale la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des Français. Cela ne concerne pas, évidemment, les Français de l’étranger qui ont une résidence en France. Il serait intéressant de savoir quand les Français de l’étranger pourront enfin obtenir que leur résidence unique en France soit considérée comme leur résidence principale.
Bercy a lâché du lest sur quelques impôts dans ce projet de budget, en matière de plus-values ou de pensions alimentaires notamment, mais on reprend d’une main ce que l’on a accordé de l’autre. Le taux minimum d’imposition sur les revenus de source française augmente de 20 % à 30 %.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous allons y remédier.
Mme Jacky Deromedi. J’ai déposé un amendement de suppression de cette augmentation. Nos compatriotes m’écrivent pour s’inquiéter de la mise en œuvre du prélèvement à la source. Ils ont le sentiment que le nouveau système leur sera défavorable et qu’ils paieront davantage. Aux questions écrites que j’ai posées à ce sujet, vous avez répondu, monsieur le secrétaire d’État, qu’il n’y aurait pas un double prélèvement. Mais que se passera-t-il quand existe une convention fiscale ? Le prélèvement à la source sera-t-il, dans ce cas, opéré sur les revenus de source française ?
En matière de CSG-CRDS, nos compatriotes affiliés à un régime de sécurité sociale de l’Union européenne ont été exonérés, mais les autres Français résidant dans des pays tiers sont restés sur leur faim. Pourquoi celui qui vit en Belgique, en Italie ou en Espagne serait-il exonéré de la CSG-CRDS, et pas celui qui vit en Chine, aux États-Unis, en Afrique ou en Australie ? Où est l’« égalité » qui figure dans notre belle devise ? En outre, on n’a dispensé personne de la nouvelle contribution de solidarité de 7,5 %.
En ce qui concerne notre réseau scolaire à l’étranger, le Président de la République a prévu le doublement du nombre d’élèves d’ici à 2030. Il s’agit de faire toujours plus avec des moyens qui soit diminuent, soit stagnent. Le doublement du nombre d’élèves suppose pratiquement un doublement du nombre d’enseignants. Or le leitmotiv gouvernemental, c’est la stabilisation des moyens et la réduction des effectifs, alors que les besoins augmentent. Par quel exercice de prestidigitation allez-vous réaliser ce programme ?
La subvention à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE, est stable. Elle est fixée à 384 millions d’euros. Pour compenser les conséquences de la suppression de 33 millions d’euros de crédits l’an dernier, l’AEFE a porté unilatéralement son prélèvement sur les établissements conventionnés de 6 % à 9 % des frais de scolarité, ces établissements augmentant donc en conséquence les écolages.
La dotation consacrée aux bourses sera de 105 millions d’euros en 2019, soit une diminution de 5 millions d’euros par rapport à 2018. Au lieu de modifier le barème des bourses alors que les besoins des familles augmentent, on bloque le système en réduisant la dotation de l’État, et on fragilise l’AEFE.
En 2017, les parents ont participé à hauteur de 65 % au financement des établissements en gestion directe et des établissements conventionnés. Le Président de la République a indiqué qu’une des solutions qu’il préconisait était la recherche de partenariats locaux ou de mécénats. Toutefois, cette recherche se révèle complexe et aléatoire et ne permet pas d’avoir une véritable visibilité pour un fonctionnement sain et pérenne des établissements scolaires.
En fait, nous subissons une baisse considérable des effectifs : la suppression de 166 postes d’enseignant équivalents temps plein en 2019 fait suite à celle de 180 ETP en 2018. La législation ne permet plus de renouveler un CDD au-delà de six années, et le ministère remercie des agents qualifiés et expérimentés pour les remplacer par de nouvelles recrues qui n’auront évidemment pas la même expérience et les mêmes qualifications. On marche sur la tête… Il est essentiel de créer pour le réseau culturel une exception à la limite des six années d’emploi en CDD. Pourquoi se débarrasser de personnel qualifié par simple application d’une réglementation sans fondement ?
Bref, encore une fois, les Français de l’étranger sont pénalisés : hausse du taux minimum d’imposition sur le revenu de 20 % à 30 %, instauration d’une taxe de solidarité, réduction des budgets des postes diplomatiques, réduction des subventions à l’AEFE, diminution des bourses… Mais quel est votre problème avec les Français de l’étranger ? Ils sont avant tout français, et nous sommes fiers de leur courage. Ils ont droit à notre considération et à votre attention. Ne pensez pas à eux uniquement au moment des élections, car ils ont de la mémoire et sauront se souvenir de la manière dont ils ont été traités ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie l’ensemble des intervenants dans cette discussion générale de leurs contributions, qui ont été particulièrement riches. Je vais maintenant m’efforcer de répondre à leurs propositions, à leurs critiques et à leurs interrogations.
Ce projet de loi de finances comporte un certain nombre de réformes structurelles, d’abord en matière de compétitivité, avec une diminution de cotisations sociales de 19 milliards d’euros pour permettre et accompagner la création d’emplois, grâce au renforcement des mesures d’allégement qui avaient déjà été programmées et à la mise en place d’un nouvel allégement en remplacement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.
Monsieur le sénateur Raynal, vous considérez qu’il n’est pas utile de transformer le CICE en allégement de charges. N’y voyez pas malice de ma part, mais je vous rappelle que c’était un engagement pris en 2016 par François Hollande devant le monde des entreprises, deux ans après la mise en place de ce crédit d’impôt.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Grosse erreur !
M. François Bonhomme. On vous croit sur parole, monsieur le secrétaire d’État !
M. Philippe Dallier. Promesse non tenue…
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Nous pensons au contraire que c’est une mesure utile, permettant à la fois de simplifier le travail des entreprises et, en 2019, de les faire bénéficier d’une trésorerie importante, ce qui, nous l’espérons, favorisera l’investissement.
Par ailleurs, nous continuons à valoriser le travail, avec l’exonération de cotisations sociales des heures supplémentaires à compter de l’automne prochain et la suppression du forfait social à la fois sur l’intéressement et la participation, selon la taille des entreprises.
Ces mesures sont financées par des économies substantielles, comme le gel du point d’indice dans la fonction publique, qui représente une économie de 1,8 milliard d’euros, la revalorisation maîtrisée de différentes prestations sociales ou encore la limitation à 2,5 % de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, même si ce taux est l’un des plus élevés de ces dix dernières années.
Au total, au travers de ce projet de loi de finances, ce sont plus de 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat que nous rendons aux ménages, avec, il est vrai, 3 milliards d’euros de fiscalité supplémentaire, dont une partie est liée à la fiscalité écologique – j’y reviendrai dans un instant –, mais surtout 9 milliards d’euros d’allégements, dont 4 milliards d’euros au titre des cotisations salariales et 3,8 milliards d’euros au titre de la taxe d’habitation.
M. le président Retailleau s’est inquiété d’une supposée absence de résultats de cette politique. Nous considérons au contraire qu’elle porte ses fruits, avec un déficit public inférieur à 3 % du PIB dès 2017, pour la première fois depuis onze ans, qui le sera encore en 2018 et en 2019, même si nous prévoyons un ressaut tout à fait conjoncturel, du fait de la transformation du CICE en allégement de charges : le déficit sera de 1,9 % en 2019, auquel il faut ajouter 0,9 point de PIB correspondant à la conjonction, cette année-là, du versement du CICE au titre de 2018 et de l’allégement de charges.
La dépense publique est très nettement ralentie, avec une stabilisation totale en volume pour 2018. Plus largement, la confiance est retrouvée, notamment parmi les acteurs économiques, puisque le dernier baromètre Ernst & Young sur l’attractivité de la France indique que 77 % des investisseurs, étrangers notamment, déclarent avoir confiance en l’avenir de l’industrie dans notre pays.
Pour ce qui concerne le chômage, il a reculé de près de 1 point depuis 2016 et de 2,6 points en un an pour les plus jeunes. Ces premiers résultats sont-ils suffisants ? Non ; nous ne nous y arrêtons pas, et nous nous employons au contraire à approfondir et à accélérer notre action, avec les objectifs ambitieux à l’horizon 2022 en matière de comptes publics qui ont été arrêtés en loi de programmation : 5 points de moins de dette publique, 3 points de moins de dépense publique, 2 points de moins de déficit et 1 point de moins de prélèvements obligatoires.
L’État prend toute sa part à cette trajectoire, contrairement à ce que certains d’entre vous ont pu affirmer. Les dépenses de l’État pour la norme pilotable baisseront de 0,5 % en volume en 2019, soit une augmentation en valeur de 0,8 %. Il faut rapporter ces chiffres à la hausse de 2,3 % des dépenses locales, investissement et fonctionnement compris, ou à celle de 2,5 % des dépenses d’assurance maladie.
En matière de fiscalité écologique, je ne peux que rappeler que le caractère écologique de la hausse de la TICPE et de la trajectoire carbone, qui a été votée, on l’oublie parfois, au cours du mandat précédent, ne tient pas à son affectation. D’ailleurs, ce n’est pas à une assemblée parlementaire que j’apprendrai que le principe d’universalité budgétaire interdit la généralisation des affectations de ressources. Sinon, nous aurions non plus une loi de finances, mais un simple empilement de comptes d’affectation spéciale.
Le principe de la fiscalité comportementale que nous mettons en œuvre est de décourager la consommation de produits nocifs pour notre santé ou notre environnement, et non pas de financer des dépenses nouvelles. Telle est la philosophie qui est la nôtre en matière de fiscalité écologique.
Le Premier ministre a annoncé récemment de nouvelles mesures d’accompagnement, qui amplifient un effort déjà considérable consenti au travers du projet de loi de finances pour 2019. Je le souligne, le budget du ministère de la transition écologique et solidaire est en hausse de 3,1 %, soit de plus de 1 milliard d’euros. Il atteint 34,2 milliards d’euros, chiffre à rapprocher du produit de la fiscalité écologique et environnementale.
Cela nous permet de dégager des crédits en faveur des bonus électriques et de la prime à la conversion, qui sont augmentés de 57 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018. Le Gouvernement a tenu compte du succès massif de cette prime à la conversion, dont 70 % des bénéficiaires sont des ménages non imposables.
De même, le chèque énergie sera porté de 150 euros en moyenne à 200 euros par an, ce qui représente un engagement budgétaire de 740 millions d’euros, contre 560 millions d’euros en 2018.
Je m’arrêterai un instant sur un point particulier en matière de fiscalité écologique, pour couper court aux mauvais procès sur les annulations de crédits de fin d’année, notamment sur les ajustements réalisés en projet de loi de finances rectificative sur le compte d’affectation spéciale « Transition énergétique ». Nous avons tout simplement retenu les dernières estimations de charges des services publics de l’énergie établies par la Commission de régulation de l’énergie, la CRE. Le calcul a été effectué au mois de juillet dernier, à partir du prix de l’énergie notamment, et à la suite d’un conseil d’administration tenu le 18 juillet 2018. Les dépenses du compte d’affectation spéciale « Transition énergétique » sont des dépenses obligatoires, et non pas discrétionnaires, liées aux contrats de production d’énergie renouvelable. Ces dépenses se révélant moins élevées que prévu, l’État ne surcompensera pas les opérateurs en 2018, car ce serait inutile et illégitime.
Les crédits de la mission « Outre-mer » connaissent une hausse sans précédent de plus de 20 %, pour s’établir à 2,4 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2019. À la suite des assises des outre-mer, la ministre des outre-mer a en effet pris, monsieur Lurel, des décisions courageuses au bénéfice direct des territoires ultramarins : la suppression de la TVA-NPR, dont toutes les évaluations ont montré qu’il s’agissait d’un dispositif obsolète et inefficace, comme la révision de l’abattement de l’impôt sur le revenu pour les 4 % de ménages les mieux rémunérés. Nous aurons l’occasion de revenir sur chacune de ces dispositions en présence de la ministre. Je tiens à souligner que ces économies ont été entièrement réallouées au budget des outre-mer, avec des aides directes à l’investissement et au développement économique, pour plus de 170 millions d’euros.
Je remercie les différents intervenants qui ont bien voulu souligner que, d’une manière globale, les concours de l’État aux collectivités territoriales étaient stabilisés. Ils s’élevaient à 47,8 milliards d’euros en 2017, à 48,1 milliards d’euros en 2018 et ils sont fixés à 48,2 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2019.
Si, en dépit du maintien de la DGF à un même niveau, le montant perçu par de nombreuses communes a évolué, cela tient au fait que la répartition de la DGF est liée à un critère démographique, l’augmentation ou la diminution de la population pouvant entraîner une variation de la dotation forfaitaire, et à des mécanismes propres à la DGF : le premier relève de l’écrêtement de la dotation forfaitaire pour financer des emplois internes, notamment en matière d’augmentation de la péréquation verticale ; le second tient au fait que la DGF est aussi allouée aux communes, notamment pour ses parts péréquées – la DSU, la DSR et, souvent, la DSR « cible » –, selon leur potentiel financier agrégé. Le potentiel financier agrégé tient compte d’indicateurs socio-économiques propres à la commune, mais aussi à l’intercommunalité d’appartenance. La modification importante de la carte intercommunale intervenue au 1er janvier 2017 a, d’une manière automatique, entraîné une variation forte du potentiel financier agrégé des nombreuses communes dont l’intercommunalité d’appartenance a évolué. Cela explique que, alors que, en 2017, dernière année de baisse de dotations, la DGF avait été versée sur la base du potentiel financier agrégé de 2016 pour sa part péréquée, elle l’a été en 2018, toujours pour sa part péréquée, sur la base du potentiel financier agrégé du dernier exercice connu, soit 2017, après la modification de la carte intercommunale.
À critères constants, l’année 2019 s’annonce sous de meilleurs auspices, pour une raison très simple : la carte intercommunale a extrêmement peu bougé au 1er janvier 2018. Ainsi, le potentiel financier agrégé de référence de 2018 est logiquement très peu différent de celui de 2017, hors évolutions liées à l’amélioration ou à la dégradation de la situation économique et sociale de telle ou telle collectivité ; cela me semble être de nature à rassurer certains d’entre vous.
Vous avez évoqué, madame Lavarde, la question des variables d’ajustement. Le fait que, bien souvent, dans nos débats, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, nous nous concentrions davantage sur la question des variables d’ajustement et de leur répartition que sur celle des dotations forfaitaires et, plus important, des dotations versées est le symptôme que le système de financement des collectivités territoriales est arrivé à bout de souffle.
Dans la loi de finances initiale pour 2017, les variables d’ajustement s’élevaient à 923 millions d’euros. En 2018, elles s’établissaient à 323 millions d’euros, dont ont été retranchés, par décision de gestion, environ 120 millions d’euros au titre de la DCRTP des intercommunalités, que Gérald Darmanin et moi-même avons décidé de ne pas minorer après l’adoption du projet de loi de finances pour 2018. Nous sommes aujourd’hui à 144 millions d’euros. Ces trois chiffres témoignent de l’effort réalisé par le Gouvernement afin de minorer les variables d’ajustement à répartir et d’éviter ainsi que les collectivités éprouvent un sentiment d’injustice quand leurs dotations baissent du simple fait des variables d’ajustement. Le Président de la République a dit hier, devant les maires réunis à l’Élysée, qu’il était favorable à un débat sur les modalités de répartition, tout en soulignant combien il était difficile d’aboutir à une solution qui satisferait tout le monde, sachant que l’enveloppe est normée et que les marges de manœuvre budgétaires sont relativement contraintes. Il a aussi indiqué, monsieur Delcros, à propos de la fiscalité locale, qu’un projet de loi de finances rectificative serait soumis au Parlement au printemps 2019. Le Premier ministre a précisé voilà un instant devant le Congrès des maires que ce texte serait présenté à la mi-avril en conseil des ministres. Nous avons pour objectif de tenir l’engagement pris par le Président de la République l’année dernière à la même période : assurer aux collectivités territoriales une compensation intégrale, une ressource qui soit pérenne, juste et durable. Nous aurons à travailler, dans les prochaines semaines, sur de nouvelles modalités de répartition du fruit des impôts locaux. Nous devrons préciser ce qui doit être compensé parce que supprimé et ce qui ne sera pas compensé parce que non supprimé. Nous avons d’ores et déjà indiqué la volonté du Gouvernement de ne pas supprimer la taxe d’habitation pour les résidences secondaires ni les outils à la main des élus locaux, en matière notamment de lutte contre la vacance des logements ou une exploitation commerciale particulière des locaux d’habitation, comme on peut en constater en zones touristiques, notamment à Paris.
Cela nous permettra d’ouvrir un débat sur la manière dont les collectivités territoriales et l’État pourront continuer à percevoir un certain nombre de taxes ou d’impôts : je pense à la contribution pour le financement de l’audiovisuel public, à la taxe ou redevance d’enlèvement des ordures ménagères ou encore à la taxe spécifique et facultative mise en place au titre de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations.
Dans le cadre de ce projet de loi de finances rectificative spécifique, nous pourrons ainsi arrêter le modèle de financement des collectivités territoriales et la répartition des impôts locaux restants après 2021 et la phase d’extinction de la taxe d’habitation. Dans cette attente, nous continuerons à assurer une compensation aux communes, grâce à la technique du dégrèvement, qui est la plus protectrice : les maires dont les communes perçoivent la taxe d’habitation par douzièmes ont pu constater que ce système avait intégré le dynamisme des bases et un certain nombre de revalorisations.
J’en suis conscient, mes réponses aux différents orateurs restent parcellaires, mais l’examen des articles nous permettra d’approfondir ces questions.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. En application de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, le Gouvernement demande la réserve jusqu’à lundi 26 novembre, quatorze heures trente, des articles 4, 5 et 6 du projet de loi de finances. Je précise que l’article 5 bis n’est pas inclus dans cette demande de réserve.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur cette demande de réserve formulée par le Gouvernement ?
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. La commission des finances n’a aucune objection. Il s’agit d’attendre le retour de déplacement de Mme la ministre des outre-mer, et cette demande nous paraît donc parfaitement justifiée.
M. le président. La réserve est ordonnée.
Nous abordons la discussion de l’article liminaire.
projet de loi de finances pour 2019
Article liminaire
La prévision de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques pour 2019, l’exécution de l’année 2017 et la prévision d’exécution de l’année 2018 s’établissent comme suit :
(En points de produit intérieur brut) |
||||
Exécution 2017 |
Prévision d’exécution 2018 |
Prévision 2019 |
||
Solde structurel (1) |
-2,3 |
-2,2 |
-2,0 |
|
Solde conjoncturel (2) |
-0,3 |
-0,1 |
0,1 |
|
Mesures exceptionnelles (3) |
-0,1 |
-0,2 |
-0,9 |
|
Solde effectif (1 + 2 + 3) |
-2,7 |
-2,6 |
-2,8 * |
|
Solde effectif hors mesures exceptionnelles (1 + 2) |
-2,6 |
-2,4 |
-1,9 * |
|
* L’écart entre le solde effectif et la somme de ses composantes s’explique par l’arrondi au dixième des différentes valeurs |
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, sur l’article.
M. Éric Bocquet. L’article liminaire du projet de loi de finances pour 2019 appelle évidemment quelques observations. Il convient, à tout le moins, de relever les mouvements affectant notre système de prélèvements.
Sans même parler du sentiment profond des Françaises et des Français au regard de l’impôt, force est de constater que l’année 2019 est marquée par une double rupture.
La première rupture tient à la mise en œuvre de la retenue à la source de l’impôt sur le revenu. La France était l’un des derniers pays de la zone euro ne la pratiquant pas. Encore un effort, mes chers collègues, et, demain, le quotient familial, élément de la politique familiale de notre pays depuis plus de quatre-vingts ans, passera à la trappe ! Son coût présumé pour les finances publiques, qui s’élève à 12 milliards d’euros, sera capitalisé pour les plus aisés…
La mise en œuvre du prélèvement à la source nous inspire toujours les mêmes réserves. À nos yeux, il fait courir nombre de risques à la sécurité des finances publiques. De plus, il n’a jamais permis de lutter contre la fraude fiscale dans les pays où il existe depuis longtemps déjà.
Le journal Le Monde nous apprend aujourd’hui que seulement 54 % de nos concitoyens jugent le paiement de l’impôt comme un acte citoyen. À force de fragiliser l’impôt dans le discours politique, à force de ne pas combattre comme il le faudrait l’évitement et l’évasion fiscaux, on fragilise le consentement à l’impôt et, en définitive, c’est la République elle-même que l’on affaiblit.
La seconde rupture, c’est l’accélération de la fiscalisation croissante de la sécurité sociale via l’article 36 du présent texte, qui, en reprenant la lettre de l’article 19 du projet de loi de financement de la sécurité sociale et en le complétant, organise le transfert de 36 milliards d’euros de recettes de TVA des caisses de l’État vers l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale.
Ces sommes s’ajoutent aux 20 milliards à 30 milliards d’euros, selon les années, que l’État consacre à la compensation des allégements de cotisations sociales, aux droits sur les tabacs, alcools, bières, cidres, etc., ressources d’ores et déjà transférées pour boucher les trous de la sécurité sociale ainsi creusés. La fiscalisation de la sécurité sociale préfigure sans doute l’activation d’un nouveau système, visant à affecter les éventuels excédents de comptes sociaux au comblement du déficit budgétaire.
Pour conclure, je citerai Bruno Retailleau,…
M. François Bonhomme. Très bonne référence !
M. Éric Bocquet. … qui, il y a quelques jours, lors d’une interview accordée à Public Sénat, a déclaré, à propos de l’évolution du système de sécurité sociale : « On se dirige progressivement vers un modèle à l’anglo-saxonne sans le dire aux Français », en passant d’un financement par les cotisations à un financement par l’impôt.
Monsieur le secrétaire d’État, dans l’expression « modèle social », il y a le mot « modèle » ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° I-720 rectifié bis, présenté par Mme Taillé-Polian, M. Cabanel, Mme Préville, MM. Durain et Tissot, Mmes Conway-Mouret et G. Jourda, M. P. Joly, Mmes Monier et Jasmin, M. Tourenne, Mme Lubin, MM. Kerrouche, Jacquin, Antiste et Assouline et Mme Meunier, est ainsi libellé :
Alinéa 2, tableau
Rédiger ainsi ce tableau :
(En points de produit intérieur brut) |
|||
Exécution 2017 |
Prévision d’exécution 2018 |
Prévision 2019 |
|
Solde structurel (1) |
-1,3 |
-1,3 |
-1,3 |
Solde conjoncturel (2) |
-1,2 |
-1,0 |
-0,5 |
Mesure exceptionnelle (3) |
-0,1 |
-0,1 |
-0,1 |
Solde effectif (1+2+3) |
-2,6 |
-2,4 |
-1,9 |
La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Nous proposons, comme l’année dernière, de repenser le calcul du solde effectif pour les années 2017, 2018 et 2019.
Le déficit structurel, et donc l’effort structurel, reposent sur la notion de croissance potentielle, indicateur non observable consistant à apprécier ce que serait la croissance économique d’un pays si tous les facteurs de production étaient mobilisés à 100 %.
Des écueils ont été constatés dans le calibrage de cet indicateur. Aussi le FMI a-t-il modifié, en 2013, le mode de calcul de l’indicateur de croissance potentielle qu’il utilisait jusqu’alors. En 2016, plusieurs ministres de l’économie et des finances de l’Union européenne ont écrit à la Commission européenne pour demander une révision similaire du mode de calcul. Cette même année, plusieurs députés membres des commissions des finances des parlements nationaux ont alerté, par écrit, la Commission européenne. Le commissaire européen Pierre Moscovici leur a répondu en ces termes en juin 2016 : « La question que vous soulevez mérite d’être étudiée soigneusement. En réalité, lors de leur réunion informelle en avril à Amsterdam, les ministres ECOFIN ont déjà abordé ce sujet. Ils ont invité la Commission et les États membres à réexaminer la méthodologie de calcul de la croissance potentielle et de l’écart de production. […] Les ministres ont convenu que les mérites d’un horizon de temps plus long sur lequel se fonder pour effectuer ces prévisions devraient être explorés dans le cadre d’une discussion technique approfondie. »
Cet amendement tend à recalibrer le solde structurel de 2017 sur la base des constats que je viens de rappeler. Il s’agit de s’inspirer des corrections engagées par le FMI dès 2013 pour le calcul du solde structurel. Sur la base du solde structurel recalibré pour 2017, cet amendement vise à traduire dans les objectifs de solde structurel les effets de la politique gouvernementale. Cette dernière revient à appliquer aux finances publiques la méthode du rabot, laquelle ne conduit pas à une modification structurelle du fonctionnement de notre économie.
M. le président. L’amendement n° I-20, présenté par M. Cadic, Mme Joissains et M. Janssens, n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° I-720 rectifié bis ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il s’agit là d’un sujet complexe : on pourrait sans doute débattre du niveau de déficit structurel pendant des heures sans parvenir à s’accorder pour autant.
Le Gouvernement a fixé l’objectif de solde structurel à 2,3 %. Les auteurs de cet amendement, qui prétendent s’inspirer des méthodes du FMI, estiment qu’il s’établit en réalité à 1,3 %. Toutefois, je peine à comprendre leur calcul, car le FMI a retenu, quant à lui, une hypothèse de 2,5 %, soit un chiffre beaucoup plus proche de celui du Gouvernement… En retenant 1,3 %, on s’éloigne largement tant de l’hypothèse du Gouvernement que de celle du FMI.
Je ne vois pas ce que cet amendement peut apporter au débat. La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. J’ajouterai un argument à ceux qui ont été avancés par M. le rapporteur général.
La loi de programmation des finances publiques couvre une période relativement longue, et c’est dans ce cadre qu’ont été fixés les indicateurs et la méthode de calcul permettant d’établir le solde structurel. Selon nous, il n’est ni utile ni opportun de les modifier pendant la durée de la programmation ; c’est une question de lisibilité.
Le Gouvernement émet donc, lui aussi, un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° I-720 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Nous passons à la discussion des articles de la première partie.
PREMIÈRE PARTIE
CONDITIONS GÉNÉRALES DE L’ÉQUILIBRE FINANCIER
TITRE Ier
DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES
M. le président. Nous allons tout d’abord examiner, au sein du titre Ier de la première partie du projet de loi de finances pour 2019, l’article 37 relatif à l’évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne.
article 37 et participation de la france au budget de l’union européenne
M. Patrice Joly, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons maintenant le montant de la contribution de la France au budget européen pour 2019.
Ce débat s’inscrit dans le strict cadre financier de l’Union européenne pour les années 2014 à 2020, mais l’exercice n’en est pas moins important. Il répond, en effet, à une exigence de transparence et de démocratie.
Pour 2019, le montant du prélèvement sur recettes est estimé à 21,5 milliards d’euros, contre 19,9 milliards d’euros inscrits en loi de finances pour 2018. Si l’on y ajoute 1,7 milliard d’euros de droits de douane, la contribution totale de la France s’élève à 23,2 milliards d’euros.
Pour la seconde année consécutive, le montant du prélèvement européen est en hausse. Il atteint même un niveau inégalé depuis 2014. Les causes de cette hausse sont bien connues. Elles tiennent essentiellement à un effet de rattrapage de la consommation des crédits européens, en particulier de ceux dédiés à la politique de cohésion et au développement rural.
Mes chers collègues, réjouissons-nous de cette augmentation, qui devrait profiter à nos territoires. À ce propos, je vous rappelle qu’en 2017 la France était, en volume, le troisième contributeur net au budget européen, mais surtout le premier bénéficiaire net en volume. Ainsi, en 2017, 13,5 milliards d’euros du budget européen ont été dépensés en France, principalement au titre de la politique agricole commune, la PAC.
Toutefois, l’examen du montant du prélèvement inspire deux inquiétudes.
La première a trait à la volatilité du prélèvement sur recettes et à son impact sur les finances publiques. L’évaluation inscrite dans le projet de loi de finances est, en réalité, bien fragile. Elle dépend des prévisions de l’Union européenne, des éventuels budgets rectificatifs et des corrections apportées aux exercices antérieurs. L’année 2017 nous a montré à quel point cette évaluation était difficile à établir : l’écart entre la prévision et la réalisation a dépassé les 2,3 milliards d’euros. Il semble que nos partenaires européens se heurtent aux mêmes difficultés que nous pour évaluer le montant de leur contribution.
La seconde inquiétude est suscitée par les difficultés rencontrées, ces dernières années, pour le versement des primes de la PAC aux agriculteurs et par le retard du décaissement des crédits européens pour le développement rural. Ces problèmes sont particulièrement criants pour certains programmes, comme le programme LEADER : sur 700 millions d’euros prévus pour la période 2014-2020, 10 millions d’euros seulement ont été effectivement payés à ce jour.
Si un important volume de dépenses européennes profite à la France, ce sont les territoires les plus fragiles qui peinent le plus à en bénéficier. Ces retards contribuent à l’augmentation du « reste à liquider », qui devrait d’ailleurs atteindre le niveau record de 300 milliards d’euros en 2020, soit près de deux fois le budget annuel de l’Union européenne ; on mesure l’impact négatif de ces retards sur les dynamiques économiques des territoires qui doivent être accompagnés dans leur développement. Madame la ministre, cette situation est incompréhensible pour nos concitoyens. Il est urgent d’y remédier !
J’en viens au budget de l’Union européenne pour 2019.
Lundi dernier, les négociations entre le Conseil et le Parlement européens ont échoué, de façon inattendue, en raison d’un blocage quant à l’utilisation des crédits du programme de recherche « Horizon 2020 », qui représentent 400 millions d’euros, sur un total de 160 milliards d’euros : cela en dit long sur l’engagement européen de certains…
La Commission européenne doit désormais proposer un nouveau projet de budget. Au-delà du budget européen pour 2019, c’est évidemment le prochain cadre financier pluriannuel qui définira l’évolution de la contribution de la France.
Dans le contexte actuel de désordre mondial, marqué par une guerre commerciale qui s’aiguise, la multiplication des conflits, l’importance des flux migratoires et l’accompagnement des nécessaires transitions, notamment la transition écologique, l’Europe se doit d’être à la hauteur des enjeux. De plus, les peuples européens sont aujourd’hui désabusés, désorientés, parfois désespérés : en témoigne, en ce moment, le mouvement des « gilets jaunes ». Le sentiment d’abandon qu’éprouvent les peuples européens se traduit, sur le plan politique, par la montée des populismes, le Brexit et la conduite, par certains États, de stratégies individuelles ou de repli sur soi.
Les risques sont donc devant nous. Le cadre financier pluriannuel doit traduire des orientations politiques fortes. Or, mis à part les discours que le Président de la République adresse à nos partenaires européens, les traductions politiques sont inexistantes à l’échelle nationale. Cette situation ne facilite pas la compréhension, le partage et l’acceptation des politiques européennes par les peuples, notamment le nôtre.
À plusieurs reprises, j’ai appelé à faire preuve de plus d’ambition dans la définition du plafond de dépenses de l’Union européenne. J’espère que les élections européennes permettront d’avoir un véritable débat sur l’avenir de l’Europe. En attendant, je me réjouis que le Parlement européen se soit, de nouveau, exprimé en faveur d’un cadre financier pluriannuel s’élevant à 1,3 % du revenu brut de l’Union européenne. Madame la ministre, pouvez-vous nous confirmer que la France ne s’opposera pas à une légère augmentation de sa contribution à l’avenir ?
La commission des finances s’est également penchée sur la question des investissements, notamment portuaires, qui devront être réalisés en France à la suite du Brexit. Ces investissements seront-ils financés uniquement par la France ? Pouvez-vous nous apporter des précisions à cet égard ?
En conclusion, au-delà des observations formulées et sur la base d’une approche strictement budgétaire et comptable, je recommande, au nom de la commission des finances, l’adoption sans modification de l’article 37 du projet de loi de finances pour 2019. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, en remplacement de M. le président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin, en remplacement de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de saluer le travail accompli par M. Patrice Joly en tant que rapporteur spécial ; il vient de nous présenter avec clarté les enjeux de la contribution de la France au budget de l’Union européenne.
Comme l’an passé, cette contribution augmente, mais, paradoxalement, les causes de cette hausse sont vertueuses : l’utilisation des crédits européens s’accélère enfin, et les projets financés par la politique de cohésion et de développement rural prennent leur essor, cinq ans après le début de l’actuelle programmation !
Il y a quelques mois ont débuté les négociations relatives au prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027, dont la Commission a dévoilé le projet en mai dernier. Ces négociations sont difficiles et, à mon sens, il est illusoire d’espérer une adoption définitive avant les élections européennes de 2019.
Ce projet de cadre financier pluriannuel est le fruit d’obligations et de contraintes nouvelles, qui doivent conduire à des réformes longtemps retardées. Ces obligations et ces contraintes sont connues. Il s’agit tout d’abord de la chute des recettes que va entraîner le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne. Il s’agit ensuite des nouvelles priorités politiques qui ont émergé au cours des dernières années et auxquelles il n’a pas été possible d’apporter de réponse satisfaisante pendant l’actuelle programmation budgétaire : sécurité, frontières et migrations, jeunesse, recherche et innovation. Le projet pour 2021-2027 leur accorde une large place.
Malgré des recettes moindres et des priorités nouvelles, il n’est pas concevable que les politiques dites « traditionnelles », à savoir la PAC et la politique de cohésion, soient sacrifiées ou marginalisées. Là est la troisième obligation politique que devra respecter la prochaine programmation. La France s’est déjà battue, et doit encore se battre, pour défendre la ligne rouge que représente, pour elle comme pour beaucoup d’États partenaires, la réduction des crédits de la PAC.
Devant ces contraintes, plusieurs réformes sont enfin à portée de main.
En premier lieu, les nouvelles ressources propres devront faire du budget de l’Union un enjeu de « valeur ajoutée européenne » plus politique que celui du seul « juste retour ».
En deuxième lieu, conduire le chantier de la simplification est essentiel, car, au-delà de sa dimension administrative, il y va de la proximité de l’Union européenne avec ses citoyens. Les réformes préconisées au titre de la politique de cohésion comme du programme d’investissement InvestEU, qui prendra la suite du plan Juncker, vont dans le bon sens.
En troisième lieu, le projet de la Commission pour 2021-2027 prévoit la suppression sur cinq ans des rabais et ristournes divers accumulés au fil du temps. À notre sens, il faut procéder en une seule fois, le plus tôt étant le mieux.
Je conclurai en évoquant deux enjeux.
Premièrement, dans le cadre de la négociation, le Parlement européen vient de réaffirmer son objectif d’un budget qui représenterait 1,3 % du PIB, contre 1,1 % actuellement. À cette unité du Parlement européen répond cependant une division cacophonique des États membres.
Deuxièmement, si, comme on peut le craindre, le prochain cadre financier pluriannuel n’est pas adopté avant les élections de 2019, s’ajoutera au risque politique un risque budgétaire : celui de voir démarrer les programmes avec autant de retard qu’au début de l’actuelle programmation ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, en préambule, je voudrais rappeler combien nous regrettons la moindre place concédée, dans cette enceinte, aux débats sur la politique européenne, lesquels se dérouleront de plus après le Conseil européen des 14 et 15 décembre prochain. Le fait de réduire à deux minutes les temps d’intervention en séance révèle l’intérêt porté à la question européenne dans cet hémicycle… (Mme Maryvonne Blondin, MM. Simon Sutour, Julien Bargeton et André Gattolin applaudissent.)
M. Simon Sutour. C’est malheureusement vrai !
M. Pierre Ouzoulias. À moins de 185 jours des élections du 26 mai 2019, je prends donc la liberté de mettre à profit ces cinq minutes de temps de parole pour vous faire part de mon grand trouble : il me faut donner un avis technique et comptable sur le prélèvement opéré sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne, alors que le Royaume-Uni s’apprête à quitter celle-ci et que le prochain scrutin risque d’installer au Parlement européen une majorité de députés hostiles aux valeurs humanistes qui, malgré le rejet croissant de l’Europe par les peuples, auraient pu nous mobiliser encore pour la défendre.
Il nous est donc demandé de nous prononcer sur la contribution française à un budget pour lequel les conséquences de la sortie du Royaume-Uni ne sont pas connues, et dont nous ne savons pas quelle utilisation politique en fera la future majorité du Parlement européen. À ces incertitudes majeures s’ajoute le désaccord entre le Conseil et le Parlement européens, qui oblige la Commission à tenter de trouver un compromis entre deux propositions de budget dont les volumes divergent à hauteur d’environ 2 milliards d’euros, soit un peu plus de 1 % du montant global. Je vous rappelle que ce dernier ne représente qu’un peu plus de 1 % du PIB communautaire.
L’élaboration de ce dernier budget de la mandature du Parlement européen aurait pu être l’occasion d’une discussion sur le fond et d’une réflexion sur le projet européen. Or une seule priorité fait consensus : la protection des frontières extérieures et la gestion du phénomène migratoire. Pour le reste, l’action de la Commission européenne semble essentiellement concentrée sur le rejet du budget italien, dont la seule conséquence sera de renforcer le camp de ses opposants.
Ces petites querelles semblent indifférentes, au regard des crises majeures que l’Europe va affronter. Elles ne sont pas dignes des espoirs placés dans la construction européenne par les générations sorties du chaos de la dernière guerre. Elles m’évoquent une œuvre du poète grec Constantin Cavafy, dont je vous lis deux extraits :
« Qu’attendons-nous, rassemblés sur l’agora ?
« On dit que les Barbares seront là aujourd’hui.
« Pourquoi cette léthargie, au Sénat ?
« Pourquoi les sénateurs restent-ils sans légiférer ?
« Parce que les Barbares seront là aujourd’hui.
« À quoi bon faire des lois à présent ?
« Ce sont les Barbares qui bientôt les feront.
[…]
« Pourquoi ce trouble, cette subite inquiétude ? – Comme les visages sont graves !
« Pourquoi places et rues si vite désertées ?
« Pourquoi chacun repart-il chez lui le visage soucieux ?
« Parce que la nuit est tombée et que les Barbares ne sont pas venus
« Et certains qui arrivent des frontières
« Disent qu’il n’y a plus de Barbares.
« Mais alors, qu’allons-nous devenir sans les Barbares ?
« Ces gens étaient en somme une solution. »
Comme sur l’agora de Constantin Cavafy, il semble que l’évocation des barbares, ceux de l’intérieur pour certains, ceux de l’extérieur pour d’autres, soit devenue l’unique préoccupation d’élites incapables de proposer aux citoyennes et aux citoyens un projet transcendant qui puisse nous éviter à la fois les replis nationalistes et la gestion libérale et technocratique honnie d’une part toujours plus importante des peuples européens.
Écoutez la jeunesse. Son désir d’Europe est ambitieux, généreux et prometteur. Elle s’est forgée progressivement, dans la tourmente des renoncements successifs, une conscience européenne nouvelle qui demande, pour les citoyens de cette Union future, plus de droits sociaux, plus de solidarité entre les territoires, une défense sans compromis des libertés individuelles, une association étendue et renouvelée au fonctionnement démocratique des institutions européennes et, au-dessus de tout, une action d’envergure en faveur de l’environnement et du climat : l’Union européenne est le seul espace et la seule institution dans lequel et par laquelle il serait possible d’agir efficacement pour sauver notre humanité en danger.
Le projet de budget européen ne traduit aucune de ces ambitions. Pourquoi accepter ainsi la catastrophe annoncée ? (Applaudissements sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – MM. André Gattolin et Jean-Pierre Moga applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur spécial, chers collègues, parce qu’il traduit pleinement la participation et l’attachement de la France à l’Union européenne, l’article 37 doit être considéré avec bienveillance et intérêt. Cependant, notre pays étant l’un des principaux contributeurs aux recettes perçues au titre du prélèvement européen, nous devons être attentifs aux grandes orientations budgétaires proposées par la Commission – j’y reviendrai.
Avec un peu plus de 21,5 milliards d’euros, la France est aujourd’hui le troisième contributeur net au budget de l’Union européenne. Rapporté au budget national, ce montant représente 5,5 % de nos dépenses publiques nettes. Le prélèvement européen constitue ainsi le quatrième budget de l’État.
Pour les détracteurs de l’Europe, cela fait beaucoup. Aussi nous semble-t-il important et utile de rappeler que la France est, en volume, le premier bénéficiaire des dépenses de l’Union européenne et que, au-delà de l’approche comptable, la solidarité, en particulier au sein de la zone euro, apporte des bénéfices qui, sans être toujours quantifiables, sont bien réels.
Il ne faut donc pas craindre une augmentation tendancielle du prélèvement européen, sous réserve du respect de certaines conditions que la France a mises sur la table et que nous faisons nôtres, madame la ministre : la modernisation des politiques, afin de les rendre plus efficaces et plus justes, la création de nouvelles ressources propres – on le sait, les ressources traditionnelles s’érodent –, la fixation de conditionnalités ou encore la suppression des rabais, lesquels ne concernent pas seulement le Royaume-Uni.
Le contexte est chargé et singulier, avec le retrait du Royaume-Uni, deuxième contributeur au budget de l’Union européenne. Les négociations du prochain cadre financier pluriannuel, ainsi que les élections au Parlement européen prévues en mai 2019 et l’installation d’une nouvelle Commission compliquent l’exercice. Néanmoins, nous connaissons les grandes orientations politiques qui seront mises en œuvre dans le cadre d’un budget européen doté, pour 2019, de 166 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 149 milliards d’euros en crédits de paiement.
Parmi ces recettes, la Commission a fléché trois nouvelles ressources propres : un taux d’appel de 3 % sur une nouvelle assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, une part de 20 % des recettes tirées de la mise aux enchères des droits du système européen d’échange de quotas d’émission et une contribution nationale calculée sur la base de la quantité de déchets d’emballage en plastique non recyclés.
À mes yeux, nous devons aller plus loin dans cette direction. En particulier, nous devons continuer à plaider pour la création d’une taxe sur les GAFA. Nous devons nous accorder sur le taux d’imposition le plus pertinent, 3 % ou 5 %, à appliquer aux revenus d’activité des plateformes numériques.
Sur ce point, les travaux avancent, et je m’en réjouis, même si la chancelière Angela Merkel, à la tête d’une coalition aujourd’hui fragile, ne s’engage que très timidement. Il s’agit pourtant là d’un dossier fondamental : au-delà des rentrées que pourrait représenter la taxation des GAFA, il y va de l’équité fiscale. Plus précisément, l’enjeu est de mettre fin à une injustice criante tout en consolidant les ressources propres de l’Europe.
Enfin, s’agissant des grandes politiques qui seront financées dans les prochaines années, j’évoquerai la PAC.
Comme nous le savons, il s’agit de concilier les politiques traditionnelles avec les besoins croissants liés aux nouvelles priorités que sont notamment la gestion des migrations, la sécurité et la défense. L’équilibre est difficile à trouver et je m’inquiète de la possible baisse des crédits alloués à la PAC : nous y sommes fermement opposés ! Il est indispensable de promouvoir pour l’Europe une grande ambition dans le domaine agricole et alimentaire, secteur stratégique au regard non seulement de la cohésion de nos territoires, mais aussi des enjeux démographiques mondiaux et de sécurité alimentaire.
Mes chers collègues, comme l’a affirmé le Président de la République dans un discours prononcé dimanche dernier devant la chambre des députés allemande, « l’Europe doit être plus forte et plus souveraine ». Nous ne pouvons que le souhaiter, en espérant que nous serons en mesure de répondre aux nouveaux défis sans rien sacrifier des outils qui garantissent la solidarité européenne, laquelle est le moyen de lutter contre la montée des populismes en Europe.
Le groupe du RDSE, qui a l’Europe dans son ADN, soutient pleinement votre action, madame la ministre, et votera bien sûr en faveur de ce prélèvement. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. –MM. André Gattolin, Marc Laménie et Simon Sutour applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, mon propos rejoindra assez largement ceux des deux orateurs précédents.
Qu’il est stimulant de pouvoir aborder les questions européennes, même en six minutes, même par le biais de la discussion du prélèvement au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne, quand le débat européen, central pour notre vie politique, est maintenant relégué à de rares séances de questions-réponses techniques ! Oui, chers collègues, le Sénat gagnerait à se saisir de la politique européenne. (MM. André Gattolin, Simon Sutour et Pierre Ouzoulias applaudissent.) Je vous remercie de confirmer ainsi notre convergence !
La contribution de la France au budget de l’Union européenne s’établit à 21,515 milliards d’euros pour 2019. Elle doit être approuvée. Que le quinquennat précédent semble loin, quand, à la fin de chaque année, l’exécution partielle des engagements budgétaires européens offrait une recette importante sans fatigue ! Il en allait de même pour les charges d’intérêts de la dette ou la réduction des dotations aux collectivités. Toutes ces économies réalisées sans grand effort et sans mérite ont été brûlées dans l’augmentation des dépenses publiques… Avec une meilleure exécution en fin de mandat de la Commission, notre budget pour 2019 devra, à l’inverse, absorber une augmentation de la contribution au budget européen de plus de 8 %.
Nous ne pouvons pas tout demander à l’Europe sans lui en donner les moyens. La première pédagogie à mettre en œuvre envers nos concitoyens est d’expliquer que le budget de l’Union européenne s’élèvera, en 2019, à 165,5 milliards d’euros, quand celui de notre pays sera de 390,8 milliards d’euros, auxquels s’ajouteront plus de 500 milliards d’euros pour le budget social : c’est clairement l’inverse de ce dont notre opinion publique est probablement convaincue.
Gardons-nous de tenir deux discours, l’un à Paris, l’autre à Bruxelles, s’agissant du futur cadre financier pluriannuel 2021-2027. Avec un budget européen représentant 1,11 % du revenu national brut, il ne sera pas possible d’absorber la perte des 14 milliards d’euros de la contribution britannique ou les 20 milliards à 30 milliards d’euros de dépenses liées aux politiques nouvelles que l’Europe souhaite mener en matière, par exemple, de migrations, de défense ou de lutte contre le terrorisme : cela supposerait de porter la participation des pays membres à 1,2 % du RNB. La France en a-t-elle les moyens et la volonté ? Si tel est le cas, au prix de quelles économies parallèles se fera cette augmentation ? Nous touchons là au sujet d’actualité qui paralyse notre pays, au moins partiellement, et qui préoccupe à juste titre chacune et chacun d’entre nous. Cette question de l’augmentation de notre niveau de participation, et en particulier de la capacité budgétaire de notre pays à y faire face, conditionne le financement des fonds de cohésion et de la politique agricole commune.
L’Europe dépend de la contribution des États plus encore que nos collectivités ne dépendent des dotations de l’État. L’autonomie fiscale revendiquée par les collectivités locales françaises est aussi un sujet en ce qui concerne l’Union européenne, avec en arrière-plan la question des ressources propres, telles que la taxe sur les déchets d’emballages en plastique non recyclés, ainsi que, pour des montants sans doute plus importants, celle des revenus très sous-fiscalisés de l’économie numérique.
Les solutions à nos principaux problèmes sont largement européennes. La maîtrise des migrations, par exemple, ne se joue pas à l’échelle d’un seul État, mais met en œuvre plusieurs modes d’action convergents à celle du continent européen.
Les États-Unis, la Chine, la Russie, parmi d’autres pays, ont engagé un nouveau cycle historique et, à ce titre, probablement durable, dans lequel le rapport de force est devenu une forme de norme sociale mondiale. Le défi est donc lancé non pas à la France, à la Belgique, à la Suède ou à n’importe quel autre pays du continent, mais bien à tous les Européens, qui ont constitué au fil du temps la première économie et le premier marché mondial et qui, instruits par les souffrances de l’histoire, connaissent l’importance d’une régulation multilatérale ou les risques engendrés par des inégalités économiques toujours plus grandes.
C’est dire, mes chers collègues, que le bon sens, la raison, l’expérience veulent que nous affirmions une véritable ambition européenne, et pas simplement une « ambition-discours », pour reprendre une formule que j’ai entendue lors de la discussion générale sur le projet de loi de finances. S’il vous restait un doute à cet égard, les fractures britanniques et l’angoisse qui se fait jour devant le saut dans le vide devraient achever de vous convaincre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – MM. André Gattolin et Simon Sutour applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (M. Emmanuel Capus applaudit.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le début de nos échanges sur le projet de loi de finances pour 2019 nous amène, tout naturellement, à examiner l’article 37 relatif à la participation de la France au budget de l’Union européenne.
C’est un sujet de première importance, sachant que la France est le deuxième contributeur net européen, après l’Allemagne, avec 20,6 milliards d’euros versés en 2018. Notre participation au budget européen représente ainsi environ 15 % de l’ensemble des contributions nationales.
En retour, la France a bénéficié de 14,5 milliards d’euros de dépenses, soit 11 % des dotations accordées aux États membres. Notre pays est, par exemple – il faut le souligner –, le premier bénéficiaire des dépenses de la politique agricole commune, avec une dotation européenne de près de 9 milliards d’euros. Tout en modernisant la PAC, il est donc d’un intérêt majeur, pour nos agriculteurs et pour notre pays tout entier, que son montant soit préservé dans le futur cadre financier pluriannuel.
Je voudrais ici rappeler à ceux qui fustigent la prétendue « gabegie de Bruxelles » que l’Union européenne redistribue la quasi-intégralité de ses moyens aux États membres : 6 % seulement des dépenses européennes sont consacrées au fonctionnement administratif des institutions.
Néanmoins, certaines critiques sont justifiées. En matière de budget européen, le statu quo n’est plus possible. Nous sentons bien que l’action quotidienne de l’Union européenne, tellement indispensable pour de nombreux projets locaux, n’est pas mesurée à sa juste valeur par les Français. Il faut que les dépenses de l’Union européenne soient plus visibles, plus proches des citoyens, davantage tournées vers leurs préoccupations concrètes.
Il est plus que temps de donner à l’Union européenne les moyens d’agir. Le rapport Monti de l’année dernière a tiré la sonnette d’alarme quant à l’urgence de réformer le budget européen. Le Parlement européen a pris récemment des positions très fortes sur le futur cadre financier pluriannuel, en réclamant un budget s’établissant à 1,3 % du RNB des États membres, ce qui serait du jamais-vu.
La nécessité d’une refonte du budget européen vaut pour les recettes comme pour les dépenses.
Concernant les recettes, il faut que l’Union européenne se dote enfin de véritables ressources propres. Dans l’idéal, le prélèvement sur recettes que nous examinons aujourd’hui ne devrait plus exister, ou en tout cas ne constituer qu’une part marginale du financement de l’Union européenne.
Plusieurs hypothèses sont sur la table, mais je ne retiendrai que les plus réalistes à court terme : attribuer à l’Union européenne une part de l’assiette harmonisée de l’impôt sur les sociétés, les recettes tirées du système européen d’échanges de quotas d’émission, une taxe sur les bénéfices des GAFA… Après le Brexit, il faudra également mettre fin à la logique des rabais sur les rabais, qui grève le budget de l’Union.
Concernant les dépenses, le budget de l’Union européenne doit mieux prendre en compte les priorités des Européens et être tourné vers l’avenir. Une des priorités doit être d’assurer la protection des Européens, en consacrant plus de moyens à la gestion des frontières de l’Union et à la défense européenne.
Le budget européen doit également contribuer à faire de notre économie une économie de la connaissance performante et compétitive. À cette fin, nous soutenons une hausse des crédits destinés à l’innovation, à la recherche et au marché unique du numérique.
Soyons réalistes : face aux géants américains ou chinois, seule une stratégie européenne commune en matière d’innovation nous permettra de rester compétitifs au plan mondial.
Madame la ministre, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires sont convaincus que, face aux nouveaux défis de ce siècle, une action collective au plan européen est la seule solution viable. Vous avez mené des consultations auprès de nos concitoyens, qui disent peu ou prou la même chose : c’est ensemble que nous serons plus en sécurité, plus prospères et plus forts. Dans cette perspective, la France et ses partenaires doivent enfin donner à l’Union européenne les moyens de ses ambitions, qui sont immenses, à la mesure des attentes de nos concitoyens. (MM. Marc Laménie et Simon Sutour applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, heu-reux ! Heureux je suis, comme Fernand Raynaud dans son sketch éponyme, l’un des plus célèbres de sa grande carrière ! (Sourires.)
Je suis heureux de pouvoir m’exprimer aujourd’hui, à la tribune du Sénat, sur l’article 37 de ce PLF pour 2019 concernant le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne.
Ceux qui m’écoutent doivent penser que je suis devenu fou… fou de me réjouir d’avoir à m’exprimer sur un article aussi aride qui, à défaut de tenir dans la main, comme le schmilblick de Coluche, tient en revanche aisément dans un tweet, puisqu’il ne comporte que 187 signes, espaces compris ; fou de me réjouir d’un prélèvement de 21,5 milliards d’euros, en hausse de 1,6 milliard d’euros par rapport à l’an passé.
Je fais en effet partie de celles et ceux qui trouvent que le budget européen – à peine plus de 1 % du revenu national brut des États membres de l’Union – est bien trop faible au regard des défis que nous avons à assumer en commun, dans un monde toujours davantage soumis à des forces centrifuges.
Mais la raison principale de ce bonheur momentané est ailleurs. Je suis simplement heureux de pouvoir m’exprimer et porter la parole de mon groupe pendant près de six minutes sur un sujet européen. Il faut bien le dire, les occasions de ce genre sont devenues de plus en plus rares dans cette enceinte depuis que la majorité du Sénat a choisi de supprimer purement et simplement le temps d’expression politique des groupes à l’occasion des débats en séance publique qui se tenaient autrefois en amont de chaque Conseil européen. (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. Simon Sutour. Il s’agit d’une suppression à titre expérimental !
M. André Gattolin. Ces débats offraient pourtant une formidable occasion à la représentation nationale, dans toute sa diversité, d’exprimer publiquement ses attentes et ses exigences envers le Gouvernement quant aux discussions européennes à venir.
Hélas, faute de temps disponible – paraît-il –, cela n’est déjà plus qu’un glorieux souvenir. Désormais, nous devrons nous contenter d’une simple question de deux minutes par intervenant – espaces compris ! –, et ce en aval des réunions du Conseil européen. Ce sera, n’en doutons pas, absolument passionnant pour ceux qui n’en auront pas encore lu les conclusions dans la presse…
Dans les circonstances présentes, ce souci de parcimonie du temps de parole de nos très hautes autorités sénatoriales tombe particulièrement mal ! Ce dimanche 25 novembre se tiendra en effet un Conseil européen extraordinaire consacré à la question, cruciale, de l’accord trouvé sur les conditions de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.
C’est ballot, mais notre belle et haute assemblée n’aura pas l’heur de s’exprimer publiquement, dans la diversité de sa composition politique, sur ce sujet pourtant capital.
Ce qui est encore plus ballot, c’est que nous sommes à six mois des prochaines élections européennes, dont tout le monde s’accorde à dire qu’elles seront déterminantes pour le devenir de l’Union européenne…
Vous me connaissez, comme je suis bienveillant par nature et bienséant par devoir, je n’ose voir dans cette décision à contretemps une quelconque manœuvre politique d’une majorité sénatoriale peut-être encore un peu agacée de n’avoir pu devenir majorité politique lors des élections de l’an dernier.
Il y aura tout de même bien une expression publique du Sénat à rebours sur ces questions européennes, puisque les séries de questions posées ex post au Gouvernement seront introduites – en toute impartialité, cela va de soi – par des interventions de huit minutes chacune de deux ou trois présidents de commission, cela devant un hémicycle sans doute plein à craquer un lundi en début d’après-midi…
Tout cela sera très économe en temps et, n’en doutons pas, parfaitement proportionné, au regard des équilibres politiques au sein de notre assemblée. Le débat démocratique et pluraliste sur l’Europe dans cette maison en sortira très certainement grandi !
Le Sénat, qui a toujours veillé à se différencier – en bien – de l’Assemblée nationale et qui s’est longtemps enorgueilli d’organiser systématiquement de tels débats préalables à la tenue de chaque Conseil européen, vient ainsi de procéder, au choix, à un rehaussement par le bas ou à un arasement par le haut, comme disait Raymond Devos.
Je ne cherche bien évidemment pas, madame la ministre, à vous faire commenter cette décision souveraine du Sénat, mais seulement à savoir si ces débats en séance publique en amont de chaque Conseil européen présentaient ou non pour vous une utilité dans la perspective de la construction et de la défense des positions de la France.
Enfin – je le dis non par pure bienséance, mais bien en raison de la gêne réelle que j’éprouve à l’endroit de mes ex-collègues de la commission des finances –, je vous prie de bien vouloir m’excuser de m’être livré à ce détournement un peu cavalier du débat budgétaire ! Je tiens aussi à vous dire, sans surprise et sans suspense, que le groupe La République En Marche votera en faveur de l’adoption de l’article 37 du projet de loi de finances pour 2019.
M. Julien Bargeton. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au nom du groupe socialiste et républicain, j’interviendrai dans le même sens que mes collègues au sujet de la suppression des interventions des groupes politiques lors des débats préalables aux Conseils européens. Je voudrais cependant rassurer M. Gattolin : cette suppression n’est qu’expérimentale, et la conférence des présidents réexaminera cette question le 19 décembre prochain. Notre collègue Jean Bizet émettra alors des propositions de nature à nous satisfaire : nous l’appuyons dans son action, dont nous savons qu’elle est difficile. Reste qu’il n’est pas pensable qu’un débat préalable à un Conseil européen ne permette pas l’expression des différents groupes politiques et se borne à une série de questions-réponses. J’ajoute que le prochain débat de ce type aura lieu le 17 décembre, soit après la tenue du Conseil européen ! C’est la première fois que je vois cela en vingt ans de présence dans cette assemblée. Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir rappeler à la présidence qu’il existe un article 88 de la Constitution, qu’il convient d’appliquer ! (MM. André Gattolin et Pierre Ouzoulias applaudissent.)
Nous discutons aujourd’hui du prélèvement sur recettes au titre de la participation de la France au budget européen pour 2019, alors que le débat sur le cadre financier pluriannuel pour l’après-2020 est d’ores et déjà engagé. Je ne reviendrai pas sur les éléments budgétaires de ce prélèvement ; ils sont largement détaillés dans l’excellent rapport de notre collègue Patrice Joly.
Je constate avec satisfaction la montée en charge de nombreuses politiques sectorielles, notamment celles en direction de la jeunesse, avec Erasmus +, mais aussi l’augmentation de l’investissement dans l’innovation ou dans la protection des citoyens européens, avec un accent particulier mis sur la protection de nos frontières extérieures, la sécurité et l’accueil des demandeurs d’asile.
Avec l’exécution du cycle budgétaire actuel, l’Union européenne a montré, pour la première fois depuis sa création, qu’elle pouvait répondre financièrement et politiquement de manière dynamique à un certain nombre de défis.
Madame la ministre, nous sommes à quelques jours d’une réunion cruciale du Conseil européen, puisque celui-ci devra se prononcer sur l’accord relatif à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le Conseil européen va-t-il l’approuver, et dans l’affirmative le Parlement britannique en fera-t-il de même ? Comme beaucoup d’entre nous, j’ai beaucoup d’inquiétudes à ce sujet, car les conséquences d’un rejet seraient terribles tant pour les Britanniques que pour les Européens.
J’observe que ce Conseil européen d’une importance majeure pour le cadre budgétaire comme pour l’avenir de l’Union européenne n’aura pas fait l’objet d’un débat au Sénat ! Nous en sommes réduits à nous appuyer sur l’examen de l’article 37 du PLF pour aborder cette question, d’une manière qui ne sera pas exhaustive.
Le Parlement européen juge, à juste titre, que les grandes orientations du projet de cadre financier présenté par la Commission européenne sont, de manière générale, très en retrait par rapport aux enjeux actuels. Si des efforts vont être consentis, ce dont je me félicite, dans les domaines de la défense et de la sécurité intérieure, d’autres politiques, notamment en faveur de la jeunesse, comme Erasmus + ou l’initiative pour l’emploi des jeunes, ou dans les domaines de la recherche ou de la lutte contre le changement climatique, devraient faire l’objet de beaucoup plus de soutien. Le fait que certains pays demandent une diminution du budget européen complique bien entendu l’équation. Les eurodéputés exigent que le futur cadre financier pluriannuel s’élève à 1,3 % du revenu national brut, quand la Commission propose de s’en tenir à 1,13 %. Leur point de vue est à l’évidence largement partagé sur les différentes travées de notre hémicycle.
Madame la ministre, je le dis pour vous aider : nous souhaiterions que le Gouvernement français soit plus déterminé et agisse plus fermement pour la construction d’un budget européen fort. En effet, les deux principaux postes budgétaires – la politique agricole commune et les fonds structurels – sont en danger et l’on annonce leur diminution. Celle-ci serait franche pour la PAC, alors même que le budget global est en hausse. Quant aux crédits alloués aux politiques de cohésion, leur diminution découlerait de nouveaux mécanismes de calcul. Cela n’est pas acceptable : on ne peut pas réduire le budget de la PAC et la renationaliser partiellement au moment où les enjeux de biodiversité, de santé humaine et de reconversion prennent une telle importance. La France a besoin de la PAC, qui doit être réorientée pour accompagner les petites et moyennes exploitations agricoles, surtout en zones de montagne et de moyenne montagne et, bien entendu, sur le pourtour méditerranéen.
De même, un affaiblissement des fonds structurels serait un bien mauvais calcul. Sans ceux-ci, en effet, de nombreuses régions européennes verraient leur développement stoppé net. Un ciblage des territoires les plus fragiles permettrait, de ce point de vue, d’atteindre une plus grande efficacité, le produit intérieur brut d’un pays ou d’une grande région ne signifiant rien : en Occitanie, ma région, on sait que les Cévennes n’ont pas les mêmes besoins que le bassin toulousain, par exemple.
Je comprends bien les contraintes nationales comme européennes, et je sais qu’il n’est jamais aisé de construire un budget. L’intégration européenne ne sera aboutie que lorsque l’Union européenne disposera de ressources propres importantes : c’est le chantier majeur de ces prochaines années.
La France a un rôle moteur à jouer de ce point de vue, madame la ministre, et nous soutenons l’action du Gouvernement dans ce domaine, en souhaitant qu’il s’implique plus fortement.
L’heure est venue d’agir. Nous connaissons toutes et tous les forces et les faiblesses de l’Union européenne ; il faut désormais nous mobiliser pour en faire un espace inclusif de paix, de croissance, de prospérité, d’égalité et de bien-être. Le groupe socialiste et républicain, très attaché à l’Union européenne, votera bien évidemment l’article 37. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le travail réalisé par le rapporteur spécial, M. Patrice Joly, en lien avec les membres des commissions des finances et des affaires européennes.
Le prélèvement sur recettes de 21,52 milliards d’euros au profit de l’Union européenne constitue une dépense importante. C’est une dépense obligatoire de solidarité entre États membres, qui représente le cinquième poste de notre budget, après l’enseignement scolaire, la défense, les engagements financiers de l’État, l’enseignement supérieur et la recherche.
Ce prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne progresse pour la deuxième année consécutive et atteint un niveau inégalé. Il repose sur deux ressources, outre 1,7 milliard d’euros de droits de douane : la TVA, pour 4,5 milliards d’euros, et la ressource fondée sur le revenu national brut, à hauteur de 16,96 milliards d’euros.
Le projet de budget européen pour 2019 présenté par la Commission européenne en mai dernier s’établit à 149 milliards d’euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 2,7 % par rapport à 2018, avec deux postes de dépenses importants : croissance intelligente et inclusive, d’une part, croissance durable et ressources naturelles, d’autre part. Viennent ensuite d’autres rubriques, telles que la sécurité et la citoyenneté, l’Europe dans le monde et l’administration, notamment.
Fixer ce prélèvement constitue un exercice difficile, reconnaissons-le. La politique agricole commune et la politique de cohésion représentent toujours, respectivement, 38 % et 31 % des crédits de paiement.
Le rapport que la Cour des comptes a présenté à notre commission des finances le 10 octobre dernier, intitulé « La chaîne de paiement des aides agricoles (2014-2017) : une gestion défaillante, une réforme à mener », établit de manière très pédagogique un bilan des importantes difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la politique agricole commune et des incidences de celles-ci sur le paiement à 350 000 agriculteurs de France des aides du Fonds européen agricole de garantie, le FEAGA, et du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER. Il paraît donc indispensable de simplifier le processus et de travailler à cette fin en concertation avec l’ensemble des – nombreux – partenaires : États, Union européenne, directions, Agence de services et de paiement.
Compte tenu du fait qu’il s’agit d’une dépense indispensable et obligatoire, le groupe Les Républicains suivra l’avis du rapporteur spécial et votera l’article 37 du projet de loi de finances pour 2019. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, l’examen de l’article 37 du projet de loi de finances est important.
La participation de la France au budget de l’Union européenne s’élèvera l’année prochaine à 21,5 milliards d’euros. La France contribuera ainsi à hauteur d’environ 15 % au budget de l’Union européenne.
Il faut nous rappeler que le budget européen n’est pas qu’un exercice comptable ; il est porteur d’une vision pour l’avenir de l’Europe.
Trois défis majeurs nous attendent en 2019, pour une Europe unie, forte, solidaire et plus efficace : la politique agricole commune, le Brexit et les migrations.
La politique agricole commune est particulièrement visée par une réduction de son financement dans le cadre de la programmation financière pour 2021-2027.
Je me dois de rappeler que la PAC est le budget fondateur de l’Union européenne. Cette ressource est essentielle, vitale pour nos agriculteurs, qui ont aujourd’hui de plus en plus de mal à faire face à l’ensemble des charges qui pèsent sur eux. La France doit se battre pour le budget de la PAC ; il y va de la survie de nos agriculteurs ! Au sein de l’Europe, la France doit garder son leadership agricole, car c’est un facteur d’attractivité majeur pour notre pays.
En ce qui concerne le Brexit, les vingt-sept pays européens ont conclu avec Londres, le 19 novembre dernier, un accord de séparation négociée. Toutefois, d’autres étapes majeures doivent être franchies avant l’approbation de ce texte, en particulier la ratification de celui-ci par le Parlement européen et le Parlement britannique. Cette semaine sera décisive, avant le Conseil européen exceptionnel de dimanche prochain, qui pourrait déboucher sur un accord définitif.
Le Brexit pourrait servir de catalyseur pour réformer l’Europe et lui donner un nouveau souffle. Le peuple souhaite plus de transparence et comprendre à quoi sert l’Europe.
En dehors des défis économiques et politiques, l’Europe doit relever le défi migratoire.
La question migratoire est aujourd’hui à l’origine d’une profonde crise politique et humaine. La rhétorique sur la fermeture des frontières et le traitement des demandes d’asile en dehors du territoire européen est particulièrement inquiétante, à la fois pour la solidarité européenne et pour le respect de nos valeurs.
L’immigration irrégulière aux frontières de l’Europe est en constante augmentation depuis 2015. L’augmentation budgétaire prévue au bénéfice de FRONTEX est de 333 millions d’euros, soit une hausse de 4 % par rapport au budget de cette année. Cette augmentation va dans le bon sens, mais elle ne permettra pas, hélas, de traiter l’ensemble des problèmes migratoires et des risques non maîtrisés à ce jour.
Ces trois défis ne pourront être relevés que si nous travaillons ensemble autour des valeurs communes fondatrices de l’Europe. C’est ensemble que nous serons plus forts !
Le groupe Les Républicains suivra l’avis de la commission des finances et votera l’article 37 du projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Colette Mélot, MM. Yvon Collin et André Gattolin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur spécial, monsieur le secrétaire de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie pour ce débat, qui est un moment démocratique important permettant d’illustrer de façon concrète la valeur ajoutée des politiques européennes.
Je me garderai bien, monsieur le sénateur Gattolin, d’intervenir dans un débat qui concerne une décision souveraine de la Haute Assemblée. Je confirme néanmoins l’intérêt qu’il y a, pour la France, à pouvoir s’appuyer sur la position des groupes représentés dans les deux assemblées avant de participer au Conseil européen.
Il ne me sera naturellement pas possible, dans le temps qui m’est imparti, de répondre à l’ensemble des observations des différents orateurs, mais je tiens à revenir sur certaines d’entre elles.
Comme vous l’avez indiqué, monsieur Ouzoulias, un accord n’a pas pu être trouvé sur le budget européen pour 2019 lors de la conciliation entre le Parlement européen et le Conseil des ministres, qui s’est achevée dans la soirée de lundi dernier à Bruxelles. La même situation s’était produite voilà quatre ans pour le budget de 2015.
Durant cette discussion, le Conseil a veillé à garantir le financement des priorités politiques, tout en assurant une budgétisation prudente en crédits, afin de conserver la marge nécessaire pour faire face aux imprévus en cours d’année.
La négociation a échoué en grande partie en raison d’un point de principe sur la technique budgétaire, auquel le Parlement est attaché : la possibilité de recycler des crédits non consommés dans le cadre des programmes de recherche. Le Conseil s’y oppose traditionnellement et ne veut pas créer de précédent. Comme vous l’avez fait observer, monsieur le sénateur, ce blocage ne paraît pas à la hauteur des enjeux.
Conformément aux stipulations du traité et comme elle l’avait fait en 2014, la Commission européenne va proposer un projet de budget révisé d’ici à quelques jours, afin qu’un budget puisse être adopté avant la fin de l’année. Si le désaccord devait persister, l’Union européenne passerait, comme cela a été le cas à trois reprises dans les années quatre-vingt, au système des douzièmes provisoires. Ce n’est évidemment pas ce que nous souhaitons.
Le projet révisé de budget européen pour 2019 que la Commission européenne présentera d’ici à la fin du mois conservera sans doute les grandes orientations du premier projet, en intégrant à la marge certaines adaptations.
Ce budget permet de préparer le prochain cadre financier pluriannuel, dont nous reparlerons, en faisant un effort sur des dépenses nouvelles. J’ajoute immédiatement que, sur les 165,6 milliards d’euros de crédits d’engagement et les 148,7 milliards d’euros de crédits de paiement du projet de budget initial, les priorités classiques que sont la PAC et la politique de cohésion restent bien évidemment les principales masses budgétaires ; nous y avons veillé attentivement.
Je souligne aussi que nous bénéficions davantage des budgets européens que par le passé. Ainsi, nous étions en 2017 le premier bénéficiaire en volume des dépenses de l’Union européenne, alors que nous n’en étions l’année précédente que le troisième ; nous étions en 2017 le troisième contributeur net, après avoir été le deuxième un an plus tôt. Comme vous l’avez souligné, monsieur Menonville, nous avons beaucoup à retirer du budget européen.
Ce projet de budget prévoit de faire monter en puissance la croissance et l’innovation, ainsi que les mesures en faveur de la jeunesse. Je pense à la montée en charge d’Erasmus +, dont M. le sénateur Sutour a parlé : il s’agit de permettre à de plus en plus d’étudiants, mais aussi, désormais, d’apprentis, de se former en Europe.
Dans le même temps, ce budget contribuera à une meilleure politique migratoire et à un meilleur contrôle des frontières de l’Union européenne, ainsi qu’à une plus forte solidarité au-delà de celles-ci, notamment en continuant à financer l’accompagnement, l’éducation et l’hébergement des personnes qui fuient les conflits, en Syrie et ailleurs.
Les questions de défense constituent une autre priorité nouvelle et importante.
L’année 2019 marquera une avancée majeure pour le volet industriel et capacitaire de l’Europe de la défense, composante incontournable de l’autonomie stratégique européenne. En effet, un programme européen spécifique permettra aux entreprises européennes d’unir leurs forces pour financer des projets en commun. Ce programme préfigure le futur fonds européen de défense, que la Commission européenne propose de doter de 13 milliards d’euros dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027.
Cela m’amène tout naturellement à évoquer les perspectives financières pour l’après 2020.
Comme l’a souligné M. Rapin, entre autres orateurs, c’est, avec le Royaume-Uni, un important contributeur net qui va quitter l’Union européenne. Cela complexifiera encore davantage une négociation qui requiert déjà l’unanimité des États membres.
Je doute que nous parvenions à un accord, comme le souhaiterait la Commission européenne, avant les élections européennes ou que nous arrivions à dégager dès décembre le premier niveau de financement du prochain cadre financier pluriannuel. Ce serait d’ailleurs un étrange message que de dire aux électeurs que les priorités et les moyens budgétaires correspondants sont définis avant qu’ils se soient exprimés ; je l’ai rappelé le 12 novembre dernier lors du conseil Affaires générales. Le Conseil européen y reviendra au mois de décembre.
Au titre des défis auxquels l’Europe est confrontée, de nouvelles priorités sont apparues ou montent en puissance : les migrations, les enjeux de sécurité et de défense, le renforcement de la compétitivité de l’économie européenne à travers l’innovation et la recherche, l’avenir de notre jeunesse et la lutte contre le changement climatique.
Pour autant, nous ne saurions en aucun cas sacrifier les politiques traditionnelles, tout spécialement la politique agricole commune, qui n’a rien perdu de son actualité, bien au contraire, comme nombre d’orateurs l’ont souligné. Je le répète devant vous : la PAC ne peut pas être la variable d’ajustement du Brexit, et une baisse de ses moyens ne sera pas acceptée. Nous sommes parvenus à mobiliser largement, et ce sont aujourd’hui vingt et un États membres qui demandent le maintien du budget de la PAC à son niveau actuel pour l’Union européenne à vingt-sept.
Par ailleurs, le budget doit traduire la solidarité de l’Union européenne et refléter ses valeurs. C’est pourquoi la France soutient, au côté de nombreux États membres, la proposition de la Commission européenne de renforcer le lien entre l’octroi de financements européens et le respect des valeurs fondamentales de l’Union européenne.
Nous estimons d’ailleurs qu’il convient d’aller plus loin, afin que le budget européen puisse également favoriser la convergence des États en matières fiscale et sociale, une convergence essentielle au bon fonctionnement du marché intérieur.
J’ajoute que nous souhaitons intégrer au cadre financier pluriannuel à vingt-sept un budget pour les dix-neuf États de la zone euro. Bruno Le Maire et son collègue allemand, Olaf Scholz, ont présenté nos idées à cet égard le 19 novembre dernier.
Le départ du Royaume-Uni représente une occasion historique de remettre à plat le système de financement du budget européen. La Commission européenne a fait des propositions qui vont dans le bon sens, mais il nous faut aller jusqu’au bout de cette logique. C’est pourquoi, monsieur Rapin, nous demandons la suppression totale et immédiate des rabais. En outre, nous soutenons la mise en place de nouvelles ressources propres, comme l’ont souhaité Mme Mélot et M. Bonnecarrère, notamment dans le domaine environnemental, mais aussi dans celui du numérique.
Monsieur le rapporteur spécial, monsieur le sénateur Sutour, la France a fait savoir qu’elle était prête à accepter un budget à vingt-sept en expansion, sous plusieurs conditions : une modernisation des politiques, des conditionnalités dans l’emploi des fonds, la mobilisation de nouvelles ressources propres et la suppression complète des rabais.
Concernant le financement des investissements, monsieur le rapporteur spécial, j’évoquerai notamment les investissements portuaires rendus nécessaires par le Brexit.
Ce budget est fondé sur une hypothèse : la conclusion d’un accord de retrait. Nous y sommes au niveau technique. Il est vraisemblable qu’un sommet se tiendra dimanche prochain et que les vingt-sept soutiendront l’accord de retrait et la déclaration politique sur la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Toutefois, comme plusieurs orateurs l’ont signalé, une incertitude demeure sur la ratification de l’accord par le Parlement britannique. Cette incertitude est forte ; ce n’est pas la première s’agissant du Brexit, mais nous devons être prêts pour tous les scénarios.
Quoi qu’il en soit, le Gouvernement est particulièrement conscient des enjeux, en particulier pour nos ports, liés à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, notamment pour faire face aux nouvelles formalités de contrôle, quelle que soit, d’ailleurs, la date à laquelle ces contrôles devront être mis en place – dès le 30 mars en cas d’absence d’accord de retrait ou à la fin de la période de transition, si la relation future justifie ces contrôles.
Le coordonnateur national nommé par le Premier ministre est en train de finaliser l’estimation des besoins avec l’ensemble des acteurs concernés. Pour ma part, j’ai accompagné le Premier ministre à Dunkerque la semaine dernière, pour évaluer directement, avec les acteurs du port, les investissements à réaliser, les recrutements à mener et l’organisation des futurs contrôles, dont nous avions perdu l’habitude dans le trafic transmanche.
Pour ne parler que du volet européen qui nous concerne aujourd’hui, je vous confirme que nous travaillons pour que les programmes européens permettent de financer des adaptations au Brexit dès maintenant, puis, le cas échéant, dans les premières années du prochain cadre financier pluriannuel.
Par ailleurs, la Commission européenne lancera le mois prochain un appel d’offres pour le mécanisme d’interconnexion en Europe, doté de 65 millions d’euros, afin de cofinancer des projets de liaisons transfrontalières et d’assurer la connexion et le développement des ports maritimes du réseau global. Nous nous mobilisons pour que le plus grand nombre possible de ports français puissent participer aux futurs appels d’offres du corridor mer du Nord-Méditerranée.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’Union européenne n’est pas figée, bien au contraire. Nous sommes convaincus, avec le Président de la République, qu’elle doit changer en profondeur. J’ai d’ailleurs recueilli les remarques et les propositions de nos concitoyens à cet égard dans le cadre des consultations citoyennes sur l’Europe, auxquelles Mme Mélot a fait référence.
Ce travail de refondation est engagé. L’Union européenne déterminera au travers du prochain cadre financier pluriannuel ses grands choix politiques pour la période à venir. D’ici là, le budget européen pour 2019 donnera à l’Union européenne et à la France les moyens d’être plus efficaces, plus fortes, plus protectrices. C’est pourquoi, au nom du Gouvernement, je vous demande d’autoriser le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne pour l’année 2019. (Mme Colette Mélot applaudit.)
M. le président. Nous passons à la discussion de l’article 37.
Article 37
Le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne est évalué pour l’exercice 2019 à 21 515 000 000 €.
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
6
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, vendredi 23 novembre 2018, à quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale (n° 146, 2018-2019) ;
Suite de l’examen des articles de la première partie.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quinze.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD