M. Charles Revet. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. … et que nous ne sommes pas parvenus au bout du chemin en matière d’équilibre des pouvoirs dans notre pays.
Sachez, mes chers collègues, que, même si je voterai ce texte pour les raisons que j’ai expliquées, en aucun cas je ne considérerai ceux qui ne le voteraient pas comme des corporatistes ou des ringards. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Lana Tetuanui. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Lana Tetuanui. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, ‘ia ora na, nous évoquons un sujet sensible, puisque notre collègue Gattolin nous invite à réviser une condition d’éligibilité au Sénat : l’âge. La question que soulève sa proposition de loi est très simple : à quel âge peut-on être candidat aux élections sénatoriales ? Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste a mandaté sa plus jeune sénatrice pour venir parler de ce sujet.
Je me suis interrogée : quelle est votre appréciation de la jeunesse ? Est-on vieux à quarante ans ? À trente ans ? Je me pose d’autant plus la question que je suis une élue venant des collectivités d’outre-mer.
Mes chers collègues, je suis sénateur de la Polynésie, qui est un territoire aussi vaste que l’Europe. Comme on dit chez nous : « Pour atteindre le sommet du cocotier, il faut commencer par le bas. »
M. Guy-Dominique Kennel. Bravo !
Mme Lana Tetuanui. Vous aurez compris quelle sera la position du groupe Union Centriste… (Sourires.)
Avant de répondre à l’interrogation que je viens de soulever, je souhaite dire quelques mots sur l’opportunité conjoncturelle de cette proposition de loi organique.
Si j’en crois les dernières annonces du Gouvernement, nous sommes à quelques semaines de la reprise des travaux du Parlement sur la révision constitutionnelle. Je rappelle que cette réforme des institutions souhaitée par le Président Macron ne se limite pas à un projet de loi constitutionnelle, mais donnera lieu à l’examen d’un projet de loi organique et d’un projet de loi ordinaire. Autrement dit, nous nous apprêtons à avoir un débat global sur l’architecture de nos institutions, y compris sur le rôle et la composition du Sénat.
Avant même de savoir si l’on est pour ou contre ce que nous propose notre collègue, nous devons nous interroger sur l’opportunité d’avoir ce débat aujourd’hui, alors qu’il aurait toute sa place dans le cadre du débat sur la réforme de nos institutions.
Selon moi, cette proposition de loi aurait sa place sous forme d’amendement au projet de loi organique que présentera le Gouvernement. Je pense donc que nous ne devrions pas en discuter aujourd’hui. Mais, comme elle est là, parlons-en !
Sur le fond, on nous propose d’abaisser de vingt-quatre à dix-huit ans l’âge à partir duquel il est possible de se présenter aux élections sénatoriales. Il me semble important de rappeler, en écho aux propos de notre rapporteur, que le Sénat n’a pas été sourd sur cette question. Il a déjà fait évoluer deux fois cette condition d’éligibilité depuis 2003. C’était nécessaire, et ces évolutions ont été bénéfiques à la Haute Assemblée. Il ne faut donc pas nous faire de mauvais procès, celui d’un Sénat qui serait rigide et hostile par principe à la réforme.
Pour autant, cela signifie-t-il qu’il faudrait systématiquement s’aligner sur toutes les évolutions adoptées pour nos collègues députés ? Certainement pas !
J’entends certains dire : « Les députés l’ont décidé depuis 2011. Comment pourriez-vous vous y opposer ? » Bien sûr que nous pouvons le faire ! Je peux vous dire par expérience, mes chers collègues, en tout cas chez nous, que les jeunes de dix-huit ans ne savent même pas s’ils sont inscrits sur les listes électorales, puisque les inscriptions se font d’office par l’INSEE. C’est nous qui allons les chercher le jour des élections pour leur dire : « Eh, oh, il faut peut-être aller voter, vous avez été inscrits sur les listes ! » (Sourires.) Voilà la réalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Dany Wattebled applaudit également.)
Le plus dramatique, c’est d’imaginer comment un petit jeune de chez nous pourrait venir défendre la cause de ma collectivité sans en connaître n’en serait qu’un petit bout… Car nos collectivités, avec toutes leurs spécificités ultramarines, c’est la croix et la bannière ! Je ne pense pas qu’un jeune qui vient à peine de sortir de l’école maternelle pourrait faire notre travail.
J’invoquerai l’argument, simple mais fondamental : à quoi bon une deuxième chambre si elle est identique à la première ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.) Le bicamérisme, la différenciation des deux chambres, voilà ce qui est en jeu ! Pour s’en persuader, il suffit de lire l’article L.O. 296 du code électoral, que l’on nous propose de modifier : « Nul ne peut être élu au Sénat s’il n’est âgé de vingt-quatre ans révolus. Les autres conditions d’éligibilité et les inéligibilités sont les mêmes que pour l’élection à l’Assemblée nationale. » Tout est dit ! Si nous supprimons cette condition particulière d’éligibilité, toutes les autres seront les mêmes que pour l’élection des députés.
Mes chers collègues, nous sommes tous attachés à la défense de notre assemblée. Pour bien la défendre, nous devons garder en tête un principe simple à la veille du débat constitutionnel : elle ne doit pas devenir un clone de l’Assemblée nationale. Elle doit être différente, sinon, demain, son existence finira par être remise en cause. C’est aussi simple que cela !
M. Charles Revet. Exactement !
Mme Lana Tetuanui. Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste, suivant la proposition de notre rapporteur, votera contre cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2017, la moyenne d’âge des sénateurs était de soixante et un ans, seuls deux d’entre eux avaient moins de trente-cinq ans et six moins de quarante et un ans. Abaisser l’âge d’éligibilité à dix-huit ans rajeunirait-il le Sénat ? Est-il nécessaire de le rajeunir ?
Il est vrai que la fonction de sénateur, dans l’imaginaire populaire, ne laisse pas immédiatement entrevoir un jeune de dix-huit à vingt ans, mais plutôt un homme, d’un âge certain, d’une certaine corpulence, aux cheveux blancs,…
M. Gérard Longuet. Et rares ! (Sourires.)
Mme Christine Lavarde. … bref quelqu’un de sérieux, soit l’incarnation de l’origine étymologique du mot senex.
Cet imaginaire populaire ne repose pas seulement sur la représentation des dessinateurs de presse ; il s’appuie sur l’histoire de la Haute Assemblée, dont l’ancêtre, sous le Directoire, se nommait le Conseil des Anciens et avait vocation, de par sa composition d’une élite âgée – l’âge minimum étant alors de quarante ans –, à contrebalancer les ardeurs des députés, plus jeunes, plus fougueux et plus progressistes. N’est-ce pas encore le cas aujourd’hui ?
Pour avoir échangé avec Pierre Cazeneuve, cofondateur du parti politique Allons Enfants et élu municipal de la commune de Saint-Cloud, qui a su convaincre notre collègue André Gattolin de déposer cette proposition de loi, j’entends les arguments qui sous-tendent cette démarche.
Le Sénat reste désormais la seule institution à fixer un seuil d’âge minimum au-delà de la majorité. Ainsi, à dix-huit ans, comme cela a été rappelé, on peut être candidat à la présidence de la République, mais pas sénateur. Ainsi les jeunes élus dans nos instances municipales, départementales ou régionales sont forcés, sous peine d’amende, de prendre part à une élection à laquelle ils ne peuvent se présenter.
Cette relative absurdité nous permet de prendre conscience que l’implication dans la vie de la cité – la polis –, tout comme la valeur, n’attend point le nombre des années. Ainsi, dans les Hauts-de-Seine, près de quarante grands électeurs avaient moins de vingt-quatre ans en septembre 2017.
L’objectif recherché – rapprocher les jeunes de la politique et les intéresser au débat public – est louable. Combien serons-nous à déplorer leur faible participation lors des prochaines élections européennes ? Seuls 29 % des dix-huit à vingt-cinq ans s’étaient déplacés en 2009 et 27 % en 2014.
M. Charles Revet. Eh oui !
Mme Christine Lavarde. Avec une certaine pointe d’humour, Pierre Cazeneuve, dans une interview accordée à France Info le 14 novembre dernier, avançait un argument en faveur du rajeunissement nécessaire de la Haute Assemblée : « Certains sénateurs souffrent de cette image de maison de retraite politique parfois associée au Sénat. » Cet argument est largement illustré, et j’ai avec moi quelques dessins qui en témoignent. (L’oratrice brandit des dessins de presse.)
En tant que benjamine de cette institution, je souhaiterais rassurer les plus inquiets : non, je n’ai pas l’impression d’être dans une maison de retraite ! Non, je n’ai pas fait une entrée accélérée en EHPAD ! Non, je n’ai pas perdu mon énergie et ma vitalité depuis un an !
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Christine Lavarde. Je dirai même que l’agenda d’un sénateur n’a rien à envier à celui d’un businessman ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
À trente-quatre ans, je me sens parfaitement bien intégrée dans cette institution. Certes, je suis peut-être parfois un peu en décalage avec mon prisme de raisonnement qui peut emprunter aux caractéristiques de la génération X ou mes contraintes de jeune mère de famille. Pour autant, j’ai le sentiment de poursuivre les mêmes objectifs que l’ensemble de mes collègues : défendre et promouvoir mon territoire, mes valeurs et mes idées, tout en gardant à l’esprit l’intérêt général et l’équilibre républicain.
Aurais-je pu le faire à dix-huit ans, tout juste sortie du lycée ? Je ne le crois pas. Devenir un législateur ne s’improvise pas. Cela s’apprend au gré de ses études et de ses expériences professionnelles et électives.
Mme Éliane Assassi. À ce compte-là, il n’y aura jamais d’ouvriers dans l’hémicycle !
Mme Christine Lavarde. J’aurais pu ajouter l’expérience associative.
Il me semble par ailleurs légitime de maintenir une différence entre l’Assemblée nationale et le Sénat. En effet, le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Pour représenter, il faut connaître, avoir expérimenté, mis les mains dans le cambouis. L’âge de vingt-quatre ans permet d’avoir à son actif un mandat complet d’élu local au moment de la candidature.
M. Gérard Longuet. Exact ! Bien dit !
Mme Christine Lavarde. De même qu’« on ne naît pas femme, on le devient »,…
M. Gérard Longuet. Simone de Beauvoir !
Mme Christine Lavarde. … on ne naît pas sénateur, on le devient. (Exclamations sur les travées du groupe La République En Marche.)
Avant de conclure, je remercie André Gattolin et Pierre Cazeneuve d’avoir illustré avec cette proposition de loi l’implication d’une partie de notre jeunesse dans le fonctionnement de nos institutions. Il appartient aux partis politiques institutionnalisés de se donner les moyens d’écouter cette jeunesse qui ne manifeste pas, ne se révolte pas, mais veut proposer et agir pour son avenir et celui de ses enfants. Je pense cependant qu’il ne faut pas aller trop vite…
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Christine Lavarde. … et vous invite à méditer les mots de Jean de la Fontaine :
« Notre Lièvre n’avait que quatre pas à faire ;
« J’entends de ceux qu’il fait lorsque prêt d’être atteint
« Il s’éloigne des chiens, les renvoie aux Calendes,
« Et leur fait arpenter les landes.
« Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
« Pour dormir, et pour écouter
« D’où vient le vent, il laisse la Tortue
« Aller son train de Sénateur. »
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Raymond Vall applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi organique que nous allons examiner vise à réduire l’âge minimal pour se présenter aux élections sénatoriales de vingt-quatre à dix-huit ans et à fixer l’entrée en vigueur de cette modification au prochain renouvellement sénatorial.
Historiquement, l’âge d’éligibilité aux élections sénatoriales est plus élevé qu’aux élections législatives. Longtemps fixé à trente-cinq ans, l’âge minimal pour être élu sénateur a été abaissé à deux reprises sous la Ve République : il est passé à trente ans en 2003, puis à vingt-quatre ans en 2011.
Trois éléments au moins viennent apporter un éclairage sur cette particularité sénatoriale.
Tout d’abord, l’existence d’un âge d’éligibilité plus élevé pour les sénateurs résulte d’un compromis initial, après la Révolution française, puis sous la IIIe République, pour concilier évolution du régime et pacification sociale.
Ensuite, l’âge est perçu comme un facteur de modération.
Enfin, l’âge d’éligibilité plus élevé pour les sénateurs reflète la valorisation de l’expérience au sein des collectivités territoriales. En effet, ce seuil d’éligibilité a été défini pour permettre aux sénateurs d’acquérir une expérience locale avant d’entrer au Palais du Luxembourg.
Ce débat relatif à l’alignement de l’âge d’éligibilité des sénateurs sur l’âge de la citoyenneté, s’il n’est pas nouveau, ne peut pas avoir lieu en dehors du cadre de projets plus larges. Il apparaît en effet bien plus opportun et pertinent que ce sujet soit examiné dans le cadre des débats à venir sur les réformes institutionnelles et l’avenir du bicamérisme.
En outre, à l’échelle internationale, l’âge d’éligibilité est généralement plus élevé dans les chambres hautes que dans les chambres basses.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à ce jour, rien ne justifie raisonnablement la nécessité de procéder une nouvelle fois à l’abaissement de l’âge d’éligibilité des sénateurs. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants suivra majoritairement la position de la commission des lois et de son rapporteur et ne votera pas en faveur de ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, aux termes de l’article 24 de notre Constitution, la Haute Assemblée, au sein de laquelle nous siégeons, représente les collectivités territoriales de la République. L’âge de vingt-quatre ans requis pour devenir sénateur correspond à l’âge minimum auquel un citoyen peut avoir accompli un mandat local, soit dix-huit ans, plus six ans.
C’est donc une expérience minimum requise dont le caractère paraît évident, et je ne vois rien ici qui ressemble, de près ou de loin, à une « justification assez floue », comme l’avancent imprudemment nos collègues Marcheurs. C’est même, bien au contraire, pleinement cohérent avec la mission de représentation des collectivités territoriales confiée au Sénat, depuis soixante ans, par la Constitution.
Fondamentalement, les deux assemblées françaises ne sont pas identiques, mais elles se complètent parfaitement. Notre mode de fonctionnement assure même la continuité de l’État, et ce n’est pas là un détail.
Si nos institutions donnent clairement la primeur dans les décisions finales à l’Assemblée nationale et à nos collègues députés qui y siègent, le Sénat jouit, lui, d’une spécificité incontournable et révélatrice de sa sagesse légendaire. En effet, le Sénat, à la différence de l’Assemblée nationale, est une assemblée permanente. Le chef de l’État ne peut donc pas la dissoudre. C’est précisément pour ces raisons, notamment, que la réforme constitutionnelle ourdie par le Président de la République est dangereuse, puisqu’elle conduit, ni plus ni moins, à une dissolution déguisée du Sénat.
Vouloir aligner la limite d’âge requis pour devenir sénateur sur celle exigée pour devenir député, c’est ignorer totalement l’essence même du bicamérisme.
Oui, la jeunesse incarne l’avenir ! Mais est-ce à dire que les aînés ne doivent pas être écoutés ? Est-ce à dire que la fougue de la jeunesse doit être élevée au rang d’alpha et d’oméga démocratique ? Je n’en crois rien ! Je suis convaincu, bien au contraire, que l’expérience est un trésor dont nul ne peut se passer. Il n’est qu’à parcourir le Palais du Luxembourg et son histoire pour s’en persuader. (Mme Esther Benbassa s’esclaffe.)
Quand la présidente du groupe auquel vous appartenez, madame, siège à une telle place dans l’hémicycle, on ne rigole pas.
Mme Éliane Assassi. Quel est le rapport ?
M. Jean-Raymond Hugonet. Cette place, celle de Victor Hugo, qui disait : « L’un des privilèges de la vieillesse, c’est d’avoir, outre son âge, tous les âges. »
Mme Éliane Assassi. Il est mort !
M. Jean-Raymond Hugonet. Malheureusement, et il nous manque bien, madame… À la lecture de cette proposition de loi organique, il doit se retourner dans sa tombe. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. André Gattolin. De Gaulle aussi, sans doute ?
M. Jean-Raymond Hugonet. Qu’on le veuille ou non, monsieur Gattolin, la tempérance vient avec l’âge.
Je ne goûte pas forcément les comparaisons internationales, mais c’est précisément pour cette raison de tempérance qu’un pays jeune comme les États-Unis place l’âge minimal à trente ans pour devenir sénateur. Et que dire alors de nos voisins et amis Italiens qui, eux, placent le seuil à quarant’anni, quarante ans ?
Que je sache, vingt-quatre ans, ce n’est pas un âge canonique ; cette limite d’âge ne crée aucune injustice, contrairement à ce que vous avancez. Elle n’empêche en rien un Français de dix-huit ans désirant s’engager pour la Nation en exerçant un mandat parlementaire, d’être candidat à un siège de député.
Si nos collègues Marcheurs veulent faire œuvre utile, qu’ils commencent par faire en sorte que l’ensemble des jeunes Français de dix-huit ans sachent réellement ce que sont nos institutions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Tout à fait !
M. André Gattolin. Nous allons faire le travail que vous n’avez pas fait !
M. Jean-Raymond Hugonet. Une interrogation écrite donnerait, j’en ai bien peur, des résultats très contrastés. Ça, c’est une anomalie ! Je serais donc surtout partisan de baisser l’âge requis pour connaître réellement les institutions de notre pays. Si nous accueillons régulièrement autant de jeunes collégiens ou lycéens au Sénat, c’est bien pour cette raison.
Décidément, avec cette proposition de loi organique de nos collègues du groupe La République En Marche, le nouveau monde défend, une fois encore, une réforme plus médiatique qu’efficace. Aussi, pour l’ensemble de ces raisons, vous l’aurez compris, je voterai résolument contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Raymond Vall applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quel bonheur pour le vieux professeur d’histoire que je demeure d’aborder un sujet aussi riche que celui du bicamérisme différencié, et, bien évidemment de le défendre. En effet, au-delà de l’âge d’éligibilité, c’est bien de cela qu’il s’agit.
Faisons donc un peu d’histoire.
Il n’aura pas fallu deux ans, sous la Révolution, pour que notre pays goûte funestement au péril du monocamérisme et, lorsque le bicamérisme s’imposa, la question de la composition différenciée de la chambre haute se posa. Tantôt chambre honorifique pour une noblesse déchue de ses privilèges sous la Restauration, tantôt haut lieu des soutiens issus de tous horizons du régime bonapartiste, l’enjeu fut toujours de savoir comment choisir cette seconde chambre et quelle légitimité lui donner.
Mode d’élection, âge et conditions d’éligibilité, notre pays a donc cherché dès les origines du système parlementaire puis de la République parlementaire à différencier les deux chambres. C’est bien cette différenciation qui est la raison d’être du Sénat.
Tout d’abord, dans un pays fortement centralisé, le Sénat républicain s’est imposé, par son mode d’élection, comme la chambre des territoires, et il a toujours contrebalancé la vieille passion française pour le jacobinisme.
M. André Gattolin. Quel rapport ?
M. Max Brisson. En cela, il porte une vision qui enrichit encore les débats et l’action publique tout en étant pleinement l’une des deux chambres du Parlement. Le Sénat est aussi par son propre calendrier une voix dissemblable. C’est essentiel depuis la réforme du quinquennat et l’élection quasi simultanée du Président de la République et des députés.
Enfin, grâce à son seuil d’âge et d’éligibilité, le Sénat a perduré dans l’histoire comme une assemblée qui n’inscrivait jamais son action dans la tyrannie de l’instant, mais qui l’inscrivait dans un autre rapport au temps, dans le temps long. Ce rapport est parfois source de sarcasmes, alors que nous vivons aujourd’hui sous l’injonction permanente du mouvement ; ce temps long est pourtant la clef pour dépassionner.
Le législateur spartiate Lycurgue le disait déjà : « Il rassembla ce conseil de sénateurs […] et donna pied ferme et assuré à l’État. » Donner pied ferme et assuré à l’État, telle est l’identité du Sénat. Cette identité particulière a notamment pour origine le mode d’élection et l’âge minimal d’éligibilité des sénateurs.
Certes, en 2011, ce qui caractérisait le Sénat par rapport à l’Assemblée nationale du point de vue des conditions d’éligibilité et d’élection a déjà été atténué, et je ne suis pas sûr que ce fût une bonne chose. La solution d’un écart d’âge théorique d’un citoyen ayant effectué au moins un mandat local est à mon sens la plus raisonnée. Bien évidemment, elle n’est pas, de mon point de vue, parfaite, puisque je suis de ceux qui auraient préféré que le législateur fixe une barre plus haute.
Toutefois, dans une chambre des territoires, comment penser, au minimum, défendre les collectivités locales sans les connaître et sans avoir déjà exercé au moins un mandat ? Comment se prévaloir des qualités de recul et d’analyse sans instaurer ce seuil d’âge minimal ? Ce seuil n’a pas empêché l’âge moyen du Sénat d’être assez proche de celui de l’Assemblée nationale. Il n’a pas non plus empêché un sénateur de l’Essonne, qui n’était pas encore le chef de file des Insoumis, d’être l’un des plus jeunes sinon le plus sage des sénateurs de France.
J’en viens à l’âge d’éligibilité du Président de la République, argument massue de nos collègues Sueur et Gattolin. Pour justifier votre proposition de loi organique, monsieur le sénateur Gattolin, vous proposez d’abaisser l’âge d’éligibilité des sénateurs pour l’aligner sur celui du Président de la République, dont, vous en conviendrez, la sagesse et le recul doivent être exemplaires, plus encore que, certainement, que ceux des sénateurs, eu égard aux responsabilités qu’il assume. Alors, pourquoi ne pas plutôt aligner l’âge minimal d’élection du Président de la République sur celui des sénateurs, afin de contribuer théoriquement à ce qu’il fasse montre des mêmes qualités ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. André Gattolin s’esclaffe.)
Je sais combien tout ce que je viens de dire est difficile à entendre dans une société de l’immédiateté ; je sais qu’il est difficile, dans notre société, de comprendre que l’expérience peut donner des droits supplémentaires ; je sais qu’il est passé de mode de justifier le bicamérisme différencié en puisant des arguments dans l’histoire ; mais, franchement, au-delà des difficultés de notre époque à accepter les leçons du passé, cette tendance qui vise peu à peu à réduire ce qui différencie les deux chambres n’entre-t-elle pas dans la logique qui cherche à gommer aujourd’hui la différenciation entre les chambres, puis, le jour où les deux chambres se ressembleront, à dire qu’il y en a une de trop ? Je suis persuadé que, ce jour-là, la démocratie aura reculé ; pour l’instant je m’en tiendrai à croire que, comme on le disait à Rome, sapientia est potentia, la sagesse est le pouvoir. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Raymond Vall applaudit également.)
Mme Éliane Assassi. N’importe quoi !
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Mes chers collègues, je vous propose de poursuivre la séance jusqu’à vingt heures trente. Nous pourrons ainsi examiner les amendements avant le dîner, à condition que nous soyons concis. Si chacun prend la parole, nous n’y arriverons pas, et nous devrons poursuivre l’examen du texte après la pause.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi organique initiale.
proposition de loi organique relative à l’élection des sénateurs
Article additionnel avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville, Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier paragraphe de l’article L.O. 141 du code électoral est complété par une phrase ainsi rédigée : « Cette incompatibilité ne s’applique pas aux suppléants exerçant temporairement le mandat de député. »
La parole est à M. Jacques Mézard.