Sommaire
Présidence de Mme Valérie Létard
Secrétaires :
MM. Éric Bocquet, Guy-Dominique Kennel.
2. Candidature à une délégation sénatoriale
3. Lutte contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Éric Gold, auteur de la proposition de loi
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteur de la commission des finances
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État
Clôture de la discussion générale.
Article additionnel avant l’article 1er
Amendement n° 7 de M. Éric Bocquet. – Rejet.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État
Amendement n° 8 de M. Éric Bocquet. – Devenu sans objet.
Amendement n° 23 du Gouvernement. – Devenu sans objet.
Amendement n° 15 rectifié bis de M. Éric Gold. – Devenu sans objet.
Amendement n° 16 rectifié bis de M. Éric Gold. – Devenu sans objet.
Amendement n° 17 rectifié bis de M. Éric Gold. – Devenu sans objet.
Amendement n° 18 rectifié bis de M. Éric Gold. – Devenu sans objet.
Amendement n° 22 de Mme Nadia Sollogoub. – Devenu sans objet.
Amendement n° 20 rectifié bis de M. Éric Gold. – Devenu sans objet.
Amendement n° 21 de Mme Nadia Sollogoub. – Devenu sans objet.
Amendement n° 2 de M. Jacques Genest. – Devenu sans objet.
Amendement n° 11 de M. Patrice Joly. – Devenu sans objet.
Amendement n° 19 rectifié bis de M. Éric Gold. – Devenu sans objet.
Amendement n° 10 rectifié de M. Patrice Joly. – Devenu sans objet.
Articles additionnels après l’article 2
Amendement n° 14 de M. Patrice Joly. – Retrait.
Amendement n° 13 de M. Patrice Joly. – Rejet.
Vote sur l’ensemble
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
4. La ruralité, une chance pour la France. – Débat organisé à la demande du groupe du RDSE
M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement
Suspension et reprise de la séance
5. Élection des sénateurs. – Rejet d’une proposition de loi organique
Discussion générale :
M. André Gattolin, auteur de la proposition de loi
M. Vincent Segouin, rapporteur de la commission des lois
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur
Clôture de la discussion générale.
Article additionnel avant l’article 1er
Amendement n° 7 rectifié de M. Jacques Mézard. – Rejet.
Rejet, par scrutin public n° 22, de l’article.
Articles additionnels après l’article 1er
Amendement n° 1 rectifié ter de M. Henri Cabanel. – Rejet.
Amendement n° 4 rectifié de M. Alain Joyandet. – Retrait.
Amendement n° 5 rectifié de M. Alain Joyandet. – Retrait.
Amendement n° 6 rectifié de M. Alain Joyandet. – Retrait.
Rejet, par scrutin public n° 23, de l’article.
Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
6. Modification de l’ordre du jour
7. Risques liés à l’emploi de pneumatiques usagés dans les terrains de sport. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Françoise Cartron, auteur de la proposition de loi
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de Mme Nicole Bonnefoy. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Intitulé de la proposition de loi
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale
compte rendu intégral
Présidence de Mme Valérie Létard
vice-présidente
Secrétaires :
MM. Éric Bocquet,
Guy-Dominique Kennel.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidature à une délégation sénatoriale
Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
3
Lutte contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi visant à lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux, présentée par M. Éric Gold et plusieurs de ses collègues (proposition n° 730 [2017-2018], texte de la commission n° 124, rapport n° 123).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Éric Gold, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Éric Gold, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, alors que le Congrès des maires se tient cette semaine, la proposition de loi que je vous présente aujourd’hui a pour but de faire passer un message clair et fort aux élus locaux, notamment à ceux de nos territoires ruraux : le Sénat vous accompagne et soutient pleinement votre engagement précieux et vos initiatives en faveur du maintien des services de proximité.
Lors de l’intervention qu’il a prononcée la semaine dernière à destination de la presse régionale et des télévisions locales, le président Gérard Larcher a rappelé que le Sénat, « assemblée des territoires », se tenait aux côtés et au service des élus locaux.
Cette proposition de loi s’inscrit ainsi pleinement dans une démarche volontariste d’aménagement du territoire.
Elle part d’abord d’un double constat : le sentiment d’abandon très fort de nos concitoyens en zone rurale, qui se conjugue à une certaine forme de solitude ressentie par les élus locaux face à un problème très concret de désertification bancaire.
En effet, contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire, il existe un réel problème de désertification bancaire en France. Qui, dans cet hémicycle, n’a pas sur son territoire l’exemple d’une agence ou d’un distributeur automatique de billets venant de fermer ou restant sous la menace d’une fermeture ?
Un état des lieux de la Banque de France sera publié en 2019 qui établira une cartographie des zones de désertification bancaire. Toutefois, nous avons déjà une idée très précise de la tendance : selon la Banque centrale européenne, 2 000 distributeurs automatiques et 300 agences ont disparu entre 2015 et 2016. Et les prévisions sont encore plus pessimistes : d’ici à 2020, le groupe BPCE prévoit la fermeture de plus de 400 agences, quand la Société Générale a confirmé la réduction de 20 % de son réseau d’agences, soit la fermeture de 450 établissements en deux ans. De son côté, BNP Paribas a déjà fermé 236 guichets depuis 2012.
Face à ce constat, de nombreuses initiatives locales ont vu le jour ces dernières années, entraînant la signature de conventions entre communes et établissements bancaires pour le maintien de distributeurs automatiques de billets, ou DAB. Ce sont précisément ces initiatives qui sont à l’origine de la présente proposition de loi, ainsi que les difficultés exprimées par les maires, confrontés à de nombreux refus des banques, à une prise en charge périlleuse pour leurs finances locales et à leur solitude extrême, liée à l’absence de soutien de l’État.
Comme l’indique le titre de la proposition de loi, l’accent est mis sur les zones rurales, non qu’elles soient les seules concernées, mais pour la simple raison que leurs difficultés sont bien spécifiques et justifient des mesures d’urgence.
Les territoires sont par nature inégaux, comme le soulignaient nos collègues sénateurs Louis-Jean de Nicolaÿ et Hervé Maurey dans leur excellent rapport de 2017. En milieu rural, le phénomène de désertification est grandissant et fragilise encore davantage certains territoires : manque de médecins, de transports collectifs, couverture numérique et téléphonique défaillante, voire inexistante, absence ou fragilité des commerces de proximité… Une partie de la population vit mal la disparition des services publics, mais aussi des services au public et des équipements utiles au quotidien. Ce ressenti, c’est aussi ce qui conduit à la colère et aux extrêmes.
Je veux donc, à travers cette proposition de loi, rappeler qu’il n’y a pas de citoyens de seconde zone, qu’il n’y a pas de territoires de seconde zone.
M. Jean-Claude Requier. Exactement !
M. Éric Gold. Nous, parlementaires, représentants de la République et des élus, devons être présents pour accompagner les territoires dans les grandes transitions et les grands défis de demain.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Éric Gold. Selon une étude de Familles rurales publiée en octobre 2018, l’attractivité des campagnes françaises est conditionnée notamment par la présence de services de proximité. Garantir l’accès à ces derniers sur tous les territoires constitue une étape essentielle.
Pour ce faire, plusieurs facteurs propres à la ruralité doivent être pris en considération.
Je pense, d’une part, à la présence de populations plus fragiles, vieillissantes et moins mobiles. Ces populations sont parfois dépendantes des espèces pour le règlement de leurs achats, et souvent dépendantes de leur voiture pour tous leurs déplacements. Faire plusieurs kilomètres pour retirer de l’argent constitue donc une difficulté supplémentaire, notamment pour les personnes âgées et les personnes à mobilité réduite, qui sont les premières victimes du désengagement des banques sur nos territoires.
D’autre part, nos aînés s’approprient moins les moyens de paiement modernes et sont moins bien dotés en outils numériques.
Il n’est pas question de nier l’émergence de nouvelles pratiques qui se portent davantage vers les outils et modes de paiement numériques. Mais considérer que la dématérialisation est aujourd’hui actée et bien vécue par l’ensemble de la population constitue, selon moi, une erreur fondamentale.
Enfin, j’en viens à un argument majeur en faveur du maintien des distributeurs de billets : nos territoires ne bénéficient pas tous de la couverture numérique indispensable à l’utilisation d’un terminal de paiement électronique. Dans certaines zones où l’accès à internet et même à la téléphonie fixe est entravé, le règlement par carte bancaire se révèle tout simplement impossible. Que dire alors aux commerçants de centres-bourgs, qui n’ont d’autre solution que d’accepter les seuls règlements en espèces ?
Puisque l’État, et le Sénat, s’engagent pour la revitalisation des centres-bourgs, lutter contre la désertification bancaire me semble une étape importante. Les distributeurs automatiques sont indispensables pour l’inclusion sociale de nombreux citoyens et vitaux pour les commerces de nos centres-villes.
Deux propositions vous sont donc faites, mes chers collègues.
La première s’adosse aux conventions passées entre les communes et les banques, en leur donnant un cadre juridique et en leur offrant un financement propre, reposant non plus uniquement sur les collectivités, mais sur un fonds alimenté par les contributions des banques et piloté par la Caisse des dépôts et consignations. Des réserves ayant été émises quant à la participation financière de la Caisse, nous présenterons un amendement visant à l’en exclure. Concernant la gestion du fonds, la Caisse des dépôts s’y est montrée plutôt favorable, indiquant qu’il s’agissait précisément de son cœur de métier.
La seconde proposition vise à renforcer le maillage territorial, via l’introduction d’un critère de distance minimale des bureaux de poste dotés de DAB. Cette disposition semblant poser des difficultés techniques et financières, nous laisserons le débat parlementaire trancher.
Madame la rapporteur, votre rapport décrit parfaitement la situation actuelle et les difficultés grandissantes sur certains territoires. Notre constat est le même. Toutefois, nous avons quelques divergences sur les solutions à apporter.
À l’article 1er, qui concentrera l’essentiel des débats, vous préconisez l’extension des missions du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et du commerce, le FISAC, à l’aide à l’installation de distributeurs de billets dans les commerces, en zone blanche uniquement.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est une bonne idée !
M. Éric Gold. Cette proposition fait encore peser sur le budget de l’État, et sur les commerçants, les défaillances des banques, d’autant plus que la pérennité du FISAC est loin d’être assurée.
De notre côté, nous considérons que le fonds de maintien et de création de DAB doit être alimenté par les banques, via une fraction du produit de la taxe dite « emprunts toxiques », procédant d’une logique de responsabilisation sociale et territoriale des banques. Par ailleurs, un gage compenserait les conséquences financières qui résulteraient de la création de ce fonds.
S’agissant des initiatives comme le cashback ou les points relais, la limite demeure double : leur mise en place est subordonnée à une couverture numérique stable et à la bonne volonté des commerçants. Or, d’une part, ces derniers n’y sont pas nécessairement favorables, car ils seraient prélevés pour assurer un service bancaire et pallier le désengagement des établissements bancaires, et, d’autre part, ils ne sont pas ouverts en continu.
Enfin, la souplesse du dispositif permettrait une adaptation de la réponse en fonction des territoires. Les demandes seraient étudiées au cas par cas par le conseil de gestion du fonds, qui déterminerait le montant total de la subvention dans le temps, sur la base des règles de calcul précisées par décret.
Pour le reste, j’y reviendrai lors de la discussion des articles.
Comme je l’ai dit précédemment, il n’est pas question de nier ni de déplorer la dématérialisation croissante des moyens de paiement. Il est question de rappeler que celle-ci ne profite pas à tous, notamment en zone rurale, où la perte des services bancaires se fait particulièrement ressentir. Pour cette raison, et pour la réalisation concrète de l’égalité entre territoires, l’enjeu majeur de ces prochaines années demeure l’inclusion numérique.
Nous avons adopté il y a peu la proposition de loi, déposée par le groupe du RDSE, portant création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires et avons débattu de l’intégration, au sein de cette dernière, de l’Agence du numérique. Si nous souhaitons cette intégration au plus tôt, c’est précisément pour permettre une couverture numérique de tous les territoires dans les plus brefs délais.
Dans cette attente, la présence de distributeurs de billets demeure indispensable.
C’est pourquoi je soumets au débat parlementaire cette proposition de loi de transition, en espérant vivement que, demain, la couverture numérique de l’ensemble des territoires permettra à tous de bénéficier des mêmes outils de paiement et ne laissera personne, commerçant ou client, quels que soient leur lieu d’habitation et leur degré d’inclusion numérique, au bord du chemin. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Pierre Louault et Mme Nadia Sollogoub applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, Éric Gold a rappelé le cadre et les objectifs de sa démarche.
Je souscris à ses constats, car, quelles que soient les caractéristiques de nos territoires, nous sommes tous confrontés à une dévitalisation progressive. Pour autant, nous sommes convaincus qu’il n’y a pas de fatalité et qu’une action résolue et conjointe permettra d’enrayer ce phénomène.
La proposition de loi contient deux solutions complémentaires à chacun de ses deux premiers articles, le troisième étant classiquement dévolu au gage sur les tabacs.
L’article 1er prévoit la création d’un fonds dédié au maintien et à la création de distributeurs automatiques de billets dans les communes rurales.
L’article 2 étend la mission d’aménagement du territoire confiée à La Poste, en prévoyant que chacun de ses 17 000 points de contact doit comprendre un distributeur automatique de billets.
Cependant, juridiquement, le mécanisme proposé n’est pas opérant.
En effet, il est proposé la création d’un fonds ad hoc, financé essentiellement par l’affectation d’une part des ressources du fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant conclu des emprunts à risque. Or les ressources de ce fonds ont été calibrées afin de répondre aux demandes qui lui ont été soumises. Nous le savons tous, le fonds de soutien joue un rôle essentiel pour les collectivités concernées : il ne saurait être question de le réduire. La taxe qui l’abonde devrait être augmentée, ce qui n’est pas prévu par la proposition de loi.
Par ailleurs, l’abondement envisagé du fonds n’est juridiquement pas possible. Il s’agirait de prélever une fraction du produit de la taxe prévue à l’article 235 ter ZE bis du code général des impôts – en clair, de réaffecter une part de la taxe dévolue à la résorption des emprunts toxiques souscrits par les collectivités. Or l’article 36 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 précise que « l’affectation, totale ou partielle, à une autre personne morale d’une ressource établie au profit de l’État ne peut résulter que d’une disposition de la loi de finances. » Il est donc impossible, dans le cadre de la présente proposition de loi, de réaffecter une taxe déjà fléchée.
Les ressources du fonds dont la création nous est proposée ne sont donc pas assurées.
Éric Gold a rappelé qu’il nous revenait de répondre aux difficultés constatées dans les territoires et que notre débat résonnait particulièrement en cette semaine de Congrès des maires. Je partage son point de vue et j’ajoute qu’il nous appartient également de répondre concrètement à ces difficultés.
Je souhaite rappeler quelques éléments chiffrés concernant l’activité bancaire.
Notre pays compte plus de 56 000 distributeurs, répartis sur 14 000 communes. Depuis 2011, la baisse du nombre de retraits en espèces s’élève à 6 % : elle est supérieure à la diminution du nombre de DAB, qui est de 4,1 %. Parallèlement, les paiements par carte bancaire ont augmenté de 43 % ; ils représentent un volume de 10,5 milliards d’euros en 2017. Cette hausse résulte à la fois de coûts en baisse, permettant de payer par carte dès 1 euro, et d’une commodité accrue par le « sans contact », pour lequel le volume de paiements a été multiplié par cinq entre 2015 et 2017. Les paiements sans contact représentent désormais 10 % du volume de paiements par carte bancaire.
Actuellement, les 6 305 agences postales communales peuvent délivrer jusqu’à 350 euros en espèces par semaine et les 2 746 relais postes commerçants, jusqu’à 150 euros en espèces par semaine.
Certains établissements bancaires ont déjà signé plus de 4 000 conventions avec des commerçants pour qu’ils installent dans leurs locaux des distributeurs automatiques de billets.
Nous attendons la sortie du décret relatif au « cashback », qui permettra aux commerçants de délivrer des espèces à l’occasion d’une opération pour l’achat d’un bien ou d’un service.
L’implantation d’un distributeur automatique de billets coûte environ 90 000 euros et son entretien annuel, de l’ordre de 14 000 euros.
Pour autant, ces révolutions des usages posent des difficultés à certains de nos compatriotes, pour des raisons territoriales ou générationnelles. Une réponse immédiate est donc nécessaire pour assurer l’égal accès aux espèces pour tous.
Cette réponse n’impose toutefois pas de recourir uniquement aux DAB. Qui dit en effet distributeur automatique de billets dit également contraintes de sécurité des agents et du transport de fonds et exigences réglementaires renforcées.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai !
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteur. Lors des auditions que j’ai conduites, il m’a été indiqué qu’un groupe de travail sur l’accessibilité aux espèces avait récemment été mandaté par la Banque de France. Ce groupe de travail doit recenser l’offre d’accès aux espèces, tous canaux confondus, et définir les scénarios d’organisation de la distribution permettant de garantir l’accessibilité des espèces.
Ce travail est complexe, compte tenu de la multiplicité des modes d’accès aux espèces. Aux côtés des distributeurs automatiques de billets des établissements bancaires existent également des distributeurs dans des commerces – il s’agit des 4 000 points relais –, les services postaux et, sans doute dès la fin de cette année, le « cashback ».
C’est à partir de ces différents outils que le groupe de travail doit remettre une cartographie en janvier prochain. Ce diagnostic mettra en évidence les situations de défaillance. Il sera alors indispensable qu’acteurs publics et privés locaux définissent une solution, à partir de la palette d’outils que j’ai mentionnée. J’ai rencontré MM. Philippe Wahl et Rémy Weber, présidents respectifs de La Poste et de La Banque postale, qui m’ont assurée de leur volonté de combler les éventuels manques sur le territoire.
Je mets en garde, par ailleurs, sur l’effet pervers qu’engendrerait la constitution d’un fonds pour maintenir les DAB : il ne faudrait pas que les banques se mettent à exiger le recours à ce fonds pour rester sur nos territoires…
C’est pourquoi j’ai proposé, au nom d’une position pragmatique et réaliste, de pallier les situations de carence par un recours au FISAC. Ce recours serait réservé aux communes situées en zone blanche, car, pour les autres, le cashback doit apporter une réponse supplémentaire.
Mes chers collègues, je n’ignore pas l’avenir sombre promis au FISAC. C’est pourquoi je vous indique que la commission des finances du Sénat a adopté un amendement visant à conforter ses moyens en 2019 – les crédits qui lui sont alloués s’élèvent à 30 millions d’euros. L’adoption de cet amendement est indispensable : je vous invite à le voter en séance publique, le 30 novembre prochain.
Surtout, je considère que cet amendement répond aux deux exigences qui doivent guider nos travaux : identifier et relayer les problèmes constatés, et y apporter une réponse solide juridiquement.
J’en viens à l’article 2 de la proposition de loi et à l’extension de la mission d’aménagement du territoire de La Poste. Cette évolution ne me paraît pas souhaitable, car je ne suis pas certaine que tous les maires se réjouissent à l’idée d’installer un DAB dans leur agence postale communale. De surcroît, le jeu de la libre concurrence pourrait paradoxalement conduire La Poste à héberger des distributeurs automatiques de billets d’un établissement bancaire concurrent de La Banque postale ! Je rappelle que, contrairement à La Poste, La Banque postale n’a pas de mission de service public.
Je proposerai donc au Sénat de ne pas adopter l’article 2, car il me paraît dangereux d’alourdir les engagements de La Poste.
Mes chers collègues, nous allons débattre valablement de cette proposition de loi. Je souhaite que nous trouvions, ensemble, des réponses concrètes et adaptées. Je remercie Éric Gold et les membres du groupe du RDSE pour l’esprit constructif dont ils ont fait preuve tout au long de nos travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Éric Gold applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la présidente, monsieur le sénateur Éric Gold, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre les déséquilibres au sein de nos territoires est une préoccupation centrale du Gouvernement.
Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement a voulu conduire une action globale, transversale et mieux coordonnée en matière de cohésion territoriale et de cohésion sociale.
Je n’en citerai que quelques exemples, qui sont bien connus des membres de cette assemblée : le programme « Action cœur de ville », par lequel 222 villes moyennes vont conclure un contrat de partenariat avec l’État et ses partenaires privés et publics pour la rénovation de leurs cœurs de ville ; le déploiement du numérique dans les territoires, grâce au plan France Très haut débit, pour permettre un accès au haut débit de qualité dans tous les territoires d’ici à 2020 et leur couverture en très haut débit d’ici à 2022 ; une mutualisation, grâce à la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, ou loi ÉLAN, de l’action des acteurs du secteur du logement social, qui seront regroupés en fonction des besoins des territoires.
La cohésion des territoires, c’est aussi et avant tout l’accès aux services de base dans les régions moins urbanisées, comme cela a été souligné.
Je pense à la couverture en téléphonie mobile de qualité, qui sera généralisée dans les cinq prochaines années grâce à l’accord historique signé par les opérateurs de téléphonie mobile en janvier dernier.
Mais c’est aussi, et l’auteur de la proposition de loi a raison de le souligner, l’accès aux services bancaires, notamment l’accès aux espèces et aux moyens de paiement.
Certes, les paiements dématérialisés se développent : ils ont vocation à représenter une part croissante des transactions. Mais les Français sont encore attachés aux moyens de paiement traditionnels que constituent les chèques ou les espèces.
Permettre l’accès de tous aux espèces, y compris dans les territoires ruraux, est donc un objectif tout à fait légitime. Au reste, il me semble compatible avec le souhait du Gouvernement de créer le meilleur écosystème possible pour développer des solutions de paiement innovantes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de rappeler quelques éléments factuels sur la couverture de notre territoire en services bancaires, notamment en matière de fourniture d’espèces.
Alors que les espèces connaissent un recul progressif sur le plan du nombre de transactions réalisées, la France dispose toujours d’un maillage de distributeurs dense et de bonne qualité, avec environ 56 650 machines sur notre territoire.
Selon la Banque de France, 87 % des habitants vivent à moins de cinq kilomètres d’un distributeur automatique de billets, et 98 % à moins de dix kilomètres. Le cas extrême, celui d’une commune située à plus de vingt kilomètres d’un distributeur, concerne 0,1 % de la population française, principalement dans les territoires reculés des Alpes ou de Corse.
Il est vrai, comme Éric Gold l’a souligné, que certaines banques ont entrepris de réduire le nombre de distributeurs. Mais il s’agit le plus souvent d’une rationalisation en zone urbaine, et ce n’est pas le choix de toutes les banques.
Surtout, de nombreuses initiatives existent déjà pour favoriser un meilleur accès des territoires ruraux aux espèces, en complément des distributeurs automatiques de billets ou des guichets de banque sur nos territoires.
Je pense, par exemple, aux points relais, qui permettent aux clients d’une banque de retirer des espèces auprès d’un commerçant, lequel agit comme agent bancaire par le biais d’une convention.
Le développement de services bancaires proposés par les buralistes est également un exemple de l’inventivité des acteurs privés pour répondre aux besoins des citoyens. En l’occurrence, ces derniers peuvent ouvrir un compte bancaire auprès des buralistes qui le proposent.
Du côté public, La Banque postale est un acteur majeur au service des populations rurales les plus isolées.
Je rappelle que La Poste est chargée par la loi d’une mission de service public de contribution à l’aménagement du territoire, qui impose la présence d’au moins 17 000 points de contact sur l’ensemble du territoire. À ce titre, La Poste maintient, au-delà de ses besoins commerciaux, un réseau de points de contact dans les zones rurales et de montagne, les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les départements d’outre-mer. Ces points de contact offrent un accès aux services financiers et au retrait d’espèces.
La Banque postale dispose à ce jour d’un maillage robuste de distributeurs automatiques de billets : ces derniers sont près de 8 000, implantés dans près de 3 000 communes ou arrondissements de communes, dont 1 260 dans les communes rurales, en zone de montagne ou de revitalisation rurale.
Un Fonds postal national de péréquation territoriale, alimenté chaque année, pour la période 2017-2019, à hauteur de 174 millions d’euros par des abattements de fiscalité locale, permet notamment de financer le maintien de ce réseau.
Ainsi, si je partage pleinement le souhait de garantir une accessibilité aux services bancaires de base pour tous nos concitoyens, y compris et surtout dans les territoires ruraux, je recommanderai volontiers d’affiner le diagnostic, de manière à prendre les meilleures décisions sur le sujet.
Par ailleurs, les mesures figurant dans cette proposition de loi pourraient soulever de nombreuses difficultés sans réellement répondre au problème de desserte en espèces des territoires.
L’article 1er de la proposition de loi prévoit de créer un fonds dédié au maintien et à la création de distributeurs automatiques de billets dans les communes rurales, qui pourrait être alimenté et géré par la Caisse des dépôts et consignations.
Il me semble que cette disposition pose plusieurs problèmes.
Pour les banques qui possèdent déjà des distributeurs en zone rurale, ce dispositif de subvention créera un important d’effet d’aubaine. Il paraît très difficile de discriminer cette aide pour l’attribuer aux distributeurs non rentables, car il est délicat de distinguer les distributeurs rentables de ceux qui ne le sont pas, sans compter que des distributeurs non rentables peuvent néanmoins avoir un intérêt commercial pour les banques. Cela dépend en effet de leur politique commerciale.
Dans les zones qui ne disposent pas d’un accès aisé aux espèces, il n’est pas sûr que l’installation d’un DAB offre la solution la plus pertinente. C’est notamment le cas lorsqu’aucune banque n’est solidement implantée dans ce territoire, qui ne trouvera aucun intérêt à investir dans des équipements déconnectés de sa stratégie commerciale.
D’autres moyens pour favoriser l’accès aux espèces pourraient être privilégiés. On peut par exemple faire appel au réseau des commerçants en place via des dispositifs de « points verts » ou via la nouvelle pratique du cashback que vous avez évoquée.
Au-delà de ces difficultés pratiques, ce dispositif pose en outre une importante difficulté juridique, notamment au regard du droit européen en matière d’aides d’État. Les ressources de ce fonds, en partie publiques, pourraient constituer une aide aux banques non conforme aux traités européens.
De même, le fait que la loi confie, de manière unilatérale, la gestion d’un fonds à la Caisse des dépôts et consignations pourrait se révéler fragile du point de vue du droit de la commande publique. La gestion d’un fonds peut en effet s’analyser comme une prestation de services, qui doit donner lieu à une passation de contrat selon les règles du code des marchés publics.
Enfin, j’émets des réserves sur la viabilité du dispositif au regard du droit budgétaire.
Je souhaite ainsi rappeler qu’il n’est pas possible de mobiliser l’affectation d’une fraction du produit de la taxe prévue à l’article 235 ter ZE bis du code général des impôts. Jusqu’en 2028, le produit de cette taxe est en effet affecté au fonds de soutien destiné à désensibiliser les emprunts à risque des collectivités locales.
Par ailleurs, une telle mesure, qui serait de nature à créer de nouvelles charges non compensées pour l’État, ne pourrait figurer que dans une loi de finances.
En outre, la contribution éventuelle de la Caisse des dépôts et consignations ne pourrait résulter que d’une décision de cette institution, sauf à ce que le législateur choisisse de créer une charge non compensée pour la Caisse des dépôts et consignations.
Enfin, le dispositif de l’article 2, qui prévoit d’étendre la portée des obligations que la loi impose déjà à La Poste dans le cadre de sa mission d’accessibilité, aurait des effets déstabilisateurs pour les équilibres économiques de ce groupe, alors même que cette entreprise prend déjà plus que sa part de l’effort pour contribuer à la disponibilité des services bancaires partout sur le territoire.
M. Jean-François Husson. Bref, c’est un vrai sujet, mais il n’y a pas de solution !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Des mesures opérantes sont envisageables pour assurer la bonne desserte de nos territoires en espèces et autres moyens de paiement, et le Gouvernement est déterminé à avancer dans cette voie.
Premièrement, il me semble prioritaire d’affiner notre diagnostic pour mieux cibler notre action.
Comme vous l’avez noté, la Banque de France a engagé une cartographie de la desserte en espèces sur le territoire national. Ce travail de diagnostic nous permettra d’identifier précisément les zones où notre attention doit se porter prioritairement. Plus largement, nous suivons de près les évolutions de la filière des paiements pour continuer à garantir la disponibilité des espèces partout sur le territoire.
Deuxièmement, il est indispensable de diversifier notre palette d’outils pour permettre une couverture aussi large et efficiente que possible du territoire en solutions de paiement.
C’est à cet effet que le Gouvernement vous a proposé, lors de l’examen du projet de loi ratifiant l’ordonnance portant transposition de la directive concernant les services de paiement dans le marché intérieur, dite « DSP 2 », d’autoriser la faculté d’utiliser le cashback, le « rendu d’espèces » en français. Cette pratique existe chez la plupart de nos voisins. Son principe est très simple : après avoir acheté 10 euros de courses, vous demandez à payer 30 euros et le commerçant vous rend alors 20 euros en espèces. Cet usage revient à effectuer un retrait d’espèces.
Ce service présente de nombreux avantages pour répondre concrètement à la préoccupation qui motive les auteurs de la proposition de loi, à savoir l’isolement des territoires les plus reculés.
Ce nouveau service offre également aux commerçants un moyen de gérer plus efficacement les encours en caisse. Les associations de commerçants ont unanimement souligné leur intérêt pour un tel service. Le décret d’application sera pris avant la fin de l’année, et je ne peux qu’encourager les citoyens et les commerçants à s’en saisir.
Vous avez voté une base législative pour la mise en œuvre de la pratique du cashback en juillet dernier, et je ne peux que m’en féliciter. Je sais qu’il s’agit d’une proposition à laquelle les élus locaux que vous êtes sont très attachés. Nous l’avons vu au premier semestre, à l’occasion des débats sur la transposition de cette directive.
Le Gouvernement finalise actuellement la publication des textes d’application qui permettront le déploiement très rapide de cette solution d’accès aux espèces. Je note que certaines enseignes de la grande distribution ont d’ores et déjà lancé leur offre sur le fondement des dispositions législatives que vous avez votées.
Il existe une autre piste importante que nous devons poursuivre : le développement de solutions de paiement dématérialisées.
Je rappelle que nous avons fortement progressé dans l’équipement des commerces en terminaux de carte bancaire. En France, plus de la moitié des transactions scripturales sont d’ores et déjà réalisées par carte, proportion supérieure à celle des paiements par carte dans la moyenne de l’Union européenne. Ce mouvement est appelé à se poursuivre.
Le paiement sans contact connaît un véritable essor et offre une solution aisée pour le paiement de dépenses de la vie quotidienne d’un montant limité. Nous avons l’ambition d’aller plus loin dans le développement de ces technologies qui facilitent la vie de nos concitoyens et ne sont nullement réservées aux seuls citadins.
Le développement du paiement en ligne ou du paiement par le biais de virements instantanés est également prometteur. Grâce au plan très haut débit et aux engagements du Gouvernement en faveur d’une couverture de téléphonie mobile de qualité, nous nous donnons les moyens de rendre ces technologies innovantes accessibles sur l’ensemble du territoire.
Enfin, le Gouvernement souhaite rappeler son attachement à la pérennisation de la mission d’accessibilité bancaire de la Banque postale sur tout le territoire. J’ai échangé ce matin même avec Philippe Wahl, président-directeur général de La Poste, qui m’a affirmé son engagement constant en faveur de cette mission.
Les engagements réciproques de l’État et de La Poste pour les quatre missions de service public qui sont confiées à cette dernière – service universel postal, contribution à l’aménagement du territoire, transports et distribution de la presse, accessibilité bancaire – font l’objet d’un contrat d’entreprise.
Je réunirai vendredi prochain le comité de suivi de haut niveau de ce contrat d’entreprise avec l’ensemble des parties prenantes, dont le PDG de La Poste et les sénateurs Yvon Collin et Patrick Chaize. Nous aborderons à cette occasion la question du rôle de La Poste et de la Banque postale en faveur de l’accessibilité et de l’inclusion bancaires, puisqu’il s’agit de la thématique qui a été retenue pour cette réunion.
Nous demeurerons très vigilants sur ce point dans le cadre du projet de rapprochement entre la Caisse des dépôts et consignations et la Banque postale, rapprochement proposé par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, dit PACTE, qui sera prochainement examiné dans cet hémicycle.
Au-delà de la création d’un grand pôle financier public, le rapprochement de La Poste avec la Caisse des dépôts et consignations permettra à ces deux groupes de combiner leurs forces pour assurer leur mission de service public en matière d’aménagement du territoire, ainsi que leurs interventions pour le développement économique territorial.
Aussi, vous l’avez compris, je ne serai pas en mesure de donner un avis favorable à la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
Je propose en revanche de substituer au dispositif prévu à l’article 1er la conduite d’un diagnostic approfondi, qui prendrait la forme d’un rapport du Gouvernement (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)…
M. François Bonhomme. Un rapport !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. … portant sur la couverture effective du territoire en solutions de paiement et d’accès aux espèces, et qui ferait le point sur la mise en œuvre des différentes réponses que j’ai évoquées.
Tel est le sens de l’amendement que je déposerai à l’article 1er.
Nous apporterons par ailleurs notre soutien aux amendements de suppression des articles 2 et 3.
M. François Bonhomme. Quelle fertilité !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. En conclusion, je veux rappeler l’importance pour le Gouvernement de la question de l’accessibilité des moyens de paiement et vous proposer d’approfondir nos travaux sur ce sujet que vous avez – à juste titre – mis à l’ordre du jour, même si cela doit passer par des moyens différents de ceux qui figurent dans ce texte.
M. Jean-François Husson. Bon sujet, mauvaise réponse !
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous le savons tous, l’ADN de la France est étroitement lié aux espaces ruraux et à la ruralité, tant sur le plan de sa géographie que de son histoire. La ruralité, ce sont de nombreuses petites communes qui présentent des situations très diverses, mais qui doivent toutes faire face à de nouveaux défis pour maintenir leur population et surtout leur activité économique.
La revitalisation des centres-bourgs est un sujet fondamental sur lequel la puissance publique doit se pencher plus que jamais aujourd’hui, comme le Sénat l’a récemment fait pour enrayer la désertification des territoires ruraux.
Cela doit passer par de nombreuses actions : faire disparaître les zones blanches en assurant l’égalité numérique de tous les territoires, maintenir et développer les réseaux de transport en commun, lutter contre les déserts médicaux en développant les maisons de santé pluridisciplinaires, préserver les dotations des communes rurales pour leur permettre d’investir dans des projets structurants, maintenir des services publics ouverts pour répondre aux demandes des usagers, inciter les entreprises et les artisans à s’installer dans les zones rurales.
Lutter contre la désertification des territoires ruraux passe aussi par le maintien de commerces de proximité, véritables acteurs du maillage territorial et du dynamisme de la ruralité. Pour les préserver, des politiques publiques incitatives peuvent et doivent être mises en place. La lutte contre la désertification bancaire en fait partie.
En effet, la disparition des agences bancaires en zone rurale marque l’accélération de cette désertification. Cette tendance trouve sa source à la croisée de plusieurs phénomènes.
Tout d’abord, nombreux sont les clients qui fréquentent de moins en moins leur agence, notamment avec le développement des services en ligne.
Or le déplacement qu’un client est prêt à effectuer est d’autant plus long que ses besoins sont importants. On parle de « proximité graduée ». En fait, s’il s’agit d’un besoin de liquidité, le client attend une réponse au plus près de chez lui, s’il s’agit en revanche de besoins plus complexes, comme un conseil patrimonial, il n’hésitera pas à faire quelques kilomètres, voire une plus longue distance encore.
Dans ce contexte, les agences bancaires font le choix de se recentrer sur les zones urbaines, puisqu’elles considèrent que la proximité géographique n’est plus nécessaire.
Clairement, les petites villes sont directement affectées par les conséquences du phénomène de raréfaction, voire de disparition des distributeurs automatiques de billets. La Banque centrale européenne estime que, entre 2008 et 2014, la France a perdu plus de 1 100 agences, soit une diminution de 2,8 % de son parc. Notre pays est passé sous la barre des 37 000 agences en 2016. Sia Partners prévoit que les banques passeront même à 34 000 agences en 2020.
Pour autant, la France enregistre le plus faible taux de décroissance du nombre de ses agences bancaires comparé à l’ensemble des pays européens, alors même que la densité de leur réseau bancaire était très inférieure à celle de la France.
Les banques mutualistes ont une emprise locale forte et garantissent une proximité avec leurs clients locaux et les pouvoirs publics. Cette présence est un avantage contre la désertification et le redimensionnement bancaires. En effet, il est difficile de fermer des agences dans une commune lorsque ces banques financent la communauté de communes, le conseil départemental ou le conseil régional. Ces banques mutualistes constituent une particularité française, leur présence explique peut-être pourquoi nous subissons moins que les autres cette désertification.
Cependant, la baisse de fréquentation que l’on constate dans ces petites agences, leur coût de fonctionnement et les contraintes qui leur incombent pousseront également les banques mutualistes à fermer certaines d’entre elles.
Ces raisons font de la Banque postale un acteur de poids qui pourrait changer la donne. La Banque postale porte une part importante des coûts du réseau des bureaux de poste. Elle compte plus de 17 000 points de vente, soit le double de ceux des banques LCL, Société générale et BNP Paribas réunies. Une réduction du maillage de cette banque aurait donc un effet très significatif sur le nombre total d’agences en France.
Nombre de communes se trouvent confrontées à cette situation, qui suscite beaucoup d’incompréhension. Une fois encore, les élus locaux sont sollicités pour tenter de résoudre des problèmes qui ne sont pas de leur ressort, mais qui ont un fort impact sur la vitalité des centres-bourgs.
À l’heure où les usages automobiles sont remis en cause, est-il cohérent de pousser les habitants à se rendre dans les villes moyennes pour s’approvisionner en liquidités ? Est-il normal que les maires des petites communes soient sollicités pour financer le maintien d’un DAB dans leur ville ? Je discutais aujourd’hui encore avec des maires qui m’expliquaient qu’on leur avait demandé d’installer un DAB dans leur commune à leurs frais, soit 15 000 euros ! Il s’agit pourtant de toutes petites communes : est-ce normal ? Il faut manifestement les aider. Dans les villages, en effet, la majorité des achats se font en liquide dans les petits commerces et sur les marchés locaux.
S’il existe aujourd’hui des alternatives aux DAB,…
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Joël Guerriau. … comme la technique du cashback ou du paiement sans contact, celles-ci représentent un investissement que tous les petits commerces ne peuvent pas se permettre. Une directive européenne sur les services de paiement est d’ailleurs entrée en vigueur cette année, mais demeure encore peu pratiquée.
Nous pensons que cette proposition de loi est de bon aloi. C’est donc avec enthousiasme que notre groupe soutiendra le texte de notre collègue Éric Gold ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain – Mme Françoise Gatel et M. René Danesi applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, 92 % des Français plébiscitent aujourd’hui la carte bancaire pour leurs achats quotidiens. Le déclin du nombre de retraits par carte aux distributeurs depuis dix ans en est la conséquence directe. Pour les banques, maintenir un automate en activité n’est rentable que si celui-ci est utilisé.
La proposition de loi que nous examinons entend pérenniser la présence de distributeurs automatiques de billets dans les communes victimes de désertification bancaire.
Il s’agit d’une désertification qui se traduit souvent, comme l’explique d’ailleurs le texte de nos collègues, par une baisse du chiffre d’affaires des commerces locaux, voire une fermeture de ces commerces au profit des grandes surfaces en périphérie et du commerce sur internet.
Si nous partageons ce constat, nous divergeons sur les moyens à mettre en œuvre pour répondre à cette question.
Il aurait été opportun, me semble-t-il, que cette proposition de loi soit plus précise sur les différentes causes à l’origine de la diminution du nombre de DAB dans l’Hexagone ainsi, d’ailleurs, que dans le reste de la zone euro. J’ai déjà évoqué la diminution du nombre des retraits bancaires. Je pourrais aussi parler de la digitalisation de l’activité bancaire sur internet et via des applications mobiles.
L’usage croissant de la carte bancaire rend également les pièces et les billets plus rares dans les porte-monnaie, surtout depuis l’arrivée du paiement sans contact et de l’abaissement progressif du seuil d’acceptation de la carte bancaire par les commerçants, qui est désormais de 1 euro.
En outre, les banques proposent ou expérimentent désormais des partenariats avec des magasins pour permettre à leurs clients d’avoir accès au cash sans avoir besoin d’un automate.
Je citerai en exemple le Compte-Nickel, proposé par 3 800 buralistes, ou encore le cashback, service de retrait d’argent liquide à la caisse des magasins, légalisé en France depuis la loi du 3 août dernier.
En définitive, il ressort de ces observations que les moyens de paiement sont plus diversifiés que par le passé et ne reposent plus uniquement sur le réseau bancaire.
Il n’en demeure pas moins que l’utilisation des espèces demeure essentielle, en particulier pour certaines transactions quotidiennes et de proximité. Ajoutons que les nouveaux usages ne concernent pas l’ensemble de la population : pour certains de nos concitoyens peu familiers des usages digitaux, le recours aux espèces reste vital.
Quelles solutions peut-on dès lors envisager pour garantir la délivrance d’espèces sur tout le territoire ?
Plutôt que de subventionner les communes pour qu’elles conservent ou créent leurs DAB, comme le suggèrent les auteurs de cette proposition de loi, nous soutenons la proposition de la rapporteur Sylvie Vermeillet visant à financer par le FISAC, dont le Sénat propose le rétablissement des crédits, l’installation de DAB dans les commerces de proximité situés dans les communes non couvertes par un réseau de radiocommunication mobile.
Dans ces communes, les terminaux de paiement par carte bancaire ne peuvent pas fonctionner correctement, ce qui exclut le recours au cashback, d’où l’importance de prévoir un accès aux espèces pour les habitants qui y vivent.
L’instauration d’un critère de distance minimale des bureaux de La Poste comportant un DAB, prévue à l’article 2, nous semble compliquée à mettre en œuvre, car elle soulève d’importantes difficultés techniques, pratiques, juridiques, voire des difficultés en termes de sécurité.
D’abord, La Poste assure déjà un service de mise à disposition d’espèces dans ses différents points de contact, qui suffisent à couvrir les besoins quotidiens.
Ensuite, une extension de la mission d’aménagement du territoire assurée par La Poste nécessiterait de prévoir une compensation complémentaire, soumise au cadre européen relatif aux aides d’État, dont le principe actuel a été validé en avril dernier par la Commission européenne, et ce jusqu’en 2022. Compléter cette mission reviendrait donc à ouvrir la boîte de Pandore et à remettre en cause la sécurisation juridique de cette compensation.
Enfin, cette compensation consiste en un allégement de fiscalité locale, non compensé par l’État. Le dispositif proposé serait donc supporté par les collectivités territoriales, alors que celles-ci ont déjà du mal à faire face à leurs obligations en raison du désengagement financier de l’État.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera cette proposition de loi telle qu’elle a été modifiée par Mme la rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux est un objectif que nous partageons tous dans cet hémicycle.
Aujourd’hui, quel est le constat ? Éric Gold et les membres du groupe du RDSE déplorent – à juste titre – les multiples fermetures de distributeurs automatiques de billets en zone rurale.
Plusieurs raisons expliquent ce recul.
Les banques avancent notamment que les coûts de gestion et de sécurité sont trop élevés. Il en résulte un coût social et économique lui-même élevé pour les résidents de ces zones, ainsi que pour les communes désertées en tant que telles, avec les conséquences que l’on connaît pour leur attractivité.
Aujourd’hui, le contexte dans lequel s’inscrit cette problématique est bien celui d’une révolution des usages bancaires, avec l’essor de nouvelles technologies et un recours plus fréquent à la carte pour des achats directs, comme le paiement sans contact.
C’est pourquoi ce phénomène dépasse largement nos frontières. Je donnerai deux exemples : en trois ans, plus de 2 800 agences bancaires ont fermé outre-Manche – 60 agences par mois – affectant 2,7 millions de personnes. En Franconie, région située au nord de la Bavière, la Sparkasse a lancé en 2015 un concept d’agence itinérante, afin de maintenir un service de proximité.
Il est clair que les équipements bancaires, quels qu’ils soient, leur présence même ou leur maintien en état de bon fonctionnement participent de la vitalité économique des centres-bourgs.
Cette question nous anime évidemment et continûment ici au Sénat, car cette désertification fait courir plusieurs risques.
Une partie des usagers fera le choix d’une consommation extérieure à leur lieu de résidence, et ce pour des consommations courantes qui auraient pu rester locales. Ce sont les grandes surfaces en périphérie et en entrée de ville qui en bénéficieront alors, ou les acteurs du e-commerce.
Autre risque : une partie des clients, ceux-là mêmes pour lesquels les déplacements sont rendus difficiles ou impossibles du fait de leur âge, par exemple, se sentiront légitimement marginalisés en raison d’un accès limité à ce type de service.
C’est pourquoi le texte que vous défendez aujourd’hui dans l’hémicycle vise à maintenir ou à créer ces distributeurs dans les communes qui souffrent de ce que vous appelez la « désertification bancaire ».
Afin de renforcer le maillage territorial des bureaux postaux avec les DAB, il est envisagé de créer un fonds spécial géré par la Caisse des dépôts et consignations, ciblé sur les territoires les plus en difficulté, c’est-à-dire les territoires dont les populations sont peu familières avec les nouveaux usages ou ceux dont la couverture numérique n’est pas assurée.
La proposition de loi fixe aussi un critère de distance minimale des bureaux de La Poste comportant un distributeur automatique de billets.
Derrière ce dispositif se pose la question, qui ne se limite pas aux DAB, du recours aux espèces et de leur disponibilité.
Alors que l’utilisation de la monnaie demeure encore essentielle, ce texte nous donne l’occasion de débattre – et c’est important – des conditions d’accès aux espèces, notamment des accès alternatifs. Il existe ainsi un accès auprès des commerçants dans le cadre de ce que l’on appelle les points relais ; il existe également un accès par la délivrance d’espèces à l’occasion d’une opération de paiement pour l’achat de biens et services, connue sous le terme de cashback. Celle-ci est désormais prévue par le code monétaire et financier. Il faudra mesurer l’impact de cette mesure dans les territoires les moins bien pourvus.
Enfin, nous sommes sensibles aux arguments de Mme la rapporteur. En premier lieu, le risque existe qu’un décalage se crée entre la solution globale proposée et les multiples réalités locales existantes, justement en fonction des pratiques ou des dispositifs alternatifs existants ou à venir ; en second lieu, le risque existe d’un désengagement des opérateurs privés du maillage territorial en distributeurs automatiques de billets. Cette substitution doit rester l’exception.
Le comité de pilotage de la filière fiduciaire, animé par la Banque de France, a mandaté un groupe de travail sur l’accessibilité aux espèces. Celui-ci devrait rendre ses conclusions d’ici peu, notamment sur la détermination des territoires les plus affectés par ces difficultés.
Ce constat exhaustif et fiable des situations de défaillance avérée dans l’accès aux espèces sera important, afin de déterminer les critères géographiques, démographiques ou économiques, qui pourraient déclencher l’éventuel octroi d’une aide.
Si le groupe La République En Marche salue la problématique exposée ici par le groupe du RDSE,…
M. François Bonhomme. Il est trop bon !
Mme Françoise Cartron. … il sera attentif aux débats de cet après-midi avant de se prononcer en toute lucidité sur cette question. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de regretter que le Président de la République n’ait pas cru nécessaire de devoir tenir sa promesse de visiter le Congrès des maires de France cette semaine (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.),…
M. Philippe Dallier. Oui !
M. François Bonhomme. Bravo !
M. Éric Bocquet. … alors même que les maires sont particulièrement sensibles aux questions qui intéressent le Sénat cet après-midi.
Évidemment, le débat qui nous occupe aujourd’hui présente un lien assez étroit avec les préoccupations exprimées par nombre de nos collègues élus locaux à l’occasion de ce congrès.
Le sujet qui nous intéresse est pour le moins important. Une partie de la France doit-elle, dans les faits, être privée d’entrer dans le XXIe siècle ? Les établissements de crédit agréés n’ont-ils pas quelques missions de service public et d’aménagement du territoire à accomplir ? L’accessibilité bancaire est-elle un mythe et un rêve quasi inaccessible ?
Ces questions sont au cœur de la proposition de loi déposée par notre collègue Éric Gold, que nous ne pouvons évidemment que soutenir par principe, et qui mérite analyse.
Ce que soulignent les auteurs de ce texte, et qui dépasse largement la question de la présence physique des distributeurs automatiques de billets de banque, c’est qu’une large partie du territoire national n’est, encore une fois, pas placée dans les meilleures conditions pour participer à la vie sociale et économique du pays.
Cette France rurale, « périphérique » dit-on aujourd’hui, de moins en moins tournée vers l’agriculture et de plus en plus transformée en villégiature pour ménages de salariés des grandes agglomérations, nous la connaissons tous très bien.
Je suis moi-même élu d’une petite commune du Nord, dont la population a pourtant crû de près d’un tiers en vingt ans. J’ai été confronté, comme beaucoup d’entre vous, au refus obstiné des établissements financiers, à commencer par La Poste, d’améliorer leur qualité de service dans ma commune. Celle-ci se situe pourtant dans le périmètre de la métropole européenne de Lille.
Notre collègue Éric Gold, dans sa communauté de communes proche de Clermont-Ferrand, sait très bien lui aussi ce que signifie cette lente et sûre progression de sa population. Cela veut dire que l’étalement urbain progresse et que, de manière diffuse, émergent des territoires de plus en plus liés à l’agglomération principale la plus proche, sans pour autant que ceux-ci puissent disposer des réponses en termes de service public que réclame cette évolution.
Nous ne pouvons accepter une telle situation dans notre République, car elle met en cause l’égalité entre les territoires, lesquels sont les victimes d’une version abrupte de la concurrence libre et non faussée qui exclut ainsi, peu à peu, les lieux et les habitants de la périphérie pour ne s’intéresser qu’aux positions centrales.
Le mode de résolution du problème qui est prévu par la proposition de loi est-il le plus efficient ? Nous allons en débattre, mais nous pouvons cependant en douter.
Le rapport l’évoque d’ailleurs clairement, puisqu’il souligne le caractère systémique de l’inégalité bancaire. Il rappelle également la position de la Cour des comptes selon laquelle « la question de la disponibilité des services bancaires sur le territoire et de l’inégal accès à ces services doit être examinée au regard de la diminution des services de guichet. […] Seule La Banque postale, en raison des contraintes de présence territoriale imposées à La Poste, fait figure d’exception ».
La Banque postale, justement : cela fait quelque temps que La Poste est, de manière historique, l’opérateur de référence pour l’accessibilité bancaire, tenu de permettre à toute personne qui le souhaite d’ouvrir un compte d’épargne ou un compte chèque. En foi de quoi, sur présentation du compte retraçant ces obligations de service public, La Poste se trouve ainsi rémunérée.
Mais les banques ordinaires dans tout cela ? N’ont-elles aucune obligation ? Ne sont-elles pas obligées de participer aux missions de service public, de prendre en compte l’aménagement du territoire ?
Au fond, mes chers collègues, la question est la suivante : faut-il vraiment laisser au seul marché le soin d’aménager le territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui exige que nous jouions cartes sur table.
Côté face, nous devons prendre en compte certaines réalités, qu’on le veuille ou non : les distributeurs automatiques sont de moins en moins utilisés par nos concitoyens. Confrontés à l’utilisation massive des cartes bancaires, les distributeurs automatiques ne font plus autant recette. Selon le groupement d’intérêt économique des cartes bancaires, il y aurait 68 millions de cartes bancaires en circulation en France en 2017, à l’origine de 564 milliards d’euros de transactions, ce qui souligne l’attractivité de ce mode de paiement pour les Français.
Côté pile, le paiement en espèce ne perd pas pour autant la face !
Selon l’étude de la Banque centrale européenne publiée en novembre 2017, les espèces restent le type de paiement le plus populaire chez les commerçants, qui n’ont, d’ailleurs, pas d’autres choix que de les accepter. Elles représentent 79 % du nombre total des achats réalisés en magasin et 54 % de la valeur de ces paiements.
Bien qu’exprimant une préférence pour les paiements par carte, les Français réalisent deux tiers de leurs transactions en magasin en espèces. Il s’agit principalement d’achats d’un faible montant, ce qui confirme le rôle des espèces, en France, dans le règlement des petits achats du quotidien.
Or, face à la digitalisation du secteur bancaire, avec l’essor des comptes et des services en ligne, l’utilisation des téléphones portables pour effectuer des paiements, les banques sont de plus en plus nombreuses à procéder à la fermeture d’agences et, par conséquent, de distributeurs automatiques, rendant ainsi difficile l’accès aux espèces, moyen de paiement préféré des consommateurs français.
C’est, d’ailleurs, sous l’angle de l’accès aux espèces que cette proposition de loi rédigée par notre collègue Éric Gold aborde la question de la désertification bancaire.
Si l’ensemble du territoire est impacté par ces fermetures successives de distributeurs automatiques, il existe d’importantes inégalités entre le monde rural et les grandes villes. Il y a une surdensification dans les métropoles régionales ou, encore, à Paris. On constate ainsi un déséquilibre de l’offre bancaire, qui touche en priorité les personnes les moins riches, les aînés et le monde rural.
À titre d’exemple, dans la Nièvre, les migrations contribuent à accentuer le vieillissement structurel du département : les seniors sont plus nombreux à s’installer qu’à partir, et inversement pour les jeunes. Ce département, tout comme les autres territoires ruraux, doit faire face à des populations de plus en plus vieillissantes.
Même si ces dernières ne sont pas nécessairement réticentes à l’évolution des modalités de paiement, des habitudes se sont créées, et une part importante de la population a besoin d’espèces.
Les habitants des campagnes, des bourgs et des petites villes ont aujourd’hui accès à un nombre toujours plus faible de distributeurs automatiques de billets. Cela les oblige à parcourir plusieurs kilomètres pour retirer de l’argent. Ils peuvent également se trouver confrontés à l’hostilité des commerçants, qui refusent parfois la carte bancaire pour des raisons économiques liées au coût du matériel et aux commissions prélevées.
Face à cette désertification bancaire, des initiatives existent et ont été renforcées – elles ont été rappelées par de précédents orateurs. Nous avons par exemple ratifié, en juillet dernier, la directive européenne sur les services de paiement, qui concerne le cashback.
Dans les zones rurales, particulièrement, lorsque l’accès aux espèces est de plus en plus compliqué, le commerçant a la possibilité de distribuer manuellement des espèces. Ces opérations permettent, d’une part, de remettre les espèces au cœur de la stratégie des petits commerçants, en tissant du lien social entre les consommateurs et les commerçants, et, d’autre part, de redynamiser le commerce de proximité, ainsi que les centres-villes.
Cependant, le cashback n’est qu’une solution pour lutter contre l’absence de distributeur ; il ne peut combler le manque à lui tout seul.
Les distributeurs automatiques de billets sont indispensables aux petites communes rurales. C’est un service à la population qui participe à la sauvegarde du commerce local, pour lequel tous les élus se mobilisent chaque jour.
Il s’agit là d’un enjeu lié à l’aménagement du territoire, comme on l’évoque régulièrement au sein de cette assemblée. Récemment encore, nous avons adopté à l’unanimité la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs de nos collègues Martial Bourquin et Rémy Pointereau.
Les Français eux-mêmes sont inquiets de ce déclin des centres-villes. Une enquête réalisée par l’institut CSA, en juin dernier, auprès d’un millier de Français, montre que sept Français sur dix sont préoccupés par cette désertification. Nos cœurs de ville et de bourg meurent ; plus de 700 villes se trouvent en grande difficulté, tout comme plusieurs centaines de bourgs, pôles de centralité.
Le plan gouvernemental « Action cœur de ville », lancé en mars 2018, est une première étape, qui permettra à quelque 200 villes de bénéficier d’une convention de revitalisation de leur centre. Mais le chemin est encore long pour redonner de l’attractivité à nos départements ruraux.
Les maires et, plus largement, les élus locaux peinent à maintenir la présence des services publics, ainsi que des commerces de proximité. Beaucoup vous diront même que conserver un distributeur automatique de billets en milieu rural s’apparente, parfois, à un combat de haute lutte en termes de négociation avec les établissements bancaires.
Cette question soulève – vous l’aurez compris, mes chers collègues – d’autres problématiques, très prégnantes dans nos territoires ruraux.
La ruralité n’est en rien hostile aux évolutions numériques. Bien au contraire, elle réclame des infrastructures, des réseaux pour se connecter au reste de la France et au monde ! Les habitants qui la composent ne sont pas plus exigeants que les autres. Ils ne demandent qu’à avoir un égal accès aux services minimums présents dans les métropoles et les grandes villes !
Pour ces raisons, le groupe socialiste et républicain a accueilli avec beaucoup d’intérêt la proposition de loi de notre collègue Éric Gold. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Mireille Jouve. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame le rapporteur, mes chers collègues, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a souhaité que nous débattions, ce jour, de la proposition de loi de notre collègue Éric Gold, car elle tend à répondre à l’un des nombreux aspects de la relégation affectant nos territoires ruraux.
En soutien aux élus locaux, le législateur doit veiller à préserver nos campagnes d’une désertification croissante, qui contribue à alimenter le cercle infernal de l’isolement.
Cette désertification, nous ne saurions l’accepter, telle une fatalité ! Nous ne nous y résignons pas, soucieux de l’égalité entre tous les Français, attentifs à l’équilibre du territoire national et respectueux de la diversité qui fait la richesse et l’attractivité de notre pays !
Cette approche du monde rural, si elle est familière à notre Haute Assemblée, ne l’est pas nécessairement à toutes les sphères de pouvoir ou à celles et ceux qui les inspirent.
Encore récemment, un rapport intitulé Redessiner la France. Pour un nouveau pacte territorial, issu d’un cercle de réflexion portant le nom d’un illustre député du Tarn, appelait ni plus ni moins à cesser d’investir massivement dans une impossible égalité des territoires et à assumer que les territoires éloignés des grandes métropoles vont en partie être oubliés.
Quel aveuglement sur le rôle que continuent de jouer ces territoires, en dépit de leurs difficultés, dans la dynamique nationale !
L’une de ces difficultés revêt aujourd’hui la forme d’une raréfaction des distributeurs automatiques de billets, elle-même s’inscrivant dans une tendance générale de raréfaction du recours aux espèces.
Toutefois, les mutations des usages bancaires que nous observons, tout comme les évolutions juridiques tendant à réduire la capacité de paiement en espèces, ne sauraient masquer une autre réalité : celle d’une partie de la population encore très peu en phase avec ces nouveaux usages, mais également celle de territoires ne disposant pas d’une couverture numérique permettant le recours à ces pratiques ou encore celle de commerces dont l’activité modeste en milieu rural tend à limiter le recours aux paiements dématérialisés pour des questions de coût.
Aussi, la présente proposition de loi tend à faciliter l’accès aux espèces, en favorisant la présence de distributeurs automatiques de billets au sein des territoires, très majoritairement ruraux, qui s’en trouvent progressivement dépourvus.
J’emploie l’expression « très majoritairement ruraux », car, précédemment maire d’une commune périurbaine de 4 000 habitants située près d’Aix-en-Provence, j’ai été, moi-même, également confrontée à cette difficulté.
À l’heure actuelle, cette problématique est très significative ; la Banque de France a d’ailleurs mandaté un groupe de travail sur le sujet. Sans préjuger aucunement de la qualité des travaux conduits par ce dernier, le groupe du RDSE a estimé qu’il était dans son rôle, en étant aussi force de propositions sur le sujet.
Nous proposons donc la création d’un fonds dédié. Il nous est apparu légitime que celui-ci soit abondé par les banques. En effet, celles-ci continuent de s’appuyer, comme elles l’ont toujours fait, sur l’importante capacité d’épargne du monde rural français. Leur demander une implication dans la préservation du lien social au sein de ces territoires nous semble donc cohérent.
Si nous accueillons très favorablement la mise en œuvre de points retraits ou encore des pratiques comme le cashback, dont les derniers contours doivent être prochainement fixés, nous savons que ces dispositifs ne sont pas en mesure de pallier totalement l’absence de distributeurs automatiques de billets. Les usagers demeurent notamment contraints par les horaires d’ouverture des commerces proposant ce type de services.
Mes chers collègues, la révolution monétique est engagée. Comme toutes les mutations, elle s’accompagne d’une période transitoire. Veillons à ce que celle-ci soit conduite avec réalisme et cohérence !
Aujourd’hui, on observe aisément que ce sont d’abord les populations urbaines qui réduisent leur recours aux espèces. Dans le même temps, ce sont les populations rurales qui souffrent le plus de la raréfaction des distributeurs automatiques de billets.
La dématérialisation progressive des paiements est une composante que personne ne contestera ici.
Toutefois, les premières pièces de monnaie ont été frappées au VIIe siècle avant notre ère… Il me semble que nous pouvons nous employer à accompagner les usages propres à chaque territoire encore quelques années, en attendant que la totalité du pays dispose d’une couverture numérique et que l’ensemble de la population ait pu se familiariser avec les nouveaux outils de paiement.
La ruralité a besoin de proximité dans l’offre de services, au moment où le renchérissement du coût des déplacements dans ces territoires fait débat.
Aussi, mes chers collègues, je vous invite à nous accompagner et à nous soutenir, sans attendre la conclusion des travaux du groupe de travail mandaté par la Banque de France, dans cette réflexion visant à lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux, engagée sur l’initiative de notre collègue Éric Gold. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Bernard Delcros. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier Éric Gold d’avoir déposé cette proposition de loi. Notre collègue est élu du Puy-de-Dôme, un département que je connais bien, avec une partie urbaine rassemblée autour de Clermont-Ferrand, mais aussi des secteurs ruraux, voire très ruraux.
Cette proposition de loi pose, au fond, une problématique plus globale : la question de l’offre de services en milieu rural et, à travers elle, celle de l’attractivité des territoires ruraux.
Quel avenir envisager pour la ruralité ? Quel rôle voulons-nous que la ruralité joue, demain, dans la société française ? Voilà la véritable interrogation !
Il y a deux façons d’y répondre.
On peut considérer que la ruralité est constituée de territoires en difficultés, à problèmes, qu’il faut bien aider à survivre. Dans ce cas, il faut effectivement les assister. Alors – et soyez rassurée, madame la secrétaire d’État, cela ne date pas d’hier ; voilà quinze à vingt ans que nous n’avons plus, dans ce pays, de vraie politique, lisible, efficace, d’aménagement du territoire –, on se contente de rattraper les retards accumulés.
Mais on peut considérer, au contraire, que la ruralité a un rôle à jouer dans la période actuelle, pas seulement pour elle-même, mais pour la société tout entière, dans sa dimension urbaine comme dans sa dimension rurale. Nous sommes de plus en plus nombreux à le penser.
Oui, nous sommes un certain nombre à considérer que la ruralité peut aider à répondre aux enjeux du XXe siècle.
Mme Françoise Gatel. Du XXIe siècle !
M. Bernard Delcros. Peut-on répondre, sans la ruralité, aux enjeux du XXIe siècle ? Merci de m’avoir repris, madame Gatel, car, pour le XXe siècle, c’est trop tard !
Peut-on répondre, sans la ruralité, à l’enjeu de l’écologie et de la protection de la biodiversité, qui doit être au cœur de nos politiques publiques ? (Non ! sur les travées du groupe Union Centriste.) Peut-on répondre, sans l’agriculteur et la ruralité, à la question de l’alimentation, de la qualité alimentaire, de la santé publique ? (Non ! sur les travées du groupe Union Centriste.) On ne le peut pas ! Mais il faut, bien sûr, que nous sachions faire évoluer notre modèle agricole.
Vous avez évoqué la cohésion sociale, madame la secrétaire d’État. La ruralité peut aussi aider à répondre à cette question de la cohésion sociale, de l’unité nationale.
Mme Cécile Cukierman. C’est vrai !
M. Bernard Delcros. En outre, comment va-t-on gérer l’accroissement démographique dans notre pays ? Nous savons que, dans les trente prochaines années, la population française augmentera d’environ 10 millions d’habitants. Entendons-nous continuer à concentrer cette population sur les secteurs urbains, avec tous les problèmes que cela pose, ou, au contraire, souhaitons-nous aller vers un meilleur équilibre des populations sur l’ensemble du territoire national ? Si nous nous retrouvons autour de cette dernière option, alors il faut changer le regard sur la ruralité et mener une autre politique, tendant à l’équilibrage de la répartition territoriale.
Tels sont les sujets de fond, les sujets d’avenir que pose cette proposition de loi, à travers le traitement d’un thème très particulier. La question est bien celle du rôle que l’on entend donner aux territoires ruraux dans la France de demain.
Pour en revenir plus précisément à la question de la désertification bancaire et de la raréfaction des distributeurs automatiques de billets et du paiement en espèces, il faut être lucide ! Comme plusieurs orateurs l’ont souligné, on ne peut pas envisager l’avenir en s’arc-boutant sur des schémas du passé ! Nier la réalité est toujours garantie de contre-performance !
La nature des services évolue bien chaque jour, et elle évoluera encore ! Nous le voyons, le numérique transforme notre société et, demain, cette transformation numérique emportera sur son chemin, et les paiements en espèces, et, je le crois, les paiements par chèque. Il est de notre responsabilité de regarder cette réalité en face. Nous devons nous y préparer.
Mais, plusieurs de nos collègues l’ont également dit, nous devons gérer convenablement une période de transition, qui sera longue.
Il faut la gérer dans le respect des générations qui n’ont pas l’agilité du numérique et se retrouvent démunies devant une technicité se transformant en complexité pour elles. Certaines personnes, notamment âgées, ont encore besoin de payer en espèces. Il est essentiel d’en tenir compte.
Il faut la gérer, aussi, dans le respect du maillage du petit commerce rural. Comme le soulignait Patrice Joly, le rôle de ces petits commerçants dans la vie sociale est très important, leur magasin étant souvent le seul lieu où les habitants se rencontrent. Or un certain nombre d’entre eux n’offrent pas de possibilité de paiement par carte bancaire, pour différentes raisons, dont quelques-unes ont été rappelées par Sylvie Vermeillet. Nous devons également tenir compte de cette situation.
Oui, mes chers collègues, nous devons apporter des réponses face à la réalité de nos territoires ruraux ! C’est ce que fait cette proposition de loi !
Mais, cela a été rappelé, le texte doit évoluer… parce que, tout simplement, il n’est pas applicable en l’état ! Sylvie Vermeillet en a bien explicité les raisons : le fonds créé à l’article 1er ne peut pas être alimenté par la contribution des établissements bancaires, cette affectation devant relever d’une loi de finances, et l’obligation qu’il y ait un DAB dans toutes les agences postales communales, y compris installé par des organismes bancaires concurrents, n’est pas réaliste.
En conclusion, nous pensons, au sein du groupe de l’Union Centriste, que tant que le paiement en espèces existe, il faut maintenir un réseau de distributeurs automatiques de billets de proximité dans la ruralité.
Nous sommes donc favorables à la proposition d’un financement…
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Bernard Delcros. Vous savez qu’il est difficile de se limiter dans le temps quand on évoque la ruralité, madame la présidente ! (Exclamations.)
Nous soutenons, j’y reviens, un financement par le FISAC. Ne nous arrêtons pas à l’obstacle de sa disparition ! Cela a été rappelé, la commission des finances a adopté un amendement portant le niveau du FISAC à 30 millions d’euros. À nous de nous battre pour que ce fonds, qui rend de vrais services au commerce et à l’artisanat en milieu rural, puisse être maintenu.
Sous réserve des évolutions de ce texte, nous voterons en sa faveur. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Segouin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
M. Vincent Segouin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la désertification bancaire est un problème majeur, qui touche de plus en plus nos territoires ruraux – je confirme les propos qui viennent d’être tenus.
Le nombre de distributeurs automatiques de billets diminue d’année en année. Hier, on supprimait les agences bancaires ; aujourd’hui, les distributeurs. Au-delà de la seule suppression de ces distributeurs, c’est le processus dans lequel nous sommes entrés qu’il convient d’arrêter !
Plusieurs de nos collègues du groupe du RDSE, au premier rang desquels Éric Gold, nous soumettent cette proposition de loi visant à favoriser le maintien ou la création de distributeurs automatiques de billets dans les communes victimes de désertification bancaire.
Ce texte a le mérite de soulever de vrais problèmes et d’amorcer un débat qui entre parfaitement dans le cadre du combat actuellement mené par le Sénat en faveur des territoires.
Il faudrait, en effet, être aveugle pour ne pas constater cette diminution et les effets engendrés : disparition de commerces locaux, désertification des centres-villes, etc. Je ne m’étendrai pas sur ces sujets, nos collègues Rémy Pointereau et Martial Bourquin ayant tout dit et ayant fait de nombreuses propositions en la matière.
Actuellement, nous constatons que les banques incitent de plus en plus à diminuer les échanges bancaires avec de l’argent numéraire, pour accroître l’utilisation des cartes bancaires, avec ou sans contact. Ainsi, elles réduisent les frais de fonctionnement liés aux transports de fonds, à la maintenance des distributeurs automatiques de billets, et peuvent constater une augmentation des échanges, puisqu’il est plus facile de dépenser avec une carte qu’avec de l’argent numéraire.
Mais cette évolution ne profite pas qu’aux banques ! Pour l’État, c’est plus de transparence sur tous les échanges financiers, donc moins de travail dissimulé.
On ne peut que s’en réjouir, mais, avec un taux de prélèvements fiscal et social allant jusqu’à 55 % sur les bénéfices, cela entraînera une nouvelle vague de fermetures de petits commerces et très petites entreprises, les TPE, dans les territoires ruraux.
Dans une première phase, l’État gagnera en fiscalité. Mais il perdra vite ce bénéfice, puisque l’activité de nos TPE diminuera, au profit des commerces en ligne, comme Amazon. Or, je vous rappelle que nous n’avons toujours pas trouvé la solution pour régler la perte de fiscalité liée aux géants du numérique, connus sous l’acronyme GAFA.
Il est donc primordial de garder les points bancaires dans toutes les zones, pour maintenir les commerces de proximité et les TPE.
Pour autant, faut-il une loi spécifique pour les banques ? À titre personnel, j’avais accueilli cette proposition de loi avec un a priori positif, mais, au fil de la lecture du texte, je suis resté sur ma faim. J’ai été étonné de trouver si peu de chiffres, sur le nombre de distributeurs ou les échanges interbancaires, alors même que ces éléments servent de fondement à l’exposé des motifs.
L’article 1er, traitant de l’instauration d’un fonds dédié au maintien et à la création de distributeurs automatiques de billets dans les communes rurales, est pertinent, à mon sens. En effet, qui d’autre que la Caisse des dépôts et consignations doit répondre aux difficultés rencontrées sur les territoires ? Reste néanmoins à éclaircir le fonctionnement du fonds…
L’article 2, visant à l’instauration d’un critère de distance minimale des bureaux de La Poste comportant un distributeur automatique de billets, semble assez compliqué à mettre en œuvre. Il reste sûrement d’autres pistes à explorer, et Mme la secrétaire d’État y a fait allusion.
Seul l’article 1er me paraît donc pertinent dans ce texte, mais j’espère, surtout, que nous aurons prochainement l’occasion de travailler plus en profondeur ce sujet, et ce afin que des espèces soient disponibles dans tous les territoires, couverts et non couverts par les réseaux internet ou de téléphonie.
Je suis donc favorable au vote de la proposition de loi, dans la rédaction présentée par Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Je voudrais, très brièvement, apporter quelques éléments de réponse.
Je ne crois pas que nous percevions, ainsi que j’ai pu l’entendre, les territoires ruraux comme des territoires assistés. Au contraire, je crois qu’il s’y trouve une grande richesse ! J’en veux pour preuve le sujet sur lequel je travaille le plus intensément, à savoir l’industrie. Je rappelle ce chiffre : 70 % de l’industrie française est située en dehors des agglomérations, en périphérie, voire en territoire rural ou même hyper-rural.
Oui, il y a de la richesse dans nos territoires ! Il ne faut sous-estimer ni leurs talents ni leur capacité à être dans la modernité !
Par ailleurs, il me semble que votre assemblée témoigne d’un intérêt particulier pour la question du FISAC. Je le comprends, mais ce sujet m’apparaît relever du projet de loi de finances pour 2019. Nous pourrons, à cette occasion, avoir un débat construit et, je le pressens, long et riche en amendements. Je serai ravie d’avoir ce débat avec vous – à moins que ce ne soit mon ministre de tutelle.
Pour l’heure, je recommande plutôt de centrer notre débat sur l’accès aux espèces dans les territoires ruraux, en laissant de côté le sujet du FISAC, qui, je le répète et nous en sommes bien conscients, mérite une plus longue discussion.
J’en viens à une réflexion sur la méthode.
Les orateurs ont tous mentionné l’étude que la Banque de France est en train de réaliser sur la problématique. Il ne me paraît pas illogique de tirer des conclusions à partir d’un diagnostic, plutôt que d’ébaucher une solution avant même que celui-ci soit posé.
J’ai, pour ma part, cité les travaux menés par la Banque postale et La Poste dans le cadre de leurs contrats. Le sujet sera spécifiquement abordé, pas plus tard que la semaine prochaine, au sein du comité de suivi de haut niveau, dans lequel siègent des représentants du personnel, des élus et des membres des directions de ces groupes. De mon point de vue, ce n’est pas respecter ces travaux que de vouloir aller un peu plus vite que la musique !
Cela explique, mesdames, messieurs les sénateurs, notre proposition d’un rapport qui agrégerait tous les travaux en cours. Ceux qui sont réalisés par la Banque postale n’ont pas été inspirés par la proposition de loi, puisque cela fait bien longtemps qu’ils ont été engagés.
Je voudrais également vous donner quelques éléments d’information plus factuels.
La couverture en haut débit – et non en très haut débit – du territoire est prévue pour 2020. Choisissons-nous de légiférer pour une année ? Je pose la question.
Un distributeur automatique de billets représente un coût d’installation de 70 000 euros et un coût annuel de maintenance de 14 000 euros. J’appelle votre attention sur ces chiffres : vous le voyez bien, les solutions alternatives sont probablement moins coûteuses et, peut-être, tout aussi efficaces ! Je pense au cashback, déjà évoqué, aux « points verts » ou au paiement sans contact.
M. Jean-François Husson. Et l’ouverture 24 heures sur 24 ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Les distributeurs ne sont pas tous ouverts 24 heures sur 24. Cela dépend de leur installation à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement bancaire. Or, si les deux tiers des distributeurs sont situés à l’extérieur, ils le sont, pour un tiers, à l’intérieur, avec, en outre, une question de surcoût foncier dans le premier cas de figure.
Je rappelle également que les commissions bancaires ont fortement diminué au cours des dernières années. Nous sommes donc dans une dynamique et il me semble préférable de fonder un texte de loi sur cette dynamique d’avenir, plutôt que de regarder dans le rétroviseur.
M. Jean-François Husson. Nous regardons vers demain !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Ainsi le paiement sans contact, qui a été évoqué, est en place depuis quatre ans, environ, et les montants en jeu ont évolué, entre 2015 et 2017, de 270 millions d’euros à 1,2 milliard d’euros. Si l’on se souvient que les banques ont longtemps été opposées à ce dispositif, déjà existant ailleurs, on peut pressentir que la part du paiement sans contact dans les usages va encore progresser. Les personnes âgées en sont très contentes, pour sa simplicité absolue.
Enfin, un dernier point qui a été incidemment mentionné, le recours aux espèces offre une possibilité de fraude fiscale. Il n’est donc pas illégitime d’en contrôler l’usage.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux
Article additionnel avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 7, présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le deuxième alinéa du III de l’article L. 511-10 du code monétaire et financier, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’Autorité évalue régulièrement la capacité de l’entreprise requérante à participer à la qualité de l’offre de services bancaires sur l’ensemble du territoire dans des conditions optimales de sécurité et d’accessibilité. »
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Les établissements de crédit, dans notre pays, sont soumis au contrôle et à l’agrément d’exercice délivré par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, qui constituent une sorte de passeport fort utile pour la représentation de l’établissement auprès des instances officielles, pour faire jouer, le moment venu et au cas où, la solidarité de place.
Leur contribution au fonctionnement de l’ACPR – aujourd’hui plafonnée, soit dit en passant – pourrait d’ailleurs se trouver quelque peu majorée, dans des proportions infimes, pour permettre à l’autorité de mener toute investigation nécessaire à l’appréciation de la « qualité de service » offerte aux usagers de tel ou tel réseau.
Avec cet amendement, nous proposons que l’agrément de l’ACPR porte aussi sur le projet stratégique d’implantation de l’établissement.
Régulièrement, celle-ci examine les efforts accomplis par les réseaux bancaires pour être au plus proche des usagers bancaires, notamment parce que la diversité des enseignes et des services proposés au public est la raison d’être d’une qualité de services financiers, telle que nous pouvons aujourd’hui la concevoir, et que cela n’est sans doute qu’un moindre mal au regard de la qualité de la « protection mutuelle » accordée par l’ACPR aux établissements de crédit dans leur ensemble.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteur. Cher Éric Bocquet, je comprends l’objectif de votre amendement, qui est d’assurer un recensement régulier des conditions d’accès aux services bancaires sur le territoire. Cependant, il ne me semble pas viser l’organisme pertinent, puisque ces missions relèvent de la Banque de France, dans une vision transversale à l’ensemble des établissements bancaires. C’est d’ailleurs sous son égide que les travaux du groupe de travail sur l’accessibilité aux espèces sont conduits.
Les conditions de délivrance de l’agrément bancaire prévues à l’article L. 511-10 du code monétaire et financier concernent des critères prudentiels, l’exigence de capital minimum par exemple. L’ACPR est compétente également pour assurer la protection du consommateur face aux pratiques commerciales déloyales, ce qui ne relève pas du champ visé par cet amendement.
Je vous suggère donc de retirer votre amendement, sinon l’avis de la commission serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Je souscris totalement à l’argumentation de Mme la rapporteur. J’ajoute que l’agrément bancaire concerne, comme son nom l’indique, les établissements, et porte donc sur leur action en amont et non pas sur l’exercice de leur activité par la suite. Pour cette raison également, il me paraît donc difficile de voter cet amendement, sur lequel j’émets un avis défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 7.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
I. – Le chapitre V du titre III du livre III de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales est complété par une section 7 ainsi rédigée :
« Section 7
« Fonds de maintien et de création des distributeurs automatiques de billets dans les communes rurales
« Art. L. 2335-17. – I. – Il est institué un fonds dédié au maintien et à la création des distributeurs automatiques de billets dans les communes rurales. Ce fonds est financé par :
« 1° L’affectation d’une fraction du produit de la taxe prévue à l’article 235 ter ZE bis du code général des impôts ;
« 2° Des dons de personnes physiques ou morales ;
« 3° Une participation de la Caisse des dépôts et consignations.
« II. – Le fonds dédié au maintien et à la création des distributeurs automatiques de billets dans les communes rurales est géré par la Caisse des dépôts et consignations. Le fonds est administré par un conseil de gestion.
« III. – Bénéficient de ce fonds les communes qui ont passé avec une banque une convention, répondant à des conditions fixées par décret en Conseil d’État, pour la maintenance et l’approvisionnement du dernier distributeur automatique de billets ou pour l’implantation, la maintenance et l’approvisionnement de l’unique distributeur automatique de billets sur leur territoire. Des communes ayant conjointement passé une telle convention applicable sur l’ensemble du territoire, d’un seul tenant, qu’elles forment peuvent bénéficier de ce fonds dans des conditions fixées par le même décret.
« La liste des communes bénéficiaires de ce fonds est arrêtée conjointement par les ministres en charge de l’économie et des collectivités territoriales.
« Le décret mentionné au présent III précise, en tant que de besoin, les modalités d’application du présent article et notamment la composition du conseil de gestion du fonds et les modalités de calcul des subventions versées aux communes bénéficiaires. »
II. – Le I du présent article entre en vigueur le 1er janvier 2019.
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, les difficultés qui viennent d’être évoquées par nos collègues à l’instant sont bien réelles. La perte d’un DAB sur un territoire, en particulier en zone rurale, est véritablement une petite catastrophe. Et chacun sait ce que cela signifie pour nos communes lorsque ce service de base disparaît : inévitablement, cela s’accompagne d’une baisse du chiffre d’affaires pour les commerces locaux, parfois de la fermeture de ces commerces au profit des grandes surfaces en périphérie et du commerce sur internet. Nous avons véritablement besoin d’un maillage territorial de bureaux de poste avec DAB sur nos territoires et il faut permettre aux communes d’être subventionnées afin soit de conserver le dernier distributeur, soit d’en créer un dès lors qu’il ne s’agit pas d’un distributeur automatique de billets associé au réseau de La Poste.
Plus que jamais, l’absence ou la disparition d’un DAB constitue une contrainte majeure pour une commune, qui se trouve alors plongée dans une spirale de dévitalisation. Je soutiens donc naturellement, comme le prévoit l’article 1er, la création d’un fonds dédié au maintien et à la création de DAB dans les communes rurales, qui serait confié à la Caisse des dépôts et des consignations.
Je soutiens également – et surtout – l’amendement de nos collègues Jacques Genest et Mathieu Darnaud, qui proposent que, pour être éligible au fonds, la commune signe une convention avec un établissement bancaire qui prévoit une participation minimale de 25 % de la banque aux frais d’installation, de maintenance et d’approvisionnement du distributeur.
Madame la secrétaire d’État, j’ai écouté votre réponse tout à l’heure. Tant la diminution du nombre de retraits que la digitalisation de l’activité bancaire, dont vous avez évoqué l’usage croissant, ou le développement de points de délivrance d’espèces autres que les DAB, que vous avez mis en avant pour choisir de ne rien changer, ne constituent de raisons valables pour justifier votre rejet de ce texte et la fin de non-recevoir que vous venez de nous opposer, grâce au faux-fuyant consistant à renvoyer cette question qui n’a rien d’anecdotique à un énième rapport.
Vous avez parlé du paiement sans contact : en vous entendant, j’avais l’impression que c’est du paiement sans contact avec la réalité qu’il était question.
Malheureusement, votre attitude de fermeture, à laquelle nous avons déjà été confrontés voilà deux semaines lors de l’examen du texte visant à créer une Agence nationale de la cohésion des territoires, est un symptôme de ce que sont devenues les relations du Gouvernement avec le Sénat, que je pourrais résumer d’une manière un peu abrupte – veuillez m’en excuser – par cette phrase : l’immobilisme est en marche et rien ne pourra l’arrêter ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold, sur l’article.
M. Éric Gold. L’État n’a pas vocation à compenser les défaillances des banques sur le territoire ; il me semble donc plus approprié de s’appuyer sur la contribution de celles-ci dans une logique de responsabilisation sociale et territoriale.
Le fonds de maintien et de création de DAB est un outil à la main de maires, dont la souplesse s’adapterait à chaque territoire. Une initiative locale présiderait toujours au déclenchement du fonds et à l’évaluation du montant de l’aide, et l’intervention dans le temps se ferait en fonction des situations locales, sous l’administration d’un conseil de gestion.
Enfin, je ne pense pas que le financement de ce fonds vienne limiter l’aide apportée aux collectivités dans d’autres domaines, puisqu’un gage permet de compenser les conséquences financières de sa création.
L’option de l’extension des missions du FISAC pour aider les commerçants à implanter ces DAB, et ce uniquement dans les zones blanches, ne peut pas convenir, surtout dans le cas très probable du maintien du FISAC en gestion extinctive en 2019. Cela fait peser encore une fois sur le budget de l’État et sur l’initiative d’acteurs privés non rémunérés le maintien d’un service bancaire. C’est la même logique que celle qui mise sur le cashback, qui représente un coût dissuasif pour les commerçants.
Par ailleurs, ces deux options laissent les territoires dépendants des horaires d’ouverture limités des commerces locaux, ce qui est dommageable pour le dynamisme local. Je pense que, même dans les zones bien couvertes par le réseau numérique, où le cashback peut trouver à s’appliquer, il faudrait proposer aux territoires un accompagnement de transition.
Le conditionnement de la prime du fonds d’épargne à la qualité de l’implantation territoriale serait une incitation insuffisante, à mon avis, pour engager les banques à se déployer davantage sur les territoires.
Je souhaite, avant toute chose, qu’une solution soit trouvée pour les territoires victimes de désertification bancaire. Ma préférence se porte évidemment sur un fonds interbancaire, mais je voterai pour l’option choisie par notre assemblée si elle apporte une solution tangible.
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin, sur l’article.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais réagir à mon tour à la réponse du Gouvernement au phénomène de désertification bancaire. Si j’ai bien compris, il mise tout sur l’organisation programmée pour le début de 2019 du service de cashback, dont on attend les décrets d’application.
Cette solution unique ne prend pas en compte le fait que, dans les territoires les plus reculés, le réseau téléphonique et le réseau internet alimentant les terminaux de paiement par carte sont parfois très faibles, empêchant alors toute continuité de paiement. Cette alternative me semble non opérationnelle dans les zones à la fois non couvertes par le réseau internet et désertées par les banques.
Toutefois, même dans les zones bien couvertes par les réseaux, il me semble que l’application du cashback dès la fin de 2018 n’assurera pas un accès rapide aux espèces pour tout le monde. Son coût dissuasif pour les commerçants – d’ailleurs, pourquoi ne seraient-ils pas rémunérés pour assurer ce service bancaire –, la limitation de l’accès au liquide aux horaires d’ouverture des commerces, ainsi que la démographie vieillissante des territoires les plus désertés, qui ont des habitudes de paiement en liquide, en sont la preuve.
La proposition de Mme la rapporteur se limite aux zones blanches ; or je pense que l’on ne peut résoudre ce problème dans sa globalité sans une réponse à la main des maires, suffisamment souple pour prendre en compte les besoins des différents territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson, sur l’article.
M. Jean-François Husson. Madame la présidente, mes chers collègues, finalement, le sujet qui est à notre ordre du jour peut paraître anecdotique. Madame la secrétaire d’État, vous nous dites même qu’il faut un rapport sur cette question, qu’il ne faut pas aller plus vite que la musique. Excusez-moi, mais j’ai quand même du mal à vous comprendre. Tandis qu’il faudrait être dans un monde disruptif, dans un monde de solutions, aller vite, on nous dit, quand le Sénat prend un peu de temps pour travailler au fond, qu’il ralentit le cours des choses. Moi, je pense que le Sénat joue son rôle dans notre système bicaméral : l’Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct, subit peut-être plus la pression de l’opinion des électeurs, tandis que nous, sénateurs, sommes les porte-voix, les porte-parole des territoires, à la fois dans leur diversité, mais également dans leur capacité à construire.
Le sujet que nous abordons cet après-midi révèle parfaitement le malaise de la France aujourd’hui. Il s’inscrit dans ce contexte de désertification sanitaire de nos territoires et de disparition ou de raréfaction d’un certain nombre de services, et appelle en retour une nouvelle et grande ambition pour la France et pour tous ces territoires.
Depuis un quart de siècle, un certain nombre de grands projets de rénovation urbaine ont été engagés dans les quartiers dits « difficiles » et dans les grandes agglomérations. Depuis cette époque – et je ne vous en fais pas grief au fond –, jamais aucun grand plan d’aménagement du territoire, des territoires – de tous les territoires – n’a été lancé.
Comme je le disais encore récemment, sur 80 % du territoire national on ne trouve globalement aucune offre de mobilité alternative, ou alors une offre inadaptée ou insuffisante. J’ajoutais que les Français étaient des assignés à résidence. Sur ce sujet, madame la secrétaire d’État, je vous propose une chose : non pas de produire un énième rapport pour essayer de jouer la montre afin de permettre – pourquoi pas ? si encore ce n’était que cela – au Gouvernement de reprendre la main, mais de réfléchir à l’offre de services publics et privés dans nos territoires pour demain.
Il faut se projeter dans l’avenir. Quand ont disparu un certain nombre de services, souvent publics, comme les perceptions, on a considéré qu’il revenait aux collectivités territoriales de prendre la place de l’État dans ce que celui-ci ne faisait pas ou plus.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-François Husson. Aujourd’hui, le problème va bien au-delà. C’est pourquoi nous devons et vous devez absolument entendre la voix des territoires, qui aujourd’hui manifestent leur colère et attendent des solutions. Il y a urgence ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.
M. Daniel Chasseing. Mon collègue Husson a quelque peu raison, madame la secrétaire d’État. Vous nous dites que la création ou le maintien de distributeurs automatiques de billets poserait bien des problèmes et susciterait de nombreuses difficultés. Chaque fois qu’un texte de loi prévoit la mise en place, de manière pragmatique, d’équipements indispensables pour les personnes âgées, le tourisme ou les jeunes, tout de suite surviennent forcément des obstacles juridiques, qu’ils relèvent de l’Europe ou non.
Vous parlez d’un effet d’aubaine pour certaines banques. Non ! Si les banques considéraient l’installation d’un DAB comme hyper-rentable, elles le feraient !
Il faut savoir si l’on veut faire de l’aménagement du territoire et maintenir la vie dans nos territoires ruraux et hyper-ruraux ! Il y a une quinzaine d’années, j’ai installé un DAB auprès de l’agence postale de ma commune, distributeur que la commune a intégralement payé. J’aurais bien souhaité à l’époque qu’un fonds dédié puisse verser une subvention à cet effet. On peut faire tous les rapports qu’on veut, mais qui connaît la ruralité vous le dira : sans DAB, la désertification s’aggrave ; c’est pourquoi ceux-ci sont absolument indispensables.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’inscris dans ce qu’ont dit les orateurs précédents. Cette question des distributeurs automatiques de billets est un enjeu en matière d’aménagement du territoire. Nous l’avons dit à d’autres occasions : il est nécessaire de garantir, de maintenir, de pérenniser la présence de ces services publics ou privés – voire de les réinstaller – dans un certain nombre de communes, afin de répondre en tout premier lieu aux besoins de la population, de garantir l’égalité républicaine, une égalité sociale et territoriale, aux termes de laquelle chacune et chacun, où qu’il habite sur notre territoire, doit avoir accès à ce bouquet de services minimums et indispensables pour pouvoir vivre dignement.
Aujourd’hui, certains s’amusent à théoriser et à planifier la fin du numéraire dans notre pays. Tout d’abord, nous n’en sommes pas là. Est-ce d’ailleurs une bonne chose ? Je n’en suis pas si sûre. En tout état de cause, d’ici là, on ne peut pas exiger d’une partie de la population qu’elle s’en passe. Là comme en d’autres domaines, ce sont toujours les mêmes territoires qui trinquent.
Que l’État mette les banques autour de la table et leur demande de jouer le jeu ! Parce qu’elles ont un rôle fondamental dans l’aménagement du territoire. En 2008, on a réussi à mettre 300 milliards d’euros sur la table, 320 milliards d’euros pour les garanties payantes des prêts interbancaires et 40 milliards d’euros pour recapitaliser les banques, alors en pleine crise ; il n’est donc pas indécent, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement, de temps en temps, rappelle aux différents acteurs que l’État est à leurs côtés pour les sauver et pour soutenir l’économie et l’emploi dans notre pays, mais que, à l’inverse, ils doivent parfois aussi faire un effort afin d’assurer l’égalité républicaine devant les services pour toutes et pour tous dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – Mme Nadia Sollogoub et M. Jean-Pierre Corbisez applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Émorine, sur l’article.
M. Jean-Paul Émorine. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai l’impression qu’on réinvente tous les jours quelque chose pour nos territoires ruraux. Il se trouve que j’ai été rapporteur de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux. Puisqu’il a été question de zonage, madame le rapporteur, je veux vous dire que nous avions retenu à l’époque, pour la définition des zones de revitalisation rurale, un critère de densité de 33 habitants par kilomètre carré. Étaient concernées les presque 13 000 communes de France – soit 40 % du total – ayant une densité inférieure à ce seuil, le périmètre étant souvent celui du canton, quelquefois celui de l’arrondissement.
Ces critères ont beaucoup évolué. Récemment, un décret a remonté ce seuil à 63 habitants par kilomètre carré, ce qui correspond à la moyenne nationale, puisque nous sommes un pays à faible densité de population – en moyenne, 115 habitants par kilomètre carré, contre plus de 200 habitants par kilomètre carré en Allemagne, par exemple.
Le but n’est pas d’établir de nouveaux zonages. Un tiers des communes de France doivent déjà être prises en compte au regard de cette problématique des DAB. La problématique, c’est la faible densité de notre population. Or un nouveau critère a été pris en compte pour définir les ZRR, le revenu médian par habitant, à savoir 19 111 euros, ce qui a eu pour effet une modification sensible des zones, même si, globalement, le zonage demeure d’actualité.
Les chiffres existent, et ce n’est donc pas la peine de rédiger un nouveau rapport pour établir un nouveau zonage relatif aux distributeurs automatiques de billets. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Je ne veux pas prolonger les débats, mais plusieurs points importants viennent d’être soulevés.
Il ne me semble pas que le Gouvernement n’ait pas de politique des territoires ; je voudrais citer quelques projets qui s’adressent très directement aux territoires ruraux.
Je commence par les maisons de services au public, portées par M. Mézard, ici présent. L’État a accompagné le déploiement de plus de mille d’entre elles. Voilà une réponse très concrète ! Ces maisons fonctionnent, d’après ce que je peux voir dans mes déplacements, qui sont essentiellement concentrés sur les territoires ruraux.
Ensuite, je veux citer les projets « cœur de ville », qui, parce qu’ils concernent des villes moyennes, constituent aussi une forme de réponse.
Je veux encore citer les « territoires d’industrie ». Le député Bruno Bonnell, avec quatre autres personnalités qualifiées, s’est vu confier la mission de réfléchir à la manière de développer ces industries plus spécifiquement dans les territoires, et non pas dans les agglomérations.
Par ailleurs, le déploiement du très haut débit, c’est une réponse immédiate, concrète à la problématique des zones blanches, avec des délais et des crédits.
Je veux citer également l’Agence nationale de la cohésion des territoires. J’ai compris qu’un récent débat que vous avez eu sur le sujet ne vous a pas donné toute satisfaction, mais je ne peux pas laisser dire que nous restons immobiles.
De même, nous avons pris nos responsabilités avec la loi ÉGALIM, pour répondre aux problématiques des agriculteurs.
Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas ce qu’ils disent !
M. Jean-François Husson. C’est très moyen !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. On peut en discuter…
Le contrat sur les industries agroalimentaires incorpore en amont les agriculteurs et leur représentation.
Dans ma réponse, j’ai dû manifestement mal me faire comprendre et je m’en excuse : je ne compte pas que sur le cashback pour répondre aux besoins d’accès au cash dans les territoires ruraux. J’ai cité les « points verts », situés chez des commerçants qui ont passé des conventions avec des banques ; j’ai cité également le paiement sans contact ; j’ai aussi cité le travail que mènent La Poste et La Banque Postale dans le cadre de leur mission de service public et dont nous parlerons la semaine prochaine.
Demander un rapport n’est pas une manière « latérale » de répondre à votre préoccupation, parfaitement légitime : les travaux engagés avant le dépôt de cette proposition de loi ont été conduits par des gens très sérieux, et il ne paraît pas inconvenant de leur accorder tout le respect qu’ils méritent. L’idée est de répondre précisément au problème des zones blanches et de l’accès au cash dans les territoires ruraux.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par Mme Vermeillet, MM. Lefèvre, Laugier, Bonhomme, Panunzi et Janssens, Mmes Vullien et Berthet, M. Longeot, Mme N. Goulet, MM. Bazin, Dallier, Luche et Charon, Mme Morhet-Richaud, MM. Savin et Moga, Mme Imbert, MM. Grand et Lafon, Mmes Dumas et Gatel, M. Priou, Mme Morin-Desailly, MM. Chevrollier, Détraigne, Henno, Laménie et Segouin, Mme A.M. Bertrand, MM. de Nicolaÿ et Louault, Mme Doineau, M. Bonne, Mme Sollogoub, MM. Dufaut, Danesi et Kern, Mme F. Gerbaud, M. Delcros et Mmes Férat, Thomas et Létard, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le deuxième alinéa de l’article L. 750-1-1 du code de commerce est complété par une phrase ainsi rédigée : « La définition de ces opérations prend en compte l’adaptation des commerces de proximité pour assurer la délivrance d’espèces dans les communes inscrites sur la liste nationale mentionnée au III de l’article 52 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. »
La parole est à Mme Nadia Sollogoub.
Mme Nadia Sollogoub. Pour les communes non couvertes par un réseau de radiocommunication mobile, les terminaux de paiement par carte bancaire ne peuvent fonctionner correctement, ce qui exclut le recours au cashback pour garantir la délivrance d’espèces.
Il importe donc d’assurer à ces territoires un accès effectif aux espèces en précisant que, parmi les opérations actuellement éligibles au soutien du FISAC, figure l’adaptation des commerces de proximité en vue d’assurer la délivrance d’espèces. Ces commerces doivent être soutenus en vue d’accueillir en leur sein un distributeur automatique de billets en tant qu’agents d’un établissement bancaire au sens de l’article L. 523-1 du code monétaire et financier.
Il est donc proposé de préciser expressément cette possibilité à l’article L. 750-1-1 du code de commerce, qui détermine les missions du FISAC, en renvoyant à la liste nationale des zones non couvertes par un réseau de radiocommunication mobile.
Mme la présidente. L’amendement n° 8, présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après le premier alinéa de l’article L. 221-6 du code monétaire et financier, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Cette rémunération peut notamment faire l’objet d’une réfaction au regard de l’examen de l’implantation territoriale du réseau des établissements concernés. »
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Depuis la loi de modernisation de l’économie, les établissements de crédit ordinaires ont la possibilité de proposer à leur clientèle de détenir un livret A, à l’instar de ce que faisaient jusqu’alors les caisses d’épargne et La Poste.
Dix ans plus tard, l’essentiel de la collecte du livret A et de son frère cadet, le livret de développement durable et solidaire, demeure réalisé par les deux réseaux historiques, ce qui n’empêche pas les banques ordinaires d’en bénéficier également. Pour autant, les établissements de crédit banalisés, autorisés depuis 2008 à participer à la collecte du livret A, perçoivent une commission de rémunération sur les encours qu’ils sont amenés à gérer. Ladite rémunération est fixée à 0,4 % du montant de l’encours, ce qui, dans une période de forte incitation à l’épargne, peut finir par représenter une somme non négligeable – plusieurs centaines de millions d’euros –, dégageant quelques ressources pour justifier un effort d’implantation dans les parties les moins attractives de notre territoire du point de vue de la stricte rentabilité financière.
Par cet amendement, nous proposons donc que les établissements quelque peu réticents quant à l’affirmation de leur présence sur le territoire soient amenés à subir une moindre rémunération des encours de leurs livrets d’épargne, selon des modalités fixées par décret pris après avis de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, tel que cela est précisé dans le code monétaire et financier.
Mme la présidente. L’amendement n° 23, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans le délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport sur l’accessibilité des services bancaires de proximité et des moyens de paiement.
Ce rapport comporte notamment des données sur la couverture du territoire en agences bancaires et en distributeurs automatiques de billets ainsi qu’une analyse des prestations alternatives contribuant à la desserte en espèces sur le territoire. Il identifie les difficultés d’accès aux services de paiement auxquels peuvent être confrontés certains territoires. Il décrit également l’évolution de la part du recours aux espèces au sein des moyens de paiement utilisés en France.
Il dresse un bilan des actions engagées par les pouvoirs publics pour améliorer l’accès aux moyens de paiement dans les territoires.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Le présent amendement vise à substituer au dispositif prévu à l’article 1er la remise par le Gouvernement d’un rapport présentant des propositions sur l’accessibilité des services bancaires de proximité et des moyens de paiement.
Comme vous le savez, le Gouvernement est très attentif aux difficultés d’accès au cash dans certains territoires – je l’ai déjà indiqué – et aux conséquences que cela peut avoir sur les habitants et le développement de l’économie locale. Cependant, la mesure inscrite dans la proposition de loi, qui ferait reposer sur La Poste et La Banque postale seules la responsabilité de l’accessibilité en tout point du territoire à un DAB, appelle de la part du Gouvernement des réserves, que j’ai rappelées dans mon propos introductif.
Dans ce contexte, il paraît plus opportun d’affiner le constat au moyen d’un rapport spécifique sur l’accessibilité des services bancaires de proximité dans les zones moins densément peuplées – j’ai cité des chiffres de la Banque de France indiquant que seulement 2 % de la population vit à plus de 10 kilomètres d’un DAB. Ce rapport, déjà en cours de rédaction, permettrait de dresser un diagnostic précis sur la couverture du territoire en agences bancaires et en distributeurs automatiques de billets, ainsi qu’une analyse des prestations alternatives contribuant à la desserte en espèces du territoire, afin de faire apparaître les zones blanches.
Il dresserait ensuite un bilan des actions engagées par les pouvoirs publics pour améliorer l’accès aux moyens de paiement dans les territoires et par ses opérateurs, permettant d’envisager le cas échéant des initiatives complémentaires qui répondent à votre questionnement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur l’amendement n° 4. J’insiste sur le besoin impérieux de l’abondement du FISAC, qui permettrait donc de réimplanter les distributeurs automatiques de billets là où il y en a besoin. Je précise que le FISAC permet de maintenir également 2 000 stations-service de proximité, d’innombrables commerces, et de soutenir aussi des artisans. Vous me permettrez donc d’insister sur ce besoin indispensable.
L’amendement n° 8 vise à introduire un malus pour réduire la rémunération versée aux établissements bancaires, au regard de l’implantation territoriale de leur réseau. Au-delà de cet objectif, cet amendement soulève des difficultés juridiques essentielles : la réfaction proposée n’est pas précisée et les critères permettant d’apprécier l’implantation territoriale ne sont pas définis.
La commission en demande le retrait ; à défaut, l’avis sera défavorable.
L’amendement n° 23 du Gouvernement ayant été déposé quelques instants avant le début de la séance, la commission n’a pas eu le temps de l’examiner. À titre personnel, j’émets un avis défavorable.
D’une part, il faut permettre que l’examen de la proposition de loi puisse se dérouler valablement. D’autre part, comme je l’ai indiqué dans mon rapport, la Banque de France conduit actuellement elle-même un rapport en associant l’ensemble du monde bancaire et postal. Madame la secrétaire d’État, quelles que soient les conclusions de ce rapport, qui doit être remis au mois de janvier – votre rapport est prévu sous six mois –, le constat de manque est réel, on le sait, et l’ensemble de nos collègues se sont exprimés à ce sujet. Le Sénat peut dès à présent réfléchir à des solutions, et c’est ce que nous faisons cet après-midi.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. La liste nationale mentionnée à l’amendement n° 4 rectifié bis est celle des zones non couvertes par un réseau de communication mobile. La priorité du Gouvernement est de faire disparaître ces zones, ce qui est tout l’enjeu du plan sur le haut débit et le très haut débit, ce plan, pour la partie haut débit, devant être achevé en 2020. Le Gouvernement mène bien une politique volontariste et ambitieuse en matière d’aménagement et, de mon point de vue, cet amendement ne me paraît pas adapté. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable.
S’agissant de l’amendement n° 8, je suis l’analyse de Mme la rapporteur et émets un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold, pour explication de vote.
M. Éric Gold. Cela ne vous surprendra pas, je suis totalement contre cet amendement du Gouvernement déposé à la dernière minute et qui n’apporte rien, puisqu’il remet à plus tard toute décision en la matière.
Le Gouvernement n’a pas besoin d’en passer par la loi pour exiger de ses services un rapport. Par ailleurs, la Banque de France est déjà saisie de ce dossier, puisqu’un groupe de travail sur l’accessibilité des espèces, déjà à l’œuvre, devrait rendre ses conclusions au début de l’année 2019.
Vous l’aurez deviné également, je suis contre le recours au FISAC, qui est en voie d’extinction et ne constitue pas, à nos yeux, une solution acceptable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour explication de vote.
Mme Nadia Sollogoub. Je formulerai juste une observation complémentaire. Pour connaître des territoires qui sont situés en zone blanche, madame la secrétaire d’État, je peux vous indiquer que nous vous sommes très reconnaissants des efforts consentis en leur faveur. Malgré tout, les habitants font preuve d’une infinie patience et, chacun le sait, l’égalité parfaite entre les habitants des différentes zones n’est pas pour demain. Par ailleurs, l’accès aux services nécessite une bonne couverture.
Il serait vraiment dommage de se priver de l’outil du FISAC, qui est simplement un levier supplémentaire. Et je suis vraiment attachée, comme tous mes collègues, de toute tendance politique, à ce qu’un maximum de territoires soient équipés de DAB de façon pertinente et adaptée. Si l’on veut que la proposition de loi aboutisse et soit efficace, utilisons tous les leviers à notre disposition.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je voudrais revenir sur l’amendement n° 23. Je suis assez surprise, madame la secrétaire d’État, outre la question des délais et de cet amendement de dernière minute déposé par le Gouvernement, que, sur une proposition de loi d’initiative sénatoriale, le Gouvernement propose un amendement qui vise en fait à supprimer le texte et à le remplacer par un simple rapport.
Je sais bien que, aux yeux d’une partie du Gouvernement et de la majorité présidentielle, le Sénat est inutile. Je sais bien que ce n’est pas la première fois – ni la première proposition de loi, quel que soit le groupe qui la dépose – que vous montrez assez peu de respect, pour ne pas dire de mépris, à l’égard du travail effectué ici par les sénateurs, sur quelque travée qu’ils siègent. Je sais bien que, cette semaine, le Président de la République a décidé qu’il était anecdotique d’aller s’exprimer devant le Congrès des maires, et qu’il préférait en recevoir seulement quelques-uns ce soir à l’Élysée, dont certains s’interrogent encore sur la raison pour laquelle ils ont été retenus quand d’autres ne l’ont pas été.
Mais, sur une telle proposition de loi, avec tout ce qui a été dit au nom de tous les groupes sur les enjeux de l’aménagement du territoire et des réponses à apporter – et au-delà de l’aménagement du territoire –, je crois sincèrement, et ce n’est pas de l’humour, madame la secrétaire d’État, que, dans ces territoires ruraux, quand la République s’en va, on sait très bien ce qui s’installe à la place, parce que la nature a horreur du vide !
Alors, on peut décider que, demain, parce qu’il n’y aura plus de services aux populations, ces territoires seront ceux des gens qui se sentiront déclassés, avec tous les excès que l’on peut voir. Mais je crois que, collectivement, aucun de ceux qui sont ici représentés n’y a intérêt.
Que vous ne soyez pas d’accord avec la proposition de loi, madame la secrétaire d’État, je peux l’entendre, et cela fait partie du débat politique et démocratique qui est nécessaire. Néanmoins, est-il sérieux de venir ainsi avec un amendement qui, excusez-moi cette franchise, vise tout simplement à dire : « Vous êtes bien gentils, mais, en fait, on va vous remettre un rapport pour vous expliquer la vie, mesdames, messieurs les sénateurs, pour que vous sachiez ce qui est nécessaire dans ce pays » ? Je trouve cela un peu déplacé, pour ne pas dire totalement irrespectueux de ce qu’est la chambre des territoires représentant les élus locaux. (Très bien ! et applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Grand. Madame la secrétaire d’État, je voudrais rebondir sur votre amendement et revenir sur ce que vous appelez les prestations alternatives.
Tout à l’heure, j’ai regardé les résultats nets des banques. Vous nous avez expliqué le coût des DAB. Je ne serai pas cruel au point de ne citer que le nom de deux banques, mais sachez que, à elles deux, elles enregistrent 7 milliards d’euros de bénéfices nets par an. Quelques DAB peuvent bien être installés sur le territoire sans que cela crée des problèmes à la banque !
Il y a beaucoup plus grave : actuellement, quelles sont les alternatives ? Cela signifie-t-il qu’il y aurait des dépôts d’argent liquide chez les commerçants, voire dans de petites mairies rurales ? Mais, madame la secrétaire d’État, aujourd’hui, on tue quelqu’un pour vingt euros ! Cela veut dire que, si les délinquants – certes, dans le monde rural, il y en a moins qu’ailleurs – connaissent l’existence de dépôts d’argent par-ci par-là, ils vont venir et commettre des agressions.
Quant à nos mairies rurales – moi, j’étais maire urbain, mais j’ai aussi été un élu rural quand j’étais jeune –, elles sont ouvertes une demi-journée ou deux par semaine, pour les plus petites. D’ailleurs, on a tout fait dans les mairies – je dis bien tout ! – justement pour éliminer les liquidités.
Je voudrais que vous fassiez l’économie d’un rapport, madame la secrétaire d’État. Écoutez les sénateurs, et tous les maires qui se réunissent aujourd’hui à Paris pour leur congrès. C’est le bon sens ! Je vous le redis, mettre en dépôt de l’argent liquide chez les petits commerçants dans le monde rural, c’est un appel à la délinquance, c’est une source de problèmes multiples et, pour les commerçants, c’est à mon sens impossible dans la durée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, je me sens soit en jet lag, soit en décalage horaire. Or je ne fais que revenir de la porte de Versailles, qui est aujourd’hui la porte des territoires de France.
J’ai entendu toute la matinée les maires s’exprimer sur leur volonté positive de porter leur territoire. Et je n’ose imaginer, madame la secrétaire d’État, les réactions qui auraient été les leurs – encore que je ne sache même pas s’ils auraient été capables d’une réaction – quand je vous entends proposer, avec beaucoup de sérieux, la rédaction d’un rapport. Je vous avoue sincèrement, madame la secrétaire d’État, avec beaucoup de respect, mais aussi beaucoup de gravité, que, dans nos territoires, il est urgent aujourd’hui de maintenir de la vie, non seulement pour que les territoires ne meurent pas, mais pour que les gens cessent de se rebeller.
Parmi les communes de 2 000 habitants, j’en connais une, dans mon département d’Ille-et-Vilaine, qui compte 13 commerces et a une fonction de bourg-centre. La banque vient de lui indiquer qu’elle allait fermer le DAB, faute de retraits suffisants et pour des problèmes de sécurité. Cela veut dire que, derrière, ce sont les commerces qui ferment. C’est un cycle infernal !
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement a proposé à de nombreuses collectivités des contractualisations financières. Mais il serait grand temps de proposer également des pactes d’aménagement du territoire et de contractualisation avec les collectivités, à la fois sur les mobilités et les services.
Dernier point, madame la secrétaire d’État, je vous avoue que je ne comprends pas, alors que le Sénat veut aider à construire les territoires et la France, que vous nous répondiez simplement par un rapport. C’est une façon très polie de nous dire que ce sujet qui vous a occupé tout l’après-midi, vous auriez sincèrement préféré l’éviter. Il est vraiment temps de se ressaisir, car il est urgent d’agir et de donner des réponses. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly, pour explication de vote.
M. Patrice Joly. S’agissant de l’amendement n° 23, j’observe une fois encore le Gouvernement, sur une proposition concrète, adopter une posture dilatoire : en ce qui concerne les territoires ruraux, les choses n’apparaissent jamais urgentes.
Nous évoquions ici même, voilà quelques semaines, la question de la téléphonie mobile. La solution est très simple pour améliorer immédiatement la téléphonie mobile ; il s’agit de mettre en œuvre l’itinérance, c’est-à-dire l’obligation, pour les opérateurs, d’ouvrir l’accès, sur certains territoires – si on les définit ainsi –, de l’ensemble de leurs réseaux à tous les abonnés. Nous n’avons pas pu avoir gain de cause à l’époque, sous prétexte que l’on risquait de voir les opérateurs réduire leur investissement. Pourtant, la solution était positive, car immédiatement applicable, et permettait aux territoires ruraux de bénéficier de services nettement améliorés.
Par conséquent, le groupe socialiste et républicain ne pourra pas répondre favorablement à cette suggestion en adoptant cet amendement.
S’agissant de l’amendement n° 8, je rappellerai ici qu’il apparaît nécessaire d’en appeler à la responsabilité sociale, dans sa déclinaison territoriale, des banques, en les incitant à intervenir pour mailler le territoire en agences, mais également en distributeurs de billets de manière satisfaisante. Les territoires ruraux, contrairement à ce que l’on a parfois entendu, paient d’ores et déjà les charges relatives à l’épargne qui est collectée sur les territoires, très largement supérieure aux encours d’emprunts contractés sur les territoires ruraux. On peut dire ainsi que les ruraux eux-mêmes paient d’ores et déjà les frais de fonctionnement de leur agence bancaire, et j’attends que l’on nous démontre le contraire !
Pour ce qui est du FISAC, il pourra être une solution, mais, vous le savez comme moi, ce fonds ne dispose pas aujourd’hui des moyens suffisants pour répondre de manière adéquate à l’ensemble des besoins en vue du maintien du commerce, de l’artisanat et de services sur nos territoires. Au surplus, le FISAC est en voie de disparition, comme cela nous a été annoncé. Et dans la mesure où un financement dédié est prévu, il paraît préférable de conserver la proposition qui figure dans le présent texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Émorine, pour explication de vote.
M. Jean-Paul Émorine. Madame la secrétaire d’État, pour avoir présidé une commission pendant de nombreuses années et avoir été rapporteur du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, j’estime que l’amendement de dernière minute du Gouvernement, sur lequel Mme le rapporteur a eu la délicatesse, bien que la commission ne l’ait pas examiné, de donner son avis personnel, n’est pas le reflet d’un Parlement qui fonctionne de façon satisfaisante.
Madame la secrétaire d’État, j’ai examiné vos arguments. Si je peux partager ceux qui portent sur le droit européen, il n’en est pas de même lorsque vous avancez qu’il faut attendre les maisons de services au public. Je crois que leur mise en place s’inscrira dans cet esprit, et à ce moment-là, La Poste ou une autre structure pourra être présente dans ces maisons de services au public.
Vous avez aussi évoqué le plan « Action cœur de ville ». En réalité, si vous examinez la question de près, vous vous apercevrez que très peu d’entre elles seront concernées par la suppression d’un distributeur automatique de billets. Ce dispositif s’adresse exclusivement à la ruralité. Par conséquent, ce que je vous suggère, madame la secrétaire d’État, c’est de ne pas attendre un zonage qui sera réalisé par un bel organisme. Ce zonage, il existe. Ce que vous demandent simplement les élus ruraux, madame la secrétaire d’État, c’est un moratoire sur les distributeurs automatiques de billets, comme l’a dit mon collègue Jean-Pierre Grand tout à l’heure. Vous savez, j’ai connu une banque qui a perdu 6 milliards d’euros avec la Grèce ; je crois qu’aujourd’hui elle peut maintenir, au moins dans la ruralité, ces distributeurs automatiques de billets. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Je ne voterai pas l’amendement n° 23. Actuellement, il faut essayer de rencontrer les territoires hyper-ruraux. Et il est important de conserver les bourgs-centres ; or, si l’on n’y maintient pas un DAB, les conséquences seront très néfastes pour tous les habitants, mais aussi pour le tourisme.
À cet égard, je rejoins les propos de mon collègue Jean-Pierre Grand. Chacun doit pouvoir retirer des espèces chez les commerçants. Toutefois, cela risque d’être dangereux pour eux. Quoi qu’il en soit, cette solution ne permet de retirer que très peu d’argent liquide et, pour favoriser le tourisme en zone rurale, il faudrait que le retrait soit possible à toute heure.
Si l’on veut maintenir la vie dans le monde hyper-rural, aucun rapport n’est nécessaire ; il faut juste savoir si l’on veut aménager le territoire. Dans ce cas, le DAB doit aussi être installé en milieu rural et hyper-rural. Si vous demandez un rapport, un niveau de population sera évidemment fixé comme critère d’installation d’un DAB, ce qui exclura automatiquement les zones hyper-rurales.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. J’ai cosigné avec nombre de mes collègues l’amendement n° 4 rectifié bis qu’a présenté Mme le rapporteur. Ce matin, en commission des finances, nous avons examiné l’ensemble des amendements, sauf celui du Gouvernement. Il est bien embêtant que des amendements arrivent ainsi, car, pour notre façon de fonctionner, ce n’est pas simple.
Par ailleurs, l’objet de l’amendement du Gouvernement comporte un mot qui me peine, ou plus exactement qui me choque : vous parlez de territoires « reculés ». Je trouve ce terme péjoratif, moi qui suis – modestement – géographe de formation. Tous nos territoires, tous nos départements ont leur légitimité. On peut toujours mettre en avant des statistiques en disant que 98 % de la population vit dans un rayon de 10 kilomètres d’un distributeur automatique. Vu de Paris, les ordinateurs peuvent tout faire, mais ils ne font pas tout !
Certes, il y a le problème des distributeurs automatiques de billets, et c’est l’objet du texte, mais combien de petites agences ont fermé sur nos territoires – je ne les citerai pas, car nous restons neutres ?
Il y a quelques années, dans cet hémicycle, on s’était aussi battu, lors de l’examen du texte sur La Poste, à propos de la présence postale. Il est vrai qu’un certain nombre de distributeurs ont été mis en place par La Poste et les bureaux de poste. Malheureusement, chaque commune ne compte pas un bureau de poste, même si l’on y trouve des agences communales postales. Il faut néanmoins s’interroger sur l’utilisation des cartes bancaires, car tous les commerçants ne disposent pas forcément d’un terminal de carte bancaire ; de plus, la connexion ne fonctionne pas partout. Et combien de commerçants ne prennent plus les chèques ? Par conséquent, les modes de paiement deviennent de plus en plus compliqués, il faut le souligner.
Je termine en revenant sur l’objet de l’amendement du Gouvernement. L’expression « territoires reculés » devrait être enlevée, par respect pour tous nos territoires, qui ont chacun leur légitimité – nous les soutenons tous. C’est pourquoi je resterai fidèle à l’amendement n° 4 rectifié bis.
Mme la présidente. La parole est à Mme Vivette Lopez, pour explication de vote.
Mme Vivette Lopez. Tout d’abord, je partage pleinement ce que viennent de dire mes collègues. Ensuite, je rappellerai que de nombreuses études montrent à quel point les communes rurales, pourtant loin d’être aujourd’hui majoritaires en population, pèsent dans la dynamique économique du territoire national, preuve que rien n’est perdu, si l’on utilise les bons leviers.
De quoi ont besoin tous les acteurs ruraux aujourd’hui ? D’un formidable coup de pouce à l’activité, de l’allégement des charges et de la fiscalité, de la simplification drastique des normes et des règlements qui étouffent les PME. Comme l’a dit notre collègue Françoise Gatel, il faut, madame la secrétaire d’État, que vous alliez porte de Versailles, pour écouter le désespoir et le « ras-le-bol » des maires de nos petites communes.
Les territoires ruraux ne demandent pas l’aumône. L’État se doit d’écouter, d’entendre. Vous dites, madame la secrétaire d’État, que vous écoutez, que vous entendez. Mais il faut agir, et agir vite envers les territoires ruraux, car ces espaces sont remplis d’atouts à développer. Arrêtons de faire des rapports qui viennent remplir les étagères des archives et dont personne ne s’occupe !
Voilà ce que je tenais à vous dire, madame la secrétaire d’État. Pour ma part, je vais suivre notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. Madame la secrétaire d’État, je voudrais vous dire que votre amendement me met très mal à l’aise… D’habitude, quand nous proposons une disposition de ce type, le Gouvernement nous explique que l’on n’a pas besoin de rapport et qu’il vaut mieux légiférer. Comme il nous dit chaque fois que cela ne sert à rien, je m’étonne un petit peu étonné que l’initiative vienne aujourd’hui de votre bord.
Cela étant, je ne vous poserai qu’une seule question, madame la secrétaire d’État : depuis quand le Gouvernement a-t-il besoin d’une habilitation du Parlement pour s’intéresser à un sujet et établir un rapport ? Je vous remercie par avance de votre réponse. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-François Husson. Mme la secrétaire d’État est convaincue !
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Elle peut donc le retirer ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Madame la présidente, madame la rapporteur, je voudrais d’abord rappeler un point de méthode : il me semble que cette proposition de loi a été déposée le 13 novembre, sans étude d’impact. Je voudrais juste préciser, si vous le permettez, que l’amendement que nous proposons est une façon de maintenir le dialogue avec les sénateurs – je ne voudrais pas qu’il y ait d’ambiguïté sur le sujet –, et de les respecter.
Mme Cécile Cukierman. Pas avec un tel amendement, madame la secrétaire d’État ; un peu de respect !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, il me semble que travailler sur un texte de loi à partir d’une étude d’impact, en sachant précisément de quels montants on parle, combien de DAB il faut installer, voire quelles sont les solutions alternatives, me semble correspondre à une façon assez raisonnable de travailler. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Vous allez avoir du mal !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Je réponds à votre question sur le fait de rédiger un rapport plutôt que d’agir. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Oui, nous agissons et nous avons agi beaucoup ces seize derniers mois, je suis heureuse que vous le souligniez. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Mais il nous arrive d’agir en faisant un diagnostic, et c’est bien cela qui semble manquer aujourd’hui, même si ce diagnostic a été lancé et confié à un organisme très sérieux, à savoir la Banque de France.
Je relève également dans vos diverses interventions que l’articulation du dispositif lui-même soulève beaucoup de questions, que vous avez à juste titre relevées, à propos de la Commission européenne, du fonds qui finance ce dispositif, etc.
Mon dernier point concerne les banques. S’il s’agit bien d’un service public, je crois me souvenir qu’il faut le compenser. Donc, c’est le contribuable qui devrait payer. Et je ne suis pas sûre que, même avec 7 milliards d’euros de profits, ce soit si facile.
M. Jacques Genest. Ce sont toujours les Français qui paient !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. En revanche, je retiens votre proposition, monsieur le sénateur, qui est plutôt d’user de toute notre influence et d’entourer de toute notre sollicitude les établissements en question pour qu’ils soient attentifs aux suppressions de DAB dans les mois à venir.
M. Jean-François Husson. Écoutez les sénateurs : c’est la voix de la sagesse !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Boyer. Les propos de Mme la secrétaire d’État sont assez surprenants ! Aujourd’hui, tout le monde nous parle d’aménagement du territoire, tout le monde nous dit qu’il faut faire attention à la ruralité, il y a des « gilets jaunes », des gens qui manifestent : ce sont des gens des territoires. Ils manifestent, car ils se sentent oubliés. Or, comme l’a dit notre collègue tout à l’heure, il n’y a pas de « territoires reculés » – il est choquant d’entendre une expression comme celle-ci –, comme il n’y a pas de territoires « avancés ».
M. Jean-François Husson. C’est une vue de Parisien !
M. Jean-Marc Boyer. Il y a, il devrait y avoir une véritable politique d’aménagement du territoire.
Je vous citerai l’exemple de ma modeste commune, de 350 habitants.
M. Bruno Sido. Une commune importante… (Sourires.)
M. Jean-Marc Boyer. La décision de transférer le bureau de poste à la mairie, avec une agence postale communale, permet aujourd’hui de donner à des retraités 300 euros par semaine, mais à condition d’avoir un compte à la Poste. Ceux qui détiennent un compte dans une autre banque – je ne la citerai pas ici, mais en milieu rural, tout le monde sait de quelle banque il s’agit – doivent se déplacer à 10, 15 ou 20 kilomètres. C’est cela qui est important et que vous devez comprendre.
Moi, je pense qu’il n’y a pas de « Gaulois réfractaires », pas plus qu’il n’y a de « territoires reculés ». Lorsqu’on a proposé ici de revaloriser la retraite de nos agriculteurs pour la faire passer de 75 % à 85 % du SMIC, nous nous sommes heurtés deux fois à une demande de vote bloqué de la part du Gouvernement, contre l’avis de l’ensemble de l’assemblée, mis à part quelques personnes.
Ayons aujourd’hui un regard, un minimum de bienveillance pour ces territoires ruraux, pour leurs habitants, qui veulent avoir sur place un minimum d’argent à disposition. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour explication de vote.
M. Mathieu Darnaud. Madame la secrétaire d’État, je suis assez étonné, voire surpris de votre explication sur la méthode. Une vérité émane de ce Gouvernement, c’est même un principe fondateur : on fait comme on veut, quand on veut ! Il faut y ajouter le principe supérieur : on fait comme ça nous arrange !
Vous venez de nous dire, et c’est assez savoureux, que votre amendement a en fait pour objet une nouvelle étude d’impact, considérant – je ne vais pas relancer le débat, car cela a été dit à de nombreuses reprises – que les élus dans les territoires ne connaîtraient pas les sujets. Vous êtes d’ailleurs tellement spécialiste des études d’impact que, quand vous voulez les court-circuiter, vous demandez à certains de déposer des propositions de loi. Je m’arrêterai là, mais ayez au moins l’honnêteté de nous dire que cet amendement vise à mettre un point final à cette initiative et à ce texte, qui répond réellement à un besoin.
Sur un territoire de montagne comme le nôtre, et je parlerai également au nom de mon collègue Jacques Genest, des communes d’altitude qui étaient à l’époque des communes touristiques n’arrivent plus aujourd’hui à capter une part de ce tourisme-là. En effet, quand on a parcouru 15 kilomètres pour aller visiter la commune de Lalouvesc, on ne refait pas 15 kilomètres pour aller chercher de l’argent et remonter après sur ladite commune.
Ayez un peu de cohérence et, de grâce, arrêtez de nous seriner toujours les mêmes arguties pour démontrer que le texte n’est pas bon et nous dire : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » Vous gagneriez à avoir un peu de courage ! (Applaudissements sur de nombreuses travées, à l’exception du groupe La République En Marche et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote. (Ah ! sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, je voudrais apporter une petite précision : ce texte, déposé par le groupe du RDSE, tombe au bon moment alors que se réunit le Congrès des maires : on est dans la ruralité, mais c’est le hasard ! (Rires.)
Madame la secrétaire d’État, ce texte a été déposé à la présidence du Sénat le 26 septembre dernier et a été acté par la conférence des présidents du mois d’octobre, il y a six semaines. Ce texte n’est pas arrivé le 13 novembre. Il date bien de plusieurs semaines, a fait l’objet d’un examen par la commission, et donc d’un temps de réflexion nécessaire au Sénat. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, et sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Paul Émorine. Tout à fait !
Mme la présidente. Je vous remercie de ces précisions, mon cher collègue.
Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié bis.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé, et les amendements nos 8 et 23 n’ont plus d’objet, non plus que les amendements suivants.
L’amendement n° 15 rectifié bis, présenté par MM. Gold, Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme N. Delattre, M. Gabouty, Mmes Jouve et Laborde, MM. Requier et Roux, Mme Guillotin et M. Guérini, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Supprimer cet alinéa.
L’amendement n° 16 rectifié bis, présenté par MM. Gold, Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme N. Delattre, M. Gabouty, Mmes Jouve et Laborde, MM. Requier, Roux et Guérini et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le conseil de gestion du fonds détermine le montant total du soutien accordé en fonction des dossiers et sur la base des règles de calcul du subventionnement fixées par décret en Conseil d’État.
L’amendement n° 17 rectifié bis, présenté par MM. Gold, Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme N. Delattre, M. Gabouty, Mmes Jouve et Laborde, MM. Requier, Roux et Guérini et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La possibilité de cofinancement par les communes est limitée à 20 % du montant total du projet.
L’amendement n° 18 rectifié bis, présenté par MM. Gold, Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme N. Delattre, M. Gabouty, Mmes Jouve et Laborde, MM. Requier, Roux et Guérini et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L’intervention du fonds pour accompagner les coûts d’investissement liés à l’installation d’un distributeur, pour aider ponctuellement une commune dans les coûts de fonctionnement de l’unique distributeur, ou de façon récurrente, pour supporter annuellement une partie de ces coûts est déterminée par le conseil de gestion sur la base de la demande formulée par la collectivité, de la situation locale et des règles de calcul du subventionnement fixées par décret en Conseil d’État.
L’amendement n° 22, présenté par Mme Sollogoub, est ainsi libellé :
Alinéa 9
1° Première phrase
Après le mot :
communes
insérer les mots :
ou les établissements publics de coopération intercommunale compétents
2° Seconde phrase
Remplacer les mots :
Des communes ayant conjointement
par les mots :
Les établissements publics de coopération intercommunale ayant
L’amendement n° 20 rectifié bis, présenté par MM. Gold, Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme N. Delattre, M. Gabouty, Mmes Jouve et Laborde, MM. Requier, Roux et Guérini et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Alinéa 9, première phrase
Après les mots :
ou pour
insérer les mots :
couvrir les frais d’investissement, l’installation,
L’amendement n° 21, présenté par Mme Sollogoub, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Pour être éligible au fonds, la commune doit signer une convention avec un établissement bancaire qui prévoit une participation minimale de 33 % de la banque aux frais d’installation, de maintenance et d’approvisionnement du distributeur.
L’amendement n° 2, présenté par MM. Genest et Darnaud, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 9
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Pour être éligible au fonds, la commune doit signer une convention avec un établissement bancaire qui prévoit une participation minimale de 25 % de la banque aux frais d’installation, de maintenance et d’approvisionnement du distributeur.
L’amendement n° 11, présenté par MM. P. Joly, Raynal, Kanner, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, Lalande et Lurel, Mme Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 10
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La banque assure au moins la moitié du financement des éventuels frais d’implantation, d’une part, et d’autre part, des frais de maintenance et d’approvisionnement.
L’amendement n° 19 rectifié bis, présenté par MM. Gold, Arnell et Artano, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme N. Delattre, M. Gabouty, Mmes Jouve et Laborde, MM. Requier, Roux et Guérini et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Supprimer cet alinéa.
L’amendement n° 10 rectifié, présenté par MM. P. Joly, Raynal, Kanner, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, Lalande et Lurel, Mme Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - Le Gouvernement remet au Parlement, dans le délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport sur l’affectation d’une partie des crédits du fonds national postal de péréquation territoriale.
Article 2
Le I de l’article 6 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et à France Télécom est ainsi modifié :
1° Le quatrième alinéa est complété par les mots : « offrant un distributeur de billets » ;
2° Le septième alinéa est complété par les mots : « offrant un distributeur de billets ».
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold, sur l’article.
M. Éric Gold. Sur cet article 2, chacun aura compris que ma rédaction posait des difficultés techniques et de mise en œuvre. C’est pourquoi nous ne nous battrons pas pour l’adoption de ces dispositions et laisserons la discussion se poursuivre dans l’hémicycle.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 1 rectifié est présenté par M. Chaize, Mme Micouleau, MM. Brisson et Bascher, Mmes Morhet-Richaud et Imbert, M. Vaspart, Mme Lopez, MM. Magras et H. Leroy, Mmes Gruny et Chauvin, M. Bonhomme, Mme Estrosi Sassone, MM. de Nicolaÿ, de Legge, Revet et Bonne, Mmes Lanfranchi Dorgal et Garriaud-Maylam, MM. Vogel, Savary, Milon, Danesi, Buffet, Calvet et Sido, Mme M. Mercier, MM. Priou, Chevrollier, Laménie et Poniatowski, Mme Lherbier et MM. D. Laurent, J.M. Boyer, Duplomb et Pierre.
L’amendement n° 5 rectifié bis est présenté par Mmes Vermeillet et Imbert, MM. Laugier, Bonhomme, Panunzi et Janssens, Mmes Vullien et Berthet, M. Longeot, Mme N. Goulet, MM. Bazin, Dallier, Luche, Charon, Savin, Moga, Grand et Lafon, Mme Dumas, MM. Lefèvre et Segouin, Mme A.M. Bertrand, MM. Kern, de Nicolaÿ et Louault, Mme Sollogoub, MM. Bonne, Dufaut, Priou, Laménie et Henno, Mme F. Gerbaud, M. Delcros et Mme Létard.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Patrick Chaize, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié.
M. Patrick Chaize. Mon collègue Éric Gold a déjà donné le ton, et je l’en remercie.
Le présent amendement vise effectivement à supprimer l’article 2 de la proposition de loi qui modifie la loi postale en y introduisant une norme supplémentaire d’accessibilité au réseau de distributeurs automatiques de billets de La Banque postale.
Alors que cet article viendrait alourdir considérablement les obligations de La Poste en matière d’accessibilité, il n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact. Or, du fait de sa mission d’aménagement du territoire, La Poste met déjà à disposition des clients de sa banque une large offre d’accès aux espèces. Ainsi, à la fin du mois de septembre 2018, le réseau de La Poste comprenait 17 365 points de contact sur le territoire, dont plus de 8 000 bureaux de poste offrant l’offre bancaire complète, 6 300 agences postales communales et intercommunales offrant les services de retrait et de versement dans la limite de 350 euros par compte sur sept jours glissants, et près de 2 800 Relais Poste offrant les services de retrait et versement dans la limite de 150 euros par compte sur sept jours glissants.
Bien entendu, une telle mesure représenterait une rupture d’égalité face à la loi. La proposition de loi propose la création d’un fonds de soutien, ainsi que des conventions avec les banques en général, pendant que l’article 2 fait peser uniquement sur La Poste la contrainte en termes d’accessibilité, en extrapolation des obligations de présence postale.
Enfin, la mesure préconisée ne semble pas prendre en considération les innovations et l’évolution des usages : les dispositifs innovants, comme le retrait d’argent liquide sur la caisse des commerçants, appelé cashback, sont en plein développement.
Pour l’ensemble de ces raisons, je propose la suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié bis.
Mme Nadia Sollogoub. Sur l’ensemble des travées, nous souhaitons bien sûr assurer le maintien d’un minimum de distributeurs automatiques de billets dans les territoires ruraux. Toutefois, il faut veiller à bien placer le curseur ; je pense notamment aux toutes petites communes qui conservent une agence postale communale.
Un distributeur automatique de billets nécessite des installations de sécurité ad hoc. Pour assurer son fonctionnement, le coût d’entretien est, à lui seul, estimé à 14 000 euros par an. Exiger un DAB dans chaque agence postale communale pourrait donc mettre en difficulté certains de nos collègues maires. C’est pourquoi je demande, moi aussi, la suppression de cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteur. Nos collègues Patrick Chaize et Nadia Sollogoub ont bien exposé l’objet de ces deux amendements identiques, qui appellent, de la part de la commission, un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Sido. Alors là !
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.
M. Arnaud Bazin. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question de l’accès aux espèces ne se pose pas simplement dans les zones rurales, elle va concerner de plus en plus de territoires.
Depuis le début d’octobre dernier et jusque récemment, soit pendant près de deux mois, la population de ma commune d’élection, qui est située en Île-de-France et qui compte 13 000 habitants, n’a eu accès à aucun distributeur automatique de billets. Le bureau de poste était en travaux. Il a rouvert et propose désormais deux distributeurs, là où il n’y en avait qu’un. Mais, au cours des dernières années, trois agences bancaires ont disparu dans la commune, et les distributeurs automatiques de billets ont été supprimés quelque temps après leur fermeture.
Le mouvement est massif et, à mon sens, il va encore s’accentuer. Les banques veulent réduire la circulation des espèces – c’est leur intérêt.
M. Bruno Sido. Bien sûr !
M. Arnaud Bazin. Ne nous leurrons pas : c’est aussi l’intérêt de l’administration de ce pays. Nous devons nous battre pour conserver un réseau de distributeurs automatiques de billets, pour que nos concitoyens gardent un accès aux espèces. Il s’agit d’une liberté fondamentale, à laquelle nous devons être extrêmement attentifs, maintenant et dans les années qui viennent : j’y insiste, ce phénomène concernera bientôt tous les territoires, au-delà de la ruralité. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié et 5 rectifié bis.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, l’article 2 est supprimé.
Articles additionnels après l’article 2
Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Grand, Mme Micouleau, MM. Calvet, Lefèvre, Bascher et Milon, Mmes Bruguière, Lamure, Bonfanti-Dossat et Bories, MM. Courtial, Cuypers, Mouiller, Charon, Dufaut, Bazin et Priou, Mmes Lherbier, F. Gerbaud et Thomas et MM. Laménie, Pointereau, J.M. Boyer, Pierre et Gilles, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 511-4-2 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 511-4-… ainsi rédigé :
« Art. L. 511-4-… – Les établissements visés au présent chapitre informent au préalable le maire de la commune d’implantation de tout projet de fermeture d’une succursale mentionnée au I de l’article L. 511-10 et des moyens mis en œuvre pour garantir la continuité de l’accès à son réseau pour ses clients. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les divers propos qui viennent d’être consacrés à l’évolution du système bancaire. Toutefois, je tiens à rappeler que la digitalisation de ce secteur risque d’entraîner et d’accélérer les fermetures d’agences en France, et donc d’accentuer la désertification bancaire dans nos territoires ruraux.
Aujourd’hui, 80 % à 90 % des souscriptions de produits bancaires sont réalisées dans les agences. Mais, dans deux ou trois ans, lorsque les banques auront achevé la digitalisation de leur parcours client, les volumes de souscription en agence vont radicalement baisser. Face aux conséquences de cette évolution pour les personnes les plus éloignées du numérique, je vous propose d’obliger les établissements bancaires à informer le maire de la commune d’implantation avant tout projet de fermeture d’une agence, quant aux moyens mis en œuvre pour garantir la continuité de l’accès à leur réseau. À mon sens, il s’agit là d’un minimum.
Vous l’avez compris, ces dispositions, dont la rédaction pourra évoluer ultérieurement, répondent à une réelle problématique. Comme vous, j’ai été saisi par les maires du département dont je suis l’élu des conséquences que de telles fermetures entraînent pour les administrés. Si nous ne pouvons pas freiner le mouvement, tâchons au moins de l’accompagner au mieux !
Madame la secrétaire d’État, ne donnez pas aujourd’hui l’image d’un gouvernement qui, partout en France, va fermer les DAB ou accepter leur fermeture,…
Mme Cécile Cukierman. Ils ne sont plus à cela près !
M. Jean-Pierre Grand. … ce serait incompréhensible pour nos concitoyens.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteur. Cet amendement vise à prévenir les situations de défaillance d’accès aux services bancaires. Les établissements bancaires ne seraient pas soumis à de nouvelles obligations ; il s’agit d’informer le maire de la commune concernée des projets de fermeture d’une agence bancaire.
Cette information va dans le bon sens, car elle renforcerait la concertation préalable et le dialogue, afin de garantir un accès effectif aux services bancaires dans un territoire. Il s’agit donc d’une très bonne idée, et la commission émet un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Sur la forme, ces dispositions sont inopérantes. Elles ciblent les succursales d’établissements bancaires étrangers, visées par l’article L. 511-10 du code monétaire et financier. Il s’agit, plus clairement, des succursales de la Bank of America, de Merrill Lynch ou d’autres banques étrangères, lesquelles sont généralement installées en Île-de-France.
En tant que telles, les agences ne sont pas définies par le code monétaire et financier. Or ce sont elles qui semblent faire l’objet de cet amendement.
Sur le fond, j’entends qu’il s’agit, non pas d’imposer aux établissements bancaires une décision quelconque, mais de garantir la communication d’une information. Néanmoins, il nous semble que ces dispositions posent des difficultés de mise en œuvre.
Pour ces raisons, nous émettons un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous rappelle que le groupe du RDSE a inscrit, dans le cadre de son espace réservé, un débat à la suite de cette proposition de loi.
Nous nous situons dans un espace réservé de quatre heures. Je serai donc dans l’obligation d’interrompre nos travaux à dix-huit heures trente-cinq.
Il serait nécessaire d’achever à dix-sept heures quinze la discussion de cette proposition de loi pour que nous puissions examiner les deux points inscrits à l’ordre du jour par les élus du RDSE. Afin que la situation soit parfaitement claire, j’invite les uns et les autres à être aussi concis que possible dans leurs présentations, leurs avis et leurs explications de vote.
Mme Cécile Cukierman. Si l’on n’a plus le droit de parler, je m’en vais !
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 14, présenté par MM. P. Joly, Raynal, Kanner, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, Lalande et Lurel, Mme Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dès lors qu’un établissement bancaire décide de fermer l’unique distributeur automatique de billets du territoire, il a l’obligation d’en ouvrir un nouveau dans un périmètre de dix kilomètres.
La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Afin de pouvoir présenter plus en détail l’amendement suivant, je retire cet amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 14 est retiré.
L’amendement n° 12 rectifié, présenté par MM. P. Joly, Raynal, Kanner, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, Lalande et Lurel, Mme Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les zones rurales à faible densité de population, dont la densité est au plus égale à un quart de la moyenne nationale, dès lors qu’un établissement bancaire décide de fermer un distributeur automatique de billets, il a l’obligation d’en ouvrir un nouveau dans un rayon permettant de rendre accessible un distributeur à cette population dans un temps de trajet en voiture égal tout au plus à quinze minutes, sauf si dans ce même rayon est déjà présent au moins un distributeur.
La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Lorsqu’un établissement bancaire ferme un distributeur automatique de billets dans une zone rurale peu peuplée, il doit avoir pour obligation d’en implanter un nouveau dans un rayon raisonnable, défini par un trajet de quinze minutes en voiture, dès lors qu’il n’existe pas un autre distributeur dans ce secteur.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteur. Cette obligation paraît excessive : elle rigidifie fortement la capacité des établissements bancaires à adapter leur offre aux besoins constatés.
De plus, ces dispositions ne tiennent pas compte des autres moyens d’accès aux espèces que sont les relais commerçants ou le cashback. Certes, dans certaines zones, le DAB est le seul recours adéquat. Néanmoins, le critère retenu pour l’obligation proposée, fondé sur la densité de la population, n’est pas approprié : les difficultés tiennent plutôt au raccordement aux réseaux de télécommunications.
La commission demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Je rejoins Mme la rapporteur, et j’émets un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Guené, pour explication de vote.
M. Charles Guené. Je souhaite attirer l’attention sur l’intérêt que présente cet amendement : si l’on veut maintenir les DAB sur le territoire, il est important de ne pas déconstruire ce qui existe.
À ce titre, ces dispositions me semblent assez bien ciselées. Elles prennent pour modèle celles qui s’appliquent aujourd’hui à La Poste et ne seront pas une contrainte pour les banques, bien au contraire. Je pense à l’exemple précis des points Poste : nombre d’entre eux possèdent des DAB, et, s’ils étaient certains que ceux-ci subsistent, ils se reconvertiraient dans un autre système.
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteur. Ce n’est pas si sûr…
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2.
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme la présidente. L’amendement n° 13, présenté par MM. P. Joly, Raynal, Kanner, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, Lalande et Lurel, Mme Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les zones rurales où les habitants sont éloignés de plus de cinq kilomètres ou de plus de vingt minutes de trajet automobile d’un distributeur automatique de billets, les transactions sont exonérées des frais d’utilisation de la carte bleue pour toutes les transactions inférieures à 100 euros.
La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Dans les zones rurales où il n’y a pas de distributeur automatique de billets, nous proposons d’exonérer du coût du paiement par carte bancaire les montants inférieurs à 100 euros, c’est-à-dire les transactions du quotidien.
Dès lors que les habitants d’un territoire n’ont pas la possibilité de payer en espèces, il paraît équitable de ne pas prélever de frais bancaires pour l’utilisation de la carte bancaire en dessous de ce montant.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteur. J’approuve l’intention : il s’agit de ne pas pénaliser les commerçants et les consommateurs qui peuvent être contraints de recourir à la carte bancaire pour des transactions courantes.
Toutefois, j’ai quelques doutes quant à l’application de ces dispositions. En pratique, les frais liés à l’usage de la carte bleue sont fixés dans une convention d’utilisation entre le commerçant et l’établissement bancaire. Comment les critères d’accès aux distributeurs automatiques de billets seraient-ils appréciés ? Comment les conventions seraient-elles justifiées ?
Ces interrogations étant formulées, je m’en remets à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Cet amendement vise à encourager l’acceptation de la carte bancaire par les commerçants dans les zones rurales où il n’y a pas de distributeur automatique de billets.
Avant tout, je tiens à rappeler que, sur l’initiative des pouvoirs publics et des autorités européennes, le montant des commissions à la charge des commerçants a été substantiellement réduit au cours des dernières années. La commission dite « interchange » est désormais plafonnée par le règlement européen relatif aux commissions d’interchange pour les paiements par carte.
De plus, le minimum de perception, prélèvement forfaitaire quel que soit le montant de l’opération, a été divisé par deux : entre 2016 et 2017, il a été réduit de 10 centimes à 5 centimes, sous l’égide du Comité national des paiements scripturaux, afin de faciliter l’acceptation des paiements par carte à partir d’une somme très faible.
Les dispositions proposées risqueraient d’avoir des effets pervers : en définitive, elles iraient à l’encontre du but visé et pourraient rendre plus aigu le problème de desserte de ces territoires en modes de paiement adéquats. En effet, si l’on supprime les commissions versées aux banques dans le cadre des transactions par carte chez les commerçants, les banques risquent de renoncer à offrir ce service dans les zones ciblées. Le service rendu repose sur une infrastructure dont le coût justifie une rémunération du prestataire.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Ces dispositions sont tout simplement inapplicables, ce n’est donc pas la peine d’en parler.
Plus généralement – il s’agit là d’une explication de vote sur l’ensemble de la proposition de loi –, on sait bien que, depuis longtemps, tous les gouvernements, quels qu’ils soient, tentent de supprimer l’argent liquide. Raymond Barre, déjà, voulait supprimer le billet de 500 francs. Et je rappelle que, sous l’effet de diverses pressions, bon nombre de commerçants refusent les billets de 100, 200 et 500 euros, alors même qu’ils ont cours légal !
On comprend pourquoi, et l’on peut être tenté de tout payer par carte : on peut même payer de cette manière, jusqu’à 30 euros, sans composer le code secret. Mais, derrière tout cela, à travers l’intelligence artificielle, c’est Big Brother qui se profile. Les organismes assurant la gestion des cartes bancaires savent qui paie quoi, à quelle heure et comment. Le jour venu, nos concitoyens refuseront que Big Brother se saisisse de leur vie privée. Ils réclameront à cor et à cri que l’on remette le liquide en circulation.
Bien entendu, il faut préserver les distributeurs automatiques de billets. C’est pourquoi j’approuve tout à fait cette proposition de loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 13.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 3
I. – Les conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales de l’article 1er sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
II. – Les conséquences financières résultant pour l’État de l’article 1er et du I du présent article sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, dans le texte de la commission, modifié.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Bravo !
4
La ruralité, une chance pour la France
Débat organisé à la demande du groupe du RDSE
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sur le thème : « La ruralité, une chance pour la France ».
Dans le débat, la parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe auteur de la demande.
M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous venons d’achever l’examen d’un texte à la fois pragmatique, en ce qu’il répond à un manque, et novateur, en ce qu’il propose un mécanisme inédit.
À travers cette initiative transparaît notre ambition d’une meilleure cohésion des territoires. À cette fin, notre proposition de loi s’efforce d’apporter une réponse opérationnelle à une difficulté réelle rencontrée non seulement dans certains territoires ruraux, mais aussi dans certains quartiers de la politique de la ville : le manque de distributeurs automatiques de billets, les DAB.
Je ne vais pas rouvrir les débats consacrés à ce texte. Je relève simplement l’importance pour nous, législateurs, de répondre à ces attentes du quotidien.
Le débat que nous avons choisi d’inscrire dans notre espace réservé a pu, par le passé, être abordé dans cet hémicycle. De plus, le Sénat, par son ADN, porte une attention particulière aux thématiques relevant de nos territoires, et notamment de nos zones rurales.
D’autres le diront après moi : il n’existe évidemment pas un archétype de la ruralité. Les territoires ruraux sont divers et s’inscrivent dans des dynamiques singulières.
Notre débat vise également à sortir des caricatures et des postures. Oui, les gouvernements successifs ont mené des réformes. À cet égard, je salue le retour sur nos travées de Jacques Mézard. Nous connaissons tous la vigueur avec laquelle il a défendu, dans ses fonctions ministérielles, le développement de tous les territoires.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Je pense non seulement aux villes moyennes, autour du plan national « Action cœur de ville », mais aussi aux zones rurales.
Ces territoires, nous les connaissons, nous en venons, nous y retournons chaque semaine. Et je vois d’ailleurs que les orateurs qui me succéderont sont tous d’excellents connaisseurs des ruralités !
Monsieur le ministre, vous-même disposez d’une expertise certaine en la matière, puisque vous êtes ancien élu rural et chasseur. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Formidable !
M. Jean-Paul Émorine. Mais est-ce vraiment une qualité ? (Sourires.)
M. Jean-Claude Requier. Plus que des espaces ruraux, je veux d’abord parler des gens qui y vivent, qui y sont nés et qui veulent y rester, ou qui s’y installent pour la qualité de vie, malgré les difficultés auxquelles ils se heurtent. Par ce débat, nous entendons aussi nous faire les porte-parole de l’exaspération de ces habitants.
Mes chers collègues, vous m’avez souvent entendu tonner à cette tribune contre la limitation de la vitesse à quatre-vingts kilomètres par heure sur les routes nationales. Je note que cette mesure, dont je doute toujours de l’efficacité, contribue à allonger les trajets quotidiens de millions de personnes. Elle a aussi été perçue comme une incompréhension des réalités vécues.
En effet, pour beaucoup de Français, il n’existe pas, en tout cas pas encore, de moyen de se passer de la voiture individuelle. Cela explique sans aucun doute l’accès de fièvre qui touche actuellement notre pays, lequel voit nombre de nos compatriotes revêtir un gilet jaune.
Monsieur le ministre, la question des mobilités est une dimension majeure de l’aménagement du territoire. Un projet de loi d’orientation, très attendu, devrait être prochainement inscrit à l’ordre du jour du conseil des ministres. Pouvez-vous nous éclairer quant aux dispositions qui s’appliqueront plus spécifiquement aux espaces ruraux ?
Parmi les autres motifs de préoccupation, j’évoquerai tout d’abord l’accès à des soins de proximité et de qualité. En la matière, plusieurs actions ont été engagées ces dernières années, comme la promotion de la création des maisons pluridisciplinaires ou le renforcement des mécanismes incitatifs à l’installation de médecins dans des zones sous-dotées.
Nous avons évidemment porté une grande attention aux mesures du plan « Ma Santé 2022 », présenté en septembre dernier par le Président de la République. Ce plan ambitionne de réviser en profondeur l’organisation territoriale, pour la médecine de ville comme pour le maillage hospitalier. Sans entrer dans les détails, il s’agit de créer un collectif de soins de proximité à l’horizon de 2022.
Certaines de ces dispositions ont déjà pris place dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale que nous avons adopté hier. D’autres constitueront l’architecture du projet de loi Santé, annoncé pour 2019. Même si ces thématiques ne relèvent pas directement de vos attributions, pouvez-vous nous en dire davantage à propos de son impact sur la carte des hôpitaux de proximité ?
L’accès aux services publics est une autre problématique récurrente. En la matière, les maisons de services au public, les fameuses MSAP, ont pu constituer une réponse intéressante en permettant de maintenir, via des formes nouvelles, la présence de services au plus près de nos concitoyens. Comment entendez-vous poursuivre l’effort dans cette direction ?
Je tiens également à dire un mot de l’administration territoriale de l’État. Ces dernières années, nous avons été témoins de vagues de réorganisation qui ont entraîné la fermeture d’implantations. Je pense notamment aux trésoreries et aux gendarmeries. À la révision générale des politiques publiques, la RGPP, et à la modernisation de l’action publique, la MAP, succède aujourd’hui le plan Action publique 2022, qui suscite certaines inquiétudes. Le Gouvernement doit les entendre, surtout quand un même territoire est touché par des fermetures en cascade sans que les différents services de l’État semblent se concerter.
À ce stade, je souhaite également m’attarder sur la dimension numérique de l’aménagement.
Nous le savons, l’accès à l’internet à très haut débit et la couverture mobile partout en France constituent un sujet de préoccupation majeure pour nos concitoyens. Alors que le numérique est présent chaque jour dans nos vies, l’accès à une connexion internet de qualité est devenu aussi important que l’accès à l’eau ou à l’électricité.
Au regard des constantes innovations, nous sommes à l’aube de bouleversements plus grands encore, qui seront permis par ces technologies. Assurer leur développement partout et pour tous relève donc de l’égalité républicaine.
Dans les espaces ruraux, le numérique peut constituer une formidable chance de dépasser certaines contraintes géographiques, à condition, bien sûr, que l’on dispose d’une couverture de qualité. C’est un défi considérable qui nous est collectivement posé, et pour lequel l’État, en partenariat avec les opérateurs de télécommunications et les collectivités territoriales, a décidé d’engager des moyens sans précédent, notamment dans le cadre du plan France très haut débit.
Ce plan connaît ainsi une montée en puissance régulière, même si nos concitoyens trouvent que le mouvement ne va pas assez vite. Entendons leur impatience.
Dans les zones peu denses, l’outil majeur est constitué par la mise en place de réseaux d’initiative publique, les RIP, qui bénéficient d’une enveloppe de subventions de l’État de 3,3 milliards d’euros. Les RIP se déploient dans les départements. Mais, ces derniers mois, s’est posée la question d’un nouvel abondement de l’État et de la réouverture du guichet de subventions. Une quarantaine de départements sont concernés. Pouvez-vous nous donner des informations quant à la réouverture du guichet France très haut débit ?
Pour ce qui concerne, plus spécifiquement, la couverture mobile, pouvez-vous nous dresser un rapport d’étape, quant à la mise en œuvre de l’accord historique de janvier dernier et quant à l’atteinte de l’objectif de généralisation d’une couverture mobile de qualité dès 2020 ?
Les enjeux dont il s’agit sont prégnants, ce qui commande de les inclure dans notre politique d’aménagement. C’est la raison pour laquelle nous avons milité, au début de ce mois de novembre, pour que l’Agence du numérique rejoigne la future agence nationale de la cohésion des territoires, dans le cadre de la proposition de loi que notre assemblée a adoptée. Pouvez-vous nous confirmer l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ?
Vous le savez : nous avons voulu cette agence nationale pour épauler les collectivités territoriales ne disposant pas d’importantes ressources en ingénierie. Celles-ci sont souvent situées dans des zones rurales. Outil au service des territoires, cette agence doit contribuer à ce que l’on sorte d’une logique descendante et à ce que l’on reconnaisse enfin aux élus leur rôle de moteur du développement rural.
Je pourrais poursuivre mon propos en évoquant la nécessaire revitalisation des centres-bourgs, les thématiques de l’habitat ou le soutien à la vie culturelle. Mais, ayant évoqué les difficultés auxquelles font face les territoires ruraux, je ne voudrais pas alimenter le cliché d’une ruralité malheureuse. (M. le ministre acquiesce.)
Si nous avons fait le choix d’inscrire ce débat à l’ordre du jour de cette séance, c’est aussi pour mettre en avant les potentialités de ces territoires, et pour cause : il y a de la vie dans nos campagnes, il y a de l’espoir, il y a des initiatives qui fleurissent, et qui sont menées par des citoyens, des entrepreneurs ou des élus.
Qu’attendent ces forces vives de l’État ? Notre débat d’aujourd’hui ne suffira pas à épuiser la question. Mais, en conclusion, si je devais le résumer en une phrase, je dirais qu’il s’agit de rassurer les ruraux, qui, loin d’être une charge, sont une chance pour la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Perrot. (Mme Michèle Vullien applaudit.)
Mme Évelyne Perrot. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, permettez-moi tout d’abord de reprendre quelques chiffres clefs publiés par l’Association des maires ruraux de France : 21,4 millions de personnes résident aujourd’hui dans une commune rurale, à savoir un Français sur trois ; 85 % de ces habitants sont des actifs potentiellement créateurs d’une activité économique ; notre territoire compte 32 212 communes rurales, et plus de 80 % d’entre elles sont en croissance démographique.
Contrairement aux idées reçues, la ruralité n’est pas nécessairement liée au monde agricole. Elle vit aussi grâce à des PME ou à de grands groupes.
Les territoires ruraux sont une richesse en termes d’espace, de qualité de vie, de développement économique et de vie sociale.
Le monde rural joue un rôle essentiel. Il présente un important potentiel de bâti à restaurer : nous pourrions y accueillir des locataires sans dévorer des terres agricoles et, ainsi, redynamiser les cœurs de village. Nous devons préserver le foncier agricole, même si l’agriculture n’est plus la composante unique de la ruralité.
Avec l’accès à internet, les territoires deviendront attractifs. C’est une condition essentielle à la vie des communes.
Pour le développement économique, la santé, l’école et la formation, le quotidien des habitants qui vivent en milieu rural, il est important de maintenir une véritable offre de services publics. Nous devons, ensemble, réaménager le service au public et en rendre l’accès facile à la population vieillissante.
Les communes ont bien souvent investi pour réaménager des classes, construire des groupements pédagogiques et des cantines. Ces écoles sont des lieux de qualité. L’enfance y est belle.
Il faut favoriser la desserte des villages afin que chacun puisse circuler correctement : les bus scolaires et les magasins ambulants sont autant de liens indispensables pour la population. Une bonne circulation routière, voire ferroviaire, avec la réouverture de petites lignes, favoriserait le développement économique.
Peut-on donc encore légitimement parler d’une opposition entre urbain et rural ? Non, il faut apprendre dorénavant à échanger : l’équité s’impose, c’est la seule voie possible.
Nous devons, enfin, voir la ruralité comme une chance pour notre pays, car elle est plus que vivante. Osons même dire qu’elle se mérite !
En septembre dernier, lors d’un congrès national des maires ruraux, j’ai perçu une profonde inquiétude chez les élus. Certains d’entre eux se posent beaucoup de questions sur l’avenir et se sentent délaissés au profit des grandes agglomérations.
Pourtant, malgré la diminution des compétences des maires, le monde rural avance et se développe. Les projets sont là, mais les dossiers pour obtenir des financements sont plus difficiles à monter. Ce qui relevait du bon sens hier devient un parcours du combattant aujourd’hui, et l’on finit souvent par s’entendre dire au bout du troisième dossier : « Ce n’est pas éligible ! »
M. Bruno Sido. Eh oui !
Mme Évelyne Perrot. Tel est le quotidien des maires ruraux ! Beaucoup se lassent, abandonnent, jettent l’éponge aux élections suivantes, mais une très large majorité poursuit sa mission. C’est une force collective inépuisable qui nous dit : « Appuyez-vous sur nous, pour faire sortir le pays de ses impasses, aidez-nous à nous occuper de nos populations, rendez-nous du pouvoir d’agir, donnez-nous un véritable statut d’élu qui accompagne l’engagement de ces centaines de milliers de bénévoles. » Quoi de plus beau, socialement, que la gestion d’une commune rurale ?
Ne regardons plus la ruralité comme un ensemble de lieux retardés alors qu’elle bouillonne d’idées de bon sens, celles que les ruraux ont toujours eues : il fallait survivre, se serrer les coudes, la terre n’était pas facile.
Aujourd’hui, le monde rural peut apporter beaucoup, à condition qu’il ne se sente pas délaissé ni injustement oublié. Il adresse ainsi un appel formidable aux investisseurs privés pour que ceux-ci s’emparent de son potentiel d’emplois, créent des débouchés aux nouvelles technologies et le regardent comme une aire de déploiement de leurs solutions industrielles et de leurs services. (M. Bruno Sido applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord remercier le groupe du RDSE d’avoir proposé ce débat sur la ruralité. Ce sujet est fondamental actuellement, en particulier pour certains territoires en grande difficulté qu’il faut aider à relever de multiples défis.
L’une des raisons des problèmes qu’ils rencontrent se trouve dans la définition même du « rural », qui doit être plus précise, afin que l’on puisse mettre en place des actions spécifiques, efficaces, propres à chacun des territoires. Le périurbain n’est pas la campagne profonde.
Il faut distinguer deux ruralités : la ruralité périurbaine et l’hyper-ruralité.
La première est proche des villes et des centres d’emploi, elle est dynamique, elle attire notamment les jeunes couples et les retraités qui cherchent une qualité de vie entre ville et campagne, tout en maintenant la proximité des services publics, des activités culturelles et sportives. Dans ces zones, les maisons se vendent, les hameaux sont peuplés, le foncier se porte bien.
Le développement de cette ruralité périurbaine est souhaité par les habitants pour la qualité de vie qu’ils y trouvent. C’est un atout fort de ces territoires, qu’il convient de soutenir davantage au travers de la mise en œuvre de politiques publiques adaptées au niveau des communautés de communes et d’agglomération : aides au désenclavement, à la création d’emplois, programmes de voirie, développement des infrastructures et du numérique, préservation des services publics.
Ces communes périurbaines doivent avoir les moyens de saisir toutes les opportunités liées aux nouvelles façons de vivre des Français, qui cherchent des lieux de vie plus spacieux où s’épanouir. Notre agriculture en bénéficiera également, avec le développement des circuits courts en zone périurbaine ou en ville.
Ces territoires périurbains doivent devenir un lien entre l’hyper-ruralité et les centres urbains.
La seconde ruralité, celle qui me tient à cœur, c’est l’hyper-ruralité, qui concerne 5 % de la population sur 30 % du territoire. Elle se situe plus loin des centres urbains, des bassins d’emploi ou des zones d’activité et reste marquée par l’évolution vers la désertification des territoires, avec une diminution constante de la population, comme dans les zones d’élevage, lesquelles ont connu un exode de leurs agriculteurs, dont le nombre a été divisé par quatre en vingt ans.
C’est un cercle vicieux dont seules des solutions apportées par la puissance publique peuvent permettre de sortir. En effet, un accompagnement fort et volontariste de ces territoires ruraux abandonnés est indispensable pour soutenir les politiques publiques locales comme les initiatives privées et attirer une nouvelle population. Cela est possible si la volonté existe ; malheureusement, depuis plusieurs années, tel n’est pas le cas.
Certains sujets concernent toutes les ruralités : la nécessité d’assurer une couverture en haut débit, les maisons de services au public, le soutien aux agriculteurs, le maintien de blocs de soins, la préservation des dotations pour les petites communes – elles sont deux fois plus faibles par habitant que dans les villes –, la lutte contre la désertification bancaire et pour la présence de distributeurs automatiques de billets, les DAB – c’est très important, ainsi que nous venons de le dire.
Plus spécifiquement, pour faire de cette hyper-ruralité une chance pour la France, d’autres actions doivent être menées. Il faut ainsi identifier dans chaque département les zones d’hyper-ruralité, qui pourraient être définies en fonction de leur niveau d’enclavement, de leur densité de population, de leur distance par rapport aux axes autoroutiers et ferroviaires ou encore de l’éloignement des bassins d’emploi.
Il faudrait également mettre en place un guichet unique sous l’autorité directe du préfet, qui centraliserait les dossiers de créateurs d’entreprises et d’initiatives publiques et les accompagnerait tout au long du processus de création, en bonne coordination avec les acteurs concernés du territoire : région, conseil départemental, agglomérations, communes et chambres consulaires. L’agence nationale de la cohésion des territoires, portée par Jean-Claude Requier, jouera-t-elle ce rôle ?
Des avantages fiscaux et sociaux additionnels permettraient de compenser les inconvénients découlant de l’enclavement : des zones franches – elles n’ont jamais existé – ou des zones de revitalisation rurale, ZRR, offrant l’exonération des charges et apportant des avantages substantiels pour l’installation d’entreprises, de PME, de TPE, de commerces ainsi que pour la rénovation d’équipements touristiques. J’ai notamment à l’esprit des subventions à hauteur de 60 % pour les entreprises ou les collectivités qui réalisent des opérations immobilières destinées aux professionnels et la mise en place de zones artisanales pour un prix de revente très attractif pour les porteurs de projets. C’est indispensable si nous voulons maintenir la vie et les services publics dans ces territoires.
J’ajoute que l’augmentation des prix du gasoil et du fioul est très pénalisante pour ces territoires. S’agissant du chauffage, par exemple, 1 000 litres de fioul, aujourd’hui, coûtent 250 euros de plus qu’en 2017. Les voitures sont, elles, indispensables, car les gens travaillent parfois à trente kilomètres de leur domicile. C’est ainsi, pour maintenir le monde rural, il faut que les gens puissent aller travailler en voiture !
Or nous devons nous mettre en tête qu’il n’est pas possible, financièrement, de changer les chaudières ou les voitures, même avec des aides, parce que, souvent, les retraites tournent autour de 1 000 euros et les salariés sont payés au SMIC. Les entreprises aussi, notamment dans le transport, sont actuellement dans le rouge.
Depuis trop longtemps, l’État ne considère pas l’hyper-ruralité comme une chance pour la France, mais plutôt comme des territoires sans avenir, des zones ignorées, en désertification.
Il faut une ambition politique forte, associant l’ensemble des acteurs concernés – État, région, département ou intercommunalités – pour mettre en place une véritable politique d’aménagement des territoires ruraux, y compris de la ruralité profonde, grande oubliée des pouvoirs publics, afin de lui donner une chance légitime de maintenir simplement la vie.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Genest. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Genest. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « La ruralité : une chance pour la France », voilà un beau sujet pour le grand oral de l’ENA, qui aurait ainsi l’occasion, pour une fois, d’évoquer cette autre France !
Bien entendu, ces territoires, peuplés par des autochtones d’un autre siècle, qui « fument des clopes et roulent au diesel », ont des atouts dans leurs mains ; à condition, toutefois, que l’État ne joue pas au poker menteur. C’est en partant de nos handicaps que nous trouverons les voies de notre développement.
Cette volonté de partir des réalités pour imaginer l’avenir préside aux réflexions du groupe de travail consacré à la ruralité que j’anime avec mes collègues Daniel Laurent et Jean-Marc Boyer au sein du groupe Les Républicains du Sénat, qui s’articulent autour de trois axes incontournables : le développement économique, les services au public et l’organisation territoriale.
Elles s’inscrivent dans la continuité logique du précédent groupe de travail que j’avais eu l’honneur d’animer en 2016 et qui avait conduit à l’adoption de la proposition de loi visant à relancer la construction en milieu rural. Le Gouvernement n’a jamais jugé utile de l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, mais le Sénat a obtenu des avancées en enrichissant la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, ou ÉLAN, des dispositions qu’il avait votées.
La répétition étant un outil pédagogique favorisant la mémorisation, je vais reprendre devant le Gouvernement – que vous représentez, monsieur le ministre – les propos que je tenais lors de l’examen de notre proposition de loi : « À quoi aspirent nos compatriotes qui vivent dans les bourgs et les villages ? À travailler au pays, à y disposer de services, notamment médicaux, et à habiter dans un logement qui corresponde à leurs besoins, leur culture et, surtout, leur façon de vivre. »
Avons-nous, depuis lors, beaucoup avancé sur ces attentes aussi légitimes qu’essentielles ? Comme beaucoup d’entre nous, j’en doute.
Pour renforcer l’attractivité de nos territoires, qui offrent un cadre et une qualité de vie incomparables, la priorité reste l’emploi et donc le développement économique, qui nécessite un désenclavement routier, ferroviaire et numérique. Les citoyens, les entrepreneurs, les élus ruraux réclament moins de contraintes et de normes, mais davantage de marges de manœuvre pour conduire des initiatives privées adaptées à leurs réalités.
La proposition de loi sénatoriale portant Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs a été un premier pas important, mais il en faudra beaucoup d’autres pour réparer des décennies d’ouvertures d’hypermarchés aux conséquences ravageuses.
La relance du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, que propose le Sénat dans le cadre du budget pour 2019, est une excellente chose, à condition de l’utiliser conformément à sa vocation : au profit des artisans et commerces de proximité.
Pour créer ce nouveau souffle, il faut également une démographie plus dynamique, qui est indissociable du développement des services publics, évidemment, mais aussi des services à la personne, notamment dans le domaine médical.
Ce dernier aspect est crucial : qui pourrait souhaiter s’établir avec sa famille dans un désert médical ? Il faudra bien un jour poser sans tabou la question de l’installation des médecins, en renonçant aux solutions qui ont systématiquement échoué !
L’organisation de notre République – décentralisée, paraît-il ! – est un levier important dans le combat pour la ruralité. Adaptons-la aux réalités géographiques, plutôt que l’inverse ! Dans le nouveau jardin à la française des intercommunalités « XXXL », il faut redonner aux communes les capacités d’agir, car elles sont l’échelon de base de la démocratie et font battre le cœur de nos territoires.
Les premiers acteurs de cette vitalité que nous appelons de nos vœux sont les élus locaux. Monsieur le ministre, si, à l’occasion de la réforme des institutions, le nombre de sénateurs qui les représentent baisse jusqu’à devenir anecdotique, les régions rurales et leurs habitants, faute de défenseurs, sombreront définitivement dans l’oubli et dans le déni démocratique.
Pour conclure, je rappelle que, pour tirer la France rurale vers le haut, nous demandons le soutien de l’État et non un discours de compassion porté par ses représentants. En 2015, 21 % de la population habitait dans une commune rurale de moins de 3 500 âmes ; il ne s’agit donc pas d’une frange marginale, mais d’un Français sur cinq.
Les ruraux aiment et défendent les agriculteurs et l’environnement, mais ils veulent pouvoir tirer parti de leurs ressources sans vivre parqués dans des réserves à la population vieillissante et déclinante.
Alors, réveillons nos territoires ! Offrons à nos concitoyens la possibilité d’exprimer le dynamisme dont ils sont capables ! Faisons confiance à leur aptitude à penser leur futur qui, loin de l’image figée du passé, projettera un avenir qu’ils auront eux-mêmes imaginé.
Au nom des ruraux, je termine par un appel. Monsieur le Président de la République, mesdames, messieurs les ministres, cessez de nous ignorer et de nous mépriser, mais écoutez-nous, entendez-nous et tenez compte de la grogne qui monte des champs et des villages. C’est la cohésion et l’union de la France qui sont en jeu ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme beaucoup d’entre nous, je voudrais d’abord me féliciter de l’inscription à l’ordre du jour de ce débat, alors que se tient actuellement, au bout de la rue de Vaugirard, le Congrès des maires. Les élus locaux dans toute leur diversité, représentants des collectivités de tailles différentes, y expriment différents points de vue, en souhaitant être entendus et obtenir les moyens de remplir leur mission, non pas pour le plaisir, mais parce qu’ils sont animés par la volonté, qu’ils ont chevillée au corps, de répondre aux besoins des femmes et des hommes qui vivent et qui travaillent sur les territoires qu’ils administrent.
Nous pourrions nous demander s’il est nécessaire de passer une heure à discuter, puisque nous sommes tous convaincus que la ruralité est une chance pour la France. Nous l’avons dit à de nombreuses reprises, au travers de diverses propositions de loi ou d’autres débats.
Au vu de l’actualité, toutefois, j’ai envie d’insister. La ruralité, c’est 35 % des Français répartis sur 90 % du territoire. C’est une chance, en effet, mais il faut la préserver et la sécuriser pour les années à venir.
Monsieur le ministre, je l’ai déjà dit ici, mais vous-même l’entendrez pour la première fois, car vous n’étiez pas présent durant la discussion précédente : nos territoires ruraux connaissent de vrais problèmes, liés à la disparition ou à la fragilisation de services publics, mais aussi privés.
La question de l’accès aux soins dans leur diversité se pose, par exemple. Aujourd’hui, les schémas régionaux de santé illustrent la volonté de réduire au minimum la présence en milieu hospitalier. Ils incitent donc les personnes malades à sortir le plus tôt possible et à poursuivre les soins à domicile, alors même que, dans certains territoires, les secteurs médical et paramédical rencontrent des difficultés pour accompagner les patients dans cette démarche en toute sécurité. J’en ai été témoin dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Il en va de même s’agissant du maintien des écoles rurales. Au-delà du slogan, une école, c’est plus que l’avenir d’un village, c’est la garantie d’un dynamisme susceptible d’assurer son renouvellement en accueillant de nouvelles populations qui s’investiront ensuite dans la vie associative.
Tout cela est aujourd’hui fragilisé.
Je voudrais également évoquer la question de la mobilité dans son ensemble : que deviendront, demain, les 9 000 kilomètres de lignes ferroviaires jugées non rentables ? On oblige de plus en plus souvent les collectivités à mettre la main à la poche pour assurer la continuité ferroviaire. La réouverture de la ligne entre Montbrison et Boën, par exemple, n’a été possible que parce que les communautés d’agglomération et la région ont participé aux coûts afin de restaurer la desserte.
Je pourrais évoquer également ces multiples guichets dont l’amplitude d’ouverture est réduite, quand ils ne sont pas tout simplement définitivement fermés. Leur liste s’allonge, en particulier dans les territoires ruraux.
Tout cela pose la question de la mobilité subie. La plupart des habitants sont contraints d’utiliser leur voiture et se voient stigmatisés, désignés comme responsables de tous les maux.
On demande beaucoup plus d’efforts fiscaux aux populations rurales qu’à celles qui ont suffisamment d’argent – je n’évoquerai pas le cas d’un grand patron, mis en examen aujourd’hui à quelques milliers de kilomètres d’ici ! Il faudrait tout de même savoir s’adresser aux Françaises et aux Français qui en ont le plus besoin. Après l’imposition des 80 kilomètres par heure, puisque, dans nos territoires, nous ne sommes pas à cinq minutes près, on culpabilise celles et ceux qui, faute d’autre possibilité, font le plein et remplissent la cuve de leur chaudière.
Cette situation résulte d’une course à la métropolisation qui a vidé petit à petit les territoires de leurs populations.
Les communes rurales doivent donc retrouver toute leur place pour permettre le maintien de territoires dynamique, de territoires vivants, de territoires d’innovation, puisque l’innovation est une opportunité de développement. L’ensemble des politiques publiques doit être mobilisé à cette fin, car les territoires ruraux, à tous les échelons, ont besoin d’aide, de moyens et donc d’argent public pour pouvoir investir. Les politiques des gouvernements successifs comme des majorités régionales ont manqué à leur devoir de les accompagner dans l’innovation, pourtant nécessaire.
Ce sont l’investissement public et l’ingénierie qui permettront, demain, à nos territoires ruraux de répondre aux besoins des femmes et des hommes qui y vivent et qui continueront d’y vivre. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nelly Tocqueville.
Mme Nelly Tocqueville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe du RDSE d’avoir proposé au Sénat ce débat. Cette approche originale attire notre attention sur une spécificité française.
En effet, poser la question de la ruralité, c’est s’intéresser à une somme de problématiques qui vont bien au-delà du portrait qu’on en faisait, il n’y a pas si longtemps encore, en désignant par ce vocable des territoires à l’activité majoritairement agricole.
Aujourd’hui, ces territoires dits « ruraux » ne peuvent plus faire l’objet d’une lecture aussi simpliste, car leur évolution démographique, économique ou territoriale renvoie à des caractérisations nouvelles.
Cependant, au-delà des mutations qu’il a connues, le monde rural reste une marque majeure de l’identité et de l’organisation du territoire national : il représente 80 % de la superficie de la France, une part importante de sa population y réside encore et de nombreux emplois s’y concentrent.
Non, la ruralité ne peut pas faire seulement l’objet de discours condescendants ponctuels ou de quelques mesures destinées à compenser les carences dont elle souffre depuis plusieurs années et qui ne font que s’amplifier, alors qu’elle est riche de tant de potentiel, de talents, de créativité et d’énergies.
Ces territoires sont d’abord des laboratoires de démocratie locale où la relation de proximité qui s’établit entre habitants et élus leur permet de débattre directement des choix et des projets.
Élue pendant vingt-trois ans, dont dix-sept ans comme maire, d’une commune comptant 900 habitants, j’ai apprécié d’échanger au quotidien directement avec les habitants, le milieu associatif, les entreprises, les parents d’élèves, les enseignants, toutes les forces vives qui garantissent une cohésion sociale rassurante et équilibrée. Personne ne reste sur le bord de la route dans ces espaces privilégiés de l’exercice de la démocratie.
Ainsi, la création des services d’aide à la personne en milieu rural et leur développement témoignent de la capacité de ce système participatif à répondre aux besoins de tous ses membres.
Ce n’est sans doute pas non plus par hasard que ces territoires sont également des laboratoires d’innovation qui génèrent des emplois dans des secteurs industriels nouveaux. Les visites d’entreprises que j’ai effectuées dans mon département, la Seine-Maritime, m’ont permis de découvrir, dans des communes d’où l’activité agricole a parfois presque entièrement disparu, des acteurs économiques travaillant dans des domaines très pointus et dont le rayonnement s’étend dans certains cas bien au-delà de nos frontières.
L’espace rural devient alors un lieu de production de nouvelles richesses, tourné vers les énergies renouvelables en développant la filière bois ou la fabrication de plastiques ménagers à partir de matières recyclées ; un lieu de production énergétique, en investissant dans les biocarburants ; un lieu de croissance de l’économie sociale et solidaire, en développant des conciergeries de service. Toutes ces activités sont à coup sûr créatrices d’emplois. Ces atouts intéressent nombre de nouveaux habitants, souvent jeunes, qui recherchent une meilleure qualité de vie, dans un environnement qui bénéficie d’un patrimoine naturel et de nombreux facteurs d’attractivité.
C’est précisément parce que notre territoire national dispose de ces richesses, qui lui confèrent son originalité, que nous devons leur permettre de s’exprimer et de prospérer, sans oublier d’aider ceux qui consacrent leur énergie à les valoriser, en particulier les élus locaux.
Or il faut bien constater que ces territoires ruraux – une partie de notre territoire national – se trouvent confrontés à une accumulation de handicaps : retrait de l’État et de ses services, tel que les bureaux de poste ou les trésoreries, mais aussi fermeture de maternités, inégalités de desserte ferroviaire, désertification médicale, difficultés financières, disparition des petits commerces de proximité, distances toujours plus importantes à parcourir pour accéder aux services minimums.
Alors que se tient le Congrès des maires, c’est l’écho de la désillusion des élus ruraux, pourtant si ambitieux pour leurs territoires, qui nous parvient. Comme leurs concitoyens, ils se sentent délaissés. Ils veulent bien croire aux discours qui leur promettent des lendemains meilleurs, grâce au développement de la télémédecine, par exemple, mais comment l’envisager quand, pour une trop grande majorité d’entre eux, l’accès au numérique et au haut débit s’inscrit encore dans un avenir indéterminé ?
Notre ruralité est belle, certes, et le nombre de touristes qui la parcourent chaque année confirme l’attrait qu’elle exerce et l’intérêt qu’elle suscite, mais elle ne saurait se contenter de devenir un musée à ciel ouvert !
Pour conclure, monsieur le ministre, nous ne cherchons pas à opposer le rural et l’urbain, mais nous rappelons que l’égalité des territoires est indispensable à l’équilibre du territoire national et qu’il ne peut y avoir de sous-territoire comme il ne peut y avoir de sous-citoyen. La richesse est présente partout dans l’Hexagone, c’est une chance qu’il ne faut pas laisser passer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue l’opportunité de ce débat, avant l’ouverture de l’examen du projet de loi de finances pour 2019. J’espère sincèrement qu’il sera possible d’adopter un changement de perspective et donc de politique publique à l’égard du monde rural.
Depuis plusieurs années déjà, la ruralité constitue, selon l’expression du sociologue Jean Viard, une société vivante en passe de proposer son propre modèle de développement économique et social, qu’il faut impérativement identifier et accompagner.
Je rappelle que l’article 4 de la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne dispose que « dans leur principe, la dotation globale de fonctionnement et le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales intègrent les surcoûts spécifiques induits par des conditions climatiques et géophysiques particulières ».
Or cette mesure n’a été ni mise en œuvre ni même testée, alors que les élus de montagne l’attendent.
Quelle est aujourd’hui la préoccupation principale des élus ruraux ? Ici, la préservation de l’école ou du collège, là, de l’institution publique, ailleurs, de la petite entreprise, partout, le combat permanent contre les mouvements de centralisation vers de trop grandes intercommunalités.
En visitant les élus de mon département, je suis frappé par leur envie de construire un autre mode de développement, plus autonome, plus humain qui s’appuie sur nos ressources propres et qui s’inscrit dans une stratégie nationale d’innovation et d’expérimentation.
Mes chers collègues, pour cela, nous avons besoin que des infrastructures minimales soient présentes dans tous les territoires. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, nous demandons ainsi depuis plusieurs années le désenclavement de la préfecture du département, Digne-les-Bains.
Concernant la couverture mobile et le numérique, nous n’avons plus de temps à perdre au risque de voir partir des populations pourtant séduites par la vie rurale. Nous plaidons pour une couverture plus rapide, mieux priorisée, qui utilise les infrastructures existantes, comme les pylônes TDF, notamment, ainsi que les bornes 3G actuelles, qui pourraient être mobilisés maintenant, sans attendre une hypothétique 5G, partout où la fibre est déployée uniformément.
S’agissant des médecins, nous souhaitons des assouplissements réglementaires pour l’ouverture de maisons de santé, mais aussi pour régler la question des médecins retraités ou celle des stages en milieu rural.
En ce qui concerne les écoles, nous demandons la garantie des postes de conseiller principal d’éducation, ou CPE, dans les collèges multisites et l’adaptation en conséquence des contrats de ruralité.
Je plaide ici, enfin, pour la mise en place d’un contrat de service public comprenant l’obligation de proposer à moins de quinze minutes des services de base redéfinis, de bonne qualité, disposant des moyens humains indispensables. Je souhaite, à ce titre, que les maisons de services au public bénéficient de ressources moins disparates, de permanences équivalentes et d’effectifs humains comparables afin de renforcer les usages.
Nous pourrions ainsi mettre en place un maillage plus cohérent de ces services au public. Les longues distances quotidiennes ne doivent plus être une fatalité pour la ruralité.
Monsieur le ministre, nous avons besoin d’infrastructures adaptées. En retour, les élus ruraux sont prêts à agir en autonomie, à expérimenter et à innover. Il faut s’appuyer sur eux. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Luche.
M. Jean-Claude Luche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à chaque déplacement dans mon département de l’Aveyron, je ne cesse de répéter à tous mes concitoyens : « Soyez très fiers, vraiment très fiers, d’être des ruraux ! »
En Aveyron, monsieur le ministre, nous en sommes convaincus : la ruralité est bien évidemment une chance pour la France.
Notre ruralité d’aujourd’hui est le fruit de générations qui ont œuvré sur les terres de France, pour alimenter et bâtir le pays. Bien sûr, il y a toujours eu des moqueries – nous nous les rappelons tous – sur les ruraux, qui ne seraient pas assez distingués, et l’exode rural est massif dans l’espoir de trouver un travail plus rémunérateur ailleurs.
Néanmoins, la ruralité d’aujourd’hui n’est plus celle qui est fantasmée par les uns, dénigrée par les autres. Nous nous sommes développés, et la réalité est bien différente aujourd’hui : nous aussi, nous disposons d’entreprises innovantes et performantes ; et, bien sûr, la qualité de la vie est, pour nous ruraux, bien supérieure – je le dis ici, à Paris – à ce qu’elle est dans d’autres endroits.
En effet, nous avons un espace sain – il suffit de nous voir… –, nous respirons un air pur et nous pouvons trouver des produits de qualité à proximité. En outre, les campagnes sont généralement plus sécurisées et, selon moi – mais je me trompe peut-être –, la vie de famille y est très épanouissante.
Toutefois, aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de plaider pour la vie rurale. Les bienfaits de la campagne, nous en sommes convaincus. Le défi majeur de la ruralité est démographique ; c’est notamment celui de la jeunesse et du renouvellement des générations.
En effet, nos départements ruraux vieillissent. Il nous appartient donc à tous de conserver toutes les qualités de notre territoire et d’attirer de nouvelles populations, surtout des entreprises qui créeront des emplois.
Par exemple, il est nécessaire que les départements de moins de 300 000 habitants bénéficient d’actions spécifiques pour compenser leurs handicaps naturels : le relief, les conditions météorologiques, la faible densité de population, l’éloignement des services, tous sujets sur lesquels nous devons réfléchir ensemble.
La réalisation d’infrastructures en Aveyron et à Paris a le même prix, bien évidemment, mais pas le même coût. Ainsi, pourquoi les taux de fiscalité locale – je pose cette question au moment du Congrès des maires – sont-ils plus élevés en province qu’à Paris ? Pourquoi la majeure partie des collectivités locales – communes, communautés de communes et départements – de province ont-elles une dette plus élevée que les métropoles ? Autant de sujets dont je pourrais parler longtemps.
Il est vraiment nécessaire d’établir une péréquation financière et de services pour rendre le milieu rural attractif.
Car c’est bien de l’attractivité qu’il s’agit. Alors que les métropoles et les départements urbains ne cessent de voir leur population progresser, le milieu rural, lui, se désertifie. Il est absolument impératif de rétablir cet équilibre. Les départements ruraux ne sont pas faits spécifiquement pour accueillir les touristes aux mois de juillet et août… Les ruraux ont le droit de vivre chez eux toute l’année !
Monsieur le ministre, nous sommes un certain nombre dans cet hémicycle à avoir des idées. Aidez-nous à construire un nouvel espace rural, dynamique, attractif et plus jeune ! Il faut une volonté et une véritable politique d’aménagement du territoire.
Mes chers collègues, inventons un nouveau milieu rural : ainsi, certaines mesures ou certaines lois ne peuvent pas s’appliquer de la même manière à Paris et dans nos départements ruraux, car elles n’y ont ni la même signification, ni les mêmes objectifs, ni les mêmes effets.
Mme la présidente. Il vous faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Claude Luche. Je suis persuadé que vous m’avez entendu. Je le répète encore une fois à cette tribune, ô combien symbolique : je suis très fier d’être un rural, car le monde rural est une chance pour la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Guené. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Charles Guené. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le concept de ruralité a toujours fait les délices des géographes et des parlementaires. Songeons à la diagonale du vide, ce vide dont Aristote disait que la nature a horreur, comme une sorte de French bashing avant l’heure, si vous me permettez cet anglicisme…
La ruralité est devenue le creuset d’idéologies qui inquiètent, à la suite de son abandon par les politiques publiques. Et vous me demandez d’en parler comme d’une chance ? Vaste programme, au surplus dans un temps si bref que j’en frémis.
Aujourd’hui, beaucoup définissent la ruralité par la négative, comme ce qui n’est pas la ville. Les travaux qu’elle inspire reposent sur une définition victimaire : la ruralité qui s’est conceptualisée est celle qui subit. Il est certain que la souffrance de nos campagnes est réelle, mais ce discours est-il une base saine pour défendre un projet de développement positif pour une ruralité du XXIe siècle ?
Alors que la ville a assis son rôle culturel, politique et économique, notamment dans son affirmation continuelle vers la métropole, la ruralité se cherche toujours un avenir dans notre époque. En d’autres termes, l’urbanité est un fait, quand la ruralité est un souhait.
Il faut donc lui construire une vision et un projet pour qu’elle constitue une alternative. Elle doit cesser d’être une victime, bien sûr, mais aussi une utopie ou un objet désirable, pour devenir conquérante et se développer pour et par elle-même.
Elle ne possède pas les mêmes atouts que la métropole, mais elle a les siens. Elle doit donc se donner la juste ambition de cesser d’être définie comme un legs du passé qui se contente de s’incarner dans le présent, pour devenir un projet d’avenir inscrit dans la modernité.
Pourquoi miser sur ces territoires perdus et vouloir y vivre, malgré des dynamiques de développement plus faibles ? Parce que nos territoires sont davantage que des subjectiles dans le contexte de la rareté et de la préservation de notre environnement : ils sont un enjeu vital dans la guerre des ressources qui commence et doivent être vus, eux qui ont jadis bénéficié d’investissements lourds, mais parfois dépassés, comme les vecteurs du développement sur le temps long, en ces temps d’immédiateté.
À cet égard, la ruralité du XXIe siècle sera interconnectée ou ne sera pas. Le web 2.0, voire le 4.0, a révolutionné la géographie et les distances.
S’il n’y a plus de terra incognita ni d’Amérique à découvrir, les grands moments de développement se font ailleurs, et l’avenir des pionniers se situera toujours dans les marges abandonnées ou inexploitées.
Le préalable incontournable est de renverser le paradigme de la fiscalité locale, conceptualisée voilà plus d’un demi-siècle et fondée sur la territorialisation de la ressource et une affectation de celle-ci guidée par le nombre d’habitants. Cette approche, n’ayant plus aucune réalité contemporaine, constitue une véritable spirale du déclin, qui a vocation à fermer le spectre des dynamiques dans un conformisme réducteur et qui conduira à la sclérose de notre pays, si nous persistons.
Mes chers collègues, la loi de finances exceptionnelle prévue au printemps prochain sera pour nous l’occasion de renouveler notre force créatrice et de saisir la chance offerte à cet égard, pour peu que nous sortions de nos sempiternels lieux communs et de l’écosystème fiscal actuel, en osant appréhender les charges réelles et en refondant une nouvelle gouvernance systémique. Je vous y donne rendez-vous !
Si la cité semble avoir fondu son destin dans celui de la ville, nous proposons d’imaginer la cité rurale : elle n’est pas un destin, une voie tracée, mais un projet, un défi collectif de reconstruction des espaces et des usages, auquel il nous faudra retravailler.
Ne nous trompons pas, la ruralité n’est ni vraiment une chance ni un boulet : elle est l’avenir de notre pays, pour peu que nous souhaitions conserver ses valeurs, qui nous ont portés du premier sacre de Reims jusqu’à Charles de Gaulle, en passant par les Lumières et la Commune, des valeurs qu’une insidieuse société de consommation voudrait déconstruire.
C’est la tâche que nous nous sommes fixée, à quelques-uns, en brûlant les images d’Épinal pour libérer la ruralité et élaborer ensuite des outils dans une architecture nouvelle permettant aux acteurs de se prendre en main.
En dépassant la simple réflexion, autour d’un jeune homme plein de talent, nous avons décliné un mode d’action en soixante-trois préconisations pour la cité rurale. Elles ont vocation à ouvrir le champ des possibles. Je les tiens à votre disposition.
Notre cité rurale, plutôt qu’une réponse définitive, vous propose un mode de réponse, en accord avec l’invite de Gérard Larcher : « La nation française constitue un héritage à partager, qu’il nous appartient de faire vivre et de transmettre. » La cité rurale est de ces espaces qui engagent à ce partage.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons miser sur cette touche française qu’on nous envie, en prenant la ruralité comme un atout, une potentialité, et en y investissant, plutôt que d’y acheter temporairement une paix sociétale. Faire le contraire serait renoncer à rester nous-mêmes et à notre ressource du troisième millénaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains et M. Yvon Collin applaudissent également.)
M. Charles Revet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans cette chambre haute qui représente au Parlement les territoires, le thème de ce débat sonne à la fois comme une espérance, une nécessité et une ambition politique.
Disons-le sans ambages : la Nation se délitera, le pays se balkanisera, si nous continuons tous à tout miser sur les métropoles de notre pays pour répondre aux attentes de nos concitoyens vivant en zone rurale. Étant entendu qu’il nous faut aussi des métropoles dynamiques à taille européenne pour être présents dans la compétition internationale.
Quelle place entendons-nous donner aux ruralités françaises pour la création de richesses économiques, sociales, environnementales et culturelles et pour un développement durable dont le bien-être de chacun et l’intérêt général national doivent être les motifs premiers ?
Il y a deux semaines, dans le cadre d’une procédure un peu surprenante, le Gouvernement a soumis à notre examen la proposition de loi portant création d’une agence nationale de la cohésion des territoires, laissant entendre qu’il défend une ambition politique en matière de cohésion des territoires. Or, sur le fond, ce texte technique a davantage traité du « comment » que du « quoi » ou du « pourquoi ».
Nous avons été nombreux dans cet hémicycle à regretter que le remarquable travail du commissaire général à l’égalité des territoires, M. Morvan, ne soit pas exploité ou ne constitue pas le point d’entrée d’un vaste débat national sur la place et le rôle des ruralités en France.
Pour l’avoir appréciée en tant que responsable d’exécutifs locaux hier, de sénateur aujourd’hui, je tiens à souligner la qualité du travail mené par le Commissariat général à l’égalité des territoires pour les contrats de ville, par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine en matière de renouvellement urbain. Nous jugerons dans la longue durée les effets de ces politiques, mais je pense que les principes structurants retenus sont adaptés aux enjeux.
Dans la ruralité comme ailleurs, c’est l’économie qui fait la vitalité, le dynamisme du territoire.
Or, tout au long des décennies passées, la productivité agricole a fait son œuvre. Si l’objectif d’autosuffisance alimentaire à coût abordable pour le consommateur a été atteint, c’est au prix d’un double sacrifice : celui du revenu pour les agriculteurs, celui de la démographie pour les territoires.
Dans notre République, où l’attachement des Français à l’égalité et à la justice se manifeste en ce moment de manière préoccupante, le darwinisme territorial et social n’est pas une option. Le sentiment d’abandon est une réalité dans de nombreuses campagnes.
Que disait le Président de la République en juillet dernier devant le Congrès de Versailles ? Il en appelait à « une réorganisation de l’État à travers plus de présence sur les territoires », ajoutant : « Surtout, il faut enrayer un mode d’action publique qui a toujours procédé aux économies en réduisant sa présence sur les territoires. » Il nous disait croire à « l’installation de nouveaux projets », à un « rééquilibrage des territoires, par l’installation d’activités économiques, accompagnées, aménagées avec l’ensemble des élus locaux par le Gouvernement » et « un accompagnement des services de l’État dans le cadre de ce projet ».
Sur le terrain, en réalité, nous constatons trop souvent l’inverse… Tout, ou presque, reste à faire !
Dans quelque temps, nous examinerons le projet de loi sur les mobilités. Il faut que des réponses concrètes soient apportées aux Français des territoires ruraux qui sont et resteront captifs de la voiture pour vivre au quotidien.
Je mesure tous les jours, au contact des entreprises installées dans le Gers ou qui voudraient s’y installer, combien les voies rapides et le rail restent des infrastructures majeures pour le développement économique et social. En particulier, il faut que l’État termine le plus vite possible les routes nationales, par lesquelles l’influence métropolitaine vitalise les territoires ruraux.
Dès lors, monsieur le ministre, quelle est votre conception de la justice spatiale, un concept de plus en plus employé ? Quelle est votre définition de la cohésion des territoires, et sur quels critères la fondez-vous ?
Comment, concrètement, doit se manifester la solidarité réciproque entre des territoires aux dynamiques très dissemblables, par exemple entre les métropoles et leurs zones rurales d’influence directe ou plus lointaine ?
Quel rôle l’État doit-il jouer, dans le respect des principes de la décentralisation ? Souscrivez-vous à tout ou partie des propositions du rapport Morvan ?
Bref, quels sont vos objectifs quantifiés pour gagner en cohésion territoriale ? Quelle est votre stratégie pour y parvenir, et suivant quel calendrier ? Quel processus au fil de l’eau prévoyez-vous pour évaluer l’efficacité de cette politique de cohésion des territoires ? Avec quelle implication – c’est une question importante – des élus et des citoyens ?
Les élus locaux, tout particulièrement ceux des campagnes, désespèrent de pouvoir mener une action publique efficace et reconnue par leurs administrés. Ils ont besoin de respect, de visibilité, de stabilité, de moyens financiers propres et d’accompagnements divers, celui de l’État n’étant pas le moindre.
Monsieur le ministre, pour que la ruralité soit une chance pour la France, je vous invite à nous soumettre sans tarder un projet de loi de programmation visant – tous les mots ont leur importance – à la reconnaissance et au développement des ruralités françaises ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je demande aux orateurs de respecter strictement leur temps de parole, sans quoi M. le ministre ne pourra pas répondre à toutes les interventions, les débats s’étant quelque peu prolongés dans la première partie de ces quatre heures d’ordre du jour réservé.
La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure où se tient le congrès de maires, permettez-moi de saluer ceux qui, par leur engagement et leur volonté de développer nos territoires, sont la preuve que la ruralité est une chance pour la France.
Excusez-moi d’être un peu chauvine, mais je profite de cette occasion pour saluer les élus haut-pyrénéens présents en tribune… (Rires et applaudissements.) C’est pour eux, qui font vivre nos territoires et leur offrent un cadre de vie unique, que mon groupe a fait le choix de ce débat, dont je me félicite.
D’après un récent rapport de l’IFOP pour l’association Familles rurales, la vie à la campagne serait le mode de vie idéal pour 81 % des Français. Mieux, dans les territoires ruraux, nous connaissons une forte croissance de l’emploi, notamment des cadres.
Ces chiffres démontrent clairement que la ruralité attire encore et se développe. Elle est le terreau fertile de valeurs ancrées dans notre identité, de traditions qui ont forgé notre image et dont les savoir-faire font la renommée internationale de notre pays.
On connaît certes la France pour la tour Eiffel et ses musées, mais on l’aime aussi pour sa gastronomie, son patrimoine historique reconnu et admiré, pour les paysages variés et riches de ses 36 000 communes. Telle est la France : forte de ses villes, incomparable grâce à ses campagnes.
Dès lors, reconnaître que la ruralité est une chance pour la France et traduire cela par des politiques de cohésion territoriale et de développement de tous les territoires, c’est redonner à notre pays les moyens de cette ambition.
Voilà trop longtemps que les choix politiques font la part belle aux métropoles, privilégiant la concentration des pouvoirs décisionnaires et la raréfaction des services publics. Dans mon département, nous avons dû nous battre pour nos écoles, pour nos médecins, pour nos trésoreries et pour notre industrie. En la matière, les collectivités territoriales ont bien souvent pris le relais d’un État défaillant ou absent.
À cela s’est ajoutée la loi NOTRe, qui a bouleversé les territoires. Fondée sur la politique du nombre, avec des critères démographiques contraignants, spécialement dans la ruralité, elle a modifié l’organisation des collectivités territoriales et concentré, encore et encore, les compétences.
Alors que la commune reste dans nos territoires ruraux le dernier service public accessible aux citoyens, les intercommunalités mises en place à marche forcée par la loi NOTRe peinent toujours à s’organiser. Nous devons dès aujourd’hui entendre l’appel des maires, convaincus de la nécessité du maintien de ce lien entre nos concitoyens et nos institutions républicaines.
Pour éviter un engrenage préjudiciable à la cohésion sociale, il nous faut continuer de faire de nos espaces ruraux des lieux de vie et de travail, par un aménagement du territoire renforçant leur attractivité.
À cet égard, nous devons accompagner la forte croissance du télétravail pour attirer en ruralité les acteurs de l’économie numérique, sans exclure l’opportunité de renforcer le développement industriel. Il faut aussi maintenir dans nos territoires les services publics de proximité, les commerces, les loisirs, une offre de santé adaptée et une offre culturelle et sportive riche.
La cohésion territoriale, ce n’est pas, d’une part, des territoires qui concentreraient tout, de l’autre, des territoires vidés de tout service. Les Français doivent avoir le choix, et c’est à la République de le leur offrir : telle est l’idée que nous nous faisons de la France, indivisible et riche de ses diversités ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. Yvon Collin. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Vivette Lopez.
Mme Vivette Lopez. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne vous cache pas que, si j’ai souhaité prendre la parole cet après-midi, c’est parce que je m’interroge : qu’est-ce que ce débat sur le thème « La ruralité, une chance pour la France » ?
C’est comme si l’on se demandait si la médecine est une chance pour notre société, ou si la justice est une chance en démocratie – et demain, pourquoi pas, si c’est une chance que le soleil brille… Eh bien oui, le soleil brille aussi sur nos campagnes !
La France rurale est le cœur de notre pays, ce sont ses racines et toutes les valeurs qui s’y rattachent ; elle est le creuset où s’est forgée notre identité, construite patiemment au fil des siècles. Non seulement, donc, la ruralité est une chance, mais elle fait intrinsèquement partie de notre territoire, et bien sûr de son développement.
Depuis la nuit des temps, la ruralité existe dans tous les pays du monde, et je ne pense pas que cela va s’arrêter. Au contraire, nombre d’espaces autrefois en déshérence ont regagné de la population, qu’il s’agisse de jeunes couples, de retraités, d’agriculteurs, d’entrepreneurs ou de travailleurs indépendants pratiquant le télétravail, tous à la recherche d’une meilleure qualité de vie.
Ainsi, de nouvelles perspectives et de nouveaux talents apportent un nouveau souffle et redonnent un destin à nos petites communes.
Par ailleurs, ce sont les citadins eux-mêmes, à la recherche de leurs racines ancestrales, qui soignent le mieux l’habitat rural. Celui-ci devient une valeur refuge, une protection : face à toutes les tragédies que l’on peut lire dans la presse ou voir à la télévision, sur internet ou autrement encore, chacun recherche ses racines, et c’est pour cela que, dès qu’ils ont quelques jours, les gens des villes partent se réfugier, se détendre et se ressourcer à la campagne.
Voilà pourquoi j’ai encore du mal à comprendre pourquoi l’on s’interroge, et pourquoi l’on met en compétition la ruralité et l’urbain. Je pense que l’on en est encore à la fable de La Fontaine, Le rat des villes et le rat des champs… Il me semble pourtant que chacun apporte quelque chose à l’autre : les petits apportent beaucoup aux grands, car ce ne sont pas les richesses ou le paraître qui comptent, mais avant tout, en tout cas pour moi, la taille de notre cœur.
Les gens de la périphérie n’hésitent pas à prendre des risques et, même dans les moments difficiles, ne baissent pas la tête ; ils ne renoncent pas, car ils veulent que la prochaine génération et les suivantes vivent dans un monde bien meilleur. Vu qu’ils ont moins de moyens et de sollicitations extérieures, ils font preuve d’une ingéniosité et d’une créativité plus grandes, innovant pour atteindre à l’excellence. D’ailleurs, tout le monde sait fort bien que de nombreuses personnalités illustres sont issues du monde rural.
La ruralité est une niche de pépites, tout comme l’outre-mer : c’est une richesse, une ouverture sur le monde et d’autres horizons.
De nombreuses études montrent aujourd’hui à quel point les communes rurales, pourtant loin d’être majoritaires en population, pèsent dans la dynamique économique du territoire national. Preuve que rien n’est perdu, si l’on utilise les bons leviers !
Ce dont ont besoin tous les acteurs ruraux, c’est d’un formidable coup de pouce à l’activité : allégement des charges et de la fiscalité, simplification drastique des normes et règlements qui étouffent les PME. Comme les maires de nos petites communes, arrêtons de vouloir laver plus blanc que blanc. Relançons l’apprentissage et la formation professionnelle. Le voilà, l’oxygène de nos campagnes !
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Vivette Lopez. Les territoires ruraux ne demandent pas l’aumône. Non, l’État se doit d’écouter, d’entendre et d’agir, d’agir vite, car ces territoires sont remplis d’atouts à développer.
Arrêtons donc de traiter les territoires ruraux comme un repaire de rats des champs devant muter en rats des villes pour survivre, et envisageons réellement ces territoires non comme une chance, mais comme un levier indispensable pour notre économie et comme une continuité avec les villes.
Mme la présidente. Ma chère collègue, il faut conclure maintenant.
Mme Vivette Lopez. Monsieur le ministre, la France ne peut se passer de la Ruralité – avec un « R » majuscule : celle-ci fait partie intégrante de nos fleurons français, soyons-en fiers et respectons-la ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Noëlle Rauscent.
Je vous demande vraiment, ma chère collègue, de respecter votre temps de parole. Personne n’ayant été très respectueux, nous risquons, au bout du compte, de ne pas pouvoir finir à temps… (Exclamations.)
Mme Noëlle Rauscent. Madame la présidente, je vais m’y efforcer…
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la ruralité est un véritable atout pour la France. En effet, nos campagnes font partie intégrante de notre identité française : elles représentent près de 80 % du territoire, et un habitant sur cinq y réside aujourd’hui.
L’exceptionnelle diversité des paysages français et le patrimoine culturel qu’ils représentent font de ces territoires une source incontestable de qualité de vie. D’après un récent sondage, pour plus de 80 % des Français, vivre à la campagne représente la vie idéale, qu’ils y travaillent ou non.
Comment parler de la ruralité sans évoquer nos agriculteurs ? Soucieux de leur environnement, conscients de leur potentiel économique, ils façonnent nos paysages et font rayonner les produits français à travers le monde.
Depuis peu, les flux migratoires observés en France entre milieu rural et milieu urbain s’inversent progressivement : les derniers recensements font apparaître l’inversion de la migration des départements ruraux vers les départements urbains. Même s’ils ne concernent qu’une partie de la population, ces flux sont suffisants pour provoquer l’accroissement de nombreuses communes rurales des départements français. Bien entendu, ces mouvements sont très diversifiés et touchent de façon inégale les diverses parties du territoire.
Nous observons depuis quelques décennies un regain d’appétence pour nos territoires ruraux. La qualité de vie, le calme et la nature apparaissent comme les principaux attributs de la ruralité qui conduisent des Français à s’installer à la campagne. Mes chers collègues, nous devons mettre en œuvre tous les moyens pour que les opportunités économiques deviennent un argument supplémentaire.
Bien entendu, la santé, les services de proximité et la mobilité sont des conditions prioritaires pour l’attractivité et le développement des zones rurales. Mais j’ai choisi de vous parler cet après-midi du déploiement du numérique, qui me paraît l’un des moyens fondamentaux pour répondre à ces enjeux, désenclaver les villages et les citoyens et faire progresser l’attractivité des territoires ruraux.
Dès le début de son mandat, le Président de la République a fixé le cap : développement du haut débit en 2020, puis du très haut débit en 2022. Il est primordial d’atteindre ces objectifs.
En effet, c’est en résorbant la fracture numérique entre milieu urbain et milieu rural que nous redynamiserons nos campagnes. « Quand on n’a pas accès au numérique, on n’a pas accès aux opportunités », comme l’a déclaré le secrétaire d’État chargé du numérique en juin dernier.
Une multitude d’acteurs économiques du tertiaire, cantonnés aujourd’hui aux centres-villes et aux périphéries urbaines, constituent un formidable potentiel pour l’implantation de nouvelles activités économiques en zone rurale, notamment à travers de nouveaux phénomènes professionnels comme la numérisation des relations de travail et l’auto-entrepreneuriat.
Profitons de la tendance migratoire que je viens de décrire pour amplifier cet exode urbain, encore marginal, qui permettrait une meilleure qualité de vie pour les néo-ruraux, un désengorgement significatif de nos villes et des zones sous tension et une redynamisation de la vie sociale de nos territoires ruraux.
Cet exode rural ne sera possible que si les objectifs de couverture numérique et de fin des zones blanches sont atteints, et que le développement du télétravail en milieu rural est soutenu. Ce levier est en effet déterminant pour l’aménagement du territoire.
Monsieur le ministre, c’est cet équilibre entre nos territoires que nous devons retrouver. Comment le Gouvernement compte-t-il tenir ses promesses en termes de couverture numérique pour résorber la fracture en la matière ? Parallèlement au déploiement de la couverture numérique, prévoit-il des mesures d’accompagnement, notamment financières, pour encourager l’implantation d’entreprises en milieu rural ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. Je vous remercie, ma chère collègue, d’avoir cédé un peu de votre temps de parole pour que M. le ministre puisse répondre.
La parole est à M. le ministre, pour sept minutes.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais être obligé de répondre en haut débit, voire en très haut débit, à vos différentes interpellations. (Sourires.)
Je remercie tout particulièrement le groupe du RDSE et son président, Jean-Claude Requier, de cette initiative bienvenue sur la ruralité. Je vous demande de bien vouloir excuser Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu, qui sont retenus par un rendez-vous avec le Président de la République, le Premier ministre et le bureau de l’Association des maires de France puisque se tient actuellement le Congrès des maires. Vous connaissez leur engagement et leur attachement à ces territoires. Cet attachement est aussi le mien, car j’ai été maire pendant près de dix ans d’un territoire rural, comme Jean-Claude Requier a eu la gentillesse de le rappeler. C’est la raison pour laquelle, pour y avoir été confronté comme vous, je suis assez conscient des défis de ces territoires.
En réalité, le débat que nous avons ce jour ne porte pas sur la ruralité. Un certain nombre d’entre vous l’ont souligné, notamment Daniel Chasseing, il porte sur les ruralités, car, nous le savons tous ici, les territoires ruraux ne forment pas un bloc uniforme.
Si plus de 20 millions de Français vivent dans ces territoires, soit un tiers de la population française, si le nombre d’habitants dans les territoires ruraux augmente plus vite que dans les centres urbains, si le solde migratoire y reste encore positif, c’est bien parce que les Français aiment ces territoires, veulent y vivre, y travailler, y élever leurs enfants, car ils trouvent dans cette France rurale une qualité de vie incomparable, et ce malgré les promesses que les métropoles peuvent représenter.
Au fond, ces quelques chiffres illustrent tout le paradoxe de la ruralité. Nos concitoyens plébiscitent la campagne, les ruralités, ils veulent majoritairement y vivre, et, dans le même temps, la représentation des ruralités dans le débat public reste connotée négativement : c’est la France périphérique, celle de territoires qui se sentent oubliés et qui seraient nécessairement les victimes de la globalisation et de la métropolisation.
Le Gouvernement, comme chacun ici, veut sortir de cette vision manichéenne, parfois défaitiste, lorsqu’il est question de ces territoires. Ce discours, nous devons le refuser collectivement, car il nourrit une image qui n’est en rien fidèle aux richesses des territoires ruraux, au dynamisme et au potentiel de leurs habitants, à leur capacité d’innovation et aux valeurs qui les animent.
Mais en même temps nous devons regarder en face les difficultés qui existent et persistent. Nous ne devons pas éluder le fait que certains territoires ont perdu ces dernières années parfois plus d’un quart de leurs emplois et finalement une part significative de leur population, et que, lorsque la démographie chute, ce sont les commerces et dans le même temps les services publics qui disparaissent.
Oui, il existe, dans certains territoires ruraux un vrai sentiment d’abandon, comme l’a souligné Franck Montaugé. Oui, il existe une idée selon laquelle la République aurait décidé de regarder ailleurs, privilégiant les grandes villes. C’est bien cela, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement ne compte plus accepter. C’est pourquoi depuis dix-huit mois le Gouvernement s’est pleinement mobilisé en faveur des territoires ruraux en faisant appel aux moyens propres de l’État. Cette mobilisation n’est pas une simple incantation. C’est un objectif qui se traduit en actes. J’en donnerai quelques exemples.
Sur le plan financier d’abord, nous maintenons au plus haut niveau les dotations de soutien à l’investissement en faveur des territoires ruraux. La DETR a ainsi augmenté de 400 millions d’euros par rapport à 2014 pour atteindre plus de 1 milliard d’euros en 2019. De même pour la DSIL, qui reste au niveau des années précédentes alors qu’elle était au départ exceptionnelle pour compenser la baisse des dotations.
Pour ce qui concerne les dotations de fonctionnement, le projet de loi de finances pour 2019 prévoit de renforcer les mécanismes de péréquation en faveur des territoires les plus fragiles. La dotation de solidarité rurale des communes augmentera ainsi de 90 millions d’euros l’année prochaine.
L’accompagnement financier, s’il est indispensable, ne suffit pas. C’est pourquoi le Gouvernement est allé plus loin. En effet, faire plus pour ceux qui ont moins, cela signifie, s’agissant des territoires ruraux les plus vulnérables – ceux qui cumulent les plus fortes difficultés économiques, sociales, démographiques –, qu’il faut prévoir un accompagnement spécifique actionnant tous les leviers de l’action publique.
Je dirai également quelques mots de notre action pour les petites villes et les villes moyennes, ces « cités rurales » évoquées par Charles Guené. Les études le montrent : la présence d’une ville dynamique, même de petite taille, a toujours un effet d’entraînement sur les territoires avoisinants. Aussi, quand le Gouvernement engage le programme Action cœur de ville – je salue Jacques Mézard, qui en est à l’initiative – en mobilisant 5 milliards d’euros sur cinq ans au profit de deux cent vingt-deux villes pour réhabiliter des logements, réimplanter des commerces et rénover les espaces publics, il agit aussi pour les territoires ruraux qui vivent en symbiose avec la ville voisine.
Soutenir les territoires ruraux, c’est également garantir la présence des services au public dans ces territoires. C’est tout le sens des 1 300 maisons de service au public qui ont été lancées par le précédent gouvernement et que nous continuons de déployer.
Pour ce qui concerne la réforme de l’État territorial, le Premier ministre détaillera prochainement son contenu. Mais les principes qui guident cette réforme sont ceux de l’État de proximité, car l’État ne peut se vivre au seul niveau régional et doit s’incarner au plus près des habitants.
Parmi les services essentiels, la question de la démographie médicale a été abordée par plusieurs d’entre vous, dont Jacques Genest. Le Gouvernement s’y attaque avec la plus grande détermination au travers de plusieurs mesures, dans la continuité, même si certaines d’entre elles sont en rupture. Qu’il me soit permis d’en citer quelques-unes : fin du numerus clausus ; création d’une prime pour encourager la réalisation de stages de médecine dans les zones qui rencontrent des problèmes de démographie ; déploiement de 400 médecins salariés dans les déserts médicaux ; accélération des maisons de santé pluridisciplinaires ; renforcement des hôpitaux de proximité ; remboursement pour tous de la télémédecine grâce à un accord avec l’assurance maladie ; déploiement, d’ici à 2022, de 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé.
Le service public, c’est aussi l’éducation nationale, comme l’a rappelé Cécile Cukierman. C’est pourquoi 400 postes supplémentaires seront créés en deux ans dans les quarante-cinq départements les moins denses, qui viendront s’additionner aux mesures déjà déployées et qui ont permis d’accroître le taux d’encadrement des élèves sur l’ensemble du territoire, notamment dans les départements les plus ruraux.
Cela étant, disons les choses avec lucidité, cette question n’est pas indissociable de la question démographique, comme Jean-Claude Luche l’a parfaitement souligné.
La politique des liens est physique, mais je ne reviendrai pas sur les mesures prises et sur celles annoncées en direction des infrastructures routières par la ministre Élisabeth Borne.
Évelyne Perrot, Noëlle Rauscent et Jean-Claude Requier ont abordé la question du numérique. Le Gouvernement n’accepte pas que des pans entiers de nos territoires soient coupés du monde, dans des « zones blanches », qui interdisent l’accès à une part significative de l’information disponible et qui freinent le développement des entreprises…
Mme la présidente. Monsieur le ministre, il vous reste trente secondes.
M. Marc Fesneau, ministre. Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les actions que nous avons engagées. De nouvelles mesures seront prises. Le programme Territoires d’industrie sera détaillé demain par le Premier ministre. Une agence nationale de la cohésion des territoires sera également créée. Pour répondre à Jean-Claude Requier, le texte sera présenté à l’Assemblée nationale mi-février.
Enfin, le Gouvernement avec l’Association des maires ruraux de France a travaillé sur un « agenda rural » ; un certain nombre de mesures seront annoncées prochainement.
La ruralité est une chance pour la France du XXIe siècle, mais elle est aussi une nécessité.
M. Charles Revet. Alors, il faut l’aider !
M. Marc Fesneau, ministre. Ce sont des territoires qui, par nature, peuvent répondre aux besoins croissants et nouveaux de notre société : les besoins alimentaires qui restent importants, en particulier dans un contexte de dérèglement climatique ; les besoins énergétiques nouveaux rappelés par certains d’entre vous ; les besoins fonciers pour peu qu’ils soient moins subis par les territoires et davantage voulus.
Pour ce faire, nous devons conjurer plusieurs risques. Celui du statu quo et de la culture d’une nostalgie, qui est stérilisante. Celui d’injonctions ou de messages contradictoires. Force est aussi de reconnaître que parfois l’État n’en a pas été avare !
Mme la présidente. Monsieur le ministre, il faut conclure !
M. Marc Fesneau, ministre. C’est tout le sens de la politique globale que j’ai essayé de vous présenter rapidement.
Je ne crois pas en l’opposition entre territoires urbains et territoires ruraux. Je crois en leur complémentarité, en cette belle expression de « cohésion des territoires », en ce contrat entre les territoires que nous pouvons nouer. Alors, ensemble, nous pourrons continuer à travailler à une France rurale que vous avez pu décrire les uns et les autres comme ambitieuse, innovante et qui s’inscrit pleinement dans les transformations écologique, démographique et économique que connaît notre pays. (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre effort et de l’esprit de synthèse dont vous avez su faire preuve.
Vous le savez, dans le cadre de l’ordre du jour réservé aux groupes, il n’est pas possible de sortir de la fenêtre de quatre heures. Si la première partie prend trop de temps, c’est le débat suivant qui en pâtit.
Nous en avons donc terminé avec le débat sur le thème : « La ruralité, une chance pour la France ».
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Élection des sénateurs
Rejet d’une proposition de loi organique
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe La République En Marche, de la proposition de loi organique relative à l’élection des sénateurs, présentée par M. André Gattolin et plusieurs de ses collègues (proposition n° 744 [2017-2018], résultat des travaux de la commission n° 128, rapport n° 127).
Dans la discussion générale, la parole est à M. André Gattolin, auteur de la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. André Gattolin, auteur de la proposition de loi organique. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en déposant cette proposition de loi organique, il y a quelques semaines, je n’imaginais pas un instant qu’elle susciterait autant de réactions, voire autant de passions.
J’entends bien la conviction profonde qui habite nombre d’entre vous et qui consiste à penser que, pour prétendre devenir sénateur, il conviendrait au préalable d’avoir exercé un mandat d’élu local.
M. François Bonhomme. Quelle horreur ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Gattolin. Notre Constitution qualifie en effet notre assemblée de « chambre des territoires », et tout au long de son histoire celle-ci s’est toujours posée en défenseur des collectivités locales. Sachez, mes chers collègues, que je respecte cette conviction et que je ne vise pas à la contester par ce texte.
Il ne s’agit ici que d’une proposition de loi visant à assurer la cohérence de notre droit interne au regard du droit désormais commun dans notre pays à toutes les élections.
Dans toutes les démocraties consolidées comme la nôtre, l’heure est en effet à l’universalité de plus en plus étendue de l’éligibilité concernant les fonctions sujettes à mandat électoral. C’est dans cet esprit, d’ailleurs, qu’en 2011 nous avons abaissé à dix-huit ans l’âge d’éligibilité à l’élection présidentielle, de même que celui de nos députés.
Cependant, nous nous doutons bien, au regard des attentes de nos concitoyens et de leurs pratiques de vote, que l’élection d’un Président de la République de moins de vingt-cinq ans a très peu de chance de se produire un jour.
Aussi, dans ce débat sur l’âge d’éligibilité, la logique et la raison doivent absolument l’emporter sur la conviction et sur l’émotion. Il faut donc bien veiller à ne pas confondre accès à un droit et effet produit par ce droit dans les faits. Être éligible et être élu représentent deux choses bien distinctes, même si, naturellement, pour être élu, il faut être éligible.
M. Stéphane Piednoir. Alors ce texte ne sert à rien !
M. André Gattolin. C’est le droit qui définit l’éligibilité, mais ce sont les électeurs qui choisissent les élus.
Mes chers collègues, c’est précisément votre esprit de logique et de cohérence – propre à votre fonction de législateur – que je sollicite en tentant de vous démontrer que le seuil de vingt-quatre ans, aujourd’hui en vigueur, est à la fois inéquitable, incohérent et in fine inutile.
Inéquitable, tout d’abord, car la règle actuellement en vigueur exclut de facto plus de 4 millions de jeunes âgés de dix-huit à vingt-quatre ans, dont certains sont des élus locaux ou des grands électeurs lors des élections sénatoriales. Dans mon bon département des Hauts-de-Seine, ils n’étaient pas moins de trente-huit dans cette situation lors du renouvellement sénatorial de l’an passé, grands électeurs, obligés de voter sous peine d’amende en cas de manquement, mais interdits de figurer sur une liste sénatoriale, même en position de suppléant.
L’existence d’un âge minimal d’éligibilité supérieur à l’âge de la majorité est injuste, voire dangereuse, car elle ouvre la voie par parallélisme à une possible fixation d’un âge maximal d’éligibilité. Ce n’est pas le cas en France, mais cela se pratique déjà dans certains pays, et non des moindres, comme le Canada, qui fixe un âge maximal d’exercice de la fonction de sénateur à soixante-quinze ans.
Ce seuil à vingt-quatre ans au Sénat est, par ailleurs, incohérent.
D’abord, il est incohérent au regard des règles générales d’éligibilité en vigueur lors de toutes les autres élections ouvrant droit à mandat public dans notre pays, et même pour la plupart des grandes fonctions de l’État : ministre, membre du Conseil constitutionnel ou encore, et dans un autre registre, membre du Conseil économique, social et environnemental.
Ensuite, il est incohérent au regard du corps électoral particulier amené à élire les sénateurs dans notre pays, puisque nous avions abaissé en 2004 à dix-huit ans l’âge d’éligibilité aux mandats municipaux, départementaux et régionaux.
À ce stade de notre réflexion, il serait intéressant, je crois, de nous pencher sur l’exemple de la Belgique et sur les conditions d’éligibilité en vigueur dans ce pays en matière d’élections sénatoriales.
Alors qu’en 1993 le Parlement belge avait déjà abaissé de quarante à vingt et un ans l’âge d’éligibilité au Sénat, une chambre désignée au suffrage universel indirect par les représentants des territoires qui composent la fédération, nos collègues belges ont en 2014 procédé à un nouvel abaissement de ce seuil à dix-huit ans.
Quelles sont les raisons invoquées pour justifier cette nouvelle réforme ? Dans leurs attendus, nos collègues belges ont procédé à cet abaissement, car ils jugeaient « raisonnable et objectivement justifié de prendre cette mesure dès lors que l’âge de dix-huit ans est demandé pour toute élection en Belgique ». Ils ont également invoqué « une rupture du principe d’égalité en cas de non-alignement de l’âge d’éligibilité des parlementaires sur celui concernant les autres mandats électifs ». Monsieur le président de la commission des lois, vérité outre-Quiévrain, erreur en deçà ?
Enfin, concernant toujours les principes d’égalité et de cohérence de notre droit électoral, je rappelle que, conjointement avec l’Assemblée nationale, la Haute Assemblée constitue le parlement de la France. Dans ce cadre, nous pouvons être appelés à nous réunir en Congrès pour prendre des décisions majeures pour notre pays.
Aussi, si rien n’oblige à avoir le même mode de scrutin et le même corps électoral dans les deux chambres, il est en revanche très discutable, en termes de droit d’accès à l’élection, de ne pas disposer des mêmes règles d’éligibilité. Il serait sans doute intéressant de consulter le Conseil constitutionnel à ce sujet, ce que je ferai peut-être…
De surcroît, ce seuil d’éligibilité est, je crois, inutile. La nature spécifique de notre chambre ne repose pas sur des compétences législatives spécifiques, voire exclusives. Nous disposons heureusement du même champ de compétences que l’Assemblée nationale, ce qui n’est pas le cas pour tous les sénats dans le monde.
Notre spécificité de « chambre des territoires » repose, d’un point de vue juridique et législatif, exclusivement sur la nature du corps électoral appelé à nous élire. Le choix d’un sénateur obéit donc à des critères fixés par les grands électeurs, souverains en la matière. Adjoindre à ce processus un critère d’âge spécifique, c’est exprimer une forme de défiance à l’endroit du jugement de nos grands électeurs.
Bref, cette condition d’âge, ajoutée à la nature spécifique du corps électoral du Sénat et de ses modalités de scrutin, fait un peu, mes chers collègues, passez-moi l’expression, « ceinture et bretelles » !
À ceux qui disent qu’un abaissement du seuil d’âge d’éligibilité reviendrait à dénaturer notre Sénat, je veux leur dire sans emphase : « n’ayez pas peur ! » (M. François Bonhomme s’esclaffe.)
La meilleure des preuves, c’est celle qui relève des faits observés. L’abaissement en 2011 de l’âge d’éligibilité de trente à vingt-quatre ans n’a pas provoqué de bouleversement sociologique et démographique au sein du Sénat. Lors des trois renouvellements qui ont eu lieu depuis cette réforme, un seul sénateur de moins de trente ans a été élu.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Cela n’a donc servi à rien !
M. André Gattolin. Par ailleurs, quelqu’un dans cet hémicycle peut-il dire que le niveau de compétences des sénateurs a baissé depuis 2011…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Au contraire, il n’a cessé d’augmenter !
M. André Gattolin. … et que le Sénat actuel défend moins bien qu’hier nos collectivités locales ? Je ne vois pas de mains se lever, preuve que nous sommes tous d’accord sur ce point !
Dernier argument souvent avancé pour ne pas abaisser davantage l’âge d’éligibilité au Sénat : nombre d’autres hautes chambres en Europe, et ailleurs, fixent elles aussi un âge d’éligibilité de leurs représentants supérieur à l’âge légal de la majorité. C’est vrai, mais elles sont de moins en moins nombreuses. De plus, ce seuil, quand il existe, répond souvent à des considérations très particulières liées aux spécificités des modes de scrutin ou de désignation desdites chambres.
L’Union européenne compte actuellement quarante et une chambres nationales et déjà vingt et une d’entre elles ont adopté un seuil d’éligibilité à dix-huit ans, et sept autres à vingt et un ans.
M. François Bonhomme. Ce n’est pas pareil !
M. André Gattolin. Si l’on se penche uniquement sur le cas des treize États disposant d’un Parlement bicaméral, six d’entre eux, et non des moindres – l’Allemagne, l’Espagne – disposent d’un seuil d’éligibilité à dix-huit ans pour leur sénat et deux autres établissent celui-ci à vingt et un ans.
Sur les cinq pays restants, dont la France, quatre – l’Italie, la Pologne, la Roumanie et la République tchèque –disposent d’un sénat élu au suffrage universel direct (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), le plus souvent le même jour que la tenue des élections législatives.
Clairement, dans ces pays, la fixation d’un seuil d’éligibilité plus élevé est le seul critère permettant de différencier la composition de la Haute Assemblée de celle de la chambre basse.
Alors, oui, la France fait bien figure d’exception dans le concert des parlements nationaux au sein de l’Union européenne, puisque c’est le seul pays bicaméral où un Sénat élu au suffrage universel indirect, suivant un mode de scrutin très différent de celui de l’Assemblée nationale et à des dates bien distinctes de celle-ci, s’autorise, de surcroît, à fixer un seuil d’éligibilité de six ans supérieur à celui de la chambre basse.
Vous le voyez, mes chers collègues, tout dans cette proposition de loi organique n’est qu’affaire d’équité, de cohérence et aussi de reconnaissance de la légitimité de chacun à espérer concourir à la représentation de la Nation.
À l’heure où la représentation nationale et le Sénat en particulier sont trop injustement vilipendés dans l’opinion, l’abaissement de l’âge de l’éligibilité à dix-huit ans serait un signal fort adressé à plus de 4 millions de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Pierre Sueur. La convergence est en marche !
Mme Éliane Assassi. Oui, mais dans quel sens ? (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Segouin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis 2011, l’âge d’éligibilité des sénateurs est fixé à vingt-quatre ans, alors que celui du Président de la République, des députés et des autres élus a été abaissé à dix-huit ans. Ce seuil de vingt-quatre ans a été défini pour donner l’opportunité aux sénateurs, représentants des collectivités territoriales au sens de l’article 24 de la Constitution, d’exercer un mandat local avant d’entrer au Palais du Luxembourg.
La proposition de loi organique n° 744 relative à l’élection des sénateurs, présentée par notre collègue André Gattolin, a pour objet de réduire l’âge d’éligibilité des sénateurs de vingt-quatre à dix-huit ans pour plusieurs raisons.
Premièrement, il s’agit de faire concorder l’âge d’éligibilité avec la citoyenneté.
Deuxièmement, il s’agit de simplifier les règles pour que l’âge d’éligibilité soit à dix-huit ans pour toutes les élections.
Troisièmement, parce qu’un mandat d’élu local n’est pas indispensable pour faire un bon sénateur.
Quatrièmement, parce qu’il est illogique qu’un grand électeur de moins de vingt-quatre ans ne puisse se présenter.
Cinquièmement, il s’agit de faciliter le renouvellement politique de la Haute Assemblée.
Dans le rapport, nous avons souhaité rappeler le rôle du Sénat, ses spécificités et les objectifs à atteindre. Le Sénat est une haute assemblée qui a trois missions : voter la loi, contrôler l’action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques. Mais le Sénat assure aussi la représentation des collectivités territoriales et des Français établis hors de France.
Conformément à la Constitution, l’équilibre de la Ve République repose sur un bicamérisme différencié, mais équilibré. Il est primordial d’avoir et de conserver deux chambres différentes et complémentaires. Pour ce faire, deux modes de scrutin différents ont été instaurés pour le Sénat et l’Assemblée nationale. Les sénateurs sont élus au suffrage universel indirect, l’âge d’éligibilité est fixé à vingt-quatre ans et diffère de celui des députés. Le scrutin est majoritaire, dans les circonscriptions comportant jusqu’à deux sénateurs, ou de liste dans les autres. Enfin, le mandat dure six ans avec un renouvellement partiel tous les trois ans.
Comme l’a récemment déclaré notre collègue Philippe Bas et comme le démontre l’actualité récente, « le Sénat constitue ainsi un pouvoir non aligné, libre et indépendant ». En effet, « le mode d’élection des sénateurs, leur enracinement dans nos collectivités sont pour la démocratie une garantie de liberté et de pragmatisme ».
Faisons un rappel historique. Nous constatons que le choix de la différenciation des âges entre les deux assemblées date de 1795, après la Terreur. À l’époque, déjà, la chambre haute devait concilier l’évolution du régime tout en maintenant la paix sociale. L’âge était perçu comme un facteur de modération et de valorisation des expériences locales.
Le général de Gaulle a d’ailleurs déclaré lors du discours de Bayeux que « le premier mouvement – de l’Assemblée nationale – ne comporte pas nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une deuxième assemblée élue et composée d’une autre manière la fonction d’examiner publiquement ce que la première a pris en considération ».
M. Jean-Pierre Sueur. Cela n’a rien à voir avec l’âge !
M. Vincent Segouin, rapporteur. De même, l’âge des sénateurs est perçu comme un facteur de modération (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)…
M. André Gattolin. Il y a des vieux fous !
M. Vincent Segouin, rapporteur. … pour la « chambre de la réflexion » louée par Georges Clemenceau. En outre, nous sommes les représentants des collectivités territoriales. Comment est-il possible de représenter sans connaître le fonctionnement de ces collectivités ?
M. Jackie Pierre. Exact !
M. Vincent Segouin, rapporteur. Certes, certains sénateurs n’ont pas exercé de mandats locaux, mais ils sont rares. Ces mêmes sénateurs peuvent exercer leur mandat en excellant dans des sujets autres de sociétés. Mais si tous les sénateurs sont dans le même cas, alors les collectivités territoriales perdront leur confiance dans le Sénat, considérant que ce dernier est loin de leurs préoccupations comme la revitalisation de l’échelon communal, la GEMAPI ou les conséquences de la suppression de la taxe d’habitation.
Il est donc indispensable de maintenir l’âge d’éligibilité de vingt-quatre ans pour s’assurer que les sénateurs seront choisis par les grands électeurs, parce qu’ils ont accompli un mandat local et parce qu’ils ont l’expérience suffisante et nécessaire pour garder le statut de représentant des collectivités. Les débats de 2011 démontrent d’ailleurs que l’âge de vingt-quatre ans a été défini en additionnant l’âge de la citoyenneté et la durée d’un mandat local complet.
Faut-il diminuer l’âge d’éligibilité à dix-huit ans pour rajeunir l’âge moyen des sénateurs ?
Depuis le début de la Ve République, l’âge moyen des députés oscillait entre cinquante et cinquante-six ans et celui des sénateurs entre cinquante-cinq et soixante et un ans. En 2011, la diminution de l’âge de l’éligibilité des sénateurs de trente à vingt-quatre ans et de celui des députés de vingt-trois à dix-huit ans n’a pas eu d’effet. Les âges moyens entre les deux assemblées étaient assez proches.
Je parle à l’imparfait, car il y a eu les dernières élections législatives ! L’écart s’est creusé, puisque la moyenne d’âge des députés est passée à quarante-neuf ans et celle des sénateurs est restée à soixante et un ans. Toutefois, cette diminution est due à une entrée massive de députés âgés de trente à cinquante ans, mais n’est nullement liée à la diminution d’éligibilité de 2011 puisque, sur les vingt-sept députés élus de moins de trente ans, aucun n’avait moins de vingt-trois ans.
Notre collègue André Gattolin reconnaît d’ailleurs qu’il est peu vraisemblable que des sénateurs âgés de dix-huit à vingt-quatre ans soient élus, sauf sur des scrutins de liste. Leur nombre étant limité, cela n’influencera pas la moyenne d’âge.
On s’est alors interrogé sur le but recherché au travers du rajeunissement de la Haute Assemblée. Serait-ce utile pour aborder des sujets concernant la jeunesse dont on ne traiterait pas aujourd’hui ? Les décisions sont-elles adaptées à toutes les générations ?
Pour répondre à ces questions, nous avons auditionné nos plus jeunes députés sur leur fonction et la représentativité de leur génération. Ils nous ont démontré qu’ils n’étaient nullement spécialisés dans ces sujets et que leurs opinions ne différaient pas, ou peu, de celles de leurs collègues sur l’ensemble des textes.
La jeunesse était un sujet abordé, suivi et pris en considération par des élus qui étaient en contact avec ces générations et qui avaient de l’intérêt pour ces questions. À titre d’exemple, le Sénat est intervenu sur l’obligation de transparence des algorithmes utilisés dans Parcoursup pour classer les étudiants…
Enfin, sommes-nous différents des autres pays ? Non ! Seules l’Allemagne et l’Espagne ont fait le choix d’avoir des âges identiques dans les deux chambres. Mais il est difficile de se comparer à l’Allemagne, puisque les membres du Bundesrat sont désignés par le gouvernement de leur Land.
Il est clair que tous les autres pays ont fait le choix de maintenir la différence des âges, notamment les États-Unis, l’Italie et le Royaume-Uni.
Peut-on aborder cette proposition de loi organique sans prendre en considération les projets du Gouvernement concernant la réforme de nos institutions ?
Ces projets pourraient d’ailleurs remettre en question les spécificités du Sénat, en multipliant par quatre le nombre de départements ne comptant qu’un seul sénateur et en supprimant, pour les prochaines élections sénatoriales, le principe du renouvellement partiel au bénéfice d’un renouvellement intégral du Sénat en 2021.
Comme l’a déclaré notre collègue Jérôme Bignon lorsqu’il était député en 2003 : « La différence d’âge [entre les deux chambres] est une richesse. N’uniformisons pas les mandats, les modes d’élection et les périodes de renouvellement, car nous risquerions de sombrer dans un bicamérisme affadi. »
En conclusion, j’émets un avis défavorable sur la proposition de loi organique qui tend à réduire l’âge d’éligibilité des sénateurs de vingt-quatre à dix-huit ans. En effet, il me semble préférable de maintenir une différence d’âge entre les deux assemblées, avec un mode d’élection différent, pour que la chambre haute fasse toujours preuve de sagesse pour relire, instruire, négocier et débattre des propositions de lois votées en première lecture.
Par ailleurs, le Sénat est le représentant des collectivités. Les sénateurs perdront toute crédibilité s’ils n’ont pas exercé de mandat dans ces collectivités et s’ils n’ont pas l’expérience nécessaire. Il peut y avoir une proportion de sénateurs sans mandat qui exercent brillamment, mais celle-ci doit être limitée.
Enfin, nous sommes unanimes pour dire que la révision de la condition d’âge à dix-huit ans n’aura pas d’effets réels sur la moyenne d’âge et que les sujets relatifs à la jeunesse ne seront pas mieux traités.
Plus globalement, nous ne pouvons pas faire abstraction du débat en cours sur la réforme des institutions. L’âge est un élément essentiel, qui doit être abordé avec l’ensemble des réformes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur Gattolin, mesdames, messieurs les sénateurs, la présente proposition de loi organique vise à réduire à dix-huit ans l’âge d’éligibilité au mandat de sénateur. Elle s’inscrit dans la continuité de deux lois organiques précédemment adoptées, en 2003 et en 2011, qui ont eu elles aussi pour effet d’abaisser l’âge d’éligibilité au Sénat, à trente ans puis à vingt-quatre ans, la première ayant été adoptée à la suite d’une initiative de votre assemblée.
Je concentrerai mon propos sur trois éléments qui fondent la position du Gouvernement sur cette proposition de loi organique.
Premièrement, aucun obstacle juridique et aucun principe constitutionnel ne s’opposent à l’abaissement à dix-huit ans du seuil d’éligibilité au mandat sénatorial. Autrement dit, il s’agit là d’une question d’opportunité. L’engagement présidentiel en la matière est celui du renouvellement de la classe politique et d’une plus grande place faite à la jeunesse. C’est pour cette raison que le Gouvernement ne peut être que favorable à cette proposition de loi.
Comme vous l’avez rappelé, monsieur Segouin, dans votre rapport fait au nom de la commission des lois, les régimes d’éligibilité ont été progressivement harmonisés au fil des années, de sorte que si l’on excepte les cas particuliers du Congrès de la Nouvelle-Calédonie et de l’élection sénatoriale, tous les scrutins français sont désormais accessibles dès l’âge de dix-huit ans.
Le seuil d’éligibilité au mandat de conseiller municipal a été abaissé à dix-huit ans dès 1982. Celui pour les élections départementales et régionales l’a été en 2000. Enfin, la loi organique du 14 avril 2011 a abaissé à dix-huit ans le seuil d’éligibilité aux mandats présidentiel, de député et de député européen.
L’abaissement à dix-huit ans de l’âge d’éligibilité au Sénat va donc dans le sens de l’harmonisation et de la simplification du droit. Cette évolution permettra d’aligner, pour tous les scrutins, l’âge d’éligibilité avec l’âge d’exercice du droit de vote, un des premiers droits fondamentaux de chaque citoyen, qui est aussi un devoir, celui de participer à la vie de la cité.
Actuellement, nous demandons à des citoyens – grands électeurs en l’occurrence – de participer à la désignation de leurs représentants, mais une partie d’entre eux n’auraient pas le droit de candidater, étant trop jeunes. Je crois que vous avez raison, monsieur le sénateur Gattolin, en soulignant que cette situation, qui est certes un héritage de l’histoire, pourrait être amenée à évoluer.
Deuxièmement, le Sénat assure la représentation des collectivités locales. C’est effectivement l’une des missions que lui confie la Constitution, et elle est essentielle. Nous en avons tous conscience, car dans notre République, dont l’organisation est décentralisée, les collectivités territoriales ont leur mot à dire. Mais je ne suis pas convaincu qu’il soit absolument nécessaire d’avoir exercé un ou plusieurs mandats locaux pour représenter avec fidélité les collectivités. Ce qui fait l’ancrage local des sénateurs, c’est aussi le mode de scrutin, autrement dit l’élection au suffrage universel indirect et la composition du collège électoral et la circonscription d’élection. Il n’est nullement question de remettre en cause ces spécificités qui sont pleinement justifiées.
Ce texte, qui est très épuré, puisqu’il ne compte que deux articles, n’aura pas pour effet de transformer le Sénat en « clone » de l’Assemblée nationale, comme j’ai pu le lire et l’entendre.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Le Gouvernement est attaché au bicaméralisme. Les réformes institutionnelles que nous entendons mener ne le remettent pas en cause.
Par ailleurs, sur ce point, je pense que nous sommes tous d’accord ici pour convenir que cette évolution ne va pas conduire à un bouleversement sociodémographique du Sénat. Les précédents abaissements du seuil d’éligibilité n’ont pas été sans effet, mais cet effet est resté limité, il faut le reconnaître.
La moyenne d’âge des sénateurs est relativement stable dans le temps, et je doute que l’élection d’un ou deux sénateurs de moins de vingt-quatre ans modifie « l’ADN » du Sénat. Dès lors, pourquoi refuser l’entrée à quelques personnalités qui ont probablement beaucoup à apporter aux travaux du Sénat si le collège électoral, composé de grands électeurs, responsables, estime qu’elles méritent ce mandat ?
Cela m’amène à mon troisième et dernier point : le besoin de renouvellement. Le gouvernement auquel j’appartiens est attaché à ce principe, non pas par dogmatisme, mais parce qu’il est essentiel à notre démocratie et à la confiance de nos concitoyens dans le système politique. C’est pour cela que nous portons et que nous défendons l’interdiction du cumul des mandats dans le temps, dispositions intégrées aux projets de loi organique et ordinaire que vous aurez à examiner prochainement. C’est aussi pour cela que nous sommes favorables à toutes les initiatives parlementaires visant à favoriser l’engagement des jeunes et leur accès aux responsabilités politiques.
La proposition de loi organique que nous examinons aujourd’hui s’inscrit, bien sûr, dans cette logique. Si, comme je l’ai rappelé, ses effets seront limités, ils ne seront pas nuls. Jusqu’en 2003, l’âge minimum pour devenir sénateur était fixé à trente-cinq ans. Quatre sénateurs représentant diverses sensibilités ne seraient pas parmi vous aujourd’hui si ces dispositions étaient encore applicables.
Je suis enfin assez réservé quant à l’affirmation selon laquelle l’âge est synonyme de modération. Si le Gouvernement est tout à fait conscient des spécificités du Sénat sur ce point, il est beaucoup moins convaincu par l’idée selon laquelle cette hauteur de vue serait liée au maintien d’une barrière d’accès à vingt-quatre ans.
M. Jean-Pierre Sueur. Il y a des gilets jaunes de tous âges ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. La modération du Sénat tient surtout à son mode de renouvellement, par moitié tous les trois ans, ainsi qu’à la durée du mandat sénatorial, six ans, lequel n’est pas corrélé aux cycles présidentiel et législatif. Aucun de ces points fondamentaux n’est remis en cause par la présente proposition de loi organique.
Enfin, j’en viens à la raison principale qui a été évoquée par la commission des lois pour motiver son rejet du texte.
J’entends l’argument selon lequel ce sujet devrait être traité de manière globale, lors de l’examen des projets de loi organique et ordinaire pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Les sujets peuvent à première vue apparaître liés. Néanmoins, les textes présentés par le Gouvernement répondent à un engagement présidentiel fort, exprimé lors de la campagne électorale de 2017. La question de l’âge d’éligibilité des sénateurs n’a pas été évoquée dans ce cadre et n’a donc pas été intégrée dans le projet de loi organique que le Gouvernement porte. Nous ne pouvons dès lors que nous réjouir qu’une initiative parlementaire conduise à l’ouverture de ce débat.
Il ne m’appartient pas ici de défendre dans le détail des projets de loi qui ne sont pas inscrits à l’ordre du jour de cette assemblée. Le temps de l’examen de ces réformes institutionnelles viendra. Néanmoins, je crois pouvoir affirmer qu’aucun de ces textes, qu’il s’agisse du paquet institutionnel porté par le Gouvernement ou de la proposition de loi déposée par le sénateur Gattolin, ne remet en cause le Sénat dans ses spécificités. Dès lors, rien ne s’oppose aujourd’hui à l’adoption du présent texte, bien au contraire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez bien sûr compris, le Gouvernement soutient cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis 2011, l’âge d’éligibilité des candidats aux élections sénatoriales est fixé à vingt-quatre ans, alors que celui des candidats aux autres élections a été abaissé à dix-huit ans. Ce seuil de vingt-quatre ans a été défini pour donner l’opportunité aux sénateurs, représentants des collectivités territoriales au sens de l’article 24 de la Constitution, d’exercer un mandat local avant d’entrer au Palais du Luxembourg.
La proposition de loi organique relative à l’élection des sénateurs que nous examinons a pour objet de réduire l’âge d’éligibilité des sénateurs de vingt-quatre à dix-huit ans. Ce texte appelle plusieurs remarques.
En premier lieu, il est nécessaire d’avoir un minimum d’expérience pour pouvoir exercer le mandat de sénateur.
M. André Gattolin. C’est tautologique !
M. Alain Marc. À cet égard, l’enracinement local est fondamental, car il nous permet d’être proches des réalités concrètes des collectivités territoriales dont nous sommes les représentants.
L’expérience de la gestion locale nous donne un éclairage particulier et irremplaçable sur la réalité sociale qu’aborde l’action politique. Cette expérience locale est plus que nécessaire lorsqu’il s’agit d’examiner des problématiques aussi spécifiques que les zones de revitalisation rurale, les services publics de proximité ou la revitalisation de l’échelon communal, qui a donné lieu à un excellent rapport que nous venons de publier.
En deuxième lieu, l’abaissement de l’âge d’éligibilité pourrait entraîner une inégalité de représentation dans nos territoires. À titre d’exemple, le département de l’Aveyron comprend deux sénateurs élus au scrutin uninominal. Or un candidat de dix-huit ans n’aurait véritablement de chance d’être élu qu’au scrutin proportionnel, dans les départements les plus peuplés et non en zone rurale.
En troisième lieu, cette proposition de loi organique ne peut pas être examinée indépendamment des projets, plus larges, de réforme institutionnelle. En effet, le Gouvernement a déposé en mai dernier trois projets de loi « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ».
Le premier texte relève du domaine constitutionnel, le deuxième du domaine organique et le dernier de la loi ordinaire. Or ces projets de loi comportent plusieurs dispositions qui pourraient remettre en cause les spécificités du Sénat, mais également l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le Parlement. Dès lors, il apparaît logique que l’ensemble de ces sujets soient examinés conjointement, dans le cadre d’un débat plus large sur les réformes institutionnelles et l’avenir du bicamérisme.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour toutes ces raisons, la grande majorité du groupe Les Indépendants votera contre cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi organique de notre collège André Gattolin, soutenue par notre groupe, est en tout point conforme à la sagesse sénatoriale, et fidèle à cette sagesse qui procure à notre assemblée sa légitimité institutionnelle.
Mais peut-être sommes-nous dans l’erreur ? Il n’est pas impossible, en l’espèce, qu’elle contienne en creux quelques éléments contrevenant à une certaine idée du Sénat. Auquel cas, si des arguments de cette nature nous étaient avancés, croyez bien que nous les examinerions avec la sagesse qui nous aurait jusqu’ici fait défaut.
Mais c’était sans compter sur la vigilance sans faille de notre honorable commission des lois, qui a su déconstruire de bout en bout la logique fallacieuse de notre raisonnement. (Sourires sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous pourriez vous arrêter là !
M. François Patriat. Grâce à elle, la République l’a échappé belle : la proposition de loi organique a été rejetée et, avec elle, l’abaissement de l’âge d’éligibilité fortement compromis. Au motif qu’elle galvaudait les formes élémentaires du bicaméralisme, une fin de non-recevoir lui a été opposée, sans autre forme de procès, si ce n’est quelques arguments qui nous ont fait l’effet d’un attrape-mouche savamment élaboré.
Mais peut-être qu’à la faveur d’un examen de conscience, notre cher rapporteur, auquel je rends hommage, changera de ligne de conduite et se ralliera aux tenants de cette disposition organique, fût-ce au prix d’une désaffiliation partisane. Après tout, comment pourrait-il en être autrement ?
Comment une chambre parlementaire comme la nôtre, en proie à des procès en représentativité sans cesse plus sévères, pourrait-elle se réfugier dans une forme d’inertie ? Comment des sénateurs de bonne foi, sous le joug de calomnies imméritées, au gré desquelles les partisans d’un monocamérisme anémique gagnent du terrain, pourraient-ils refuser cette mesure de bon sens ?
Mes chers collègues, cette appréciation négative portée sur l’action de notre institution ne doit pas faire taire notre apport substantiel à la machine parlementaire, dont notre honorable assemblée tire son sens et sa fonction. Nous devons d’instinct nous faire l’écho d’une institution à l’écoute des évolutions sociétales, comme l’a dit très justement mon ami André Gattolin.
Admettons un instant que le législateur organique refuse cette proposition, dont l’évidence s’impose d’elle-même. Imaginez maintenant que cette assemblée, en vertu de je ne sais quel principe juridique, oppose à ses détracteurs les plus forcenés un esprit corporatiste de circonstance. Pis encore, que les commentaires médiatiques réceptionnent grossièrement le vote d’aujourd’hui comme une manœuvre identitaire de mauvais aloi. Ce vote nous ferait-il l’effet d’un Sénat étranger à lui-même pour qui la sagesse ne serait qu’une chimère de plus ?
Or, mes chers collègues, que l’on ne s’y trompe pas, l’alignement sur le droit commun de l’âge d’éligibilité spécifique aux élections sénatoriales n’est guère autre chose qu’une mesure de sagesse.
Sans être fidèle à un quelconque esprit démagogique, tout effort d’archéologie parlementaire conclurait à la nécessité d’abaisser l’âge d’éligibilité à dix-huit ans. Rappelons, s’il faut s’en convaincre, que sous la IIIe République, l’âge d’éligibilité des sénateurs était de quarante ans ; il était de trente-cinq ans révolus jusqu’en 2003, avant d’être abaissé à vingt-quatre ans en 2011. Faut-il, par suite logique, abaisser à dix-huit ans l’âge d’éligibilité ? L’identité sénatoriale en réchapperait-elle ?
Nous en sommes intimement convaincus. Cela étant dit, l’inverse est encore moins sûr. Je suis même tenté d’aller plus loin : votre conception de l’éligibilité nous semble, sous bien des rapports, contraire au principe d’égalité, tant et si bien qu’elle ne saurait prospérer en l’absence de justifications politiquement indiscutables. Ces justifications, parlons-en ! Lorsqu’elles ne sont pas desservies par une physionomie passablement ringarde, nous sommes bien en peine de les trouver.
Voici quelques éléments de précision.
D’abord, sur la douteuse nécessité d’acquérir, avant toute implication législative, une certaine expérience locale des mandats politiques, logique qui présida il y a peu à la détermination du seuil des vingt-quatre ans, je vais vous dire mon sentiment : la jeunesse n’est qu’un mot, mais c’est aussi le guet-apens par excellence.
Ne tombons pas dans l’ornière des préjugés. Si nous le faisons, il n’est pas certain que la sagesse des vieilles troupes, que l’on peut constater sans réserve dans nos rangs, soit toujours le gage d’un travail parlementaire et législatif dûment mené ; tout juste y contribue-t-elle.
En outre, André Gattolin l’a rappelé, l’âge d’éligibilité pour être Président de la République étant de dix-huit ans, faut-il en conclure qu’une sagesse plus prodigieuse encore est nécessaire pour souscrire aux conditions d’éligibilité de l’élection sénatoriale ? (Oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Un tel examen de capacité vise-t-il à se prémunir contre une jeunesse bien-pensante aux dents longues et aux idées courtes ?
Plus sérieusement, l’argument ne tient pas à l’examen des faits : la moyenne d’âge des sénateurs élus en septembre 2011, inférieure à celle des députés, a suffi à ébranler quelques certitudes bien établies.
Quand bien même nous abonderions dans votre sens, que nous laisse suggérer votre logique d’approche à l’égard des sénateurs représentant les Français de l’étranger, si ce n’est qu’ils sont possiblement dépourvus des compétences requises ?
Non, rien de tout cela n’est très sérieux et, pour l’heure, rien n’oblige à détenir un mandat pour se porter candidat. Votre argument, monsieur le rapporteur, tombe de lui-même.
Par ailleurs, sur le lien organique entre institution sénatoriale et collectivités territoriales, des choses d’une vérité toute relative ont été dites. Rappelons, à toutes fins utiles, que le Sénat n’est pas « sous un mandat spécifique des collectivités », à l’instar du Bundesrat allemand, tout juste bénéficie-t-il d’une fonction complémentaire reconnue par la Constitution.
À la fin des fins cependant, quelle que soit l’issue que le législateur donnera à cette disposition organique, armons-nous d’une seule certitude : l’alignement de l’âge d’éligibilité en vertu duquel on est mesure d’élire et d’être élu n’est qu’une faculté qui est donnée ; soyez rassurés, ce sont les grands électeurs qui auront le dernier mot !
Voilà, pour l’essentiel, les ressorts de notre positionnement qui vous enjoignent à entrevoir dans l’argument des années un facteur discriminant injustifié que le législateur organique gagnerait à abroger. Tâchons aujourd’hui, mes chers collègues, de faire œuvre utile. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de la proposition de loi organique déposée par M. Gattolin et certains de ses collègues du groupe LREM a au moins le mérite de nous permettre d’échanger sur la révision constitutionnelle, mise en attente depuis la suspension de son examen par les députés l’été dernier.
Faut-il abaisser l’âge d’éligibilité des sénatrices et sénateurs ? Bien entendu, le groupe que je préside réitère aujourd’hui une position déjà affirmée en 2003 et 2011, lorsque nous avions proposé nous-mêmes une telle évolution.
Je suis assez étonnée de constater la persistance de la majorité sénatoriale dans une attitude crispée de maintien à vingt-quatre ans d’un seuil de maturité pour accéder à l’auguste fonction sénatoriale.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. La benjamine du Sénat est LR !
Mme Éliane Assassi. Rien ne justifie le refus d’aligner le Sénat sur l’Assemblée nationale, la représentation européenne et même la présidence de la République, qui, depuis 2011, n’exige qu’un âge de dix-huit ans pour y accéder.
Sérieusement, mes chers collègues, pourquoi persister à afficher que le mandat sénatorial exigerait plus d’expérience que l’exercice de la présidence de la République ? Ce n’est pas sérieux ! Cette crispation n’a aucun fondement constitutionnel.
Vous affirmez en effet que le candidat sénateur ou la candidate sénatrice doit avoir exercé un mandat local de six ans pour pouvoir exercer pleinement sa fonction. Ce n’est pas dans la Constitution, et – faut-il le rappeler ? –, si le Sénat assure la représentation des collectivités locales, il ne les représente pas directement.
Faut-il rappeler également que nombre de sénatrices et de sénateurs n’ont pas exercé de mandat local et qu’ils n’en demeurent pas moins d’excellents parlementaires ? Car, rappelons-le, le Sénat est une assemblée législative, une assemblée de contrôle de l’exécutif, à l’instar de l’Assemblée nationale. Cette évolution se poursuivra sans doute avec l’adoption du non-cumul des mandats.
Être élu ou l’avoir été peut être un atout, la garantie d’une bonne connaissance de certains enjeux, mais être élu ne fait pas tout. Le Parlement manque cruellement, par exemple, de représentants du monde du travail, de représentants des salariés.
La lecture du rapport de M. Segouin étonne.
À partir de cette question de l’âge et d’un surprenant éloge de la sagesse liée à l’accumulation des années, M. le rapporteur construit une défense inconditionnelle d’un Sénat immuable au rôle perpétuellement positif et garantie absolue de la stabilité de nos institutions.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il l’a fait brillamment !
Mme Éliane Assassi. Votre rapport, monsieur Segouin, glorifie le Sénat, véritable pays des merveilles institutionnelles. (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
À grand renfort de citations de monuments de l’histoire, Jules Ferry, Clemenceau, de Gaulle, Boissy d’Anglas ou Gambetta,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il y en a d’autres…
Mme Éliane Assassi. … vous fermez la porte à toute évolution structurelle du Sénat.
Vous rappelez les propos du président de la commission des lois, M. Philippe Bas, qui qualifiait le Sénat de « seul pouvoir non aligné, libre et indépendant ». (Il a raison ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je sais qu’en politique la coutume est d’avoir la mémoire courte. Mais peut-on affirmer que le Sénat, face à la gauche plurielle de M. Jospin en particulier, et lorsqu’il est en phase avec la couleur politique de la majorité présidentielle, fut et est non aligné ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui !
Mme Éliane Assassi. Je ne le crois pas.
Le bicamérisme mérite d’être évalué et repensé. Je ne partage pas l’idée d’une nécessaire assemblée modératrice, d’une assemblée freinant les ardeurs du peuple, s’imposant à l’Assemblée nationale du fait de l’élection au suffrage universel direct. Abaisser l’âge d’éligibilité à dix-huit ans ne menace en rien le rôle actuel du Sénat et sa fonction historique.
Ce qui est certain, mes chers collègues, c’est que la crise profonde que nous vivons aujourd’hui, une crise profonde de représentation, une crise politique grave, s’appuyant sur un désastre social, avec une croissance forte des inégalités et de l’injustice sociale, exige autre chose qu’un exercice d’autosatisfaction sur les institutions de notre pays. Il faut repenser en profondeur le rapport entre le peuple et les institutions, assurer sa juste représentation.
Le Sénat, il est vrai, a parfois joué un rôle positif ces dernières années.
C’est la proportionnelle, tant détestée sur les travées de la majorité sénatoriale, qui a pourtant permis au Sénat de préserver, de manière très partielle mais réelle, une forme de débat pluraliste.
Ce n’est finalement qu’un sentiment superficiel, car le Sénat accompagne et soutient depuis toujours les projets libéraux, comme récemment la loi ÉLAN ou la réforme ferroviaire.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous ne sommes pas sectaires !
Mme Éliane Assassi. Donc deux chambres, oui, pourquoi pas ? Mais dans le cadre d’une vaste réforme constitutionnelle, en rupture avec la logique présidentialiste !
Oui, monsieur Gattolin, nous voterons pour votre proposition de loi organique, car permettre aux jeunes de siéger au Sénat nous paraît être la moindre des choses. Mais nous ne sommes pas dupes.
Votre groupe soutient, bien entendu, le projet constitutionnel de M. Macron. Ce projet, vivement contesté, s’attaque au Parlement et aux droits des parlementaires via la diminution du droit d’amendement et une course infinie à l’efficacité, démarche partagée pour l’essentiel, il faut bien le dire, par la majorité sénatoriale, malgré les froncements de sourcils de notre président Larcher.
M. Macron propose de réduire fortement le nombre de parlementaires. En quoi abaisser la représentation démocratique sert-il la démocratie ? Nous attendons toujours une réponse à cette question.
Croyez-vous, monsieur Gattolin, que le fait de réduire de 30 %, ou même de 20 %, le nombre de parlementaires, permettra à des jeunes d’être élus ? Il y a une part de naïveté, pour rester aimable, à le croire, tant il est évident que la réduction du nombre de sièges favorisera les élus les plus aguerris. Il y a donc une contradiction majeure dans le fait de soutenir les projets profondément antidémocratiques d’Emmanuel Macron et de son gouvernement et de proposer aujourd’hui d’ouvrir le Sénat à la jeunesse.
Nous voterons donc ce texte par principe, fidèles à notre engagement pluraliste républicain et citoyen. Mais nous le voterons sans illusion, avec clairvoyance et lucidité, car un rude combat s’annonce pour préserver nos institutions de dérives hyper-présidentialistes, voire autoritaires, et pour, au contraire, les ouvrir au peuple, lequel manifeste chaque jour sa colère et son rejet d’un système politique qui le tient à l’écart du pouvoir qu’il est, aux termes de la Constitution – il est dramatique de devoir le rappeler –, censé détenir. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à bien y réfléchir, il n’y a aucun argument pour s’opposer à cette proposition de loi.
M. Patrick Kanner. Exactement !
M. Jean-Pierre Sueur. S’il n’y a aucun argument, il est logique de l’approuver. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.)
Cela a été dit avec force par M. le secrétaire d’État, ainsi que par MM. Gattolin et Patriat et par Mme Assassi : on peut être élu Président de la République, maire, conseiller régional, conseiller départemental à l’âge de dix-huit ans. Pourquoi faudrait-il qu’on ne pût pas l’être pour devenir sénateur ? Il est évident qu’il n’y a aucun argument à opposer à cela.
Le seul argument que vous avez pu avancer, monsieur le rapporteur, est la nécessité d’avoir été préalablement élu local durant six années. Si vous pensez profondément que la condition sine qua non pour devenir sénateur, c’est d’avoir été élu local, alors il faut le dire. Mieux, il faut l’écrire dans la Constitution,…
M. André Gattolin. Absolument !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Parlons-en !
M. Jean-Pierre Sueur. … en adoptant une loi organique prévoyant que l’on ne peut être sénateur que si l’on a été élu local.
M. Stéphane Piednoir. Bonne idée !
M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues et amis, si vous le faites, réfléchissez bien à ce que cela induira forcément : le Sénat n’aura plus pour charge de représenter les collectivités locales, mais il en émanera, à l’image du Bundesrat.
M. Jean-Raymond Hugonet. Mais non !
M. Jean-Pierre Sueur. Cela signifiera qu’une assemblée s’occupera de l’ensemble du champ législatif et qu’une autre sera spécialisée dans les questions relatives aux communes, aux départements, aux régions, aux intercommunalités. Or nous ne voulons pas de cela. Ce que nous souhaitons, c’est que le Parlement soit constitué de deux assemblées votant l’ensemble des textes de loi. Nous tenons à ce que l’écriture de la loi procède d’une navette – et pas seulement, monsieur le secrétaire d’État, de la procédure accélérée généralisée – qui permette d’en peaufiner la rédaction.
Ceux qui viennent au Sénat pendant le Congrès des maires peuvent lire sur une grande pancarte : « Le Sénat, une assemblée parlementaire à part entière ». En effet, nous ne sommes pas une assemblée parlementaire réduite à examiner les textes relatifs aux collectivités territoriales.
Nous avons ici même, dans cet hémicycle, des collègues qui ont exercé de nombreuses responsabilités locales – j’en fais partie – et d’autres qui n’en ont pas eu. Ces personnes, qui ont été élues après avoir eu d’autres activités, nous apportent leur expérience, leurs compétences et leur vision des choses. C’est très bien ainsi ! Après tout, dans chaque département, ce sont les électeurs qui votent, et ils votent pour qui ils veulent. Tout le monde peut se présenter, à condition d’avoir aujourd’hui un certain âge. Mais si cet âge est fixé demain à dix-huit ans, cela ira aussi très bien, et ce sera le même que pour les autres mandats.
Le seul argument que vous avez quelque peu avancé, monsieur le rapporteur, et encore avec prudence, car vous n’étiez pas très à l’aise (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)…
Mes chers collègues, comme vous le savez, je m’exprime librement. Quand je pense que vous êtes bons, percutants…
Mme Dominique Estrosi Sassone. Rarement ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Sueur. Madame Estrosi Sassone, quand vous avez défendu la loi ÉLAN, on sentait que vous portiez votre position. Mais, parfois, on voit bien que c’est un peu artificiel… (Sourires.)
Mes chers collègues, j’avais droit à dix minutes de temps de parole. Comme je pense en avoir assez dit,…
M. André Gattolin. Mais non ! Mais non !
M. Jean-Pierre Sueur. … vous faire grâce de cinq minutes apportera un petit argument supplémentaire à la cause que je défends.
Je finirai en citant un grand auteur que nous aimons tous, Georges Brassens : « Le temps ne fait rien à l’affaire. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe La République En Marche. – Mme Élisabeth Doineau et M. Franck Menonville applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est toujours un plaisir de prendre la parole au sein de la Haute Assemblée, dans laquelle je reviens avec joie,…
M. Stéphane Piednoir. Et avec soulagement !
M. Jacques Mézard. … et de succéder à Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est réciproque !
M. Jacques Mézard. Notre groupe est partagé. Avec plusieurs de mes collègues – à peu près la moitié du groupe –, je voterai cette proposition de loi, en cohérence avec la position qui était la mienne en 2011 lorsque nous avions débattu de l’amendement de notre ancienne collègue Nicole Borvo Cohen-Seat. À l’époque, le Sénat avait adopté le compromis proposé par la commission des lois, à savoir l’âge de vingt-quatre ans.
Au-delà de l’âge, la question de fond – la révision constitutionnelle pourra également être l’occasion d’en débattre – est la crise de la démocratie représentative, pas simplement en France, mais dans tous les pays d’Europe occidentale. Il convient de réfléchir à cette crise de manière approfondie, car ce qui se passe aujourd’hui dans les relations avec nos concitoyens le justifie.
Si la discussion de 2011 avait abouti à la fixation d’un âge de vingt-quatre ans, c’est parce que nous avions considéré que le temps d’un mandat municipal était souhaitable, eu égard à la particularité de l’élection sénatoriale par rapport à celle de l’Assemblée nationale : nous sommes élus par de grands électeurs et non par l’ensemble de nos concitoyens. À cet égard, je ne résiste pas au plaisir, cher Jean-Pierre Sueur, de rappeler ce que j’ai constamment répété ici : le meilleur moyen de préserver la spécificité du Sénat et sa vocation particulière découlant de l’article 24 de la Constitution était de ne pas voter la loi sur le non-cumul. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Joissains. Très bien !
M. Jacques Mézard. Les arguments avancés par les uns et les autres sur le texte qui nous est présenté aujourd’hui n’ont pas varié depuis 2011.
D’un côté, on souligne – et j’adhère à cette remarque – que, si un citoyen peut être candidat à la présidence de la République à l’âge de dix-huit ans, il serait étrange qu’il n’en aille pas de même pour l’élection sénatoriale. Pour reprendre l’analyse du doyen Vedel, le choix de l’électeur pourrait être considéré comme réduit lorsqu’un Français jouissant de ses droits civiques est écarté de son droit d’être candidat. C’est une véritable question de fond.
D’un autre côté, on estime que le bicamérisme et le mode électoral spécifique du Sénat justifient des modalités d’élection différentes.
Monsieur le secrétaire d’État, des retouches législatives devraient d’ailleurs être envisagées. La situation des suppléants n’est pas la même dans les deux assemblées, en particulier en termes de parité des candidats : on peut considérer que le Sénat est en avance par rapport à l’Assemblée nationale. Il convient aussi de revoir certaines situations ; j’avais déposé un amendement en ce sens, qui a été considéré comme un cavalier, ce que je peux comprendre. Ainsi, quand un suppléant perd son siège de sénateur, il ne retrouve pas les mandats locaux qu’il exerçait, ce qui n’est ni logique ni juste.
Un certain nombre de modifications, ou en tout cas d’évolutions, devront être examinées lors du débat sur la révision de la Constitution. J’entends aussi ceux ici qui, à juste titre, considèrent que cette proposition de loi organique avait toute sa place dans le cadre des textes de la révision constitutionnelle, afin de faire l’objet d’un examen d’ensemble. C’est donc au moment de l’examen des différents textes portant sur la révision constitutionnelle qu’il serait opportun d’y travailler.
Monsieur le secrétaire d’État, l’abaissement de l’âge, qui est intervenu à deux reprises depuis le début de ce siècle, n’a pas vraiment modifié l’âge moyen des parlementaires au Sénat. Pour motiver nos jeunes concitoyens à s’engager dans la démocratie représentative, la première chose à faire, et elle est essentielle, c’est de respecter le Parlement. Il faut que nous vivions dans des institutions équilibrées entre l’exécutif et le législatif. L’expérience que j’ai pu acquérir, comme parlementaire ou comme ministre, me fait dire qu’il y a encore beaucoup de travail à faire…
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. … et que nous ne sommes pas parvenus au bout du chemin en matière d’équilibre des pouvoirs dans notre pays.
Sachez, mes chers collègues, que, même si je voterai ce texte pour les raisons que j’ai expliquées, en aucun cas je ne considérerai ceux qui ne le voteraient pas comme des corporatistes ou des ringards. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Lana Tetuanui. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Lana Tetuanui. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, ‘ia ora na, nous évoquons un sujet sensible, puisque notre collègue Gattolin nous invite à réviser une condition d’éligibilité au Sénat : l’âge. La question que soulève sa proposition de loi est très simple : à quel âge peut-on être candidat aux élections sénatoriales ? Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste a mandaté sa plus jeune sénatrice pour venir parler de ce sujet.
Je me suis interrogée : quelle est votre appréciation de la jeunesse ? Est-on vieux à quarante ans ? À trente ans ? Je me pose d’autant plus la question que je suis une élue venant des collectivités d’outre-mer.
Mes chers collègues, je suis sénateur de la Polynésie, qui est un territoire aussi vaste que l’Europe. Comme on dit chez nous : « Pour atteindre le sommet du cocotier, il faut commencer par le bas. »
M. Guy-Dominique Kennel. Bravo !
Mme Lana Tetuanui. Vous aurez compris quelle sera la position du groupe Union Centriste… (Sourires.)
Avant de répondre à l’interrogation que je viens de soulever, je souhaite dire quelques mots sur l’opportunité conjoncturelle de cette proposition de loi organique.
Si j’en crois les dernières annonces du Gouvernement, nous sommes à quelques semaines de la reprise des travaux du Parlement sur la révision constitutionnelle. Je rappelle que cette réforme des institutions souhaitée par le Président Macron ne se limite pas à un projet de loi constitutionnelle, mais donnera lieu à l’examen d’un projet de loi organique et d’un projet de loi ordinaire. Autrement dit, nous nous apprêtons à avoir un débat global sur l’architecture de nos institutions, y compris sur le rôle et la composition du Sénat.
Avant même de savoir si l’on est pour ou contre ce que nous propose notre collègue, nous devons nous interroger sur l’opportunité d’avoir ce débat aujourd’hui, alors qu’il aurait toute sa place dans le cadre du débat sur la réforme de nos institutions.
Selon moi, cette proposition de loi aurait sa place sous forme d’amendement au projet de loi organique que présentera le Gouvernement. Je pense donc que nous ne devrions pas en discuter aujourd’hui. Mais, comme elle est là, parlons-en !
Sur le fond, on nous propose d’abaisser de vingt-quatre à dix-huit ans l’âge à partir duquel il est possible de se présenter aux élections sénatoriales. Il me semble important de rappeler, en écho aux propos de notre rapporteur, que le Sénat n’a pas été sourd sur cette question. Il a déjà fait évoluer deux fois cette condition d’éligibilité depuis 2003. C’était nécessaire, et ces évolutions ont été bénéfiques à la Haute Assemblée. Il ne faut donc pas nous faire de mauvais procès, celui d’un Sénat qui serait rigide et hostile par principe à la réforme.
Pour autant, cela signifie-t-il qu’il faudrait systématiquement s’aligner sur toutes les évolutions adoptées pour nos collègues députés ? Certainement pas !
J’entends certains dire : « Les députés l’ont décidé depuis 2011. Comment pourriez-vous vous y opposer ? » Bien sûr que nous pouvons le faire ! Je peux vous dire par expérience, mes chers collègues, en tout cas chez nous, que les jeunes de dix-huit ans ne savent même pas s’ils sont inscrits sur les listes électorales, puisque les inscriptions se font d’office par l’INSEE. C’est nous qui allons les chercher le jour des élections pour leur dire : « Eh, oh, il faut peut-être aller voter, vous avez été inscrits sur les listes ! » (Sourires.) Voilà la réalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Dany Wattebled applaudit également.)
Le plus dramatique, c’est d’imaginer comment un petit jeune de chez nous pourrait venir défendre la cause de ma collectivité sans en connaître n’en serait qu’un petit bout… Car nos collectivités, avec toutes leurs spécificités ultramarines, c’est la croix et la bannière ! Je ne pense pas qu’un jeune qui vient à peine de sortir de l’école maternelle pourrait faire notre travail.
J’invoquerai l’argument, simple mais fondamental : à quoi bon une deuxième chambre si elle est identique à la première ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.) Le bicamérisme, la différenciation des deux chambres, voilà ce qui est en jeu ! Pour s’en persuader, il suffit de lire l’article L.O. 296 du code électoral, que l’on nous propose de modifier : « Nul ne peut être élu au Sénat s’il n’est âgé de vingt-quatre ans révolus. Les autres conditions d’éligibilité et les inéligibilités sont les mêmes que pour l’élection à l’Assemblée nationale. » Tout est dit ! Si nous supprimons cette condition particulière d’éligibilité, toutes les autres seront les mêmes que pour l’élection des députés.
Mes chers collègues, nous sommes tous attachés à la défense de notre assemblée. Pour bien la défendre, nous devons garder en tête un principe simple à la veille du débat constitutionnel : elle ne doit pas devenir un clone de l’Assemblée nationale. Elle doit être différente, sinon, demain, son existence finira par être remise en cause. C’est aussi simple que cela !
M. Charles Revet. Exactement !
Mme Lana Tetuanui. Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste, suivant la proposition de notre rapporteur, votera contre cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2017, la moyenne d’âge des sénateurs était de soixante et un ans, seuls deux d’entre eux avaient moins de trente-cinq ans et six moins de quarante et un ans. Abaisser l’âge d’éligibilité à dix-huit ans rajeunirait-il le Sénat ? Est-il nécessaire de le rajeunir ?
Il est vrai que la fonction de sénateur, dans l’imaginaire populaire, ne laisse pas immédiatement entrevoir un jeune de dix-huit à vingt ans, mais plutôt un homme, d’un âge certain, d’une certaine corpulence, aux cheveux blancs,…
M. Gérard Longuet. Et rares ! (Sourires.)
Mme Christine Lavarde. … bref quelqu’un de sérieux, soit l’incarnation de l’origine étymologique du mot senex.
Cet imaginaire populaire ne repose pas seulement sur la représentation des dessinateurs de presse ; il s’appuie sur l’histoire de la Haute Assemblée, dont l’ancêtre, sous le Directoire, se nommait le Conseil des Anciens et avait vocation, de par sa composition d’une élite âgée – l’âge minimum étant alors de quarante ans –, à contrebalancer les ardeurs des députés, plus jeunes, plus fougueux et plus progressistes. N’est-ce pas encore le cas aujourd’hui ?
Pour avoir échangé avec Pierre Cazeneuve, cofondateur du parti politique Allons Enfants et élu municipal de la commune de Saint-Cloud, qui a su convaincre notre collègue André Gattolin de déposer cette proposition de loi, j’entends les arguments qui sous-tendent cette démarche.
Le Sénat reste désormais la seule institution à fixer un seuil d’âge minimum au-delà de la majorité. Ainsi, à dix-huit ans, comme cela a été rappelé, on peut être candidat à la présidence de la République, mais pas sénateur. Ainsi les jeunes élus dans nos instances municipales, départementales ou régionales sont forcés, sous peine d’amende, de prendre part à une élection à laquelle ils ne peuvent se présenter.
Cette relative absurdité nous permet de prendre conscience que l’implication dans la vie de la cité – la polis –, tout comme la valeur, n’attend point le nombre des années. Ainsi, dans les Hauts-de-Seine, près de quarante grands électeurs avaient moins de vingt-quatre ans en septembre 2017.
L’objectif recherché – rapprocher les jeunes de la politique et les intéresser au débat public – est louable. Combien serons-nous à déplorer leur faible participation lors des prochaines élections européennes ? Seuls 29 % des dix-huit à vingt-cinq ans s’étaient déplacés en 2009 et 27 % en 2014.
M. Charles Revet. Eh oui !
Mme Christine Lavarde. Avec une certaine pointe d’humour, Pierre Cazeneuve, dans une interview accordée à France Info le 14 novembre dernier, avançait un argument en faveur du rajeunissement nécessaire de la Haute Assemblée : « Certains sénateurs souffrent de cette image de maison de retraite politique parfois associée au Sénat. » Cet argument est largement illustré, et j’ai avec moi quelques dessins qui en témoignent. (L’oratrice brandit des dessins de presse.)
En tant que benjamine de cette institution, je souhaiterais rassurer les plus inquiets : non, je n’ai pas l’impression d’être dans une maison de retraite ! Non, je n’ai pas fait une entrée accélérée en EHPAD ! Non, je n’ai pas perdu mon énergie et ma vitalité depuis un an !
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Christine Lavarde. Je dirai même que l’agenda d’un sénateur n’a rien à envier à celui d’un businessman ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
À trente-quatre ans, je me sens parfaitement bien intégrée dans cette institution. Certes, je suis peut-être parfois un peu en décalage avec mon prisme de raisonnement qui peut emprunter aux caractéristiques de la génération X ou mes contraintes de jeune mère de famille. Pour autant, j’ai le sentiment de poursuivre les mêmes objectifs que l’ensemble de mes collègues : défendre et promouvoir mon territoire, mes valeurs et mes idées, tout en gardant à l’esprit l’intérêt général et l’équilibre républicain.
Aurais-je pu le faire à dix-huit ans, tout juste sortie du lycée ? Je ne le crois pas. Devenir un législateur ne s’improvise pas. Cela s’apprend au gré de ses études et de ses expériences professionnelles et électives.
Mme Éliane Assassi. À ce compte-là, il n’y aura jamais d’ouvriers dans l’hémicycle !
Mme Christine Lavarde. J’aurais pu ajouter l’expérience associative.
Il me semble par ailleurs légitime de maintenir une différence entre l’Assemblée nationale et le Sénat. En effet, le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Pour représenter, il faut connaître, avoir expérimenté, mis les mains dans le cambouis. L’âge de vingt-quatre ans permet d’avoir à son actif un mandat complet d’élu local au moment de la candidature.
M. Gérard Longuet. Exact ! Bien dit !
Mme Christine Lavarde. De même qu’« on ne naît pas femme, on le devient »,…
M. Gérard Longuet. Simone de Beauvoir !
Mme Christine Lavarde. … on ne naît pas sénateur, on le devient. (Exclamations sur les travées du groupe La République En Marche.)
Avant de conclure, je remercie André Gattolin et Pierre Cazeneuve d’avoir illustré avec cette proposition de loi l’implication d’une partie de notre jeunesse dans le fonctionnement de nos institutions. Il appartient aux partis politiques institutionnalisés de se donner les moyens d’écouter cette jeunesse qui ne manifeste pas, ne se révolte pas, mais veut proposer et agir pour son avenir et celui de ses enfants. Je pense cependant qu’il ne faut pas aller trop vite…
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Christine Lavarde. … et vous invite à méditer les mots de Jean de la Fontaine :
« Notre Lièvre n’avait que quatre pas à faire ;
« J’entends de ceux qu’il fait lorsque prêt d’être atteint
« Il s’éloigne des chiens, les renvoie aux Calendes,
« Et leur fait arpenter les landes.
« Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
« Pour dormir, et pour écouter
« D’où vient le vent, il laisse la Tortue
« Aller son train de Sénateur. »
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Raymond Vall applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi organique que nous allons examiner vise à réduire l’âge minimal pour se présenter aux élections sénatoriales de vingt-quatre à dix-huit ans et à fixer l’entrée en vigueur de cette modification au prochain renouvellement sénatorial.
Historiquement, l’âge d’éligibilité aux élections sénatoriales est plus élevé qu’aux élections législatives. Longtemps fixé à trente-cinq ans, l’âge minimal pour être élu sénateur a été abaissé à deux reprises sous la Ve République : il est passé à trente ans en 2003, puis à vingt-quatre ans en 2011.
Trois éléments au moins viennent apporter un éclairage sur cette particularité sénatoriale.
Tout d’abord, l’existence d’un âge d’éligibilité plus élevé pour les sénateurs résulte d’un compromis initial, après la Révolution française, puis sous la IIIe République, pour concilier évolution du régime et pacification sociale.
Ensuite, l’âge est perçu comme un facteur de modération.
Enfin, l’âge d’éligibilité plus élevé pour les sénateurs reflète la valorisation de l’expérience au sein des collectivités territoriales. En effet, ce seuil d’éligibilité a été défini pour permettre aux sénateurs d’acquérir une expérience locale avant d’entrer au Palais du Luxembourg.
Ce débat relatif à l’alignement de l’âge d’éligibilité des sénateurs sur l’âge de la citoyenneté, s’il n’est pas nouveau, ne peut pas avoir lieu en dehors du cadre de projets plus larges. Il apparaît en effet bien plus opportun et pertinent que ce sujet soit examiné dans le cadre des débats à venir sur les réformes institutionnelles et l’avenir du bicamérisme.
En outre, à l’échelle internationale, l’âge d’éligibilité est généralement plus élevé dans les chambres hautes que dans les chambres basses.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à ce jour, rien ne justifie raisonnablement la nécessité de procéder une nouvelle fois à l’abaissement de l’âge d’éligibilité des sénateurs. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants suivra majoritairement la position de la commission des lois et de son rapporteur et ne votera pas en faveur de ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, aux termes de l’article 24 de notre Constitution, la Haute Assemblée, au sein de laquelle nous siégeons, représente les collectivités territoriales de la République. L’âge de vingt-quatre ans requis pour devenir sénateur correspond à l’âge minimum auquel un citoyen peut avoir accompli un mandat local, soit dix-huit ans, plus six ans.
C’est donc une expérience minimum requise dont le caractère paraît évident, et je ne vois rien ici qui ressemble, de près ou de loin, à une « justification assez floue », comme l’avancent imprudemment nos collègues Marcheurs. C’est même, bien au contraire, pleinement cohérent avec la mission de représentation des collectivités territoriales confiée au Sénat, depuis soixante ans, par la Constitution.
Fondamentalement, les deux assemblées françaises ne sont pas identiques, mais elles se complètent parfaitement. Notre mode de fonctionnement assure même la continuité de l’État, et ce n’est pas là un détail.
Si nos institutions donnent clairement la primeur dans les décisions finales à l’Assemblée nationale et à nos collègues députés qui y siègent, le Sénat jouit, lui, d’une spécificité incontournable et révélatrice de sa sagesse légendaire. En effet, le Sénat, à la différence de l’Assemblée nationale, est une assemblée permanente. Le chef de l’État ne peut donc pas la dissoudre. C’est précisément pour ces raisons, notamment, que la réforme constitutionnelle ourdie par le Président de la République est dangereuse, puisqu’elle conduit, ni plus ni moins, à une dissolution déguisée du Sénat.
Vouloir aligner la limite d’âge requis pour devenir sénateur sur celle exigée pour devenir député, c’est ignorer totalement l’essence même du bicamérisme.
Oui, la jeunesse incarne l’avenir ! Mais est-ce à dire que les aînés ne doivent pas être écoutés ? Est-ce à dire que la fougue de la jeunesse doit être élevée au rang d’alpha et d’oméga démocratique ? Je n’en crois rien ! Je suis convaincu, bien au contraire, que l’expérience est un trésor dont nul ne peut se passer. Il n’est qu’à parcourir le Palais du Luxembourg et son histoire pour s’en persuader. (Mme Esther Benbassa s’esclaffe.)
Quand la présidente du groupe auquel vous appartenez, madame, siège à une telle place dans l’hémicycle, on ne rigole pas.
Mme Éliane Assassi. Quel est le rapport ?
M. Jean-Raymond Hugonet. Cette place, celle de Victor Hugo, qui disait : « L’un des privilèges de la vieillesse, c’est d’avoir, outre son âge, tous les âges. »
Mme Éliane Assassi. Il est mort !
M. Jean-Raymond Hugonet. Malheureusement, et il nous manque bien, madame… À la lecture de cette proposition de loi organique, il doit se retourner dans sa tombe. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. André Gattolin. De Gaulle aussi, sans doute ?
M. Jean-Raymond Hugonet. Qu’on le veuille ou non, monsieur Gattolin, la tempérance vient avec l’âge.
Je ne goûte pas forcément les comparaisons internationales, mais c’est précisément pour cette raison de tempérance qu’un pays jeune comme les États-Unis place l’âge minimal à trente ans pour devenir sénateur. Et que dire alors de nos voisins et amis Italiens qui, eux, placent le seuil à quarant’anni, quarante ans ?
Que je sache, vingt-quatre ans, ce n’est pas un âge canonique ; cette limite d’âge ne crée aucune injustice, contrairement à ce que vous avancez. Elle n’empêche en rien un Français de dix-huit ans désirant s’engager pour la Nation en exerçant un mandat parlementaire, d’être candidat à un siège de député.
Si nos collègues Marcheurs veulent faire œuvre utile, qu’ils commencent par faire en sorte que l’ensemble des jeunes Français de dix-huit ans sachent réellement ce que sont nos institutions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Tout à fait !
M. André Gattolin. Nous allons faire le travail que vous n’avez pas fait !
M. Jean-Raymond Hugonet. Une interrogation écrite donnerait, j’en ai bien peur, des résultats très contrastés. Ça, c’est une anomalie ! Je serais donc surtout partisan de baisser l’âge requis pour connaître réellement les institutions de notre pays. Si nous accueillons régulièrement autant de jeunes collégiens ou lycéens au Sénat, c’est bien pour cette raison.
Décidément, avec cette proposition de loi organique de nos collègues du groupe La République En Marche, le nouveau monde défend, une fois encore, une réforme plus médiatique qu’efficace. Aussi, pour l’ensemble de ces raisons, vous l’aurez compris, je voterai résolument contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Raymond Vall applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quel bonheur pour le vieux professeur d’histoire que je demeure d’aborder un sujet aussi riche que celui du bicamérisme différencié, et, bien évidemment de le défendre. En effet, au-delà de l’âge d’éligibilité, c’est bien de cela qu’il s’agit.
Faisons donc un peu d’histoire.
Il n’aura pas fallu deux ans, sous la Révolution, pour que notre pays goûte funestement au péril du monocamérisme et, lorsque le bicamérisme s’imposa, la question de la composition différenciée de la chambre haute se posa. Tantôt chambre honorifique pour une noblesse déchue de ses privilèges sous la Restauration, tantôt haut lieu des soutiens issus de tous horizons du régime bonapartiste, l’enjeu fut toujours de savoir comment choisir cette seconde chambre et quelle légitimité lui donner.
Mode d’élection, âge et conditions d’éligibilité, notre pays a donc cherché dès les origines du système parlementaire puis de la République parlementaire à différencier les deux chambres. C’est bien cette différenciation qui est la raison d’être du Sénat.
Tout d’abord, dans un pays fortement centralisé, le Sénat républicain s’est imposé, par son mode d’élection, comme la chambre des territoires, et il a toujours contrebalancé la vieille passion française pour le jacobinisme.
M. André Gattolin. Quel rapport ?
M. Max Brisson. En cela, il porte une vision qui enrichit encore les débats et l’action publique tout en étant pleinement l’une des deux chambres du Parlement. Le Sénat est aussi par son propre calendrier une voix dissemblable. C’est essentiel depuis la réforme du quinquennat et l’élection quasi simultanée du Président de la République et des députés.
Enfin, grâce à son seuil d’âge et d’éligibilité, le Sénat a perduré dans l’histoire comme une assemblée qui n’inscrivait jamais son action dans la tyrannie de l’instant, mais qui l’inscrivait dans un autre rapport au temps, dans le temps long. Ce rapport est parfois source de sarcasmes, alors que nous vivons aujourd’hui sous l’injonction permanente du mouvement ; ce temps long est pourtant la clef pour dépassionner.
Le législateur spartiate Lycurgue le disait déjà : « Il rassembla ce conseil de sénateurs […] et donna pied ferme et assuré à l’État. » Donner pied ferme et assuré à l’État, telle est l’identité du Sénat. Cette identité particulière a notamment pour origine le mode d’élection et l’âge minimal d’éligibilité des sénateurs.
Certes, en 2011, ce qui caractérisait le Sénat par rapport à l’Assemblée nationale du point de vue des conditions d’éligibilité et d’élection a déjà été atténué, et je ne suis pas sûr que ce fût une bonne chose. La solution d’un écart d’âge théorique d’un citoyen ayant effectué au moins un mandat local est à mon sens la plus raisonnée. Bien évidemment, elle n’est pas, de mon point de vue, parfaite, puisque je suis de ceux qui auraient préféré que le législateur fixe une barre plus haute.
Toutefois, dans une chambre des territoires, comment penser, au minimum, défendre les collectivités locales sans les connaître et sans avoir déjà exercé au moins un mandat ? Comment se prévaloir des qualités de recul et d’analyse sans instaurer ce seuil d’âge minimal ? Ce seuil n’a pas empêché l’âge moyen du Sénat d’être assez proche de celui de l’Assemblée nationale. Il n’a pas non plus empêché un sénateur de l’Essonne, qui n’était pas encore le chef de file des Insoumis, d’être l’un des plus jeunes sinon le plus sage des sénateurs de France.
J’en viens à l’âge d’éligibilité du Président de la République, argument massue de nos collègues Sueur et Gattolin. Pour justifier votre proposition de loi organique, monsieur le sénateur Gattolin, vous proposez d’abaisser l’âge d’éligibilité des sénateurs pour l’aligner sur celui du Président de la République, dont, vous en conviendrez, la sagesse et le recul doivent être exemplaires, plus encore que, certainement, que ceux des sénateurs, eu égard aux responsabilités qu’il assume. Alors, pourquoi ne pas plutôt aligner l’âge minimal d’élection du Président de la République sur celui des sénateurs, afin de contribuer théoriquement à ce qu’il fasse montre des mêmes qualités ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. André Gattolin s’esclaffe.)
Je sais combien tout ce que je viens de dire est difficile à entendre dans une société de l’immédiateté ; je sais qu’il est difficile, dans notre société, de comprendre que l’expérience peut donner des droits supplémentaires ; je sais qu’il est passé de mode de justifier le bicamérisme différencié en puisant des arguments dans l’histoire ; mais, franchement, au-delà des difficultés de notre époque à accepter les leçons du passé, cette tendance qui vise peu à peu à réduire ce qui différencie les deux chambres n’entre-t-elle pas dans la logique qui cherche à gommer aujourd’hui la différenciation entre les chambres, puis, le jour où les deux chambres se ressembleront, à dire qu’il y en a une de trop ? Je suis persuadé que, ce jour-là, la démocratie aura reculé ; pour l’instant je m’en tiendrai à croire que, comme on le disait à Rome, sapientia est potentia, la sagesse est le pouvoir. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Raymond Vall applaudit également.)
Mme Éliane Assassi. N’importe quoi !
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Mes chers collègues, je vous propose de poursuivre la séance jusqu’à vingt heures trente. Nous pourrons ainsi examiner les amendements avant le dîner, à condition que nous soyons concis. Si chacun prend la parole, nous n’y arriverons pas, et nous devrons poursuivre l’examen du texte après la pause.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi organique initiale.
proposition de loi organique relative à l’élection des sénateurs
Article additionnel avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville, Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier paragraphe de l’article L.O. 141 du code électoral est complété par une phrase ainsi rédigée : « Cette incompatibilité ne s’applique pas aux suppléants exerçant temporairement le mandat de député. »
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Cet amendement, fondé sur un cas pratique, vise à corriger une conséquence non anticipée lors de l’adoption de la loi interdisant le cumul des mandats pour les suppléants de députés ou de sénateurs.
Ce cas pratique est simple. Lorsque je suis entré au Gouvernement, ma suppléante est devenue sénatrice. À ce moment-là, elle a été obligée, en vertu de l’application de la loi susdite, de démissionner du conseil municipal d’Aurillac. Lorsque je suis revenu au Sénat, elle n’a pas pu retrouver son mandat local, ce qui est, à mon avis, tout à fait anormal.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Son mandat de présidente de l’exécutif ?
M. Jacques Mézard. Non, son mandat de conseillère municipale – elle était également conseillère générale. Voilà la situation exacte.
Il s’agit évidemment d’un cas que nous n’avons pas abordé lors du débat sur le non-cumul. C’est pour cela qu’il m’a paru opportun de profiter de cette proposition de loi organique pour poser le problème. En effet, il ne me paraît pas juste qu’un suppléant qui perd son siège de parlementaire ne retrouve pas la situation antérieure à son passage au Parlement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Segouin, rapporteur. Aujourd’hui, le mandat de député ou de sénateur est incompatible avec l’exercice de plus d’un mandat local non exécutif. L’amendement n° 7 rectifié de M. Mézard tend à supprimer cette incompatibilité pour les suppléants de sénateur ou de député, parce que certains d’entre eux sont contraints de quitter leur mandat local pour siéger au Parlement, parfois de manière brève.
On comprend la logique de cet amendement, mais celui-ci dépasse largement le champ de la présente proposition de loi organique. En outre, son adoption instaurerait une inégalité entre les parlementaires et leur suppléant, lequel peut parfois être amené à siéger pendant plusieurs années, notamment en cas de décès du parlementaire ou de cumul des mandats. Avec le dispositif de cet amendement, un suppléant serait mieux traité qu’un parlementaire, il serait totalement exempté de cette incompatibilité.
Pour toutes ces raisons, la commission vous demande de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Tout d’abord, le fait que le remplacement ne soit que temporaire n’est pas acquis ; le replacement peut être définitif et durer tout le temps de la législature.
Ensuite, cet amendement nous paraît créer une rupture d’égalité entre parlementaires. Sa constitutionnalité pourrait donc être sujette à caution.
Enfin, cet amendement peut être incompréhensible aux yeux de nos concitoyens, qui attendent une application stricte des dispositions relatives au non-cumul. L’exercice, même temporaire, d’un mandat parlementaire oblige à respecter les règles essentielles de déontologie.
Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
L’article L.O. 296 du code électoral est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est supprimé ;
2° Au deuxième alinéa, le mot : « autres » est supprimé.
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. Je veux juste dire quelques mots en réaction aux propos tenus sur la réduction de l’âge minimal requis pour se présenter aux élections sénatoriales.
D’abord, il est effectivement dommage que ce débat ne trouve pas plutôt sa place dans le débat prochain sur la réforme institutionnelle ; cela aurait été beaucoup plus logique.
Ensuite, j’ai écouté notre cher collègue Gattolin avec beaucoup d’attention. Il a vanté les vertus de la simplicité et, évidemment, de la « modernité ». Or, justement, quand on commence à convoquer ce genre de principes et de mots, une vigilance minimale s’impose, d’autant plus que cela procède, me semble-t-il, d’un credo simplificateur, selon lequel un alignement de l’âge d’éligibilité à dix-huit ans serait ni plus ni moins que le sens de l’histoire, ce serait « la modernité ».
Cela me semble être une tromperie. Ce n’est pas parce qu’on recouvre quelque chose des oripeaux de la modernité que ça devient tout de suite novateur, bien au contraire. Cette notion véhicule l’idée que les jeunes représenteraient mieux les jeunes, comme s’il s’agissait d’une catégorie à part. Cela fait malheureusement partie des poncifs qu’on entend à l’extérieur et qu’on entend ici ce soir.
La question principale est finalement celle de la trajectoire du mandat de sénateur. Avoir prévu cette limite d’âge est une garantie et, quelque part, c’est un filtre pour faire en sorte que les personnes qui prétendent à la fonction de sénateur aient, oui, en règle générale, une expérience locale, une expérience territoriale. C’est un élément qui donne de l’épaisseur, si j’ose dire, et qui apporte une garantie dans la façon de concevoir la chose.
Sans cela, nous serions en voie de normalisation, d’alignement sur l’Assemblée nationale. C’est toute notre singularité qu’il faut préserver ainsi, et non pas de manière frileuse ; c’est notre particularité. C’est un argument fort, même s’il n’est pas, je le concède, en accord avec la modernité supposée du moment. Tout cela, comme l’âge d’ailleurs, finit néanmoins par passer. La sagesse et la tempérance doivent demeurer dans la Haute Assemblée.
Dernier élément : on a parlé de signal fort, et, justement, il faut avoir ici la capacité de résister aux symboles. En forme de conclusion heureuse, je veux citer Kundera, qui disait que la maturité est précisément la capacité de savoir résister aux symboles.
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin, sur l’article.
M. André Gattolin. Je serai très rapide dans ma réponse à mon collègue Bonhomme. Je n’ai cité ni le mot de modernité ni celui de simplicité.
M. François Bonhomme. Si, vous avez parlé de simplicité !
M. André Gattolin. Non, on pourra vérifier dans le compte rendu. Ce n’est pas moi, c’est le secrétaire d’État qui a parlé de simplification. On peut donc être jeune et avoir des problèmes d’audition…
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 22 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l’adoption | 137 |
Contre | 199 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Articles additionnels après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié ter, présenté par MM. Cabanel et Antiste, Mme Artigalas, MM. Joël Bigot, Boutant, Dagbert, Daudigny, Durain et Duran, Mmes M. Filleul, Grelet-Certenais, Harribey et Jasmin, M. P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Lalande, Lozach, Madrelle, Magner et Manable, Mme Meunier, M. Montaugé, Mme Perol-Dumont, M. Roger, Mme Rossignol, MM. Sueur et Tissot, Mme Tocqueville et MM. Todeschini, Tourenne, Vallini et Vaugrenard, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. O. 127 du code électoral, il est inséré un article L.O. 127-… ainsi rédigé :
« Art. L. O. 127-… – Ne peuvent pas faire acte de candidature les personnes dont le bulletin n° 2 du casier judiciaire porte la mention d’une condamnation incompatible avec l’exercice d’un mandat électif.
« Les condamnations incompatibles avec l’exercice d’un mandat électif sont :
« 1° L’une des infractions d’atteintes à la personne humaine réprimées aux articles 221-1 à 221-5-5, 222-1 à 222-18-3, 222-22 à 222-33, 222-33-2 à 222-33-3, 222-34 à 222-43-1, 222-52 à 222-67, 224-1 A à 224-8, 225-4-1 à 225-4-9, 225-5 à 225-12, 225-12-1 à 225-12-4, 225-12-5 à 225-12-7, 225-12-8 à 225-12-10, 225-13 à 225-16 du code pénal ;
« 2° L’une des infractions traduisant un manquement au devoir de probité, réprimées aux articles 432-10 à 432-15 du même code ;
« 3° L’une des infractions de corruption et trafic d’influence, réprimées aux articles 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-10 et 445-1 à 445-2-1 dudit code ;
« 4° L’une des infractions de recel ou de blanchiment, réprimées aux articles 321-1, 321-2, 324-1 et 324-2 du même code, du produit, des revenus ou des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° et 2° du présent article ;
« 5° L’une des infractions réprimées aux articles L. 106 à L. 109 du code électoral ;
« 6° Les infractions fiscales.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. »
La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Les citoyens attendent un niveau élevé de déontologie de la part de leurs élus, particulièrement de ceux qui votent la loi.
La présente proposition de loi organique vise à rendre compréhensibles les conditions d’éligibilité des sénateurs. Or, pour les citoyens, il est justement incompréhensible que des personnes dont le casier judiciaire mentionne des condamnations pour corruption puissent devenir sénateurs. Cette remarque vaut aussi pour des délits du même type, comme la prise illégale d’intérêts ou le blanchiment et, a fortiori, pour des crimes ou des délits d’atteinte à la personne : homicides, violences graves ou agressions sexuelles.
C’est donc très naturellement que cet amendement vise à imposer explicitement comme condition d’éligibilité aux élections législatives et sénatoriales l’absence de mention, au bulletin n° 2 du casier judiciaire, de condamnation pour crime ou délit lié à un manquement à la probité, c’est-à-dire l’obligation d’un casier vierge.
Certes, le droit pénal en vigueur permet en grande partie d’atteindre cet objectif sur le fond, mais sa présentation éclatée n’apporte pas la même lisibilité, à même de rassurer les citoyens, que le dispositif prévu par le présent amendement. Je précise que celui-ci n’a pas un objectif répressif contre les individus, mais qu’il vise la protection de l’exercice du mandat de parlementaire, à l’instar de ce qui existe dans de nombreuses professions ou fonctions. Je précise également que la mention d’une condamnation figurant au casier judiciaire n’est pas toujours définitive. Indépendamment de la réhabilitation, l’inscription au casier judiciaire peut être écartée par le juge, soit au moment du jugement, soit a posteriori, si la demande lui en est faite.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Segouin, rapporteur. L’amendement n° 1 rectifié ter de M. Cabanel tend à imposer un casier judiciaire vierge pour se présenter aux élections législatives et sénatoriales. Cela remplacerait donc les peines d’inéligibilité qui sont prononcées au cas par cas par le juge.
Ce débat existe depuis plusieurs années. Nous partageons un objectif commun : garantir la probité de la vie politique. Toutefois, le Parlement a rejeté cet amendement à de nombreuses reprises, car celui-ci soulève des difficultés sur le plan constitutionnel. En juillet 2017, la garde des sceaux a clairement rappelé que ce dispositif pouvait être assimilé à une peine automatique. Certes, il est applicable aux concours de la fonction publique, mais le droit fondamental d’exercer un mandat électif va au-delà de la carrière professionnelle.
En outre, la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a déjà prévu un mécanisme, déclaré conforme à la Constitution : l’instauration d’une peine d’inéligibilité obligatoire pour certains crimes et délits, sauf décision contraire du juge. Le Sénat avait d’ailleurs complété ce texte en y ajoutant le harcèlement sexuel ou moral, l’escroquerie en bande organisée, l’association de malfaiteurs et l’abus de biens sociaux.
Enfin, le dispositif proposé au travers de cet amendement serait moins efficace que le droit en vigueur. En effet, une mention sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire peut être effacée six mois après la condamnation ; certains condamnés pourraient ainsi obtenir la radiation de cette mention et d’autres non, sans que l’on puisse s’assurer de la cohérence de ces décisions.
Nous aurons certainement ce débat à l’occasion des réformes institutionnelles.
La commission demande donc le retrait de cet amendement et, à défaut, émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Avis défavorable, exactement pour les mêmes raisons que celles qui viennent d’être exposées par la commission.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. La défiance vis-à-vis des élus n’a jamais été aussi forte. J’ai bien entendu les arguments que vous venez de présenter. Ce n’est pas, en effet, la première fois que je dépose cet amendement, et on me fait toujours la même réponse.
Pour retrouver cette confiance, il faut parler le même langage. Pour exercer plus de trois cent quatre-vingts professions, on demande à nos concitoyens de produire le bulletin n° 2 du casier judiciaire. Nos concitoyens ne comprennent pas pourquoi un candidat ne serait pas soumis à la même obligation.
Dans le département dont je suis élu, j’ai réalisé une enquête : 97 % des maires ont répondu favorablement à l’idée qu’un candidat aux élections doive produire le bulletin n° 2 du casier judiciaire.
Si l’on veut retrouver un peu de confiance, il faut écouter les citoyens ; il ne faut pas leur reprocher de ne pas avoir confiance. Soyez logiques, soyez cohérents, mes chers collègues. Je vous demande donc de voter pour cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 4 rectifié, présenté par M. Joyandet, Mmes Micouleau et Deromedi, M. Bascher, Mme Puissat, MM. Revet, Piednoir, Nougein et Sol, Mme Lassarade, M. Lefèvre, Mme Noël, M. Ginesta, Mme Delmont-Koropoulis, MM. B. Fournier et Vaspart, Mmes Deroche et A.M. Bertrand et MM. Laménie, Bazin et Chatillon, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l’article L.O. 145 du code électoral est complété par une phrase ainsi rédigée : « Cette incompatibilité n’est pas applicable aux présidents des conseils de surveillance. »
La parole est à M. Alain Joyandet.
M. Alain Joyandet. Madame la présidente, je vais tâcher de nous faire gagner du temps en présentant en même temps mes trois amendements.
Pourquoi ces amendements et pourquoi aujourd’hui ? La vingtaine de sénateurs qui les ont cosignés et moi-même attendions un vecteur organique pour aborder ce sujet. Nous sommes un certain nombre de parlementaires à nous étonner de découvrir parfois, après avoir voté un texte, des interdictions relatives à l’exercice de nos mandats qui s’y cachent, s’y nichent – si j’ose dire.
Concrètement, quand j’ai voté pour la loi HPST il y a une dizaine d’années, je ne pensais pas – et ne suis pas le seul – que, un jour, le Conseil constitutionnel en tirerait la conclusion, dans le cadre d’une décision relevant, je le dis, d’une interprétation du texte, que je ne pourrais plus présider, bénévolement, le conseil de surveillance d’un petit hôpital départemental. Nous sommes un certain nombre dans toute la France à devoir donc choisir entre être parlementaires ou être présidents bénévoles du conseil de surveillance d’un petit hôpital. Cela paraît assez curieux.
Je ne parle pas ici des nouveaux textes relatifs au non-cumul des mandats ou aux incompatibilités notoires liées à des intérêts financiers en jeu ; on se trouve là, surtout s’agissant d’établissements de santé, dans une situation ubuesque. Je préside le conseil de surveillance de mon hôpital départemental depuis vingt-trois et on me dit que, désormais, il faut arrêter. Et l’incompatibilité ne date pas de quelques mois, mais de presque dix ans, même si on nous ne le dit que maintenant !
Voilà pourquoi je présente ces amendements. Je serai très intéressé par l’avis du Gouvernement – je sais l’avis que la commission a adopté ce matin. Cette situation est-elle totalement irréversible ? A-t-on la possibilité de faire quelque chose pour revenir à plus de sagesse et de logique ?
Très franchement, sur le terrain, les gens ne comprennent pas cela. Autant on comprend bien l’évolution normale des choses sur le cumul des mandats, autant cette situation paraît totalement anormale. J’attends donc avec impatience les avis de la commission et du Gouvernement.
Mme la présidente. L’amendement n° 5 rectifié, présenté par M. Joyandet, Mmes Micouleau et Deromedi, M. Bascher, Mme Puissat, MM. Revet, Piednoir, Nougein et Sol, Mme Lassarade, M. Lefèvre, Mme Noël, MM. Ginesta, Chatillon, Bazin et Laménie, Mmes A.M. Bertrand et Deroche, MM. Vaspart et B. Fournier et Mme Delmont-Koropoulis, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l’article L.O. 145 du code électoral est complété par une phrase ainsi rédigée : « Cette incompatibilité n’est pas applicable aux présidents des conseils de surveillance des établissements publics de santé. »
La parole est à M. Alain Joyandet.
M. Alain Joyandet. L’amendement est défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Segouin, rapporteur. L’amendement n° 4 rectifié de M. Joyandet tend à supprimer l’incompatibilité entre un mandat parlementaire et la présidence du conseil de surveillance d’une entreprise nationale ou d’un établissement public national. Son amendement n° 5 rectifié est un amendement de repli : il concerne uniquement la présidence du conseil de surveillance d’un établissement public de santé.
Dans une décision du 12 avril 2018, le Conseil constitutionnel a en effet considéré qu’un sénateur ne pouvait pas être vice-président du conseil de surveillance de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris – les parlementaires peuvent toutefois rester membres du conseil de surveillance sans en assurer la présidence.
Cette jurisprudence est particulièrement complexe, je le conçois, et il y a sans doute des marges de progression. Un toilettage serait certainement opportun concernant ces incompatibilités ; à titre d’exemple, nous pourrions nous interroger sur l’interdiction pour un parlementaire membre du conseil de surveillance d’une société publique locale ou d’une société publique locale d’aménagement.
Ces questions pourraient être abordées lors des prochaines réformes institutionnelles, mais, en l’état, elles dépassent le champ de la proposition de loi organique, que la commission propose d’ailleurs de ne pas adopter.
La commission demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Ces amendements visent à tenir compte d’une décision du Conseil constitutionnel. Cette situation mérite sans doute d’être examinée avec plus de précision pour savoir s’il est possible de donner une suite favorable à l’exclusion proposée.
Le Gouvernement partage l’avis de la commission et émet un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Joyandet, pour explication de vote.
M. Alain Joyandet. J’aurais aimé des explications un peu plus détaillées pour savoir si une ouverture était possible ou non à l’avenir… J’ai entendu M. le rapporteur nous dire que des évolutions étaient possibles, mais M. le secrétaire d’État n’a pas été très disert…
Je vais bien évidemment retirer ces amendements. Il s’agissait de prendre date. Je vais continuer le combat, avec d’autres.
Oui au non-cumul des mandats, on ne reviendra plus en arrière ! Oui aux incompatibilités, notamment quand des questions financières sont en jeu ! Mais, franchement, interdire à un parlementaire de présider bénévolement le conseil de surveillance de son hôpital local a quelque chose d’insupportable pour les élus que nous sommes !
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Alain Joyandet. Nous devenons des parlementaires hors sol : nous ne sommes plus maires, nous ne sommes plus présidents de conseil départemental, nous ne sommes plus rien. Nous ne pouvons même pas présider bénévolement le conseil de surveillance d’un hôpital local, quand bien même ce dossier nous aurait passionnés pendant des dizaines d’années. C’est un peu comme si on nous coupait un bras ! C’est insupportable.
Nous continuerons le combat, mais, en attendant, je retire mes deux amendements, ainsi que le suivant, madame la présidente. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. Les amendements nos 4 rectifié et 5 rectifié sont retirés.
Article 2
La présente loi organique prend effet à compter du premier renouvellement partiel du Sénat suivant sa publication.
Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par M. Joyandet, Mmes Micouleau et Deromedi, M. Bascher, Mme Puissat, MM. Revet, Piednoir, Nougein et Sol, Mme Lassarade, M. Lefèvre, Mme Noël, MM. Ginesta, Chatillon, Bazin et Laménie, Mmes A.M. Bertrand et Deroche et MM. Vaspart, B. Fournier et Dennemont, est ainsi libellé :
Remplacer les mots :
La présente loi
par les mots :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 1er de la présente loi
Cet amendement a été précédemment retiré par son auteur.
Mes chers collègues, avant de mettre aux voix l’article 2, je vous rappelle que, si celui-ci n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi organique, dans la mesure où les deux articles qui la composent auraient été supprimés. Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’article 2.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 23 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l’adoption | 129 |
Contre | 206 |
Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Les articles de la proposition de loi organique relative à l’élection des sénateurs ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures dix.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quarante, est reprise à vingt-deux heures dix, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, M. Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendants - République et Territoires, a demandé de compléter l’ordre du jour réservé à son groupe du mercredi 12 décembre 2018 par un débat portant sur le thème : « Emplois non pourvus en France : quelles réponses ? Quelles actions ? ».
Acte est donné de cette demande.
7
Risques liés à l’emploi de pneumatiques usagés dans les terrains de sport
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe La République En Marche, de la proposition de loi visant à la présentation par le Gouvernement d’un rapport au Parlement sur la mise en œuvre des préconisations relatives aux éventuels risques liés à l’emploi de matériaux issus de la valorisation de pneumatiques usagés dans les terrains de sport synthétiques, et usages similaires, établies par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail le 18 septembre 2018, présentée par Mme Françoise Cartron et plusieurs de ses collègues (proposition n° 25, texte de la commission n° 126, rapport n° 125).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Cartron, auteur de la proposition de loi.
Mme Françoise Cartron, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 18 septembre 2018, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, publiait une note d’appui scientifique et technique relative aux risques – éventuels – liés à l’emploi de matériaux issus de la valorisation de pneumatiques usagés dans les terrains de sport synthétiques et d’usages similaires. Ce document est venu établir un point d’étape attendu sur un sujet d’inquiétude. Mais quelle est cette problématique et quelle est sa genèse ?
En tant que maire, j’ai parfois été interpellée sur le type de blessures, et leur fréquence, occasionnées sur les terrains synthétiques. Pendant des années, il était donc plutôt question du type de revêtement et de ses conséquences physiologiques pour les sportifs.
Il y a un an – aujourd’hui, presque jour pour jour –, une enquête publiée dans le mensuel So Foot est venue mettre en avant la dangerosité potentielle des granules de caoutchouc utilisés. Ces petites billes, que l’on trouve sur un grand nombre de terrains en France, permettent non seulement d’en augmenter la durée de vie, mais aussi de rendre possible une activité continue – 365 jours sur 365 –, contrairement aux terrains dits « naturels ». Il existe donc une demande forte, nous le savons toutes et tous ici, quant à la mise en œuvre de ces structures en France, comme dans bien d’autres pays.
Par une question écrite publiée au Journal officiel le 16 novembre 2017, j’ai souhaité interroger Mme la ministre des sports sur l’existence de risques potentiels pour la santé justement liés aux types de matériaux utilisés dans la fabrication de terrains synthétiques. Un certain nombre de parlementaires, de tout bord politique, a fait de même, ce qui témoigne du fait que beaucoup d’incertitudes n’avaient pas été levées.
À cet égard, une réponse gouvernementale à une question écrite de Mme Pascale Boistard, posée en 2013, soulignait déjà des besoins de précision. A-t-on progressé depuis ? Non, hélas ! Les questions restent toujours les mêmes.
Nous demandons simplement que le Parlement, et le Sénat en particulier, en tant que maison des collectivités, soit associé aux différentes études qui s’apprêtent à être menées, et qui ne l’avaient pas été jusqu’alors, ou pas suffisamment.
Parce que les élus sont directement concernés, j’ai été destinataire de très nombreuses demandes d’information ces derniers mois, de toutes parts : sportifs, parents, associations… Cette démarche législative – c’est l’esprit de ce texte – se veut donc collective et constructive.
En réponse à ma question, Mme la ministre des sports indiquait, en mars dernier, avoir pris en compte, d’une part, les préoccupations des pratiquants et des communes, principales propriétaires de terrains de grands jeux en France, et, d’autre part, les incertitudes relevées dans le rapport de l’Agence européenne des produits chimiques. C’est pourquoi une saisine de six ministères, en date du 21 février dernier, a demandé à l’ANSES d’analyser les données et les études disponibles sur ce sujet, d’identifier les préoccupations qui pourraient en résulter et de déterminer les besoins complémentaires afin de réaliser une évaluation des risques. Ce travail a donné lieu à la note que j’évoquais, laquelle établit certaines orientations.
Tout d’abord, il est écrit que « les expertises scientifiques ne mettent pas en évidence de risques préoccupants pour la santé, en particulier de risque à long terme cancérogène, leucémie ou lymphome ». Toutefois, et c’est là que réside en partie le travail à mener, l’ANSES souligne « des limites méthodologiques » et un « manque de données ». Elle indique également que « les données de caractérisation des granulats et d’exposition disponibles indiquent l’existence de risques potentiels pour l’environnement ». Mais, une nouvelle fois, elle ajoute que « ces données sont insuffisantes pour caractériser les risques éventuels pour l’environnement et les organismes vivants ».
En introduction et en conclusion, l’Agence précise qu’elle a fourni un « appui » et que ce dernier « ne constitue pas une évaluation des risques sanitaires ». Il « ne vise donc pas à émettre une conclusion de l’Agence sur l’existence ou l’absence de risques, », mais à « hiérarchiser les besoins de connaissance concernant les différentes situations d’exposition ».
À la lecture de ce document d’étape, il apparaît donc souhaitable – c’est l’objet de cette proposition de loi – que la représentation sénatoriale reçoive des précisions sur la mise en œuvre envisagée des axes de recherche prioritaires exposés : le calendrier d’enclenchement des actions visant à préciser certains volets spécifiques afin d’effectuer une évaluation des risques pour la santé humaine ; la position de la France sur la proposition de restreindre la teneur en hydrocarbures aromatiques polycycliques dans les granulats dans un règlement européen concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques ; la proposition d’éléments méthodologiques en vue de la conduite d’une évaluation des risques environnementaux à réaliser localement, avant toute mise en place de ce type de revêtement.
Alors que ces orientations seront discutées avec les six ministères signataires de la demande d’appui – transition écologique, solidarités et santé, économie et finances, travail, agriculture et alimentation, sports – dans le cadre d’une consultation avec les différentes parties prenantes, les membres du groupe La République En Marche du Sénat souhaiteraient que le Gouvernement remette au Parlement un rapport dressant l’état d’avancement de chacune des préconisations établies en septembre dernier.
Voilà une semaine, lors d’un débat auquel j’ai participé sur le plateau de Public Sénat, plusieurs constats, que je crois unanimes, ont été dressés par des acteurs aux profils pourtant très différents.
Premièrement, les élus expriment une inquiétude forte, relayée par les médias, avec parfois des propos alarmistes. Les élus sont en effet responsables de ce qu’ils installent. Étant en première ligne, ils nous disent avoir besoin d’informations claires et fondées.
Deuxièmement, tous ont reconnu que cette note de l’ANSES, qui apporte un début de réponse plutôt rassurante, restait insuffisante en l’état, en particulier sur le volet environnemental.
Troisièmement, les publics concernés et intéressés sont nombreux : pratiquants, clubs, associations sportives – amateurs et professionnels –, familles et enfants, installateurs, personnes chargées de l’entretien, élus, résidents et, bien évidemment, acteurs de la filière, également prêts à évoluer.
Quatrièmement, les solutions apportées et les méthodologies utilisées sont également très hétérogènes – parfois un moratoire, en application du principe de précaution ; parfois encore, le changement du revêtement…
Voilà pourquoi il paraît plus que jamais nécessaire non seulement de rassurer les différents publics et d’apporter de la raison, c’est-à-dire des études sérieuses, dans un débat passionné, mais aussi de prendre en compte la spécificité d’utilisation de chaque terrain.
Je profite de mon intervention pour remercier le rapporteur, Frédéric Marchand, pour la qualité de son travail, réalisé dans un délai très bref, qui exprime parfaitement les éclairages qu’entend apporter cette proposition de loi.
Ce que nous souhaitons, au final, c’est un cahier des charges prescriptif qui puisse mettre en avant les bonnes solutions et les bonnes pratiques, les alternatives – lorsqu’elles sont souhaitables – et les bons usages. Faisons l’inventaire !
Le débat, rendu possible par l’enquête de So Foot et par le reportage d’Envoyé spécial en février, de même que les initiatives déjà prises par le Gouvernement afin d’impulser les études complémentaires, doit nous permettre de nous inscrire dans une démarche constructive et collective. Notre discussion de ce soir doit aussi nous permettre de faire remonter ces inquiétudes et de problématiser les travaux futurs. Il doit également porter sur le sujet particulier des terrains. Ne nous égarons pas : en brouillant notre message, nous perdrions une occasion de faire avancer cette problématique. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Christophe Priou applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Frédéric Marchand, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, face aux inquiétudes de nos concitoyens en matière de santé publique et d’environnement, les élus locaux sont désormais en première ligne. À cet égard, vous me permettrez d’avoir une pensée pour toutes celles et tous ceux qui participent au Congrès des maires et que nous rencontrons ici, au Sénat, depuis hier et jusqu’à demain. Régulièrement interpellés sur ces sujets, ils ne disposent cependant pas toujours des éléments techniques et des outils nécessaires pour y répondre.
Les interrogations sur les risques liés à la présence de granulats de pneumatiques usagés dans certains terrains de sport et aires de jeu, relayées par plusieurs médias et associations, s’inscrivent dans ce contexte d’une élévation générale du niveau de sensibilité de la société civile aux problématiques de santé liées à l’environnement. Sans céder aux postures alarmistes ni méconnaître la légitimité des préoccupations ainsi exprimées, il est indispensable de fonder les décisions publiques sur un diagnostic clair et objectif des risques liés à la présence de produits chimiques dans les usages et les pratiques du quotidien.
Tel est précisément l’objectif de la présente proposition de loi, déposée par notre collègue Françoise Cartron et les membres du groupe La République En Marche, qui vise à demander la remise d’un rapport au Parlement, avant le 1er janvier 2020, sur les suites données à une récente note relative aux risques liés à l’emploi de granulats de pneumatiques dans les terrains de sport synthétiques et usages similaires. Six ministères ont en effet décidé de saisir conjointement l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, le 21 février 2018, afin d’identifier les connaissances disponibles sur les risques sanitaires et environnementaux liés à ces substances. Menés dans des délais contraints, les travaux de l’Agence ont conduit à la publication, le 18 septembre dernier, d’une note d’appui scientifique et technique qui procède en trois temps.
Dans un premier temps, l’ANSES a analysé une cinquantaine d’études et expertises internationales sur les risques liés aux terrains synthétiques, notamment celles réalisées par l’Agence européenne des risques chimiques et par l’Institut néerlandais pour la santé et l’environnement.
En matière de santé, l’Agence constate que la majorité de ces études concluent à « un risque négligeable pour la santé » en ne mettant pas en évidence d’augmentation du risque cancérogène associée à la fréquentation ou à la mise en place de terrains de sport synthétiques.
En matière d’environnement, l’Agence constate que les données disponibles évoquent « l’existence de risques potentiels pour l’environnement », liés au transfert de substances chimiques via les sols, le ruissellement et les systèmes de drainage des eaux de pluie. Les principales substances relarguées et problématiques en termes d’écotoxicité sont le zinc, les phtalates et les phénols.
Dans un deuxième temps, l’ANSES indique avoir relevé « des incertitudes et limites méthodologiques » dans certaines publications, en particulier un manque de prise en compte de la variabilité de la composition des terrains synthétiques, ainsi qu’un manque de données concernant les aires de jeu pour enfants et les terrains synthétiques en intérieur.
Dans un troisième temps, l’Agence propose donc des axes de recherche prioritaires afin de consolider les données existantes et de compléter les évaluations de risques sur les sujets nécessitant des investigations plus poussées.
Lors des auditions, il nous a été indiqué que ces sujets allaient effectivement être intégrés au programme de travail de l’ANSES pour 2019.
L’Agence recommande également une évolution de la réglementation REACH afin d’abaisser la teneur en hydrocarbures aromatiques polycycliques, ou HAP, des granulats de pneus, qui constituent des substances particulièrement préoccupantes. La teneur maximale varie actuellement entre 1 000 et 100 milligrammes par kilogramme de mélange, selon l’hydrocarbure considéré, soit un niveau bien supérieur à celui prévu pour les articles destinés au grand public en contact prolongé ou régulier avec la peau : 1 milligramme ou, pour les jouets, 0,5 milligramme.
Indépendamment des risques identifiés, il est donc indispensable de faire évoluer rapidement la réglementation en tenant davantage compte des usages, dès lors que, sur un terrain synthétique ou une aire de jeu, le contact direct du corps avec ces granulats peut également être régulier ou prolongé, en particulier pour les enfants.
La question va être examinée au cours de l’année 2019 dans le cadre d’un projet de restriction porté au niveau européen par les autorités néerlandaises, en vue de rapprocher les teneurs applicables aux mélanges de celles prévues pour les articles grand public.
Sans méconnaître les enjeux socio-économiques de la filière, il me semble important de tendre vers les niveaux les plus protecteurs possible pour les utilisateurs de ces terrains.
Enfin, l’ANSES préconise dans cette note l’élaboration d’éléments de méthode pour mener localement des évaluations d’impact avant la création de nouveaux terrains, compte tenu des risques identifiés dès à présent pour l’environnement.
Il existe actuellement un grand décalage entre, d’une part, les inquiétudes relayées récemment par les médias et certaines associations et, d’autre part, l’état des connaissances scientifiques.
Aujourd’hui, l’absence conjointe de risque majeur identifié pour la santé et de signalement épidémiologique notable ne suggère pas une application stricte du principe de précaution qui conduirait à renoncer complètement à la création de nouvelles installations ou à interdire l’utilisation de terrains existants.
Selon les spécificités locales, la sensibilité de la population à ces questions et la volonté des élus, des solutions intermédiaires existent en matière de prévention des risques. Je pense notamment à la région Île-de-France, qui prévoit, après avoir établi un moratoire sur le financement des projets de terrains synthétiques, de rétablir ce soutien en le conditionnant à des critères spécifiques, portant notamment sur la provenance des granulats, sur la conception des terrains pour éviter leur dispersion dans l’environnement et sur la réalisation de mesures régulières portées à la connaissance des utilisateurs du terrain.
En s’inspirant de ces pratiques, une collectivité pourrait décider, à l’avenir, d’insérer des clauses guidées par des considérations sanitaires ou environnementales dans les marchés conclus pour la réalisation de terrains ou d’aires de jeu.
La définition d’éléments de méthodologie au niveau national et la diffusion de bonnes pratiques pourront utilement éclairer les élus locaux quant aux différentes solutions dont ils disposent.
Pour conclure, et sans méconnaître les réticences de la Haute Assemblée à soutenir les demandes de rapport qui se sont exprimées en commission, je dirai que la présente proposition de loi nous semble utile pour informer le public et aiguillonner les pouvoirs publics, afin que des suites soient effectivement données aux propositions de l’ANSES. Mme la secrétaire d’État pourra sans doute nous apporter des précisions sur ce point.
Par ailleurs, il nous semble judicieux de définir une clause de revoyure sur le sujet, en l’espèce via la remise d’un rapport au Parlement d’ici au 1er janvier 2020.
Enfin, comme je l’ai indiqué au début de mon propos, la mise en œuvre des recommandations de l’ANSES doit permettre d’apporter aux élus locaux des éléments de réponse face aux préoccupations exprimées par les citoyens et des outils complémentaires de prévention des risques, s’ils jugent nécessaire de prendre de nouvelles mesures.
Pour ces différentes raisons, et malgré l’abstention d’une partie de ses membres, notre commission s’est prononcée en faveur de la présente proposition de loi et vous propose donc de l’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Jean-Pierre Decool applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord remercier la Haute Assemblée d’examiner ce soir cette proposition de loi. Elle est en effet pleinement cohérente avec deux priorités du Gouvernement, qui sont liées, à savoir la protection de la santé humaine et l’environnement. Celles-ci sont au cœur des travaux du ministère de la transition écologique et solidaire.
La question de l’impact sur la santé d’un environnement dégradé est une préoccupation croissante parmi nos concitoyens. Cette préoccupation est légitime, puisqu’elle s’inscrit dans un contexte où de multiples indicateurs démontrent les effets néfastes de certaines substances chimiques et leur impact sur la santé tant de nos concitoyens que de nos écosystèmes. Il est en conséquence de notre devoir d’évaluer précisément les impacts de ces substances et de prendre, avec responsabilité, les mesures de gestion qui s’imposent.
Comme vous le savez, le Gouvernement a porté différentes initiatives en ce sens, certaines étant toutes récentes. La loi prise à l’issue des États généraux de l’alimentation traite ainsi de l’interdiction de l’incorporation du dioxyde de titane dans les produits alimentaires. Elle contient également de nombreuses mesures relatives aux produits phytopharmaceutiques, notamment l’interdiction des pesticides ayant le même mode d’action que les néonicotinoïdes, ces derniers étant déjà interdits en France depuis le 1er septembre 2018. Je pense également à la séparation des activités de conseil et de vente de produits pesticides, qui réduira la consommation de pesticides en permettant aux agriculteurs d’accéder à un conseil indépendant.
Par ailleurs, une meilleure protection des riverains est prévue, dans le cadre de l’épandage de produits pesticides, grâce à la mise en place de chartes d’engagement à l’échelle du département. En cas d’absence de ces chartes, des mesures contraignantes pourront être prises.
Toutes ces mesures montrent à quel point le Gouvernement est sensible à ces questions et attaché à proposer des solutions concrètes, pour nos concitoyens et l’environnement. Elles s’inscrivent bien sûr dans le cadre du plan d’action pour une agriculture moins dépendante aux pesticides et du plan de sortie du glyphosate. Il est également prévu un accompagnement fort des professionnels vers de nouvelles pratiques plus vertueuses. Il s’agit bien de les changer en profondeur.
Nous portons également au plan national de nombreuses initiatives en faveur de la réduction des risques liés aux expositions aux perturbateurs endocriniens. La deuxième stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens a ainsi été élaborée en lien étroit avec les parties prenantes durant l’année 2018. Elle sera mise en consultation publique d’ici à la fin de l’année.
Je veux aussi rappeler les nombreuses initiatives portées dans le cadre européen. La France a été moteur en matière de sensibilisation de la Commission européenne et de nos partenaires européens sur la question des perturbateurs endocriniens. Sur ces problématiques, notre action doit en priorité s’inscrire dans un contexte élargi. Je me suis mobilisée personnellement pour porter la parole de la France sur ces questions, qu’il s’agisse de la définition des critères européens relatifs aux perturbateurs endocriniens, d’une évolution des agences sanitaires européennes en vue d’une plus grande efficacité, d’une plus grande rigueur, d’une plus grande transparence et d’une meilleure prise en compte du principe de précaution, ou encore du déploiement de financements spécifiques mobilisables par ces agences pour combler les lacunes de connaissance.
La proposition de loi du Sénat s’inscrit naturellement dans cette priorité politique, qui, comme je l’ai indiqué, répond à une attente citoyenne juste, forte et légitime, à laquelle nous souhaitons apporter des réponses concrètes.
Le Gouvernement a été sensible aux premières alertes publiques concernant les terrains synthétiques. J’ai déjà eu l’occasion d’échanger avec certains d’entre vous sur cette question particulière. Il a ainsi pris l’initiative de saisir, le 21 février 2018, l’ANSES, comme vous l’avez précisé, madame la sénatrice, monsieur le rapporteur, pour réaliser une évaluation des risques liés à l’utilisation des terrains de sport synthétiques à base de granulats de pneus recyclés.
Selon l’analyse scientifique et technique de l’Agence, restituée le 17 septembre 2018, « les expertises sur les risques liés à l’exposition de sportifs et d’enfants utilisateurs des terrains synthétiques, ainsi que de travailleurs impliqués dans la pose et l’entretien de ces terrains concluent majoritairement à un risque sanitaire négligeable ». Compte tenu de certaines incertitudes et de lacunes d’information, l’ANSES a néanmoins identifié dans son rapport plusieurs actions permettant d’améliorer l’évaluation des risques. Le Gouvernement a d’ores et déjà pris le parti de suivre les différentes recommandations formulées.
Si les rapports existants examinés par l’ANSES sont rassurants, l’Agence relève cependant un manque de données et une grande variabilité de la composition des granulats. Les études en cours menées par l’industrie européenne, et plus encore par l’EPA, l’agence américaine de protection de l’environnement, permettront d’acquérir rapidement de nombreuses données supplémentaires, notamment sur la composition des granulats de pneus ainsi que sur leurs émissions. Les résultats sont attendus au plus tard pour le début de l’année prochaine. Au regard de leur contenu, nous examinerons si des mesures complémentaires doivent être réalisées.
La situation doit dès à présent nous inciter à adopter une réglementation plus stricte. L’évolution est d’ores et déjà engagée dans le cadre du règlement européen REACH. Une restriction a été proposée par nos homologues néerlandais sur les seuils d’hydrocarbures aromatiques polycycliques, les HAP, présents dans les granulats de pneus utilisés pour les terrains de sport synthétiques. Les autorités françaises appuieront cette proposition au niveau européen, afin de garantir un niveau acceptable d’émission de ces polluants.
Enfin, s’agissant de l’existence de risques potentiels pour l’environnement, pointés dans les conclusions du rapport de l’ANSES, le Gouvernement prévoit de suivre les recommandations formulées, en mettant notamment en place un groupe de travail, qui aura pour objectif d’élaborer un guide de bonnes pratiques pour l’évaluation des risques en vue de l’installation des terrains synthétiques, afin d’en limiter les impacts environnementaux. Il s’agit notamment de prévenir la diffusion dans l’environnement des particules de pneumatiques issues de l’usure des terrains, qui peuvent ensuite se répandre dans les sols ou être transportés par les eaux pluviales et avoir des effets négatifs sur les écosystèmes. Ce travail sera réalisé avec l’ensemble des acteurs de la filière. Ses conclusions devraient être connues en septembre 2019. Elles permettront d’appuyer les collectivités dans leurs choix d’équipement pour de telles infrastructures.
Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement prend ce sujet, comme tous les sujets liés aux thématiques de la santé et de l’environnement, très au sérieux. J’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises devant vous, nous poursuivons la mobilisation aux niveaux européen et national. Une telle approche nous guide pour l’ensemble des questions relatives à la question des risques potentiellement induits par les substances chimiques.
Si l’avis de l’ANSES offre une première analyse rassurante, le risque étant considéré comme négligeable, nous sommes déterminés à mettre pleinement en œuvre les recommandations formulées par l’Agence de sécurité sanitaire en matière d’investigations complémentaires, et ce dans la plus grande transparence.
S’agissant de la proposition de loi, qui prévoit la production formelle d’un rapport du Gouvernement au Parlement, je m’en remets volontiers à la sagesse de votre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Raymond Vall applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Priou. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christophe Priou. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme le disait Georges Clemenceau, « quand on veut enterrer une décision, on crée une commission » ou, pour rester dans le thème sportif, comme l’a dit le président de notre commission, Hervé Maurey, « quand on veut dégager en touche, on crée une mission ou un rapport ». En l’occurrence, tel n’est pas le cas, comme notre collègue l’a excellemment expliqué, même si, comme certains de nos collègues l’évoqueront, il y a le texte et le contexte…
Je vais vous faire part d’un temps que les moins de vingt ans n’ont pas connu et, en même temps, que les moins de vingt ans ont connu. Je veux parler de mon expérience de sportif, puis d’élu local. À cette occasion, je me tourne vers mon ami Jean-Marc Boyer : dans notre jeunesse, pas si lointaine, nous nous sommes souvent roulés par terre, car nous étions gardiens de but dans nos équipes de football respectives. Mais une chose nous sépare, mon cher Jean-Marc : tu n’as jamais marqué de but, alors qu’il m’est arrivé de marquer un but sur un dégagement de 80 mètres, ce qui n’aurait pas été possible sur un terrain synthétique, le rebond n’étant pas le même que sur un terrain engazonné. Ce n’était pas contre le club de Chartres, cher Gérard Cornu, ni celui du Poiré-sur-Vie, cher à Didier Mandelli. (Sourires.)
Nous avions à cette époque deux surfaces : le terrain stabilisé et le terrain engazonné. Elles ont ensuite été complétées par une troisième surface : le terrain synthétique, qui constituait à l’époque une révolution. En tant qu’adjoint aux sports, j’ai bien vu que les sportifs préféraient, d’une manière générale, les terrains engazonnés. Reste que ces terrains, comme l’a dit Françoise Cartron, soulèvent des problèmes liés à l’environnement, à la fréquentation et aux coûts de fonctionnement. En matière environnementale, je pense à l’arrosage, ainsi qu’à l’utilisation d’engrais et de désherbants sélectifs. En termes de fréquentation, un terrain engazonné peut supporter deux à quatre matchs par semaine, alors que les clubs ont des centaines de licenciés.
Quand ils ont fait leur apparition, les terrains synthétiques ont représenté la meilleure solution, même si l’investissement était important. Néanmoins, notre collègue l’a dit, ils engendrent des problèmes physiologiques.
Ces terrains synthétiques sont aujourd’hui fort bien subventionnés par les collectivités locales et la Fédération française de football. Tout à l’heure, un maire d’une commune nouvelle me disait qu’un tel terrain serait bientôt construit par l’intercommunalité et subventionné à 50 % par la Fédération française de football.
Certaines habitudes ont évidemment dû changer, s’agissant notamment de la gestion et de l’entretien de ces terrains. Je me souviens que, dans la région de Nantes, à Rezé, un problème de communication au sein des services techniques avait conduit un agent des espaces verts à tondre le terrain synthétique. (Sourires.)
En tant qu’élu local, j’ai été confronté à des problèmes d’ordre sanitaire. Je citerai trois dossiers que j’ai dû traiter en tant que maire.
Dans des temps qui ne sont pas immémoriaux, le scandale de l’amiante a eu des répercussions importantes. Il y avait quelquefois entre les personnes exposées et le monde médical et scientifique une certaine prudence.
J’ai également été confronté, au Croisic, au naufrage de l’Erika, qui aurait pu être évité. Les côtes étaient recouvertes de fioul n° 2, c’est-à-dire d’un résidu de pétrole. Des centaines de bénévoles sont arrivées. On les a équipés de combinaisons, de gants et de masques. Quelques jours plus tard, les gens nous ont demandé si l’exposition aux hydrocarbures aromatiques polycycliques, les HAP, n’était pas dangereuse. Nous n’avions pas alors le recul nécessaire. Nous avons donc suspendu l’opération de nettoyage réalisée par les bénévoles, en application du principe de précaution.
Au Croisic toujours, nous avions restauré, dans les années 2000, un espace public, en utilisant des traverses de chemin de fer traitées à la créosote. Des usagers se sont inquiétés. Il a fallu réaliser un certain nombre d’études pour dissiper les craintes.
Vous le voyez, mes chers collègues, ce dossier en rejoint d’autres. La différence est ténue entre l’air du temps et l’esprit du temps, mais aussi entre le principe de précaution inscrit depuis mars 2005 dans la Constitution et le risque zéro.
À titre personnel, je serai favorable à ce texte, surtout s’il est enrichi par la discussion parlementaire qui va suivre. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Decool applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons ce soir est symbolique du problème posé par le sujet : études après études, enquêtes après enquêtes, les résultats se contredisent.
Si la note scientifique et technique de l’ANSES du 29 août dernier se veut rassurante, elle pointe néanmoins une contradiction. Elle relève en effet que les études qu’elle a agrégées considèrent les risques des granulats des pneus « négligeables » du fait de leur faible concentration. Dans le même temps, elle précise que les études montrent toutes, sans exception, des failles méthodologiques importantes. En parallèle, elle omet d’autres études, certainement aussi faillibles, qui se veulent beaucoup plus alarmantes. Je pense notamment aux travaux des universités de Yale, de Géorgie ou encore d’Amsterdam, qui pointent un certain nombre de risques.
Une telle situation n’est pas étonnante, et ce pour deux raisons.
Premièrement, on observe une multitude de prestataires en matière de retraitement des pneus usagés, alors même que l’on parle de 23 000 unités par terrain, de 60 mètres par 100. Plus que cette concurrence libre et faussée, c’est l’absence d’un cadre normatif clair sur les caractéristiques des granulats qui suscite nos inquiétudes. En effet, les normes existantes se concentrent presque exclusivement sur les caractéristiques techniques des revêtements, notamment en matière d’amortissement des chocs. La situation est clairement insatisfaisante de ce point de vue, d’autant que, si certaines fédérations régionales ou nationales ont élaboré des guides et donné des consignes de bonnes pratiques, ce n’est pas le cas de toutes.
Par ailleurs, la multitude des acteurs concernés et l’absence de normes laissent craindre des traitements de pneus peu respectueux de tous les principes de sécurité. En effet, lorsque l’on retrouve des teneurs en plomb, en arsenic ou encore en chrome dans des proportions supérieures aux recommandations, c’est que le processus de traitement, très clairement, a été fait à la hussarde.
Deuxièmement, nous sommes face à une multitude de situations, tant les granulats réagissent à toute mutation environnementale. À ce titre, il faut rappeler les études de l’université d’Amsterdam sur l’effet de l’humidité sur les granulats et leur dilution dans l’environnement immédiat. Je peux aussi citer l’étude australienne de 2015 sur les îlots de chaleur créés par l’itinérance des granulats et sur la réaction des billes face à la chaleur, avec une dispersion dans l’air de particules passant par les voies respiratoires.
De fait, il n’existe pas une situation environnementale identique d’un terrain à l’autre. C’est d’autant plus problématique que l’on parle non pas d’un type de terrain unique, mais d’un ensemble de terrains de tailles et de systèmes d’aération différents.
Celles et ceux qui sont déjà allés dans un Five en synthétique, lieu très fréquenté par les jeunes, doivent certainement comprendre nos inquiétudes quant aux problèmes respiratoires dans ces environnements clos. C’est d’ailleurs ce que pointe un chercheur de l’université de Géorgie, qui a fait circuler un robot sur les terrains synthétiques pour récupérer les particules pouvant être inhalées.
On se l’imagine bien au vu de ces éléments : il est tout à fait envisageable que 23 000 pneus, 120 tonnes de granulats et 190 substances cancérigènes ou toxiques, même en faible quantité, puissent avoir des conséquences néfastes. Or, je tiens à le préciser, plus que la teneur des 190 substances en question, c’est leur accumulation qui interroge.
La question sanitaire ne doit pas dissimuler le risque écologique. C’est d’ailleurs, chose étonnante, le seul point sur lequel l’ensemble des études semble s’accorder : les granulats de pneus ne sont pas satisfaisants d’un point de vue environnemental. Sont en cause les îlots de chaleur, qui déstabilisent les écosystèmes alentour, la dilution des granulats dans le sol du fait de l’humidité et leur itinérance.
Vous le voyez, mes chers collègues, il y a encore de nombreuses incertitudes et des soupçons tangibles. Dès lors, quelles solutions retenir pour le court et moyen terme ?
Premièrement, une étude de référence doit, me semble-t-il, être réalisée. Pendant longtemps, le Gouvernement s’est appuyé sur les travaux de l’INERIS, qui se fondait lui-même – personne n’en a parlé – sur les études d’Aliapur, soit, comme par hasard, le premier pourvoyeur de granulats…
Deuxièmement, à la lumière de ce que pourrait donner une enquête de référence, notre cadre normatif doit évoluer, pour intégrer les questions sanitaires et environnementales aux prérequis en matière de granulats.
Troisièmement – peut-être Mme la secrétaire d’État pourra-t-elle me répondre –, y a-t-il une raison pour laquelle la France n’a pas fait prévaloir un principe de précaution, comme l’a fait la Fédération néerlandaise de football ou la ville de New York ?
Je l’entends bien, la valorisation des pneus constitue une priorité. Toutefois, il semble que la solution apportée ne soit pas satisfaisante d’un point de vue sanitaire et écologique.
Par ailleurs, cette solution implique d’aider, dès aujourd’hui, les très nombreuses collectivités ayant installé des « city stades », des terrains de grande taille, voire des aires de jeu pour enfants en granulats à remplacer l’existant ou revoir les plans de leurs projets d’installation. En effet, si les alternatives existent – je pense au liège, à la fibre de coco ou aux modèles hybrides –, elles coûtent cher. Or les collectivités sont déjà en difficulté financière. Pour ne prendre qu’un exemple, lorsque le FC Lorient, évoluait en ligue 1, il a remplacé sa pelouse synthétique au stade du Moustoir, et il en a été quitte pour 1,2 million d’euros.
L’argent, c’est d’ailleurs ce qui a bien souvent motivé les collectivités à passer au synthétique. Si le coût d’installation est plus élevé que pour un gazon naturel, les coûts de maintenance et le taux d’occupation sont supérieurs, ce qui constitue des atouts non négligeables pour amortir l’investissement.
Je remercie notre collègue Françoise Cartron de nous permettre de débattre de ce sujet, qui concerne les domaines sanitaire et environnemental. L’adoption de cette proposition de loi permettra – c’est la raison pour laquelle nous y sommes favorables – le suivi régulier du dossier entre les mains de l’ANSES, avec en ligne de mire deux préconisations : la restriction de la teneur en HAP des granulats et la réalisation d’une enquête de référence. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mmes Françoise Cartron et Nelly Tocqueville applaudissent également.)
M. Jean-François Husson. Bravo, camarade !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour examiner une proposition de loi importante sur le fond, mais quelque peu déroutante au regard de la méthode utilisée, puisqu’il s’agit de passer par la loi pour demander au Gouvernement la réalisation d’un rapport sur la mise en œuvre de préconisations émises par l’ANSES.
J’ai plusieurs remarques à formuler.
Tout d’abord, nous connaissons tous ici le sort réservé aux demandes de rapport.
Ensuite, que le parti de la majorité gouvernementale utilise une niche parlementaire pour déposer une proposition de loi demandant à son propre gouvernement la remise d’un rapport nous paraît pour le moins curieux.
M. Jean-François Husson. C’est le nouveau monde !
Mme Nicole Bonnefoy. N’aurait-il pas été plus efficace de questionner le ministre concerné ou de lui écrire, comme c’est la pratique ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Très bien ! Bravo !
Mme Nicole Bonnefoy. En outre, l’ANSES, déjà saisie depuis février dernier par six ministres, n’a nul besoin de cette proposition de loi pour continuer à travailler sur le sujet. D’ailleurs, dans de récentes conclusions, l’Agence considère que l’exposition à ces surfaces synthétiques présente un risque sanitaire négligeable, tant pour les utilisateurs que pour les spécialistes qui installent et entretiennent ces terrains. Elle émet des réserves marginales et formule des préconisations en matière de pistes d’action.
Bien plus qu’à cette proposition de loi il nous faudra rester attentifs aux résultats des travaux et recherches de l’ANSES. Je pense notamment à la publication de ses conclusions, dont dépendront les éventuelles mesures législatives et réglementaires à prendre.
M. Guy-Dominique Kennel. Très bien !
Mme Nicole Bonnefoy. J’ai bien noté que le Gouvernement était très favorable à cette proposition de loi. Je ne peux m’empêcher de m’étonner de sa politique à géométrie variable s’agissant des rapports demandés par les parlementaires. Permettez-moi d’illustrer mon propos.
Vous avez rappelé, madame la secrétaire d’État, les mesures adoptées dans le cadre de la loi ÉGALIM. Lors de la discussion de ce texte, j’avais moi-même formulé une demande de rapport sur les « effets cocktails des pesticides entre eux ». Ce rapport m’a été refusé, pour des motifs pour le moins évasifs, alors que le problème est important. Inversement, toujours lors de l’examen du texte ÉGALIM, l’amendement voté ici à l’unanimité sur la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes de produits phytopharmaceutiques a reçu un avis défavorable du Gouvernement, au motif qu’il convenait de demander un nouveau rapport d’opportunité, alors même qu’un tel rapport, rédigé par trois inspections – santé, agriculture et finances – existe déjà et conclut à la pertinence de la création d’un tel fonds, tout en précisant le détail du mécanisme à mettre en œuvre.
Travaillant depuis des années sur ces sujets de santé publique, dont on voit combien ils sont prégnants dans l’opinion publique, j’estime qu’ils méritent mieux que des réponses à géométrie variable, suivant que l’on soit Marcheur ou pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.) Aussi, par esprit de provocation, pour mettre le Gouvernement et sa majorité devant leurs paradoxes et afin, surtout, d’enrichir le texte, j’ai déposé deux amendements au nom du groupe socialiste et républicain.
Mon premier amendement a pour objet l’élaboration d’un rapport concernant la prise en compte des effets cocktails des produits phytopharmaceutiques sur la santé humaine, qui constitue pour vous, madame la secrétaire d’État, vous venez de l’affirmer, une priorité.
Mon second amendement vise, par voie de conséquence, à modifier le libellé de la proposition de loi.
Je vous appelle donc, mes chers collègues, à enrichir cette proposition de loi en votant mes amendements. Je le rappelle, il n’y a pas un rapport plus important qu’un autre. Les deux rapports concernent les travaux de l’ANSES. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Raymond Vall applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, résumons-nous : la proposition de loi que nous examinons nous invite à débattre de l’opportunité de demander au Gouvernement un rapport qui sera appelé à être remis au Parlement, afin de débattre de ses conclusions au sein des deux assemblées. Bref, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Venons-en au fond : cette proposition de loi à article unique est plus complexe qu’il n’y paraît. D’une part, la composition des terrains de sport synthétiques et des aires de jeu induit des questions de santé publique, mais aussi environnementales, sur lesquelles nous sommes nombreux à attendre des réponses scientifiques, pour mettre fin aux incertitudes, voire aux inquiétudes. D’autre part, la proposition de loi met en lumière des difficultés relatives à la filière de revalorisation des pneus usagés.
La note publiée par l’ANSES à la fin de l’été, à la suite d’une saisine de six ministères, porte uniquement sur l’analyse des études existantes et conclut « à un risque peu préoccupant pour la santé, et à des risques potentiels pour l’environnement ». Toutefois, l’ANSES ne donne pas de recommandations provisoires claires. Elle précise que des travaux de recherche supplémentaires pourraient être et sont même nécessaires.
En somme, si les études disponibles tendent à nous rassurer sur le plan de la santé, elles mériteraient d’être complétées par un travail de recherche d’envergure. Puisqu’il est question de santé publique, l’initiative doit, me semble-t-il, être portée par les pouvoirs publics.
Sur le fond, nous ne pouvons que souscrire à ce texte. Sont concernés 3 000 terrains de football, des centaines de terrains indoor et des milliers de sportifs au contact de ces pelouses synthétiques. Les enfants sont également spécifiquement visés, puisqu’ils sont les premiers utilisateurs des aires de jeu fabriquées à partir de granulats de pneus. On peut d’ailleurs s’étonner que les teneurs maximales en hydrocarbures aromatiques polycycliques, les HAP, de ces terrains ne soient pas déjà alignées sur celles des articles de consommation en contact avec la peau, comme les jouets pour enfants.
Au-delà de l’inquiétude engendrée par l’absence de données, le sujet intéresse aussi beaucoup les élus locaux. Ainsi, 10 % des terrains sont aujourd’hui synthétiques, une partie d’entre eux étant composée de granulats de pneus. Certaines collectivités s’interrogent naturellement sur leurs investissements passés ou à venir. Certaines appliquent également le principe de précaution dans l’attente de réponses scientifiques claires. Elles font aussi appel à des matériaux plus coûteux, mais plus sûrs. Les conséquences liées à cette incertitude sont donc importantes pour nos collectivités.
En réalité, cette proposition de loi concerne plus largement la question de la gestion des pneus usagés, obligatoire depuis 2002, en vertu du régime de responsabilité élargie des producteurs. Les pneumatiques font naturellement l’objet de réglementations pour leur utilisation sur les routes, mais pas pour d’autres usages. Il faut donc d’abord s’interroger sur l’intégration dans cette filière d’un volet dédié à la protection de l’environnement. Ainsi, la recherche devrait être encouragée, pour réduire la production de pneus non biodégradables et difficilement recyclables et encourager la production de pneus recyclés à partir de pneus usés, au-delà du rechapage, ce que nous ne savons pas faire pour l’instant. Ces questions pourraient trouver leur place dans le futur projet de loi d’orientation des mobilités.
La réutilisation ne concernant que 16 % des pneus usagés, l’obligation de traitement de ces déchets a conduit les producteurs à chercher d’autres voies de valorisation. Selon les estimations, 90 000 tonnes de pneus usagés sont ainsi transformées en granulats et intégrées à la fabrication de terrains de sport synthétiques ou d’aires de jeu. Dans une perspective sanitaire, il faudrait faire évoluer la qualification des déchets valorisés, afin qu’ils ne soient plus soumis aux réglementations du produit d’origine, mais à celles du produit de destination.
Ce dernier point est déjà en train d’évoluer : un projet de restriction des teneurs maximales en hydrocarbures aromatiques polycycliques, ou HAP, a été présenté par les autorités néerlandaises au titre de la réglementation REACH. Il devrait être adopté l’an prochain, ce qui permettrait de réduire la teneur en produits toxiques des granulats.
Si nous sommes évidemment favorables à de nouvelles études fiables et solides permettant de répondre clairement aux inquiétudes, le véhicule législatif ne nous paraît pas le bon.
M. Jean-François Husson. Très bien !
Mme Véronique Guillotin. D’une part, le groupe du RDSE, comme d’autres, est généralement défavorable aux demandes de rapport. Le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, M. Maurey, rappelait d’ailleurs la semaine dernière que le nombre de rapports remis par le Gouvernement était inférieur à 50 %, ce qui pose au passage la question du respect par les gouvernements des demandes faites par le législateur.
M. Jean-François Husson. Très bien !
Mme Véronique Guillotin. D’autre part, indépendamment du projet néerlandais, qui est en bonne voie à l’échelon européen, l’ANSES a confirmé que le sujet fera l’objet de travaux de recherche dédiés. Ce qui est visé par la proposition de loi semble donc d’ores et déjà enclenché.
En conséquence, souscrivant sur le fond à l’exigence scientifique et à la nécessaire refonte de la filière, mais regrettant le véhicule législatif retenu, le groupe du RDSE s’abstiendra dans sa majorité sur ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de loi pose deux questions, qu’il convient de bien distinguer. La première porte sur le fond : le recyclage des pneumatiques dans les terrains de sport et les aires de jeu peut-il présenter un danger sanitaire et environnemental ? La seconde est une question procédurale : ce sujet implique-t-il l’intervention du législateur et, en particulier, la demande d’un rapport du Gouvernement au Parlement ?
J’évoquerai d’abord la question de fond, celle du danger invoqué. Toutes les données du problème sont dans le rapport de Frédéric Marchand, que je félicite de l’excellence de son travail, d’autant plus qu’il s’agit d’une question d’une extrême technicité. Quelle conclusion tirer du rapport ? Celui-ci démontre qu’il y a à l’évidence un vrai sujet d’inquiétude, sur lequel nous devons nous pencher en tant que décideurs publics.
Les données scientifiques sont insuffisantes. En l’état actuel de nos connaissances, le risque sanitaire serait « négligeable », mais il y aurait des risques « potentiels » pour l’environnement. Cela a très bien été expliqué. La note de l’ANSES du mois de septembre dernier ne constitue pas une étude nouvelle, mais c’est une synthèse des travaux disponibles. De plus, certaines des études compilées seraient méthodologiquement critiquables.
Nous devons donc aller plus loin. Il nous faut améliorer nos connaissances scientifiques du sujet. L’enjeu est important pour nos concitoyens, d’une part, et pour les collectivités, d’autre part. Les premiers s’inquiètent à juste titre. Ils sont de plus en plus nombreux à nous demander l’application du principe de précaution.
Le sujet concerne non seulement les terrains de sport, qui sont fréquentés par la population, mais également les aires de jeu destinées aux enfants ; nous le savons, ces derniers sont une population plus fragile et plus exposée aux risques pour la santé que les autres. Lorsque l’on parle d’infrastructures publiques aussi populaires et symboliques du lien social que les terrains de sport et les aires de jeu, aucun doute n’est permis.
Je le disais, alors que nous sommes en plein Congrès des maires, le problème soulevé par la présente proposition de loi est aussi un enjeu majeur pour les collectivités. S’il apparaît qu’il est préférable de remplacer les revêtements utilisés pour les stades et les parcs publics, qui paiera ? Ce sera la commune, comme toujours ! Et la facture risque une fois de plus d’être salée ! Notre rapporteur a pris l’exemple d’une commune de Wallonie qui a décidé de faire enlever tous les granulats de pneu de son terrain synthétique, ce qui lui coûtera la modique somme de 50 000 euros, et ce sur la base d’éléments scientifiques et techniques dont la fiabilité est sujette à caution.
Quand on sait à quel point l’opinion, à l’heure des réseaux sociaux, des fake news et de la récurrence des scandales sanitaires, est prompte à s’emballer et quand on mesure à quelle rapidité la panique peut gagner les esprits, on se rend compte de l’urgence du sujet.
Sur la base de telles considérations, faut-il abandonner l’usage des granulats de pneus ou seulement modifier leur composition, ou encore continuer de les utiliser, mais seulement en complément de certains autres matériaux ? Faut-il d’ores et déjà, en application du principe de précaution, suspendre leur usage pour la création de nouveaux terrains ou nouvelles aires de jeu ? Nous ne pouvons pas encore répondre à ces questions, qui sont pourtant essentielles.
En résumé, sans amélioration de notre connaissance du phénomène et des autres solutions qu’il serait possible de développer pour remplacer les granulats, nous ne pouvons ni agir ni rassurer.
Cela me conduit à la seconde question soulevée par le texte : celle de la méthode. Pour faire avancer les choses, doit-on passer par une loi demandant un rapport ? C’est là que nous sommes plus circonspects. Comme le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, M. Hervé Maurey, l’a rappelé, au moins 50 % des rapports que le Gouvernement doit présenter au Parlement ne sont jamais remis. La Haute Assemblée a développé une réticence devenue quasi épidermique à la demande de rapports.
À ces considérations générales viennent s’ajouter deux choses : d’une part, d’autres études sont en cours à l’échelon international, en Europe et aux États-Unis ; d’autre part, l’ANSES a elle-même confirmé que ce sujet de recherche figurerait dans son programme de travail pour 2019.
Dans ces conditions, pourquoi un rapport et une proposition de loi ? Le choix de tels outils parlementaires n’est peut-être pas le plus judicieux. Selon nous, un débat aurait été plus adapté. Il était en effet important que nous nous emparions du sujet. C’est la raison pour laquelle nous remercions le groupe La République En Marche de nous avoir permis de le faire.
Si de nouvelles études sur l’emploi des granulats de pneus sont déjà au programme de travail de l’ANSES, nous espérons que le présent débat et la montée des inquiétudes sur ce sujet contribueront à les placer au sommet des priorités de l’Agence.
Plus globalement, s’intéresser aux granulats de pneus conduit à s’intéresser à nombre d’autres substances et produits utilisés dans toutes les infrastructures fréquentées par le public : peintures, colorants, colles, agents lissants, liants, etc. Nous sommes en permanence exposés à des substances industrielles dont nous savons finalement peu de chose. Le chantier de la prévention sanitaire est colossal, mais il est vital pour éviter à l’avenir de nouveaux scandales sanitaires de type amiante ou bisphénol. Nous devons nous donner les moyens de le mener à bien.
En l’occurrence, puisque c’est surtout l’alerte qui compte et puisque l’adoption d’une proposition de loi ne nous semble pas de nature à faire vraiment avancer les choses, le groupe Union Centriste s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons une proposition de loi visant à demander au Gouvernement un deuxième rapport sur la mise en œuvre des préconisations d’un premier rapport publié en juin dernier par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. Ce dernier visait à clarifier les éventuels risques sanitaires liés à la fréquentation par les sportifs et les enfants des terrains de sport synthétiques et des aires de jeu. En effet, ces terrains, composés de granulats de caoutchouc recyclés à partir de pneus usagés, pourraient se révéler cancérigènes pour l’homme et toxiques pour l’environnement.
Cette inquiétude, relayée par les médias, la société civile et un certain nombre d’élus locaux, a conduit le Gouvernement à saisir l’ANSES. Sur la base d’une cinquantaine d’études internationales, cette dernière indique à la fois l’existence d’un risque sanitaire négligeable et la présence de risques potentiels pour l’environnement. Certaines substances chimiques présentes dans ces granulats seraient susceptibles de contaminer les sols et les nappes phréatiques. Néanmoins, elle émet d’importantes réserves d’ordre méthodologique : les données exploitées ne sont pas suffisamment solides pour caractériser la présence ou l’absence de risque pour la santé et pour les écosystèmes.
Aussi la portée de ce premier rapport se limite-t-elle à un certain nombre de recommandations, dont la nécessité d’établir des études plus spécifiques et plus poussées. Le second rapport qui fait l’objet de cette proposition de loi permettra, nous l’espérons, d’apporter une réponse claire aux nombreux élus locaux, sportifs et parents d’enfants exposés à ces substances potentiellement nocives pour l’homme et pour l’environnement.
Les élus du groupe Les Indépendants sont conscients de l’importance de ce sujet, pour des raisons à la fois sanitaires et environnementales, mais aussi financières. Il ne s’agit pas de faire de la démagogie en demandant aux élus de remplacer demain des terrains dont on vantait hier la qualité et la soutenabilité sans éléments sérieux. Aussi devons-nous clarifier la situation tout en veillant à accompagner financièrement les élus locaux s’il se révélait nécessaire de remplacer ces terrains.
Si je soutiens une telle demande de rapport, c’est aussi pour protéger les élus locaux de ce qu’on appelle pudiquement la « faute non intentionnelle ». Souvenons-nous de la loi Fauchon !
Avec ces réserves, nous voterons la présente proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les terrains de sport et les aires de jeu dites « synthétiques » sont de plus en plus répandus sur le territoire national. Leur utilisation très pratique pour les clubs et les pratiquants, les économies d’entretien ainsi permises et la valorisation en granulats des déchets de pneus constituent des atouts indéniables. Mais ce type d’équipement suscite également quelques inquiétudes.
La proposition de loi déposée par notre collègue Françoise Cartron et le groupe La République En Marche vise à donner une suite à la note de l’ANSES du 18 septembre dernier sur la dangerosité desdits granulats de pneus utilisés pour les terrains de sport. Disons-le tout de suite, l’Agence ne met pas en évidence de risques pour la santé. Elle précise toutefois que son travail « vise à identifier les besoins de connaissance ».
Pour lever les doutes, la proposition de loi demande la publication d’un rapport au Parlement qui vérifiera la mise en œuvre des préconisations du rapport précité de l’ANSES – je souscris parfaitement à la description kafkaïenne qu’a faite notre collègue Nicole Bonnefoy. Ce texte contient deux aspects : un aspect sportif et un aspect relatif au principe de précaution, qu’il soit sanitaire ou environnemental.
Sur le plan sportif, l’histoire du gazon synthétique ne date pas d’hier, puisqu’elle est née en 1910 : un chercheur anglais avait fait breveter un tapis tissé de fourrures animales principalement utilisé jusqu’alors pour les décors de théâtre.
Dans les années quatre-vingt, l’industrie a commencé à concevoir du gazon synthétique, pour le football en particulier. Les systèmes ont été conçus avec du poil court et un remplissage de sable. C’était pour le moins brutal et traumatique – Christophe Priou a évoqué le sujet. Rassurez-vous, je ne vous imposerai pas la vision des stigmates que porte sur les ischio-jambiers un pratiquant émérite de cette époque que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître…
Dans les années quatre-vingt-dix, afin de pallier ces effets traumatiques divers, les premiers systèmes de gazon synthétique avec remplissage de caoutchouc ont été introduits. Depuis lors, le confort du joueur et la réduction des divers traumatismes sont devenus de plus en plus importants dans la conception du gazon synthétique. L’Union des associations européennes de football et la Fédération internationale de football association, ainsi que de nombreuses fédérations nationales soutiennent résolument son développement. Par exemple, la Fédération française de football classe et aide au financement d’environ 300 terrains synthétiques par an.
Force est de constater que le principe de précaution a tendance à se transformer en risque zéro. Sur le plan sanitaire, il nous revient donc avant tout de faire la part des choses. Différents matériaux existent.
L’évaluation du risque porte principalement sur les terrains synthétiques qui utilisent un matériau de remplissage en granulats élastomères noirs provenant du recyclage de pneus usagés. De nombreuses études ont été réalisées. Aucune ne conclut à un risque, que ce soit par inhalation, contact ou ingestion. Cela n’exonère pas d’appliquer les principes d’hygiène élémentaire, qu’il faut rappeler et respecter sur tout type de terrain : prendre une douche, a minima se nettoyer les mains et le visage, désinfecter les plaies, se changer complètement après l’entraînement et laver l’équipement utilisé.
La dernière étude a été réalisée par European Chemicals Agency, ou ECHA, saisie par la Commission européenne. Les conclusions parues au mois de février 2017 sont claires : il n’y a pas de preuve scientifique d’une augmentation du risque de cancer lié à l’impact des hydrocarbures aromatiques polycycliques, ou HAP, généralement mesurés dans les terrains de sport européens.
Le règlement des terrains de la Fédération française de football conseille, en cas de doute et par principe de précaution, ou bien encore dans le cadre d’un suivi sanitaire, de pratiquer des tests. La Fédération continue, en temps qu’utilisatrice de ces surfaces via ses clubs affiliés, de s’assurer du respect des normes de construction des terrains en gazon synthétique en vigueur et de s’informer des travaux d’investigations en cours, notamment à l’échelon européen.
J’en viens au risque environnemental. Nul ne doute qu’une escouade d’experts dûment accrédités et payés grassement par le contribuable trouvera une de ces fameuses billes dans l’océan. Il nous restera alors évidemment à nous lamenter et à interdire les terrains synthétiques, les pneus, les voitures et – pourquoi pas ? – la vie sur terre, pendant qu’on y est !
Mes collègues se sont déjà exprimés en commission sur la remise d’un rapport. Je ne peux que constater que nous assistons à une inflation du nombre de rapports promis, lesquels finissent invariablement en classement vertical.
Madame la secrétaire d’État, je suis certain que vous aurez à cœur de vous attaquer avec pragmatisme à une telle situation. Mais, de grâce, ne pénalisons pas le développement de la pratique sportive en général et du football en particulier, qui plus est dans le pays des champions du monde ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Mouiller. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre collègue Françoise Cartron a déposé une proposition de loi qui demande au Gouvernement un rapport sur les risques liés à l’emploi de matériaux issus de la valorisation de pneumatiques usagés dans les terrains de sport synthétiques.
Chaque année, 3 millions de pneus arrivent en fin de vie en France, ce qui représente 400 000 tonnes de pneumatiques usagés qui, depuis l’interdiction de mise en décharge par la directive européenne de 1999, sont récupérées par les producteurs de pneumatiques en vue de leur revalorisation. Il en existe trois types : la réutilisation, c’est-à-dire la fabrication de nouveaux pneus, qui concerne environ 20 % des pneus usagés, le combustible, qui en concerne 40 %, et, enfin, la granulation pour la confection de sols sportifs et terrains de jeux pour 40 % de ces pneus.
C’est ce dernier type de valorisation qui pose problème et fait débat. Ces sols et terrains sur lesquels évoluent des sportifs et s’amusent des enfants sont constitués à 90 % de pneus réduits en poudre, mélangés à 10 % de résine. Or, depuis quelques années, une inquiétude est née quant à l’impact sanitaire et environnemental desdits terrains.
Aujourd’hui, il n’existe pas de réglementation encadrant la composition chimique de ces granulats. Les normes se concentrent principalement sur les performances techniques attendues : durabilité, perméabilité à l’eau, rebond de la balle, absorption des chocs. Le seul test effectué est celui du drainage des métaux lourds. C’est inquiétant quand on sait que certaines des substances chimiques relarguées depuis ces granulats sont des substances nocives, telles que des perturbateurs endocriniens comme le DBP, le DEHP ou le DEP. D’autres substances sont utilisées pour accroître les performances des pneus, mais il est presque impossible d’obtenir des informations à leur sujet, étant donné que le secret professionnel protège leur fabrication.
À cela s’ajoute le fait que, à côté des granulats, très peu d’études ont été réalisées sur les sous-couches et autres matériaux utilisés dans le processus de fabrication de ces terrains, comme les colorants, les agents liants et lissants, ou les agents anti-UV.
Ces terrains sportifs et aires de jeu sont soumis à une utilisation intense et, donc, à une usure mettant en contact direct et prolongé les usagers, en particulier les enfants, et ces substances. Il en va de même pour les pesticides, détergents et autres produits de nettoyage de surface utilisés pour l’entretien des terrains, qui peuvent présenter un risque pour l’environnement et la santé des utilisateurs.
Parmi les composants des granulats, on trouve des composés organiques volatils qui, surtout en milieu clos, peuvent provoquer irritations oculaires, respiratoires et cutanées. Il s’agit d’un véritable danger pour la santé publique.
Certains producteurs de terrains synthétiques proposent des granulats encapsulés pour limiter la pollution. Il faudrait néanmoins s’assurer que ces capsules ne sont pas responsables d’une pollution supplémentaire s’ajoutant à celle des substances présentes dans les granulats.
Ainsi, il demeure des incertitudes sur les risques pour l’environnement et la santé, ainsi qu’un manque de cadre pour évaluer efficacement les risques liés aux composants des pneumatiques.
Face à ce risque, six ministères français ont demandé un appui scientifique et technique, en septembre dernier, à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES. Cette dernière a analysé les études et expertises actuellement disponibles sur le sujet, fournissant un travail qui ne visait pas à émettre une conclusion sur l’existence ou l’absence de risques.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Nicole Duranton. Son rapport insistait bien sur les problèmes méthodologiques de ces études et sur le manque de données.
Étant donné que les mesures à prendre relèvent du pouvoir réglementaire et non du pouvoir législatif, il aurait été préférable que ce soit le Gouvernement…
M. le président. Merci !
Mme Nicole Duranton. … qui demande un nouveau rapport à l’Agence.
En l’état actuel des choses, le groupe Les Républicains s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à la présentation d’un rapport au parlement sur les actions relatives aux éventuels risques liés à l’emploi de granulats de pneumatiques dans les terrains de sport synthétiques et usages similaires
Article unique
Le Gouvernement présente au Parlement, avant le 1er janvier 2020, un rapport dressant l’état d’avancement de chacune des préconisations établies dans la note d’appui scientifique et technique publiée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail le 18 septembre 2018, relative à une demande sur les éventuels risques liés à l’emploi de matériaux issus de la valorisation de pneumatiques usagés dans les terrains de sport synthétiques et usages similaires.
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par Mme Bonnefoy, MM. Bérit-Débat, Joël Bigot et Dagbert, Mme M. Filleul, MM. Houllegatte, Jacquin et Madrelle, Mmes Préville, Tocqueville et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - Le Gouvernement présente au Parlement, avant le 1er janvier 2020, un rapport dressant un bilan des efforts de la recherche dans la prise en compte des effets cocktails des produits chimiques sur l’homme et son environnement. Ce rapport se base sur les travaux menés notamment par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et étudie les modalités d’une meilleure prise en compte, notamment dans l’évaluation des risques des produits phytopharmaceutiques, des effets combinés potentiels des substances sur la santé.
La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Comme vous l’aurez compris, puisque je l’ai déjà dit lors de la discussion générale, les deux amendements que j’ai déposés visent à enrichir la proposition de loi. C’est d’ailleurs tout à l’honneur des sénateurs que de chercher à enrichir ce texte.
L’amendement n° 1 vise à demander la remise d’un rapport qui concerne lui aussi la santé publique. Son adoption nous permettra de répondre aux préoccupations prioritaires que vous avez exprimées lors de la discussion générale, madame la secrétaire d’État.
Mes chers collègues, je vous appelle à voter ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Frédéric Marchand, rapporteur. Cet amendement tend à étendre le dispositif de la proposition de loi à un sujet bien distinct de celui qui est visé par le texte initial. Je rappelle que la présente proposition de loi permet de répondre à une problématique précise, qui concerne les élus locaux au premier chef et qui n’a pas pour finalité de devenir le support de différentes demandes de rapport sur le thème général des problématiques de santé et d’environnement.
Par ailleurs, dans la mesure où elle porte sur un sujet très large, cette nouvelle demande risquerait de créer une certaine confusion, voire une confusion certaine, parmi les parties prenantes et le public quant à l’objet exact du texte.
Pour autant, la question des effets combinés est un vrai sujet qui mérite d’être approfondi. Différents travaux sont en cours aux niveaux national et surtout européen pour mettre en place une méthodologie fiable de mesure de ces effets. Je pense notamment aux projets Euromix et HBM4EU, auxquels participe d’ailleurs l’ANSES.
En outre, le Gouvernement s’est déjà formellement engagé à soutenir la recherche dans ce domaine dans le cadre du plan d’action sur les produits phytopharmaceutiques et une agriculture moins dépendante aux pesticides, qui a été publié le 25 avril 2018.
Le projet de plan Écophyto II +, présenté aujourd’hui même par le Gouvernement, confirme cet engagement en faveur de la recherche. C’est l’axe 2 du plan en vue de permettre une intégration de ces enjeux lors de l’évaluation des risques préalables aux décisions d’autorisation prévue dans son axe 3.
Pour ces différentes raisons, la commission a émis un avis défavorable. Par anticipation, j’indique qu’elle a également émis un avis défavorable sur l’amendement n° 2, qui découle de l’amendement n° 1.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. Cet amendement vise à étendre la demande de remise d’un rapport du Gouvernement à la mise en œuvre des préconisations de l’ANSES et à la prise en compte des effets cocktails, en particulier pour les produits phytosanitaires.
La prise en compte des effets cocktail est effectivement une préoccupation majeure. Elle constitue un défi scientifique absolument considérable. Nous ne savons pas encore exactement comment aborder cette question à l’heure actuelle, mais elle mobilise fondamentalement beaucoup d’énergie de par le monde de la part des chercheurs, des toxicologues et, plus généralement, de toutes les agences sanitaires chargées de ces questions.
Je me suis rendue avec Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes, à l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, pour entendre les responsables européens sur les progrès qu’ils comptent entreprendre pour améliorer les processus d’évaluation des demandes d’approbation des substances. Il s’agit d’un élément fort sur lequel le Gouvernement travaille et s’engage.
La question de la prise en compte des effets cocktails est effectivement posée, tout comme la possibilité de mener des études indépendantes pour les dossiers les plus sensibles. La France soutient ainsi les amendements visant à mieux prendre en compte les effets cocktails à l’occasion de la révision en cours de la réglementation générale de l’Union européenne sur l’alimentation, notamment afin que l’Autorité européenne de sécurité des aliments dispose des moyens nécessaires pour répondre à cette question.
De même, la France milite pour que les menaces émergentes pour la santé, telles que les effets combinés, figurent en bonne place dans les préoccupations visées par le projet de stratégie européenne pour un environnement non toxique.
En France, la question des effets cocktails constitue aussi un enjeu majeur et un vrai défi pour l’ANSES. Afin d’apporter un certain nombre d’éléments de réponse, l’Agence mène le projet PERICLES : financé par l’Agence nationale de la recherche, celui-ci a pour objectif de développer des méthodes pour déterminer les principaux mélanges de pesticides auxquels la population française est réellement exposée via son alimentation et d’appréhender les effets combinés potentiels des substances en mélange.
Plus largement, l’ensemble de nos organismes de recherche, l’INRA, l’INSERM et l’INERIS, ainsi que de nombreux laboratoires universitaires sont aussi très mobilisés sur cette question. Il s’agit en effet d’un enjeu vaste et complexe, qui nécessite de larges efforts en termes d’investissement scientifique et de travail collaboratif de la part de la communauté scientifique pour contribuer à de possibles évolutions futures de la réglementation. Il s’agit d’un défi scientifique et technique.
Pour en revenir à la question de l’usage et de l’incorporation de matières synthétiques dans les terrains de sport, initialement visés par la proposition de loi, il me semble que ce texte a d’abord pour objet d’apporter une réponse pragmatique aux nombreuses inquiétudes exprimées par le public et les collectivités locales. Y associer une thématique relative à la connaissance des effets cocktails relevant encore largement du domaine de la recherche me semble in fine brouiller le message de cette proposition de loi. Cependant, la question des effets cocktails est absolument essentielle…
Mme Nicole Bonnefoy. Il faut accepter mon amendement, alors !
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. … et fait l’objet de beaucoup de travaux de la part de différents organismes. Il s’agit d’une vraie priorité du Gouvernement. Vous l’avez constaté dans le cadre de la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, comme dans le cadre de nombreuses autres politiques publiques.
Loin de moi l’idée que nous serions arrivés à des résultats satisfaisants, mais, en tout cas, nous y travaillons très activement et pensons qu’il faut éviter de brouiller le message du présent texte. Nous vous suggérons donc de retirer votre amendement, madame la sénatrice ; à défaut, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse du Sénat.
M. le président. La parole est à M. Christophe Priou, pour explication de vote.
M. Christophe Priou. Dans son excellente intervention à la tribune, notre collègue Nicole Bonnefoy a su resituer le débat dans un contexte qui dépasse le texte. Elle a démontré la méthode un peu jésuite – et je pèse mes mots dans cette enceinte républicaine – du Gouvernement et du groupe La République En Marche. Nous, nous sommes pour le bicamérisme. La biodiversité est démocratique.
Il se trouve que le Sénat a de la mémoire. Depuis quelques mois, principalement depuis le début du quinquennat et de la nouvelle législature, les groupes majoritaires de l’Assemblée nationale et le Gouvernement ont tendance à employer la technique du coucou – c’est un oiseau symbolique de nos campagnes, dont je n’évoquerai pas la réputation. Par exemple, j’ai été marqué en début de mandature par la proposition de loi Eau et assainissement, qui a été approuvée très largement – je ne peux pas dire à l’unanimité –, mais qui avait été refusée par le Gouvernement, avant d’être reprise in extenso à l’Assemblée nationale.
Aujourd’hui, il me semble nécessaire d’enrichir ce texte sur la base des amendements de notre collègue, de nous ouvrir aux nombreuses questions sur la santé publique qui se posent et que nos concitoyens nous posent. À titre personnel, je voterai les deux amendements.
M. le président. La parole est à Mme Nelly Tocqueville, pour explication de vote.
Mme Nelly Tocqueville. Madame la secrétaire d’État, vous avez parfaitement justifié les deux amendements de notre collègue Nicole Bonnefoy, en rappelant que la santé publique et la prévention sont des éléments essentiels de la politique du Gouvernement, orientations que nous partageons complètement. Tout comme vous, nous estimons qu’il n’y a pas de domaine plus prioritaire qu’un autre.
Je vous remercie par conséquent du soutien que vous nous avez apporté.
M. le président. Madame Bonnefoy, l’amendement n° 1 est-il maintenu ?
Mme Nicole Bonnefoy. Oui, monsieur le président.
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l’article unique, modifié.
(L’article unique est adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par Mme Bonnefoy, MM. Bérit-Débat, Joël Bigot et Dagbert, Mme M. Filleul, MM. Houllegatte, Jacquin et Madrelle, Mmes Préville, Tocqueville et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi visant à la présentation d’un rapport au Parlement sur la mise en œuvre des préconisations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail concernant la prise en compte de l’impact des effets cocktails des produits chimiques sur l’homme et son environnement ainsi que des actions relatives aux éventuels risques liés à l’emploi de granulats de pneumatiques dans les terrains de sport synthétiques et usages similaires
Cet amendement a précédemment été présenté par ses auteurs.
La commission et le Gouvernement ont déjà donné leur avis.
Je mets aux voix l’amendement n° 2.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé : « Proposition de loi visant à la présentation d’un rapport au Parlement sur la mise en œuvre des préconisations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail concernant la prise en compte de l’impact des effets cocktails des produits chimiques sur l’homme et son environnement ainsi que des actions relatives aux éventuels risques liés à l’emploi de granulats de pneumatiques dans les terrains de sport synthétiques et usages similaires ».
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Françoise Cartron, pour explication de vote.
Mme Françoise Cartron. J’ai entendu beaucoup d’intervenants, dont certains contestaient la pertinence de passer par une proposition de loi, au motif qu’il ne s’agissait pas d’un véhicule adapté pour traiter d’un tel sujet. Finalement, le véhicule était tellement peu pertinent que l’on a étendu l’objet du texte, ce qui montre qu’il était au contraire tout à fait opportun.
Je voudrais également dire que cela fait plus de dix ans que je suis investie sur ce thème des terrains de sport synthétiques. La première fois que j’ai saisi une ministre, il s’agissait de Mme Fourneyron, ministre des sports d’un gouvernement socialiste. Je l’avais interpellée, parce que, en tant que maire, j’avais des problèmes dans ma commune avec ce type de terrains. À l’époque, la ministre m’avait répondu qu’il n’y avait aucun problème et que les normes AFNOR s’appliquaient. En d’autres termes, on pouvait dormir tranquille !
Au fur et à mesure des années, le sujet est revenu, les médias s’en sont emparés, et on a senti l’inquiétude monter de toute part. Après avoir interpellé la ministre, j’ai interpellé d’autres ministres qui ont demandé un premier rapport. Au bout du bout, j’ai pensé qu’une loi pourrait répondre aux inquiétudes de nos administrés, car elle permettrait à un gouvernement de livrer ici, au Sénat, l’état exact des préoccupations et des difficultés, ni plus ni moins.
En tout cas, je suis ravie de voir que, malgré les critiques qui ont émergé lors de la discussion générale contre ce véhicule législatif prétendument inadapté, l’objet de ce texte ait pu être élargi, et je m’en réjouis.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 22 novembre 2018 :
À onze heures :
Projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale (n° 146, 2018-2019) ;
Discussion générale.
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quinze et, éventuellement, le soir :
Suite du projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale (n° 146, 2018-2019) ;
Suite de la discussion générale ;
Examen de l’article liminaire ;
Examen de l’article 37 : évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures trente-cinq.)
nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale
Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Jacques Mézard est membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en remplacement de Mme Josiane Costes.
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD