M. Jean-Pierre Sueur. Il y a des gilets jaunes de tous âges ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. La modération du Sénat tient surtout à son mode de renouvellement, par moitié tous les trois ans, ainsi qu’à la durée du mandat sénatorial, six ans, lequel n’est pas corrélé aux cycles présidentiel et législatif. Aucun de ces points fondamentaux n’est remis en cause par la présente proposition de loi organique.
Enfin, j’en viens à la raison principale qui a été évoquée par la commission des lois pour motiver son rejet du texte.
J’entends l’argument selon lequel ce sujet devrait être traité de manière globale, lors de l’examen des projets de loi organique et ordinaire pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Les sujets peuvent à première vue apparaître liés. Néanmoins, les textes présentés par le Gouvernement répondent à un engagement présidentiel fort, exprimé lors de la campagne électorale de 2017. La question de l’âge d’éligibilité des sénateurs n’a pas été évoquée dans ce cadre et n’a donc pas été intégrée dans le projet de loi organique que le Gouvernement porte. Nous ne pouvons dès lors que nous réjouir qu’une initiative parlementaire conduise à l’ouverture de ce débat.
Il ne m’appartient pas ici de défendre dans le détail des projets de loi qui ne sont pas inscrits à l’ordre du jour de cette assemblée. Le temps de l’examen de ces réformes institutionnelles viendra. Néanmoins, je crois pouvoir affirmer qu’aucun de ces textes, qu’il s’agisse du paquet institutionnel porté par le Gouvernement ou de la proposition de loi déposée par le sénateur Gattolin, ne remet en cause le Sénat dans ses spécificités. Dès lors, rien ne s’oppose aujourd’hui à l’adoption du présent texte, bien au contraire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez bien sûr compris, le Gouvernement soutient cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis 2011, l’âge d’éligibilité des candidats aux élections sénatoriales est fixé à vingt-quatre ans, alors que celui des candidats aux autres élections a été abaissé à dix-huit ans. Ce seuil de vingt-quatre ans a été défini pour donner l’opportunité aux sénateurs, représentants des collectivités territoriales au sens de l’article 24 de la Constitution, d’exercer un mandat local avant d’entrer au Palais du Luxembourg.
La proposition de loi organique relative à l’élection des sénateurs que nous examinons a pour objet de réduire l’âge d’éligibilité des sénateurs de vingt-quatre à dix-huit ans. Ce texte appelle plusieurs remarques.
En premier lieu, il est nécessaire d’avoir un minimum d’expérience pour pouvoir exercer le mandat de sénateur.
M. André Gattolin. C’est tautologique !
M. Alain Marc. À cet égard, l’enracinement local est fondamental, car il nous permet d’être proches des réalités concrètes des collectivités territoriales dont nous sommes les représentants.
L’expérience de la gestion locale nous donne un éclairage particulier et irremplaçable sur la réalité sociale qu’aborde l’action politique. Cette expérience locale est plus que nécessaire lorsqu’il s’agit d’examiner des problématiques aussi spécifiques que les zones de revitalisation rurale, les services publics de proximité ou la revitalisation de l’échelon communal, qui a donné lieu à un excellent rapport que nous venons de publier.
En deuxième lieu, l’abaissement de l’âge d’éligibilité pourrait entraîner une inégalité de représentation dans nos territoires. À titre d’exemple, le département de l’Aveyron comprend deux sénateurs élus au scrutin uninominal. Or un candidat de dix-huit ans n’aurait véritablement de chance d’être élu qu’au scrutin proportionnel, dans les départements les plus peuplés et non en zone rurale.
En troisième lieu, cette proposition de loi organique ne peut pas être examinée indépendamment des projets, plus larges, de réforme institutionnelle. En effet, le Gouvernement a déposé en mai dernier trois projets de loi « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ».
Le premier texte relève du domaine constitutionnel, le deuxième du domaine organique et le dernier de la loi ordinaire. Or ces projets de loi comportent plusieurs dispositions qui pourraient remettre en cause les spécificités du Sénat, mais également l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le Parlement. Dès lors, il apparaît logique que l’ensemble de ces sujets soient examinés conjointement, dans le cadre d’un débat plus large sur les réformes institutionnelles et l’avenir du bicamérisme.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour toutes ces raisons, la grande majorité du groupe Les Indépendants votera contre cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi organique de notre collège André Gattolin, soutenue par notre groupe, est en tout point conforme à la sagesse sénatoriale, et fidèle à cette sagesse qui procure à notre assemblée sa légitimité institutionnelle.
Mais peut-être sommes-nous dans l’erreur ? Il n’est pas impossible, en l’espèce, qu’elle contienne en creux quelques éléments contrevenant à une certaine idée du Sénat. Auquel cas, si des arguments de cette nature nous étaient avancés, croyez bien que nous les examinerions avec la sagesse qui nous aurait jusqu’ici fait défaut.
Mais c’était sans compter sur la vigilance sans faille de notre honorable commission des lois, qui a su déconstruire de bout en bout la logique fallacieuse de notre raisonnement. (Sourires sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous pourriez vous arrêter là !
M. François Patriat. Grâce à elle, la République l’a échappé belle : la proposition de loi organique a été rejetée et, avec elle, l’abaissement de l’âge d’éligibilité fortement compromis. Au motif qu’elle galvaudait les formes élémentaires du bicaméralisme, une fin de non-recevoir lui a été opposée, sans autre forme de procès, si ce n’est quelques arguments qui nous ont fait l’effet d’un attrape-mouche savamment élaboré.
Mais peut-être qu’à la faveur d’un examen de conscience, notre cher rapporteur, auquel je rends hommage, changera de ligne de conduite et se ralliera aux tenants de cette disposition organique, fût-ce au prix d’une désaffiliation partisane. Après tout, comment pourrait-il en être autrement ?
Comment une chambre parlementaire comme la nôtre, en proie à des procès en représentativité sans cesse plus sévères, pourrait-elle se réfugier dans une forme d’inertie ? Comment des sénateurs de bonne foi, sous le joug de calomnies imméritées, au gré desquelles les partisans d’un monocamérisme anémique gagnent du terrain, pourraient-ils refuser cette mesure de bon sens ?
Mes chers collègues, cette appréciation négative portée sur l’action de notre institution ne doit pas faire taire notre apport substantiel à la machine parlementaire, dont notre honorable assemblée tire son sens et sa fonction. Nous devons d’instinct nous faire l’écho d’une institution à l’écoute des évolutions sociétales, comme l’a dit très justement mon ami André Gattolin.
Admettons un instant que le législateur organique refuse cette proposition, dont l’évidence s’impose d’elle-même. Imaginez maintenant que cette assemblée, en vertu de je ne sais quel principe juridique, oppose à ses détracteurs les plus forcenés un esprit corporatiste de circonstance. Pis encore, que les commentaires médiatiques réceptionnent grossièrement le vote d’aujourd’hui comme une manœuvre identitaire de mauvais aloi. Ce vote nous ferait-il l’effet d’un Sénat étranger à lui-même pour qui la sagesse ne serait qu’une chimère de plus ?
Or, mes chers collègues, que l’on ne s’y trompe pas, l’alignement sur le droit commun de l’âge d’éligibilité spécifique aux élections sénatoriales n’est guère autre chose qu’une mesure de sagesse.
Sans être fidèle à un quelconque esprit démagogique, tout effort d’archéologie parlementaire conclurait à la nécessité d’abaisser l’âge d’éligibilité à dix-huit ans. Rappelons, s’il faut s’en convaincre, que sous la IIIe République, l’âge d’éligibilité des sénateurs était de quarante ans ; il était de trente-cinq ans révolus jusqu’en 2003, avant d’être abaissé à vingt-quatre ans en 2011. Faut-il, par suite logique, abaisser à dix-huit ans l’âge d’éligibilité ? L’identité sénatoriale en réchapperait-elle ?
Nous en sommes intimement convaincus. Cela étant dit, l’inverse est encore moins sûr. Je suis même tenté d’aller plus loin : votre conception de l’éligibilité nous semble, sous bien des rapports, contraire au principe d’égalité, tant et si bien qu’elle ne saurait prospérer en l’absence de justifications politiquement indiscutables. Ces justifications, parlons-en ! Lorsqu’elles ne sont pas desservies par une physionomie passablement ringarde, nous sommes bien en peine de les trouver.
Voici quelques éléments de précision.
D’abord, sur la douteuse nécessité d’acquérir, avant toute implication législative, une certaine expérience locale des mandats politiques, logique qui présida il y a peu à la détermination du seuil des vingt-quatre ans, je vais vous dire mon sentiment : la jeunesse n’est qu’un mot, mais c’est aussi le guet-apens par excellence.
Ne tombons pas dans l’ornière des préjugés. Si nous le faisons, il n’est pas certain que la sagesse des vieilles troupes, que l’on peut constater sans réserve dans nos rangs, soit toujours le gage d’un travail parlementaire et législatif dûment mené ; tout juste y contribue-t-elle.
En outre, André Gattolin l’a rappelé, l’âge d’éligibilité pour être Président de la République étant de dix-huit ans, faut-il en conclure qu’une sagesse plus prodigieuse encore est nécessaire pour souscrire aux conditions d’éligibilité de l’élection sénatoriale ? (Oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Un tel examen de capacité vise-t-il à se prémunir contre une jeunesse bien-pensante aux dents longues et aux idées courtes ?
Plus sérieusement, l’argument ne tient pas à l’examen des faits : la moyenne d’âge des sénateurs élus en septembre 2011, inférieure à celle des députés, a suffi à ébranler quelques certitudes bien établies.
Quand bien même nous abonderions dans votre sens, que nous laisse suggérer votre logique d’approche à l’égard des sénateurs représentant les Français de l’étranger, si ce n’est qu’ils sont possiblement dépourvus des compétences requises ?
Non, rien de tout cela n’est très sérieux et, pour l’heure, rien n’oblige à détenir un mandat pour se porter candidat. Votre argument, monsieur le rapporteur, tombe de lui-même.
Par ailleurs, sur le lien organique entre institution sénatoriale et collectivités territoriales, des choses d’une vérité toute relative ont été dites. Rappelons, à toutes fins utiles, que le Sénat n’est pas « sous un mandat spécifique des collectivités », à l’instar du Bundesrat allemand, tout juste bénéficie-t-il d’une fonction complémentaire reconnue par la Constitution.
À la fin des fins cependant, quelle que soit l’issue que le législateur donnera à cette disposition organique, armons-nous d’une seule certitude : l’alignement de l’âge d’éligibilité en vertu duquel on est mesure d’élire et d’être élu n’est qu’une faculté qui est donnée ; soyez rassurés, ce sont les grands électeurs qui auront le dernier mot !
Voilà, pour l’essentiel, les ressorts de notre positionnement qui vous enjoignent à entrevoir dans l’argument des années un facteur discriminant injustifié que le législateur organique gagnerait à abroger. Tâchons aujourd’hui, mes chers collègues, de faire œuvre utile. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de la proposition de loi organique déposée par M. Gattolin et certains de ses collègues du groupe LREM a au moins le mérite de nous permettre d’échanger sur la révision constitutionnelle, mise en attente depuis la suspension de son examen par les députés l’été dernier.
Faut-il abaisser l’âge d’éligibilité des sénatrices et sénateurs ? Bien entendu, le groupe que je préside réitère aujourd’hui une position déjà affirmée en 2003 et 2011, lorsque nous avions proposé nous-mêmes une telle évolution.
Je suis assez étonnée de constater la persistance de la majorité sénatoriale dans une attitude crispée de maintien à vingt-quatre ans d’un seuil de maturité pour accéder à l’auguste fonction sénatoriale.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. La benjamine du Sénat est LR !
Mme Éliane Assassi. Rien ne justifie le refus d’aligner le Sénat sur l’Assemblée nationale, la représentation européenne et même la présidence de la République, qui, depuis 2011, n’exige qu’un âge de dix-huit ans pour y accéder.
Sérieusement, mes chers collègues, pourquoi persister à afficher que le mandat sénatorial exigerait plus d’expérience que l’exercice de la présidence de la République ? Ce n’est pas sérieux ! Cette crispation n’a aucun fondement constitutionnel.
Vous affirmez en effet que le candidat sénateur ou la candidate sénatrice doit avoir exercé un mandat local de six ans pour pouvoir exercer pleinement sa fonction. Ce n’est pas dans la Constitution, et – faut-il le rappeler ? –, si le Sénat assure la représentation des collectivités locales, il ne les représente pas directement.
Faut-il rappeler également que nombre de sénatrices et de sénateurs n’ont pas exercé de mandat local et qu’ils n’en demeurent pas moins d’excellents parlementaires ? Car, rappelons-le, le Sénat est une assemblée législative, une assemblée de contrôle de l’exécutif, à l’instar de l’Assemblée nationale. Cette évolution se poursuivra sans doute avec l’adoption du non-cumul des mandats.
Être élu ou l’avoir été peut être un atout, la garantie d’une bonne connaissance de certains enjeux, mais être élu ne fait pas tout. Le Parlement manque cruellement, par exemple, de représentants du monde du travail, de représentants des salariés.
La lecture du rapport de M. Segouin étonne.
À partir de cette question de l’âge et d’un surprenant éloge de la sagesse liée à l’accumulation des années, M. le rapporteur construit une défense inconditionnelle d’un Sénat immuable au rôle perpétuellement positif et garantie absolue de la stabilité de nos institutions.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il l’a fait brillamment !
Mme Éliane Assassi. Votre rapport, monsieur Segouin, glorifie le Sénat, véritable pays des merveilles institutionnelles. (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
À grand renfort de citations de monuments de l’histoire, Jules Ferry, Clemenceau, de Gaulle, Boissy d’Anglas ou Gambetta,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il y en a d’autres…
Mme Éliane Assassi. … vous fermez la porte à toute évolution structurelle du Sénat.
Vous rappelez les propos du président de la commission des lois, M. Philippe Bas, qui qualifiait le Sénat de « seul pouvoir non aligné, libre et indépendant ». (Il a raison ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je sais qu’en politique la coutume est d’avoir la mémoire courte. Mais peut-on affirmer que le Sénat, face à la gauche plurielle de M. Jospin en particulier, et lorsqu’il est en phase avec la couleur politique de la majorité présidentielle, fut et est non aligné ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui !
Mme Éliane Assassi. Je ne le crois pas.
Le bicamérisme mérite d’être évalué et repensé. Je ne partage pas l’idée d’une nécessaire assemblée modératrice, d’une assemblée freinant les ardeurs du peuple, s’imposant à l’Assemblée nationale du fait de l’élection au suffrage universel direct. Abaisser l’âge d’éligibilité à dix-huit ans ne menace en rien le rôle actuel du Sénat et sa fonction historique.
Ce qui est certain, mes chers collègues, c’est que la crise profonde que nous vivons aujourd’hui, une crise profonde de représentation, une crise politique grave, s’appuyant sur un désastre social, avec une croissance forte des inégalités et de l’injustice sociale, exige autre chose qu’un exercice d’autosatisfaction sur les institutions de notre pays. Il faut repenser en profondeur le rapport entre le peuple et les institutions, assurer sa juste représentation.
Le Sénat, il est vrai, a parfois joué un rôle positif ces dernières années.
C’est la proportionnelle, tant détestée sur les travées de la majorité sénatoriale, qui a pourtant permis au Sénat de préserver, de manière très partielle mais réelle, une forme de débat pluraliste.
Ce n’est finalement qu’un sentiment superficiel, car le Sénat accompagne et soutient depuis toujours les projets libéraux, comme récemment la loi ÉLAN ou la réforme ferroviaire.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous ne sommes pas sectaires !
Mme Éliane Assassi. Donc deux chambres, oui, pourquoi pas ? Mais dans le cadre d’une vaste réforme constitutionnelle, en rupture avec la logique présidentialiste !
Oui, monsieur Gattolin, nous voterons pour votre proposition de loi organique, car permettre aux jeunes de siéger au Sénat nous paraît être la moindre des choses. Mais nous ne sommes pas dupes.
Votre groupe soutient, bien entendu, le projet constitutionnel de M. Macron. Ce projet, vivement contesté, s’attaque au Parlement et aux droits des parlementaires via la diminution du droit d’amendement et une course infinie à l’efficacité, démarche partagée pour l’essentiel, il faut bien le dire, par la majorité sénatoriale, malgré les froncements de sourcils de notre président Larcher.
M. Macron propose de réduire fortement le nombre de parlementaires. En quoi abaisser la représentation démocratique sert-il la démocratie ? Nous attendons toujours une réponse à cette question.
Croyez-vous, monsieur Gattolin, que le fait de réduire de 30 %, ou même de 20 %, le nombre de parlementaires, permettra à des jeunes d’être élus ? Il y a une part de naïveté, pour rester aimable, à le croire, tant il est évident que la réduction du nombre de sièges favorisera les élus les plus aguerris. Il y a donc une contradiction majeure dans le fait de soutenir les projets profondément antidémocratiques d’Emmanuel Macron et de son gouvernement et de proposer aujourd’hui d’ouvrir le Sénat à la jeunesse.
Nous voterons donc ce texte par principe, fidèles à notre engagement pluraliste républicain et citoyen. Mais nous le voterons sans illusion, avec clairvoyance et lucidité, car un rude combat s’annonce pour préserver nos institutions de dérives hyper-présidentialistes, voire autoritaires, et pour, au contraire, les ouvrir au peuple, lequel manifeste chaque jour sa colère et son rejet d’un système politique qui le tient à l’écart du pouvoir qu’il est, aux termes de la Constitution – il est dramatique de devoir le rappeler –, censé détenir. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à bien y réfléchir, il n’y a aucun argument pour s’opposer à cette proposition de loi.
M. Patrick Kanner. Exactement !
M. Jean-Pierre Sueur. S’il n’y a aucun argument, il est logique de l’approuver. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.)
Cela a été dit avec force par M. le secrétaire d’État, ainsi que par MM. Gattolin et Patriat et par Mme Assassi : on peut être élu Président de la République, maire, conseiller régional, conseiller départemental à l’âge de dix-huit ans. Pourquoi faudrait-il qu’on ne pût pas l’être pour devenir sénateur ? Il est évident qu’il n’y a aucun argument à opposer à cela.
Le seul argument que vous avez pu avancer, monsieur le rapporteur, est la nécessité d’avoir été préalablement élu local durant six années. Si vous pensez profondément que la condition sine qua non pour devenir sénateur, c’est d’avoir été élu local, alors il faut le dire. Mieux, il faut l’écrire dans la Constitution,…
M. André Gattolin. Absolument !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Parlons-en !
M. Jean-Pierre Sueur. … en adoptant une loi organique prévoyant que l’on ne peut être sénateur que si l’on a été élu local.
M. Stéphane Piednoir. Bonne idée !
M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues et amis, si vous le faites, réfléchissez bien à ce que cela induira forcément : le Sénat n’aura plus pour charge de représenter les collectivités locales, mais il en émanera, à l’image du Bundesrat.
M. Jean-Raymond Hugonet. Mais non !
M. Jean-Pierre Sueur. Cela signifiera qu’une assemblée s’occupera de l’ensemble du champ législatif et qu’une autre sera spécialisée dans les questions relatives aux communes, aux départements, aux régions, aux intercommunalités. Or nous ne voulons pas de cela. Ce que nous souhaitons, c’est que le Parlement soit constitué de deux assemblées votant l’ensemble des textes de loi. Nous tenons à ce que l’écriture de la loi procède d’une navette – et pas seulement, monsieur le secrétaire d’État, de la procédure accélérée généralisée – qui permette d’en peaufiner la rédaction.
Ceux qui viennent au Sénat pendant le Congrès des maires peuvent lire sur une grande pancarte : « Le Sénat, une assemblée parlementaire à part entière ». En effet, nous ne sommes pas une assemblée parlementaire réduite à examiner les textes relatifs aux collectivités territoriales.
Nous avons ici même, dans cet hémicycle, des collègues qui ont exercé de nombreuses responsabilités locales – j’en fais partie – et d’autres qui n’en ont pas eu. Ces personnes, qui ont été élues après avoir eu d’autres activités, nous apportent leur expérience, leurs compétences et leur vision des choses. C’est très bien ainsi ! Après tout, dans chaque département, ce sont les électeurs qui votent, et ils votent pour qui ils veulent. Tout le monde peut se présenter, à condition d’avoir aujourd’hui un certain âge. Mais si cet âge est fixé demain à dix-huit ans, cela ira aussi très bien, et ce sera le même que pour les autres mandats.
Le seul argument que vous avez quelque peu avancé, monsieur le rapporteur, et encore avec prudence, car vous n’étiez pas très à l’aise (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)…
Mes chers collègues, comme vous le savez, je m’exprime librement. Quand je pense que vous êtes bons, percutants…
Mme Dominique Estrosi Sassone. Rarement ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Sueur. Madame Estrosi Sassone, quand vous avez défendu la loi ÉLAN, on sentait que vous portiez votre position. Mais, parfois, on voit bien que c’est un peu artificiel… (Sourires.)
Mes chers collègues, j’avais droit à dix minutes de temps de parole. Comme je pense en avoir assez dit,…
M. André Gattolin. Mais non ! Mais non !
M. Jean-Pierre Sueur. … vous faire grâce de cinq minutes apportera un petit argument supplémentaire à la cause que je défends.
Je finirai en citant un grand auteur que nous aimons tous, Georges Brassens : « Le temps ne fait rien à l’affaire. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe La République En Marche. – Mme Élisabeth Doineau et M. Franck Menonville applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est toujours un plaisir de prendre la parole au sein de la Haute Assemblée, dans laquelle je reviens avec joie,…
M. Stéphane Piednoir. Et avec soulagement !
M. Jacques Mézard. … et de succéder à Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est réciproque !
M. Jacques Mézard. Notre groupe est partagé. Avec plusieurs de mes collègues – à peu près la moitié du groupe –, je voterai cette proposition de loi, en cohérence avec la position qui était la mienne en 2011 lorsque nous avions débattu de l’amendement de notre ancienne collègue Nicole Borvo Cohen-Seat. À l’époque, le Sénat avait adopté le compromis proposé par la commission des lois, à savoir l’âge de vingt-quatre ans.
Au-delà de l’âge, la question de fond – la révision constitutionnelle pourra également être l’occasion d’en débattre – est la crise de la démocratie représentative, pas simplement en France, mais dans tous les pays d’Europe occidentale. Il convient de réfléchir à cette crise de manière approfondie, car ce qui se passe aujourd’hui dans les relations avec nos concitoyens le justifie.
Si la discussion de 2011 avait abouti à la fixation d’un âge de vingt-quatre ans, c’est parce que nous avions considéré que le temps d’un mandat municipal était souhaitable, eu égard à la particularité de l’élection sénatoriale par rapport à celle de l’Assemblée nationale : nous sommes élus par de grands électeurs et non par l’ensemble de nos concitoyens. À cet égard, je ne résiste pas au plaisir, cher Jean-Pierre Sueur, de rappeler ce que j’ai constamment répété ici : le meilleur moyen de préserver la spécificité du Sénat et sa vocation particulière découlant de l’article 24 de la Constitution était de ne pas voter la loi sur le non-cumul. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Joissains. Très bien !
M. Jacques Mézard. Les arguments avancés par les uns et les autres sur le texte qui nous est présenté aujourd’hui n’ont pas varié depuis 2011.
D’un côté, on souligne – et j’adhère à cette remarque – que, si un citoyen peut être candidat à la présidence de la République à l’âge de dix-huit ans, il serait étrange qu’il n’en aille pas de même pour l’élection sénatoriale. Pour reprendre l’analyse du doyen Vedel, le choix de l’électeur pourrait être considéré comme réduit lorsqu’un Français jouissant de ses droits civiques est écarté de son droit d’être candidat. C’est une véritable question de fond.
D’un autre côté, on estime que le bicamérisme et le mode électoral spécifique du Sénat justifient des modalités d’élection différentes.
Monsieur le secrétaire d’État, des retouches législatives devraient d’ailleurs être envisagées. La situation des suppléants n’est pas la même dans les deux assemblées, en particulier en termes de parité des candidats : on peut considérer que le Sénat est en avance par rapport à l’Assemblée nationale. Il convient aussi de revoir certaines situations ; j’avais déposé un amendement en ce sens, qui a été considéré comme un cavalier, ce que je peux comprendre. Ainsi, quand un suppléant perd son siège de sénateur, il ne retrouve pas les mandats locaux qu’il exerçait, ce qui n’est ni logique ni juste.
Un certain nombre de modifications, ou en tout cas d’évolutions, devront être examinées lors du débat sur la révision de la Constitution. J’entends aussi ceux ici qui, à juste titre, considèrent que cette proposition de loi organique avait toute sa place dans le cadre des textes de la révision constitutionnelle, afin de faire l’objet d’un examen d’ensemble. C’est donc au moment de l’examen des différents textes portant sur la révision constitutionnelle qu’il serait opportun d’y travailler.
Monsieur le secrétaire d’État, l’abaissement de l’âge, qui est intervenu à deux reprises depuis le début de ce siècle, n’a pas vraiment modifié l’âge moyen des parlementaires au Sénat. Pour motiver nos jeunes concitoyens à s’engager dans la démocratie représentative, la première chose à faire, et elle est essentielle, c’est de respecter le Parlement. Il faut que nous vivions dans des institutions équilibrées entre l’exécutif et le législatif. L’expérience que j’ai pu acquérir, comme parlementaire ou comme ministre, me fait dire qu’il y a encore beaucoup de travail à faire…