M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte constitue une nouveauté bienvenue. Cela faisait longtemps que, sur toutes les travées du Sénat comme dans les autres institutions publiques, on critiquait l’existence de surtranspositions. Cependant, c’est la première fois que nous sommes saisis d’un projet de loi sur ce sujet. Quelque chose a donc changé, et dans le bon sens.
Bien entendu, j’entends les propos de mes collègues qui déplorent les insuffisances de ce texte. Mais nous savons à quel point il est compliqué d’analyser, texte après texte, chaque surtransposition. (Mme la ministre acquiesce.) Nous sommes nombreux à nous réjouir de la suppression prochaine d’autres surtranspositions, y compris sur initiative parlementaire. Mais si nous nous y mettons, il faudra se retrousser les manches, car ce sont des affaires lourdes et compliquées.
En effet, il s’agit d’ouvrir le débat sur ce qui est en trop : où y a-t-il eu surprécaution ou surprotection ? Car, neuf fois sur dix, les bénéficiaires des surtranspositions sont les consommateurs, y compris les acheteurs publics, les épargnants, les investisseurs, les entrepreneurs et les domaines de l’environnement et de la santé. Aussi, dire, au regard de tel ou tel intérêt, qu’on en a fait trop est un pas qu’il n’est pas facile de franchir. Chaque fois, c’est une interrogation et un débat légitime.
Comme je l’ai dit en souriant lors d’une réunion de la commission, chacun de nous a sa surtransposition favorite, à laquelle il ne veut pas renoncer, comme le débat de ce soir en témoignera d’ailleurs.
Ce thème des surtranspositions a donc donné lieu à un travail approfondi du Gouvernement, au travers d’une mission inter-inspections regroupant tout l’éventail des inspections de l’État, et du Sénat, dans le cadre d’une commission spéciale puisqu’il s’agit d’un sujet multisectoriel de réflexion et de législation. J’en profite pour souligner l’excellent travail et le dialogue nourri auxquels a donné lieu la commission spéciale, grâce en particulier à son président et à ses deux rapporteurs.
Dans cette discussion, notre sujet de réflexion devrait être l’analyse des raisons ayant motivé les surtranspositions, lesquelles n’étaient donc pas nécessaires.
Permettez-moi d’évoquer quelques pistes de réponses, qui apparaissent d’ailleurs à la lecture du dossier. Une transposition est souvent un texte hâtif et tardif. (Mme la ministre acquiesce.) En France, alors que nous sommes toujours extrêmement fiers de notre contribution à l’Union européenne, ce qui est généralement justifié, nous ne sommes pas forcément les plus diligents des États membres pour transposer. Nous sommes souvent rattrapés par le délai limite, ce qui nous oblige à élaborer des projets de loi dans des conditions accélérées.
Je le précise, même si je n’ai pas cherché à établir un palmarès, nombre de transpositions ont également fait l’objet d’ordonnances. Moi qui suis l’un des rares défenseurs des ordonnances dans cette institution, je serais tenté de dire que la part de surtranspositions par ordonnance est probablement de même ampleur que celui qui résulte de lois adoptées par le Parlement.
Sans doute faut-il aller plus loin et rappeler que l’interprétation des directives est une tâche ardue. Le vocabulaire et la thématique normative des ordonnances sont souvent confus, dans la mesure où ces textes constituent l’aboutissement d’une longue négociation. En effet, quand tout va bien, la durée de négociation d’une ordonnance est d’environ deux ans. Et je ne parle pas des négociations qui échouent ! Ceux qui ont commencé à négocier ne sont pas toujours en charge quand la négociation s’achève.
Bien entendu, la France est à part, et il serait inconvenant pour l’Union européenne d’adopter des directives qui disconviennent à notre pays. Pour autant, n’oublions pas que nous sommes vingt-sept démocraties, donc vingt-sept gouvernements légitimes avec leurs administrations fidèles. Chacun veille au grain pour adopter la directive qui convient à ses intérêts et le texte final est fait pour concilier des intérêts largement contradictoires.
J’évoquerai un dernier point. En praticien, en révisant des textes dans d’autres fonctions, j’ai observé une équivalence parfois approximative des termes et des concepts juridiques entre les États parties. Ainsi, on a souvent du mal à catégoriser, dans différents domaines, le sujet traité.
Nous sommes donc devant un exercice de pathologie normative, ce que notre assemblée aime à faire. Parmi les fondements du bicamérisme et du Sénat, on trouve la recherche de la qualité de la loi. Aussi est-il normal que nous nous intéressions de près à ces projets. Selon moi, le travail mené en commission et en séance pour réaliser une bonne « dé-surtransposition » sera riche d’enseignements utiles. Je me réjouis d’avance que nous poursuivions cet exercice dans un aussi bon esprit que celui qui règne ce soir. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Vincent Segouin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la question de la surtransposition des directives européennes est un sujet récurrent. Il s’agit presque toujours de dénoncer des distorsions de concurrence liées à des transpositions zélées de directives qui seraient défavorables à la compétitivité de nos entreprises.
L’objectif unique est, comme toujours avec ce gouvernement, de limiter les obligations pesant sur les entreprises, particulièrement, avec ce texte, dans les secteurs de l’économie, du développement durable, de l’agriculture et de la culture.
Ce projet de loi est également la traduction législative de la circulaire du Premier ministre du 26 juillet 2017 qui prévoit, pour l’avenir, de ne retenir qu’une exigence minimale dans le cadre des transpositions, c’est-à-dire d’organiser une harmonisation européenne toujours vers le bas et le moins-disant social, économique et environnemental.
Corollaire de cette volonté minimaliste, un travail d’inspection a été lancé auprès de différents organismes pour dénicher les cas de surtranspositions. Selon le rapport remis par cette mission en avril 2018, 137 directives auraient fait l’objet de surtranspositions. Ce projet de loi ne traite donc que d’une partie du travail…
Nous en revenons ainsi toujours à la question des normes, de leur nombre et de leur complexité. Nous ne pouvons que contester une telle approche. À nos yeux, il s’agit non pas de surtranspositions, c’est-à-dire d’erreurs d’analyse, mais de la liberté pleine et entière du législateur de définir des règles sur son territoire et un niveau d’exigence, notamment en matière environnementale. L’étude d’impact nous conforte en ce sens, rappelant ainsi que « la surtransposition ne constitue pas, la plupart du temps, une méconnaissance du droit de l’Union, les écarts maintenus en droit interne étant souvent permis par une directive ».
Le Conseil d’État a d’ailleurs regretté la faiblesse de l’étude d’impact de ce texte, laquelle n’indique pas « les motifs notamment d’opportunité pour lesquels les dispositions dont la suppression est envisagée aujourd’hui au nom de la lutte contre les surtranspositions avaient été en leur temps introduites en droit interne ».
Le Conseil ajoute : « Toutes ces précisions seraient de nature à éclairer utilement le Parlement dans des domaines où, par-delà l’apparente technicité des dispositions supprimées, des choix politiques précédents sont remis en cause. » Autrement dit, il s’interroge sur l’opportunité de ce texte.
Constatons que les mesures de ce projet de loi sont plutôt cosmétiques, voire anecdotiques et sans lien aucun les unes avec les autres. On est plus dans un toilettage qu’autre chose. Celui-ci a cependant des conséquences qui ne sont pas toujours anodines. On se demande néanmoins quelle était l’urgence.
Non seulement nous partageons pleinement l’interrogation du Conseil d’État, mais nous nous inquiétons des conséquences du volet environnemental du texte.
Revenir en arrière sur des normes de protection de l’environnement est aberrant et à rebours de l’Histoire. En matière environnementale, le concept de surtransposition n’existe pas. L’article 193 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne précise ainsi que « les mesures de protections arrêtées en vertu de l’article 192 ne font pas obstacle au maintien et à l’établissement, par chaque État membre, de mesures de protections renforcées ».
Avant de revenir en arrière et de régresser en matière de normes environnementales, le Gouvernement ferait mieux de s’employer à combler les manquements français relatifs à la transposition ou au respect des normes européennes. Si nous pensons aux règles relatives à la qualité de l’air, nous pourrions également évoquer la directive-cadre sur l’eau ou encore la planification des déchets, autant de secteurs où la France accuse un retard important par rapport aux objectifs définis par l’Union.
Que dire encore de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, en dépit des engagements liés à l’accord de Paris ? Loin de nos engagements, loin de notre devoir d’exemplarité… Où est passé le champion de la Terre ? L’urgence est non pas à la simplification et à la course à la compétitivité, mais à l’élaboration d’outils et de politiques publiques, pour mener la bataille contre le réchauffement climatique.
Manifestement, ce n’est pas votre sujet, Nicolas Hulot l’avait bien compris…
Par ailleurs, certains cas manifestes de surtranspositions ne figurent pas dans ce texte en tant que mesures à supprimer. Je pense ici à la transformation de la SNCF en société anonyme, qu’aucun texte européen n’exigeait ou encore à la loi sur le secret des affaires. Nous surtransposons quand cela nous arrange.
Nous défendrons donc des amendements de suppression de certaines mesures nous paraissant inacceptables. Il s’agit en particulier des incompréhensibles dérogations concernant la chasse de certaines espèces d’oiseaux migrateurs.
Il s’agit encore de la fin du statut de déchet, sans passer par des installations classées, et du report de l’obligation d’un bon état des eaux.
Nous proposerons également la suppression de l’article sur les licences ferroviaires, qui nous semble poser une vraie question de sécurité, malgré les explications de Mme la rapporteur en commission.
Vous l’aurez compris, le prisme de ce projet de loi est donc non pas celui de l’intérêt général, mais uniquement celui des intérêts privés. Alors que le modèle néolibéral fait preuve chaque jour de son inefficacité et de sa dangerosité pour l’avenir de la planète, le Gouvernement, ancré dans l’ancien monde, poursuit bille en tête.
À l’Europe des peuples, il continue d’opposer l’Europe des capitaux et des marchés, l’Europe de la finance, qui maltraite les femmes, les hommes et la planète.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce projet de loi, inutile, inefficace, voire dangereux. Considérant les urgences sociales et écologiques qui se rappellent chaque jour à nous, le temps du Parlement pourrait être mieux employé. (Mme Michelle Gréaume applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Laurence Harribey. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission spéciale, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis se présente comme une réponse à « l’excès de normes » résultant de surtranspositions de directives européennes. Il s’inscrit d’après le Gouvernement dans le cadre de la « politique de réduction de la production normative ». Il fait suite à un travail de recensement et d’analyse de l’opportunité de l’ensemble des surtranspositions identifiées en droit français, en vue de supprimer celles qui ne correspondent à aucune priorité nationale identifiée, Mme la ministre l’a rappelé, et qui pèsent de façon injustifiée sur la compétitivité et l’attractivité de la France en Europe.
En prélude, je voudrais souligner notre approche constructive à l’égard de ce texte, ce pour deux raisons essentielles.
Tout d’abord, notre groupe est attaché à la construction européenne et adhère à la nécessité de ce que vous appelez, madame la ministre, « faire œuvre d’euro-simplification ».
C’est la condition d’une meilleure adaptation de notre droit national au droit européen, mais c’est aussi la condition d’une meilleure appropriation de ce droit européen comme moteur de développement européen et d’intégration européenne.
En effet, les surtranspositions ont souvent été prétextes à complexifier. Elles ont même constitué une tendance fâcheuse à renvoyer la responsabilité de la lourdeur administrative aux instances européennes, alors même que nombre de normes ou réglementations n’étaient pas exigées par l’Union européenne. Finalement, le travail de surtransposition a contribué à faire de l’Europe un bouc émissaire pour ce qui concerne la complexité du droit.
Ensuite, notre groupe est conscient du caractère pénalisant des surtranspositions pour les entreprises, particulièrement pour les PME et TPE, qui constituent l’essentiel de notre tissu économique.
Nous avons donc largement souscrit et participé à la démarche volontariste du Sénat. Je pense notamment au travail mené par la commission des affaires européennes dans le cadre de sa mission d’alerte sur les surtranspositions et aux observations régulières qu’elle formule sur les projets de loi et les propositions de loi de transposition ou les modalités d’application de textes européens.
Ainsi, nous prenons acte de la nécessité d’une démarche proactive et d’une vigilance constante, soulignée dans l’exposé des motifs du projet de loi, pour identifier, prévenir et réduire les écarts de transpositions.
Cela dit, derrière les principes affichés, le texte n’est pas sans soulever plusieurs questions. Ainsi, sans remettre en question notre approche constructive, il nous semble important de revenir sur deux volets plus spécifiques.
Le premier volet concerne la méthode. Le texte initial retenait en effet vingt-sept surtranspositions, réparties en quatre secteurs. Après l’adoption de certaines mesures par la commission, il concerne moins de vingt surtranspositions, alors même que la mission inter-inspections mandatée par le Premier ministre en décembre 2017 avait relevé près de 132 surtranspositions.
Vous nous avez expliqué, madame la ministre, lors de votre audition, que trois catégories de surtranspositions avaient été différenciées.
Il y a celles qui ne constituaient pas de vraies surtranspositions, celles qui sont considérées comme des surtranspositions préférables – vous les avez rappelées dans votre intervention liminaire – et celles qui doivent être supprimées. Vous avez insisté sur la recherche d’un équilibre. D’ailleurs, la mission inter-inspections s’est efforcée de spécifier le caractère pénalisant des écarts de transpositions au regard – c’est intéressant – des priorités fixées par le Premier ministre, à savoir l’emploi, le pouvoir d’achat, la compétitivité et l’efficacité des pouvoirs publics. Cela signifie donc que l’on procède à une sélection des surtranspositions, certaines étant considérées comme légitimes, alors que d’autres le seraient moins.
En ce sens, il semble que cette approche sélective marque une certaine spécificité française au regard de la pratique d’autres pays membres, si l’on se réfère à l’étude comparative menée dans le cadre des travaux de la commission des affaires européennes du Sénat, qui mettait en parallèle la situation, en 2017, de quatre États membres : le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et la Suède.
Toujours est-il que cette méthode peut conduire à certaines insuffisances. Le Conseil d’État, dans son avis, met notamment l’accent sur les carences de l’étude d’impact et reproche au Gouvernement, d’une part, de passer sous silence les éléments qui avaient pu justifier les choix antérieurs du législateur et, d’autre part, d’éluder l’impact des mesures proposées.
Le Conseil d’État regrette notamment que les motifs d’opportunité pour lesquels des surtranspositions, faisant aujourd’hui l’objet d’une suppression, avaient été justifiées n’aient pas été considérés dans le contexte de l’époque et que l’impact des suppressions n’ait pas fait l’objet d’une étude plus approfondie.
De fait, par-delà l’apparente technicité des dispositions supprimées, des choix politiques précédents sont remis en cause, sans que la démonstration du bien-fondé de cette remise en cause soit toujours faite.
Sur le fond, nous émettons une seconde réserve, qui concerne certains secteurs privilégiés. Le Gouvernement entend ainsi aborder ce projet de loi sous un angle uniquement technique, alors que derrière chaque norme se cache un enjeu politique : la protection des consommateurs, la transparence économique et financière et la protection de l’environnement.
Vous avez souligné, madame la ministre, lors de votre audition par la commission spéciale, que le projet de loi n’avait pas pris en compte certaines surtranspositions, au motif qu’elles étaient protectrices des citoyens. Le choix a donc été fait de les maintenir.
Les domaines que vous avez alors cités sont ceux de la santé et de la protection du consommateur, en prenant l’exemple du maintien du délai de rétractation en matière de crédit à la consommation. Quid de tout ce qui touche à l’information du consommateur, notamment la publicité en matière de crédit ?
Nos collègues rapporteurs, dont je voudrais souligner le travail minutieux et la qualité des interrogations lors de nos séances de travail, ont insisté, à la page 26 de leur rapport, sur leurs incertitudes, s’agissant notamment des impacts environnementaux et sanitaires de certaines suppressions. Ils ont également souligné que l’étude d’impact était peu documentée sur ce point.
Nous avons les mêmes interrogations, sans compter notre questionnement concernant l’impact social. Selon nous, la prise en compte de ce dernier aspect est incontournable, y compris pour les entreprises, monsieur le rapporteur, notamment au regard de leur responsabilité sociétale.
C’est dans cet esprit que nous présentons un certain nombre d’amendements importants sur le fond, notamment en matière de droit de la consommation et de transparence économique.
Nous avons également déposé des amendements concernant le paquet ferroviaire, au sujet duquel nous déplorons la méthode employée. Nous ne comprenons pas que ce thème soit abordé dans ce texte.
Ces amendements de suppression ou de complément n’impliquent pas une frilosité de notre part devant la nécessaire « euro-simplification » – pour reprendre votre expression, qui me plaît beaucoup –, ou une méconnaissance de la nécessaire adaptabilité de notre droit à l’esprit communautaire, comme vous l’avez prétendu, monsieur le rapporteur, dans le domaine de la vie des entreprises.
Il s’agit d’aller au-delà de la seule vision technique, pour prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux et favoriser un modèle économique durable et équilibré, dans lequel la compétitivité des entreprises s’articule avec une croissance inclusive, qui fait partie des priorités européennes. À nos yeux, c’est une manière de donner du sens à l’œuvre d’euro-simplification, laquelle implique non pas simplement une vision technique, mais aussi un sens de l’action politique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Josiane Costes et M. Jean-Paul Émorine applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Plus d’un millier de directives sont actuellement en vigueur. En 2017, 48 transpositions en droit interne ont été comptabilisées. C’est là le témoignage de notre engagement européen, l’obligation de transposition répondant à une exigence de la Constitution.
Pour autant, la nécessité de transposer doit répondre à deux principes. Tout d’abord, il convient de veiller à la bonne compréhension de la loi, comme à chaque fois que nous légiférons. Ensuite, caractéristique propre aux projets de loi de transposition, il ne faut pas excéder outre mesure les obligations résultant de notre adhésion à l’Union européenne.
Il existerait en effet un « mal français» de surtransposition. Bien heureusement, depuis quelques années, les pouvoirs publics démontrent une volonté de le soigner, au travers notamment de la modernisation de l’action publique et de la création des normes.
Car, au cœur du problème de la surtransposition, se niche le souci d’un risque de concurrence déloyale entre les États membres, en particulier lorsque les mesures transposées intéressent directement les entreprises.
Notre collègue René Danesi l’a clairement démontré dans son rapport d’information sur la surtransposition du droit européen en droit français. Les entreprises dénoncent les conséquences des surtranspositions, qui alourdissent leur fonctionnement par un excès de charges administratives ou engendrent directement des surcoûts de production ou des contraintes commerciales.
On doit donc se féliciter des initiatives visant à contenir ce phénomène. Je citerai en particulier la circulaire de 2017 du Premier ministre relative à la maîtrise des flux de textes réglementaires et de leur impact, qui a posé le principe de la suppression ou, en cas d’impossibilité avérée, la simplification d’au moins deux normes existantes pour toute mesure allant au-delà des exigences minimales d’une directive.
Madame la ministre, le RDSE souscrit à ce principe, dont l’application contribuera certainement à l’allégement normatif dont les acteurs économiques ont besoin. Décomplexifier le droit, dé-surtransposer, alléger : peu importe le terme, l’objectif doit être celui de produire un droit plus simple et en harmonie avec celui qui est pratiqué par les autres États membres lorsque nous sommes liés par une directive européenne.
Cet objectif est d’autant plus nécessaire qu’il est également poursuivi par certains de nos voisins européens. Par exemple, en Allemagne, le ministère responsable d’un texte doit indiquer dans quelle mesure la transposition va au-delà de ce qui est nécessaire.
Dans cet esprit, il serait souhaitable de mettre en œuvre certaines des recommandations émises par nos collègues de la commission des affaires européennes et de la délégation aux entreprises. Par exemple, il est nécessaire de distinguer clairement, dans les études d’impact accompagnant les projets de loi, les transpositions strictes de celles plus contraignantes ou encore de celles qui recourent à l’activation d’options.
Il s’agirait ainsi de mieux éclairer le législateur quant aux motivations de l’exécutif, car il y a, d’un côté, les transpositions dont l’impact n’a pas été correctement évalué et, de l’autre, celles qui sont délibérées et parfaitement assumées.
C’est d’ailleurs fréquemment le cas en matière d’environnement, où la Charte de l’environnement, intégrée depuis 2005 dans notre Constitution, peut servir de guide à la transposition pour aller vers le mieux-disant. On doit bien l’admettre.
Le Conseil d’État est bien conscient de cette distinction entre transposition passive et transposition active, puisque, s’agissant du projet de loi qui nous occupe aujourd’hui, il a émis quelques regrets dans son avis. Comme vous le savez, madame la ministre, il a constaté l’absence d’éclairage, dans l’étude d’impact, s’agissant du contexte ayant conduit à l’adoption de telle ou telle surtransposition.
Malgré cette observation, mon groupe aborde avec bienveillance le projet de loi, car, comme je l’ai dit, mes collègues et moi-même sommes favorables à un toilettage destiné à faciliter le quotidien des entrepreneurs. Les articles relevant du droit des sociétés, en particulier celui qui vise à alléger les obligations comptables des moyennes entreprises, vont dans le bon sens. Nous approuvons également l’ensemble des dispositions proposées pour le secteur financier, domaine où ont été identifiés de nombreux écarts de surtranspositions. À l’heure du Brexit, il est important de soutenir tout ce qui renforce l’attractivité de la place de Paris.
Enfin, s’agissant des mesures touchant à l’environnement, l’essentiel est de parvenir à trouver un équilibre entre les urgences écologiques et les attentes des agriculteurs. En effet, ces derniers sont parfois contraints par des surtranspositions de nature environnementale préjudiciables à leur compétitivité.
C’est d’ailleurs en vertu d’un souci d’équilibre entre protection et souplesse que la commission a trouvé un bon compromis à l’article 15 sur les possibilités de sortie du statut de déchet.
Mes chers collègues, ce projet de loi n’est sans doute que le premier d’une série. N’oublions pas non plus qu’au travers de ces textes nous travaillons aussi à réconcilier nos concitoyens avec l’Union européenne.
En attendant, le RDSE sera attentif à ce premier rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et au banc des commissions. – MM. Alain Richard et André Gattolin, ainsi que Mme Michèle Vullien applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Daniel Dubois. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission spéciale, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, le présent projet de loi pointe un certain nombre de dispositifs législatifs qui, en allant au-delà de ce que prévoient les directives européennes, complexifient notre droit, lequel est déjà, vous le savez, extrêmement contraignant.
Cette complexité pose nombre de problèmes à nos entrepreneurs, à nos industriels, à nos agriculteurs. Ce constat est difficilement contestable ; il est perceptible tous les jours dans nos territoires.
La surtransposition crée également une distorsion de concurrence avec nos voisins européens qui auront, eux, transposé sans excès les mêmes directives.
Elle constitue donc une double peine qui, en définitive, nuit au pays tout entier.
Je dis souvent que, dans un pays endetté où la croissance est faible, la relance passe aussi par la simplification, nécessaire pour redonner de l’oxygène aux entreprises.
« Dé-surtransposer » est donc essentiel pour notre compétitivité, et, de ce point de vue, ce texte va dans le bon sens, madame la ministre. Sur ce point, nous rejoignons le Gouvernement.
Pour autant, nous espérions plus.
Ce texte ne nous paraît pas suffisant ; en effet, notre droit compte évidemment bien plus de surtranspositions que la trentaine dont nous sommes saisis aujourd’hui.
Nous posons donc la question de la méthode employée par le Gouvernement pour élaborer ce texte. Nous ne sommes pas a priori opposés à la mise en place d’une mission inter-inspections des services de l’État.
Ladite mission a visiblement effectué un travail conséquent.
Mais nous regrettons que ce travail ait été assorti de peu de contacts extérieurs, de peu de concertation avec les corps intermédiaires, lesquels subissent pourtant au quotidien les effets de la surtransposition.
Cette mission inter-inspections a relevé, dans notre droit, pas moins de cent trente-deux surtranspositions. Or seules vingt-sept d’entre elles sont présentes dans ce projet de loi. Vous avez indiqué que, parmi ces cent trente-deux surtranspositions, certaines étaient de nature réglementaire. Je l’entends, madame la ministre.
Mais le delta reste très grand, et, naturellement, je m’interroge sur les critères de choix qui ont été retenus pour définir le contenu de ce texte, même si vous vous en êtes expliquée, madame la ministre.
D’ailleurs, si j’allais jusqu’au bout de ma réflexion, j’irais jusqu’à me demander ce qui motive même la présentation d’un tel projet de loi, sur lequel le travail parlementaire et l’exercice du droit d’amendement sont très difficiles – j’y reviendrai.
Pareil doute peut paraître étonnant de la part d’un parlementaire, mais je me demande, madame la ministre, si des décrets n’auraient pas été plus efficaces pour obtenir le résultat escompté.
La démarche du Gouvernement peut même sembler étrange, quand on pense qu’il a refusé que la programmation pluriannuelle de l’énergie fasse l’objet d’une loi-cadre. Voilà un sujet qui, à l’inverse, méritait un vrai débat, et non un simple décret. (Mme Sophie Primas applaudit.)
S’agissant du traitement des surtranspositions restantes, nous sommes sans réponse, et ce manque de transparence nuit au bon déroulement du travail parlementaire.
Si ce texte ne nous paraît pas suffisant, c’est aussi parce que, certes, la suppression de surtranspositions existantes est nécessaire, mais seule la mise en place d’une véritable stratégie globale de lutte contre de nouvelles surtranspositions répondra réellement aux attentes des acteurs économiques.
Nous sommes particulièrement attachés à ce point, car nous pensons que la volonté de supprimer les dispositifs problématiques ne peut pas s’exonérer de mesures visant à empêcher que de nouvelles surtranspositions n’apparaissent dans notre droit.
Une telle démarche suppose une volonté politique forte, pérenne, mobilisant l’ensemble des administrations et des élus.
Une telle démarche mérite également une mise en œuvre institutionnalisée.
Je n’ose pas, madame la ministre, proposer la création d’une « agence » pour la simplification administrative et la lutte contre les surtranspositions,…