Mme la présidente. Mon cher collègue, il faut conclure.
M. Jean-Yves Leconte. Je m’achemine vers ma conclusion, madame la présidente, mais je tenais à insister sur le cas de Mayotte : le traitement de ce sujet, au Sénat et, en nouvelle lecture, à l’Assemblée nationale, n’est pas acceptable !
Face à tout cela, nous ne pouvons pas partir tranquillement en vacances en votant une motion tendant à opposer la question préalable. C’est pourquoi le groupe socialiste et républicain a déposé des amendements. Nous considérons qu’il faut continuer le combat : il y a encore beaucoup à empêcher, à préciser, avant de clore le sujet ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, éminemment sensible pour les Français, la question migratoire est devenue un enjeu de souveraineté nationale et de cohésion sociale. Illustration de cette importance, nos débats sur ces questions ont été longs, difficiles, passionnés, à la hauteur d’un enjeu fort pour nos concitoyens.
Mais cet enjeu est également un enjeu pour l’Europe, nous avons eu l’occasion d’en débattre la semaine dernière à propos de l’accord de réadmission franco-autrichien. C’est l’avenir du « Vieux continent face à la jeune Afrique », comme je l’ai lu, qui est en jeu, un avenir qui ne doit pas verser dans la confrontation.
L’Afrique subsaharienne compte déjà plus d’un milliard d’habitants, dont 70 % ont moins de trente ans. En 2100, trois bébés sur quatre qui viendront au monde naîtront au sud du Sahara. Comment, dans ces conditions, éviter une « ruée vers l’Europe », pour reprendre le titre de l’ouvrage récent de Stephen Smith, qui documente précisément cet enjeu ?
Le vrai défi est là : réussir le développement d’un continent jeune et pauvre, séparé par un bras de mer d’un continent plus vieux et plus riche.
Dans ces conditions, l’irénisme humanitaire me semble aussi dangereux que l’égoïsme national. Une approche équilibrée, globale et collective est nécessaire, sans verser dans l’outrance des parangons de vertu ou de ceux qui, comme dans la fable d’Ésope, crient tant au loup qu’on ne les écoute plus.
Cette nécessité de l’équilibre en matière de politique migratoire se retrouve dans une tradition républicaine, qui remonte au moins à la Libération. Depuis la signature de l’ordonnance du 2 novembre 1945 par le général de Gaulle, il existe une continuité politique qui tente de concilier les impératifs proches, mais différents de la gestion de l’immigration, de l’intégration et du droit d’asile.
En matière d’asile d’abord, la tradition républicaine repose sur une logique éthique que nous ne devons pas renier. Néanmoins, et c’est l’un des enjeux de ce texte, les procédures doivent être modernisées et les critères clarifiés pour éviter de laisser se développer des attentes infondées ou des situations indignes de notre pays.
Je veux parler, par exemple, des conditions difficiles de travail à la Cour nationale du droit d’asile ou à l’OFPRA, des inefficacités de nos procédures de traitement et de la saturation de nos dispositifs d’hébergement, particulièrement en Île-de-France, dans les Alpes-Maritimes et dans le Pas-de-Calais.
Quant à la question de l’intégration des étrangers dans notre pays, leur insertion linguistique, économique et sociale est particulièrement insuffisante en comparaison de certaines réussites chez nos partenaires, en Allemagne notamment. Dans un bel article de 1943 intitulé « Nous autres réfugiés », Hannah Arendt décrivait la situation la plus douloureuse pour le réfugié en terre d’accueil : l’exclusion, le rejet, l’anonymat. « Et personne ici ne sait qui je suis ! », disait-elle.
Nous devons faire en sorte que la promesse de l’accueil, une fois ses critères clarifiés, ne soit pas qu’une promesse procédurale ; qu’elle soit bien celle d’une insertion réelle. Nous avons déjà pu évoquer lors des précédents débats l’importance, dans ce cadre, du droit au travail.
Sur le sujet de la maîtrise de l’immigration, le Sénat a proposé un texte qui est très éloigné de la version initiale du Gouvernement.
Modifier ce texte n’était pas en soi une erreur, car on peut faire mieux que ce qui nous est proposé en matière d’exécution des décisions, de regroupement familial, de traitement des mineurs ou encore d’intégration.
Je crois que nous sommes d’accord pour estimer que ce énième texte sur l’asile et l’immigration constitue un aménagement technique de notre droit qui ne résoudra pas la dimension structurelle du problème des migrations. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas important : au contraire, il pourrait contribuer à changer en profondeur le quotidien des migrants et des agents de l’asile, dont l’engagement doit être salué.
Sur ces questions particulièrement politiques, l’équilibre n’est pas simple à trouver entre, d’un côté, la nécessité d’humanisme, héritée de la tradition française des Lumières, qui demande d’accélérer les procédures et de moderniser le droit des étrangers et, de l’autre, la fermeté indispensable pour rendre les mesures d’éloignement plus réelles pour les déboutés.
Tout au long de la discussion de ce projet de loi, nous avons souhaité conserver une approche mesurée, raisonnable. Nous voulons rappeler que la question migratoire doit être abordée en France, c’est l’objet de ce texte, mais aussi au niveau européen, sans lequel rien ne sera possible, et au sein des pays sources, tant le développement de ces derniers est une clef déterminante dans la résolution de ce sujet.
Madame la ministre, mes chers collègues, nous devons en avoir conscience, la crise migratoire est encore devant nous, pour de nombreuses années. Et ce n’est qu’avec une réponse coordonnée à ces trois échelons que nous pourrons apporter une réponse empreinte d’humanité et de fermeté, lorsque cela est nécessaire, à la crise que nous connaissons. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la question migratoire est devenue l’une des principales variables des relations internationales. Pas plus tard que la semaine dernière, nous débattions, ici même, de l’opportunité de la ratification d’un accord entre la France et l’Autriche relatif à la réadmission des personnes étrangères.
Cette question est aujourd’hui instrumentalisée comme un puissant levier diplomatique par les pays bénéficiant de grandes diasporas ou stratégiquement placés sur les routes de l’exil.
En Méditerranée, les flux migratoires conditionnent désormais les relations entre l’Union européenne et les pays du contour sud, à tel point que certains chercheurs, comme Henry Laurens et Manon-Nour Tannous considèrent que le pacte euro-méditerranéen n’est plus « qu’une triple mise à distance des États à qui l’on refuse l’adhésion, des migrants et des potentiels terroristes ».
Cette importance croissante des migrations dans le monde nous impose de repenser en profondeur nos politiques étrangères de développement et de lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi, et surtout, notre politique intérieure d’accueil et d’intégration des personnes étrangères, qu’elles sollicitent l’asile ou des titres de séjour de droit commun.
Sur ce deuxième point, l’œuvre de l’Union européenne est balbutiante, et l’on en constate tous les jours les limites. Dans nos centres de rétention administrative, les déficiences du système de Dublin sont encore plus palpables pour les agents chargés d’organiser les flux des reconduites à la frontière.
À ceux qui sont exposés aux regards hagards et aux questions lancinantes d’individus perdus dans le labyrinthe administratif dublinois, comment expliquer les dysfonctionnements de procédures qu’ils ont pourtant la tâche d’exécuter ?
Personne n’ignore ici l’impossibilité de rendre effectives toutes les reconduites à la frontière prononcées, tant que nos partenaires continueront de filtrer les retours par le biais des laissez-passer consulaires. Il est au demeurant peu probable qu’ils y renoncent, puisqu’ils manifestent ainsi leur souveraineté et le contrôle de leurs frontières.
Madame la ministre, monsieur le rapporteur, au sein du groupe du RDSE, nous sommes comme vous attachés aux lois de la République, et nous sommes donc les partisans d’une exécution ferme des décisions administratives prises sur leur fondement.
Ce que nous critiquions en première lecture, et ce que nous continuons de critiquer à ce stade des discussions, c’est la fragilisation de l’État de droit qui découlera nécessairement du renforcement des mesures dérogatoires figurant dans le texte issu des travaux de la commission des lois.
Comme je le disais en première lecture, la dégradation des conditions d’accès à la justice des personnes étrangères les concerne en premier lieu, au mépris de leur incontestable vulnérabilité. Mais elle pourrait aussi menacer indirectement le justiciable français, si les expériences conduites en matière de droit des étrangers étaient généralisées devant nos juridictions. Nous craignons en particulier la généralisation du recours à la vidéo-audience, ce qui serait une transformation sans précédent du service public de la justice.
Fidèle à sa tradition, notre Haute Assemblée avait sur ce sujet introduit quelques dispositions protectrices utiles, comme l’encadrement du placement en rétention administrative des mineurs accompagnés et le rétablissement du délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile à sa durée actuelle de trente jours.
La navette a eu quelques vertus. Le maintien de cette deuxième disposition par nos collègues députés est une maigre consolation au regard des propositions de notre groupe et de nombreux collègues pour mieux protéger les enfants étrangers. Selon nous, le recours systématique à l’assignation à résidence était le meilleur compromis entre la protection de la minorité et la nécessité de mettre en œuvre les procédures de reconduite à la frontière.
Nous accueillons favorablement l’encadrement du « délit de solidarité », encore modifié par nos collègues députés en deuxième lecture, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel consacrant la valeur constitutionnelle du principe de fraternité. À ce stade, nous ne pouvons mesurer tous les effets contentieux que produira cette décision audacieuse, mais cela devrait nous conforter, en tant que membres du Parlement, dans l’idée qu’il ne faut pas renoncer au progrès des droits du citoyen en faisant preuve d’une autocensure excessive.
Enfin, si l’atténuation brutale de l’afflux migratoire est peu probable et l’amélioration des reconduites aux frontières impossible, alors l’accueil et l’intégration deviennent incontournables. Ainsi, un usage plus constructif de l’aide au retour volontaire pourrait être fait, en ne l’appliquant qu’à moyen terme, afin de responsabiliser davantage les étrangers souhaitant rejoindre la France pour s’y former et y acquérir des compétences d’avenir.
Cette relation de confiance, établie sur des règles claires, pourrait constituer le ciment d’un développement plus équilibré à travers le monde et favoriser un rayonnement singulier et positif de la France sur la scène internationale.
Au contraire, ce projet de loi nous paraît complexifier un peu plus le droit des étrangers en France, et rester à la surface des enjeux migratoires. C’est pourquoi, comme lors de la première lecture, les membres du groupe du RDSE voteront contre ce texte, dans sa version modifiée par la commission des lois du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les excellents président et rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, je ne vais pas recommencer mon propos d’il y a un mois, parce que je sais que la motion tendant à opposer la question préalable va passer. Je veux simplement vous dire qu’on se bat pour des bouts de chandelles : dans moins d’un an, tout cela risque bien d’avoir disparu comme entité législative. J’entendais hier l’inénarrable Premier ministre hongrois déclarer : « Vous êtes tous bien gentils, mais, pour moi, l’alpha et l’oméga des élections européennes, ce seront les phénomènes migratoires. » Immédiatement, de peur d’être en retard, le Chancelier autrichien a dit : « Moi aussi, j’arrive ! » ; le Premier ministre italien : « Et moi donc ! » ; le gouvernement néerlandais : « Vous avez raison ! » ; et le gouvernement danois : « C’est jamais assez ! »
Puisque, on le voit bien dans nos débats, l’essentiel des règles en matière migratoire ou concernant le droit d’asile correspondent en réalité à des règles européennes, tout ça va en prendre un sacré coup. Combien d’États en Europe sont aujourd’hui sur la ligne française ? Combien d’États disent aujourd’hui qu’il faut absolument respecter le droit d’asile et définir une politique migratoire « humaine » ? Bientôt, on va finir à quatre ou cinq…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce ne sera pas la première fois dans l’Histoire !
M. Roger Karoutchi. Je n’ai interrompu personne !
J’ai bien peur que, après les élections européennes, la loi que vous allez faire passer, madame la ministre, apparaisse complètement décalée par rapport à ce que certains États européens vont demander ou demandent déjà.
La vérité, et personne ne peut s’en glorifier, c’est que les gouvernements, de gauche comme de droite, n’ont pas fait suffisamment en matière d’intégration : ils n’ont pas mis assez de moyens. Le résultat, c’est que, même avant les grosses vagues migratoires de ces quatre à cinq dernières années, on a laissé se créer dans le pays le sentiment confus, désagréable, qu’il n’y avait pas d’intégration ni d’insertion. Je le répète, toutes tendances confondues – je ne fais aucun commentaire politique –, on n’a pas construit assez de centres d’accueil de demandeurs d’asile, on n’a pas réformé assez vite l’allocation pour demandeur d’asile, on n’a pas imposé la connaissance du français, des règles civiques, de la société française. On a laissé tout ça se marginaliser.
Il y a une chose qui me reste en travers de la gorge depuis le début, le rapporteur le sait, c’est que ce soit le même texte pour le droit d’asile et les mouvements migratoires. Ce n’est pas du tout la même chose !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Très juste !
M. Roger Karoutchi. Quand j’entends certains dire qu’il faut respecter la tradition française du droit d’asile, j’ai envie de leur répondre, et je le répète, que ce n’est pas du tout la même chose que la politique migratoire.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Roger Karoutchi. Nous sommes tous ici, gauche, droite – ou nouveau monde –, sur la même ligne : il faut respecter le droit d’asile et refuser que ce droit soit contourné au profit d’une immigration économique. Mais comment redéfinir un droit d’asile cohérent, digne de ce que nous sommes et de l’histoire de notre pays ? Songez – là encore, je n’accuse personne, car tout le monde est responsable – à la manière dont on a traité ceux qui obtenaient le statut de réfugié ou le droit d’asile. Ils ne sont toujours pas bien traités par la République, alors qu’ils devraient être au cœur de notre volonté d’intégration.
On nous dit qu’il faut s’ouvrir aux vagues migratoires. Soit ! Mais, comme je l’ai dit le mois dernier, nous n’avons plus les mêmes moyens qu’il y a vingt ou trente ans. Nous ne sommes plus capables de dire à ceux qui sont l’essence même du droit d’asile et obtiennent le statut de réfugié que nous allons les traiter correctement.
La vérité, c’est qu’il faut tout remettre à plat. Les amendements que j’ai fait adopter sont sûrement très intéressants, mais ce n’est pas eux qui réformeront la politique en la matière. Que fait-on avec l’OFPRA et l’OFII ? Quelles nouvelles missions leur confie-t-on ? Comment se doter d’une politique migratoire et d’une politique du droit d’asile cohérentes, dignes de nous et qui, dans le même temps, correspondent aux moyens matériels et financiers dont nous disposons ?
C’est facile de dire qu’il faut laisser entrer les migrants, mais, comme le disait un orateur, on voit ce qui se passe dans nos grandes villes : des camps se développent. Et qu’est-ce qu’on fait de ces camps ? On l’a encore vu récemment à Paris et en région parisienne : on les déplace, on met trois mois les personnes dans un gymnase, puis, comme la ville finit par hurler, on les déplace dans un gymnase d’une autre ville, qui va accepter de les accueillir si ça ne dure pas plus de trois mois, à l’issue desquels on les déplacera à nouveau. Est-ce que c’est digne ? Non !
Je regrette que le débat au Parlement sur l’orientation de la politique migratoire ne puisse pas avoir lieu ; l’Assemblée nationale n’en a pas voulu. Nous souhaitions que le Parlement ait un droit de regard sur ce qui est digne, correct, cohérent, et sur ce qui ne l’est pas, parce que, comme je l’ai dit la dernière fois, il n’y a pas, d’un côté, ceux qui sont extrêmement généreux et, de l’autre, ceux qui sont extrêmement égoïstes. Il y a simplement à se demander ce que nous sommes capables de faire.
Quand allons-nous dire que les personnes admises sur le territoire avec le statut de réfugié et qui, à terme, vont devenir des Français, doivent être traitées correctement ? Quand allons-nous dire que la manière dont on les traite aujourd’hui est indigne ? Indigne ! C’est précisément parce qu’elle est indigne que nous ne pouvons pas accueillir tous les migrants qui souhaiteraient venir. Bien sûr, si nous étions surpuissants, si nous avions plein de logements vides, plein d’emplois à offrir, nous pourrions être plus généreux. Mais ce n’est pas le cas. Par conséquent, la priorité des priorités, ce sont les demandeurs d’asile, parce que ce sont eux qui fuient la guerre, les persécutions et les massacres. Je ne dis pas que la souffrance économique ne compte pas, mais ce n’est pas pareil.
Faisons au mieux, réformons, mettons les choses sur la table. En effet, dans un an, madame la ministre, après les élections européennes, si l’évolution se poursuit ainsi dans toute l’Europe, vous reviendrez devant nous avec un nouveau texte, parce que notre position ne correspondra plus à la vision européenne et que nous n’aurons pas eu le courage – tous gouvernements confondus –, depuis vingt-cinq ans, de faire face à nos responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Buffet, au nom de la commission, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée en nouvelle lecture, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (n° 697, 2017-2018).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, la commission des lois réunie ce matin a décidé, en application de l’article 44, alinéa 3, de notre règlement, de déposer une motion tendant à opposer la question préalable. Le fondement de cette motion repose principalement sur quatre points que je me dois d’évoquer, même si mon propos risque d’être répétitif par rapport ce que j’ai pu dire au cours de la discussion générale.
En premier lieu, le texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture n’a pris que très marginalement en compte les préoccupations majeures qui avaient été exprimées par la Haute Assemblée,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. … comme l’a d’ailleurs reconnu – j’allais dire presque loyalement – notre collègue rapporteur, Élise Fajgeles, à l’Assemblée nationale.
À l’exception de l’accord trouvé sur le délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile, le fameux délai d’un mois, et l’adaptation du droit du sol à Mayotte, les propositions essentielles du Sénat ont été purement et simplement supprimées : l’organisation d’un débat annuel sur la politique migratoire, la visite médicale des étudiants étrangers, l’inclusion, pour soutenir nos territoires, des lieux d’hébergement des demandeurs d’asile dans le décompte des logements sociaux. Je pourrais également ajouter, entre autres propositions, la transformation de l’aide médicale de l’État en aide médicale d’urgence.
En deuxième lieu, le projet de loi constituait une véritable occasion pour lutter contre l’immigration irrégulière, et nous regrettons que cette opportunité n’ait pas été saisie. Sans aucune stratégie, je l’ai rappelé précédemment, le texte tel qu’il nous revient de l’Assemblée nationale ne comprend aucune des mesures de rigueur que nous avions proposées. Je pense notamment à un meilleur encadrement de l’immigration familiale ou à la réduction du nombre de visas accordés aux pays qui refusent de délivrer des laissez-passer consulaires. J’en profite pour dire à notre collègue Leconte que ce n’est évidemment pas l’alpha et l’oméga de toute politique migratoire ; c’est un élément parmi d’autres. Nous n’oublions pas tout le travail diplomatique qui doit être mené par les affaires étrangères avec les pays sources. Ne cristallisons pas notre débat uniquement sur ce point.
Je citerai aussi l’interdiction juridique du territoire national en cas de condamnation ou le retour en arrière concernant ceux qu’on appelle les « dublinés ». Le texte voté à l’identique par l’Assemblée nationale et le Sénat au mois d’avril dernier a été en partie détricoté des avantages apportés par le Sénat. C’est une vraie difficulté.
De même, les politiques d’intégration demeurent le parent pauvre de ce texte, alors que l’Assemblée nationale aurait pu utilement reprendre des mesures que nous avions proposées, telles que l’évaluation de la formation en français et l’augmentation du nombre d’heures de cours, car il n’y a pas de politique migratoire réussie sans une intégration réussie. Au demeurant, réussir une intégration, c’est se donner les moyens de cette réussite, ce qui passe notamment, mais pas uniquement, par l’apprentissage de la langue. Nous avions également formulé des propositions intéressantes sur l’amélioration du contrat d’intégration, avec une meilleure connaissance du fonctionnement de notre République. Enfin, une évaluation par des cabinets extérieurs aurait été utile.
En troisième lieu, l’Assemblée nationale a adopté en nouvelle lecture deux nouvelles mesures qui constituent une entorse à la règle de l’entonnoir, qui résulte de l’article 45 de la Constitution : la suppression du rôle de coordination des centres provisoires d’hébergement en matière d’intégration des réfugiés, à l’article 9 bis du projet de loi, et une habilitation à légiférer par ordonnances pour réformer le contentieux des étrangers devant les juridictions administratives et créer des procédures d’urgence devant la CNDA, à l’article 27 du projet de loi.
Enfin, en quatrième lieu, un désaccord profond demeure entre la majorité du Sénat et celle de l’Assemblée nationale sur l’organisation de la durée de rétention, plus communément appelée le « séquençage ». Le dispositif adopté par l’Assemblée nationale ne paraît satisfaisant pour personne, ni pour l’étranger ni évidemment pour notre administration.
Autre point important : la limitation de la durée de rétention des mineurs accompagnants. La durée maximale de cinq jours a été supprimée par l’Assemblée nationale.
C’est pour l’ensemble de ces raisons – il en existe bien d’autres, mais ce sont les principales – que la commission des lois a décidé ce matin d’opposer à ce texte la question préalable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, contre la motion.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à dire ici, très calmement, qu’il s’agit d’une question préalable de confort.
Monsieur le rapporteur, je vous ai écouté avec soin, et vous avez défendu votre position avec clarté. Vous auriez cependant pu conclure votre discours en disant non pas « c’est pour l’ensemble de ces raisons qu’il faut adopter la question préalable », mais « c’est pour l’ensemble de ces raisons que je vais vous proposer, mes chers collègues, un certain nombre d’amendements ».
Mes chers collègues, il n’aura échappé à personne que, pour que la question préalable soit adoptée, il faut que certains la votent – chacun peut encore réfléchir – et que d’autres s’abstiennent. Or tous ont des positions très différentes, voire contradictoires. C’est avéré ! Il suffit d’avoir écouté les uns et les autres, dont les positions sont très respectables, pour le constater.
Madame la ministre, vous pourriez m’objecter que, lorsque vous étiez venue présenter ce texte, j’avais moi-même défendu une motion tendant à opposer la question préalable. Toutefois, il s’agissait alors de dire que ce texte était inutile et qu’il valait mieux ne pas se lancer dans son examen. Là, c’est tout à fait différent : il y a un texte issu de l’Assemblée nationale qui, si nous ne faisons rien, sera demain la loi.
J’avais soulevé à l’époque des points de réflexion qui méritent encore d’être entendus, par exemple le fait que le Conseil d’État avait estimé que ce texte était inutile, en faisant valoir que ni les effets de la loi de 2015 ni les effets de celle de 2016 n’avaient été évalués. On n’évalue les effets d’aucune loi, on ne dispose d’aucun élément, mais on en fait une nouvelle… Peut-être est-ce pour rassurer, ou tenter de rassurer, une partie de l’opinion… Dites-vous bien que, sur ce chemin, d’autres seront malheureusement toujours plus forts que vous, et que nous, hélas !
M. Jean-Yves Leconte l’a très bien dit, et je l’en remercie : face aux questions de fond qui se posent, on a besoin d’un grand texte sur les migrations, c’est-à-dire sur le droit d’asile, auquel nous sommes très attachés, sur les migrations économiques et ce qu’elles impliquent en termes de travail au niveau de l’Europe et de rapports entre l’Europe et l’Afrique, et sur les migrations climatiques, qui arriveront, comme plusieurs d’entre vous l’ont souligné.
M. Karoutchi a eu raison de regretter qu’il y ait eu un seul texte pour l’asile et l’immigration.