Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard. (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. Alain Richard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à l’occasion de l’examen en nouvelle lecture de ce projet de loi, notre groupe exprime de nouveau une position politique globalement favorable au texte issu de l’Assemblée nationale, lequel reste en cohérence avec la proposition initiale du Gouvernement, c’est-à-dire la volonté de faciliter l’accueil des réfugiés, tout en mettant en place et en renforçant les procédures qui permettent de renvoyer effectivement les personnes dépourvues de droit au séjour.
Notre approche politique est différente de celle du rapporteur et de la majorité sénatoriale qui, à l’occasion de l’examen de ce texte, ont voulu élaborer un contre-projet, comme l’a dit M. Buffet en commission ce matin, bien qu’il ait un peu adouci la formule il y a un instant en parlant d’un nouveau projet…
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je vous ai entendu !
M. Alain Richard. … qui, s’appuyant sur divers arguments, s’oppose à la cohérence du projet gouvernemental.
J’en profite d’ailleurs pour reconnaître, comme je l’avais déjà fait, les apports constructifs et très bien conçus de la commission sur un certain nombre de sujets concrets, donnant lieu à une forme de convergence avec le Gouvernement.
Je voulais surtout souligner qu’un nombre important d’apports du Sénat ont été retenus par l’Assemblée nationale. Là encore, je donnerai un éclairage un peu différent de celui du rapporteur, même si la liste des mesures est comparable. Je mettrai simplement un peu plus en lumière les mêmes concessions.
Il y a tout d’abord l’extension du droit d’asile aux personnes victimes ou menacées par des persécutions à caractère sexuel. On trouve également dans le texte une précision sur la capacité de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides à accueillir dans des pays tiers des candidats au titre de réfugié.
Par ailleurs, le projet de loi maintient à trente jours le délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile, avec une évolution du délai de l’aide juridictionnelle, et comporte encore d’autres mesures importantes, comme la concertation organisée avec les collectivités territoriales sur les schémas régionaux d’accueil des demandeurs d’asile, le droit du sol encadré à Mayotte et l’établissement d’une carte de séjour pour les jeunes au pair.
Nous considérons donc que le bicamérisme a joué son rôle positif, malgré l’absence d’accord global en commission mixte paritaire. Je crois que c’est de bonne foi que la majorité des députés, favorable à ce texte, a englobé une partie significative des apports du Sénat.
Chacun sait que, chaque année, au moment du bilan de l’application des lois, nous faisons une statistique sur la proportion des textes adoptés ayant repris des dispositions du Sénat. Celles que je viens de mentionner figureront en conséquence dans la colonne positive.
En revanche, il est exact de dire que le texte issu de l’Assemblée nationale s’inscrit dans la logique politique de la majorité de l’Assemblée nationale et du Gouvernement. Cela signifie que certains apports emblématiques de l’opposition, représentée ici par la majorité sénatoriale, n’ont pas été pris en compte, comme la transformation de l’aide médicale de l’État, le refus automatique du statut de réfugié en cas de motif d’ordre public, ou encore une disposition, en l’occurrence non normative, obligeant le Gouvernement à refuser des visas, alors qu’il s’agit d’une prérogative purement gouvernementale.
Nous pouvons conclure que le dialogue entre les deux assemblées s’est déroulé positivement, normalement, et qu’il est tout à fait compréhensible, à la date à laquelle je parle, et compte tenu de l’ampleur prise par le débat, que la majorité de la commission dépose une motion tendant à opposer la question préalable.
Simplement, gardons le sens des lignes politiques. L’adoption de cette motion peut avoir deux sens : soit un refus global de la logique du texte – c’est la position du rapporteur et d’une partie de la majorité sénatoriale –, soit le constat pragmatique que le contenu du projet de loi est stabilisé…
M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !
M. Alain Richard. … et qu’un examen en nouvelle lecture n’a pas énormément d’intérêt – c’est notre position. (M. Roger Karoutchi rit.)
Par conséquent, comme il ne nous paraît pas cohérent que les adversaires et les partisans d’un texte se retrouvent dans un même vote,…
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Alain Richard. … nous nous abstiendrons sur la motion et laisserons la responsabilité à la majorité sénatoriale, en tout cas à ceux de cette majorité qui en font le choix, d’adopter cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que plusieurs mouvements populistes, voire néofascistes, creusent leur sillon au cœur de l’Europe, le dossier des migrants s’est installé ces derniers mois comme une thématique d’actualité importante et révélatrice d’une profonde crise au sein de l’Union européenne.
Avec – certainement – en ligne de mire l’échéance électorale à venir et – justement – le scrutin européen de mai prochain, le Gouvernement et sa majorité En Marche défendent depuis avril un texte traitant à la fois du droit d’asile et du droit des étrangers, en s’attaquant aux droits fondamentaux et à la dignité humaine.
Madame la ministre, je vous le dis d’emblée, les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste s’opposeront de nouveau très fermement à ce projet de loi, qui tend à refermer le pays des droits de l’homme sur lui-même, et ce dans un double objectif.
D’abord, il vise à montrer aux migrants qu’il ne faut surtout pas demander l’asile en France ; ensuite, il tend à rassurer les électeurs ou les sympathisants d’extrême droite (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.), puisque toutes les conditions sont réunies pour bafouer le droit d’asile et mettre à mal l’accueil de migrants à tout autre titre.
Sans viser le même objectif précis, mais en tout cas en respectant les mêmes finalités générales, la majorité sénatoriale a fait adopter un certain nombre de mesures qui ont durci le texte et qui ont d’ailleurs fait échouer la commission mixte paritaire : l’introduction d’un vote parlementaire sur le nombre d’étrangers admis au séjour, par catégories, pour les trois ans à venir, la suppression de l’article 1er relatif à la délivrance de titres pluriannuels aux apatrides et bénéficiaires de la protection subsidiaire, le durcissement des conditions de réunification et de regroupement familial, ou encore la suppression de l’aide médicale de l’État.
Cependant, s’agissant de l’économie générale du texte, il n’existe pas, selon nous, de profonde divergence entre les deux majorités parlementaires et, donc, entre la droite et le Gouvernement. Je rappelle que l’une des mesures les plus préoccupantes que le Sénat ait introduites a été adoptée in extenso par les députés du groupe La République en Marche : la limitation du droit du sol à Mayotte qui rend obligatoire, pour les enfants nés à Mayotte, la présence de manière régulière sur le territoire national de l’un de leurs parents depuis plus de trois mois au jour de leur naissance.
Une brèche est ainsi ouverte dans le droit du sol, et l’amendement proposé par le député Guillaume Larrivé, qui a défendu l’extension de cette restriction à l’ensemble du territoire « au nom de l’unité du droit de la nationalité », ne fait que confirmer notre inquiétude !
Ainsi, l’équilibre revendiqué par la majorité à l’Assemblée nationale ne nous satisfait pas davantage et représente au contraire, pour nous, un leurre. Finalement, nous n’approuvons pas le texte, que ce soit dans sa version sénatoriale « aggravée » ou dans sa version initiale, quelque peu amendée par l’Assemblée nationale, qui portait déjà gravement atteinte au droit d’asile et aux droits des étrangers. Il y a peu, Gérard Collomb, qui souhaitait voir la loi adoptée avant le mois de septembre, indiquait que « l’aile gauche [n’était] pas représentative de la majorité ».
Le mois dernier, lors du long débat qui a eu lieu sur ce texte au Sénat, nous avons eu l’occasion d’exprimer l’ensemble des positions de notre groupe, que ce soit à travers la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité que nous avons déposée, ou à travers la centaine d’interventions que nous avons effectuées. Aussi vais-je me borner à l’essentiel.
La grande majorité de nos amendements a été rejetée : ils n’exprimaient pourtant pas une idée très révolutionnaire de notre politique migratoire. Il s’agissait simplement d’améliorer les conditions de vie et d’accueil des personnes, en respectant l’intérêt supérieur de l’enfant, en veillant notamment aux droits fondamentaux : un toit, la santé, les besoins alimentaires ainsi que, éventuellement, les mêmes droits de recours que pour tout justiciable et un accès facilité au travail…
En outre, ces amendements veillaient à garantir le respect des principes fondamentaux auxquels notre pays a souscrit dans sa Constitution et dans ses engagements internationaux, considérant que, dans une Europe en proie à la montée des nationalismes, la France devait prendre ses responsabilités et réaffirmer les valeurs qu’elle a toujours défendues, et qui sont au fondement de notre République.
Je le répète, car cela est suffisamment grave pour être répété autant que de besoin, on estime à 148 millions le nombre des réfugiés climatiques à l’horizon de 2050, dont 5 millions pourraient venir en Europe.
Mes chers collègues, je vous pose la question : qu’en ferons-nous ?
Une chose est sûre : ce projet de loi et les postures politiciennes adoptées par les uns et les autres ne proposent aucune issue à ce défi humanitaire et sont loin d’être à la hauteur. Croyez bien que nous le regrettons et continuerons à faire entendre notre voix en ce sens.
Enfin, je finirai mon intervention par la seule bonne nouvelle de ces dernières semaines. (M. Roger Karoutchi s’exclame.) Eh oui, il y a tout de même une bonne nouvelle, mon cher collègue ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Ah bon ?
Mme Éliane Assassi. La fraternité devra désormais être respectée comme principe constitutionnel. Le Sénat s’honorerait à respecter la décision des sages en abrogeant totalement le délit de solidarité, qui n’est pas digne de notre devise républicaine.
« Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! » écrivait Voltaire dans son Traité sur la tolérance. Mes chers collègues, face à l’obscurantisme de certains, puisse le siècle des Lumières continuer à nous éclairer ! (M. Pascal Savoldelli applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la motion tendant à opposer la question préalable sera à l’évidence adoptée. La plupart des membres du groupe Union Centriste ne participeront pas au vote ou ne la voteront pas, même si une partie non négligeable du groupe doit voter en sa faveur.
Nous souhaitions un accord en commission mixte paritaire, une position commune du Parlement sur un sujet aussi important. Nous reconnaissons volontiers, madame la ministre, que le texte proposé constituait une amélioration, oscillant entre humanité et protection du droit existant, en particulier avec certains apports du Sénat.
Nous n’étions pas dans l’idée de proposer un contre-projet. Notre analyse repose sur l’idée que l’échec des formations dites de gouvernement – ou de responsabilité – à trouver des accords sur ce type de sujet ne sert aucune d’entre elles, même quand elles sont dans l’opposition, et sert uniquement les extrêmes.
À cet égard, je souhaite vous faire part de nos insatisfactions, de nos convictions et, pour conclure, formuler une proposition.
Dans un premier temps, je tiens à exprimer nos insatisfactions. Nous n’avons pas pu échapper à une vision en noir et blanc, à forte dimension affective ou morale, probablement en raison de la procédure accélérée – vous le savez, mes chers collègues, elle n’est pas pertinente quand il s’agit d’examiner des sujets de société – et, peut-être aussi, en raison de l’instabilité législative. Nous sommes en effet saisis de la vingt-neuvième réforme en matière de droit des étrangers depuis 1980.
Il est en réalité difficile de mesurer ou d’analyser ce qui pourrait être efficace à court, moyen ou long terme dans le texte issu de l’Assemblée nationale. Maîtriser l’immigration est, à notre sens, la tâche d’une génération et relève, donc, d’une logique qui doit être étudiée dans une perspective de long terme.
Ce texte peine aussi à offrir une vision globale. Et pour cause !
Nous sommes devant des problèmes complexes, interdépendants, multifactoriels, avec des pays de départ, des pays de transit et des pays d’arrivée. La difficulté, pour l’exécutif comme pour le Parlement, est de travailler sur l’ensemble du dispositif : le traitement des migrations le plus en amont possible, l’aide au développement, le renforcement des frontières extérieures de l’Union européenne, les accords entre États pour éviter les mouvements secondaires, l’hébergement, les délais d’accès, les délais d’instruction, la reconduction de ceux qui ne bénéficient pas du statut de réfugié et l’intégration de ceux qui en bénéficient.
Oui, mes chers collègues, ce manque de stratégie globale, à l’échelle tant de la France que de l’Union européenne, explique l’insatisfaction de notre groupe, toutefois conscient que cette situation reflète les tensions parcourant la société civile française et européenne sur ces sujets.
J’en viens à nos convictions.
Depuis le début de nos débats, nous sommes convaincus que, pour être efficace, la politique de l’asile et de l’immigration doit être envisagée à l’échelle européenne.
Nous ne méconnaissons pas la souveraineté et l’identité des nations. Nous n’entendons pas nous défausser, sur le niveau européen, de la responsabilité qui est la nôtre vis-à-vis de nos concitoyens ou de notre devoir d’efficacité à leur égard – sur cette question, comme sur toute autre. Loin de nous, également, l’idée ravageuse d’« opposer les élites et les peuples », pour reprendre une formule trop souvent employée.
Notre conviction est celle d’une souveraineté partagée. Il n’y a pas un volet communautaire, un volet intergouvernemental et, enfin, un volet franco-français. Pour nous, tout est lié. La souveraineté partagée sous-tend le renforcement de notre identité nationale comme de notre souveraineté d’État. Ce sont des éléments consubstantiels.
Dans le prolongement de l’affirmation de nos convictions, je voudrais insister sur deux points qui nous apparaissent comme des priorités.
La première priorité concerne la reconnaissance mutuelle, au moins entre une majorité de pays européens, des décisions en matière de droit d’asile, pour éviter le dépôt dans un pays donné d’une demande qu’un autre pays aurait refusée. Parmi les problèmes que nous avons à traiter, la question des mouvements secondaires, souvent évoquée par notre rapporteur François-Noël Buffet, est très importante.
La deuxième priorité concerne une correction du règlement dit « Dublin III ». Si des migrants entrant dans un pays européen laissent leurs seules empreintes, sans déposer de demande d’asile, et qu’ils rejoignent ensuite un pays voisin, ils ne peuvent pas y demander l’asile avant un délai d’un an et demi. Selon les praticiens, c’est une véritable incitation à la clandestinité, car les intéressés vont attendre, dans des conditions extrêmement négatives pour la société, l’expiration de ce délai pour faire une demande.
Ce sont deux sujets sur lesquels, madame la ministre, nous vous demandons de vous faire notre interprète afin que les dispositifs évoluent.
La proposition de mon groupe – et j’en terminerai là – est d’envisager l’étude d’une modalité de suivi conjoint entre le Parlement et l’exécutif. J’allais presque dire que le suivi du texte est aussi important que le texte lui-même, et je ne parle pas là, seulement, de l’évaluation correspondant à l’une des missions importantes du Parlement…
Dans ce domaine, nous faisons face à des phénomènes continus d’avancée et de recul, de stop and go. Il est probable qu’une trentième réforme sera assez vite envisagée, ne serait-ce que pour respecter les accords trouvés en Conseil européen. La création de plateformes régionales de débarquement en dehors de l’Union européenne ou de centres dits « contrôlés » sur base volontaire au sein de l’Union européenne pour séparer les réfugiés considérés comme éligibles à la protection et les migrants économiques supposerait, bien sûr, de nouvelles dispositions législatives.
Ce qui me semble important, madame la ministre, au risque d’insister une dernière fois, c’est que nous puissions avoir, sur cette problématique, non pas une vision technique – article par article, sujet par sujet –, mais une vision globale de l’ensemble de la question migratoire et du droit d’asile. D’ailleurs, je suis plutôt convaincu qu’il aurait mieux valu commencer par traiter du droit d’asile.
Mais, au point où en sont les choses, il faut un traitement global, inscrit dans des logiques de long terme. Pour cela, il faut aussi intégrer, dans nos débats, le suivi des discussions européennes, car les premiers et les secondes sont liés.
C’est pourquoi nous nous permettons d’insister sur une logique de groupe ou de comité de suivi, selon une modalité à déterminer – et il appartient, bien sûr, à l’exécutif de voir comment celui-ci pourrait fonctionner. En tout cas, cela nous permettrait d’envisager d’être opérationnels dans la durée, ne serait-ce, aussi, que par souci d’efficacité si une trentième réforme dans ce domaine se présentait à nous. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, voilà probablement l’un des sujets qui heurtent ou interrogent le plus notre responsabilité politique, notre conception de l’action politique : l’asile et les migrations – migrations qui sont aussi vieilles que l’Humanité et, oserai-je même dire, en sont une partie constitutive.
Or que constate-t-on aujourd’hui en France, en Europe et même au-delà ? Un risque de convergence entre deux types d’attitudes.
Il y a d’abord ceux qui, par conviction ou par calcul, accompagnent et exacerbent les peurs de certains citoyens français ou européens, les manipulent pour parvenir au pouvoir et mener des politiques profondément inhumaines. Il y a ensuite ceux qui, percevant les peurs exprimées dans la société, tentent d’y répondre, quitte à remettre à plus tard les vraies solutions, susceptibles de fournir des réponses de long terme.
La convergence entre ces deux attitudes politiques constitue aujourd’hui un danger majeur !
Tout au long de ce débat, j’ai peu entendu relever ce qui, pourtant, est une constante s’agissant de mobilité et de migrations. De tout temps, celles-ci ont favorisé l’activité économique, la connaissance et les échanges ! Dans la situation actuelle de la planète, il ne serait pas inutile de poursuivre une telle démarche !
Bien entendu, cela ne signifie pas qu’il faut faire tout et n’importe quoi, et sans ordre. Mais considérer que l’immigration est un élément négatif ou laisser croire, de par ses attitudes, qu’elle est intrinsèquement mauvaise, c’est engendrer une spirale qui nous conduira à notre perte !
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jean-Yves Leconte. Autre élément majeur, pour répondre aux inquiétudes et aux peurs, en particulier sur le dumping social, il faut un droit du travail robuste, garantissant à toutes et à tous une protection identique. Dès lors, il sera possible de répondre aux craintes de ceux qui croient que d’autres peuvent leur prendre leur travail !
Aujourd’hui, alors que l’Europe est loin d’être la première destination des migrations actuelles, elle est prisonnière de ses peurs et complètement handicapée par celles-ci. Elle est affaiblie. Face à ses voisins et à ses partenaires, elle semble prête à renoncer aux principes qu’elle prétend fondateurs pour pouvoir se défendre contre une invasion supposée. Ce n’est pas raisonnable !
Entendre un certain nombre de « responsables », dans cet hémicycle et ailleurs, prétendre qu’il faudrait faire de la politique des laissez-passer consulaires l’alpha et l’oméga de nos relations bilatérales avec certains de nos partenaires est irresponsable. On ne peut pas ne pas parler de sécurité avec certains de nos voisins ! On ne peut pas vouloir résoudre à long terme la question des migrations sans parler de développement ! On ne peut pas lutter à long terme contre l’immigration illégale sans accepter une certaine dose d’échanges intellectuels, familiaux, commerciaux, permettant de diminuer ces différences de potentiel qui, aujourd’hui, posent énormément de problèmes.
En définitive, c’est en empêchant les mouvements légaux qu’on multipliera les mouvements illégaux.
Il faut donc organiser la légalité – une légalité réaliste – et c’est tout le contraire que l’on nous propose aujourd’hui, en particulier avec cette mesure visant à lier laissez-passer consulaires et délivrances de visas.
Si l’on veut lutter contre les départs vers l’Europe de la jeunesse de certains pays, il faut casser les mythes ! Celui qui part, par exemple, de Guinée vers la France ne doit pas pouvoir, systématiquement, raconter le film d’une réussite qui n’est pas réelle. Il faut faire en sorte que des gens puissent se rendre compte que ce n’est pas vrai, plutôt que de laisser ainsi des mythes se construire, chaque fois plus forts. Alors, chacun racontera son propre film, et ceux qui seront restés sur place auront encore plus envie de venir en Europe. Ce n’est pas ainsi que le problème se résoudra !
Y a-t-il une opposition entre l’Assemblée nationale et le Sénat ? Non ! Des décalages existent, effectivement, mais pas d’opposition !
On constate un certain nombre d’aggravations dans le texte adopté par l’Assemblée nationale.
Je citerai d’abord le retour de l’orientation directive sans hébergement garanti pour les demandeurs d’asile – une aberration absolue ! Comment peut-on obliger les gens à aller dans une région sans leur garantir d’hébergement ?
J’y ajouterai le refus de l’encadrement et de la limitation dans le temps de la rétention des enfants, pourtant proposés par notre rapporteur ; le refus, en dépit de la particularité de ces territoires, d’une prise en compte de la situation de l’outre-mer au conseil d’administration de l’OFII ; le refus d’accélérer certaines procédures administratives avec, en miroir, la réduction des délais imposée pour certaines démarches des demandeurs d’asile. Je fais référence, ici, au fait que l’Assemblée nationale a refusé d’encadrer les délais de délivrance des cartes de séjour après décision favorable, alors que les demandeurs d’asile se sont vu imposer, à de multiples reprises, une réduction des délais qu’ils doivent respecter.
Enfin, l’Assemblée nationale – et là, pour le coup, c’est heureux – est revenue sur la volonté du Sénat de réduire l’attractivité de notre pays pour les étudiants étrangers.
Mais c’est une petite évolution, alors que les convergences entre les deux assemblées sont, elles, nombreuses : pas de prise en compte réelle et sérieuse du principe de fraternité rappelé par le Conseil constitutionnel ; acceptation de la compétence liée de l’OFPRA pour les remises en cause de statuts en cas de menace – nous sommes opposés, non pas à la possibilité d’une telle remise en cause, mais à l’instauration de la compétence liée – ; acceptation d’une notification par tous moyens ; lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité – nous n’aurions rien contre, si un tel système n’était pas susceptible d’empêcher de vrais pères de reconnaître leur enfant, ce qui me semble beaucoup plus grave.
En outre, alors que l’effet suspensif des recours devant la CNDA avait été généralisé par la loi Cazeneuve de 2015 – à la suite d’un certain nombre de condamnations de la Cour de justice de l’Union européenne –, le Sénat et l’Assemblée nationale se sont entendus pour revenir à un recours non suspensif, avec la création d’une véritable usine à gaz.
De la même manière, les deux chambres ont acté le principe d’une durée de rétention passant de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours. Or, on le sait, c’est dans les vingt premiers jours de rétention que l’on arrive à éloigner les personnes en situation irrégulière. Les comparatifs européens démontrent également que le « tout rétention » n’est pas la meilleure solution en termes d’éloignement et ne vaut pas les solutions alternatives. Ainsi, mes chers collègues, je vous invite à comparer le nombre de personnes éloignées en Allemagne et le nombre de places dans les centres de rétention de ce pays. Vous verrez que ce n’est pas par une politique de « tout rétention » que l’on peut éloigner rapidement.
Avant de conclure, je veux évoquer le scandale de Mayotte. (Mme Marie-Noëlle Lienemann acquiesce.)
On remet en cause les principes du droit à la nationalité, qui s’appliquent à tous sur le territoire de la République, en ouvrant trois boîtes de Pandore.
Premièrement, on fait croire que c’est le droit du sol qui s’applique en France. Or ce n’est pas vrai ; notre droit de la nationalité est plus complexe que cela !
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Jean-Yves Leconte. Et on ajoute : « Ce ne sera plus le cas à Mayotte, mais ce le sera ailleurs ! »
Deuxièmement, mes chers collègues, et je vous le dis en tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, ayant connaissance de nombreux dossiers de demandes de nationalité, en provenance, notamment, d’Algérie, vous allez rendre ingérable, pendant cinquante ou cent ans, la question des certificats de nationalité des personnes nées à Mayotte ! Les Mahorais vont maudire, pendant un siècle, tous ceux qui auront voté cet amendement, tellement il complexifiera leur droit à la nationalité et leur capacité à obtenir des certificats de nationalité.
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. Jean-Yves Leconte. Troisièmement, par rapport à la situation de Mayotte en droit international, c’est un peu, me semble-t-il, comme si on s’insérait dans les résolutions des Nations unies, lesquelles rappelaient la souveraineté des Comores sur Mayotte.
Ce sont donc trois boîtes de Pandore que l’on ouvrirait, pour pas grand-chose, et ce alors même que le projet de loi continue à considérer Mayotte comme un centre de rétention à ciel ouvert.
Car, mes chers collègues, un étranger en situation régulière à Mayotte n’a pas le droit de venir dans l’Hexagone ! Pourquoi ? Cela a été refusé à l’Assemblée nationale ! Cela a été refusé au Sénat ! Or nos collègues de Mayotte avaient déposé des amendements sur ce point…
Donc, d’un côté, on estime qu’il faut protéger l’Hexagone et que chacun doit rester à Mayotte ; de l’autre, jugeant la situation à Mayotte insupportable, on remet en cause le principe de la nationalité. C’est intolérable !