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Souhaits de bienvenue à une nouvelle sénatrice
M. le président. Mes chers collègues, avant de suspendre la séance, je salue la présence parmi nous de Mme Cathy Apourceau-Poly, devenue sénatrice du Pas-de-Calais le 1er juillet dernier, en remplacement de M. Dominique Watrin.
Au nom de la Haute Assemblée tout entière, je lui souhaite la bienvenue. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Lutte contre la fraude
Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons l’examen, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude.
Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus, au sein du titre II, à l’article 9.
TITRE II (suite)
RENFORCEMENT DES SANCTIONS DE LA FRAUDE FISCALE, SOCIALE ET DOUANIÈRE
Article 9
I. – Après le mot : « involontaires », la fin de l’article 495-16 du code de procédure pénale est ainsi rédigée : « ou de délits politiques. »
II. – Au premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale, la référence : « n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles » est remplacée par la référence : « n° …. du …. relative à la lutte contre la fraude ».
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Voici maintenant que nous parvient, à ce stade de l’examen de ce texte, le « plaider-coupable », comme une sorte de précaution à prendre avant la disparition de plus en plus probable du verrou de Bercy et la banalisation de la procédure pénale en matière de délinquance financière, notamment de fraude fiscale.
La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, familièrement dénommée « plaider-coupable », a été instituée en droit français par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
Dans le cadre de cette procédure, la personne qui reconnaît le principe de sa culpabilité se voit proposer une peine par le procureur de la République. Si elle accepte cette peine, celle-ci devient exécutoire après homologation par un magistrat du siège. Cette procédure, dans laquelle les faits ne sont examinés que de manière très superficielle et dont la publicité est limitée à une fenêtre de quelques minutes au cours de laquelle le fond n’est pas abordé, ne constitue qu’un mode dégradé de gestion productiviste des flux dans un contexte de pénurie de moyens matériels et humains.
Le législateur de 2004 avait expressément interdit le recours à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour les délits prévus par des lois spéciales, cette disposition visant à titre principal et spécifique le délit de fraude fiscale.
Il avait en effet été considéré avec raison que l’exemplarité attachée aux poursuites pénales de ce chef était incompatible avec une procédure dont les principales caractéristiques sont la superficialité et la discrétion.
En application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel précisant les conditions du cumul des sanctions fiscales et des sanctions pénales, la justice ne peut connaître que des faits de fraude fiscale présentant une toute particulière gravité en raison des montants fraudés, du mode opératoire adopté ou de la qualité particulière du fraudeur. Autrement dit, s’il existe un domaine du droit où l’on ne peut mettre en œuvre le plaider-coupable, c’est bien celui de la fraude fiscale !
Quel est l’objectif de l’article 9 ? Dans les faits, essentiellement dispenser un certain nombre de justiciables a priori jouissant d’une assez bonne réputation de se retrouver confrontés aux tourments d’une justice qui viendrait à s’appliquer dans toute sa rigueur et, ne l’oublions pas, toute son équité.
Le plaider-coupable, c’est tout de même l’arme confiée au fort pour être mieux traité que le faible devant les tribunaux !
M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?
Mme Nathalie Delattre, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Mon cher collègue, vous proposez de supprimer la procédure du plaider-coupable. Or la commission des lois, comme je l’ai rappelé au cours de la discussion générale, est favorable à l’extension à la fraude fiscale de cette procédure. Respectueuse des droits de la défense, celle-ci se déroule sous le contrôle d’un juge et permet d’obtenir une condamnation plus rapide.
Nous sommes favorables à ce type de procédures qui contribuent à désengorger nos tribunaux correctionnels et qui n’ont, bien sûr, rien d’automatique, puisqu’elles sont proposées par le procureur lorsqu’elles sont jugées appropriées pour traiter d’une affaire dans le cadre de la politique pénale définie par le Gouvernement.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote sur l’article.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je veux rapidement expliquer la position de mon groupe sur cet article.
La reconnaissance préalable de culpabilité est une disposition très particulière et n’est pas, en soi, extraordinairement satisfaisante. Cependant, elle a trouvé sa place dans l’organisation judiciaire française au fil du temps.
Un mot est très important : « culpabilité ». Nous aurons l’occasion de dire tout à l’heure ce que nous pensons de la convention judiciaire d’intérêt public, qui a le défaut de faire l’impasse sur l’étape de reconnaissance de la culpabilité.
Dès lors que cette procédure est ouverte à toute une série d’infractions, il n’y a pas de raison d’en exclure la fraude fiscale. En dépit de son caractère très particulier, nous y sommes finalement favorables, dès lors qu’il y a reconnaissance de culpabilité.
M. le président. Je mets aux voix l’article 9.
(L’article 9 est adopté.)
Article 9 bis (nouveau)
Au premier alinéa du I de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, les mots : « le blanchiment des infractions prévues aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, ainsi que pour des infractions connexes, à l’exclusion de celles prévues aux mêmes articles 1741 et 1743 » sont remplacés par les mots : « les infractions prévues aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, ainsi que pour des infractions connexes ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 63 est présenté par Mme Taillé-Polian, MM. Botrel, Carcenac et Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly, Lurel et Raynal, Mme de la Gontrie et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 85 est présenté par MM. Bargeton, Patient, Rambaud, de Belenet, Mohamed Soilihi, Richard et les membres du groupe La République En Marche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour présenter l’amendement n° 63.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. J’en parlais à l’instant, la commission des lois a souhaité élargir le champ de la convention judiciaire d’intérêt public, ou CJIP, dispositif introduit par la loi Sapin II et qui est entré en vigueur il y a un an.
La particularité de la convention judiciaire d’intérêt public, c’est la transaction. La partie poursuivante, à savoir le parquet, et l’auteur de l’infraction se mettent d’accord sur une sanction, ce qui signifie l’absence de toute reconnaissance et de tout prononcé de culpabilité, de toute inscription au casier judiciaire et, ce n’est pas anodin, d’empêchement d’accéder aux marchés publics.
Indépendamment du montant de la transaction qui peut être opérée – on connaît deux cas à ce jour de mise en œuvre de la CJIP –, certains principes sont affaiblis, ce qui pourrait donner le sentiment, quoi qu’on en dise, d’une justice qui ne serait pas la même pour tous.
Depuis le début de ce débat, il est beaucoup question de name and shame, de connaissance des responsables, de la nécessité pour les auteurs d’infraction de reconnaître leur culpabilité. Or cette procédure va à rebours de cela.
Par conséquent, nous sommes défavorables à l’extension souhaitée par la commission des lois de la faculté pour le parquet ou pour une partie poursuivie de conclure une convention judiciaire d’intérêt public.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour présenter l’amendement n° 85.
M. Didier Rambaud. Nous avons déposé cet amendement de suppression pour avoir un débat sur l’opportunité d’une telle mesure.
La commission des lois a adopté un amendement qui autorise la conclusion d’une convention judiciaire d’intérêt public en matière de fraude fiscale.
Lors des réflexions préparatoires à la loi du 9 décembre 2016, l’application de cette convention à l’infraction de fraude fiscale a été écartée en raison de son particularisme procédural.
Outre le fait que sa philosophie repose sur la prévention et la détection des comportements infractionnels, la convention judiciaire d’intérêt public ne s’applique qu’aux personnes morales. Si cette convention présente un intérêt, la rédaction actuelle n’apporte pas les garanties suffisantes à sa bonne utilisation : elle doit être un outil pour renforcer la transparence des comportements et sanctions et doit s’inclure dans une réflexion générale de politique pénale en matière fiscale.
De plus, le dispositif proposé pose la question de l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale. La convention judiciaire d’intérêt public est mise en œuvre si l’action publique n’est pas encore engagée, donc au stade où il est possible pour l’administration de transiger, en application de l’article L.247 du livre des procédures fiscales.
Enfin, la lutte contre la fraude fiscale nécessite une validation de la culpabilité. Or la convention judiciaire d’intérêt public n’entraîne pas cette déclaration de culpabilité et n’a pas valeur de jugement.
Pour ces raisons, le dispositif tel qu’il est prévu paraît peu opportun.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?
Mme Nathalie Delattre, rapporteur pour avis. L’argument principal est que la convention judiciaire d’intérêt public n’emporte pas reconnaissance de culpabilité, ce qui est exact. La CJIP comporte une dimension transactionnelle : il s’agit de trouver un accord plutôt que d’engager des poursuites, moyennant le paiement d’une amende d’intérêt public et la mise en place d’un programme de mise en conformité.
Cet outil, vous l’avez rappelé, ma chère collègue, a été créé par la loi Sapin II, et il est préconisé par les députés Éric Diard et Émilie Cariou dans leur rapport sur le verrou de Bercy. Il ne s’agit aucunement d’un petit arrangement entre amis, puisque ce dispositif est seulement proposé par le procureur. De plus, la conclusion d’une CJIP doit être homologuée par un juge et la convention est publique. Enfin, il est possible de consulter sur internet les conventions que le parquet national financier a conclues, par exemple avec HSBC ou la Société générale, conventions qui ont chaque fois permis de récupérer des amendes de plusieurs centaines de millions d’euros.
Naturellement, l’opportunité de proposer une CJIP sera appréciée au cas par cas par le parquet dans le cadre de la politique pénale définie par le Gouvernement. La convention prend, par exemple, tout son sens lorsqu’une entreprise a changé de dirigeants et que la nouvelle équipe a envie de solder le passé en trouvant un accord sur le règlement d’une affaire ancienne de fraude fiscale, tout en mettant en œuvre un plan de mise en conformité.
C’est pourquoi la commission des lois émet un avis défavorable sur ces amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Ces deux amendements visent à étendre la convention judiciaire d’intérêt public au délit de fraude fiscale. Cette convention a pour objet d’imposer à la personne morale mise en cause, en échange du renoncement aux poursuites par le procureur de la République, les obligations suivantes : verser une amende transactionnelle dite d’intérêt public, se soumettre à un plan de prévention de la corruption et réparer les dommages causés par l’infraction.
Créée par la loi du 9 décembre 2016, dite loi Sapin II, la convention susdite constitue un mécanisme transactionnel permettant un traitement efficace et rapide des procédures ouvertes pour les faits de corruption, de trafic d’influence et de blanchiment de fraude fiscale, initialement élaboré pour les infractions d’atteinte à la probité.
La nouvelle extension aux faits de fraude fiscale emporte deux conséquences.
D’une part, elle permet de contourner le verrou, puisqu’il s’agit d’une forme de transaction judiciaire qui ne constitue pas une poursuite.
D’autre part, en l’absence de jugement de condamnation, la répression pénale est susceptible de perdre toute sa spécificité, puisqu’elle se rapprocherait du mode de règlement transactionnel effectué par l’administration fiscale. Il pourrait être alors paradoxal de vouloir que l’autorité judiciaire puisse se saisir du dossier de fraude fiscale si c’est pour lui réserver par ailleurs un traitement similaire à celui qui est mis en œuvre par l’administration. Je vous renvoie au débat que nous avons eu tout à l’heure et à celui que nous aurons, je l’imagine, en fin de discussion.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable sur ces deux amendements qui tendent à la suppression de cette mesure.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur de la commission des finances. Je ne voterai pas ces deux amendements. Certes, c’est un sujet que j’ai moins étudié que Mme Nathalie Delattre, mais lorsque nous avons auditionné Mme Houlette, celle-ci nous a montré l’intérêt de la convention judiciaire d’intérêt public. Il serait assez paradoxal de prévoir cette possibilité pour le blanchiment de fraude fiscale, qui est effectivement une infraction un peu connexe, et de ne pas l’autoriser pour la fraude fiscale elle-même. C’est assez étonnant.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 63 et 85.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 9 bis.
(L’article 9 bis est adopté.)
Article 9 ter (nouveau) (réservé)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, à la demande de la commission des finances, l’article 9 ter est réservé jusqu’après l’examen de l’article 13.
Article 10
I. – Le code des douanes est ainsi modifié :
1° L’article 413 bis est ainsi rédigé :
« Art. 413 bis. – Est passible d’une amende de 3 000 € :
« 1° Toute infraction aux dispositions du a du 1 de l’article 53 ;
« 2° Tout refus de communication des documents et renseignements demandés par les agents des douanes dans l’exercice du droit de communication prévu à l’article 65 ou tout comportement faisant obstacle à la communication. Cette amende s’applique par demande, dès lors que tout ou partie des documents ou renseignements sollicités ne sont pas communiqués. Une amende de même montant est applicable en cas d’absence de tenue de ces documents ou de leur destruction avant les délais prescrits.
« L’amende n’est pas applicable en cas de refus de communication au titre du i du 1° du même article 65 ;
« 3° Toute infraction aux dispositions du b de l’article 69, de l’article 71, du 1 de l’article 87 et du 2 de l’article 117. » ;
2° Au premier alinéa de l’article 431 :
a) Les mots : « aux articles 65 et 92 ci-dessus » sont remplacés par les mots : « à l’article 65, à l’exclusion du i du 1° » ;
b) Le montant : « 1,50 euro » est remplacé par le montant : « 150 € ».
II. – 1° Le I est applicable dans les îles Wallis et Futuna.
2° À Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie l’amende prévue à l’article 413 bis du code des douanes et l’astreinte prévue à l’article 431 du même code sont prononcées en monnaie locale compte tenu de la contrevaleur dans cette monnaie de l’euro. – (Adopté.)
Articles additionnels après l’article 10
M. le président. L’amendement n° 116, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 10
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 575 F du code général des impôts est ainsi rétabli :
« Art. 575 F. – Est réputée détenir des tabacs manufacturés à des fins commerciales au sens du 4° du 1 du I de l’article 302 D toute personne qui transporte dans un moyen de transport individuel affecté au transport de personnes plus de :
« - huit cents cigarettes ;
« - quatre cents cigarillos, c’est-à-dire de cigares d’un poids maximal de trois grammes par pièce ;
« - deux cents cigares, autres que les cigarillos ;
« - un kilogramme de tabac à fumer.
« Les dispositions de l’alinéa précédent s’appliquent également à toute personne qui transporte ces quantités à bord d’un moyen de transport collectif. »
La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Si vous me le permettez, monsieur le président, je présenterai en même temps l’amendement n° 117, qui porte sur les sanctions.
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 117, présenté par le Gouvernement, et ainsi libellé :
Après l’article 10
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article 1791 ter du code général des impôts, les montants : « 500 € à 2 500 € » sont remplacés par les montants : « 1 000 € à 5 000 € ».
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Il s’agit, comme cela a été évoqué lors de la discussion générale, de la stratégie du Gouvernement de lutte contre la fraude, particulièrement contre la contrebande, la contrefaçon et la vente de tabac en dehors du réseau des buralistes. Nous examinerons tout à l’heure avec intérêt les amendements de MM. Grand, Daudigny et Bocquet.
L’idée est de rappeler le dispositif prévu par la circulaire, laquelle a été assez peu appliquée jusqu’à présent en raison de la volonté assez compréhensible de la direction générale des douanes d’intervenir seulement sur les cas les plus flagrants.
Nous avons souhaité faire figurer dans la loi, afin que la représentation nationale ne l’ignore pas, le nombre maximal de paquets de cigarettes, de cigarillos ou de cigares que les particuliers peuvent transporter.
Il s’agit donc d’indiquer dans la loi les seuils minimaux retenus par la directive européenne pour les pays de l’Union européenne et ceux qui se trouvent hors de celle-ci. Cela signifie, pour les cigarettes, une cartouche pour les personnes qui arriveraient d’un pays extérieur à l’Union européenne et quatre pour celles qui sont dans l’Union.
Nous avons ainsi donné la consigne, à partir de ce mois de juillet, à la direction générale des douanes de faire intervenir avec force les agents des douanes sur le terrain. En effet, il faut lutter à la fois contre les trafics de grande ampleur, et ce travail est fort bien effectué par la douane, et contre ce petit trafic, parfois industrialisé, via internet, la livraison de petits colis ou les passages de frontières, je l’ai évoqué lors de la discussion générale.
C’est un changement assez fort de la façon dont le ministère de l’action et des comptes publics souhaite organiser la lutte contre la consommation du tabac, notamment vendu en dehors du réseau des buralistes. Nous le devions à ces derniers en contrepartie de l’augmentation du prix du paquet de cigarettes qui ne sera évidemment pas remise en cause par le Gouvernement. Mais la lutte contre cette contrebande doit être beaucoup plus intense.
L’amendement n° 117 tend à doubler le montant des sanctions par rapport à celles qui sont prévues à l’article 1791 ter du code général des impôts pour les faits visés dans l’amendement précédent tendant à insérer un article additionnel après l’article 10 de ce projet de loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. La commission des finances n’a pas d’avis, puisqu’elle n’a pu examiner ces amendements, qui viennent seulement de nous parvenir.
Après une lecture rapide, on ne peut pas nier que le commerce illicite de tabac soit un problème majeur pour certains buralistes, notamment dans les zones frontalières, qui subissent une concurrence déloyale et pour l’État, qui supporte une perte de recettes. Une série d’amendements proposés par nos collègues Jean-Pierre Grand et Yves Daudigny visent à renforcer les sanctions en la matière.
Les amendements nos 116 et 117 vont dans le bon sens, mais suscitent un certain nombre d’interrogations. La douane aura-t-elle réellement les moyens de contrôler par exemple tous les véhicules suspects ? En tous les cas, l’amendement n° 117, qui tend à augmenter les sanctions, est très bienvenu. L’amendement n° 116 visant l’augmentation des quantités transportées à des fins de consommation personnelle est également une bonne chose, par souci de coordination avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.
Mais la commission des finances n’ayant pas pu se réunir et faute d’expertise suffisante, elle s’en remet à la sagesse du Sénat sur ces deux amendements.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Si des amendements de même nature avaient été déposés par des sénateurs, ils auraient été introduits différemment. Or il me semble qu’il est très important d’insérer les dispositions de ces amendements dans le présent texte. Je vous présente mes excuses pour l’impolitesse commise à l’égard de la commission, mais ces amendements soulèvent peu de questions.
Monsieur le rapporteur, vous vous demandez si les douanes auront les moyens d’effectuer leurs contrôles.
Lorsque les douanes procèdent à des opérations de contrôles sur la route, dans les ports ou les aéroports, elles constatent parfois des consommations personnelles dépassant ce qu’il est normalement convenu d’accepter. Or les agents n’interviennent pas pour des raisons pratiques, par exemple une instruction de la part du ministre par le biais d’une circulaire, ou parce qu’ils s’intéressent à d’autres trafics plus importants.
Le trafic de tabac n’a peut-être pas été jusqu’à présent une grande priorité de la direction générale des douanes, parce que celle-ci est notamment responsable d’une grande partie de la lutte contre les stupéfiants et la contrefaçon.
J’ai donné comme objectif principal la lutte contre le tabac de contrebande et de contrefaçon compte tenu de l’augmentation des tarifs et de la contrepartie que nous devions aux buralistes. Je peux vous assurer, monsieur le rapporteur, que ces dispositions ne changeront pas les pratiques des agents, puisqu’ils pourront saisir la marchandise sans autre forme de procès.
N’ayez aucune inquiétude quant au fonctionnement de ces contrôles, et n’hésitez pas, monsieur le rapporteur, à renouveler vos déplacements. Cela étant, les mesures proposées sont bienvenues pour les buralistes et pour la santé publique.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. J’entends les propos et les excuses du ministre qu’il nous demande de bien vouloir accepter pour la présentation tardive de ces deux amendements. Mais je ne peux pas ne pas souligner à quel point cette façon de travailler est inopportune. Ce sujet nécessite un peu de coordination entre nous, car plusieurs commissions sont concernées. Il aurait fallu pouvoir prendre le temps d’interroger quelque expert sur ces questions, alors que ces amendements n’ont même pas été examinés par la commission.
Je vote contre par principe, juste pour une question de méthode.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati, pour explication de vote.
M. Philippe Dominati. Je viens moi aussi de prendre connaissance de ces amendements. Effectivement, j’aimerais avoir un peu plus d’explications, notamment pour ce qui concerne les zones frontalières et la concurrence entre les pays de l’Union européenne.
En réalité, j’ai le sentiment que nous sommes face à une sorte de surenchère, car avec la politique qui est menée, les produits illicites, qui représentent 25 % des achats, augmenteront automatiquement, du fait du différentiel existant au sein de l’Union européenne concurrentielle. Monsieur le ministre, vous ne pourrez pas empêcher par ces méthodes, malgré les douaniers, les règlements et toutes les mesures coercitives que vous voulez prendre, l’explosion du marché noir. Il serait intéressant que vous nous expliquiez la situation à l’égard des autres pays de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le sénateur, c’est tout le contraire ! Puisque vous m’y invitez, je vais brosser un aperçu de la situation. Notre pays, avec la Grande-Bretagne – mais elle quitte l’Union européenne –, sera celui où le paquet de cigarettes est le plus cher.
Cette différenciation culturelle, si j’ose dire, et nous en sommes fiers, permet de lutter contre le tabagisme. Malgré tout, la France est l’un des pays où l’on fume le moins, même si certaines populations, à la fois régionalisées et situées dans une tranche d’âge donnée, fument plus que d’autres. Et nous connaissons tous, je ne vous fais pas l’article, les affres du tabac sur la santé publique et la dépense sociale.
Jusqu’à présent, tous les gouvernements ont augmenté le prix du tabac, prenant même des mesures coercitives comme le paquet neutre, l’augmentation du prix étant la mesure la plus efficace pour déshabituer les Français du tabac.
Nos concitoyens ont-ils substitué des paquets de contrebande ou de contrefaçon, en raison des augmentations du prix du tabac depuis de nombreuses années, aux paquets de cigarettes achetés chez les buralistes ? Vous évoquez 25 % de tabac vendu en dehors du réseau des buralistes, selon le chiffre – je ne le conteste pas – d’une étude réalisée par un cabinet de conseil à la demande de la Fédération des buralistes. S’il est difficile de définir ce qu’est une fraude, nul ne peut contester que, en l’espèce, elle est importante.
Jusqu’à présent, le ministère de l’action et des comptes publics et le ministère des solidarités et de la santé travaillaient évidemment sur la lutte contre la contrebande et la contrefaçon, mais ils ne l’avaient pas utilisée comme un outil en faveur de la santé publique. J’ai indiqué aux buralistes que, si nous assumions pleinement l’augmentation de fiscalité, en contrepartie, nous avions décidé de déployer beaucoup plus de moyens dans cette lutte.
Oui, les zones frontalières sont problématiques eu égard à la différence de fiscalité. Mais non, ce n’est pas le seul problème. Désormais, une grande partie de la contrebande a lieu en dehors des frontières telles que nous les connaissons physiquement ; elle se fait par internet, le dark web, les réseaux sociaux et les « microentreprises », avec notamment des envois de colis qui se multiplient. Parfois, les réseaux sont beaucoup plus importants, dont ceux de contrebandiers extrêmement structurés et en lien avec le crime organisé, voire avec d’autres réseaux.
Je ne vous exposerai pas les résultats que TRACFIN ou la direction générale des douanes, notamment son service de renseignement, me font l’honneur de me transmettre. Je dirai juste que, parfois, ces réseaux ne se contentent pas d’être criminels, ils peuvent même porter atteinte à la souveraineté de notre pays. Je n’en dirai pas plus.
Il faut lutter à la fois contre la petite et la grande contrebande. La douane a beaucoup travaillé de façon un peu isolée, je partage ce constat avec mon collègue ministre de l’intérieur, sur la grande contrebande de tabac. Elle réalise à cet égard de grandes opérations avec de grands réseaux, peut-être un peu moins nombreuses que celles qui concernent d’autres contrebandes néanmoins, par habitude et en raison de la difficulté à surveiller autant de frontières.
Nous avons décidé, tout d’abord, de renforcer la cellule Cyberdouane, c’est-à-dire des agents qui détectent sur internet, les réseaux sociaux ou le dark web un certain nombre de petites ou de grandes contrefaçons et contrebandes. Ainsi, des opérations ont été couronnées de succès : comme vous l’avez peut-être constaté encore récemment, Le Parisien s’est fait l’écho du démantèlement du deuxième réseau sur le dark web par les douanes et Cyberdouane, et ce grâce à des moyens renforcés.
Nous luttons, ensuite, contre les colis contenant des produits illicites, notamment du tabac, ce qui est parfois le cas, vous le savez, avec la multiplication des ventes par correspondance et de la logistique. Nous avons renforcé le nombre de douaniers dans les centres de tri, qu’il s’agisse du tri postal ou autres, et nous avons recours soit à des chiens spécialisés, soit à des scans particuliers, soit au flair du douanier ou des services du renseignement – tout aussi efficaces.
Bien sûr, les fraudes aux frontières sont les plus usuelles, les plus évidentes.
À la frontière pyrénéenne, on aurait pu penser que la différence de prix du tabac avec l’Espagne et, plus particulièrement, avec Andorre aurait causé une augmentation du trafic de contrebande et une baisse du chiffre d’affaires des buralistes. Ce n’est pas ce que nous constatons depuis le début de l’année, parce que nous avons beaucoup renforcé les contrôles à la frontière andorrane. Je me suis moi-même rendu en Andorre pendant trois jours, afin de rencontrer le Premier ministre andorran, qui s’est engagé à une diminution de la production de cigarettes dans son pays, lequel produit plus de cigarettes que ne le requiert la consommation de ses habitants, sans toucher, en échange, à la fiscalité pour d’autres raisons, j’y reviendrai, les Andorrans étant eux-mêmes affectés par la fiscalité espagnole.
Nous avons une meilleure coordination des services andorrans et français, et nous sommes très efficaces, vous avez pu le constater.