M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.
M. Thani Mohamed Soilihi. Je n’avais pas non plus prévu d’intervenir sur cet amendement. Mais il se trouve que notre collègue a cru bon d’invoquer le cas de Mayotte. Une telle instrumentalisation de ce département, qui connaît des difficultés majeures, pour faire passer des idées abjectes et nauséabondes (M. Stéphane Ravier s’exclame.) m’indigne profondément !
Cet amendement n’a rien à voir avec ceux que je défendrai tout à l’heure et qui s’expliquent par une situation bien particulière, partagée sur aucun autre territoire.
M. Stéphane Ravier. La Guyane !
M. Thani Mohamed Soilihi. Vous vous moquez de cette île et des Mahorais, cher collègue ! Et vous le faites pour la circonstance ! C’est scandaleux !
C’est cette instrumentalisation que je voulais condamner avec la plus grande force à ce stade de nos débats ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Maryse Carrère et Florence Lassarade, ainsi que M. Roger Karoutchi applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je voudrais rappeler que l’on peut également devenir citoyenne ou citoyen français parce que l’on a mis un talent exceptionnel à la disposition de notre République ou offert des services à la collectivité.
Ainsi, nombre d’étrangers qui se sont engagés dans la Résistance française ont obtenu à ce titre la citoyenneté française à la Libération. Ils se sont battus contre un régime, celui de l’État français, qui incarnait alors la Nation.
M. Roger Karoutchi. Non ! Il n’incarnait pas la Nation !
M. Pierre Ouzoulias. Et je suis fier qu’ils aient combattu cet État français que vous défendez ici, monsieur ! (M. Stéphane Ravier s’esclaffe.)
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 113 rectifié bis, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin et les membres du , est ainsi libellé :
Après l’article 9 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le paragraphe 3 de la section 1 du chapitre III du titre Ier bis du livre Ier du code civil est ainsi modifié :
1° L’article 21-7 est ainsi rédigé :
« Art. 21-7. – Tout enfant né sur le territoire de la République est reconnu comme français, à moins que ses parents, s’ils sont tous deux étrangers, ne s’y opposent. » ;
2° Après le mot : « Français », la fin du premier alinéa de l’article 21-8 est ainsi rédigée : « à partir de sa majorité. » ;
3° Le second alinéa de l’article 21-9 est supprimé ;
4° L’article 21-11 est abrogé.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Je ne reviendrai pas sur les propos de l’auteur de l’amendement n° 484 rectifié ; je n’ai pas envie de m’énerver… L’amendement de ce monsieur incarne ce qu’il y a de plus immonde en matière de négation de l’être humain.
Nous, nous souhaitons réaffirmer sans ambiguïté le droit du sol.
Comme cela a été souligné, un enfant né en France de parents étrangers doit attendre l’âge de seize ans pour demander la nationalité française, à moins que ses parents ne l’aient fait à partir de ses treize ans.
Selon le code civil, l’enfant étranger souhaitant acquérir la nationalité française dispose actuellement d’une telle faculté, sous certaines conditions. Or nombreux sont ceux qui l’ignorent : condition de résidence pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans depuis l’âge de onze ans ; possibilité de décliner la qualité de français dans les six mois qui précèdent sa majorité ou dans les douze mois qui la suivent ; possibilité de réclamer à partir de seize ans la nationalité française par déclaration s’il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans depuis l’âge de onze ans… Et la liste des cas, des exceptions et des conditions n’est pas exhaustive !
Un de nos collègues proposait même d’ajouter une nouvelle condition pour l’outre-mer : l’enfant ayant atteint sa majorité devrait, avant d’acquérir la nationalité française, apporter la preuve que ses parents résidaient en France de manière ininterrompue pendant six mois lors de sa naissance.
Voyez jusqu’où va l’imagination débordante de certains d’entre vous pour compliquer la vie d’enfants parfaitement intégrés sur notre territoire, pour les stigmatiser en les renvoyant aux conditions de vie de leurs parents dix-huit ans plus tôt ! C’est vraiment invraisemblable !
Pour notre part, nous pensons que toutes ces conditions d’accès à la nationalité française pour l’enfant mineur né en France de parents étrangers sont inappropriées, en contradiction avec l’intérêt supérieur de l’enfant et, surtout, contraire à nos valeurs républicaines. La France n’est pas une réalité ethnique. C’est l’existence d’un destin commun qui doit fonder l’accès à la nationalité. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Rachid Temal applaudit également.)
M. le président. L’amendement n° 407 rectifié ter, présenté par M. H. Leroy, Mmes Berthet, Deromedi, Di Folco et Eustache-Brinio, MM. Frassa, Karoutchi et Meurant, Mme Morhet-Richaud, M. Morisset, Mme Puissat, MM. Revet et Menonville, Mme Lherbier, MM. Leleux, Paccaud, Charon, Joyandet, Bonne, Paul, Cardoux, Laménie, Sido, Bonhomme, B. Fournier, Danesi et Gremillet, Mmes Lassarade et Bories et M. Ginesta, est ainsi libellé :
Après l’article 9 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article 21-7 du code civil, le mot : « acquiert » est remplacé par les mots : « peut, à condition qu’il en manifeste la volonté à partir de l’âge de seize ans, acquérir ».
La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Sans remettre en cause les règles d’acquisition de la nationalité concernant les personnes nées en France de parents étrangers et remplissant une condition de résidence sur le territoire, le présent amendement vise à faire en sorte que ces jeunes manifestent leur volonté de devenir Français par une démarche individuelle et active.
M. le président. L’amendement n° 164 rectifié bis, présenté par MM. Meurant et H. Leroy, est ainsi libellé :
Après l’article 9 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l’article 21-7 du code civil est complété par les mots : « et s’il a manifesté publiquement son désir d’acquérir la nationalité française, de révoquer toute autre nationalité, et s’il a satisfait à un examen manifestant sa maîtrise de la langue française, sa connaissance de la culture et de l’histoire françaises, et son adhésion aux valeurs de la France, en particulier le respect de l’égale dignité de tout être humain, quel que soit son âge, son sexe, sa condition ou sa religion »
La parole est à M. Sébastien Meurant.
M. Sébastien Meurant. Au surlendemain de l’anniversaire de l’appel du 18 juin 1940, je voudrais avoir une pensée émue pour un grand monsieur, un grand ministre de l’intérieur et un compagnon : Charles Pasqua. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Esther Benbassa. Il nous manquait, celui-là !
M. Sébastien Meurant. Quoi qu’il arrive – je crois que le sujet le mérite –, la flamme de la Résistance française ne doit pas s’éteindre, et ne s’éteindra pas ! Charles Pasqua était de cette espèce d’hommes d’État guidés par le bien commun et par l’intérêt supérieur de la Nation. Charles Pasqua savait précisément ce que voulait dire être ou devenir français.
L’amendement que nous vous proposons s’inspire directement d’une loi qu’il a défendue ici, en 1993. Aujourd’hui, l’article 21–7 du code civil prévoit qu’un enfant né de parents étrangers acquiert automatiquement la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il remplit une condition de séjour.
L’amendement que nous soumettons est le fruit d’un travail collectif effectué en concertation avec quelques sénateurs du groupe Les Républicains. Il s’agit de préciser que le jeune étranger souhaitant devenir français doit avoir manifesté sa volonté d’intégrer la communauté nationale par une démarche individuelle et active.
Mme Esther Benbassa. Par exemple ?
M. Sébastien Meurant. Mes chers collègues, ce principe est d’une importance capitale. Nous devons affirmer que la nationalité n’est pas une pochette-surprise que l’on reçoit à sa majorité ! La nationalité se mérite, mais elle doit aussi se vouloir. Voilà ce que nous vous proposons de voter ! Est français qui reconnaît que la loi de la République est la seule qui s’applique sur le territoire de la Nation ! (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
M. le président. L’amendement n° 401 rectifié, présenté par M. Karoutchi, est ainsi libellé :
Après l’article 9 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code civil est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa de l’article 21-7, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« À Mayotte, pendant une période de dix ans à compter de la promulgation de la loi n° … du … pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, ces dispositions ne sont applicables qu’à l’enfant dont l’un des parents au moins a été en situation régulière au regard des lois et accords internationaux relatifs au séjour des étrangers en France à sa naissance et pendant la période durant laquelle il a eu sa résidence habituelle en France. » ;
2° L’article 21-11 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« À Mayotte, pendant une période de dix ans à compter de la promulgation de la loi n° … du … pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, ces dispositions ne sont applicables qu’à l’enfant dont l’un des parents au moins a été en situation régulière au regard des lois et accords internationaux relatifs au séjour des étrangers en France à sa naissance et pendant la période durant laquelle il a eu sa résidence habituelle en France. »
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Cet amendement m’a été inspiré par mon ami le député Mansour Kamardine. Mais je préfère la rédaction, meilleure et plus complète, que notre collègue Thani Mohamed Soilihi propose aux amendements nos 30 rectifié bis et 31 rectifié bis. C’est pourquoi je retire mon amendement au profit des siens.
M. Roger Karoutchi. Je profite de l’occasion pour répondre à M. Ouzoulias. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Mon cher collègue, d’un point de vue historique, je ne peux absolument pas vous laisser dire que l’État français incarnait la Nation. C’était peut-être le pays légal ; ce n’était pas le pays légitime ! (MM. Philippe Mouiller, Arnaud Bazin, Michel Vaspart et Alain Schmitz applaudissent.)
M. Michel Vaspart. Bravo !
M. le président. L’amendement n° 30 rectifié bis, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Hassani, Navarro, Marchand et Amiel et Mme Schillinger, est ainsi libellé :
I. - Après l’article 9 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 2492-1 du code civil est ainsi rédigé :
« Art. 2492-1. – Pour un enfant né à Mayotte, le premier alinéa de l’article 21-7 et de l’article 21-11 ne sont applicables que si, à la date de sa naissance, l’un de ses parents au moins résidait en France de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois. »
II. – En conséquence, insérer une division additionnelle et son intitulé ainsi rédigés :
Titre…
Adaptation des règles de nationalité à Mayotte pour préserver les droits de l’enfant, l’ordre public et faire face au flux migratoire
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Les débats à l’Assemblée nationale et ici au Sénat ont confirmé la complexité de ce texte et l’ampleur des enjeux.
Les amendements nos 30 rectifié bis et 31 rectifié bis sont issus d’une proposition de loi que j’ai déposée le 25 avril dernier et sur laquelle j’ai souhaité que le Conseil d’État rende un avis, compte tenu de la sensibilité du sujet.
Le récent soulèvement populaire qui a eu lieu à Mayotte a relancé la prolifération de prises de position autour de la question du droit du sol dans ce département et, plus généralement, de sa remise en cause dans notre pays. Il existe à Mayotte des raisons objectives et insoutenables qui ne se retrouvent sur aucune autre partie du territoire français et qui justifient aujourd’hui ce débat et le dépôt de tels amendements.
Sur une compréhension illusoire de la manière dont on acquiert la nationalité française, des femmes, majoritairement de nationalité comorienne, viennent à Mayotte dans des conditions de voyage précaires et dangereuses, afin d’y accoucher. En 2007, 10 000 nouveau-nés ont vu le jour au centre hospitalier de Mayotte, et 74 % de ces enfants sont nés de mère étrangère et la moitié de deux parents étrangers.
Cette chimère d’un droit du sol automatique pousse encore un nombre considérable de parents à laisser leur enfant à Mayotte lorsqu’ils font l’objet d’une mesure d’éloignement. Ce sont quelque 3 000 mineurs isolés étrangers qui, au mieux, sont livrés à eux-mêmes sur ce territoire et, dans le pire des cas, sombrent dans la violence, la drogue ou la prostitution. Le Défenseur des droits dénonce régulièrement leur sort.
La moitié des habitants de cette petite île de 374 kilomètres carrés sont aujourd’hui d’origine étrangère, et une immense partie de cette population d’origine étrangère est en situation irrégulière. Une telle pression migratoire insensée entraîne des conséquences en matière d’ordre public. Elle a des effets sur tous les services publics, notamment la santé et l’éducation nationale. Voilà la réalité de notre situation sur place ! Est-il digne de notre République de laisser cette situation perdurer ? Je ne le pense pas.
C’est la raison pour laquelle je présente ces deux amendements.
L’amendement n° 30 rectifié bis exige que l’un des parents d’un enfant né à Mayotte ait été présent de manière régulière sur le territoire national depuis plus de trois mois au jour de la naissance.
L’amendement n° 31 rectifié bis prévoit pour l’établissement de la preuve de cette condition que l’officier d’état civil chargé de rédiger l’acte de naissance précise dès ce moment si l’un des parents au moins la remplit effectivement.
Ces amendements n’apportent aucune dérogation limitée aux modalités d’acquisition de la nationalité française. Ils ne remettent pas en cause le principe de la naturalisation par l’effet de la résidence en France et ne modifient pas la durée de résidence exigée. Ils maintiennent également la possibilité pour un enfant né de parents étrangers de résider sur l’ensemble du territoire national, à Mayotte comme sur le reste du territoire, cette résidence comptant pour le bénéfice de la naturalisation.
Le contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité auquel le Conseil d’État les a soumis devrait, je l’espère, vous convaincre de leur légitimité. J’en conviens, leur adoption ne viendra pas seule à bout de la difficulté. Mais elle permettra une respiration.
Mes chers collègues, je compte sur vous pour voter en faveur de ces amendements. Je compte également sur la population pour adopter localement des comportements responsables qui viendront à bout des pratiques frauduleuses.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’adoption de l’amendement n° 113 rectifié bis aurait pour effet de supprimer toute condition de délai, de résidence ou de déclaration pour l’acquisition de la nationalité des enfants nés sur le territoire, ainsi que l’acquisition de la nationalité française prévue au bénéfice d’engagés dans l’armée. Au demeurant, un tel amendement me semble contraire à notre tradition juridique, en vertu de laquelle la naissance en France n’est pas à elle seule attributive de nationalité – nous venons de l’évoquer –, mais doit être confortée par d’autres éléments de rattachement.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
En revanche, l’avis est favorable sur l’amendement n° 407 rectifié ter, qui vise à faire en sorte que les jeunes nés en France de parents étrangers manifestent désormais explicitement leur volonté de devenir français. Une telle mesure a un caractère symbolique important.
Conséquence de cet avis favorable, la commission sollicite le retrait – à défaut, ce serait un avis défavorable – de l’amendement n° 164 rectifié bis. En effet, les mineurs devraient désormais renoncer à toute autre nationalité et passer en plus un examen de nationalité pour évaluer notamment leurs connaissances historiques et linguistiques. Le risque, avec l’introduction de multiples conditions restrictives, est d’aller trop loin.
Enfin, à propos du problème spécifique de Mayotte, la commission, qui remercie M. Karoutchi d’avoir retiré l’amendement n° 401 rectifié, a émis un avis favorable sur l’amendement n° 30 rectifié bis.
Cet amendement très complet reprend le texte de la proposition de loi soumise par le président du Sénat au Conseil d’État, et que ce dernier a jugée parfaitement conforme à la Constitution. Je rappelle à notre assemblée qu’il s’agit d’une adaptation limitée de l’un des aspects du droit du sol, dans un contexte de pression migratoire sans précédent. Il est prévu d’exiger, pour l’acquisition de la nationalité des enfants nés à Mayotte de parents étrangers, que l’un des parents ait été présent de manière régulière sur le territoire national depuis plus de trois mois au jour de la naissance.
Je le précise, cette condition supplémentaire est circonscrite au seul département mahorais. Elle est justifiée par la situation particulière du département. Comme l’a relevé le Conseil d’État en s’appuyant sur les données de l’INSEE, 41 % des résidents à Mayotte sont de nationalité étrangère, dont la moitié en situation irrégulière. Le taux de natalité est de 40 pour 1000, contre 12 pour 1000 pour le territoire métropolitain. En 2016, 74 % des enfants sont nés de mère étrangère, le plus souvent comorienne. Le Conseil d’État considère que ces éléments constituent des caractéristiques et des contraintes particulières.
L’amendement répond donc parfaitement aux dispositions et au cadre fixé par l’article 73 de la Constitution, qui permet d’adapter les lois aux caractéristiques et contraintes particulières des départements ultramarins.
L’autre amendement de notre collègue, sur lequel nous nous prononcerons juste après, permettra d’apporter une garantie supplémentaire pour l’établissement par l’intéressé de la preuve de la résidence régulière.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. En déposant le texte sur l’asile, l’immigration et l’intégration, le Gouvernement n’a pas voulu introduire de dispositions relatives à la nationalité, pour les raisons qu’exposait M. le rapporteur il y a quelques instants. Outre que le sujet est extrêmement sensible, si nous avions mélangé les deux questions, nous aurions vu fleurir une série d’amendements qui, de proche en proche, auraient pu remettre en cause ce qu’est aujourd’hui le droit de la nationalité. C’est trop important pour que l’on procède à un remodelage par petites touches.
Comme l’indiquait M. Mohamed Soilihi, le problème de Mayotte est spécifique. La plupart des enfants qui naissent à la maternité ont pour parents non pas des Mahorais, mais des migrants comoriens ayant débarqué sur l’île. Nous connaissons les problèmes qui peuvent être causés par cette situation particulière. Nous comprenons donc le souhait de M. le sénateur.
J’ai lui ait proposé et je lui réitère ma proposition – ce serait sage pour le Sénat – que nous n’examinions pas aujourd’hui le problème mahorais, mais que cela fasse l’objet d’une proposition de loi spécifique.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Mais c’est fait !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Elle doit être inscrite à l’ordre du jour du Sénat et de l’Assemblée nationale pour que nous résolvions de manière particulière le problème de Mayotte parce que c’est un cas particulier.
Je rappelle que cette proposition s’inscrit dans une série d’actions que mène aujourd’hui le Gouvernement vis-à-vis des autorités comoriennes. Comme vous le savez, il existe une pression extrêmement forte de la part de la diplomatie française sur l’État comorien pour qu’il respecte un certain nombre de règles. En outre, les difficultés de Mayotte ne se limitent pas au seul problème de la nationalité, mais concernent toute une série d’infrastructures sur lesquelles le Gouvernement a fait des propositions d’ensemble.
Si Thani Mohamed Soilihi et la commission en étaient d’accord, nous pourrions reprendre ce débat lors de l’examen, dans les meilleurs délais, de cette proposition de loi, afin que nous puissions avoir un avis unanime sur un problème qui, en raison de son importance, mérite le consensus le plus large.
Avis défavorable sur tous les amendements qui concernent la nationalité. Nous ne voulons pas mélanger le projet de loi que nous présentons avec les problèmes de nationalité.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Juste quelques mots à mon collègue Karoutchi sur la Nation – c’est un dossier trop complexe, ne l’ouvrons pas maintenant. Je ne confonds pas l’État français et la nation française, je disais simplement que l’État français a eu une conception de la nation française qui n’est pas la nôtre. Je rappelle que l’État français – Vichy – a déchu de leur nationalité 15 000 Français juifs et gaullistes. Il a ensuite décidé de ne pas accorder la nationalité française aux enfants juifs nés en France de parents étrangers. C’est à ce titre que je soutiens une autre idée de la citoyenneté française.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Monsieur le rapporteur, je me range bien évidemment à votre avis au sujet de ces amendements, excepté sur celui de M. Mohamed Soilihi.
Monsieur le ministre d’État, je vous sais gré d’avoir dit que vous ne souhaitiez pas à l’occasion de l’examen de ce texte, comme je l’avais suggéré lors de l’amendement précédent, que nous abordions la question de la nationalité.
Je respecte beaucoup le travail qui a été fait par M. le vice-président Mohamed Soilihi sur son territoire pour essayer de trouver une solution. Je sais le temps qu’il y a consacré, la réflexion qu’il a menée, la prudence avec laquelle il aborde ce sujet. En réalité, le droit du sol n’entraîne pas ipso facto pour un enfant né dans une maternité à Mayotte un droit à la nationalité française. C’est peut-être cette chimère qui amène aujourd’hui des parents à venir à Mayotte et à y laisser leur enfant. Or les conditions d’acquisition de la nationalité, on l’a rappelé il y a quelques instants, font qu’un tel droit n’est pas automatique.
Le Conseil d’État a examiné la proposition de loi dont il a été fait mention. Mais le Conseil d’État, je le rappelle, n’est pas le Conseil constitutionnel. Il justifie la possibilité de cette dérogation pour le territoire sur le fondement l’article 73 de la Constitution, en raison des caractéristiques du territoire. Rien ne dit que le Conseil constitutionnel aurait le même avis.
En outre, le Conseil d’État précise également dans son avis que « eu égard à l’objet de la proposition de loi, le Conseil d’État relève plus généralement l’intérêt que soit menée une campagne d’information à Mayotte et aussi à destination des pays d’origine des personnes y immigrant irrégulièrement sur l’état du droit qui résulterait du vote de la proposition de loi ».
Cela signifie que votre proposition de loi, cher collègue, a pour but, comme trop souvent les textes de loi, de donner une information supplémentaire. Elle vise à dire : « Attention, si votre père ou votre mère n’a pas résidé pendant trois mois avant votre naissance sur le territoire, vous n’aurez pas la nationalité » !
Cependant, aujourd’hui déjà, ils n’auront pas ipso facto la nationalité ! Voilà pourquoi votre proposition n’ajoute rien à ce qui existe et constitue uniquement une affirmation supplémentaire. C’est ce que le Conseil d’État appelle une information.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jacques Bigot. Comme l’a proposé M. le ministre d’État, il faut que nous examinions cette question à l’occasion d’une proposition de loi. Cela nous permettra d’avoir un vrai débat sur le sujet de Mayotte, de manière complexe.
M. le président. Merci !
M. Jacques Bigot. Le Gouvernement pourra alors nous dire ce qui est mis en œuvre pour sortir de cette situation extrêmement difficile.
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Je salue le fait que le ministre d’État n’ait pas voulu introduire de dispositions relatives à la nationalité dans ce projet de loi et ait souhaité que le droit à la nationalité ne soit pas modifié à cette occasion.
Pour autant, on le voit bien – nous ne manquons d’ailleurs pas de vous le dire –, en ayant démarré avec l’asile, puis en étant passé à l’immigration et en ayant tenté d’y ajouter un soupçon sur l’intégration, la pente est prise et nous amène à cette question, comme l’a prouvé notre collègue de l’extrême droite, qui est allé jusqu’au bout de sa conception.
On l’a bien vu avec l’amendement n° 164 rectifié bis de mon collègue Val-d’Oisien Sébastien Meurant, personne n’imagine, et surtout pas les Français nés de parents étrangers, pouvoir devenir français avec une pochette-surprise. Il faut faire attention aux propos que l’on peut tenir ! Je suis un exemple d’avant 1993 et le grand homme qui voulait statuer avec la réforme de M. Pasqua. Dans ce temps-là, dans un vieux monde, bien avant l’ancien monde, donc quasiment la préhistoire, on naissait en France, on y suivait sa scolarité et on devenait ensuite français, sans soupçons, sans regards biaisés, contrairement à ce qui est en train de se faire. Ainsi, un enfant né en France de parents étrangers devrait, jour après jour, montrer patte blanche. Or il est né en France, il est français !
Faisons attention, à la fois à l’Assemblée nationale et au Sénat, à nos représentations et à ne pas avoir un regard particulier sur les enfants de France. Aussi, j’invite notre assemblée à faire preuve de sagesse, de respect et à mettre en avant les valeurs de la République qui nous rassemblent, plutôt que d’évoquer les « Français comme ceci » ou les « Français comme cela », car il n’y a pas à catégoriser les Français ! (Mme Sophie Taillé-Polian et M. Patrice Joly, ainsi que plusieurs sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste applaudissent.)