compte rendu intégral
Présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer,
M. Victorin Lurel.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Immigration, droit d’asile et intégration
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (projet n° 464, texte de la commission n° 553, rapport n° 552, tomes I et II, avis n° 527).
Dans la discussion du texte de la commission, nous reprenons l’examen, au sein du chapitre II du titre Ier, de l’article 5.
TITRE Ier (suite)
ACCÉLÉRER LE TRAITEMENT DES DEMANDES D’ASILE ET AMÉLIORER LES CONDITIONS D’ACCUEIL
Chapitre II (suite)
Les conditions d’octroi de l’asile et la procédure devant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d’asile
Article 5 (suite)
I. – Le titre II du livre VII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° AA (nouveau) À l’article L. 721-4, après la première occurrence du mot : « sexe », sont insérés les mots : « , par pays d’origine et par langue utilisée » ;
1° A Au quatrième alinéa de l’article L. 722-1, après le mot : « femmes », sont insérés les mots : « , quelle que soit leur identité de genre ou leur orientation sexuelle » ;
1° B (nouveau) Au huitième alinéa de l’article L. 722-1, après le mot : « enfants », sont insérés les mots : « ou une association de défense des personnes homosexuelles ou des personnes transgenres » ;
1° C (nouveau) Le chapitre II est complété par un article L. 722-6 ainsi rédigé :
« Art. L. 722-6. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions dans lesquelles l’Office émet par tout moyen les convocations et notifications prévues au présent livre ainsi qu’au livre VIII. Il fixe notamment les modalités permettant d’assurer la confidentialité de la transmission de ces documents et leur réception personnelle par le demandeur. » ;
1° L’article L. 723-2 est ainsi modifié :
a) Au 3° du III, les mots : « cent vingt » sont remplacés par les mots : « quatre-vingt-dix » ;
b) (nouveau) À la seconde phrase du V, après le mot : « accélérée », sont insérés les mots : « , sauf si le demandeur est dans la situation mentionnée au 5° du III, » ;
2° L’article L. 723-6 est ainsi modifié :
a) À la première phrase du premier alinéa, après le mot : « convoque », sont insérés les mots : « , par tout moyen garantissant la confidentialité et la réception personnelle par le demandeur, » ;
b) La seconde phrase du sixième alinéa est ainsi rédigée : « Il est entendu, dans les conditions prévues à l’article L. 741-2-1, dans la langue de son choix ou dans une autre langue dont il a une connaissance suffisante. » ;
b bis) À la première phrase du huitième alinéa, après le mot « sexe », sont insérés les mots : « , l’identité de genre » ;
c) Après le même huitième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque cela est justifié pour le bon déroulement de l’entretien, le demandeur d’asile en situation de handicap peut, à sa demande et sur autorisation du directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, être accompagné par un professionnel de santé ou par le représentant d’une association d’aide aux personnes en situation de handicap. » ;
3° La première phrase du premier alinéa de l’article L. 723-8 est complétée par les mots : « , par tout moyen garantissant la confidentialité et sa réception personnelle par le demandeur » ;
4° Au cinquième alinéa de l’article L. 723-11, après le mot : « asile », sont insérés les mots : « est effectuée par écrit, par tout moyen garantissant la confidentialité et sa réception personnelle par le demandeur, et » ;
4° bis (nouveau) À la première phrase de l’article L. 723-12, les mots : « peut clôturer » sont remplacés par le mot : « clôture » ;
5° L’article L. 723-13 est ainsi modifié :
a) Au 1°, les mots : « n’a pas introduit sa demande à l’office dans » sont remplacés par les mots : « a introduit sa demande à l’office en ne respectant pas » ;
b) Après le 3°, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« 4° Le demandeur a abandonné, sans motif légitime, le lieu où il était hébergé en application de l’article L. 744-3.
« Par exception à l’article L. 723-1, lorsque l’étranger, sans motif légitime, n’a pas introduit sa demande, l’office prend une décision de clôture. » ;
c) Le dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« L’office notifie par écrit sa décision au demandeur, par tout moyen garantissant la confidentialité et sa réception personnelle par le demandeur. Cette décision est motivée en fait et en droit et précise les voies et délais de recours.
« Dans le cas prévu au 3° du présent article, la décision de clôture est réputée notifiée à la date de la décision. » ;
6° La première phrase de l’article L. 724-3 est complétée par les mots : « , par tout moyen garantissant la confidentialité et sa réception personnelle par le demandeur ».
II. – (Non modifié) La première phrase du premier alinéa de l’article L. 812-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complétée par les mots : « , par tout moyen garantissant la confidentialité et sa réception personnelle par le demandeur ».
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 38 est présenté par Mmes Assassi, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 553 rectifié est présenté par Mme M. Carrère, M. Arnell, Mme Costes, MM. Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez, Dantec, Gabouty, Gold, Guérini et Guillaume, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville, Requier et Vall.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Au sixième alinéa du même article L. 722-1, le mot : « régulièrement » est remplacé par les mots : « tous les six mois » ;
La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour présenter l’amendement n° 38.
Mme Michelle Gréaume. Par principe, le droit d’asile est ouvert à tous ceux qui souffrent ou peuvent souffrir d’une persécution dans leur pays d’origine, quelle que soit la forme de cette persécution, et ce notamment quand un risque majeur existe du point de vue de l’intégrité physique du demandeur d’asile.
Comme les évolutions du droit y ont conduit, nous avons de fait laissé à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, le soin de fixer de manière régulière la liste des pays dits « sûrs », c’est-à-dire ne permettant pas de justifier d’une demande d’asile auprès des services français.
La liste des pays sûrs recouvre, selon l’OFPRA, l’ensemble des pays où la démocratie et la libre expression des idées sont suffisamment observables pour estimer que le retour d’un ressortissant ne présente pas de risque majeur pour lui.
On observera que l’article L. 722–1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, précise également que des voies de recours existent pour modifier la liste des pays sûrs.
Or la liste concernée n’a guère évolué dans la dernière période et comprend des pays où tout n’est pourtant pas si simple, notamment dès qu’il s’agit de certaines situations personnelles.
Des pays sûrs pratiquent en effet la discrimination à l’endroit des homosexuels, sans parler de la place de la femme dans certaines sociétés…
De manière plus générale, la liste des pays sûrs comprend des pays ayant été au centre de la démarche de plusieurs associations de défense des travailleurs étrangers et des demandeurs d’asile. Je vous épargne la situation, d’une extrême gravité, dégradante, humiliante, inhumaine, dans certains pays tels que l’Arménie, l’Albanie, la Géorgie, la Serbie ou le Kosovo, qui justifie à elle seule l’adoption de cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour présenter l’amendement n° 553 rectifié.
M. Guillaume Arnell. La directive Procédure de 2003 a consacré la notion de « pays d’origine sûrs ». Cette notion permet, notamment, de soumettre directement les ressortissants de cette liste de « pays d’origine sûrs » à la procédure accélérée devant l’OFPRA.
D’un point de vue légistique, on connaît les limites des dispositions fonctionnant à partir de listes et les doutes qui planent toujours quant à leur exhaustivité.
Sans y déroger, la notion régie par l’article L. 722-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est contestée.
Depuis 2015, le CESEDA prévoit que la liste est revue régulièrement par le conseil d’administration de l’OFPRA. Or la liste des pays sûrs n’a pas été actualisée depuis 2015.
L’objet de cet amendement est donc de garantir une révision a minima tous les six mois afin de parer à d’éventuels basculements et d’éviter le renvoi précipité de certains demandeurs alors même qu’ils courent un risque chez eux.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Ces amendements identiques prévoient le réexamen tous les six mois par le conseil d’administration de l’OFPRA de la liste des pays considérés comme d’origine sûrs.
L’obligation actuelle de réexamen régulier me semble pourtant satisfaisante, et mieux adaptée aux besoins et à la situation. D’ailleurs, le conseil d’administration peut déjà, en cas d’évolution rapide et incertaine de la situation d’un pays, en suspendre l’inscription.
Le système existant étant beaucoup plus protecteur que ce qui est proposé, la commission émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Nous allons commencer doucement : même avis que la commission. (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Un problème se pose, monsieur le rapporteur, puisque l’OFPRA n’a pas modifié la liste depuis la loi de 2015. Or il s’est passé bien des choses en trois ans…
Cela étant, je ne voterai pas ces amendements identiques, car les procédures de l’OFPRA sont lourdes et longues. Si nous l’obligeons à réexaminer tous les six mois la situation des pays d’origine sûrs, il ne fera plus que ça !
Il importe néanmoins de trouver une méthode et une solution. Monsieur le ministre d’État, l’OFPRA ne pourrait-il réactualiser cette liste que tous les deux ans, par exemple ? Il est en effet difficile d’admettre qu’elle n’ait pas été retouchée en trois ans…
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Mon explication de vote vaudra également défense de l’amendement n° 199 rectifié bis. Il convient effectivement de trouver une méthode. Nous proposons de donner au directeur général de l’OFPRA compétence pour suspendre, en cas d’événement soudain et d’une portée particulière dans un pays, l’inscription de ce pays de la liste des pays d’origine sûrs.
Cette solution permet de répondre dans l’urgence à une situation donnée, dans l’attente, bien sûr, d’une validation par le conseil d’administration. Je préfère cette formule, car elle permet une flexibilité immédiate en cas d’événement particulier.
Je profite de ma prise de parole pour indiquer que nous avons apprécié la présence de la ministre Jacqueline Gourault hier. Néanmoins, vous nous avez manqué, monsieur le ministre d’État ! (Sourires.)
Mme Éliane Assassi. Ah !
M. Roger Karoutchi. Quel flatteur ! Tout ça pour que son amendement reçoive un avis favorable !
M. Jean-Yves Leconte. Sachant que vous étiez hier en Allemagne pour évoquer un éventuel accord européen, je souhaiterais savoir si vous pouvez nous donner des pistes sur les solutions trouvées en matière d’asile pour faire converger nos procédures et accueillir les personnes qui viennent sur notre territoire ?
Nous entendons parler, ce qui nous inquiète, de la possible ouverture, grâce aux fonds communautaires, de centres hors de l’Union européenne, parfois même dans des pays qui ne seraient encore que candidats à l’Union européenne et à qui l’on imposerait l’ouverture de tels centres. Il ne serait pas inutile, avant que nous entrions plus avant dans le débat, que vous nous donniez quelques orientations sur les pistes que la France recherche avec l’Allemagne.
Mme Laurence Rossignol. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. La liste des pays d’origine sûrs concernait jusqu’à présent des pays extérieurs à l’Union européenne. Mais, et M. Karoutchi l’a souligné, il s’est passé beaucoup de choses dans le monde depuis trois ans. Il est important de donner plus de souplesse au dispositif, comme le propose M. Leconte, en accordant cette compétence au directeur général de l’OFPRA, car il faut trouver une solution.
M. Karoutchi nous dit qu’il ne votera pas ces deux amendements parce qu’il n’est pas possible, selon lui, de réviser la liste tous les six mois. Il acte donc le fait que, dans un moment mouvant où les choses peuvent aller très vite, des réfugiés seront sacrifiés alors qu’ils viennent de pays qui, manifestement, ne sont plus sûrs du tout !
On fait donc une impasse. Quoi qu’il en soit, le problème ne fera que croître avec ce qui est en train de se passer en Europe, et dont j’ai fait état hier : le ministre de l’intérieur italien demande le recensement général des Roms et veut faire procéder à une épuration de masse, rue par rue ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Stéphane Ravier et M. Jean-François Rapin protestent.)
M. Jean-Paul Émorine. Vous l’avez déjà raconté hier soir !
M. David Assouline. Certains pensent qu’il ne faut pas critiquer ce genre de propos parce qu’ils font partie du débat démocratique… (Vives protestations sur les mêmes travées.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, laissez parler l’orateur et évitez de vous invectiver.
Veuillez poursuivre, monsieur Assouline.
M. David Assouline. Chers collègues, je parle du ministre de l’intérieur italien, pas de vous ! Si vous vous sentez solidaires avec lui, les bras m’en tombent !
Donc je continue, puisque j’ai la parole.
Ma question est très précise et concrète, car la liste peut dorénavant concerner des pays d’Europe. Si les propos du ministre de l’intérieur italien se concrétisent et que les Roms se trouvent expulsés d’Italie, quid s’ils demandaient l’asile en France ? L’Italie est-elle est un pays sûr ? Devons-nous les y renvoyer ? J’aimerais que l’on ait des réponses concrètes face à une situation mouvante.
Nous ne sommes pas dans l’idéologie, il s’agit ici d’un cas concret.
Mme la présidente. Veuillez conclure !
M. David Assouline. Il est essentiel de trouver une solution pour pouvoir traiter individuellement les cas de demande d’asile de façon convaincante, car la situation de certains pays peut basculer brutalement.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Je me sens quelque peu comptable, sous votre autorité, madame la présidente, du bon déroulement de nos débats.
Nous examinons actuellement deux amendements identiques. À quoi bon reprendre des discussions dignes de ce café du commerce si cher à Marcel Dassault ?
Nous avons tout d’abord besoin de respect mutuel. Monsieur le ministre d’État, je ne fais pas miennes les critiques qui peuvent être formulées ici ou là sur le fait que Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ait représenté le Gouvernement à ce banc hier, car elle est parfaitement compétente et qualifiée pour cela. Le Sénat ne s’est pas senti « minoré » de sa présence ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mais, même si les conversations d’ordre général ne manquent pas d’intérêt, il faut revenir en texte en discussion.
Les deux amendements identiques traduisent un esprit réglementaire qui n’est pas tout à fait à la mesure du problème.
Au fond, l’ordre international, qui se traduit par beaucoup de désordres et de conflits, fait évoluer jour après jour la situation des pays sûrs. Il est vain d’embouteiller le conseil d’administration de l’OFPRA en lui demandant de réexaminer intégralement la liste des pays sûrs tous les six mois. Ne croyez-vous pas qu’il a mieux à faire en définissant la stratégie de l’OFPRA et en discutant avec le Gouvernement des moyens mis à sa disposition pour assurer la bonne exécution de ses missions ?
C’est à tout moment, sans attendre six mois, que la liste des pays sûrs doit pouvoir être révisée, en fonction de la situation internationale.
Cessons, mes chers collègues, de perdre notre temps. Nous avons 500 amendements à examiner, dont certains sont d’une grande importance pour la définition de la politique d’immigration et d’asile de notre pays. Je vous en supplie, concentrons-nous sur l’essentiel, de sorte que nous puissions avancer et que notre débat ait toute la dignité requise pour convaincre les Français, qui le suivent, de la force des propositions du Sénat. (Vifs Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le rapporteur, je vous ai écouté attentivement et je suis prêt, au nom du groupe du RDSE, à retirer notre amendement.
Cependant, je me pose une question : si les choses sont figées, pourquoi l’article L.722-1 précise-t-il que le conseil d’administration examine « régulièrement » la situation des pays considérés comme des pays d’origine sûrs ? Et quel problème y a-t-il à réviser la liste tous les six mois, par exemple ? Le fait que la liste n’ait pas été revue depuis 2015 est en revanche un vrai souci !
Le président Bas l’a reconnu, la situation du monde évolue tous les jours. Pourquoi, depuis trois ans, ne s’est-il trouvé personne pour faire évoluer la liste des pays d’origine sûrs ? L’OFPRA, même en ayant cette compétence et cette liberté d’appréciation, peut donc ne pas intervenir. Devons-nous attendre encore dix, quinze ou vingt ans ? Il y a là matière à réfléchir.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Je remercie le président de la commission des lois. Mme Gourault a effectivement pleine capacité à représenter le ministère de l’intérieur.
Comme vous le savez, je me suis rendu hier à Berlin avec le président de la République en un moment particulièrement difficile.
Pendant très longtemps, on a cru que l’Union européenne pouvait se démanteler à cause de problèmes économiques. Or on constate aujourd’hui que, ce qui peut la remettre en cause, ce sont les problèmes migratoires. Notre débat d’aujourd’hui prend donc un sens tout particulier.
Si nous étions à Berlin hier, c’était à la fois pour faire avancer l’Europe du point de vue économique, puisque nous avons envisagé la possibilité de constituer un « noyau dur » – nous avons d’ailleurs passé un accord pour un budget de la zone euro –, mais aussi pour parler des problèmes migratoires, qui touchent toute l’Europe, et donc notamment, comme vous l’avez vu, l’Allemagne, où les débats sont extrêmement vifs.
Vous m’excuserez d’être long en ce début de débat, mais les problèmes sont importants et méritent d’être resitués dans leur contexte.
Depuis 2015, les choses ont profondément changé de nature. Au départ, nous avons eu un flux migratoire provenant du front irako-syrien. Nous avons dû gérer un nombre tout à fait extraordinaire de personnes venant se réfugier en Europe. En 2015, nous avons atteint le chiffre de 1,8 million de réfugiés. En 2017, la situation s’est améliorée. Nous en sommes à 205 000 entrées irrégulières dans l’Union européenne, loin du chiffre que nous connaissions à l’époque et qui a commencé à créer les difficultés que nous avons.
Sur les cinq premiers mois de 2018, les entrées irrégulières en Europe ont encore baissé de 46 %. En revanche, dans notre pays, la demande d’asile a continué à augmenter, alors même que les flux globaux dans les pays européens ont diminué. L’an dernier, nous en étions à 100 000 personnes, chiffre en augmentation de 17 % par rapport à l’année précédente.
Lorsque l’on examine ce qui a permis au niveau européen de faire baisser les flux migratoires, on s’aperçoit que ce sont d’abord les accords que nous avons su passer avec un certain nombre de pays.
Je pense ainsi à l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie. Grâce à cela, les flux se sont totalement réduits, même si nous enregistrons aujourd’hui une certaine reprise sur la route orientale. Quoi qu’il en soit, sur les cinq premiers mois de l’année, 20 000 personnes sont entrées en Europe par la Grèce continentale et par les Balkans, loin des phénomènes de grande ampleur que nous avons pu connaître.
La Turquie doit elle-même gérer un nombre de réfugiés important puisque, comme vous le savez peut-être, ce pays compte aujourd’hui 3,5 millions de réfugiés, ce qui lui pose des difficultés importantes.
Bref, le dialogue que nous pouvons avoir avec ce pays est extrêmement important.
Une deuxième route d’entrée passait par le désert, avec toutes les tragédies que cela a pu causer. Nous avons été confrontés à des flux venant soit de la Corne de l’Afrique, d’Érythrée ou d’Éthiopie, soit de l’Afrique occidentale, se retrouvant à Agadez. Un certain nombre de migrants ont fait la traversée du désert, où beaucoup ont péri, pour arriver en Libye afin d’essayer de passer la Méditerranée – nombre d’entre eux y ont laissé la vie.
Ce phénomène existe moins aujourd’hui – je vous en dirai davantage au regard des événements récents – pour deux raisons fondamentales.
Première raison, là encore, un accord a été passé avec le Niger, pays qui joue un rôle tout à fait important.
Le Président Mahamadou Issoufou et le gouvernement nigérien ont décidé, bien qu’il leur en coûte, de fermer la route d’Agadez. Là où il y avait 300 000 passages à travers le Sahara, il n’y en a plus aujourd’hui qu’environ 20 000, peut-être moins.
L’accord gagnant-gagnant passé entre le Niger et l’Union européenne, en particulier la France, était donc tout à fait fondamental.
Par ailleurs, le précédent ministre italien de l’intérieur, Marco Minniti, a fait en sorte que cessent le mouvement des passeurs en Libye et ces passages de canots pneumatiques, parfois très petits, surchargés – vous en avez tous les images en mémoire –, qui s’élançaient à travers la Méditerranée et se retrouvaient quelquefois en détresse. Il arrivait aussi que les passeurs enlèvent le moteur de ces canots, montent dans une autre embarcation et laissent les personnes qu’ils avaient embarquées partir à la dérive, avant qu’elles ne soient secourues par des bateaux.
Marco Minniti a mené une action visant à équiper les garde-côtes italiens et à passer un code de bonne conduite avec l’ensemble des ONG concernées. Le mouvement s’est donc arrêté.
Environ quinze jours après ma prise de fonctions comme ministre de l’intérieur, lors d’une réunion à laquelle je participais avec l’ex-ministre allemand de l’intérieur Thomas de Maizière et le commissaire européen aux migrations, Dimitris Avramópoulos, Marco Minniti disait que son pays dirigerait la moitié des embarcations vers les côtes françaises. Après en avoir discuté, nous avons convenu que ce n’était pas la solution et que, pour faire cesser ces mouvements, nous devions travailler avec les pays de la rive sud de la Méditerranée et établir avec eux des rapports gagnant-gagnant.
Si nous avons rencontré ce problème avec le navire Aquarius, peut-être est-ce dû au fait que l’actuel gouvernement italien n’a plus la même capacité à travailler avec la Libye. L’une des actions menées par le Président de la République vise justement à ce que soit reconstitué un État de droit dans ce pays, afin que nous puissions passer des accords gagnant-gagnant avec le gouvernement libyen.
L’Union européenne contribue à encourager le développement économique dans ces pays. C’est la thèse que la France a soutenue hier : nous faisons en sorte de sécuriser les frontières, de mettre fin au terrorisme, au trafic des êtres humains, lequel est souvent lié à des trafics de drogue et d’armes – il a aussi quelquefois des connexions avec le terrorisme – et de permettre à l’Afrique de se développer. Telle est la politique que nous portons.
Il faut examiner ce projet de loi, non pas seulement en traitant de chacun de ses articles, mais aussi en ayant en tête ce contexte international large. L’Afrique n’est pas seule concernée. Certains pays, comme l’Albanie et la Géorgie, dont les ressortissants avaient été dispensés de demander un visa pour venir en France, ont vu exploser les demandes d’asile. Nous avons discuté avec les autorités albanaises, qui ont proposé de nous aider à diminuer le nombre d’entrées de leurs ressortissants sur notre territoire et se sont engagées à en reprendre un certain nombre, en disant qu’elles voulaient poursuivre leur marche en avant.
Je rencontrerai la semaine prochaine le ministre de l’intérieur de Géorgie, car il y a une explosion des demandes d’asile émanant de ressortissants géorgiens. Ce n’est bon ni pour ce pays ni pour nous-mêmes.
Après le contexte international, j’en viens au contexte européen. Nous devons nous efforcer, sur tous les points, d’avoir des législations convergentes. Lorsque les distorsions de droits sont extraordinairement importantes, cela engendre des difficultés dans l’ensemble des pays concernés.
Pour notre part, nous devons porter une politique, illustrée par le texte qui est soumis à votre examen, qui ne soit pas fermée. Nous ne sommes pas de ces pays qui ont décidé qu’ils n’accueilleraient plus jamais personne. Mais nous devons absolument faire la distinction entre les réfugiés, qui sont menacés et auxquels il convient de donner refuge au titre de la convention de Genève, et les migrants économiques.
L’Afrique verra sa population passer de 1,2 milliard à 2 milliards d’ici à 2050. Penser que ces 2 milliards de personnes pourraient venir ici est totalement illusoire. Si tel était le cas, cela déstabiliserait nos pays. Nous devons trouver ensemble une voie équilibrée ; c’est ce que je vous proposerai tout au long de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)