M. Daniel Laurent. C’est le but !
M. Gilbert Bouchet. C’est ce que veut le Président de la République !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à instaurer un régime transitoire d’indemnisation pour les interdictions d’habitation résultant d’un risque de recul du trait de côte.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 99 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l’adoption | 334 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Les Républicains.)
M. Ladislas Poniatowski. On veut le nom de celui qui a voté contre ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Nelly Tocqueville, rapporteur. Madame la secrétaire d’État, constatez ce vote : il est unanime ! Il est aussi l’expression de ce que Mme Cartron décrivait précédemment, l’expression de la capacité et de la volonté des parlementaires de se faire l’écho des préoccupations de nos concitoyens et de nos territoires.
Ce vote, je pense, mérite plus que d’être pris en compte par le gouvernement auquel vous appartenez. Il vous faut reprendre ce texte à l’Assemblée nationale, parce que le Sénat a manifesté cette volonté d’être présent aux côtés de nos concitoyens qui vivent ce drame, mais aussi parce que nous nous devons d’être honnêtes à leur égard.
Les propositions que vous avez avancées aujourd’hui ne peuvent pas nous convenir, tout comme l’approche globale n’est en rien satisfaisante.
Vous avez parlé d’un désamiantage… Dans quelle situation se trouvent les propriétaires d’un immeuble désamianté ? Nous demeurons dans cette situation tout à fait kafkaïenne, pour reprendre la qualification que j’ai précédemment utilisée !
Madame la secrétaire d’État, cette unanimité doit vous inciter à apporter votre soutien à notre texte !
À la fin de cette séance, lorsque nous serons sortis de l’hémicycle, nous poursuivrons ensemble le travail. Nous continuerons à travailler pour que les copropriétaires du Signal finissent par avoir gain de cause. Nous le leur devons ! C’est une simple question d’honnêteté, mais aussi une question d’assistance à personne en danger ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – Mme Michelle Gréaume applaudit également.)
4
Infractions financières et suppression du « verrou de Bercy »
Rejet d’une proposition de loi modifiée
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi renforçant l’efficacité des poursuites contre les auteurs d’infractions financières et supprimant le « verrou de Bercy », présentée par Mme Marie-Pierre de la Gontrie et plusieurs de ses collègues (proposition n° 376, résultat des travaux de la commission n° 447, rapport n° 446).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 2 avril 2013, celui-là même qui était parfois assis, dans cet hémicycle, au banc du Gouvernement, chargé quelques mois plus tôt par le Premier ministre de redresser les comptes publics et de lutter contre l’évasion fiscale, celui-là même qui, devant la représentation nationale, avait menti en niant catégoriquement avoir jamais détenu de compte bancaire à l’étranger, ce jour-là, le 2 avril 2013, Jérôme Cahuzac reconnaissait détenir des fonds non déclarés sur un compte bancaire, en Suisse, puis à Singapour.
Nous le savons, l’histoire de la lutte contre la fraude et la corruption progresse souvent par crises. Crises de confiance, d’abord.
Ce coup porté à la démocratie, ébranlant l’opinion, a agi comme un électrochoc et ouvert la voie à des avancées majeures dans cette lutte et dans la transparence de la vie publique.
À ce moment-là ont été créés la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique – la HATVP –, le Parquet national financier, l’Office central de lutte contre la fraude et les infractions financières et fiscales. Des législations spécifiques, dont nous nous souvenons, ont en outre été adoptées.
Si le bilan du quinquennat de François Hollande en matière de lutte contre la fraude fiscale est jugé positivement par des ONG – organisations non gouvernementales – comme Transparency International, c’est en partie grâce à l’instauration de ces nouvelles institutions, désormais incontournables.
Mais nous devons aujourd’hui aller plus loin.
Nous l’avons vu lors de la campagne présidentielle de 2017, elle aussi marquée par une profonde crise. Les scandales qui l’ont rythmée sont à l’origine des lois sur la transparence de la vie politique de septembre 2017. Ils nous rappellent à tous qu’on ne parvient jamais au bout du chemin et que celui-ci est semé d’obstacles, qu’il nous revient de dépasser.
C’est bien d’obstacle dont il est question aujourd’hui. Cet obstacle a un nom – et un surnom, « verrou de Bercy » – : il s’agit de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, en vertu duquel l’auteur d’une infraction fiscale ne peut être poursuivi que sur plainte de l’administration et, au surplus, sous réserve d’un avis conforme de la commission des infractions fiscales, la CIF.
Nous le connaissons dans cet hémicycle, puisque, à plusieurs reprises au cours des dernières années, le Sénat a voté en totalité la suppression ou l’assouplissement de ce verrou de Bercy. Ce fut notamment le cas en mars 2016, avec l’adoption d’un amendement déposé par notre collègue Éric Bocquet, ou encore plus récemment, en 2017, avec l’adoption d’un amendement proposé par notre collègue Éliane Assassi.
Par deux fois, l’Assemblée nationale s’est engagée dans la même démarche. Pourtant, en 2017, décision a été prise de se donner un temps de réflexion supplémentaire. Nos collègues députés ont créé une mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, commission qui rendra son rapport dans les jours à venir.
Suppression prématurée, nécessité d’une réflexion plus approfondie, c’est généralement le dernier argument utilisé quand il n’en reste pas, quand tous les autres ont été épuisés. Gageons donc que le moment est opportun !
Ce verrou, en effet, est une anomalie dans notre droit. Comment continuer à accepter qu’un tel système, sans équivalent en Europe, perdure, dans lequel la justice ne peut se saisir d’office des infractions fiscales, y compris lorsqu’il s’agit de fraudes majeures ? Comment accepter ce nihil obstat sur la répression de la fraude fiscale ?
Cette situation heurte le principe de transparence, réclamé chaque jour davantage par nos concitoyens, et l’indépendance de la justice à laquelle nous sommes tant attachés.
Cette anomalie est largement dénoncée, au-delà des travées du Sénat.
Ainsi Éliane Houlette, procureur de la République financier, devant l’Assemblée nationale voilà quelques jours, a dénoncé la situation en ces termes : « le verrou bloque toute la chaîne pénale. Il empêche la variété des poursuites et constitue un obstacle théorique, juridique, constitutionnel et républicain, en plus d’être un handicap sur le plan pratique. »
François Molins, procureur de la République de Paris, considère que « la situation telle qu’elle résulte de l’actuelle rédaction de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales n’est plus tenable », rappelant que ce monopole est « contraire à certains principes, freine dans leur action les procureurs de la République sans aucune raison objective ».
Déjà, en août 2013, la Cour des comptes s’exprimait en des termes sans équivoque dans un référé. Selon elle, le « verrou de Bercy » est « préjudiciable à l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale ».
De nombreuses ONG – j’ai cité Transparency International, mais on peut ajouter Oxfam, Sherpa ou Anticor – rappellent depuis plusieurs années la désuétude de ce dispositif.
Il est donc plus que temps d’y mettre fin, car il est indispensable que la justice puisse se saisir en toute transparence des infractions fiscales, en particulier des plus graves.
Nous regrettons que le Gouvernement ait fait le choix de l’immobilisme, en n’intégrant pas cette disposition dans le projet de loi présenté le 28 mars dernier et dont nous aurons à débattre dans quelques semaines.
Effectivement, le Gouvernement continue aujourd’hui – avec des déclarations assez évolutives, mais c’est le cas depuis plusieurs années – de soutenir le dispositif. Il l’a encore fait devant la mission de l’Assemblée nationale que je mentionnais il y a quelques instants.
Il invoque des motifs d’efficacité et de compétence fiscale d’une haute technicité. Ce point de vue, pourtant, ne tient compte ni du gain d’efficacité indéniable rendu possible par la Cour de cassation, qui a étendu les moyens de l’autorité judiciaire et a permis l’ouverture d’une enquête à l’encontre de Jérôme Cahuzac au titre de blanchiment de fraude fiscale, ni de la procédure d’enquête judiciaire créée par la loi du 30 décembre 2009 de finances rectificative.
Pour peu qu’on lui en donne les moyens, la justice française ne fait pas défaut !
La situation doit aujourd’hui être assumée face à l’opinion, qui a évolué et qui est devenue plus favorable à la suppression de ce verrou après les révélations des affaires WikiLeaks, « Panama papers » et « Paradise papers ».
Ces arguments ne peuvent plus tenir devant les citoyens français, soucieux du respect des principes démocratiques. Ils ne tiennent plus devant les contribuables, qui voient le principe du consentement à l’impôt bafoué sous leurs yeux. Ils ne peuvent tenir davantage devant les justiciables français, qui ignorent sur quels critères se fonde l’administration fiscale pour désigner les 1 000 dossiers qu’elle transmet chaque année au Parquet national financier, sur les 4 000 dossiers considérés comme représentant des fraudes graves.
Selon le président de la commission des infractions fiscales, mes chers collègues, il conviendrait de ne pas divulguer les critères présidant à ces choix, qui font pourtant l’objet de poursuites, afin de ne pas permettre aux contribuables, paraît-il, de monter des stratégies d’évitement et pour laisser la justice extérieure à ces dossiers.
Face aux citoyens, contribuables et justiciables, pouvons-nous prétendre à l’efficacité d’un dispositif permettant à l’administration fiscale de traiter certains dossiers, sans contradictoire, sans motivation des décisions prises et, comme l’avait déjà souligné Éliane Houlette, précédemment citée, sans information du Parquet national financier ?
Ce dispositif, manquant de transparence, n’engendre qu’une faible coordination entre la justice et l’administration fiscale, ce à quoi nous ne pouvons nous résoudre.
À ce propos, nous pensions que M. Gérald Darmanin serait présent parmi nous aujourd’hui, mais je suis heureuse de compter sur la présence de M. Olivier Dussopt. J’ai effectivement bien noté que ce dernier avait exprimé voilà quelques mois une position allant dans notre sens, en tout cas critique à l’encontre de l’instauration du « verrou de Bercy ». J’imagine donc qu’il fera preuve d’ouverture d’esprit par rapport à notre démarche de ce jour.
On parle aujourd’hui d’une question d’efficacité. Alors que le coût actuel de la fraude fiscale pour la Nation s’établit entre 60 et 80 milliards d’euros, nous devrions donc maintenir un dispositif si efficace, prétend-on, qu’il permet de recouvrer seulement 11 milliards d’euros pour l’année 2016. Ainsi, 75 % des dossiers échappent à la justice, dans des conditions que nous ignorons, pour des motifs qui nous sont inconnus et selon des règles obscures pour tous.
S’agissant de rentabilité financière, rappelons que nul ne peut prétendre que l’intervention de l’administration permettrait de récupérer plus de fonds qu’un passage par la justice. L’exemple de Jérôme Cahuzac le montre : taxé pour comportements délictueux au regard de l’impôt, celui-ci a aussi été sanctionné, nous l’avons vu hier, la règle non bis in idem ayant été écartée.
Le risque d’engorgement est aussi évoqué par certains, notamment par la garde des sceaux, dont je regrette l’absence dans cet hémicycle – la question concerne tout de même le code pénal et le code de procédure pénale.
Cet argument est réfuté par François Molins, que j’ai déjà cité. Selon lui, l’autorité judiciaire a vocation non pas, évidemment, à se saisir des 16 000 dossiers d’irrégularité fiscale, mais à exercer le principe bien connu de l’opportunité des poursuites.
Sur la nécessaire technicité, là aussi, c’est assez étrange… En effet, la Direction générale des finances publiques ou DGFiP – le monument de compétences sur ces questions – a elle-même indiqué, dans une circulaire du 22 mai 2014, que l’instauration du parquet financier, sujet du moment, rendait possible « une spécialisation du ministère public permettant d’accroître son action contre la très grande délinquance économique et financière, dont relève la fraude fiscale complexe ».
De même, dans son rapport, notre collègue de la commission des finances, que je salue, soulignait l’apport des techniques spéciales d’enquête dont bénéficient les services judiciaires dans les cas des fraudes les plus complexes.
C’est bien dans ce cadre de collaborations que nous devons nous situer.
Mes chers collègues, il est temps ! La mission de l’Assemblée nationale va rendre son rapport. Les affaires et les révélations se succèdent. La démocratie est mise à mal. Nous devons prendre nos responsabilités !
Portant devant vous cette proposition de loi, avec l’ensemble de mes collègues du groupe socialiste et républicain, je m’exprime ici alors que des semaines d’auditions ont eu lieu à l’Assemblée nationale.
En ce moment même, les affaires dévoilées par la presse et les lanceurs d’alerte se succèdent ou sont en cours d’investigation. Chacune d’entre elles constitue un acte de résistance de la démocratie,…
M. le président. Il faut conclure.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. … mais en ébranlant l’opinion, elles agissent comme autant de crises de confiance, et c’est là le paradoxe. Allons-nous justifier le statu quo jusqu’à ce que la démocratie s’en trouve suffisamment affaiblie, ou bien allons-nous saisir l’occasion qui nous est donnée aujourd’hui de faire face aux responsabilités propres à notre fonction, en supprimant cette anomalie française qu’est le « verrou de Bercy » ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jérôme Bascher, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi nous permet de porter un regard plus approfondi sur un mécanisme qui revient régulièrement dans nos débats depuis 2013, après, faut-il le rappeler, qu’un ministre chargé du budget a été reconnu – reconnaissance pleine et entière depuis hier – comme fraudeur fiscal, une première dans cette République, ou qu’un secrétaire d’État s’est trouvé pris de phobie administrative.
Cette conjonction malheureuse pour deux anciens ministres socialistes, à l’époque a permis de faire connaître ce sujet original dans notre droit que l’on nomme « verrou de Bercy ». Elle explique aussi cette proposition de loi de Marie-Pierre de la Gontrie et du groupe socialiste et républicain, ouvrant le débat qui devra nous rassembler, monsieur le secrétaire d’État, sur le sujet de la fraude fiscale.
Le Sénat, dans la volonté de recherche de consensus qui le caractérise et qui fait la force du bicamérisme, présentera des propositions ambitieuses allant vers plus de transparence, sans supprimer le verrou.
Nous allons en égrener quelques-unes, bien avant le rapport de nos collègues de l’Assemblée nationale.
Le sujet, rappelons-le, n’est pas médiocre. Il touche à la conciliation de plusieurs principes qui se trouvent au cœur du pacte républicain : l’efficacité, l’égalité, mais aussi le principe de réalité.
Je voudrais d’abord revenir sur le mécanisme de ce fameux verrou.
Chaque année, l’administration conduit 1 million de contrôles sur pièces, mais surtout 50 000 contrôles fiscaux sur place.
L’objectif du contrôle fiscal est triple : recouvrer, sanctionner, dissuader. L’administration cherche donc à récupérer les droits et peut appliquer des pénalités allant de 40 % à 100 % selon les cas. L’application de ces pénalités de 40 % et plus concerne 15 000 dossiers, pour 4 à 5 milliards d’euros par an, soit 0,2 point de PIB.
Tous ces dossiers n’ont pas vocation à être déférés devant l’autorité judiciaire. Le Conseil constitutionnel a limité aux cas les plus graves la possibilité de cumuler sanction administrative et sanction pénale.
Sur les 50 000 contrôles fiscaux externes, 4 000 sont qualifiés de « répressifs ». À ce stade, nous n’en sommes pas encore au « verrou de Bercy », à proprement parler. Nous nous situons non pas au 139 rue de Bercy, mais dans les directions départementales des finances publiques, les DDFiP.
L’administration centrale n’a pas à avoir connaissance de ces dossiers – encore moins le cabinet du ministre, dont la cellule fiscale a été supprimée en 2010. En fait, elle ne reçoit que 1 100 dossiers par an et les transmet presque tous à la commission des infractions fiscales.
Nous en arrivons alors à un élément central du verrou, lequel est en fait double, avec, du coup, possibilité d’une double critique.
D’une part, une plainte pénale pour fraude fiscale est irrecevable si elle n’est pas déposée par l’administration fiscale. D’autre part, cette administration ne peut déposer plainte que si elle y est autorisée par la CIF, ce qu’elle fait dans 90 % à 95 % des cas tant l’administration a intériorisé l’exigence de cette commission.
Je préfère le dire avec solennité : les membres de la CIF tout comme les équipes de l’administration fiscale sont indépendants et me semblent irréprochables. Les soupçons exprimés à l’encontre du verrou sont relativement insultants pour eux et pour le travail qu’ils réalisent. Ne cédons pas aux modes, car ce climat de défiance généralisé n’est pas sain !
Pour autant, j’invite les fonctionnaires, dès lors qu’ils n’ont rien à se reprocher, à ne pas avoir peur de plus de transparence et j’en viens aux pistes qui permettraient de rendre le dispositif « translucide » – la lumière passe, mais on ne peut pas identifier les personnes.
Aujourd’hui, la transparence est assurée par un certain nombre de rapports – rapport d’activité de la CIF, rapport au Parlement sur les remises et transactions, rapport du Comité du contentieux fiscal, douanier et des changes –, et ce sans compter les enquêtes menées régulièrement par la Cour des comptes.
Ce n’est plus suffisant, vous l’avez dit, madame Marie-Pierre de la Gontrie, et cela n’éclaire pas entièrement la question des critères utilisés pour la transmission des dossiers à la CIF.
Ces critères, réglés par circulaire, ont été en partie repris par le Conseil constitutionnel. Ce sont le montant des droits fraudés ; les manœuvres du contribuable, qui constituent une circonstance aggravante ; les circonstances relatives à la personne même du fraudeur, en espérant que le cas d’un ministre chargé du budget soit une exception.
Première proposition, monsieur le secrétaire d’État, la transparence pourrait être améliorée par l’inscription de certains de ces critères dans la loi.
L’importance de la question justifie effectivement l’intervention du Parlement. Mais il faut veiller à ne pas trop rigidifier le système : imaginons par exemple que l’on souhaite inscrire un seuil de 100 000 euros, seuil le plus communément admis, il faudrait trouver une rédaction qui supprime tout risque d’annulation de la procédure au motif qu’une fois devant le juge, on s’est rendu compte que le montant de l’impôt dû s’élevait à 99 500 euros seulement !
Je suis donc opposé à l’inscription d’un montant dans la loi.
Deuxième proposition, la transparence pourrait aussi être améliorée par un contrôle plus diversifié.
Je plaide pour un contrôle plus systématique, mais sous sa forme habituelle, par l’Inspection générale des finances dans les différentes DDFiP, ainsi que par la Cour des comptes du point de vue consolidé.
Gérald Darmanin a suggéré de faire entrer des parlementaires à la commission des infractions fiscales. Je ne pense pas que ce soit notre place ou notre mission, d’autant que le volume de travail de cette commission serait difficilement compatible avec notre agenda.
En revanche, troisième proposition, nous pourrions envisager que des parlementaires, habilités à cet effet, contrôlent les 50 dossiers rejetés chaque année par la CIF, afin de comprendre les raisons pour lesquelles il a été décidé de ne pas les transmettre à la justice. Ces parlementaires pourraient également, par voie de sondage, examiner une partie des 3 000 dossiers non transmis par l’administration à la CIF.
Bien entendu, ils devraient appartenir à tous les bords politiques, condition indispensable au rétablissement de la confiance.
Un tel examen, qui permettrait de comprendre concrètement le fonctionnement du système, me paraîtrait plus efficace que l’audition annuelle de la CIF prévue par la loi de 2013.
Quatrième proposition, les membres de la CIF désignés par les présidents des deux assemblées pourraient, plus logiquement, être proposés par le président et le rapporteur général des commissions des finances, afin d’assurer la pluralité.
S’agissant de la critique portant sur le principe d’égalité de traitement, elle s’appuie notamment sur l’intervention – fantasmée, je l’ai dit – du ministre dans certaines situations individuelles. Je rappelle, une fois de plus, que la cellule fiscale au cabinet du ministre a été supprimée en 2010.
Dans ce cadre, se pose aussi la question des transactions régies par l’article L. 247 du livre des procédures fiscales, car ces dernières supposent une négociation et laissent à l’administration une marge d’appréciation, d’ailleurs assez proche de celle du juge, qui, parfois, condamne un fraudeur exemplaire à 300 000 euros d’amende, alors qu’il aurait pu fixer le montant à 375 000 euros.
Dans les cas les plus importants, les transactions donnent lieu à une transmission au Comité du contentieux fiscal, douanier et des changes. Elles font l’objet d’un rapport annuel au Parlement et je voudrais montrer que leur ampleur n’est pas celle que l’on croit.
Les transactions n’ont concerné que 294 des 4 000 dossiers les plus importants, pour un montant total de 12,5 millions d’euros. Pour l’essentiel, elles ont été passées avec des entreprises, les particuliers ne représentant qu’une petite part de 28 transactions, correspondant à un montant remis de 1,8 million euros.
Ces transactions se justifient par leur efficacité, tout simplement, et l’efficacité doit rester un principe important en matière d’impôts.
L’action judiciaire, en revanche, doit être privilégiée dans un objectif d’exemplarité et de dissuasion, notamment lorsque la fraude est répétée année après année, ce qui – cinquième proposition, monsieur le secrétaire d’État – peut être considéré comme un critère supplémentaire.
Toutefois, lorsque les conclusions d’un dossier ne sont pas suffisamment certaines, est-il pertinent de mettre sur la place publique la situation d’une personne ou d’une entreprise de bonne foi ? Je vois là une question de protection des personnes, mais aussi des intérêts économiques.
Pour finir, j’en viens au monopole du dépôt des plaintes par l’administration. Cela répond à une logique très simple : l’État porte plainte parce que c’est lui la victime.
Sixième proposition, comme le Sénat l’a déjà voté, peut-être faudra-t-il permettre à l’autorité judiciaire d’étendre une enquête existante à des faits de fraude fiscale connexes.
Septième proposition, peut-être faudra-t-il aussi que la CIF puisse être saisie cette fois-ci par la justice pour que l’administration fiscale, qui ne peut pas tout détecter, s’empare utilement d’un dossier de fraude.
Enfin, autre amélioration et dernière proposition, il faudrait clarifier l’articulation entre l’article 40 du code de procédure pénale et le dispositif du « verrou de Bercy ».
Voilà un certain nombre de propositions qui seront à discuter en juillet et à enrichir, de manière consensuelle, dans le cadre de nos travaux au Sénat.
Je propose donc à notre assemblée de ne pas adopter ce texte, qui a pourtant le mérite d’engager, avant l’heure utile, le débat sur ce sujet essentiel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’intervenir devant vous aujourd’hui sur un sujet qui fait l’objet, cela vient d’être rappelé, de réflexions et de travaux approfondis, aussi bien au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. En témoigne la mission d’information commune aux commissions des finances et des lois, qui a été mise en place par les députés et dont les conclusions seront rendues la semaine prochaine.
Toutefois, en dépit de ces nombreux travaux, le sujet continue, et c’est logique, de susciter des commentaires et des critiques, apparaissant parfois infondés.
L’examen de cette proposition de loi issue du groupe socialiste et républicain m’offrira donc l’occasion, je l’espère, de dissiper un certain nombre de malentendus, qui semblent avoir été repris dès l’exposé des motifs du texte. Je rappellerai ainsi, contrairement à ce qui y est indiqué par la sénatrice Marie-Pierre de la Gontrie, que le ministre chargé du budget ne dispose pas, à titre personnel, du monopole de l’ouverture des poursuites pénales en matière de fraude fiscale ; celui-ci revient bien à l’administration elle-même !
Comme vient de le faire votre rapporteur, dont je salue l’objectivité, je m’attacherai donc à décrire les faits avec précision, tout en dessinant des pistes de réflexion pour pallier le manque de transparence dont – nous en convenons tous – le dispositif souffre.
Effectivement, comme vous l’aurez constaté, le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude que le Gouvernement a déposé sur le bureau du Sénat ne comporte pas de disposition sur le sujet. Cela signifie, non pas que le Gouvernement ne compte pas s’emparer de cette question, mais simplement que nous souhaitons laisser les parlementaires formuler leurs propres propositions en la matière – M. le rapporteur vient de le faire avec ses huit propositions. Elles les concernent en effet au premier chef.
Le rapporteur de votre commission des finances, M. Jérôme Bascher, a d’ailleurs rappelé, à juste titre, que le calendrier dans lequel nous examinons cette proposition de loi ne permet pas de prendre en compte les travaux de la mission d’information de l’Assemblée nationale, dont les conclusions seront rendues mercredi prochain.
De fait, le rejet du texte par votre commission des finances suffit, me semble-t-il, à démontrer que la démarche d’ouverture du Gouvernement a été entendue. (Mme Marie-Pierre de la Gontrie rit.)
Je ne surprendrai donc personne en annonçant que le Gouvernement n’est pas favorable à une suppression pure et simple du « verrou de Bercy ». En revanche, et ce sera l’objet de mon intervention, je souhaite que nous puissions remettre aux parlementaires les clefs de ce verrou, en sanctuarisant dans la loi les critères déclenchant des poursuites pénales en matière de fraude fiscale, tout en renforçant leurs pouvoirs de contrôle.
Nous rejoignons ainsi la position de votre rapporteur, qui propose lui aussi l’inscription de ces critères dans la loi et l’amélioration du contrôle sur la sélection de ces dossiers.
J’ajoute, pour être complet, que le Gouvernement partage aussi pleinement les préoccupations du rapporteur en matière de préservation du secret fiscal. Ce dernier ne saurait être levé qu’en toute fin de procédure.
Le sujet – et c’est encore un point souligné par M. Bascher – doit être démythifié.
Premier mythe, le « verrou de Bercy » n’est précisément pas un verrou !
La disposition communément dénommée « verrou de Bercy » prévoit en effet que l’action pénale peut être engagée pour fraude fiscale uniquement sur le fondement d’une plainte préalable de l’administration fiscale. Est-ce si choquant ?
Dans beaucoup d’autres domaines de l’action pénale, personne n’imaginerait que l’on puisse engager des poursuites sans une plainte de la victime. Or, en cas de fraude, c’est le Trésor qui est lésé ! C’est donc en tant que victime que l’administration fiscale porte plainte pour engager l’action pénale.
En réalité, il y a derrière le sentiment que ce système est par trop verrouillé l’idée selon laquelle la fraude est non pas l’affaire d’experts, mais l’affaire de tous. C’est naturellement vrai. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude généralise la publication des sanctions en matière pénale et permettra la publication des sanctions administratives.
Pour autant, on voit mal comment les choses pourraient aller véritablement plus loin en la matière. Sans exigence de plainte préalable de l’administration, le juge judiciaire se retournera toujours vers l’administration fiscale pour caractériser la fraude et le dossier finira toujours par revenir chez l’expert…
Les finances publiques ne seront pas gagnantes à un changement de système, et la levée du « verrou » irait au-delà de notre objectif commun, qui est de sanctionner les fraudeurs et d’additionner aux sanctions administratives les sanctions pénales dans les cas les plus graves.
Je veux démonter un second mythe : la commission des infractions fiscales, la CIF, n’est pas un OVNI administratif.
Que fait cette commission ? D’abord, joue-t-elle le rôle d’un parquet comme on l’entend parfois ? En réalité, non. Elle s’emploie surtout à vérifier que le dossier est suffisamment solide et étayé juridiquement pour que l’on mobilise l’autorité judiciaire, dont elle sait qu’elle a de nombreuses autres préoccupations et qu’il est peut-être inutile de l’engorger inutilement.
Ce travail de filtre pose-t-il une difficulté ? Je ne le crois pas non plus, puisque la commission des infractions fiscales valide 85 à 95 % des propositions de plaintes selon les années.
Par ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, si certains parmi vous émettent des doutes à ce sujet, le Gouvernement ne saurait que conseiller à votre assemblée de s’emparer du pouvoir de contrôle que vous a donné la loi Sapin de 2013, qui oblige la commission à publier un rapport annuel et dispose qu’un débat sur son action doit avoir lieu chaque année devant les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le rapport prévu est élaboré chaque année et comporte des informations utiles. Le débat devant les commissions n’a jamais été organisé !
Faut-il pour autant laisser le système actuel en l’état, sans rien y changer ? Je ne le crois pas, et ce n’est pas la position du Gouvernement.
S’il existe tant de fantasmes autour du « verrou de Bercy », cela signifie que des évolutions sont nécessaires. Je rejoins ici M. le rapporteur quant à la nécessité de réformer le dispositif afin d’y introduire plus de transparence sur les critères de transmission des dossiers à la CIF. Cela permettra de dissiper les fantasmes, parmi lesquels l’idée selon laquelle le ministre en charge du budget déciderait lui-même de la transmission des dossiers.
Toutes les décisions de ne pas transmettre les dossiers à la CIF sont tracées et peuvent être auditées. Il y a donc sans doute de bonnes raisons de ne pas transmettre, soit que le dossier soit au contentieux devant le juge administratif, soit que la fraude ne soit, par exemple, pas suffisamment caractérisée. Aucune main invisible n’intervient pour protéger certains et en exposer d’autres. Votre rapporteur a souhaité, à ce titre, que des parlementaires habilités puissent mieux contrôler le travail de transmission de l’administration fiscale. Le Gouvernement est favorable à cette proposition.
En réalité, comme Gérald Darmanin a eu l’occasion de le dire et de le proposer devant la mission d’information de l’Assemblée nationale, nous considérons que la loi devrait être plus claire sur les critères de définition des dossiers fiscaux donnant lieu à proposition de poursuite pénale, qu’il s’agisse du montant des droits fraudés, des agissements du contribuable ou encore du contexte du dossier.
Je pense également que, en matière de présomption de fraude, c’est-à-dire lorsque la fraude n’est pas encore caractérisée, les instruments à disposition de l’administration n’étant pas suffisants, ou lorsque la démonstration de la fraude nécessite la mise en œuvre de méthodes d’enquête beaucoup plus intrusives, le sas de la CIF n’est pas nécessaire. En effet, il s’agit non pas ici de rajouter une couche pénale aux sanctions déjà appliquées au niveau fiscal, mais de passer le témoin du contrôle fiscal à la police fiscale afin de poursuivre l’enquête.
Le Gouvernement considère, en revanche, qu’une ligne rouge ne doit pas être dépassée : celle qui consisterait à remettre en cause le principe de plainte préalable de l’administration, en cas de connexité par exemple. C’est avant tout un sujet de coordination des procédures. Il faut veiller à ce que les choses soient faites dans l’ordre et à ne transmettre à la CIF que les dossiers les plus graves et pour lesquels l’application de sanctions pénales complémentaires aux sanctions administratives paraît justifiée.
De fait, comme M. le rapporteur l’a rappelé voilà un instant, en cas de suppression de l’exigence de plainte préalable, nous nous exposerions à deux problèmes très pratiques.
Premièrement, les procédures parallèles devant le juge judiciaire et le juge administratif se multiplieraient. Des contentieux formés sur un même dossier risqueraient ainsi d’aboutir à la situation ubuesque dans laquelle, par exemple, un contribuable serait condamné pénalement pour fraude, mais verrait ses rappels et pénalités annulés devant le juge administratif.
Deuxièmement, les procédures se multipliant, le nombre de dossiers dans lesquels sanctions pénales et sanctions administratives se cumuleront augmenterait nécessairement. Ce cumul de peines est, certes, admis par le Conseil constitutionnel, mais seulement dans les cas les plus graves. La nécessité d’un processus sélectif pour amener les dossiers au pénal est donc consubstantielle à ce principe. Elle s’imposera, quoi que l’on veuille, à toute évolution de notre procédure actuelle.
Je note, d’ailleurs, que la procureur du Parquet national financier, le PNF, ne disait pas autre chose lorsqu’elle déclarait, en mai 2016, que « le rôle de filtre assuré par la CIF est une bonne chose, dans la mesure où il faut être pragmatique : la justice serait dans l’incapacité de traiter l’ensemble des plaintes ».
En conclusion, vous l’aurez compris, le Gouvernement ne souhaite pas l’adoption de cette proposition de loi, tant la suppression complète et immédiate à la fois du monopole du dépôt des plaintes par l’administration fiscale et de la validation de la CIF aurait des conséquences sur l’engorgement de la justice ou l’efficacité dans le recouvrement des sommes dues et des pénalités. À vouloir tout judiciariser, nous risquons d’affaiblir l’efficacité de notre système répressif, ce qui serait contraire à l’objectif.
La voie que nous vous proposons constitue une véritable amélioration de notre système. Elle consiste, comme je l’ai indiqué il y a un instant et comme l’a proposé votre rapporteur, à maintenir le « verrou », mais à vous en remettre les clefs, à vous, parlementaires, en définissant dans la loi les critères de transmission des dossiers et en renforçant vos moyens de contrôle, conformément au principe de la séparation des pouvoirs.
Pour terminer, je veux vous répondre, madame la sénatrice Marie-Pierre de la Gontrie. Vous avez eu l’amabilité de dire que vous étiez heureuse de me retrouver au banc du Gouvernement, ce qui m’a doublement surpris.
Vous avez rappelé que j’étais favorable à un aménagement du « verrou ». Je pense qu’il faut être encore plus précis.