Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Sylvie Robert. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « l’objectif de toute éducation devrait être de projeter chacun dans l’aventure d’une vie à découvrir, à orienter, à construire ». Par ces mots, Albert Jacquard confère à l’éducation une finalité presque métaphysique, autour d’un triptyque qui a pour pivot « l’orientation » de l’individu ; en effet, ce qui octroie du sens à l’éducation, par-delà l’apprentissage de savoirs et de connaissances, c’est bien l’orientation que nous lui donnons. Selon nos appétences et nos aptitudes personnelles, c’est elle qui détermine, en partie, les débouchés professionnels auxquels nous pouvons aspirer ; c’est elle, aussi, qui ajuste notre rôle et notre identité sociale.
Oui, une bonne orientation est aussi gage de réussite et ces deux termes – orientation et réussite – se trouvent d’ailleurs dans l’intitulé de votre projet de loi, madame la ministre. Certes, l’orientation peut être évolutive dans le temps, ce qui fait écho à la notion de formation tout au long de la vie, mais il est évident que la période cardinale est bien celle qui fait la charnière entre le lycée et l’enseignement supérieur. C’est à ce moment précis, pour paraphraser Albert Jacquard, qu’une vie encore invisible « se découvre », que nous « l’orientons » sans parfois bien en mesurer les conséquences et que nous commençons à « construire » un futur qui paraît souvent évanescent pour l’individu lui-même.
L’orientation constitue donc la clef de voûte de l’ensemble du système éducatif et doit faire l’objet non seulement d’une attention, mais d’un investissement réel, continu et massif des pouvoirs publics. Je le répète, éduquer sans permettre à chacun de bien s’orienter n’a pas de sens. Dès lors, tout l’enjeu de ce projet de loi est de savoir s’il assure les conditions d’une meilleure orientation et réussite des étudiants, comme le Gouvernement le prétend.
Ce texte est avant tout une réponse conjoncturelle, et non structurelle, aux défaillances qui ont émaillé progressivement le fonctionnement de la plateforme APB et qui ont été dénoncées par la CNIL. Cette plateforme n’était ni mauvaise ni bonne en soi, elle est simplement devenue inadaptée au regard de la démographie étudiante.
À cet égard, je crois qu’il convient de porter un regard positif sur la massification de l’enseignement supérieur. Dans certains propos, on sent parfois une tendance à la présenter comme un problème ; certes, elle soulève des questions fonctionnelles et organisationnelles, mais n’oublions jamais qu’il s’agit d’une chance prodigieuse. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
En effet, la massification est naturellement une chance pour l’étudiant. Alors qu’à l’après-guerre peu de jeunes poursuivaient leurs études dans l’enseignement supérieur, plus de 80 % des bacheliers s’inscrivent désormais dans une formation. Il s’agit pour eux d’une opportunité manifeste d’élever leur niveau de qualification, de se spécialiser dans la filière de leur choix et de consolider leur esprit critique. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)
Par ailleurs, il s’agit d’une chance pour notre pays. Les étudiants d’aujourd’hui sont notre devenir commun. Ils constituent la force, la vitalité et la capacité créatrice à répondre aux défis auxquels nous devons faire face à l’avenir. Tous les travaux, qu’ils aient été menés par des économistes ou des chercheurs en sciences sociales, démontrent que plus les individus ont un haut niveau de qualification, mieux une société se porte, se développe et innove.
M. Charles Revet. C’est sûr !
Mme Sylvie Robert. Néanmoins, si nous ne pouvons que nous réjouir de cette massification de l’enseignement supérieur, qui traduit une réussite de notre politique publique éducative, force est de constater qu’elle ne s’est malheureusement nullement conjuguée à une démocratisation de la réussite. Je ne rappellerai pas les taux d’échec en licence, mais je vous fais part de statistiques éloquentes : seuls 7 % des bacheliers technologiques et 2 % des bacheliers professionnels obtiennent une licence à l’université en trois ans. C’est politiquement inacceptable, socialement injuste et très inefficace d’un point de vue éducatif.
Que signifient concrètement ces statistiques ? Qu’il n’est plus possible de garantir uniquement l’accès de tous les bacheliers aux études supérieures, sans se préoccuper une seule seconde de leur chance de réussir. Agir ainsi, c’est ouvrir un accès qui mène à une impasse. L’enseignement supérieur ne doit pas être une jungle réglementée par la loi, non pas du plus fort, mais du mieux préparé et du mieux informé. Il est donc essentiel de réfléchir aux modalités propices à la réussite de chaque étudiant, ce qui sous-entend de s’adapter à son parcours et de prendre en considération ses désirs d’études supérieures.
Je tiens à insister sur ce qui ne doit en aucun cas être remis en cause : ce sont bien les étudiants qui choisissent leur formation et non les universités qui choisissent leurs étudiants. Concevoir un tel projet ou laisser se diffuser une ambiguïté en la matière, c’est clairement renoncer à la promesse républicaine et à la visée émancipatrice inhérente à l’éducation.
Afin de favoriser la réussite de chaque étudiant, il se révèle donc vital de l’aider à s’orienter, ce qui implique de l’accompagner. En ce sens, nous ne pouvons qu’approuver les dispositifs d’accompagnement et le parcours personnalisé que mettront en place les universités. En revanche, nous proposerons des amendements pour mieux les valoriser et nous assurer que leur mise en œuvre fasse véritablement l’objet d’un dialogue entre l’étudiant et l’établissement directeur des études. C’est une condition de la réussite de ces dispositifs, mais surtout de l’étudiant.
Pour autant, madame la ministre, deux réserves majeures brident quelque peu notre enthousiasme.
D’une part, s’adapter au parcours de l’étudiant et établir des modules d’accompagnement requiert des moyens financiers et humains importants. Or, nous en avions discuté lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, l’effort financier du Gouvernement est insuffisant. Certes, un milliard d’euros est promis sur la durée du quinquennat et vous avez débloqué un certain nombre de ressources dès la rentrée pour certaines universités, mais la démographie étudiante va continuer à croître à moyen terme et il faudra des moyens à la hauteur de l’ambition affichée.
Se posent donc la question des moyens, mais également celle de la temporalité pour mettre en œuvre la réforme. Encore une fois, nous comprenons l’urgence de la rentrée, mais pourquoi ne pas avoir procédé par étapes ? Cela aurait permis d’éviter la précipitation qui plonge certaines universités dans la difficulté.
D’autre part, madame la ministre, nous avons l’impression – et ce sentiment est partagé sur de nombreuses travées – de naviguer à contre-courant. Récemment, un rapport sur la réforme du baccalauréat a été remis à votre collègue de l’éducation nationale. Ce dernier va au-delà de ladite réforme et propose une refonte complète du lycée, qui va dans une direction singulière, parfaitement identifiée : amener l’étudiant à penser, dès la seconde, à son projet d’études supérieures et l’accompagner dans son orientation en lui donnant toutes les cartes en mains.
Si la priorité est bien une politique d’orientation efficace, au service de l’étudiant, qui gomme notamment les déterminismes et prévient les phénomènes d’autocensure, il aurait alors fallu un projet transversal, global, établissant un continuum entre la seconde, voire la première année de l’université. Cela aurait permis d’avoir une vue d’ensemble, seule à même d’instaurer une politique d’orientation unifiée, du secondaire à l’université.
En réalité, à l’inverse de ce qui est inscrit dans l’intitulé de ce projet de loi, nous sommes davantage dans une logique d’affectation que d’orientation. Certes, Parcoursup est d’ores et déjà actif, alors que nous sommes en train de légiférer sur ce sujet – je ne reviens pas sur les débats qui ont eu lieu tout à l’heure – : il comprend des informations sur les différentes formations et explicite les attendus, mais l’information n’est pas synonyme d’orientation. Toutefois, au-delà du cadrage national – et c’est heureux – qui est mentionné dans le texte, il est indispensable de prévoir que les attendus spécifiques ne peuvent être institués que dans la stricte mesure où ils paraissent justifiés au regard des caractéristiques de la formation.
Si certains établissements contournent ce principe, non seulement la réforme sera dévoyée, mais cela accentuera la concurrence entre universités et instaurera un système à plusieurs vitesses. En l’état, la logique d’affectation que j’évoquais précédemment est particulièrement prégnante dans le cadre de la procédure du dernier recours, ce fameux « en attente ».
Madame la ministre, la politique d’orientation commande de tout faire pour trouver une formation qui convienne à l’étudiant qui n’aurait eu aucune affectation. Nous savons que les recteurs sont particulièrement attachés à ce principe. Nous ne pouvons accepter, madame la ministre, qu’un étudiant qui a eu le baccalauréat et exprimé le souhait de continuer ses études puisse se retrouver sur le bord de la route par manque de places à l’université.
La régulation des flux, intrinsèque à la logique d’affectation qui régit ce projet de loi, ne prime aucunement sur le droit à la poursuite des études supérieures. J’insiste, tout étudiant a le droit de poursuivre des études supérieures ; aucune considération, et encore moins matérielle, ne peut l’en priver. Souscrire à une telle dérive, c’est régresser.
Ce droit doit donc être accessible à tous et ne contraindre aucun étudiant à renoncer. Le recteur est et doit rester garant de l’équilibre du système ; c’est pourquoi nous en renforcerons le rôle.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous sommes fondamentalement opposés à toute idée de sélection intentionnelle à l’université, qu’elle soit sauvage, en laissant des étudiants sur le bas-côté, institutionnelle ou déguisée. Ce que nous voulons, c’est une orientation et un accompagnement réussis, du lycée au supérieur, précisément au nom de l’intérêt de l’étudiant. C’est cette valeur qui doit guider toute politique publique éducative et inspirer toute réforme de l’enseignement supérieur ou du secondaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en décidant de répondre au naufrage de la plateforme Admission post-bac, le Gouvernement a fait preuve de courage. La question de l’enseignement supérieur et des taux d’échec déplorable dans le premier cycle universitaire est un problème de fond. Notre assemblée l’a répété dans plusieurs rapports. Trop longtemps, les précédents gouvernements ont évité d’affronter cette situation, nourrissant un état de fait aujourd’hui préoccupant. Le taux d’étudiants sortant de l’enseignement supérieur sans diplôme s’établit à près de 20 %, un cinquième de la population étudiante.
Pendant la campagne pour l’élection présidentielle, le Président de la République s’était engagé à faire de cette réforme de l’enseignement supérieur une pierre angulaire de son quinquennat. Cette décision se confirme et je me réjouis de constater que cette démarche a déjà vu le jour à travers la mise en place d’une nouvelle plateforme d’accès à l’enseignement supérieur, accessible depuis quelques semaines. Bien entendu, des ajustements seront nécessaires pour optimiser cet outil. C’est notamment l’objet de ce projet de loi.
Pour relever le défi de la modernisation de l’enseignement supérieur, ce texte propose d’en renouveler les modalités d’accès et de renforcer les articulations entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. L’efficacité de ces passerelles n’est plus à démontrer et la réussite du programme « passerelle CM2-sixième » doit inspirer nos travaux. L’accès à l’enseignement supérieur ne doit pas être synonyme d’un abandon en rase campagne, il faut accompagner les jeunes étudiants dans leur nouveau parcours.
Parcoursup propose d’ores et déjà de réaliser une « fiche avenir », pièce importante de la nouvelle plateforme. La nouvelle procédure devra, en conséquence, informer les lycéens sur les attendus de chaque formation et les possibilités d’insertion professionnelle. Il faut en finir avec les formations sans débouchés, où le système éducatif envoie trop souvent nos adolescents, sans réfléchir à leur avenir.
La contrepartie de cet engagement à la professionnalisation des parcours, c’est le renforcement de l’engagement des étudiants. Le projet de loi propose un contrat de réussite pédagogique ; nous proposerons de préciser ce dispositif pour en faire plus qu’un acte symbolique. L’étudiant et son établissement devront mutuellement s’engager dans une démarche où l’insertion sur le marché de l’emploi est la finalité, et la ponctualité et le respect des engagements pris sont la condition de la réussite.
Ces promesses d’avenir ne sauraient être réalistes sans la mise en place d’un certain nombre de garde-fous. Le projet de loi nous paraît équilibré sur ce point. Le recteur sera un garant efficace du fonctionnement de ce nouveau système et les établissements seront pleinement inscrits dans la mise en place d’un dialogue entre le lycéen et sa future formation. Pertinence du projet, soutien à la mixité sociale et à la mobilité géographique : tels doivent être les mots d’ordre.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants contribue à une refonte de l’enseignement supérieur que nous appelons tous de nos vœux. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra ce projet de loi en souhaitant qu’il soit le départ d’un modèle d’avenir et de réussite pour nos étudiants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Madame la ministre, je souhaite en tout premier lieu vous féliciter d’avoir pris à bras-le-corps un problème récurrent qui, au fil des ans, est devenu insupportable et a vu, en point d’orgue, l’absurde affectation des étudiants par tirage au sort. Ce volontarisme mérite respect et soutien.
Bien sûr, ce texte n’est pas parfait et mériterait améliorations, avancées et corrections. Certaines seront apportées. Je souhaite simplement que nous soyons capables d’apprécier le fait que le texte existe, qu’il va dans le bon sens et qu’il fera bouger les lignes. Mes chers collègues, gardons présent à l’esprit que parfois le mieux est l’ennemi du bien.
Oui, il faut bouger les lignes. Je salue le fait que l’on s’attaque enfin au problème de l’orientation, élément essentiel à l’avenir de notre jeunesse. L’orientation doit être abordée de manière professionnelle à partir d’analyses du marché du travail, d’analyses prospectives sur l’évolution des métiers, de présentations sur la valorisation des différentes qualités nécessaires à la bonne réussite d’un parcours professionnel évolutif dans le temps.
Il faut bouger les lignes, car cela obligera également les établissements d’enseignement supérieur à construire leur attractivité en portant leurs résultats à la connaissance du public : réussite académique, réussite en matière d’employabilité des étudiants, mise en place d’un suivi des anciens étudiants, contrôle accru de la présence des étudiants aux différents examens, suppression de la recevabilité des copies blanches comme élément attestant que le cursus a été suivi. Je souhaite personnellement que, à l’avenir, la part du budget alloué aux universités tienne davantage compte de ces critères de performance.
Analyser la potentialité des étudiants, sans remettre en cause leur droit à évoluer, leur donner une véritable connaissance des potentialités des établissements d’enseignement supérieur et des potentialités d’évolution des métiers : tout cela doit concourir à une meilleure affectation des moyens publics.
Dans l’intérêt de notre jeunesse, dans l’intérêt de notre pays, nous devons faire bouger les lignes. Ce texte y contribue, je le soutiendrai. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si le principe de l’université pour tous peut être considéré comme un mythe, selon les mots mêmes du Président de la République, l’accès à l’enseignement supérieur constitue un droit à l’exercice duquel nous refusons toute entrave.
À l’instar d’Edgar Faure en 1968, le groupe du RDSE a l’intime conviction que l’augmentation du nombre d’étudiants est salutaire pour notre société comme pour l’épanouissement individuel. Je suis ravie de voir que, cinquante ans après, il est toujours une référence pour bon nombre de nos collègues. Même si je pense que mon groupe a une certaine légitimité à le citer, je n’oublie pas qu’un grand homme n’appartient à personne.
Dans son discours prononcé au sein de la Haute Assemblée le 24 octobre de cette année-là, Edgar Faure mettait en garde ceux qu’il dénommait les « pessimistes », vivant dans une « sorte de délectation morose de l’époque des lettrés rares et précieux ». À ceux qui étaient favorables à l’instauration d’une sélection, il rétorquait que celle-ci ne réglerait pas le problème des universités et du déséquilibre de l’enseignement en France. Selon lui, la sélection éliminatoire était contraire à la société de promotion et à la démocratie. Il fallait donc « aider chacun, démocratiquement, à atteindre sa qualification propre, sa qualification optimale et même toute la culture générale qu’il est susceptible d’embrasser ».
Son analyse demeure d’une étonnante actualité, par le prisme de la culture polyvalente pour tous, du droit à une seconde chance et à l’éducation permanente. L’enseignement supérieur n’a pas pour seule vocation de fournir des emplois ; nos amendements vont en ce sens. Il est important de le rappeler, car nous sommes aujourd’hui dans l’incapacité d’établir une vision prospective exacte des métiers qui émergeront.
Les universités exercent une mission de service public qui dépasse les considérations économiques. Les étudiants ne sont pas des chiffres. Leur affectation, donc leur avenir, n’est pas un simple jeu d’algorithmes, par lequel on apparie des flux qui ne peuvent parfaitement correspondre.
Bien sûr, les problèmes posés par la plateforme APB, tout comme le taux d’échec en licence et la crise des affectations appellent une réponse rapide, mais il faut également mobiliser des leviers transversaux, inscrits depuis l’école maternelle jusqu’à l’encadrement des étudiants de premier cycle. À ce titre, les mesures du plan Étudiants vont dans le bon sens.
Affirmer que les étudiants de l’université ne subissent pas de sélection est erroné. Celle-ci est omniprésente, implicite, et commence dès le début de la scolarité, selon les origines sociales.
Après plusieurs années d’atermoiements, ce texte pose une base légale et transparente à l’affectation des candidats dans les établissements d’enseignement supérieur et une humanisation de la procédure, là où l’avenir du candidat reposait sur un traitement automatisé et un tirage au sort dans les filières en tension. La situation ne pouvait pas durer et la mise en demeure de la CNIL était justifiée. C’est la raison pour laquelle le groupe du RDSE partage l’économie générale du texte, qui contient d’autres avancées telles que la suppression du régime de sécurité sociale des étudiants ou la nouvelle contribution d’accompagnement social, sanitaire, culturel et sportif.
Il reste à déterminer si les modalités de cette affectation sont socialement justes. Y aura-t-il réellement une sélection dont on n’ose pas prononcer le nom ? Oui, pour les filières en tension, comme c’est le cas aujourd’hui, d’autant plus que les capacités d’accueil ne suivent pas le dynamisme démographique.
Tel que le texte est rédigé, le groupe du RDSE craint une aggravation de la sélection sociale avec l’arrivée des générations du baby-boom des années 2000. J’y reviendrai lors de la présentation de nos amendements. Il semble également contestable de prendre en compte le parcours extrascolaire du candidat, comme cela figure dans l’arrêté ministériel du 19 janvier 2018 autorisant la mise en œuvre de Parcoursup.
À la lecture des fameux « attendus », je m’inquiète des exigences demandées sur le modèle type des offres d’emploi : par exemple, en droit, la capacité d’ouverture sur le monde dont je vois mal qu’elle puisse être jugée avec les éléments transmis, ou, en STAPS, la nécessité d’un investissement associatif ou l’exercice de responsabilités collectives.
Aux origines de l’échec en licence, on trouve surtout un manque de moyens flagrant pour les filières non sélectives par rapport aux filières sélectives. Le système français de l’enseignement supérieur doit être corrigé dans ce qu’il a de plus inégalitaire, car on accorde toujours plus de moyens à ceux qui en ont le moins besoin.
Le projet de loi trouve ici ses limites, avec le risque d’accroître le taux de sélectivité dans les filières en tension, qui sont de plus en plus nombreuses. Je vois mal comment les capacités d’accueil suivront la demande : le milliard d’euros annoncé sur le quinquennat est très en deçà des besoins estimés lors de l’élaboration de la stratégie nationale de l’enseignement supérieur, la STRANES, soit 10 milliards d’euros sur dix ans. Si ce montant peut paraître élevé, il n’est en aucun cas absurde, car il s’agit d’un investissement d’avenir pour ouvrir à notre jeunesse l’accès au savoir et lui permettre de s’adapter aux évolutions complexes de notre société.
Le groupe du RDSE, s’il salue les avancées de ce texte, souhaite que nos débats en renforcent le caractère socialement équitable. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Carle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Carle. Madame la ministre, le texte que vous nous présentez vise à mettre fin au système APB mis en place par le gouvernement précédent, système qui aurait eu sa place à la Française des jeux, mais reste indigne de l’éducation nationale. S’en remettre au tirage au sort pour déterminer l’avenir d’un jeune démontre à l’évidence l’impuissance d’un gouvernement à faire face au problème de l’orientation, qui constitue depuis des décennies l’échec majeur de notre système éducatif.
Certes, les causes sont multiples et complexes, mais la principale raison est, à mon sens, la volonté de nier la triple réponse que se doit d’apporter tout système de formation : une réponse sociale, une réponse économique, une réponse territoriale.
La réponse est d’abord sociale. Oui, il faut répondre au souhait et au projet du jeune. C’est une évidence. Reste que, dans le même temps, il faut avoir le courage de lui dire les difficultés qu’il peut rencontrer en termes de débouchés.
M. Charles Revet. C’est important !
M. Jean-Claude Carle. Bien sûr qu’il faut se garder d’une réponse trop « adéquationniste » en termes d’offre et de besoin. Les métiers évoluent, mais force est de constater que nous ne prenons pas suffisamment en compte la réponse en termes de besoin.
Certains considèrent d’ailleurs que ce n’est pas le rôle de l’éducation. J’en veux pour preuve l’article 2 bis, ajouté par le groupe La France insoumise de l’Assemblée nationale et supprimé à bon escient par notre rapporteur, qui insérait dans le code de l’éducation un alinéa précisant que le premier cycle universitaire devra « contribuer à l’émancipation sociale et culturelle des étudiants afin qu’ils soient en mesure de développer un libre arbitre et une pensée critique leur permettant d’exercer leur citoyenneté de façon éclairée ». Mes chers collègues, comment ne pas partager une aussi noble ambition ? Reste que je suis sceptique quant à la possibilité pour un jeune de développer son libre arbitre lorsque, pour un sur quatre, la première porte qu’il poussera sera non pas celle d’une entreprise ou d’une administration, mais celle de Pôle emploi.
Comment exercer son libre arbitre, lorsque seulement 27 % des étudiants obtiennent une licence en trois ans, lorsque 61 % abandonnent les études dans lesquelles ils s’étaient engagés ou se réorientent vers d’autres formations ? Leur pensée critique, c’est à nous qu’ils l’adressent, pour ne pas les avoir éclairés sur ces risques et nous être réfugiés derrière ce discours : le diplôme protège.
Et tout cela, à quel prix ? Au prix d’un formidable gâchis humain et financier, de jeunes déçus et de parents frustrés, dont la plupart appartiennent aux classes sociales les plus modestes. Mieux vaut alors des parcours plus itératifs, notamment pour les jeunes titulaires d’un bac technologique ou professionnel, qui leur donnent l’assurance qu’ils pourront, s’ils le souhaitent, poursuivre leurs études, voire se réorienter. Le compte épargne formation constitue un très bon outil.
Je me réjouis donc des propositions du rapporteur, Jacques Grosperrin, qui visent à ce que les capacités d’accueil dans les formations du premier cycle prennent en compte les taux de réussite et d’insertion professionnelle, afin d’offrir aux étudiants des formations disposant de réels débouchés.
Toutefois, les débouchés ne sont pas uniformes sur l’ensemble de notre territoire et les besoins ne sont pas les mêmes d’une région à l’autre. Or les régions sont des espaces pertinents en matière de cohérence et de stratégie des politiques économiques et de formation. Aussi, il me paraît souhaitable, dans un souci de plus grande efficacité du dispositif, que les acteurs régionaux soient étroitement associés à l’orientation et à la réussite des étudiants. J’y reviendrai lors de la discussion d’un amendement que j’ai déposé en ce sens, afin d’apporter une réponse territoriale.
Madame la ministre, votre proposition constitue à l’évidence une meilleure réponse que les dispositions actuelles. Elle prend, de façon encore timide, la dimension des besoins, indispensable si l’on veut donner à nos jeunes des perspectives plus réalistes en termes d’insertion professionnelle. C’est important pour chacun d’entre eux, pour leur famille, mais aussi pour garantir la cohésion sociale de la Nation, qui ne pourra longtemps encore accepter que 25 % d’une classe d’âge soit au chômage, contre 7 % en Allemagne.
Permettez-moi, avant de conclure, de saluer le travail de Jacques Grosperrin, rapporteur de ce texte, notamment son souci de simplifier ce dispositif, en certains points trop complexe, de mieux prendre en compte l’autonomie des établissements, de tenir compte des taux de réussite et d’insertion professionnelle.
Madame la ministre, ce projet de loi doit être non pas un aboutissement, mais le point de départ pour une orientation réussie des jeunes.
Aujourd’hui, dans notre pays, le déterminisme social est total, la réussite est largement réservée à ceux qui « savent » et à ceux qui « ont ». Dois-je rappeler qu’un fils d’ouvrier a dix-sept fois moins de chances de préparer une grande école qu’un fils d’enseignant ou de cadre supérieur et, dans le même temps, quatre fois plus de risque d’échec ?
C’est bien là la plus terrible, la plus inacceptable des sélections, la sélection, mot tabou que certains refusent même de prononcer, souvent par éthique, et c’est tout à fait respectable, mais aussi parce qu’ils confondent égalitarisme et égalité.