M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Il paraît qu’il s’agissait d’un mode de sélection « juste », mais il a pourtant écarté de certaines formations des candidats qui avaient tout pour y réussir et a affecté, dans ces mêmes formations, des jeunes qui sont allés droit à l’échec.
Alors, madame la ministre, vous qui introduisez enfin la sélection à l’entrée dans notre enseignement supérieur, je dois vous reconnaître un certain courage politique et je tenais à le saluer, mais osez aller jusqu’au bout et assumez une réforme majeure de l’enseignement supérieur français, qui en a tant besoin ! Napoléon Bonaparte disait : « On ne peut pas faire semblant d’avoir du courage. »
Si l’introduction de la sélection dans l’enseignement supérieur constitue pour moi un satisfecit majeur, je reconnais aussi volontiers que le plan Étudiants présente d’autres avancées intéressantes : un début de concrétisation du continuum « bac+3 / bac–3 » ou encore l’amélioration de l’orientation en classe de terminale.
Ces efforts sont louables, mais ils devront être amplifiés. Une mission d’information, réunie sur l’initiative de notre présidente de commission, Catherine Morin-Desailly, et consacrée à l’orientation scolaire, avait adopté de nombreuses propositions à cet effet, qui mériteront un regard attentif.
Ce satisfecit étant donné, permettez-moi d’émettre de nombreuses inquiétudes sur ce projet de loi, Parcoursup et, plus généralement, le plan Étudiants !
La première de mes inquiétudes tient, bien entendu, à la vitesse avec laquelle cette réforme a été menée. Certes, madame la ministre, vous n’aviez pas vraiment le choix, la CNIL et le Conseil d’État vous ayant mise en demeure de changer le système d’entrée à l’université dès la rentrée 2018, mais quelque 830 000 candidats et leurs familles – nous savons tous à quel point ces dernières sont impliquées – vont peut-être essuyer les plâtres du nouveau dispositif.
Je crains en particulier que le mécanisme de « ruissellement » des places disponibles que vous avez choisi ne soit terriblement anxiogène pour 90 % des candidats, qui n’auront aucune réponse positive pendant de longues semaines d’attente.
Compte tenu de la disparition de la hiérarchisation des vœux, les établissements vont devoir examiner un nombre considérable de dossiers, en moyenne plus de 1 000 par licence, avec des pics probablement supérieurs à 15 000 pour les formations les plus demandées.
Ma deuxième inquiétude tient aux places qui devront être ouvertes à la prochaine rentrée : alors que plus de 30 000 candidats supplémentaires devraient se presser aux portes de l’enseignement supérieur l’an prochain, le Gouvernement prévoit l’ouverture de 22 000 places. Certes, 135 000 places étaient restées vacantes à la fin d’APB 2017, mais je vous demande solennellement, madame la ministre, une vigilance toute particulière sur les ouvertures que vous envisagez.
Il faut, en premier lieu, privilégier les ouvertures de places dans les IUT et les STS, afin de garantir aux bacheliers technologiques et professionnels des places adaptées à leur profil, à leurs souhaits et à leur insertion professionnelle. Sinon, ces bacheliers risquent d’être les grandes victimes de votre réforme. J’ai bien entendu les engagements que vous avez pris à cette tribune, madame la ministre, y compris sur les moyens.
Il faut ensuite ouvrir des places prioritairement dans les filières qui insèrent et préparent aux « métiers du futur », et, même si je sais que cela ne plaît pas sur toutes les travées lorsque je dis cette vérité toute simple, en fermer dans celles qui ne débouchent sur aucune insertion professionnelle. Il s’agit non pas d’instaurer des numerus clausus, comme je l’ai entendu dire, mais de mettre toutes les chances de réussite du côté de nos jeunes. C’est pourquoi notre commission a souhaité que les modifications des capacités d’accueil soient corrélées aux taux de réussite et d’insertion professionnelle des formations. C’est du réalisme et du bon sens !
Ma troisième inquiétude, enfin, concerne la procédure dite « du dernier mot au candidat », qui obligera le recteur à faire une proposition de formation à tout candidat qui se trouvera sans inscription à l’issue de la procédure normale de Parcoursup. Ce dispositif ressemble au « droit à la poursuite d’études » en master, qui nous avait laissés très réservés voilà deux ans. En effet, les rectorats vont devoir traiter, en plein cœur de l’été et au cas par cas, tous les étudiants sans proposition de formation : il s’agira probablement de plusieurs milliers de dossiers. Notre commission a souhaité que l’établissement dont la formation est envisagée ait son mot à dire au cours de ce processus, c’est-à-dire non seulement qu’il soit partie prenante du dialogue entre le recteur et le candidat, mais aussi qu’il donne son accord explicite pour l’inscription du candidat. C’est en effet l’établissement qui sera le plus à même de vérifier que le profil du candidat qu’on lui propose correspond bien à la formation qu’il dispense.
Madame la ministre, j’ai bien entendu vos propos, et c’est dans un esprit également constructif, mais non complaisant, que notre commission a examiné le projet de loi qui nous était soumis. Nous y avons apporté notre marque, la marque du Sénat, et nous allons poursuivre ce travail dans cet hémicycle grâce aux amendements déposés par nos collègues. Je tiens à les remercier par avance des débats nourris et respectueux qui vont se dérouler.
Permettez-moi, en conclusion, de rappeler que notre commission a délégué l’examen au fond des articles 3 et 3 bis à la commission des affaires sociales, dont je veux ici saluer le président, Alain Milon, et la rapporteur pour avis, Frédérique Gerbaud, que je serai heureux d’entendre sur ces articles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
5
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
Mme la présidente. Mes chers collègues, j’ai le grand plaisir de saluer la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de députés de la Knesset, conduite par M. Meir Cohen, vice-président de cette assemblée. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre, se lèvent.)
Cette délégation est accueillie par notre collègue Philippe Dallier, président du groupe d’amitié France-Israël, et par nos collègues membres de ce groupe.
Mesdames, messieurs les députés, votre venue traduit la volonté de renforcer le dialogue entre nos deux institutions, notamment en matière de lutte contre le terrorisme, dialogue qui se poursuivra par un déplacement du groupe d’amitié en Israël en mai prochain, dans un contexte marqué par la célébration du soixante-dixième anniversaire de la création de l’État d’Israël.
Je signale également que se tiendra prochainement la « saison croisée » France-Israël, qui marquera une nouvelle et importante étape dans les relations entre les deux pays.
Culture, innovation, sciences, éducation, francophonie seront au cœur de cette « saison croisée », qui se déroulera simultanément dans les deux pays, de juin à novembre 2018.
Au nom du Sénat de la République française, je vous souhaite la plus cordiale bienvenue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
6
Orientation et réussite des étudiants
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme la rapporteur pour avis.
Mme Frédérique Gerbaud, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales s’est saisie pour avis de l’article 3 du projet de loi supprimant le régime de sécurité sociale étudiant. Elle a étendu son examen, sur le même volet de la santé, à l’article 3 bis.
Ce n’est pas la première fois que le Sénat est appelé à débattre de ces sujets : une proposition de loi mettant fin au régime social étudiant a été votée en novembre 2014 dans notre hémicycle, sur l’initiative de notre collègue Catherine Procaccia.
La réforme engagée par le projet de loi s’inscrit dans le droit fil des préconisations de notre assemblée. Elle fait également écho à des réflexions engagées par la commission des affaires sociales, dès 2012, au sein d’un groupe de travail.
Les constats posés alors, étayés depuis par de nombreux rapports, demeurent en grande partie d’actualité.
Lors de sa création en 1948, le régime étudiant avait vocation à favoriser l’autonomie des jeunes et à prendre en compte leurs besoins spécifiques en matière de santé. Or il ne semble plus répondre efficacement à cet objectif : les allers et retours vers et depuis le régime étudiant, par nature transitoire, peuvent être sources de dysfonctionnements et, in fine, entraver l’accès des jeunes à la santé.
Notre but n’est pas de remettre ici en question la capacité des organismes gestionnaires, qui ne sont pas seuls responsables d’un système porteur en lui-même de complexité et de lourdeur administrative. La qualité du service offert, souvent critiquée, s’est d’ailleurs améliorée avec l’adossement en 2015 d’un des opérateurs, La Mutuelle des étudiants, au régime général.
Dans le prolongement de cette évolution, le projet de loi a pour objet d’engager une réforme structurelle qui devrait entraîner une simplification des démarches pour les jeunes et leurs familles, puisque les étudiants demeureront rattachés au régime de leurs parents.
La commission des affaires sociales a approuvé cette réforme, tout en étant vigilante quant aux conditions de sa réussite.
Je mettrai l’accent sur trois enjeux.
Le premier enjeu est organisationnel. La suppression du régime étudiant va impliquer un profond bouleversement, en particulier pour le réseau des mutuelles étudiantes régionales. Après la réforme du régime social des indépendants, l’intégration d’une grande partie de leurs personnels au sein du régime général, d’ici au mois de septembre 2019, sera un nouveau défi pour l’assurance maladie. Nous serons attentifs à ce que ce transfert se déroule dans les meilleures conditions.
Par ailleurs, la suppression de la cotisation pour les étudiants dès la rentrée prochaine est certes positive pour les familles, mais son impact sur l’équilibre des comptes sociaux devra être précisé dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous y veillerons.
Le deuxième enjeu est l’exigence de qualité du service rendu aux étudiants, à laquelle ils sont à juste titre attentifs, et la prise en compte par l’assurance maladie des besoins propres à ce public, comme la confidentialité des échanges, la dématérialisation des démarches, l’accueil des étudiants étrangers ou encore l’adaptation des supports de communication. Finalement, ce qui est en jeu, c’est l’appropriation de notre système de protection sociale par les jeunes au moment où ils en découvrent le fonctionnement.
Nous le savons, beaucoup de pédagogie reste à faire. C’est pourquoi il est important que les représentants des étudiants demeurent associés au nouveau dispositif. L’Assemblée nationale a fait un premier pas en ce sens en introduisant un représentant au sein du conseil de la Caisse nationale d’assurance maladie ; la commission des affaires sociales a proposé de porter ce nombre à deux, ce qui permettra une représentation pluraliste des associations étudiantes, et donc l’expression de leur diversité.
Le troisième enjeu est celui de la prévention en matière de santé. Là aussi, les attentes sont fortes, même si des actions ont déjà été mises en place par les mutuelles étudiantes ou d’autres acteurs. Tous les sujets, qu’il s’agisse des thématiques liées aux addictions, à la contraception, au stress, ne sont pas spécifiques aux étudiants, et n’ont pas vocation à l’être, mais la plupart de mes interlocuteurs ont mis en avant la nécessité de parler aux étudiants et d’agir auprès d’eux selon des modalités adaptées, en privilégiant des actions de terrain et en associant leurs pairs.
La commission des affaires sociales a précisé le pilotage des actions de prévention en matière de santé en direction des étudiants, soulignant l’articulation entre les priorités de santé publique et la prise en compte des spécificités de la vie étudiante. Cette bonne coordination devra reposer sur une action volontariste des ministères de la santé et de l’enseignement supérieur, ainsi que sur des moyens dédiés pour que ces actions se diffusent largement dans les territoires.
Dans ce cadre, les actions favorisant l’accès aux soins, par exemple par le développement des centres de santé universitaires, me paraissent répondre à un réel besoin. Si la commission des affaires sociales a proposé de supprimer l’article 3 bis, qui a pour objet de demander un rapport sur ce sujet, elle n’en reste pas moins sensible à cet enjeu, qui renvoie toutefois à des questions dont le champ dépasse l’objet du présent projet de loi.
Vous l’aurez compris, la commission des affaires sociales est favorable à la réforme technique engagée avec la suppression du régime étudiant, tout en souhaitant que celle-ci contribue à servir un objectif plus large : la santé des jeunes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Assassi, MM. Ouzoulias, P. Laurent et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 193.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’orientation et la réussite des étudiants (n° 242, 2017-2018).
En application du dernier alinéa de l’article 44 du règlement, ont seuls droit à la parole l’auteur de l’initiative ou son représentant pour dix minutes maximum, un orateur d’opinion contraire pour dix minutes maximum, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond, ainsi que le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Fabien Gay, pour la motion.
M. Fabien Gay. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur pour avis, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de rappeler quelques articles de notre Constitution, qui me semblent avoir été oubliés dans le processus législatif en cours : l’article 34 précise notamment que « la loi détermine les principes fondamentaux de l’enseignement » ; l’article 24 dispose quant à lui que « le Parlement vote la loi ».
Lors des débats à l’Assemblée nationale, vous avez déclaré, madame la ministre, que la plateforme serait la « face visible de la réforme », et que la nouvelle rédaction de l’article L. 612-3 du code de l’éducation apporterait « une base juridique solide à la nouvelle plateforme Parcoursup, qui va gérer les inscriptions pour la rentrée 2018 ».
Dans un sursaut de légalisme, vous avez même rappelé ce principe de droit en vertu duquel « on ne peut pas prendre des décrets ou des arrêtés avant d’avoir voté la loi ». Et pourtant, vous faites exactement l’inverse. Sans prendre le soin de nous le présenter lors de votre audition par la commission de la culture, vous avez promulgué, trois jours après, un arrêté qui organise la plateforme Parcoursup selon les dispositions de la loi dont nous commençons l’examen au Sénat seulement aujourd’hui.
Notre groupe a déposé un recours en annulation de ce texte auprès du Conseil d’État et vos explications lors de nos débats seront susceptibles d’être mises à profit par cette juridiction pour examiner notre requête. Notre Haute Assemblée se voit ainsi confier un rôle inattendu dans le contrôle de légalité d’un acte subalterne. Vous attaquez le bicamérisme par la base !
En déposant ce recours en annulation, nous défendons la règle constitutionnelle de la hiérarchie des normes, les prérogatives du Sénat et la nécessité d’une relation de confiance, qui doit nécessairement régir les relations du Gouvernement avec le Parlement. Nous souhaitons aussi éviter aux candidats et à leurs familles les risques de recours contentieux qui pourraient naître des décisions prises sur la base d’un acte juridique illégal.
De plus, à partir de cet arrêté litigieux, de nombreuses universités ont intégré dans Parcoursup des attendus qui mettent à profit les libertés qu’il offre, mais selon une interprétation que vous avez vous-même condamnée. Je pense notamment à l’exigence du BAFA. Que dire des lycéens qui découvrent en cours d’année scolaire, à la lecture de ces attendus, qu’ils n’ont pas choisi la bonne filière ? Tous ces problèmes pourraient légitimement déboucher sur des contentieux dont la gestion incombera aux universités et aux rectorats.
Plus grave encore, à l’Assemblée nationale, vous avez proféré la menace suivante, madame la ministre : « Si ce projet de loi n’est pas voté par le Parlement, nous procéderons l’an prochain comme cette année, par tirage au sort ».
Je vous rappelle qu’aux termes exprès de l’article L. 612-3 du code de l’éducation « les dispositions relatives à la répartition entre les établissements et les formations excluent toute sélection ». À ce titre, le tirage au sort est parfaitement illégal, et je ne comprends pas comment vous pouvez contraindre notre décision en nous menaçant d’appliquer des dispositions qui violent le droit.
La représentation nationale et les membres du Gouvernement, plus que quiconque, se doivent de respecter la loi et de la défendre. Je vous demande donc solennellement de ne pas nous forcer, dans la discussion, à un choix entre votre projet et des pratiques illégales. Nous ne manquerons pas de faire valoir nos droits au moyen de rappels au règlement pour imposer un débat respectueux de la loi.
Par ailleurs, le Gouvernement a engagé une réflexion sur le rôle du Parlement, dont il veut simplifier le fonctionnement et accélérer le travail. Je m’étonne donc que ce légitime objectif ne s’applique pas à ce projet de loi. Nombre de ses dispositions relèvent en effet du décret ou de l’arrêté, mais il est vrai que votre pratique tend à abroger cette hiérarchie des normes.
Nous comprenons bien cette volonté tactique de dissimuler, par des développements amphigouriques, ce qui constitue l’objet principal de votre réforme, et que vous ne voulez pas assumer politiquement. En revanche, j’ai entendu que M. le rapporteur l’assumait pour vous… (Mme la ministre sourit.)
Nous pensons, à l’inverse, qu’une bonne loi est une loi lisible et intelligible, qui transpose en droit des choix politiques clairement énoncés.
Le code de l’éducation actuel interdit la sélection pour l’entrée à l’université, tout en autorisant un grand nombre d’établissements à déroger à ce principe de droit. Vous voulez étendre ce système dérogatoire à l’ensemble des établissements. Alors, pourquoi ne pas le dire franchement ? Vous pourriez alors réduire le premier article de votre projet de loi à deux simples phrases, que je vous livre : « Le premier cycle est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat. Les inscriptions sont prononcées par le président ou le directeur de l’établissement dans la limite des capacités d’accueil. » Voilà, c’est simple ! Tout le reste relève du décret. Nous saisirons donc le Conseil constitutionnel pour lui demander de délégaliser ces dispositions et vous obliger à les prendre par décret.
Enfin, vous défendez aujourd’hui ce projet de loi, alors que votre collègue ministre de l’éducation nationale présentera sa réforme du baccalauréat au conseil des ministres dès la semaine prochaine.
M. Pierre Mathiot, chargé d’une mission sur la réforme du baccalauréat, expliquait à la commission de la culture la semaine dernière que, si ses préconisations étaient retenues, il faudrait nécessairement réécrire le texte que vous nous soumettez aujourd’hui. Il relevait à raison que votre projet donnait une place marginale au baccalauréat et que l’entrée à l’université se déciderait essentiellement à partir des notes du lycée.
Nous le savons, d’autres réformes sont en cours, sur l’apprentissage ou encore sur le statut des enseignants. Toutes ces réformes participent d’un projet d’ensemble qui fait système. Il eût été préférable, pour la qualité de nos débats et le respect du rôle du Sénat dans le dispositif législatif, que le Gouvernement nous le présentât globalement.
Au lieu de cela, nous sommes réduits à examiner, dans l’urgence, des textes qui défilent devant notre assemblée comme des perles que l’on enfile sur un collier. Cette tactique de saturation de l’espace législatif par un déferlement continu de textes partiels imposés dans le cadre de la procédure accélérée est, sans conteste, réfléchie. Je pense même qu’elle est, de la part de l’exécutif, une stratégie politique pour asphyxier le Parlement et étouffer toute mobilisation populaire.
Elle aboutit néanmoins à des projets et des dispositifs élaborés dans la précipitation et sans réelle étude d’impact. En l’occurrence, vos services et ceux des universités sont incapables de nous expliquer de quels moyens ils vont disposer pour analyser la grande masse des dossiers de candidature ou mettre en place des dispositifs d’accompagnement pédagogique. À ces problèmes matériels s’ajoutent les interrogations légitimes des spécialistes, qui doutent des capacités du nouveau logiciel à trier les huit millions de vœux non hiérarchisés des lycéennes et lycéens.
À tout le moins, et avant de lancer cette nouvelle plateforme, il eût été de bonne politique d’analyser dans le détail le fonctionnement de celle qu’elle remplace, à savoir APB. Ainsi, alors que la réforme est lancée, votre service des systèmes d’information et des études statistiques vient seulement de publier les résultats d’une enquête sur les choix d’orientation après le baccalauréat.
Les enseignants des lycées et des universités, leurs organisations représentatives vous ont alerté sur les difficultés qu’ils pressentent pour organiser la rentrée dans de bonnes conditions : celle de septembre 2017 a été chaotique ; celle de 2018 s’annonce apocalyptique !
Madame la ministre, si votre intention est vraiment de trouver une place dans l’enseignement supérieur à tous les nouveaux bacheliers, comme vous l’avez déclaré à plusieurs reprises, alors, vous n’avez pas besoin de cette loi, mais il vous faut dégager rapidement des moyens supplémentaires. Et si vous ne savez pas comment trouver les 500 millions d’euros nécessaires sur cinq ans, demandez conseil à M. le ministre de l’économie, lui qui a réussi l’exploit de trouver en quelques minutes 4 milliards d’euros pour les 1 % les plus riches en supprimant l’ISF. (Exclamations sur différentes travées.)
Pour conclure, je souhaite m’adresser à vous, mes chers collègues …
M. Roger Karoutchi. Pas pour trouver 500 millions d’euros, j’espère… (Sourires.)
M. Fabien Gay. Même à vous, monsieur Karoutchi. (Nouveaux sourires.)
Agissons en responsabilité et ne prenons pas le risque d’être comptables des dysfonctionnements à venir. Compte tenu des problèmes constitutionnels, juridiques, organisationnels et matériels que pourrait poser ce projet de loi, nous vous proposons de le déclarer irrecevable. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, contre la motion.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, certains membres de notre commission se sont, ces dernières semaines, légitimement posé un certain nombre de questions. Il est vrai que le calendrier est resserré, et que l’année universitaire ne s’arrête pas juste parce que nous sommes en train de réfléchir et de légiférer sur l’organisation de la future rentrée scolaire et universitaire. Ces mêmes collègues ont d’ailleurs explicitement interrogé Mme la ministre en commission sur l’éventualité de l’application par anticipation d’une loi non encore débattue au Sénat.
Au cours de cette séance, Mme la ministre a bien reprécisé que, si les vœux étaient progressivement enregistrés, les seules dispositions du parcours qui sont en vigueur n’avaient pas besoin de base législative. Les premières décisions qui feront grief seront prises après l’adoption de ce projet de loi.
La commission, qui s’est réunie ce matin, s’est prononcée contre cette motion, arguant de son souhait de débattre du texte en l’état.
Je rappellerai aussi, pour mémoire, que la CNIL et le Conseil d’État ont mis en demeure le Gouvernement de changer la procédure avant les prochaines affectations dans l’enseignement supérieur. Je sais que certains collègues souhaiteraient que nous ayons une « année blanche », en quelque sorte, mais cela ne serait possible que dans un monde idéal, où il n’y aurait plus de rentrée universitaire à organiser. On laisserait ainsi au milieu du gué des étudiants qui s’apprêtent à passer leur baccalauréat.
Mes chers collègues, nous devons assumer notre responsabilité collective, tout d’abord en débattant du mieux possible de ce texte de loi, qui est extrêmement important et qui nous touche tous. En même temps, et ce faisant, nous enverrons un signe rassurant aux étudiants et à leurs familles, qui s’inquiètent toujours un peu quand il y a du changement dans l’air.
Vous l’aurez compris, je suis contre l’adoption de cette motion. (MM. Arnaud de Belenet et Jean-Marc Gabouty applaudissent.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jacques Grosperrin, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur Gay, je suis élu du Doubs, département qui a envoyé siéger sur ces travées un homme illustre, Edgar Faure, qui disait : « Tout ce qui est excessif est insignifiant ! »
Je ne sais pas si vos propos sont insignifiants, mais je vous donne à méditer sur ce que disait Lénine : « Les faits sont têtus ! » (Exclamations.)
Je dirais même que les chiffres sont têtus. Peut-on accepter que 86 000 étudiants se retrouvent sur le bord du chemin en juillet 2017 parce qu’ils n’avaient toujours pas d’affectation ? Peut-on accepter que quelque 3 800 lycéens se soient retrouvés sans aucune affectation à l’issue du processus APB ? Non, on ne peut pas l’accepter, mes chers collègues !
M. Fabien Gay. Je suis d’accord avec vous.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Si nous votons votre motion, cela veut dire que l’on revient au tirage au sort, à APB, …
M. Fabien Gay. Non !
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. … à un ensemble de procédures iniques, injustes, qui ne sont pas de nature à rassurer nos jeunes.
Vous l’avez bien compris, je ne suis pas un représentant du Gouvernement, et je suis fier d’être membre du groupe Les Républicains. (Exclamations.)
Néanmoins, je pense que nous devons faire preuve de responsabilité, d’autant que la CNIL et le Conseil d’État ont mis le Gouvernement en demeure de changer les règles. Nous devons donc l’accompagner en légiférant sur un sujet important pour nos jeunes. Quelque 850 000 lycéens et étudiants redoublant attendent beaucoup de nous ; ne rajoutons pas de l’anxiété aux difficultés qu’ils peuvent déjà rencontrer à ce jour.
La commission a émis un avis défavorable à l’adoption de cette motion.